Un seul monde 1/2013 - Federal Council...(bf) Les Chimane, qui vivent dans l’Amazonie bolivienne,...

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Un seul monde N o 1 / MARS 2013 LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION www.ddc.admin.ch Afrique du Nord Des défis pour tous – y compris pour la Suisse Honduras : le pays le plus meurtrier du monde Collaboration avec les fournis- seurs d’eau privés : oui, mais…

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  • Un seul mondeNo1 / MARS 2013LE MAGAZINE DE LA DDCSUR LE DÉVELOPPEMENTET LA COOPÉRATIONwww.ddc.admin.ch

    Afrique du NordDes défis pour tous – y compris pour la Suisse Honduras : le pays le plusmeurtrier du monde

    Collaboration avec les fournis-seurs d’eau privés : oui, mais…

  • Un seul monde est édité par la Direction du développement et de la coopération (DDC), agence de coopération internationale intégrée au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’est cependant pas une publication officielle au sens strict. D’autres opinions y sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pas obligatoirement le point de vue de la DDC et des autorités fédérales.

    Un seul monde No 1 / Mars 20132

    3 Éditorial4 Périscope26 DDC interne33 Service35 Coup de cœur avec Luisa Splett35 Impressum

    D D C

    F O R U M

    AFRIQUE DU NORD6 Aux origines des révolutions arabes

    Actuellement, le plus grand défi de la région consiste à maîtriser les problèmes sociaux et à rétablir les institutions politiques

    10 Une aide spontanée, coordonnée et tournée vers l’avenirL’engagement de la Suisse en Afrique du Nord, qui a été sensiblement renforcé,donne déjà des résultats

    15 La transition sera longue et semée d’embûchesEntretien avec Ahmed Galal, directeur du Forum pour la recherche économique au Caire

    17 Faits et chiffres

    18 « Ici au Honduras, je n’ai aucun avenir »Dans l’espoir de trouver du travail, beaucoup de paysans honduriens quittentleurs villages et viennent s’établir à la périphérie de la capitale

    21 Une journée sur le terrain avec… Jürg Benz, coordinateur de la DDC à Tegucigalpa

    22 Le dur combat d’une mèreMaría del Rosario Barahona parle de l’avenir qu’elle construit jour après jourpour elle et pour ses filles

    23 Un pont vers le monde extérieur La station somalienne Radio Ergo donne la parole à ceux que l’on n’écoute jamais

    24 Le bon diagnostic dans les steppes via Internet Avec le soutien de la DDC, des chirurgiens suisses ont mis sur pied un systèmede télémédecine en Mongolie

    27 L’eau pour tous – une affaire privée?Il est possible de collaborer avec le secteur privé pour l’approvisionnementen eau, mais en fixant des conditions claires

    30 «Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier» Carte blanche : l’Éthiopien Getachew Gebru évoque la vie des éleveurs nomadesainsi que leur contribution à l’économie et à l’environnement

    31 Nos voisins, ces inconnusDes coproductions théâtrales relancent les échanges culturels entre les républiques d’Asie centrale

    H O R I Z O N S

    C U L T U R E

    D O S S I E R

    Sommaire

  • Éditorial

    Un seul monde No 1 / Mars 2013 3

    Le terme de «Printemps arabe» m’a d’emblée dérangé.Je n’ai jamais beaucoup apprécié cette expression, niau sens propre, ni au figuré. Les manifestations qui ontsecoué l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient ont com-mencé le 17 décembre 2010, lorsque le marchand am-bulant tunisien Mohamed Bouazizi s’est immolé pourprotester contre un système arbitraire. Cette torche hu-maine, lourde de conséquences, s’est donc embraséeau début de l’hiver.

    Le printemps est la période du renouveau, où les jeunesplantes se fraient un chemin vers la lumière, laissantderrière elles les rigueurs de l’hiver. Il représente le dé-but d’un cycle de vie et de fertilité. C’est d’ailleurs ainsique beaucoup ont perçu le Printemps arabe : un élanpolitique, social et culturel qui obéit en quelque sorte àune loi de la nature. Sur le plan politique, ce mouvementétait d’autant plus séduisant que la communauté inter-nationale n’est jamais parvenue à définir une stratégieface aux bouleversements qu’il a déclenchés. L’ex-pression rassurait et dissimulait cette incapacité straté-gique.

