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Un seul monde N o 2 / JUIN 2015 LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION www.ddc.admin.ch Lutte contre la faim et la malnutrition La communauté internationale se mobilise Canal du Nicaragua Un projet qui suscite la colère populaire Eau et bois Des ressources rares dans les camps de réfugiés

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Un seul mondeNo2 / JUIN 2015LE MAGAZINE DE LA DDCSUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATIONwww.ddc.admin.ch

Lutte contre la faim et la malnutrition

La communauté internationale se mobilise

Canal du NicaraguaUn projet qui suscite la colère populaire

Eau et boisDes ressources rares dans les

camps de réfugiés

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Un seul monde est édité par la Direction du développement et de la coopération (DDC), agence de coopération internationale intégrée au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’est cependant pas une publication officielle au sens strict. D’autres opinions y sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pas obligatoirement le point de vue de la DDC et des autorités fédérales.

Un seul monde No 2 / Juin 20152

Sommaire

D D C

F O R U M

3 Éditorial4 Périscope26 DDC interne34 Service35 Coup de cœur avec Nadja Räss35 Impressum

H O R I Z O N S

C U L T U R E

D O S S I E R ALIMENTATION6 Mobilisation sans précédent en faveur de la nutrition

La communauté internationale est déterminée à éradiquer la faim, mais aussi les carences nutritionnelles et l’obésité

11 «Nous sommes plus forts ensemble que divisés»Gerda Verburg, présidente du Comité de la sécurité alimentaire mondiale, évoque les progrès réalisés ces dernières années

13 Des grains que les rats n’auront pasEn Amérique latine et en Afrique, la DDC soutient la diffusion de moyens d’entreposage adéquats pour les céréales et les légumineuses

15 Recensement de technologies éprouvéesUne base de données recense les meilleures méthodes utilisées par les paysans afin d’éviter la dégradation des terres et d’en augmenter la fertilité

17 Faits et chiffres

18 Un peuple désabusé s’oppose au projet du siècleLa résistance contre la construction d’un canal interocéanique prend de l’ampleur au Nicaragua

21 Sur le terrain avec...Andreas Gerrits, vice-directeur régional de la DDC pour l’Amérique centrale à Managua

22 Un exquis creuset culturelLa chanteuse nicaraguayenne Katia Cardenal évoque l’importance de la création artistique dans son pays

27 L’eau, un bien rare dans les camps de réfugiésDans les camps, l’approvisionnement de milliers de réfugiés en eau et en bois représente un véritable défi

30 Cimetière de Sihlfeld, tombe 83115Carte blanche : l’écrivain lituanien Marius Ivaskevicius raconte des événements étranges survenus durant l’écriture d’une pièce de théâtre

31 Des Andes aux Alpes, avec le climat au fond du cœurRencontre avec la photographe péruvienne Luana Letts dans les Alpes suisses

23 Des villages raccordés à l’eau potableEn Ouzbékistan et au Tadjikistan, la DDC soutient l’aménagement de réseaux d’eau locaux

24 Accès au marché pour les insulairesAu Bangladesh, un projet vise à améliorer les conditions de vie sur les îles fluviales

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Éditorial

Un seul monde No 2 / Juin 2015

Nous qui vivons dans un pays riche sommes sansdoute à même de comprendre intellectuellement lesdéfis qu’affronte la coopération internationale. Peut-être même avons-nous été frappés, lors de voyagesdans d’autres régions du monde, par la pauvreté ex-trême, le manque de soins médicaux et les effets dé-vastateurs de catastrophes naturelles ou de conflits ar-més. Nous comprenons que les victimes de tellessituations aient besoin de notre aide. Toutefois, il nousest difficile d’imaginer ce que cela représente vraiment,car la plupart d’entre nous n’avons – par bonheur – ja-mais vécu de telles expériences.

La faim, ce n’est pas pareil. Du moins, c’est ce quenous croyons. «Aujourd’hui, j’ai eu à peine le temps decroquer une barre de céréales. » C’est ce que nous di-sons quelquefois, avec un mélange de fierté et d’api-toiement sur notre sort, en quittant le bureau à la find’une journée mouvementée, avec des gargouille-ments dans l’estomac. Oui, nous pensons tous savoirce qu’est la faim. Pas comme en Afrique, mais assezconcrètement tout de même.

S’accorder une barre protéinée pour tout repas de midirelève de notre libre choix. Cela en dit davantage surnotre mode de vie que sur la disponibilité de la nourri-ture. Par contre, le souci du prochain repas devient unepriorité absolue, jour après jour, pour les quelque 800millions de personnes dans le monde qui souffrent desous-alimentation chronique. Il occulte en permanencetous les besoins moins immédiats, comme le traite-ment de maladies, l’investissement dans l’éducationou la recherche d’un logis stable. Aider les plus pau-vres à échapper au cycle de la faim reste donc – au-delà des Objectifs du Millénaire pour le développement– une tâche fondamentale de la coopération interna-tionale.

La sécurité alimentaire est aussi une question d’ap-provisionnement. Je m’en suis rendu compte au débutde cette année, lorsque j’ai visité un camp de réfugiéssyriens en Jordanie. Quelques mois seulement après

s’y être installés, de très nombreux réfugiés – surtoutdes femmes – sont repartis ailleurs, car la distributiond’eau et de nourriture donnait lieu chaque jour à desconflits, souvent violents. La vie du camp est devenuebeaucoup plus paisible depuis que son infrastructure aété améliorée, notamment avec l’apport de spécia-listes de l’eau mis à disposition par la DDC.

Il est impossible de parler de sécurité alimentaire sansévoquer notre gigantesque gaspillage de nourriture.Selon une étude de la FAO, plus de 30% des alimentsproduits dans le monde sont soit jetés, soit perdusavant de parvenir aux consommateurs, par manque demoyens de réfrigération ou de transport. On ne gaspillepas seulement les denrées elles-mêmes, mais égale-ment tout ce qui a été nécessaire à leur production :l’énergie, l’eau, le travail, la terre et le capital.

Dans notre société d’abondance, il ne semble exister(pour l’instant) aucune campagne efficace de luttecontre le gaspillage de nourriture. En revanche, l’amé-lioration des infrastructures rurales dans les pays endéveloppement constitue un élément essentiel de nosefforts pour y promouvoir le secteur privé et la sécuritéalimentaire à l’échelle locale. Vous trouverez dans leprésent numéro une série d’exemples à ce sujet et surd’autres activités de la DDC relevant de la sécurité ali-mentaire.

Manuel SagerDirecteur de la DDC

(De l’allemand)

Échapper au cycle de la faimDDC

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Ricardo Azoury/Redux/laif

Mehdi Chebil/Polaris

Jacob Silberberg/Panos

Périscope

Un seul monde No 2 / Juin 2015

pauvre de la population. Selonles statistiques, 2,5 milliardsd’êtres humains ne sont pas in-tégrés dans un système financierformel – la grande majoritéd’entre eux vivent dans les paysen développement. Toutefois, ces gens savent comment se dé-brouiller : en Afrique australe, parexemple, il existe de nombreusessortes de groupes d’épargne in-formels, dont le but est de veniren aide à leurs membres confron-tés à des difficultés financières.www.cgap.org

Le numéro 8028 au servicedes paysans(gn) En Éthiopie, une assistancetéléphonique a été mise à la disposition des paysans, afin de stimuler l’essor du secteur agri-cole. Lancé au cours de l’été2014 par l’Agence nationale detransformation agricole (ATA),ce service gratuit a d’emblée faitun tabac : le numéro de télé-phone 8028 est composé plus de35000 fois par jour et 70% desappelants sont de petits agri-culteurs. À toute heure du jouret de la nuit, les utilisateurs en-registrés peuvent y obtenir desrenseignements sur des questionsagricoles. Ces informations leursont communiquées sur leur téléphone portable soit par unserveur vocal interactif, soit parSMS. Selon Ato Khalid Bomba,directeur de l’ATA, l’inter-activité du système explique engrande partie son succès : «Enappelant le 8028, on reçoit im-médiatement, dans sa proprelangue, des réponses à des ques-tions précises. L’administrateurde la ligne d’assistance peut, deson côté, envoyer des informa-tions spécifiques à ses clients. »Par exemple, lorsqu’une épidé-mie de rouille des céréales me-naçait plusieurs régions du pays,les cultivateurs ont été avertis àtemps et ont pu prendre desmesures de protection. www.ata.gov.et/8028-2

Les gardiens de la forêt(gn) La population locale se préoccupe souvent mieux de la nature que les autorités centrales. Au Guatemala, parexemple, les forêts placées sous la protection du gouver-nement rétrécissent vingt fois plus vite que celles géréespar des communautés villageoises. «Le renforcement descompétences communales en matière de forêts est un aspect décisif de la lutte contre le changement climatique»,constate Jennifer Morgan, du World Resources Institute(WRI). Une étude de ce laboratoire d’idées indique que lesforêts tropicales administrées par des villages stockentquelque 37 milliards de tonnes de CO2. Leurs habitants dé-tiennent un titre légal de propriété sur ces terres héritées deleurs ancêtres. En utilisant avec soin les ressources dont ilssont tributaires, ils apportent une contribution importante àla protection du climat. «On pourrait accroître la quantité decarbone stocké par la végétation en transférant davantagede droits de propriété de l’État aux communautés locales»,explique Ashiwini Chhatre. Ce géographe a prouvé dès2009, dans dix pays, que les communes habilitées à légifé-rer de façon autonome s’occupent mieux de leurs forêts,ce qui permet de piéger davantage de carbone.www.wri.org, « forests»

Boom du solaire auBangladesh(gn) Actuellement, 42% seule-ment des ménages bangladaissont raccordés au réseau élec-trique. C’est pourquoi les instal-lations solaires décentraliséessuscitent un grand intérêt. Leprojet Solar Home System(SHS), lancé en 2007, a déjàprocuré du courant et de l’éclai-rage à 3 millions de ménages, un chiffre qui devrait passer à 4 millions d’ici fin 2015. Il a étémis sur pied par l’organisme étatique Infrastructure Develop-ment Company et une quaran-taine d’ONG. Alors que l’instal-lation d’un système solaire privéreprésente un investissement trèscoûteux pour la population ru-rale, plus de 65000 unités sontvendues chaque mois. Selon lemodèle choisi, les panneaux so-laires peuvent être livrés avecdeux à six lampes, un raccorde-ment TV et des chargeurs debatteries. Le système fournitl’électricité nécessaire pour fairefonctionner ces appareils quatreheures par jour. Divers facteursexpliquent le boom de l’énergiesolaire au Bangladesh : l’aug-mentation des revenus, le sou-tien apporté par des projets demicrofinancement ainsi quel’amélioration des conditions de vie et de production grâce àl’électricité solaire.www.sun-connect-news.org, «SHS»

Arbres sauveurs des zonestropicales(gn) L’iroko africain et le noyerMaya d’Amérique latine ont dé-veloppé une propriété particu-

Des barbecues au lieu decomptes en banque(gn) Quand un Péruvien a unurgent besoin d’argent, il orga-nise une pollada, fête où l’ongrille du poulet au barbecue : lesinvités paient boissons et nour-riture un bon prix, de sorte quel’hôte peut réunir la somme nécessaire sans avoir à mendierpour cela. Naturellement, il renverra l’ascenseur à ses amislorsque ceux-ci seront dans lebesoin et l’inviteront à leur tourà une pollada. Des chercheurs dela Banque mondiale ont observé

ce genre de créativité, lorsqu’ils’agit de collecter de l’argent,partout où l’accès aux établisse-ments bancaires s’avère difficileou impossible. Au Pérou, 20%des adultes ont un compte enbanque, mais cette proportiontombe à 9% pour le tiers le plus

Institut international d’agriculture tropicale

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Sanofi Pasteur

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Dessin de Jean Augagneur

lière au cours de leur évolution :ces arbres transforment le CO2

atmosphérique, capté par photo-synthèse, en calcaire qu’ils accu-mulent entre leurs racines. Deschercheurs à l’Université deLausanne ont montré qu’uniroko est à même de retenir ainsidurablement dans le sol jusqu’à20 kilos de CO2 par année sousla forme de calcaire. Cette pro-priété va faire l’objet d’une ex-ploitation ciblée en Haïti, où

l’association Biomimicry Europaa remis à des paysans 80000plantons de noyer Maya. Le butde ce projet n’est pas unique-ment d’atténuer le changementclimatique : la production de cal-caire ayant pour effet d’enleverde l’acidité au sol, il en résultedes terres plus fertiles qui procurent aux agriculteurs demeilleures récoltes de légumeset de céréales. De plus, les fruitsnourrissants de cet arbre sont à la base de mets savoureux. «Les agriculteurs viennent pargroupes entiers chercher desplantons et s’occupent ensuitede tout », se réjouit le directeurde projet Daniel Rodary. «Leprogramme commence à nouséchapper, c’est magnifique ! »www.biomimicry.eu, « arbres sau-veurs »

Dengue : la traque du moustique( lb) Plus de 10000 personnesmeurent chaque année de ladengue, maladie virale transmisepar la piqûre d’un moustique répandu dans les zones tropi-cales et intertropicales. Selonl’Organisation mondiale de lasanté (OMS), environ 2,5 mil-liards de personnes vivent dansdes régions à risque. Jusqu’à 100millions de cas sont enregistréschaque année. Les spécialistesrecommandent l’utilisationd’habits couvrants, de spraysanti-moustiques et de mousti-quaires pour éviter une infec-tion. On recherche depuis desannées un vaccin qui puisse immuniser contre les quatre variantes du virus. Le vaccinCYD-TDV, mis au point récem-

ment, est efficace à près de 60%.Un moyen essentiel de com-battre la dengue consiste aussi àsupprimer les eaux stagnantes – lieux d’incubation favoris desmoustiques – à proximité dezones habitées. Au Costa Rica, la population locale a depuis peula possibilité d’utiliser une appli-cation gratuite pour signaler laprésence de tels points d’eau auxautorités sanitaires. www.who.int, « dengue »

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DOSSIER

Mobilisation sans précédenten faveur de la nutritionLe combat contre la faim a pris un nouveau départ. La commu-nauté internationale est déterminée à éradiquer toutes lesformes de malnutrition, ce qui inclut aussi les carences nutri-tionnelles et l’obésité. Plus de cinquante pays se sont déjà en-gagés à transformer leurs systèmes alimentaires. Les bailleursde fonds recommencent à investir dans l’agriculture. De Jane-Lise Schneeberger.

Environ 805 millions d’êtres humains souffrent desous-alimentation chronique. Ce nombre reste in-acceptable, alors que la production agricole mon-diale suffirait largement à nourrir toute la popula-tion. Cependant, il a nettement diminué depuis1990. À l’époque, plus d’un milliard de personnesse couchaient le ventre creux. Le recul de la faim

s’explique surtout par la disponibilité accrue desdenrées de base. Pendant des années, les gouver-nements ont misé sur l’augmentation de la pro-duction de céréales pour atteindre la sécurité ali-mentaire. Par conséquent, le prix du riz, du blé etdu maïs a baissé. Beaucoup de pauvres ont pu enmanger tous les jours.

Souper traditionnel d’une famille de paysans dans le Ladakh, en Inde. Dans cette région, la galette de pain est un aliment de base essentiel. On la consomme à tous les repas, accompagnée de thé ou de bière d’orge artisanale.

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Boisvieux/hem

is.fr/laif

Sven Torfinn/laif

David Bacon/Report Digital-REA/laif

The New York Times/Redux/laif

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Alimentation

Un triple fardeau La quantité de calories ingérées était jusqu’ici leprincipal critère retenu pour mesurer l’ampleur dela faim. «Aujourd’hui, on se rend compte toutefoisque cette approche quantitative ne suffit pas. Il fautaussi que les aliments soient variés et de bonne qua-lité », indique Peter Bieler, chef du Programme glo-bal Sécurité alimentaire à la DDC. «On peut êtremal nourri tout en mangeant à sa faim si l’on n’ab-sorbe que des calories vides. » C’est le cas de plusde 2 milliards de personnes dans le monde. Leursrepas se composent essentiellement d’une ou deux

céréales de base, qui contiennent une bonne quan-tité de calories, mais ont une faible valeur nutri-tionnelle. Un régime aussi monotone engendre descarences en vitamines et en sels minéraux. Ce dé-ficit nutritionnel étant difficile à détecter, on le qua-lifie de « faim invisible ».L’obésité est une autre forme de malnutrition. Au-

trefois cantonnée aux pays riches, elle progresse ra-pidement depuis une vingtaine d’années dans lespays en développement. Avec la hausse du niveaude vie, les comportements alimentaires changentet l’activité physique diminue. Les gens consom-ment davantage de viande et de produits industrielsriches en graisse, en sel et en sucre. Outre la sur-charge pondérale, ce régime favorise l’apparitionde maladies non transmissibles, comme le diabète,l’hypertension ou les affections cardiovasculaires.De plus en plus de pays émergents sont confron-tés à un « triple fardeau» en matière de nutrition :

la sous-alimentation, les carences en micronutri-ments et la surnutrition.