    Des formules telles que « le Printemps arabe» suscitentdes idées erronées et font naître de faux espoirs. Leschangements politiques et sociaux ne suivent pas descycles naturels. Ils sont conduits par des êtres humains,ce qui fait que leur issue est toujours ouverte. La chutedes régimes autoritaires à Tunis, au Caire et ailleurs netraçait pas automatiquement la voie vers la démocratie,l’État de droit, les droits de l’homme et l’économie demarché. Bien sûr, c’est à cela qu’aspire une grande par-tie de la population. Mais l’aboutissement du processusdemeure incertain.

    Après le début des troubles dans le monde arabe, d’au-cuns ont prématurément tiré des parallèles avec lesévénements qui ont bouleversé l’Europe de l’Est à la finde la guerre froide, vingt ans plus tôt. Toutefois, la par-tie méridionale et orientale du bassin méditerranéen nepossède ni une histoire ni une culture comparables àcelles de l’ancien bloc soviétique. En outre, les pays dela région n’ont pas la perspective d’adhérer un jour à

    l’Union européenne. Or, c’est ce projet qui avait na-guère déclenché les processus de réforme en Europede l’Est et leur avait donné une orientation claire.

    Cela ne signifie toutefois pas que les pays du Printempsarabe sont exclus de notre sphère d’intérêts, de notrehistoire, de notre actualité et de notre avenir. Aucontraire, ils font partie intégrante d’un vaste espaceculturel, celui de la Méditerranée, qui a contribué dansune large mesure à façonner l’histoire suisse. L’originede notre pays réside dans son rôle de trait d’union entrela Méditerranée et le nord de l’Europe. C’est pour affir-mer l’importance des cols alpins et leur propre libertéque les premiers Confédérés se sont alliés.

    Notre avenir est aussi lié aux changements dans le bas-sin méditerranéen, avec toutes les possibilités et tousles risques que cela implique. Durant des décennies,« l’Occident » a exercé une influence sur la situation po-litique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient afin deservir ses propres intérêts en matière de sécurité, d’ap-provisionnement en matières premières et de migra-tions. Voilà pourquoi il porte aujourd’hui une part de res-ponsabilité.

    Nous sommes conscients que les transformations encours engagent le monde arabe sur un chemin difficile,où les revers seront nombreux et dont nul ne peut pré-dire l’issue. Mais le jeu en vaut la chandelle.

    Vous en apprendrez davantage sur ce thème – notam-ment sur le rôle des médias sociaux et l’engagement dela Suisse – en lisant le dossier que nous vous propo-sons dans ce numéro ou en visitant l’expositionKarama ! Les révolutions arabes et leurs répercussions,qui se tient au Käfigturm de Berne jusqu’au 31 mai.

    Martin DahindenDirecteur de la DDC

    (De l’allemand)

    La Suisse et le «Printemps arabe»

    DDC

  • Joe Ronzio/IWMI

    Un seul monde No 1 / Mars 20134

    PériscopeLes villes africaines veulentdu pain(gn) La demande de blé aug-mente rapidement en Afrique,surtout en raison du changementde comportement alimentairedans les villes. Les citadins man-gent davantage de pain et depâtes, au détriment des céréalestraditionnelles, plus longues àpréparer. Or, seuls 44% des be-soins sont couverts par l’agricul-ture locale. L’Afrique est doncobligée d’importer toujours plusde blé, alors que les prix flambentsur les marchés. En 2012, elle adépensé 12 milliards de dollarspour en acheter 40 millions detonnes. Le Centre internationald’amélioration du maïs et du blé(Cimmyt) vient pourtant de dé-montrer que le continent pour-rait être autosuffisant. Son étudea porté sur douze pays africains :malgré des conditions de cultureoptimales, ces derniers n’exploi-tent que 10 à 25% de leur poten-tiel. Moyennant quelques inves-tissements et un apport judicieuxd’engrais, 20 à 100% de leursterres arables se prêteraient à laculture du blé. «Une hausse de laproduction indigène permettraitaux marchés locaux de s’affran-chir de leur dépendance à l’égarddes cours mondiaux qui peuventgrimper de 50% en quelquesmois», note Hans-JoachimBraun, responsable du Pro-gramme mondial pour le blé au Cimmyt.www.cimmyt.org, «wheat»

    Des vers et des parasites,mais un cœur solide(bf ) Les Chimane, qui viventdans l’Amazonie bolivienne, mo-bilisent l’attention de la commu-nauté scientifique. Depuis 2002,plus de cinquante anthropo-logues, médecins et étudiants boliviens et américains ont déjàparticipé à un vaste projet de re-cherche sur la santé de cette eth-nie amérindienne qui comptequelque 13000 individus. Ils ont

    L’irrigation privée gagne du terrain ( jls) Dans les pays pauvres du Sud, la plupart des paysansutilisent encore des méthodes d’arrosage rudimentaires.Mais une révolution silencieuse est en marche, constateun rapport de l’Institut international de gestion des res-sources en eau (IWMI). Fatigués d’attendre l’aide des gouvernements, des paysans entreprenants trouvent dessolutions à petite échelle pour irriguer leurs cultures. Ils investissent dans l’achat de pompes à moteur, la récoltedes eaux de pluie, la construction de petits réservoirs ou le détournement de rivières. «Nous avons été sidérés parl’ampleur du phénomène», explique Meredith Giordano,coordinatrice du rapport. «Malgré les obstacles, tels quedes coûts initiaux élevés et des chaînes d’approvisionne-ment peu développées, ces petits exploitants d’Afrique et d’Asie sont allés de l’avant en utilisant leurs propres ressources pour financer et installer des technologies d’irrigation. » Au Ghana, les systèmes d’irrigation privéscouvrent déjà 25 fois plus de terrain que les mécanismespublics. www.iwmi.cgiar.org/SWW2012

    Les océans en petite forme(bf ) Un nouvel outil permet,pour la première fois, de quanti-fier l’impact des activités humai-nes sur la mer. L’Ocean HealthIndex (OHI) mesure la santé des

    océans dans la zone économiqueexclusive des États, qui s’étendjusqu’à 200 milles marins descôtes. Il a été mis au point parune équipe de chercheurs améri-cains, sous la conduite de Ben

    Halpern, de l’Université deCalifornie. Le calcul de l’OHI sebase sur dix critères, dont la qua-lité de l’eau, l’apport alimentaire,la biodiversité, la protection descôtes ou la valeur touristique. Surune échelle allant de zéro à cent,la santé des océans se situe enmoyenne à soixante. Les pays in-dustrialisés font figure de bonsélèves, car ils possèdent des infra-structures efficaces et des législa-tions strictes. Nombre d’Étatsd’Afrique occidentale, d’Amé-rique latine et du Proche-Orientoccupent le bas du classement.Lanterne rouge, la Sierra Leonen’obtient que 36 points. Les na-tions industrialisées contribuentà la mauvaise qualité des eauxcôtières dans les pays en dévelop-pement, où elles délocalisent desactivités de production polluantes.ww.oceanhealthindex.org

    Des opérations à l’œil( jls) Environ 20 millions d’êtreshumains souffrent de cécité oude déficiences visuelles dues à lacataracte, une opacification ducristallin. Presque tous viventdans les pays en développement.Ils n’ont pas les moyens de s’of-frir l’intervention chirurgicalequi permet de restaurer l’acuitévisuelle. Un médecin chinois,Han Demin, a décidé de mettrecette chirurgie coûteuse à leurdisposition. Avec une équipe deconfrères, il examine et opèregratuitement des malades dému-nis. Son Programme d’actionpour la restauration de la vue,lancé en 2003, était destinéd’abord aux zones défavoriséesde Chine. Depuis 2007, il s’estélargi à d’autres pays d’Asie puisà l’Afrique. «Notre objectif estd’envoyer la technologie médi-cale la plus avancée et le meilleurservice possible vers les régions et les gens qui en ont le plus besoin», explique-t-il. Plus de50000 personnes ont déjà étésoignées, dont 14000 en Afrique.www.ipsnews.net, chercher « cataract»

  • Michael Gurven/UCSB

    Jeffrey Barbee/SunFire Solutions

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    Dessin de Jean Augagneur

    réalisé 42 études et 33 autres sonten cours. Tout a commencé pardes travaux sur les parasites, lesvers intestinaux et les maladiesinfectieuses dont souffrent bonnombre de Chimane. Il s’agissaitd’analyser l’état de santé, le lan-gage, le comportement social etles méthodes thérapeutiques decette communauté. Mais les re-cherches ont rapidement suscitéun intérêt national et internatio-nal, car elles fournissent égale-ment des éclairages sur les mala-dies prévalant au Nord. Ainsi, desétudes ont confirmé que les af-

    fections cardiovasculaires sontprobablement propres aux sociétésmodernes. Les chercheurs exami-nent actuellement les liens entretestostérone et infections, entrerégime alimentaire et valeur nu-tritive du lait maternel, ainsiqu’entre ADN et espérance devie.www.tsimane.org

    Des rayons de soleil sous la marmite(gn) Ce qui ressemble de loin àune antenne parabolique scin-tillante se révèle être un cuiseursolaire. Concentrée par la para-bole, la lumière du soleil fournitsuffisamment d’énergie pour fairebouillir de l’eau, voire préparertout un repas. Les fours solairesde la dernière génération sontnettement plus efficaces que lesmodèles précédents, estime