Nourrir 9 milliards de personnes en 2050Depuis quelques années, les États et les organisa-tions de développement se sont attelés à luttercontre ce triple fardeau. La nutrition fait l’objet

La malnutrition a plusieurs visages : une famille éthiopienne qui prend son frugal petit déjeuner, des migrantes en sur-poids aux États-Unis ou des habitants de Manille à la recherche de déchets comestibles.

Quatre dimensions«La sécurité alimentaireexiste lorsque tous lesêtres humains ont, à toutmoment, un accès phy-sique et économique à unenourriture suffisante, saineet nutritive leur permettantde satisfaire leurs besoinsénergétiques et leurs pré-férences alimentaires pourmener une vie saine et ac-tive. » Cette définition, ad-mise depuis 1996, recou-vre quatre dimensions : ladisponibilité sur le marchéd’aliments en quantitéssuffisantes et de bonnequalité ; l’accès, à savoir la possibilité pour chacunde se procurer les denréesdont il a besoin ; la stabilitédes deux premières di-mensions dans le temps ;l’utilisation adéquate desaliments dans le cadred’un régime diversifié.Depuis peu, les spécia-listes ajoutent au conceptde sécurité alimentaire celui de sécurité nutrition-nelle, qui prend en comptele caractère multisectorielde la nutrition (santé, qua-lité des soins, environne-ment).

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Yang wenbin/Imaginechina/laif

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En Chine, 26 millions d’écoliers ont droit chaque jour à un repas financé par l’État. De nombreux pays en développementont mis en place de tels programmes d’alimentation scolaire.

d’une mobilisation sans précédent. Deux événe-ments ont provoqué ce réveil de la communautéinternationale. Le premier fut la crise alimentairede 2007-2008, qui a déclenché des émeutes de lafaim dans une trentaine de pays. Elle a mis en évi-dence les failles du système alimentaire mondial.On a réalisé que la situation n’était pas tenable àlong terme. La planète comptera 9 milliards d’ha-

bitants en 2050. Si rien n’est fait d’ici là, il faudraaugmenter de 70% la production agricole mondialepour répondre aux besoins. Parmi les nombreusesmenaces qui pèsent sur la sécurité alimentaire figurent le gigantesque gaspillage de denrées comestibles et l’utilisation croissante de terresarables pour la production d’agrocarburants ou decéréales fourragères. Le second événement à l’origine de la mobilisa-tion actuelle fut la publication d’une étude mar-quante sur la nutrition en 2008. La revue médi-cale The Lancet a révélé l’extrême vulnérabilité desenfants durant les mille premiers jours de leur vie,soit depuis la conception jusqu’à l’âge de deux ans.Des carences nutritionnelles chroniques pendantcette période nuisent de manière irréversible àleur développement physique et mental. Les enfantsaffectés n’atteindront pas une taille normale, ilstomberont plus facilement malades et leurs capa-cités d’apprentissage seront limitées.

Engagement politique au plus haut niveauC’est dans ce contexte qu’a été lancé, en 2010, leMouvement pour le renforcement de la nutrition(SUN). En quelques années, pas moins de 54 paysen développement y ont adhéré. Par une lettre si-gnée du chef de l’État ou du gouvernement, ils ontreconnu l’ampleur de la malnutrition, en particu-

lier infantile, sur leur territoire. Ils se sont engagésà mettre en place des politiques adéquates pour faciliter l’accès à une nourriture saine et bon mar-ché. Une plateforme a été créée sur Internet pour queles pays membres puissent échanger des informa-tions sur les mesures les plus efficaces. «Personnen’a de recette toute faite pour éradiquer la malnu-trition. Les interventions varient en fonction ducontexte », note Florence Lasbennes, au secrétariatdu Mouvement SUN à Genève. Toutefois, unecondition est indispensable pour parvenir à des résultats durables : «Une impulsion politique doitêtre donnée au plus haut niveau de l’État, sans quoiles projets ne dépasseront pas le cadre local. »

Un défi pour l’agriculture familialeL’agriculture se trouve logiquement au cœur de cesefforts. On compte sur elle pour fournir des ali-ments de bonne qualité et en quantités suffisantes.

Le modèle brésilienLe Brésil est à l’avant-garde de la lutte contre lamalnutrition. Sa stratégieFaim Zéro, lancée en2003, a donné des résul-tats remarquables. Ellecomprenait une trentainede programmes dans diffé-rents secteurs. L’un desaxes principaux était lerenforcement de l’agri-culture familiale. Un autreavait pour but d’améliorerl’accès à la nourriture : il in-cluait notamment le verse-ment d’allocations aux fa-milles démunies ainsi quela création de cantinesscolaires et de restaurantspopulaires, des structuresapprovisionnées par lespetits paysans locaux.Faim Zéro a également missur pied des programmesd’éducation nutritionnelle.Des politiques ont été éla-borées afin de créer desemplois et d’augmenter lesrevenus. Aujourd’hui, leBrésil sert de modèle auxpays du mouvement SUN.

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HarvestPlus

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Alimentation

Les coûts de la malnutritionOutre ses conséquencessur la santé, la malnutritionimpose aussi des coûtséconomiques considé-rables à la société. Selonun rapport de la FAO, lesréductions de la producti-vité des personnes affec-tées et les dépenses ensoins de santé pourraientreprésenter jusqu’à 5% duproduit intérieur brut (PIB)mondial, soit 3500 milliardsde dollars par an. Le coûtde la sous-alimentation etdes carences nutrition-nelles se situe entre 1400et 2100 milliards. Celui del’excès pondéral et del’obésité n’a pas fait l’objetd’une estimation à l’échellemondiale. Toutefois, la FAOestime à environ 1400 mil-liards de dollars le coût cumulé de toutes les mala-dies non transmissiblespour lesquelles le surpoidsconstitue le principal fac-teur de risque.

La patate douce enrichie en bêta-carotène devrait réduire les carences en vitamine A, largement répandues dans lespays en développement. En Ouganda et au Mozambique, de nombreux paysans la cultivent déjà.

Or, sa productivité est très limitée dans les pays endéveloppement, ce qui est dû au manque d’inves-tissements. Depuis les années 80, la plupart des do-nateurs, de même que les gouvernements de cespays, se sont progressivement désengagés de l’agri-culture. Après la crise de 2007-2008, la tendances’est inversée. L’aide à ce secteur a repris. « Il faut absolument que les moyens mis à disposi-

tion soient investis dans les petites exploitations »,recommande Michel Mordasini, vice-président duFonds international de développement agricole(Fida). «Ce sont elles qui produisent plus de 80%de la nourriture consommée dans les pays en dé-veloppement. On ne peut plus les ignorer et pen-ser que la solution viendra seulement des grandspropriétaires. » La tâche des petits paysans n’est passimple : ils sont appelés à diversifier leurs cultureset à augmenter leurs rendements, tout en affron-tant les effets négatifs du changement climatiqueet la raréfaction des ressources. Pour y parvenir, ilsdoivent avoir accès notamment aux innovationstechnologiques, au crédit et à des formes de micro-assurance climatique. «Nous devons réinventer laRévolution verte. Il faut trouver de nouveaux mé-canismes pour rendre l’agriculture familiale plusproductive, plus durable, mais aussi plus rentable »,estime M. Mordasini. Les gouvernements devronten outre renforcer leurs services de vulgarisation

agricole, pour assurer que les produits de la re-cherche parviennent jusqu’aux paysans.

Patates et céréales enrichies en micronutrimentsUne des solutions proposées par la recherche scien-tifique pour réduire la faim invisible est le «bio-enrichissement», qui consiste à augmenter la teneur

de denrées de base en vitamines ou en sels miné-raux. «Ce procédé permet d’apporter des micro-nutriments à des populations qui n’ont pas un ré-gime alimentaire diversifié », explique Marie Ruel,de l’Institut international de recherche sur les po-litiques alimentaires (IFPRI). Depuis quinze ans,le programme HarvestPlus, géré par l’IFPRI, tra-vaille sur l’enrichissement en vitamine A, en zincet en fer de plantes telles que le haricot, le millet,le riz et le manioc. Son plus grand succès à ce jourest une patate douce à chair orange, riche en bêta-carotène, que de nombreux paysans cultivent déjàen Ouganda et au Mozambique. «Nos chercheursutilisent uniquement des méthodes de sélectionconventionnelles, et non pas les technologies gé-nétiques », précise Marie Ruel. Néanmoins, le bio-enrichissement divise les mi-lieux du développement. Si plusieurs donateurs fi-nancent les recherches de HarvestPlus, d’autres,comme la DDC, se montrent plus réservés. «Les

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Jacob Silberberg/Panos

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Des objectifs plus ambitieux pour 2030L’un des Objectifs duMillénaire pour le dévelop-pement (OMD) prévoyaitde réduire de moitié la pré-valence de la faim dans lemonde d’ici 2015. Enmoyenne, cette cible estpratiquement atteinte : letaux de personnes sous-alimentées dans les paysen développement estpassé de 23,6% en 1990à 14,3 % en 2013. Cepen-dant, les progrès restenttrès insuffisants en Afriquesubsaharienne et en Asiedu Sud notamment.D’après les propositionsélaborées par un groupede travail de l’ONU, l’agen-da de développementpost-2015 sera plus ambi-tieux que les OMD dans cedomaine. En effet, les fu-turs Objectifs de dévelop-pement durable viseront à éliminer non seulement la faim, mais toutes lesformes de malnutrition.D’ici 2030, chaque individudevrait avoir accès tout aulong de l’année à une ali-mentation saine, nutritiveet suffisante.

aliments bio-enrichis, au même titre que les com-pléments alimentaires, sont utiles dans des situationsd’urgence ou pour traiter des cas sévères de mal-nutrition. Mais ils ne remplaceront jamais un ré-gime équilibré et diversifié », estime Peter Bieler. Pour augmenter la consommation d’alimentsriches en micronutriments, la DDC privilégie uneagriculture durable et écologique qui produit des

denrées variées. «La diversification des cultures accroît en outre la résistance aux risques clima-tiques. En cas de sécheresse ou d’inondation, il y ades chances pour que certaines assurent un rende-ment », note M. Bieler. La diffusion en parallèle detechniques améliorées de conservation des ali-ments s’avère également nécessaire : «L’idéal seraitque les ménages ruraux puissent transformer, sé-cher ou réfrigérer les denrées périssables. Ainsi, ilsauraient des réserves de fruits et de légumes jus-qu’à la prochaine récolte. »

Une approche multisectorielleLe renforcement de l’agriculture ne suffit toute-fois pas à éradiquer la malnutrition, dont les causessont multiples et complexes. La pauvreté reste leprincipal obstacle à une bonne alimentation. Unrégime sain et diversifié coûte plus cher que troisbols de riz par jour. Pour que chacun ait les moyensde se procurer une nourriture adéquate, les Étatspeuvent agir sur les prix ou lutter contre la pau-

À Lima, cette cuisinière ambulante propose aux passants du caldo de gallina, bouillon de poule traditionnel, qu’elle apréparé elle-même. La vente de denrées alimentaires ou de repas apporte un petit revenu à beaucoup de gens.

vreté. À plus court terme, nombre d’organisationshumanitaires facilitent l’accès aux denrées alimen-taires, notamment en distribuant des subsides oudes coupons aux plus démunis.Des interventions s’imposent aussi dans les do-maines de la santé et de l’éducation. Il convientd’améliorer l’accès à l’eau potable et aux servicesde santé ainsi que les conditions d’assainissement.

«Des aliments de bonne qualité n’auront pas debienfaits nutritionnels si les gens boivent de l’eaucontaminée ou s’ils vivent dans un environnementmalsain qui constitue un risque permanent d’in-fections », relève Lina Mahy, au Comité permanentde la nutrition des Nations Unies. Le manqued’informations pose aussi un problème : «Souvent,les femmes ne choisissent pas les bons aliments, ne les préparent pas correctement et connaissentmal les besoins nutritionnels des enfants. Elles nesavent pas, par exemple, qu’un nourrisson doit êtreallaité exclusivement au sein jusqu’à l’âge de sixmois. » Dans plusieurs pays, des programmes d’édu-cation nutritionnelle visent à informer les mèressur les bonnes pratiques en matière d’alimentationet de soins. Reste que ces dernières n’ont pas tou-jours assez de temps pour s’occuper de leur fa-mille, déplore Lina Mahy : «Si une mère travailleaux champs toute la journée, elle ne peut pas don-ner à son jeune enfant les cinq repas par jour dontil a besoin. » ■

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Luke Duggleby/Redux/laif

FAO

11Un seul monde No 2 / Juin 2015

Alimentation

Récolte de blé dans les Andes péruviennes : pour que la profession d’agriculteur reste attractive, il faut investir dans ledéveloppement de machines et de techniques respectueuses de l’environnement.

Un seul monde : Qu’est-ce qui empêche au-jourd’hui d’assurer la sécurité alimentaire etnutritionnelle dans le monde?Gerda Verburg: L’un des principaux obstaclestient au fait que nous abordons le problème de ma-nière trop compartimentée. La sécurité alimen-taire et la nutrition concernent presque chaque aspect de la vie quotidienne. Elles sont affectées pardes décisions et des événements qui touchent une multitude de secteurs : eau, énergie, changement climatique, santé, technologie, transports, etc. Nousdevrions adopter une approche holistique qui in-tègre toutes ces dimensions et inclue tous les ac-teurs concernés.

Dans les pays en développement, la produc-tion alimentaire devrait presque doubler d’ici2050 pour nourrir toute la population. Les pe-tits paysans sont-ils en mesure d’augmentersuffisamment leurs rendements?Oui, c’est faisable. Les petits exploitants qui parti-cipent au CSA me le rappellent souvent. Ils sontpeut-être «petits », mais forts et surtout nombreux.Ce sont eux qui investissent le plus dans leurs ex-ploitations, car ils veulent augmenter leur produc-tivité, améliorer leur bien-être et nourrir leur fa-

mille. Néanmoins, ils ont besoin de notre aide, etpas uniquement pour accroître les rendements.Nous devons également évaluer leurs besoins enmatière d’accès aux marchés et considérer les aspectsintergénérationnels. En effet, si les paysans ne peu-vent plus gagner décemment leur vie, il est probableque leurs enfants, puis leurs petits-enfants, partirontvers les villes. Nous devons investir aujourd’hui dansl’agriculture afin d’offrir aux générations futures desmoyens d’existence durables.

En 2009, le CSA a fait l’objet d’une importanteréforme. Quels sont aujourd’hui ses atouts?Deux changements marquants ont eu lieu : l’inté-gration au CSA d’une large palette d’acteurs nongouvernementaux et la création du Groupe d’ex-perts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et lanutrition (HLPE). Le CSA est aujourd’hui nette-ment plus participatif et plus efficace. Il peut s’ap-puyer sur les analyses scientifiques que lui fournitle HLPE et ses décisions sont prises collectivementpar tous les acteurs concernés, y compris la socié-té civile et le secteur privé. Son atout principal ré-side dans cette combinaison entre les observationsscientifiques et la diversité des opinions des gens quitravaillent sur le terrain.