    Crosby Menzies. Ce pionniersud-africain de l’énergie solaireest persuadé que les nouveauxsystèmes sont promis à un belavenir dans son pays, où nombrede ménages ne sont pas raccordésà l’électricité. Au Sénégal, 350installations de ce type ont déjàété testées sur le terrain. Le butest de proposer à la populationrurale une autre manière de cui-

    siner que la combustion de bois.Si les cuiseurs solaires sont déjàau point sur le plan technique,Crosby Menzies sait qu’ils met-tront du temps à s’imposer :«Pour les utiliser, il faut étaler lacuisson sur toute la journée. Celane correspond pas à nos tradi-tions et passe donc par un chan-gement d’habitudes. »www.sunfire.co.za

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    DOSSIER

    Aux origines desrévolutions arabes Depuis l’éclatement des révolutions arabes au début de 2011,l’Afrique du Nord connaît de profonds bouleversements. En cemoment, son plus grand défi est le même que celui qu’ont dûrelever les pays d’Europe de l’Est après la chute du commu-nisme : maîtriser les problèmes sociaux et rétablir les institu-tions politiques afin qu’elles soient en mesure d’engager les indispensables réformes. De Vicken Cheterian*.

  • Scott Nelson/NYT/Redux/laif

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    Afrique du Nord

    Personne n’a vu venir les révolutions arabes. Le tri-angle formé par les dictatures au pouvoir, l’islamis-me radical et une population passive semblait trèsstable. Du moins, c’est ainsi que nous le percevions.De surcroît, les grandes puissances occidentaless’étaient alliées avec les dictateurs contre l’ennemicommun: les militants djihadistes. Qui se serait ris-qué à affirmer que des révoltes couvaient à notreporte ?Les principaux acteurs n’ont pas suffisamment prê-té attention aux problèmes de développement dansla région. Pourtant, la seule lecture des très sérieuxrapports du Programme des Nations Unies pour ledéveloppement (PNUD) sur le développement hu-main dans le monde arabe aurait dû suffire à tirer

    la sonnette d’alarme. Malgré toute la fureur et lebruit actuels, il n’est pas trop tard pour retracer lalongue trajectoire qui a conduit à ces révoltes etpour tenter de mieux les comprendre. Intitulé Les défis de la sécurité humaine dans les paysarabes, le rapport de 2009 est alarmant : il signale quela population de la région a plus que doublé enmoins de trente ans (passant de 150 millions d’ha-bitants en 1980 à 317 millions en 2007) et que, faceà cette explosion démographique, les États s’avèrentincapables de pourvoir aux besoins fondamentauxdes habitants. En Syrie, 300000 jeunes arriventchaque année sur le marché du travail ; en Égypte,ils sont un million. Le rapport du PNUD soulignela fragilité des économies arabes, fortement dépen-dantes de l’exportation d’hydrocarbures. La crois-sance basée sur le pétrole a conduit au déclin dessecteurs traditionnels comme l’agriculture, alorsque l’Afrique du Nord est moins industrialisée au-jourd’hui que dans les années 70.Pour remédier à ces maux et à leurs conséquences,telles que la pauvreté et la malnutrition, le rapportsuggère d’indispensables réformes politiques. Maisles dictateurs vieillissants, trop occupés à préparerleurs enfants à reprendre les rênes du pouvoir, ontétouffé toute velléité de changement. Or, ce sontl’impossibilité de réformes et la montée de la grognesociale qui ont mis le feu aux poudres.

    Un impact similaire à la chute du Mur de BerlinPar leur intensité et leur envergure, les révoltesarabes rappellent les événements qui avaient secouél’Europe de l’Est deux décennies auparavant. Lachute de l’URSS et de ses satellites a modifié la per-ception du développement, engendrant deux effetscontradictoires. À court terme, on a compris quele développement était étroitement lié à la politiqueet qu’il ne consistait pas seulement à transférer desmoyens techniques vers des nations pauvres afin destimuler leur croissance. Le paradoxe soviétique,c’est que ce système, qui était la deuxième puissanceéconomique mondiale et avait donné naissance àune culture technologique de haut niveau – allantde réalisations techniques remarquables jusqu’à l’en-voi de Youri Gagarine dans l’espace –, s’est effon-dré pour des raisons politiques. La désintégrationde l’URSS a engendré un chaos dont seuls des instruments politiques pouvaient venir à bout.Dans les années 90, les experts du développementont recouru à des méthodes innovantes pour ré-pondre à ces nouveaux besoins. D’une part, l’aideinternationale aux États postcommunistes devait

    Grande manifestation devant le palais présidentiel du Caireen février 2011.

  • Un seul monde No 1 / Mars 20138

    contribuer à l’instauration de systèmes démocra-tiques : organiser des élections transparentes, rédi-ger de nouvelles lois et constitutions, soutenirl’émergence de médias indépendants, etc. L’autrepan des réformes, dans lequel les spécialistes occi-dentaux ont également joué un rôle clé, consistaità transformer l’économie planifiée pour créer desmarchés efficaces. Avec le recul, on constate quel’économie de marché est en place, mais que les ré-formes politiques n’ont pas engendré de véritablesdémocraties.À long terme, la chute de l’URSS a confirmé l’idéedominante selon laquelle le système basé sur le mar-ché était le seul modèle concevable. Depuis l’inté-gration des marchés mondiaux, à la fin des années90, les économies postsoviétiques n’ont toutefoisservi qu’à fournir des matières premières aux na-tions industrialisées. Ce ne sont pas seulement despays comme l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan qui ontété réduits à ce rôle mineur, mais également la Rus-sie et l’Ukraine. Résultat : leurs infrastructures in-dustrielles se sont peu à peu délabrées.

    Pays exportateurs de pétrole ou de main-d’œuvre Dans son rapport de 2009, le PNUD ne mention-nait pas l’effet néfaste de deux décennies de poli-tiques néolibérales sur le développement socioéco-nomique du monde arabe. Privés de soutien éta-tique, les secteurs productifs locaux – agriculture etindustrie – n’avaient aucune chance d’être compé-

    titifs sur des marchés toujours plus ouverts. Dansl’économie mondialisée, les pays arabes n’étaientguère plus que des fournisseurs de gaz et de pétro-le. Ceux qui en étaient dépourvus sont devenus desexportateurs d’ouvriers qualifiés vers les États duGolfe ou la Libye. L’absence de réglementations surle travail a provoqué un afflux de main-d’œuvre bonmarché. Cette politique d’ouverture a fait exploserle chômage : dans le sud de l’Arabie saoudite, sontaux dépasse les 35%, alors que le royaume comp-te 31% d’ouvriers étrangers. Les pays pauvres en res-sources, comme la Jordanie, le Liban ou le Yémen,dépendent de l’argent transféré par leurs ressortis-sants partis travailler dans le Golfe. Eux-mêmes sontenvahis par une main-d’œuvre bon marché en pro-venance d’Asie de l’Est et d’Afrique. Dès lors, lesindigènes peu qualifiés ne trouvent pas d’emploi,ni chez eux ni à l’étranger, et sont condamnés auchômage.Ces changements démographiques et structurelsont eu des conséquences funestes sur les économiesarabes. Les régimes nationalistes arabes de naguère(aussi bien en Égypte qu’en Syrie ou en Libye)avaient promis d’assurer l’autosuffisance alimentai-re, notamment par une réforme agraire. Or, les paysarabes importent actuellement plus de la moitié deleur nourriture et subventionnent les denrées ali-mentaires de base. En 2009, ces aides étatiques ontreprésenté plus de 30 milliards de dollars. Aujour-d’hui, le monde arabe compte parmi les régions lesplus dépendantes des importations agricoles. Com-

    ÉgypteAlgérie

    Libye

    Maroc

    Tchad

    Soudan du Sud

    Tunisie

    Sahara occidental

    MauritanieMali Niger Soudan

    Éthiopie

    Érythrée

    Djibouti

  • Myriam Abdelaziz/Redux/laif

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    Afrique du Nord

    ment s’étonner dès lors que la crise financière de2008 et l’explosion des prix alimentaires en 2010aient eu sur lui un impact dramatique?

    Les dangers de l’islamisme radicalDeux éléments essentiels distinguent les révoltesarabes des soulèvements en Europe de l’Est. Pre-mièrement, ces derniers se fondaient sur un systè-me de valeurs occidental : les manifestants étaientavides de démocratie et demandaient l’éradicationde la corruption. Dans des pays comme la Géorgieet l’Ukraine, la rébellion fut emmenée par des élitesréformistes (souvent d’anciens premiers ministres)qui voyaient dans les révoltes populaires le seulmoyen de réaliser un ensemble de réformes pro-occidentales. En Tunisie et en Égypte, l’insurrectiona été lancée par des jeunes gens qualifiés mais sansemploi, et férus de nouvelles technologies. Ce sont toutefois les Frères musulmans, seule for-mation politique organisée, qui ont accédé au pou-voir dans ces deux pays. Des forces plus extrémistesencore, tels les mouvements salafistes ou les groupesdjihadistes inspirés d’Al-Qaïda, affirment leur pré-sence de la Libye à la Syrie en passant par le Yé-men. L’émergence de courants islamistes radicauxrisque de provoquer des malentendus et des diffé-rends entre les révolutions arabes et l’Occident. Ellepourrait aussi empêcher l’indispensable débat sur lamanière de réorganiser les institutions politiquesafin de s’attaquer aux énormes problèmes écono-miques.