Gerda Verburg est néeen 1957 à Zwammerdam,aux Pays-Bas, et a grandidans une exploitation lai-tière. De 1980 à 1997, ellea exercé diverses respon-sabilités dans une associa-tion chrétienne de jeunesagriculteurs, puis au seinde la Fédération néerlan-daise des syndicats chré-tiens. Plus tard, elle a siégé pendant neuf ans au Parlement néerlandais,dans les rangs du parti démocrate-chrétien. De2007 à 2010, elle a été ministre de l’agriculture.Durant ce mandat, Mme Verburg a égalementprésidé pendant deux ansla Commission de l’ONUsur le développement du-rable. Depuis 2011, elle re-présente les Pays-Bas au-près des organisations desNations Unies basées àRome (FAO, PAM et FIDA).Parallèlement, elle a étéélue en octobre 2013 à la présidence du Comitéde la sécurité alimentairemondiale.

«Nous sommes plus forts ensemble que divisés»Réformé en 2009, le Comité de la sécurité alimentaire mon-diale (CSA) est devenu une plateforme internationale sur la-quelle tous les acteurs œuvrent collectivement pour éradiquerla faim et la malnutrition. Selon sa présidente Gerda Verburg,d’immenses progrès ont été réalisés ces dernières années auniveau politique. Entretien avec Jane-Lise Schneeberger.

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Carl W

alsh/Aurora/laif

12 Un seul monde No 2 / Juin 2015

Est-il toujours possible de réunir un consen-sus?Les recommandations du CSA résultent de com-promis âprement négociés, mais c’est précisémentce qui leur donne du poids et de la légitimité. Sinous parvenons à des consensus, c’est parce que cha-cun respecte les règles du jeu et a confiance dans leprocessus. Toutes les parties prenantes en sontconscientes : nous sommes plus forts ensemble quedivisés. Depuis la réforme, le CSA s’est prononcésur beaucoup de sujets brûlants et controversés,comme la propriété foncière, les agrocarburants etle changement climatique. Cette année, il analyse-ra les crises prolongées, la gestion de l’eau et l’ac-cès des petits paysans aux marchés.

A-t-il déjà pris position sur la culture de den-rées «bio-enrichies» ou génétiquement mo-difiées?Non, le CSA n’a pas encore abordé ces questions.Personnellement, j’estime que nous devons explo-rer toutes les solutions technologiques susceptiblesde nous aider à relever le défi de la faim et de lamalnutrition dans le respect de l’environnement. Ledébat sur le bio-enrichissement et les OGM est ex-trêmement polarisé, beaucoup trop à mes yeux. Jeregrette que l’on ne puisse pas discuter sereinementdes risques et des bénéfices de ces méthodes, ennous basant sur des faits objectifs. De manière gé-nérale, nous devons veiller à ne pas écarter trop vite des outils novateurs qui pourraient améliorerconsidérablement les conditions de travail des agri-culteurs.

À quels outils pensez-vous, précisément?La mécanisation, par exemple, est indispensablepour rendre l’agriculture de demain plus attractive.Mais il faudra trouver des machines et des tech-niques plus respectueuses de l’environnement etadaptées au contexte. Je pense aussi aux technolo-gies de l’information. Aujourd’hui déjà, elles aidentdes paysans à s’adapter aux variations climatiques età limiter les pertes de leur récolte. Les images sa-tellites sont utilisées pour régler des questions fon-cières. On peut imaginer que, bientôt, des dronesserviront à contrôler les criquets et autres ennemisdes cultures. Les innovations technologiques recè-lent encore un immense potentiel.

Comment se traduit sur le terrain l’engage-ment actuel de la communauté internationaleà éradiquer la malnutrition?D’immenses progrès ont été accomplis depuis la crise alimentaire de 2008. Au niveau mondial, lesmembres du CSA ont adopté les Directives volon-taires pour une gouvernance responsable des ré-gimes fonciers, puis les Principes pour un investis-sement responsable dans l’agriculture et les systèmesalimentaires. Les premiers résultats apparaissent surle terrain : plusieurs États ont déjà réformé leur lé-gislation ; des entreprises ont également décidé dese conformer aux nouvelles normes ; des ONG ontlancé des initiatives afin d’aider les petits paysans àadopter de meilleures pratiques. C’est le signe quenous sommes sur la bonne voie. ■

(De l’anglais)

L’ordinateur portable deviendra un instrument de travail indispensable également pour les paysans. Il l’est déjà, par exemple, dans ce projet de plantation de manioc au Kenya.

Un ancien forum redynamisé Le Comité de la sécuritéalimentaire mondiale (CSA)a été créé par l’ONU en1974, avec pour mandatde suivre et d’examiner lespolitiques relatives à la sé-curité alimentaire mon-diale. Après la crise de2007-2008, ses 127 Étatsmembres ont décidé de le réformer en profondeur,afin qu’il puisse intervenirplus efficacement sur lescrises à court terme et surles questions structurellesà long terme. Ils ont ouvertle CSA aux autres partiesprenantes (société civile,ONG, instituts de recher-che, secteur privé, institu-tions financières, fonda-tions philanthropiques, autres agences onusien-nes, etc.) et redéfini sonrôle. Le CSA est chargénotamment des tâchessuivantes : coordonnerl’approche mondiale de la sécurité alimentaire etde la nutrition ; promouvoirla convergence des poli-tiques ; fournir un appuiaux pays et aux régions. www.fao.org/cfs

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13Un seul monde No 2 / Juin 2015

Alimentation

Des grains que les rats n’auront pas

Faute de moyens adéquats de stockage à la ferme, les paysansdu Sud perdent une grande partie des denrées qu’ils récoltent.Afin d’améliorer leur sécurité alimentaire, la DDC soutient la dif-fusion de moyens d’entreposage novateurs. Les silos métalli-ques constituent la technologie la plus performante, mais ils re-quièrent un investissement initial conséquent.

( jls) À condition d’être conservées à l’abri des rats,des insectes, des oiseaux et de l’humidité, les cé-réales se conservent longtemps. Elles devraientnourrir les familles rurales jusqu’à la prochaine ré-colte. Dans les pays en développement, la plupartdes agriculteurs ne disposent toutefois que demoyens de stockage rudimentaires. Ils perdent ain-si une grande quantité de denrées, ce qui compro-met leur sécurité alimentaire. L’absence d’installa-tions adéquates représente également un importantmanque à gagner. Pour éviter de voir leur pro-duction dévorée par des ravageurs, beaucoup d’ex-ploitants décident en effet de la vendre juste aprèsla récolte. C’est le moment le moins favorable, carles prix sont alors au plus bas étant donné l’abon-dance de l’offre.

Des haricots et du maïs toute l’annéeDepuis plus de trente ans, la DDC aide les petitspaysans à améliorer leurs systèmes d’entreposagedes céréales et des légumineuses. Son premier pro-gramme, intitulé Postcosecha (post-récolte en es-pagnol), a été réalisé entre 1983 et 2003 en Amé-rique centrale. Il portait sur l’introduction de silos

métalliques destinés à la conservation du maïs etdes haricots, qui sont les deux principaux alimentsconsommés dans la région. Au Honduras, au Ni-caragua, au Guatemala et au Salvador, des artisanslocaux ont été formés à la fabrication de ces conte-neurs en tôle galvanisée. Des agents de vulgarisa-tion agricole ont appris aux paysans à les utiliser età les entretenir correctement.Le programme Postcosecha a permis de mettre enexploitation au moins 670000 silos. Ce nombreaugmente constamment, car les mécanismes établispour en assurer la production et la diffusion ontcontinué de fonctionner après le retrait de la DDC.«Les silos les plus demandés ont une capacité d’en-viron 800 kilos. Cela suffit pour stocker les hari-cots et le maïs dont une famille de six personnes abesoin pour se nourrir pendant toute l’année», noteMax Streit, qui s’occupe de ce thème à la DDC.L’ensilage accroît également le revenu des paysans :ces derniers peuvent se permettre d’attendre queles prix remontent sur le marché pour vendre unepartie de leur récolte. Toutefois, certains exploitants ne voulaient ou nepouvaient pas se lancer d’emblée dans l’achat d’unsilo. Ils préféraient commencer par de petites in-novations. C’est pourquoi Postcosecha proposaitégalement d’améliorer les moyens d’entreposageexistants. Ainsi, des cabanes en bois traditionnellesont été surélevées et leurs poteaux munis de dis-positifs de protection contre les rats.

Dans les structures de stockage traditionnelles, commecelles-ci au Bénin, les céréales ou le maïs ne se conserventpas longtemps.

DDC (2)

Pertes au Sud, gaspillages au NordUn tiers des aliments pro-duits dans le monde sontperdus ou gaspillés le longde la chaîne alimentaire,estime la FAO. Cela repré-sente 1,3 milliard de tonnespar an. Dans les pays in-dustrialisés, un gaspillageconsidérable se produit auniveau du commerce dedétail et de la consomma-tion. En Europe et enAmérique du Nord, cha-que consommateur jette àla poubelle entre 95 et 115kilos de nourriture par an.Dans les pays en dévelop-pement, on gaspille beau-coup moins. En revanche,de grandes quantités dedenrées sont perdues du-rant la production agricoleet les opérations post-récolte : le séchage, le décorticage, la transforma-tion, le transport et, sur-tout, l’entreposage. Cespertes sont dues à des infrastructures défaillantes, à des technologies dépas-sées et à la faiblesse desinvestissements dans lessystèmes alimentaires.

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A. W

amalwa/Cimmyt

D. Baributsa/Purdue University

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Silos, sacs, bidons ou tonneauxDevant le succès rencontré en Amérique centrale,la DDC a décidé de transférer dans d’autres régionsdu monde la méthodologie mise au point pour assurer la diffusion de solutions de stockage. De-puis l’an dernier, elle finance des interventions similaires dans onze pays d’Afrique subsaharienneet deux pays d’Amérique latine. Ses projets sontréalisés par différents partenaires sur le terrain. Les paysans africains ont généralement des revenusinférieurs à leurs confrères d’Amérique centrale. Ilsont donc davantage de peine à se procurer la tech-nologie la plus performante. En Tanzanie, parexemple, un conteneur métallique d’une capacitéde 1800 kg coûte environ 150 dollars. «Le silo représente l’investissement le plus rentable à longterme, car il offre une protection totale et sa durée de vie est de quinze à vingt ans. Cependant,il exige un capital de départ substantiel », remarqueMax Streit. Les partenaires de la DDC s’efforcent par consé-quent d’améliorer l’accès des paysans aux silos. Ilsen démontrent la rentabilité aux institutions loca-les de microfinance, afin de convaincre ces der-nières d’accorder des prêts aux petits exploitants.D’autre part, ils incitent les autorités à baisser lestaxes sur le métal, qui renchérissent le prix desconteneurs.En parallèle, les projets proposent quelques mé-

thodes de stockage qui requièrent un investisse-ment initial moins élevé. Leur liste d’options com-prend une version améliorée du silo traditionnelen argile, des sacs en jute ou en sisal, des bidons enplastique, des tonneaux métalliques et deux typesde sacs en plastique qui garantissent un stockagehermétique. Ces derniers se vendent quelques dol-lars la pièce. Cependant, ils ne peuvent contenir quecent kilos de grains et ils se détériorent après deuxou trois ans. En outre, les sacs en plastique ne pro-tègent ni contre les rongeurs ni contre certains in-sectes, comme le grand capucin du maïs. Ce rava-geur cause des dégâts considérables en Afrique.

Les pertes post-récolte en point de mireLa crise alimentaire mondiale de 2007-2008 a misen lumière la nécessité de réduire les pertes post-récolte, afin de pouvoir nourrir toute la popula-tion. De nombreux donateurs sont prêts à investirdans ce domaine jusqu’ici négligé. Au sein de sonRéseau sur l’agriculture et la sécurité alimentaire,la DDC organise des échanges entre les acteurs in-téressés par la gestion post-récolte. «Si plusieursbailleurs de fonds et les pays concernés conjuguentleurs efforts, nous pourrions passer à une échellebeaucoup plus grande », espère Max Streit. «Oncompte des centaines de millions de petits paysansen Afrique subsaharienne et la plupart d’entre euxont besoin de solutions de stockage sûres. » ■

Des ouvriers africains apprennent à fabriquer des silos métalliques. De solides sacs en plastique garantissent égalementun stockage hermétique, mais ils ne protègent ni contre les rongeurs ni contre certains insectes.

De quoi nourrir 48 millions de personnesEn Afrique subsaharienne,les céréales constituent labase de l’alimentation pourla majorité de la popula-tion. Elles assurent égale-ment 70% du revenu desménages ruraux. Cepen-dant, on estime qu’entre10 et 20% des grains ré-coltés se perdent avant leprocessus de transforma-tion. Ils se décomposentou sont infestés par desparasites, des champi-gnons ou des microbes.Selon un rapport publié en2011 par la Banque mon-diale et la FAO, les pertespost-récolte atteindraientl’équivalent de 4 milliardsde dollars. C’est approxi-mativement la valeur totaledes importations céréa-lières de l’Afrique sub-saharienne. Les denréesalimentaires perdues pour-raient combler les besoinscaloriques annuels d’aumoins 48 millions de per-sonnes.

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Hanspeter Liniger

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Alimentation

( jls) Les surfaces arables de la planète disparaissentà vue d’œil sous l’effet de multiples facteurs : mau-vaises pratiques culturales, surpâturage, érosion, ur-banisation, déforestation, changement climatique,etc. Le Centre pour le développement et l’environ-nement (CDE) de l’Université de Berne recensedepuis 1992 les efforts déployés par les paysans pour stopper ou prévenir la dégradation de leursterres. Avec l’appui de la DDC, il a créé le Pano-rama mondial des approches et technologies deconservation (Wocat), un réseau international d’ex-perts dédié à la gestion durable des sols. «Plutôt quede mesurer l’ampleur des dégâts, nous avons vou-lu montrer qu’il y a des moyens de les prévenir etaider les paysans à prendre les bonnes décisions »,explique Hanspeter Liniger, directeur du Wocat.Une base de données, librement accessible sur In-ternet, contient déjà plus de 750 technologies etapproches, venant d’une cinquantaine de pays, quiont fait leurs preuves sur le terrain.

La culture en terrasses, une tradition millénaireL’une des expériences les plus impressionnantes aété réalisée dans la vallée du Varzob, au Tadjikistan.Un paysan a réussi à convertir un pâturage dégra-dé en un verger et une surface fourragère, en com-binant diverses technologies : il a construit des ter-rasses, planté ses arbres fruitiers dans des fossés quiretiennent l’eau de ruissellement et fertilisé le solavec du fumier. Sa parcelle, située sur un versanttrès abrupt, ressemble à un îlot de verdure au mi-lieu d’un paysage désolé. Tout autour, le surpâtu-rage a fait disparaître la couverture végétale. La culture en terrasses est une technologie millé-naire qui permet de rendre cultivables des terrainsescarpés, de conserver l’eau et de freiner l’érosion.Elle évolue au fil du temps et diffère d’une régionà l’autre. Le Wocat en a recensé de nombreuses va-riantes. Certaines terrasses sont irriguées, commecelles de Bali (Indonésie), où l’on cultive du rizpaddy. D’autres ne dépendent que de la pluie. Letype de contremarche varie également. Dans la val-lée andine du Colca, au Pérou, on a réhabilité desterrasses datant de l’an 600, qui sont soutenues pardes murets en pierres. Au Kenya, ce sont des talus

Les publications du WocatEn s’appuyant sur les in-formations stockées danssa base de données, leWocat a déjà produit plusde vingt publications, encollaboration avec diffé-rents partenaires. Le livreVers une terre plus verte,paru en 2007, analyse 42initiatives de conservationde l’eau et des sols dans lemonde entier. Il formuledes recommandations po-litiques à l’intention des dé-cideurs et des organismesde développement. En2011, le Wocat a publié La pratique de gestion du-rable des terres, qui réunitdes directives et des bon-nes pratiques pour l’Afriquesubsaharienne. En 2013,La collecte de l’eau a présenté des bonnes pra-tiques pour les zonesarides et l’agriculture plu-viale. Par ailleurs, neufpays du Sud ont publiédes rapports nationaux surleurs expériences de ges-tion durable des terres. www.wocat.net

Recensement de technologies éprouvéesPartout dans le monde, des paysans luttent contre la dégrada-tion des sols, qui sont à la base de la production alimentaire. Ilsrecourent à toutes sortes de technologies ou de méthodes afinde préserver leurs terres et d’en augmenter la fertilité. Gérée parl’Université de Berne, une base de données unique en son genre recense les meilleures pratiques et assure leur diffusion.