    Des révoltes réprimées dans le sangLe recours à la violence constitue la seconde diffé-rence majeure entre les « révolutions de couleur» etle Printemps arabe. Le président serbe SlobodanMilosevic a été renversé sans qu’une seule gouttede sang ne soit versée. La transition fut tout aussipacifique en Géorgie et en Ukraine. Le soulève-ment libyen, lui, a débouché sur une guerre civileet une intervention étrangère. Le pays est aujour-d’hui à la merci de commandants. Le régime sy-rien, fermement résolu à conserver son pouvoir etses privilèges, a d’abord tiré sur les manifestants ci-vils avant d’engager son artillerie et même son avia-tion contre les rebelles armés. Des villes et des vil-lages entiers ont été détruits, tandis que le tissu so-cial du pays se désintègre. Les rebelles syriens avaientinitialement placé beaucoup d’espoirs dans la com-munauté internationale, mais celle-ci les a déçus parson inaction.Il y a vingt ans, lorsque l’URSS s’est effondrée, l’Eu-rope et les États-Unis étaient convaincus de la jus-tesse de leurs choix. Aujourd’hui, l’Europe est plon-gée dans une crise économique et sociale. Elle pa-raît hésitante et incapable de trouver une stratégie

    pour aider ses voisins méridionaux. Les problèmesqui ont conduit aux révoltes arabes sont dus prin-cipalement à de graves erreurs économiques et so-ciales. Mais leur solution est éminemment politique.La fronde populaire a démantelé un système qui re-fusait d’entreprendre les changements nécessairespour fournir à la population des emplois et desmoyens de subvenir à ses besoins. Maintenant quel’on a fait table rase du passé, il s’agit de relever undéfi gigantesque : construire un nouveau systèmequi fonctionne. ■

    *Vicken Cheterian est journaliste, analyste politique,professeur auxiliaire à l’Université Webster à Genève ainsi que chercheur-associé à la School of Oriental andAfrican Studies (SOAS) de l’Université de Londres.

    (De l’anglais)

    Dès le début, les femmes ont participé aux révoltes duPrintemps arabe.

  • Francesca Oggiano/Invision/laif

    Un seul monde No 1 / Mars 201310

    Une aide spontanée, coordonnée et tournée vers l’avenirLa Suisse a très vite réagi aux bouleversements survenus enAfrique du Nord : dès mars 2011, elle décidait de renforcer sen-siblement son engagement dans la région, plus particulière-ment en Égypte, en Tunisie, au Maroc et en Libye. La spécifici-té suisse réside dans le fait qu’aide humanitaire et coopérationau développement sont assurées par une même entité. De Mirella Wepf.

    Depuis le 17 décembre 2010, rien n’est plus com-me avant en Afrique du Nord. Ce jour-là, le sui-cide par immolation d’un marchand de légumestunisien a fait la une des journaux du monde en-tier. À peine trois semaines plus tard, la flambéedes prix des denrées alimentaires provoquait desémeutes dans toute l’Algérie. En Égypte, la révol-te a commencé le 25 janvier, « journée de la colè-re ». Mi-février, des foules sont descendues dans larue à Benghazi, en Libye. Le 18, plusieurs dizainesde personnes ont été abattues lors d’une manifes-tation, ce qui a débouché en quelques jours surune guerre civile et finalement sur l’interventionde l’OTAN.

    La DDC peu présente avant les révoltesJusqu’à l’éclatement des révolutions arabes, la co-opération suisse au développement n’était pas trèsactive en Afrique du Nord, puisqu’elle s’adresse engénéral à des pays où la pauvreté est plus grande.La DDC était présente uniquement au Maroc, oùelle travaillait depuis 2008 à la protection des mi-grants et à l’amélioration des secours en cas de catastrophe. Au début de l’année 2011, les activi-tés de la Suisse dans la région ont très vite évolué. Burgi Roos, cheffe de la section Europe et bassinméditerranéen à la DDC, a élaboré en février déjà,sur mandat de la direction, un projet succinct pourun futur programme de soutien. Elle l’a préparéavec Gabriele Siegenthaler Muinde, responsable del’équipe Afrique du Nord, et Véronique Bourquin,membre de cette équipe. Le document identifiaitles principaux domaines dans lesquels la Suissepouvait apporter son aide. Il a servi de base à lastratégie que le Conseil fédéral a approuvée le 11mars.