Un îlot de verdure sur un versant érodé : dans la vallée duVarzob, au Tadjikistan, un paysan a réussi à cultiver desfruits et du fourrage en combinant diverses technologies.

en terre qui retiennent les terrasses Fanya juu : ils’agit d’une technique traditionnelle qui consisteà creuser des tranchées le long des courbes de ni-veau en rejetant la terre vers le haut, de manière àformer une digue. À une autre échelle, les terrassesdu Plateau de Loess, en Chine, occupent 73000km2. Construites entre 1964 et 1978, elles ont per-mis de reverdir des versants gravement érodés.

Des valeurs sûres et des innovations prometteusesQue ce soit en Colombie, aux Philippines ou auNiger, les exemples d’agroforesterie foisonnentégalement. Ce mode d’exploitation associe desarbres aux cultures ou aux pâturages. En Afriquede l’Est, le Grevillea robusta est de plus en plus pré-sent dans les plantations de maïs, de haricots ou de

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Fikreyesus Ghilay

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thé. Cet arbre originaire d’Australie rend de mul-tiples services. Il protège du vent, fait beaucoupd’ombre et améliore la fertilité du sol, tout en four-nissant du bois et du fourrage. La collecte de l’eau a toujours été le premier sou-ci des paysans dans les zones arides. La base de don-nées décrit quelques-unes des méthodes qu’ils ontimaginées pour capter l’eau de pluie ou de ruis-sellement, l’acheminer jusqu’aux cultures ou laconserver en prévision de la saison sèche. Les dis-positifs de stockage vont de la citerne souterraineau barrage de terre ou de sable, en passant parl’étang de ferme ou la cuve en ferrociment. Cer-taines innovations sont prometteuses. Ainsi, un pro-ducteur de coton du Madhya Pradesh, en Inde, amis au point un système de micro-irrigation quiprésente tous les avantages des méthodes conven-tionnelles, mais à un coût nettement plus abordable. En raison de leur surexploitation due à l’accrois-sement du cheptel mondial, les pâturages sont au-jourd’hui les terres agricoles les plus dégradées.Toutefois, c’est dans ce domaine que le Wocat a re-cueilli le moins d’exemples de bonnes pratiques.La rotation des pâtures, qui laisse aux terres untemps de jachère, reste le meilleur moyen de pré-server le couvert végétal.

Consécration internationale Toutes ces technologies sont présentées sous une

forme standardisée qui en facilite l’analyse et lacomparaison. La base de données est alimentée pardes vulgarisateurs agricoles, des agronomes etd’autres experts actifs sur le terrain. «Nous avonsélaboré une méthode et formé nos partenairespour qu’ils sachent l’utiliser. Ce sont eux qui ras-semblent les connaissances existantes dans leurpays », explique le directeur. Utilisée par une cinquantaine de pays actuellement,cette plateforme aura bientôt une portée univer-selle. En avril 2014, elle est en effet devenue la basede données officielle de la Convention des NationsUnies sur la lutte contre la désertification (CLD).Le Wocat a reçu la mission d’aider les 196 paysmembres à recenser chez eux les meilleures pra-tiques de gestion durable des terres. «Nous nepouvions pas rêver d’une plus grande consécrationinternationale », se réjouit Hanspeter Liniger. L’ac-tion de la CLD porte sur la dégradation des solsdans toutes les zones sèches de la planète, ce quireprésente 40% des surfaces émergées. ■

Dans le cadre d’une campagne de reboisement organisée par le gouvernement érythréen, la population locale aménagedes terrasses à flanc de colline. Elle plantera des arbres dans les tranchées en les espaçant de 2 mètres.

Un allié silencieuxLes sols courent un gravedanger. Un tiers d’entreeux sont déjà modéré-ment ou fortement dégra-dés. Si ce phénomène sepoursuit au rythme actuel,les générations futures nepourront pas satisfaireleurs besoins en nourri-ture, fourrage, bois, eauet matières premières.Afin de braquer les pro-jecteurs sur les risquesencourus par cette res-source vitale, l’ONU a dé-claré 2015 Année interna-tionale des sols. Sonobjectif principal est desensibiliser le public à lanécessité de préserver lesterres agricoles et de lesgérer de manière durable.«Les sols n’ont pas devoix et peu de gens par-lent pour eux. Ils sontnotre allié silencieux dansla production alimentaire »,a déclaré José Grazianoda Silva, directeur généralde la FAO. En collabora-tion avec le CDE, la DDCorganise une manifesta-tion le 17 juin à Berne àcette occasion.www.sols2015.ch

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Clemens Emmler/laif

17Un seul monde No 2 / Juin 2015

Alimentation

Faits et chiffres

LiensDeuxième conférence internationale sur la nutrition (CIN2)www.fao.org/about/meetings/icn2/fr

Comité permanent de la nutrition des Nations Unies (UNSCN)www.unscn.org

Institut international de recherche sur les politiques alimentaires(IFPRI), Washingtonwww.ifpri.org

Réseau de la DDC sur l’agriculture et la sécurité alimentaire(A+FS Network) www.sdc.foodsecurity.ch

Citations« Il est difficile d’imaginer plus grande injustice que celle qui privel’enfant, dans le ventre de sa mère et dès son plus jeune âge, dela capacité de développer pleinement ses talents tout au long desa vie. »Anthony Lake, directeur général de l’Unicef

«Une partie de notre monde déséquilibré meurt encore de faim. Et une autre partie se gave jusqu’à l’obésité, à tel point que l’espérance de vie recule à nouveau.»Margaret Chan, directrice générale de l’Organisation mondiale dela santé

Chiffres clés• Environ 805 millions d’êtres humains sont sous-alimentés, plus

de 2 milliards souffrent de carences nutritionnelles et plus de 1,9 milliard d’adultes sont en surpoids (dont 600 millions d’obèses).

• La faim et les carences nutritionnelles provoquent chaque année la mort de 3,1 millions d’enfants âgés de moins de cinq ans. Cela représente 45% de tous les décès d’enfants.

• Signe de malnutrition chronique, environ 162 millions d’enfants de moins de cinq ans souffrent d’un retard de croissance qui affecte leur santé et leur développement.

• La surcharge pondérale et l’obésité sont responsables de la mort de 3,4 millions de personnes par an. Le surpoids se définitpar un indice de masse corporelle (IMC) égal ou supérieur à 25 et l’obésité par un IMC égal ou supérieur à 30.

Indice de la faim dans lemonde 2014 L’Indice mondial de la faim(GHI) se base sur les don-nées suivantes : le taux demortalité des enfants demoins de cinq ans, la partdes enfants de moins decinq ans en insuffisancepondérale et la part despersonnes sous-alimentées.Les pays sont classés surune échelle allant de 0 à100 points. Le GHI 2014 est extrêmement alarmantdans deux pays (Érythrée et Burundi) et alarmant dansquatorze autres (dont dix en Afrique subsaharienne).Pour certains pays, commel’Afghanistan, la RDC, laBirmanie et la Somalie, larareté des données ne per-met pas de calculer le GHI.

Source : von Grebmer et al./IFPRI

Extrêmement alarmant 30.0 ≤Alarmant 20,0-29,9Grave 10,0-19,9Modéré 5,0–9,9Bas < 4,9Données non disponiblesPays industrialisés

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Tanja Lander

18 Un seul monde No 2 / Juin 2015

HORIZONS

Un peuple désabusé s’oppose au projet du siècleLe président Daniel Ortega promet que le canal du Nicaragualibérera son pays de la pauvreté. Pour le construire, il fait appelà des capitaux chinois. Mais toujours plus de gens se joignentaux protestations contre le «grand fossé» prévu. Cette opposi-tion s’inscrit dans un combat pour les droits fondamentaux etla démocratie. Un reportage d’Andrea Müller et Tanja Lander*.

La bruine tombe sans interruption. Une lourde bé-taillère, qui fait office de bus, grimpe péniblementsur la route glissante dépourvue de revêtement. Àbord du véhicule, Sebastián Gutiérrez est assis surun étroit banc de bois. Il tient d’une main son télé-phone portable jouant de la musique des années 80,de l’autre une liasse de papiers. Il relit avec soin cha-cune de ces feuilles, alors qu’il en connaît le conte-nu par cœur depuis longtemps. C’est la loi 840. Cetactiviste et futur juriste est en route pour La Unión,un village où il participera à une assemblée. En tantque représentant du Centre nicaraguayen des droitsde l’homme, il y rencontrera un groupe de paysansappartenant au Comité de défense de la propriétéprivée.Le trajet reliant la petite ville de Nueva Guinea – dans la Région autonome de l’Atlantique Sud –à La Unión dure deux heures. Le village se situe àenviron 330 km de Managua, la capitale. Cette ré-

Des paysans de Nueva Guinea sont venus à Managua pour protester contre la construction du canal.

gion reculée est très verte, couverte de plantes tro-picales et sillonnée de cours d’eau. Elle était peu peu-plée avant le 20e siècle, époque où l’on s’est mis àdéboiser à grande échelle. La plupart de ses habi-tants ne s’y sont installés qu’à partir des années 70:quelque 1600 familles y ont été transplantées aprèsle grave séisme de 1972 et l’éruption du volcan Cerro Negro. Cultures de maïs et de haricots fontde Nueva Guinea l’une des régions agricoles les plusproductives du Nicaragua. Les sols étant dégradés unpeu partout, toujours plus de champs cultivés sonttoutefois transformés en pâturages. Selon le recen-sement de 2011, les éleveurs sont plus nombreux icique partout ailleurs dans le pays.

Des méthodes expéditivesLa Unión est en effervescence: «Cela va mal tour-ner», s’inquiète Sebastián Gutiérrez. Il sort du buset entre dans la maison d’Amparo Jaime où doit se

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Tanja Lander (3)

19Un seul monde No 2 / Juin 2015

Nicaragua

Nicaragua

Costa Rica Canal dePanama

Panama

Honduras

Océan Pacifique

Projet de canal

Mer des Caraïbes

tenir la réunion. Les paysans affluent petit à petit – d’abord dix, puis vingt et enfin une quarantainede personnes sont rassemblées dans le garage. Leshommes portent des bottes de caoutchouc, desjeans, une chemise et un chapeau de cow-boy. Tousveulent parler en même temps. Celestino Suárez, co-ordinateur du Comité de défense de la propriété privée, est le premier à obtenir la parole : «Notre or-ganisation est née parce que les Chinois sont venus ici et ont exigé d’avoir accès à nos parcelles. Ils vou-laient mesurer nos terres, sans autorisation. Nous

avons commencé alors à nous préoccuper sérieuse-ment de ce canal. »M. Suárez fait référence à la voie navigable de 280km de longueur et pouvant atteindre 500 m de lar-geur par endroits, censée relier un jour le Pacifiqueà l’Atlantique. Si le président Daniel Ortega parvientà imposer sa volonté, les porte-conteneurs pourronttraverser également le Nicaragua dès 2020, alors quele passage obligé est aujourd’hui le canal de Pana-ma. Mais pour réaliser sa vision d’un «grand canal»,le président a besoin de l’investisseur Wang Jing, deHong Kong. Celui-ci a créé tout exprès la sociétéHKND (Hong Kong Nicaragua Canal Develop-ment), laquelle a obtenu une concession de cin-quante ans, avec l’option de doubler cette durée. Lecanal englobe des projets annexes : des complexes

Le Nicaragua en bref

Capitale Managua

Superficie130373 km²

Population6,17 millions d’habitants

Espérance de vie74,5 ans

LanguesEspagnol (langue officielle),miskito, rama, sumo

Composition ethniqueMétis (70%), Blancs (18%),Noirs (8%), Amérindiens(4%)

ReligionsCatholiques (59%), protes-tants (23%), autres (18%)

Produits d’exportationCafé, viande de bœuf, cre-vettes, cacahuètes, sucre,or, textiles, huile de palme,rhum, tabac

Branches économiquesLe pays tire 25% de sa capacité économique del’agriculture. Un autre quartrésulte de la transformationde produits agricoles, sui-vie par les mines d’or, l’in-dustrie textile et le tourisme.

PauvretéLe Nicaragua occupe le132e rang au classementmondial selon l’indice dedéveloppement humain et42,5% de la population vitdans la pauvreté (2 dollarsou moins par jour).

Celestino Suárez, Amparo Jaime et Francisca Ramírezs’opposent à l’expropriation qui les menace.

touristiques, un aéroport, deux ports en eaux pro-fondes et une zone de libre-échange. Daniel Orte-ga a créé en 2012 une loi ad hoc portant le numé-ro 840. Le Parlement, largement dominé par leFront sandiniste de libération nationale (FSLN), l’aadoptée en quelques jours. Mais depuis que WangJing et le gouvernement ont annoncé, peu avantNoël 2014, le début des travaux et leur volonté derégler les questions foncières au cours du premiertrimestre 2015, les paysans nicaraguayens descendentdans la rue. Ils réclament l’abrogation de la loi 840.

Menacés d’expropriationComme La Unión se trouve sur le tracé prévu dela voie navigable, les paysans se voient contraints devendre leurs terres, faute de quoi ils seront expro-priés. Celestino Suárez demande: «Qu’est-ce quenous ferons alors? Où irons-nous? Nous ne savonsrien faire d’autre que cultiver nos champs.» De plus,les sommes accordées à titre de dédommagement ne sont pas équitables. Selon la loi, les paysans ob-tiennent le prix de cadastre, lequel résulte d’une estimation arbitraire des autorités. Angel Urbina, qui vient du village voisin La Fonseca, s’insurge:«Qu’est-ce que le prix du cadastre va m’apporter?Rien ne remplacera ma ferme. Je voudrais vivre en-core cinquante ans et rêve de mourir sur ma terre. »Telémaco Talavera, porte-parole de la Commissionpour le projet de canal, répète aux médias que lespropriétaires fonciers seront dédommagés correcte-ment, mais les paysans de La Unión n’en croient pas

Managua

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Tanja Lander

20 Un seul monde No 2 / Juin 2015

Un grand projet controverséLe 22 décembre 2014, leprésident Daniel Ortega etl’investisseur chinois WangJing ont lancé officielle-ment la construction ducanal du Nicaragua. De-puis lors, troubles et pro-testations se multiplient.La police les réprime bru-talement. Plusieurs mani-festants ont été incarcérésjusqu’à une semaine sansinculpation. Le mouve-ment réunit des paysans,déterminés à défendreleurs terres, mais égale-ment beaucoup d’écolo-gistes qui craignent ladestruction du lac Nicara-gua, la plus grande réserved’eau douce d’Amériquecentrale. Les experts dou-tent de la rentabilité du canal, vu la proximité decelui de Panama. Selonl’ONG Centre Alexandervon Humboldt, à Managua,plus de 100000 personnesvivent dans un corridor de10 km de large le long dutracé prévu. Selon lesdonnées officielles des in-vestisseurs, ce projet né-cessitera le déplacementd’environ 5000 familles.

un mot. D’autant moins depuis que ce représentantdu gouvernement a annulé sans préavis deux ren-contres avec eux.Celestino Suárez explique qu’à 70 ans, il n’est pasquestion pour lui d’entamer une nouvelle vie. Ilévoque la guerre des années 80: après le renverse-ment du dictateur Anastasio Somoza par la révolu-tion sandiniste de 1979, les Contras ont pris les armesen 1981, avec le soutien des États-Unis. La guérillafut particulièrement violente dans la région de Nueva Guinea et dans le nord du pays. «Quand j’aidémarré, peu avant la guerre, je n’avais presque rien.J’ai planté du manioc, des pommes de terre et duchili. Après, j’ai dû tout recommencer à zéro», se souvient M. Suárez. Le temps serait venu pour luide se reposer, mais le canal du Nicaragua ne lui enlaisse pas la possibilité.

Révolte contre les dirigeantsPartout dans le pays, les paysans s’organisent. Le co-mité affirme que plus de 15000 personnes se seraientjointes aux manifestations contre le canal, rien quedans la région de Nueva Guinea. Ce chiffre n’a tou-tefois pas été confirmé. Alors que le projet pharao-nique est au centre de la résistance populaire, l’en-jeu est plus vaste : le débat porte sur la manière dontle président Ortega gouverne le pays – lui qui in-carnait autrefois l’espoir de la gauche –, sur la dé-fense des droits fondamentaux et sur la souveraine-té du peuple. «Nous vivons dans la peur ici au Ni-caragua. Mais nous préférons mourir plutôt que debrader notre pays», lance, furieuse, Francisca Ramí-rez en retenant ses larmes. Cette paysanne de La Fon-seca est une importante coordinatrice du mouve-ment de protestation. Depuis qu’elle manifeste, lapolice a voulu l’arrêter plusieurs fois. Cependant, elle

ne se laisse pas intimider : «Nos droits sont bafouésdepuis des années, mais le Nicaragua est en train dese réveiller. Nous devons nous insurger contre cegouvernement, même si cela devient dur. » La jeune avocate Grisel Martínez aide au travail demobilisation: «Si des gens pensent que le canal estune source de progrès, je leur remets le texte de laloi. Et je leur dis que nous pourrons en reparlerquand ils l’auront lu.» Mme Martínez doute que leconflit avec le gouvernement puisse trouver une so-lution pacifique. Devant l’assemblée, elle affirmed’un ton résolu: « Je vous le dis, nous pouvons conti-nuer avec nos manifestations pacifiques. Mais Da-niel [Ortega] enverra ses sbires tuer le peuple.» Il n’ya même pas de dialogue avec le gouvernement, dit-elle. Comme d’autres opposants, cette juriste penseque le canal ne se réalisera jamais. «Mais cela nechange rien. Notre président a déjà vendu la sou-veraineté du pays. Avec cette loi, le Nicaragua serabientôt gouverné par les Chinois. » Tout le mondel’applaudit.

Opposants de tous les milieuxLe canal est depuis longtemps l’exutoire des Nica-raguayens qui ont besoin d’exprimer leur colèrecontre l’autoritarisme de la famille dirigeante. Lesopposants à ce projet viennent de divers horizonspolitiques et catégories sociales : paysans désabusés,protecteurs de l’environnement, féministes... Un an avant l’élection présidentielle, ces protestations massives arrangent l’opposition conservatrice et li-bérale. D’anciens compagnons de route de DanielOrtega nourrissent aussi déception et colère. L’und’eux est le poète Ernesto Cardenal. Il s’est expri-mé très clairement à l’occasion de son 90e anniver-saire : «Nous avons maintenant une dictature de lafamille Ortega. Ce n’est pas pour cela que nous noussommes battus. »Comme la plupart des personnes rassemblées à LaUnión, l’activiste Sebastián Gutiérrez craint des af-frontements sanglants après une paix qui n’aura duréque 24 ans. Mais il espère que l’on parviendra à trou-ver une solution pacifique au conflit. Au momentoù le comité repart lentement de chez lui, AmparoJaime s’exprime enfin : «Nous n’avons peut-être pasla meilleure des formations scolaires, mais nous nesommes plus aussi stupides et crédules qu’avant. Cecanal fera de nous tous des perdants. » ■

*Andrea Müller (texte) et Tanja Lander (photos) ont tra-vaillé de novembre 2014 à février 2015 au quotidien «El Nuevo Diario», à Managua. Elles y effectuaient unstage dans le cadre de leur formation à l’école suisse de journalisme MAZ.

(De l’allemand)

Si tout se déroule selon les plans du gouvernement, ce neseront bientôt plus des vaches qui passeront par ici, maisdes porte-conteneurs.

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21Un seul monde No 2 / Juin 2015

Sur le terrain avec...Andreas Gerrits, vice-directeur régional de la DDC pour l’Amérique centrale à Managua

Nicaragua

En collaboration avec d’autres donateurs, noustravaillons actuellement à la création d’un fondscommun de soutien à la société civile. Notre but,36 ans après la révolution sandiniste, est de sensi-biliser à nouveau les jeunes aux questions poli-tiques, de les faire participer et d’éveiller leur in-térêt pour le développement du pays. Ce projet estmené avec l’UE, l’agence allemande de coopéra-tion internationale (GIZ) et l’agence de dévelop-pement luxembourgeoise (LuxDev). Nous espé-rons que ce fonds nous procure un poids politiqueaccru face à un thème sensible.

Les autres programmes dont j’ai la charge traitentégalement de participation. Grâce notamment à sastabilité politique, le Nicaragua a enregistré unecroissance économique modérée au cours de ladernière décennie. De ce fait, ses communes ontaujourd’hui les moyens d’investir dans des projetsde construction et d’infrastructure. Mais le savoir-faire et les structures nécessaires manquent la plu-part du temps. Nous agissons donc directementauprès des municipalités afin que les décisions re-latives aux projets de travaux publics se prennentd’entente avec les milieux concernés, de façontransparente et sans corruption. Souvent, la popu-lation souhaite en premier lieu la construction deroutes : le Nicaragua compte toujours un grandnombre de régions isolées qui ne sont pas acces-sibles toute l’année aux véhicules. Des progrès doi-vent être faits par ailleurs dans l’évacuation deseaux usées et l’approvisionnement en eau potable.

Malgré l’essor économique des dernières années,la pauvreté reste un problème omniprésent. La dis-parité entre la situation vécue par la majorité dela population et ma position d’expatrié privilégiéme pèse parfois. Je visite le plus souvent possiblenos projets réalisés à la campagne, où les condi-tions de vie sont particulièrement difficiles. L’andernier, par exemple, la sécheresse a fait perdre unerécolte, de sorte que beaucoup de gens sont re-tombés dans un dénuement extrême. ■

(Propos recueillis par Gabriela Neuhaus ; de l’allemand)

«Souvent, la populationsouhaite en premier lieu la construction

de routes. »

Mon partenaire et moi vivons depuis deux ans auNicaragua. Notre relation a été accueillie d’em-blée dans un esprit de bienveillante tolérance. Celane va pas de soi dans une société conservatrice, catholique et empreinte de machisme. Notre sta-tut d’étrangers nous place naturellement dans unesituation privilégiée. Beaucoup de jeunes homo-sexuels locaux n’osent toujours pas faire leur coming out. La situation est particulièrement diffi-cile en zone rurale. C’est pourquoi nous espéronscontribuer quelque peu au renforcement desmouvements de gays, de lesbiennes et de trans-sexuels, en vivant ouvertement notre partenariatenregistré et en l’évoquant régulièrement avecnotre entourage.

Managua m’a surpris par la richesse de sa scèneculturelle. La capitale propose une riche paletted’activités, qui va de la culture grand public à ladanse moderne, en passant par des films holly-woodiens et indépendants, du folklore, du théâtre,etc. L’offre est de bonne qualité, parfois même ex-cellente. La DDC soutient largement le secteurculturel. Elle lui consacre un budget assez impor-tant, qui revêt aussi une dimension régionale. Ain-si, nous avons invité plusieurs fois le Teatro Me-morias du Honduras au Festival de théâtre fran-cophone de Managua. Ce petit théâtre estspécialisé sur des œuvres de la littérature mon-diale qui critiquent la société. Basé dans la vieilleville de Tegucigalpa, il a été rénové grâce à desfonds octroyés par la DDC.

Trois piliersLa Suisse est active de-puis trente ans en Amé-rique centrale. Elle a établile siège de sa coopérationrégionale à Managua en1993. Au Nicaragua, laDDC concentre ses effortssur trois domaines. Lepremier est le renforce-ment des petites entre-prises, notamment dans le secteur du cacao, quidoit contribuer à relancerl’économie. Deuxième-ment, la DDC travaille directement avec les communes pour ses pro-grammes de décentralisa-tion et de gouvernance locale. Elle soutient dansce cadre des projets d’in-frastructures. Le troisièmepilier concerne la gestiondes ressources en eau etles méthodes agricoles in-novantes. Il vise à atténuerl’impact du changementclimatique. Par ailleurs,une équipe de l’Aide hu-manitaire se trouve surplace. Elle assure une pré-sence immédiate en casde besoin et prépare desprogrammes concernantla réduction des risquesde catastrophes.www.dfae.admin.ch/ddc,« Pays »www.cooperacion-suiza.admin.ch/nicaragua

DDC

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Tanja Lander

Un seul monde No 2 / Juin 2015

Nicaragua

Le Nicaragua, petit pays d’Amérique centrale, ne serepère pas facilement sur une carte. Comme tousles peuples du monde, il a toutefois sa propre voixà faire entendre. Ce fragile morceau de terre est par-semé de volcans. Le vent soulève des centaines devagues, grandes et petites, sur ses lacs, ses mers et seslagunes. L’air transporte le son des marimbas, lechant du guardabarranco (ndlr. oiseau national du Ni-caragua) et le rythme des tambours.

À l’époque précolombienne, le Nicara-gua fut une terre de commerçants. Lesgens étaient assoiffés de connaissances.Ils avaient envie de donner et de rece-voir, de partir et de revenir. Cultures etraces s’entremêlent ici depuis des tempsimmémoriaux. Le Nicaragua constituele centre du continent américain. C’estune passerelle, mais aussi un abri pournombre de poètes, musiciens, peintres,danseurs, écrivains et chanteurs. Ce paysest connu pour ses théâtres populaireset ses danses multicolores.

La culture du Nicaragua est synonymede fusion. La mémoire ancestrale de cequ’elle fut à l’époque préhispanique semêle aux influences de la colonisationet de la mondialisation. Le va-et-vientdes gens, tout au long du siècle dernier,a fait de notre expression culturelle uncreuset exquis, une sorte de plat com-prenant un riche mélange de substanceset de saveurs qui ont mijoté à feu lent.

Le Nicaragua a connu le même déve-loppement que n’importe quel autrepays colonisé. Il a progressé lentement,en suivant les aléas de la politique et lerythme de la planète. Grâce à son his-toire particulière, nous avons pu profiter d’une pé-riode faste qui a stimulé toutes les formes d’ex-pression artistique. C’étaient les années 80, celles dela révolution sandiniste.

Un exquis creuset culturelMalgré toutes les vicissitudes liées à cette période,la créativité se réveille alors. Le théâtre, la danse, lapeinture et la sculpture s’épanouissent. De nouvellescéramiques apparaissent. On chante, on danse, onparcourt les villages du nord au sud. On déclame eton peint des fresques murales dans tout le pays. Toutcela est possible grâce à une politique culturelleunique dans cette réalité sociopolitique. Le mo-dèle socialiste de gauche devient une plateforme,

une catapulte. Il nous ouvre les yeux,nous montre que chacun de nous estun artiste en puissance.

Le Nicaragua est le fer de lance cultu-rel de l’Amérique centrale. Si les mé-dias du monde entier parlent surtoutde ses conflits politiques et de ses ca-tastrophes naturelles récurrentes, c’estpar sa musique et sa poésie qu’il en-voûte ceux qui le découvrent. C’estune terre de penseurs, de combattantset de rêveurs.

Même s’il n’y a pas une politique culturelle et éducative qui réponde auxbesoins de la population, on continueà faire de la musique, à danser, à peindreet à écrire. En tant que Nicaraguayens,nous pouvons être fiers que notre paysabrite l’un des plus grands festivals depoésie d’Amérique latine, le FestivalInternacional de Poesía de Granada.Ici, la culture est spontanée et natu-relle. Elle surgit dans toutes les classessociales et tous les groupes ethniques.

Auteure, compositrice et interprète, jeme suis entièrement consacrée à ma vied’artiste. En 37 ans de carrière, j’ai pro-duit mes propres disques, créé mon

propre label, organisé des tournées dans le pays età l’étranger. J’ai créé le premier festival d’auteures-compositrices-interprètes d’Amérique latine, ainsique des festivals annuels de chant écologique. J’aimême constitué ma propre fondation pour canali-ser cette envie de faire et de créer, de transmettreet d’apprendre. Mais je ne suis qu’une artiste de plus,animée par l’envie obstinée de contribuer à la vie culturelle. Dans notre pays, des centaines de collègues font la même chose. ■

(De l’espagnol)

Katia Cardenal a

commencé à donner des

concerts à l’âge de 16 ans

avec son frère Salvador.

Ils formaient le duo

Guardabarranco. Dans les

années 80, leurs chansons

faisaient partie du réper-

toire de la révolution san-

diniste. Aujourd’hui, Katia

Cardenal est souvent ac-

compagnée à la guitare

par sa fille Nina. Connue

internationalement, elle a

créé le label musical Moka

Discos et le festival

Encuentro Internacional

de Cantautoras, organisé

chaque année depuis

2007.

www.katiacardenal.com

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Olivier Normand (2)

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DDC

Un seul monde No 2 / Juin 2015

Une vallée très peupléePartagée entre trois pays – Ouzbékistan, Kirghizstanet Tadjikistan –, la très fer-tile vallée de Ferghana estle grenier de l’Asie cen-trale. Plus de 10 millionsde personnes vivent sur ceterritoire qui équivaut à lamoitié de la Suisse. Et leurnombre ne cesse d’aug-menter. Après l’effondre-ment de l’Union soviétique,les nouvelles frontières ontfait l’objet de conflits récur-rents : le Kirghizstan et leTadjikistan retenant l’eaudans leurs barrages afin deproduire de l’électricité, lespaysans en aval ne pou-vaient pas irriguer leurschamps. Depuis 2001, laDDC intervient à différentsniveaux pour désamorcerce conflit : avec la partici-pation de la population,elle élabore des solutionssusceptibles d’assurer unerépartition équitable del’eau.

(mw) Dans les zones rurales d’Ouzbékistan et duTadjikistan, environ 40% des habitants n’ont pas ac-cès à de l’eau potable. C’est pourquoi la DDC ap-puie l’aménagement de réseaux d’eau locaux dansla vallée de Ferghana qui s’étend sur ces deux pays.Depuis 2004, de nouvelles installations ont étéconstruites dans 32 villages. La population paie destaxes qui couvrent les frais d’exploitation et les coûts d’investissement. Dans vingt ans, les sociétésqui gèrent ces réseaux disposeront ainsi des moyensnécessaires pour les rénover.Olivier Normand, du Secrétariat international del’eau, veille à la réalisation du projet sur place. À l’en-tendre, les gens acceptent volontiers de payer lestaxes. « Jusqu’ici, ils avaient le choix entre aller pui-ser de l’eau dans les canaux d’irrigation ou se la faire livrer par camion-citerne», explique-t-il. L’eausouterraine qui jaillit des nouvelles bornes-fontainesest de meilleure qualité et ne coûte que 0,4 dollarpar mètre cube, alors que le prix de celle achemi-née par camion se situe entre 11 et 15 dollars. Enoutre, les femmes et les enfants consacrent moins detemps à aller la chercher.«De plus en plus de villages s’intéressent à notre sys-tème», raconte Olivier Normand. Les banques dedéveloppement, dont la Banque mondiale, ont éga-

lement mesuré son potentiel. «Les banques privéesne devraient pas tarder à se manifester, car les prêtsdestinés à ce genre d’installations peuvent représen-ter des affaires très rentables», explique-t-il.

Moins de maladiesOutre les réseaux d’eau, le projet de la DDC pour-suit d’autres objectifs. L’amélioration générale del’hygiène en est un: 4000 enseignants ont suivi uneformation continue en la matière et 24 écoles ontété équipées de toilettes «ecosan» (contraction del’anglais ecological sanitation, ou assainissement écolo-gique). Contrairement aux toilettes ordinaires, celles-ci n’ont pas besoin d’égouts et utilisent peu d’eau.Urine et matières fécales sont séparées et les nutri-ments qu’elles contiennent servent d’engrais. «Lestoilettes publiques sont souvent très sales et inutilisables, surtout pour les filles », déclare OlivierNormand. C’est pourquoi on installe des toilettes«ecosan» dans les bâtiments publics. «Dans les mai-sons, de simples latrines suffisent largement pour le moment.» À son avis, les bornes-fontaines et lesinstallations sanitaires ont prouvé leur utilité : «Lescas de grippe et de diarrhée diminuent. » ■

(De l’allemand)

Des villages raccordés à l’eau potable

La Suisse intervient dans la vallée de Ferghana, en Asie cen-trale, pour améliorer la gestion de l’eau. Avec le soutien de laDDC, 32 villages ont pu réorganiser et assurer durablement leurapprovisionnement en eau potable.

Une eau potable jaillit des nouvelles bornes-fontaines, tandis que celle des canaux d’irrigation est insalubre.