    Engagement de cinq services fédérauxQuelques jours plus tard, une première séance decoordination réunissait cinq services fédéraux is-sus de trois départements : le Secrétariat d’État àl’économie (Seco), qui réalisait déjà des projetsd’infrastructures et de promotion des petites etmoyennes entreprises en Égypte et en Tunisie ; la

    Manifestation des syndicats contre le chômage à Tunis en mai 2011.

  • Sam

    uel Stacey/WorldFish

    Julien Chatelin/laif

    Un seul monde No 1 / Mars 2013 11

    Afrique du Nord

    division Sécurité humaine de la Direction poli-tique du DFAE, qui s’attachait à promouvoir lesdroits de l’homme et la politique de paix en Égyp-te ; tous deux ont été rejoints par l’Office fédéraldes migrations (ODM), la Direction du droit in-ternational public du DFAE et la DDC.Cette dernière, plus précisément la section deBurgi Roos, assure aujourd’hui la coordination gé-nérale du programme au sein de l’administrationfédérale. La division Sécurité humaine du DFAEcoordonne le volet «Transition vers la démocra-tie », le Seco la partie «Développement écono-mique » et l’ODM le domaine «Migration et pro-tection ».Un budget annuel de 57 millions de francs a étéréservé à la mise en œuvre du programme. Il serépartit comme suit : 4 millions pour la transitiondémocratique, 47 millions pour le développementéconomique et 6 millions pour la migration et laprotection. Ces ressources servent à financer unecentaine de projets et d’initiatives.

    Poissons et canaux en ÉgypteEn Égypte, le programme suisse met l’accent surle développement économique et l’emploi, car leprocessus de transition politique comportait beau-coup plus d’incertitudes dans ce pays qu’en Tuni-sie, par exemple. «Au départ, il y avait peu d’élé-ments à partir desquels nous aurions pu promou-voir efficacement la démocratisation », expliqueGabriele Siegenthaler Muinde. Dans ce domaine,

    la Suisse a néanmoins saisi l’occasion de soutenirle processus électoral.Pour stimuler le développement économique, laSuisse collaborera par exemple avec l’organisationWorldFish afin de renforcer l’élevage de poissons.Ce projet permettra de créer 10000 emplois, dont900 pour des femmes dans le secteur de la vente.Il se réalise dans cinq gouvernorats : l’élevage d’es-pèces de poissons offrant un meilleur rendement

    L’élevage de poissons devrait permettre de créer 10 000 emplois en Égypte.

    Fuyant le régime du colonel Kadhafi, des milliers de Libyens ont franchi la frontière tunisienne en mars 2011.

  • Moises Sam

    an/NYT/Redux/laif

    Un seul monde No 1 / Mars 201312

    et l’amélioration de l’alimentation permettrontd’optimiser la production de quatre pisciculturesexistantes, tandis qu’une nouvelle installation seraconstruite dans le gouvernorat de Minya. Un autre projet sera réalisé à Assouan dans le sec-teur de l’eau. Il y a plusieurs décennies, le Fondsde développement égypto-suisse y a construit des« canaux suisses » dans le cadre d’un programme dedésendettement. Partant de cette réalisation, lenouveau projet prévoit notamment d’approvi-sionner en eau un quartier populaire et d’aider lesautorités à réduire les pertes, parfois considérables,dont souffre le réseau actuel. La DDC peutd’ailleurs compter sur les compétences du Seco.Celui-ci est présent en Égypte depuis longtemps.Il intervient en particulier dans le domaine del’eau, soutenant par exemple la construction de sta-tions d’épuration et le dialogue politique nationalsur ces questions.

    Aide humanitaire et sécurité en TunisieEn Tunisie, le programme est placé sous la direc-tion d’un comité de pilotage bilatéral. Ce dernierest présidé par le ministère tunisien de l’investis-sement et de la coopération internationale ; il col-labore étroitement avec d’autres ministères. Pourla mise en œuvre, un bureau de programme a étéintégré dans l’ambassade suisse. Il dispose d’an-tennes à Kasserine et à Médenine.