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Peter Essick/Aurora/laif

24 Un seul monde No 2 / Juin 2015

(mw) Les chars se forment dans les fleuves très ra-mifiés du Bangladesh, sous l’effet de l’érosion et descrues. Quelques-uns sont reliés au rivage durant lasaison sèche. Pour se rendre sur d’autres, il fautcompter deux heures de bateau. Durant la mous-son, certains chars sont submergés, voire emportés,alors que les plus stables sont habités toute l’annéedepuis des décennies.«Dans l’idéal, il faudrait déplacer les habitants deschars sur la terre ferme, mais c’est une utopie», in-dique Fouzia Nasreen. Collaboratrice de Swiss-contact dans le nord du Bangladesh, elle dirige leprojet Making Markets Work for the Jamuna, Pad-ma and Teesta Chars (M4C). «Où pourrait-on re-loger plus d’un million de personnes dans la zonecouverte par le projet ? », s’interroge-t-elle. «Danscette région, on compte près de 1100 habitants parkm2. C’est l’une des densités de population les plusélevées du monde. » Avec un revenu mensuel demoins de 100 dollars par ménage, les habitants deschars ne peuvent pas se permettre d’acheter du

terrain ailleurs. La seule solution consiste donc à tirer parti de la situation actuelle.

Des progrès grâce aux regroupementsJusqu’à présent, les habitants des îles ne parvenaientguère à vendre leurs produits sur la terre ferme età engranger ainsi un revenu. C’est pourquoi le pro-jet M4C, lancé en 2012 et soutenu par la DDC, en-tend améliorer la production agricole et les moyensde transport. Il souhaite en outre inciter des banqueset des compagnies d’assurance à ouvrir des filialessur les chars.«L’un de nos principaux succès est d’avoir amenéde bons fournisseurs à livrer des semences et de l’en-grais sur les îles», se réjouit Fouzia Nasreen. Ces der-niers ont surtout été attirés par le fait que les pay-sans se sont regroupés, ce qui a accru le volume destransactions. Jusqu’ici, 11500 agriculteurs ont for-mé 419 groupes. La motivation des fournisseurs re-pose aussi sur l’engagement du M4C, qui couvreune partie des frais d’investissement initiaux.

Accès au marché pour les insulaires

La pauvreté contraint quelque dix millions de Bangladais à vivresur des îles fluviales éphémères. Nombre de ces terres, appe-lées chars, sont très éloignées de la terre ferme et régulièrementinondées. Le projet de développement M4C vise à améliorer lesconditions de vie de leurs habitants.

Au Bangladesh, les chars sont constamment exposés à l’érosion et aux inondations. La distance à parcourir en bateaupour rejoindre la terre ferme constitue un autre problème pour leurs habitants.

Des îles éphémèresCe sont les fleuves quidessinent la géographie du Bangladesh. Les principaux sont le Gange(Padma), le Meghna et leBrahmapoutre (Jamuna).Chaque année, la mous-son et la fonte des neigesdans l’Himalaya provoquentde fortes inondations quimodifient constammentleur cours. L’érosion et lesdépôts d’alluvions remo-dèlent sans cesse le pay-sage, faisant apparaître,puis disparaître des îles fluviales. Ce phénomèneconstitue une menacecroissante pour la popula-tion, toujours plus nom-breuse, qui vit sur leschars. Le changement cli-matique risque de l’aggra-ver encore. Des imagesprises par satellite entre1973 et 2000 montrentque seuls 10% des charsobservés dans le Jamunaont subsisté plus de 18ans et que 75% tiennentpendant un à six ans.

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Jana Asenbrennerova/Redux/laif (2)

25Un seul monde No 2 / Juin 2015

Grâce aux semences provenant de la terre ferme,les agriculteurs peuvent à présent cultiver une va-riété de maïs qui leur assure une récolte deux foisplus abondante que les variétés traditionnelles. «Cesplants ont des tiges plus courtes, de sorte qu’ils ré-sistent mieux à la pluie et au vent », explique la res-ponsable du projet. Les conditions climatiques n’endemeurent pas moins difficiles. Lorsque les semis sefont trop tard, la mousson peut détruire des récoltes

entières. C’est pourquoi l’on ne peut pas miser uni-quement sur le maïs, même en choisissant la varié-té appropriée. Les paysans doivent aussi diversifierles cultures, afin d’avoir de quoi se nourrir pendanttoute l’année. «En ce moment, nous nous concen-trons sur des plantes qui sont des denrées faciles àcommercialiser : maïs, oignons, piments, arachides,moutarde et un peu de riz. » Vient s’y ajouter le jute,une fibre naturelle qui pousse particulièrement biensur les terres alluviales. Les fournisseurs ont aménagé des champs expéri-mentaux et mis sur pied des cours de formationcontinue. Ces mesures devraient améliorer les mé-thodes de culture. Par ailleurs, la transformation desdenrées agricoles et le développement d’entreprisesproches de l’agriculture sont essentiels pour aug-menter les revenus des habitants des chars. À titred’exemple, le projet a aidé ces derniers à tester denouveaux procédés de séchage du maïs et des pi-ments, afin d’améliorer la qualité des produits et d’enobtenir un meilleur prix.

La mise en réseau est en bonne voieLe M4C s’attache spécialement à promouvoir lesfemmes. «Dans l’agriculture, ce sont souvent leshommes qui décident, alors que les femmes parti-cipent largement aux travaux des champs. C’estpourquoi nous tenons à ce qu’elles suivent égale-ment les cours de formation», souligne Mme Nasreen.Elle relève d’ailleurs avec fierté qu’environ 12% des3000 nouveaux producteurs sous contrat sont des

femmes. Dans l’agriculture contractuelle, les paysansne se contentent pas d’acheter des semences aux en-treprises agricoles. Ils négocient aussi avec elles unegarantie d’achat de leur récolte, ce qui accroît la sé-curité des revenus. «Enfin, et c’est là un grand suc-cès, nous sommes parvenus à motiver trois fabricantsde jouets à engager 1200 femmes et à les former»,se félicite Fouzia Nasreen.Sans moyens de transport efficaces, les habitants deschars ne pourront toutefois pas concurrencer lespaysans et les commerçants basés sur la terre ferme.Selon Fouzia Nasreen, des progrès ont aussi été réa-lisés dans ce domaine : les habitants de diverses îlesse sont regroupés afin d’inciter les exploitants desembarcadères à mieux équiper ces installations. Parailleurs, les traditionnels tricycles, indispensables autransport sur les chars, ont été renforcés mécani-quement, de manière à ce qu’ils s’enfoncent moinsdans le sable. En outre, le gouvernement a prévu deconsacrer l’équivalent de 1,1 million de francs àl’amélioration des infrastructures de transport.Fouzia Nasreen est persuadée que le projet par-viendra bientôt à attirer des banques et des assu-rances sur les îles. « Il est difficile de faire des affairessans compte bancaire. Les négociations avec quel-ques prestataires sont heureusement sur la bonnevoie. » Derek George, responsable du programmeau sein de la DDC, renchérit en guise de conclu-sion : «Tout compte fait, le projet M4C a très biendémarré. Si bien même que la DDC pense déjà àétendre ces activités vers le sud du pays.» ■

(De l’allemand)

Les paysans cultivent des plantes faciles à commercialiseret adaptées aux terres alluviales.

Une fibre de grande valeurAprès le coton, le jute estla fibre naturelle la plus im-portante du monde. Onl’utilise principalement pour la confection de sacsd’emballage et de trans-port. Sa production, assu-rée surtout par l’Inde et leBangladesh, avoisine 2,5millions de tonnes par an.Originaire du bassin médi-terranéen, cette plante abesoin d’un climat chaudet humide. Elle pousse trèsbien sur les terres allu-viales, où les inondationsdéposent du sel. Les fibressont obtenues par rouis-sage : les tiges, attachéesen fagots, trempent dansde l’eau jusqu’à trentejours. C’est seulementquand l’écorce se détacheque l’on extrait les fibres.Sur les chars, 85% despaysans produisent dujute. Leurs méthodes deculture étant obsolètes, ilsn’en tirent toutefois que demaigres revenus. En modi-fiant le procédé de rouis-sage, il serait en outre pos-sible d’améliorer la qualitédes fibres.

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Casares/NYT/Redux/laif

DDC interne

Un seul monde No 2 / Juin 2015

Enfants migrants en Serbie(byl) Suite au renforcementdes contrôles aux frontières de la Hongrie, la Serbie faitface à un nombre grandissantde demandeurs d’asile. Cesderniers viennent surtout de Syrie, d’Érythrée, du Soudan,d’Afghanistan et de Somalie.L’an dernier, 324 des 541 mi-neurs qui ont demandé l’asilen’étaient pas accompagnés.En vue de prévenir la migra-tion irrégulière, souventcontrôlée par le crime orga-nisé, la DDC, en partenariatavec le secrétariat d’État auxmigrations, soutient les profes-sionnels de l’assistance so-ciale ainsi que différents parte-naires engagés dans la gestionde la migration en Serbie. Leprojet a pour objectif de proté-ger les mineurs non accompa-gnés, en accordant une atten-tion particulière aux filles. Ildoit également sensibiliserl’opinion publique à cette problématique. Durée du projet : 2014-2016Volume: 880000 CHF

Des écoles pour les réfugiéssyriens(ung) Depuis 2012, la DDC ré-habilite des écoles dans lenord du Liban, en collaborationavec les autorités libanaises.L’objectif est de permettre auxétablissements scolaires d’ac-cueillir des écoliers syriens quifuient leur pays avec leurs pa-rents, en raison du conflit. Lestravaux sont déjà terminésdans treize écoles. La réhabili-tation a permis de rénover lessystèmes d’alimentation eneau et d’assainissement. Elleinclut aussi l’étanchéisation etla peinture des bâtiments, laréfection des portes et des fe-nêtres, ainsi que la réparationdes équipements électriqueset sanitaires. En raison de l’afflux continu de réfugiés

Thomas Greminger, nouveau directeur suppléant de la DDC(gn) L’ambassadeur ThomasGreminger, actuellement en posteà Vienne, revient à Berne. Dès le1er août, il sera directeur suppléantde la DDC et chef du domaine

Coopération régionale. Cet historien de 54 ans succédera à MayaTissafi, nommée ambassadrice aux Émirats Arabes Unis. Aprèsses études à Zurich et à Paris, Thomas Greminger a accompli unstage de diplomate à la section Politique et recherche de la DDC.Entre 1992 et 1998, il a été successivement collaborateur diploma-tique, chef suppléant et chef de cette section. De 1999 à 2001, il a représenté la Suisse au Mozambique, assumant la responsabi-lité de coordinateur de la coopération et de chargé d’affaires parintérim. De retour à Berne en 2002, il a été chef suppléant, puischef, de la division Sécurité humaine du DFAE. En 2010, ThomasGreminger a été nommé ambassadeur de Suisse auprès del’OSCE à Vienne. À ce poste, il a largement contribué à définir laprésidence suisse de l’organisation durant l’année mouvementéequ’a été 2014.

syriens, la DDC a décidéd’étendre les travaux à quinzeautres établissements scolairesdans la même région.Durée du projet : 15.07.2014 – 15.10.2015Volume: 1,35 million CHF

Améliorer le système desanté en Albanie(byl) Le secteur de la santé en Albanie souffre de lacunesdans le domaine des infra-structures et de la main-d’œuvre, spécialement au niveau des soins de santé pri-maires. C’est pourquoi la DDC,en partenariat avec l’Instituttropical et de santé publiquesuisse, s’engage pour amélio-rer la qualité des infrastruc-tures, pour promouvoir l’accèsaux soins, le financement de la santé, la gouvernance et lagestion du secteur, et pour assurer la formation ainsi quele suivi des professionnels de la santé. Ce projet accordeune attention particulière auxcouches défavorisées et mar-ginalisées de la population,pour qu’elles aient accès à desservices sanitaires de qualité.Durée du projet : 2014-2018Volume: 20 millions CHF

Soutien aux petits paysanshaïtiens(bm) En Haïti, les exploitationsfamiliales assurent 80% de laproduction agricole du pays.Elles représentent une impor-tante source de revenus pourles populations rurales. Lespetites exploitations manquentnéanmoins de moyens de financement et subissent fré-quemment de fortes pertesdues aux aléas climatiques.Pour dynamiser ce secteuréconomique au fort potentielde développement, un projetde la DDC vise à développer

DFAE

les services financiers et lesystème d’assurances agri-coles. Il entend également ren-forcer les filières du cacao etde l’igname (légume à haute valeur nutritive), et inclure lesfemmes rurales les plus vulné-rables dans des activités pro-ductives agricoles génératricesde revenus.Durée du projet : 2014-2018Volume: 9,7 millions CHF

La Chine face au change-ment climatique(hsf ) Un énorme défi attend laChine: réduire la pauvreté etpréserver la croissance écono-mique tout en suivant un déve-loppement durable. En outre,le pays doit faire face aux ef-fets du réchauffement plané-taire, qui menacent sa sécuritéalimentaire et son approvision-nement en eau. La DDC aide la Chine à mettre en œuvre sa stratégie d’adaptation auchangement climatique et àl’appliquer au niveau des pro-vinces. La collaboration entreles milieux politiques et diversinstituts de recherche, tant na-tionaux qu’internationaux, doitpermettre d’élaborer des solu-tions et d’établir une planifica-tion intersectorielle. Le projetfavorise par ailleurs l’échanged’expériences entre la Chine etd’autres pays. Durée du projet : 2014-2017Volume: 6,75 millions CHF

DDC

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Sven Torfinn/laif

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L’eau, un bien rare dans les camps de réfugiés

Des millions de personnes, chassées par la guerre, la faim ouune catastrophe naturelle, trouvent un abri dans les camps deréfugiés. Pour qu’une région soit à même d’accueillir 10000 ha-bitants supplémentaires, il faut une planification efficace et unegestion scrupuleuse des ressources existantes. De Mirella Wepf.

Lorsqu’Andrea Cippà est appelé à construire uncamp de réfugiés, tout doit aller vite. Très vitemême. «Lors de ma dernière mission en Éthiopie,les autorités nous ont donné le feu vert vendredisoir pour établir un camp qui devait accueillir15 000 réfugiés sud-soudanais », se souvient ce Tessinois, membre du Corps suisse d’aide humani-taire (CSA). À ce stade, il savait déjà que les 500premières personnes arriveraient le lundi. «Le mar-di, 500 autres ont suivi et mercredi encore 500…»,raconte-t-il. «Avec l’aide du personnel local, nousavons dû déblayer le terrain, monter des tentes, ins-taller des latrines d’urgence et construire un réseaud’eau provisoire. »Sur mandat du Haut Commissariat des NationsUnies pour les réfugiés (HCR), Andrea Cippà a or-ganisé ces deux dernières années quatre campsdestinés à abriter quelque 40000 personnes cha-cun. «Même lorsque le temps presse, j’imagine tou-jours que le provisoire sera appelé à durer », ex-

plique cet ingénieur en génie rural. Et il a bien rai-son : aujourd’hui, il est courant qu’un camp de ré-fugiés reste en place cinq à dix ans. Le plus granddu monde, installé à Dadaab au Kenya, existe mêmedepuis 1991. À certaines périodes, il a accueilli plusde 450000 personnes.

Des ressources limitéesLes habitants des camps disposent d’un espace restreint. Ils sont souvent logés dans des tentes quioffrent peu d’intimité et une maigre protectioncontre le froid ou la chaleur. Beaucoup ont vécudes événements traumatisants, perdu des membresde leur famille ou été blessés. Savoir qu’ils passe-ront peut-être des années dans un abri provisoireest un stress supplémentaire. Des camps regroupantplusieurs dizaines de milliers de réfugiés portentaussi atteinte à l’environnement. Dans une telle si-tuation, il est indispensable d’assurer une gestiondurable des ressources en eau et de la végétation.

Camp de réfugiés au Tchad : l’approvisionnement en eau de milliers de réfugiés est un immense défi.

FORUM

Des normes pour l’aidehumanitaireLe Projet Sphère, qui ras-semble plusieurs agenceshumanitaires, a défini desstandards minimums pourl’intervention en cas de ca-tastrophe. Dans un manuelde 450 pages, il fournitdes directives concrètes,notamment concernantl’installation d’un camp de réfugiés. On y lit, parexemple, que le tempsd’attente à un point d’eaune doit pas dépasser 30minutes, que chaque indi-vidu a besoin d’au moins15 litres d’eau par jour etque les victimes d’une ca-tastrophe doivent disposerd’une superficie couverted’au moins 3,5 m2. «Cesnormes sont très utiles lorsde la planification, nous lesconsultons souvent », re-connaît Marc-André Bünzli,du CSA. On ne peut toute-fois pas toujours les res-pecter au pied de la lettre.«Une fois que le minimumest en place, il est souventdifficile d’obtenir desmoyens supplémentairesauprès des donateurs. »www.sphereproject.org

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Sven Torfinn/laif

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On dispose aujourd’hui d’une multitude d’outilstechniques pour y parvenir : au moyen de cartes,d’images satellites et de données GPS, des spécia-listes comme Andrea Cippà peuvent estimer àl’avance si un terrain est sujet aux inondations ouaux glissements de terrain, quelle quantité de boisse trouve sur place et s’il existe une nappe d’eausouterraine. Seule l’évaluation sur place permettracependant de se faire une idée définitive. «Hélas,on ne choisit pas toujours l’emplacement idéal. Cesont les autorités locales qui désignent, en fin decompte, l’endroit où les tentes seront installées »,note l’expert. Lui-même peut tout au plus tenterd’infléchir les décisions dans la bonne direction. Eneffet, plus le choix du site est optimal, plus il serapossible d’approvisionner le camp de manière du-rable et de réduire son impact sur l’environnement.«Disposer d’eau est essentiel », souligne M. Cippà.En outre, le camp doit être aisément accessible etla qualité du sol adéquate : «Les latrines ne fonc-tionnent pas bien sur un terrain trop dur. Or, unebonne hygiène est essentielle pour la santé. » Unsol de qualité permet également aux réfugiés decultiver quelque chose et de faire paître leur bé-tail.

Un défi dans la durée«Chaque camp est un cas particulier », affirmeMarc-André Bünzli, chef du groupe spécialisé Eaupotable et hygiène du CSA. Les camps sont très

souvent établis dans des régions aux systèmes hy-drographiques fragiles, où l’approvisionnement eneau potable constitue un défi encore des annéesplus tard.L’hydrogéologue Ellen Milnes, de l’Université deNeuchâtel, évalue la situation dans des camps deréfugiés : elle vérifie la qualité de l’eau potable, s’assure que celle-ci ne risque pas d’être contami-née par les eaux usées et analyse la réalimentationdes nappes souterraines durant la saison des pluies.Cela lui permet de prévoir la disponibilité de l’eauà long terme. Une étude financée par la DDC apar exemple démontré que les réserves d’eau sou-terraine du camp de Dadaab, au Kenya, ne sont pasmenacées à long terme si leur exploitation se pour-suit comme jusqu’ici. « Il existe quelques problèmeslocaux, mais la situation n’est pas dramatique glo-balement », résume Ellen Milnes.Les analyses des chercheurs permettent parfois decapter de nouvelles sources. Grâce aux donnéesscientifiques, on réussit même à réunir tous les ac-teurs autour d’une même table, relève l’hydrogéo-logue. «Mieux on connaît un système hydrogra-phique, plus il est facile d’éviter des conflits entrela population locale et les réfugiés, et d’assurer unegestion durable de l’eau. » Le plus difficile est d’ob-tenir des séries de données sur une longue durée :«Dans les camps, on travaille généralement à trèscourt terme. Constituer des archives est la der-nière des priorités dans un tel contexte.»

Là où le bois est rare, des conflits éclatent fréquemment entre les réfugiés et la population locale.

Le Liban croule sous les réfugiésL’afflux de réfugiés en pro-venance de Syrie donnefort à faire aux États voi-sins. L’ingénieur ThierryBroglie, envoyé par le HCRà Beyrouth l’an dernier, raconte : « Le Liban abriteaujourd’hui plus d’un mil-lion de réfugiés syriens, cequi représente un quart dela population libanaise. Ilslogent dans d’anciens bâti-ments industriels, dansdes villages de vacancesabandonnés, dans des ap-partements loués ou chezdes familles d’accueil. » Enraison de cet énorme ac-croissement démogra-phique, les réseaux d’eaupotable et d’assainisse-ment atteignent les limitesde leurs capacités. L’élimi-nation des déchets consti-tue un autre problème detaille. De plus, des tensionssurgissent régulièrementavec la population locale.

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Tim Dirven/Panos

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Déboisement et érosionComme l’eau, l’énergie est une ressource vitale.Elle est souvent fournie par le bois, utilisé pourchauffer l’eau et cuire les aliments. Arnold Egli, quia travaillé pendant plus de douze ans pour le HCRen Afrique, évoque son expérience : «Si 20000 ré-fugiés viennent subitement s’installer à côté d’unvillage de 700 habitants et se mettent à collecterdu bois de feu, cela a un impact énorme.» Dans l’estdu Tchad par exemple, où 350000 réfugiés souda-nais vivent dans des camps, l’équilibre de l’éco-système est menacé. Le climat est parfois si sec quela végétation ne parvient pas à se régénérer en casde déboisement important, ce qui provoque uneérosion du sol. Faire venir du combustible de l’ex-térieur coûte cher et constitue un véritable défi lo-gistique. Dans plusieurs camps tchadiens, ArnoldEgli a suggéré qu’on analyse la consommation debois sur place et qu’on la mette en rapport avec lerenouvellement de cette matière première si pri-sée.Une première étude, cofinancée par la DDC, estdéjà terminée. Elle a révélé que les réfugiés sonttrès économes : avec une consommation moyennede 690 grammes de bois par personne et par jour,ils en utilisent quatre fois moins que les villageoisde la région. Ils pourraient cependant faire mieuxencore : comme le montre l’étude, les fours à effi-cacité accrue et les cuiseurs solaires qui ont été dis-tribués dans le camp économisent moins d’éner-

Faire cuire de l’eau grâce aux rayons du soleil est une bonne idée pour les camps de réfugiés. On n’a pas encore exploité tout le potentiel de cette technologie.

gie que prévu. Beaucoup de résidents les utilisentde manière inappropriée, voire pas du tout. M. Eglireste pourtant un partisan convaincu de ces tech-nologies : «Les cuiseurs solaires en particulier re-cèlent un potentiel énorme. »Urs Bloesch, chef du groupe spécialisé Environ-nement et prévention des catastrophes du CSA, saitce que l’on peut faire pour mieux exploiter ce po-tentiel. Selon lui, les techniques de cuisson écolo-giques ne donnent des résultats que lorsqu’elles ré-pondent aux besoins des utilisateurs. «Pour com-mencer, on doit bien expliquer leur fonctionne-ment. Ensuite, il importe d’accompagner les fem-mes, chargées de préparer les repas, pendant unepériode assez longue. » Dans les camps, on manquesouvent de casseroles adéquates qui permettraientde faire fonctionner efficacement ces systèmes. En outre, il faut remplacer périodiquement les cui-seurs solaires bon marché en carton. Bien des ONGn’ont pas le personnel et les ressources financièresnécessaires, constate Urs Bloesch : « Il est essentielque le HCR assure un appui compétent aux ONGet qu’un suivi professionnel soit effectué en com-mun. » ■

(De l’allemand)

Un nouveau record d’exilésSelon les statistiques duHCR, on comptait 51,2millions de réfugiés et per-sonnes déplacées dans lemonde à fin 2013. LesSyriens constituent pour lapremière fois le plus grandgroupe d’exilés (plus de 3millions). Ils ont détrôné lesAfghans (2,7 millions), res-tés en tête du classementpendant trente ans et quioccupent désormais ledeuxième rang. Viennentensuite les Somaliens (1,1 million) et les Souda-nais (670000). C’est lePakistan qui accueille leplus grand nombre de ré-fugiés en chiffres absolus(1,6 million). Si l’on calculele nombre de réfugiés pourmille habitants, le Liban arrive en tête (257). Il estsuivi par la Jordanie (114)et le Tchad (39). La Suède(12) est la seule nation industrialisée parmi lesquinze pays qui affichent laplus forte densité de réfu-giés. Les chiffres de 2014seront connus en juin2015. www.unhcr.org, « mid-yeartrends »

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Christian Beutler/Keystone

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Quand je suis parti du centre-ville de Zurich pour le cimetièrede Sihlfeld, il me restait deuxheures jusqu’au départ du train.Et je connaissais le numéro de latombe – 83115. J’ai montré cechiffre au jardinier, lequel a sim-plement haussé les épaules enme renvoyant au bureau du ci-metière. Manquant de temps, j’aidécidé d’élucider par moi-mêmela logique confuse de cette nu-mérotation.

C’est au cours de mon enfance – à l’époque soviétique de sinis-tre mémoire – que j’avais enten-du parler de l’homme qui reposedans cette tombe: AndrzejTowianski, propriétaire terrien. Il est né et a vécu longtempsnon loin de ma ville natale enLituanie. Il y aurait peut-êtrepassé toute sa vie si une visionne lui avait pas apporté la révéla-tion qu’il était le Christ. Il serendit alors à Paris durant l’hiver1840 pour y fonder le Cercle del’Œuvre de Dieu, une sectechrétienne radicale. Son brasdroit, une sorte d’apôtre Pierre,était Adam Mickiewicz, le pluscélèbre poète de Pologne et de

Cimetière de Sihlfeld, tombe 83115

Marius Ivaskevicius, 42 ans,fait partie de la nouvelle généra-tion d’écrivains lituaniens. C’estl’un des auteurs contemporainsles plus importants de sonpays. Il a déjà publié huit ou-vrages, dont certains ont ététraduits dans d’autres langues.Pour l’instant, seule la pièce LeVoisin existe en français. Elle aété publiée en 2003 par lesPresses universitaires de Caendans un ouvrage intitulé Deuxdramaturges lituaniens. Trèséclectique, Marius Ivaskeviciusest également journaliste, scé-nariste de courts-métrages,dramaturge, réalisateur de documentaires et metteur enscène. Il a écrit le scénario etmis en scène lui-même sondernier film, Santa, distribuédans les cinémas l’an dernier. Il vit et travaille à Vilnius.

Lituanie, le Byron de notre ré-gion. La secte fit des milliersd’adeptes parmi les émigrantspolonais, lituaniens et ukrainiensqui fuyaient la répression tsariste.Andrzej Towianski leur promet-tait non seulement le Royaumede Dieu parmi les hommes, maisaussi la libération de leur patrie.Il ressemblait à Napoléon Bonaparte et se comportaitd’ailleurs comme l’empereur. Il a fini par attirer l’attention desautorités françaises qui l’ont ex-pulsé du pays. C’est ainsi qu’il estvenu s’établir en Suisse.

Il y a quelque temps, alors quej’étais déjà écrivain, j’ai repensé àTowianski et j’ai décidé d’écrireune pièce de théâtre. L’appro-fondissement de mon sujet m’a fait découvrir des détails incroyables. Et puis, des chosesétranges se sont passées.

Quand j’entrais dans une pièce,des ampoules électriques sau-taient tout à coup. Cela arrivaittoujours plus souvent – j’en«grillais » ainsi trois ou quatre parsemaine. Alors que je changeaisma fille de deux ans dans la salle

de bains, l’ampoule du plafond a littéralement explosé en faisantune pluie de débris. Mais cen’était pas encore fini.

Le point culminant fut atteintdans ma ville natale, près de la-quelle mon héros était lui aussivenu au monde. Ce soir-là,j’avais promené notre chienGassi et me hâtais, dans la cui-sine, de noter le dialogue que jevenais d’imaginer. Le chien étaitassis devant son écuelle, dans l’at-tente de son repas. La conversa-tion avait lieu entre Towianski etChopin, un autre Polonais cé-lèbre de Paris que la secte tentaitde recruter... C’est alors quel’ampoule explosa au-dessus dema tête. Et celle-ci n’était pascomme celle de la salle de bains.D’une puissance de 100 watts,elle était entourée d’un grandglobe de verre. Une masse dedébris brûlants me sont tombésdessus. Cette explosion fut siviolente qu’elle me rendit àmoitié sourd d’une oreille etqu’il me fallut prendre des médi-caments pour rétablir mon ouïe.Le chien, lui, est resté sourd jus-qu’à la fin de ses jours. J’ai ter-miné l’écriture de ma pièce dethéâtre avec le sentiment qu’il yavait quelqu’un que cela indis-posait.

Je voulais faire la paix. C’est pour cela que je suis parti à larecherche de cette tombe àZurich. Et je l’ai trouvée au der-nier moment, une demi-heureavant le départ de mon train. Ellese trouvait presque au milieu ducimetière, près d’un mur couvertde plantes grimpantes. J’ai sortiune bougie apportée de Lituanieet l’ai allumée. Il n’y avait pasâme qui vive loin à la ronde.Protégeant la bougie à l’aided’un couvercle métallique, je l’aiplacée sur la tombe avec soin,afin d’empêcher le vent del’éteindre. Mais à peine avais-je

retiré ma main qu’un craque-ment bruyant retentit.

Je sais, ce n’était que le couverclechauffé par la flamme. Il n’y avaitlà rien de mystique. Mais celam’a effrayé. J’ai tressailli commeun enfant et me suis enfui vers lagare pour attraper mon train. Cequi était étrange, c’est que j’avaisun sentiment de soulagement. Sice craquement était un nouveausigne mystique, il ne me parais-sait pas maléfique. Plutôt uneblague, une bourrade amicalepour rappeler nos anciens démê-lés.

Pour une raison quelconque, ilm’a semblé que nous avions en-fin fait la paix au cimetière deSihlfeld. ■

(Du lituanien)

Carte blanche

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Des Andes aux Alpes, avec le climat au fond du cœur

La culture peut encourager le dialogue et sensibiliser aux problèmes environ-nementaux des régions de montagne. Dans le cadre du projet SMArt, la pho-tographe péruvienne Luana Letts a passé quelques semaines en Valais. Elle apointé son objectif sur la cohabitation entre l’homme et la nature. De Luca Beti.

CULTURE

Luana Letts a grandi face àl’océan. Assise sur une falaise auxportes de Lima, elle le regardebourdonner et écumer. Parfois,elle s’y précipite, sur son surf,pour en chevaucher les vagues.Elle a aussi grandi face à lamontagne, la Cordillère desAndes qui se dresse derrièreLima. Son regard se perd quelquefois de ce côté-là. Âgée de 37 ans, Luana Letts atoujours vécu entre la mer et lamontagne. Ces paysages fontpartie de son identité. C’est

pourquoi elle a ressenti commeun coup de poignard dans leventre quand le gouvernementpéruvien a décidé de transfor-mer radicalement la baie deLima, des travaux qui en ont détruit l’âme.L’art de Luana Letts naît de sasouffrance devant les blessuresinfligées par l’homme à la nature.Chaussée de souliers confor-tables, sac à dos sur l’épaule etappareil de photo numérique enbandoulière, elle part à la chassede ces lésions. Sa recherche n’est

pas guidée par la raison, mais parl’intuition. La photographe suitles émotions suscitées par lespaysages qu’elle traverse. C’estce qu’elle a fait en Valais, où ellea séjourné de mi-octobre à mi-décembre 2014.

À la découverte du ValaisPendant ces quelques semaines,elle a parcouru les sentiers alpinsautour de Verbier, Zinal etCrans-Montana, prolongeant saquête jusqu’au Jura bernois. Aufil de ses pérégrinations, elle a

pointé son objectif sur trois thématiques : l’eau, les risquesnaturels et la spéculation immo-bilière. « J’ai été frappée et dé-concertée par le nombre de chalets aux portes closes que j’ai rencontrés sur mon chemin.J’ai grandi dans un pays où l’onconstruit des maisons pour leshabiter, pas pour les laisser videsla plus grande partie de l’année.Au Pérou, personne ne dépense-rait tant de millions pour livrerune habitation à la poussière et àl’odeur de rance. »

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La photographe a choisi deconsacrer à la spéculation im-mobilière toute une paroi del’exposition Constant Transforma-tion, organisée en novembre etdécembre derniers à Sierre.C’est une mosaïque d’images,une sorte d’inventaire des cha-lets qu’elle a vus au cours de sesvirées dans certaines localitéstouristiques valaisannes. « J’ai im-primé les photos sur du papiernormal, pour souligner le carac-tère éphémère de ces construc-tions, en contraste avec la ma-jesté des montagnes. À la fin del’exposition, une fois décrochées

de leur paroi, mes photos ne se-ront plus que du vieux papier »,explique Luana Letts. «Pourcette œuvre, je me suis inspiréedes vitrines des agences immo-bilières, mais en laissant des es-paces vacants. Ce sont des sortesde fenêtres ouvertes sur l’avenir.Le but est d’amener le visiteur às’interroger sur la façon dontl’homme et les changements cli-matiques transforment la mon-tagne et la nature en général. »

Au service de l’environnementPour l’artiste, la photographien’est pas une fin en soi. Elle doit

servir à protéger l’environne-ment. «Mon approche estconceptuelle. Ces images mon-trent comment le paysage a étémodifié. Mais j’interviens aussisur ces photographies, car j’insère ou retire certains élé-ments, en transformant cettesurface bidimensionnelle enune œuvre quasi plastique »,précise Luana Letts.Dans son art se reflètent à lafois le contexte où elle agrandi – la galerie d’art de samère – et son parcours : LuanaLetts a étudié l’art à l’Univer-sité catholique pontificale du

Pérou, avant de s’adonner à laphotographie.«Montrer les conséquences duchangement climatique ne suffitpas. Je veux les rendre gigantes-ques, afin de surprendre et desensibiliser le visiteur », dit-elle.«Par exemple, sur l’image duglacier de Moiry, j’ai découpé lalangue de glace et je l’ai placéeplus en arrière, afin d’accentuerdu point de vue spatial le reculdes neiges éternelles. »

Points communs et différencesAyant grandi au bord duPacifique et aux pieds desAndes, c’est avec un sentimentde familiarité qu’elle a décou-vert le Valais. «À un peu plusd’une heure de Lima, vous trou-vez des montagnes et des valléestrès semblables à celles que j’ai parcourues ici durant cesquelques semaines. Même lesproblèmes environnementaux se ressemblent : la fonte des gla-ciers, la gestion de l’eau, l’ex-pansion immobilière », racontecette artiste. «Mais j’ai aussi re-marqué des différences énormesentre les deux pays. En Suisse,des programmes de préventioncontre les catastrophes ont étéélaborés, ainsi que des projets desauvegarde à long terme. Riende tout cela n’existe au Pérou. »Luana Letts a quitté le Valais fin2014 pour rentrer à Lima, oùelle vit et travaille. La périodepassée en Suisse a été très inten-sive : «Pendant mon séjour, j’aiété submergée par une avalan-che d’informations, d’images et d’expériences, que j’ai dû ensuite transposer dans un projetplastique. Ce processus créatifn’est pas encore terminé. Lesimages dépourvues de cadresont là pour le rappeler. » ■

(De l’italien)

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Photographes en résidence Le projet culturel Sustainable Mountain Art(SMArt) a été lancé par la Fondation pour ledéveloppement durable des régions demontagne, avec l’appui financier de la DDC.Il poursuit deux objectifs : informer, par lebiais de la culture, sur les défis auxquels

sont confrontées les régions de montagne à travers le monde ; pro-mouvoir des échanges interculturels entre ces régions, en invitantrégulièrement en Suisse des artistes du Sud et de l’Est. Durant laphase pilote du projet, qui se déroule de l’automne 2014 à l’été2015, trois artistes ont été invités à séjourner en Valais. Les œuvrescréées dans le cadre de SMArt sont exposées tant en Suisse quedans le pays d’origine de l’artiste. Luana Letts a inauguré le projet.Elle a présenté ses œuvres en décembre dernier à Lima durant laConférence internationale sur le climat qui s’est tenue dans cetteville.www.sustainablemountainart.ch

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1. Mirror2. Blanks3. Data Melting 4. Transformations :

Montagne de Chanrion / Barrage de Mauvoisin / Creux-du-Van

© Luana Letts/FDDM/DDC

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ServiceRégis Gizavo, contribuent à laréussite de ce manifeste pour lanature, qui allie avec délicatessemusique traditionnelle et chan-son occidentale.Razia Said : «Akory» (Cum-bancha/Disques Office)

L’âge d’or du cha-cha-cha (er) Après une carrière en dentsde scie, le chanteur cubainAbelardo Barroso a fait un re-tour fracassant en 1954, lorsqu’ila rejoint l’Orquesta Sensación,un groupe de cha-cha-cha crééun an auparavant. Avec cette for-mation, il va signer quelques-unsdes plus beaux morceaux de lamusique cubaine. Plus de qua-rante ans après sa mort en 1972,le label World Circuit a réuni

La quête de la beauté(dg) Comment se fait-il que certaines femmes africaines sesentent souvent «un peu maldans leur peau»? Faut-il y voirl’impact de la publicité qui sug-gère qu’une peau claire seraitplus belle que la leur ? À l’heurede la mondialisation, les canonsde la beauté sont uniformisés.L’effort pour atteindre l’idéal quiprévaut dans le monde altèrel’image que les gens ont d’eux-

mêmes. Dans certains pays d’Afrique, la volonté d’identifi-cation est si forte que des femmestentent de blanchir leur peau enutilisant des crèmes éclaircissantes.La réalisatrice kenyane Ng’endo

Mukii s’intéresse à la couleur depeau et au concept de race, ainsiqu’aux problèmes qui en décou-lent. Son film d’animation YellowFever (fièvre jaune), plusieurs foisrécompensé, met en scène l’alté-ration de l’image de soi. Il abordehabilement les sentiments d’infé-riorité causés par le racisme etleur consolidation à travers lesmédias.Ng’endo Mukii : «Yellow Fever »,Grande-Bretagne, 2012; documen-taire animé, 7 minutes, dès 16 ans.Le film est disponible en ligne, sousforme de Video on Demand (VOD).Informations : education21/Filmspour un seul monde ; www.filmeeine-welt.ch.

Manifeste pour la forêt tropicale(er) Les mélodies des instru-ments à cordes malgaches – ma-rovany (cithare sur caisse), valiha(cithare sur tuyau) et lokanga(violon à trois cordes) – et de laguitare se mêlent aux rythmessubtils de la batterie et de labasse. Elles créent une musiquelégère et soyeuse, que soulignentles accents de l’accordéon et duviolon. Sur ce fond musicalviennent se poser des chœursmélodieux et la voix chaude deRazia Said. Voilà en quelquesmots le quatrième album decette chanteuse malgache qui abeaucoup voyagé et qui vit au-jourd’hui à New York. Dix mor-ceaux sont réunis sous le titre«Akory», qui signifie en mal-gache «Où en sommes-nousmaintenant ? ». L’artiste veut inci-ter les politiciens de son pays et ses fans à réfléchir aux consé-quences de la déforestation. À 56ans, Razia Said lutte depuis dixans déjà contre la destruction desforêts à Madagascar, causée prin-cipalement par la culture surbrûlis. Produit sur quatre conti-nents, l’album a été enregistré enmalgache, en français et en an-glais. D’éminents invités, tel lecélèbre accordéoniste malgache

Films

Musique

Sri Lanka, dix ans après le tsunami(lb) Chacun se souvient des vagues gigantesques quiont balayé les côtes du golfe du Bengale le 26 décem-bre 2004, semant la mort et la désolation. Après cetsunami qui a stupéfié le monde entier, les dons ont atteint des montants record. Qu’en est-il dix ans plustard ? Comment la situation des survivants a-t-elle évo-lué ? Pour répondre à ces questions, Gabriela Neuhauset Angelo Scudeletti ont sillonné, avec leur caméra etleur microphone, les villages du Sri Lanka frappés parla catastrophe. Ils ont interrogé aussi bien des survi-vants que les responsables de projets de reconstruc-tion. Leur documentaire Buffer Zone (zone tampon) faitun constat décevant : malgré l’aide qui a afflué de par-tout, la pauvreté et la faim règnent dans nombre de villages bâtis à l’intérieur du Sri Lanka pour reloger lesvictimes. Déplacés vers l’arrière-pays, les pêcheurs ontperdu leurs moyens de subsistance. De luxueux com-plexes touristiques sortent du sable dans des zonescôtières où le gouvernement a interdit la constructionde toute nouvelle habitation. Dix ans après le tsunami,les perdants sont les groupes de population les plusdémunis.Gabriela Neuhaus et Angelo Scudeletti / OffroadReports : «Buffer Zone», 2014, documentaire de 90 minutes ; informations et commandes (DVD ou Bluray) :www.bufferzonefilm.ch

quatorze morceaux enregistrésdans la seconde moitié des an-nées 50, l’âge d’or du cha-cha-cha. Toute la nostalgie et la joiede vivre qui ont marqué la folleépoque des casinos et des caba-rets de La Havane se reflètentdans cette superbe rétrospective.Le percussionniste virtuose del’Orquesta Sensación et les autresinstruments – flûte guillerette,piano plein d’allégresse et cordestout en finesse – offrent un écrinidéal à la voix aussi sensuelle quecharismatique d’AbelardoBarroso. Cette voix et le rythmeentraînant du cha-cha-cha n’en-thousiasment pas seulement lesadmirateurs de l’artiste, mais fontdanser tout le monde. Il est d’au-tant plus facile de se laisser em-porter que le CD est assorti d’unlivret détaillé et que les pas élé-mentaires de la danse sont dé-crits sur la pochette du disque.

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35Un seul monde No 2 / Juin 2015

ImpressumUn seul monde paraît quatre fois par année,en français, en allemand et en italien.

Éditeur :Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE)

Comité de rédaction :Manuel Sager (responsable)Catherine Vuffray (coordination globale)Marie-Noëlle Bossel, Maja Holenstein, PierreMaurer, Gabriela Neuhaus, Christina Stucky,Özgür Ünal

Rédaction :Gabriela Neuhaus (gn – production),

Luca Beti (lb), Jane-Lise Schneeberger (jls),Mirella Wepf (mw), Ernst Rieben (er)

Graphisme : Laurent Cocchi, Lausanne

Photolitho et impression :Vogt-Schild Druck AG, Derendingen

Reproduction :Les articles peuvent être reproduits, avecmention de la source, à condition que la rédaction ait donné son accord. L’envoi d’un exemplaire à l’éditeur est souhaité.

Abonnements et changements d’adresse :Le magazine peut être obtenu gratuitement(en Suisse seulement) auprès de : DFAE, Service de l’information,

Palais fédéral Ouest, 3003 Berne,Courriel : [email protected]él. 058 462 44 12Fax 058 464 90 47www.ddc.admin.ch

860215346

Imprimé sur papier blanchi sans chlore pourprotéger l’environnement

Tirage total : 54200

Couverture : marché agricole au Pérou ; Tom Hopkins/Aurora/laif

ISSN 1661-1675

Coup de cœur

Yodler sans frontières

Nadja Räss yodle sur des thèmestantôt traditionnels, tantôt mo-dernes. Elle dirige le festival Klang-welt Toggenburg qui attire en Suissedes chanteurs du monde entier.

C’est le recours alterné à la voixde tête et à la voix de poitrine quiconfère au yodel son caractèreparticulier. Cette sorte de chantd’appel se retrouve également auCongo, à Madagascar, chez lesPygmées, en Géorgie ou encoreen Suède sous le nom de diddling.Actuellement, je suis à la recher-che d’artistes zimbabwéens. Jerencontrerai la semaine prochainela chanteuse ukrainienne MarianaSadovska qui partira en tournéeavec nous en novembre et partici-pera à notre festival en 2016. Ladécouverte de musiques archaï-ques est ma passion. Rencontrerdes artistes du monde entier estquelque chose d’enrichissant,d’émouvant et souvent d’amu-sant. Dans d’autres pays, les gensdansent beaucoup plus que nousen chantant. Aucune édition deKlangwelt ne s’est déroulée sansque l’un de nos invités ne se soitmis les mains dans les pochespour parodier l’attitude un peuraide des yodleurs suisses. Maisceux-ci ne se formalisent pas deces blagues et se laissent volon-tiers entraîner dans un pas dedanse lors de prestations collec-tives.

(Propos recueillis par Mirella Wepf)

Hanspeter Schiess

Abelardo Barroso with OrquestaSensación : «Cha Cha Cha» (World Circuit/Musikvertrieb)

Un parfum de muscade surl’archipel(gn) Les îles Banda, dans l’est del’Indonésie, sont le berceau de la noix de muscade. À l’époquecoloniale, elles étaient au centredu commerce mondial d’épicesexotiques. Diverses légendes et des vestiges architecturaux témoignent de ce passé. Par lasuite, l’archipel est tombé dansl’oubli… jusqu’à l’avènement dela mondialisation. Malgré leurisolement géographique, les ha-bitants font désormais partie duvillage global. Le livre Die Mitteder Welt (en allemand seule-

Livre

Expositions

La DDC présente à ExpoMilano (gn) L’exposition universelle setient cette année à Milan sur lethème «Nourrir la planète –Énergie pour la vie ». ExpoMilano 2015 propose aux visi-teurs un voyage à travers les sa-veurs et les traditions du monde.Elle les invite à s’interroger surla diversité, la responsabilité, lasolidarité et la durabilité en ma-tière d’alimentation. La DDCprofite de cet événement pourfaire connaître, dans le pavillonsuisse et dans diverses manifesta-tions, ses efforts en vue d’amé-liorer la sécurité alimentaire. À l’aide d’une application inter-active, les visiteurs peuvent testerleurs connaissances des plantescultivées et comprendre l’utilitédes cliniques des plantes pour lespetits paysans. L’Aide humani-taire, de son côté, explore lethème «Sécurité alimentaire lorsde crises humanitaires » et orga-nise un débat sur ce sujet le 19août. Un projet de la DDC surla gestion des pâturages enMongolie figure parmi les 18exemples de bonnes pratiquesqui ont été sélectionnés par unjury. «Expo Milano 2015», Milan, du1er mai au 31 octobre ; informationset billetterie : www.padiglione-svizzero.ch

Forteresse Europe(gn) L’Europe se cloître. Des mi-grants meurent chaque jour de-vant les frontières extérieures de

l’Union européenne. À l’inté-rieur, des milliers d’entre eux vi-vent dans l’illégalité et la crainted’un renvoi. L’édition 2015 dufestival Belluard Bollwerk Inter-national, à Fribourg, part du dé-bat très polarisé sur les réfugiéspour envisager la situation demanière nuancée. Sept projetsartistiques abordent la fuite et lamigration de différents points devue. Ainsi, le chorégraphe séné-galais Momar Ndiaye évoque le vain espoir de la jeunesse africaine d’émigrer en Europe.L’auteur et réalisateur iranienKamal Hashemi met en scènel’état d’esprit des réfugiés quitraversent la frontière de nuit.En marge des représentations etdes expositions, le public peutparticiper à des discussions ausein de petits groupes animéspar des spécialistes. Les élèves ducycle d’orientation du Belluard,directement concernés, sont in-vités en tant que « spécialistes dela migration». Ils réalisent unmagazine plurilingue sur ce su-jet pendant la durée du festival.Belluard Bollwerk International,Fribourg, du 25 juin au 4 juillet ;informations complémentaires :www.belluard.ch

ment), réalisé par le collectifgermano-suisse Lang+Breit, décrit leur vie quotidienne. Ilillustre de manière frappante leseffets de la mondialisation sansenjoliver la réalité. Photos, essais,reportages et portraits emmè-nent le lecteur dans un mondequi paraît exotique de primeabord, mais qui ne se distingueplus beaucoup du nôtre. Anja Meyerrose et StephanTruninger (texte), Johanna Leistneret Sven Heine (photos) : «Die Mitteder Welt », Rotpunktverlag, 2015

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«Les sols n’ont pas de voix et peu degens parlent pour eux. Ils sont notre allié silencieux dans la production alimentaire. »José Graziano da Silva, page 16

«Nos droits sont bafoués depuis desannées, mais le Nicaragua est en trainde se réveiller. » Francisca Ramírez, page 20

« J’ai grandi dans un pays où l’on construit des maisons pour les habiter,pas pour les laisser vides la plus grandepartie de l’année. »Luana Letts, page 31