    En 2011, le déploiement d’une aide humanitaireà la frontière tuniso-libyenne figurait en tête despriorités. Au printemps, des milliers de personnesont fui la Libye pour se réfugier en Tunisie, aupoint que la ville de Dehiba a vu arriver plus de8000 réfugiés en un seul week-end. Aujourd’hui,la Suisse coopère aussi très activement avec la Tu-nisie dans les domaines de la transition vers la dé-mocratie et du développement économique.Elle contribue notamment à la réforme du secteurde la sécurité. «Ce projet a pris un départ remar-quable », se réjouit Mme Siegenthaler. Comme dans beaucoup d’autres pays, les forces de sécuri-té tunisiennes jouaient un rôle important dans larépression et n’étaient pas soumises à un contrô-le démocratique. La Suisse a financé la phase ini-tiale de la réforme, réalisée par le Centre pour lecontrôle démocratique des forces armées (DCAF),basé à Genève. Depuis, les responsables du projetont conclu un protocole d’entente avec trois mi-nistères et défini les priorités des futures activitésopérationnelles.

    Migration au MarocLa DDC est présente au Maroc depuis 2008 déjà.Compte tenu du risque élevé de séismes, d’ava-lanches et de sécheresses, elle contribue à la pré-vention des catastrophes. Avec l’Office fédéral desmigrations, elle vient d’autre part en aide aux ré-

    En Tunisie, comme dans d’autres dictatures arabes, l’appareil sécuritaire participait activement à la répression et n’étaitsoumis à aucun contrôle démocratique. La Suisse soutient aujourd’hui la réforme du secteur de la sécurité dans ce pays.

    Gel d’avoirs financiersDébut 2011, le Conseilfédéral a ordonné rapide-ment le gel des comptesbancaires détenus enSuisse par des «personnespolitiquement exposées »de Tunisie, d’Égypte et deLibye. Cette mesure prise,il s’agit ensuite d’identifierl’origine de ces fonds et derestituer aux pays concer-nés les avoirs acquis demanière illicite. La Tunisieet l’Égypte ont adressé à la Suisse des demandesd’entraide judiciaire, dontcertaines ont déjà ététraitées. Pour bloquer lesfonds provenant de cesdeux pays, le Conseilfédéral a fait usage despouvoirs que lui confère laConstitution fédérale. Uneloi, actuellement en prépa-ration, devrait l’habiliterdorénavant à prendre unetelle mesure sans recourirau droit d’urgence. Le casde la Libye est différent,car ce pays faisait l’objetde sanctions prononcéespar l’ONU. Dès lors, l’or-donnance du Conseilfédéral se basait sur la loirelative aux embargos.

  • Sam

    ia Mahgoub/UNDP

    Un seul monde No 1 / Mars 2013 13

    Afrique du Nord

    fugiés d’Afrique subsaharienne qui arrivent dansle pays. Elle a d’ailleurs intensifié cet effort, car leMaroc sert de voie de passage aux migrants en rou-te vers l’Europe. «Nous mettons surtout l’accentsur la protection des femmes et des enfants : ils af-fluent depuis l’Algérie et sont souvent victimes detrafic d’êtres humains et de violences sexuellesavant d’arriver à la frontière », relève Mme Siegen-thaler. La Suisse élargit aussi ses activités dans lesdomaines du développement économique, de latransition vers la démocratie et des droits del’homme. Au total, elle soutient une trentaine deprojets et d’initiatives au Maroc.

    Élections en LibyeLa Libye est le pays qui reçoit la part la plus mo-deste de l’aide suisse à l’Afrique du Nord. Comp-te tenu de ses recettes pétrolières, elle est en me-sure de financer elle-même nombre de projets. Parailleurs, sa situation politique reste des plus in-stables. «Pour l’heure, nous explorons avec pru-dence les possibilités de coopération », expliqueBurgi Roos. «Le régime de Kadhafi ne disposaitpas d’une administration au sens classique du ter-me, de sorte qu’il y a peu de structures étatiquessur lesquelles nous pourrions nous appuyer. »Selon les possibilités, la Suisse fournit toutefois del’aide en Libye. Ainsi, la DDC cofinance un pro-jet de soutien psychosocial pour les enfants, que

    Caritas met en œuvre à Misrata. En 2011, plusieurséquipes humanitaires d’intervention d’urgenceont été envoyées sur place. La Suisse a égalementsoutenu les activités médicales du Comité inter-national de la Croix-Rouge et les premières élec-tions libres tenues en 2012.

    Une approche uniqueLa condition des femmes en Afrique du Nord estun sujet qui préoccupe particulièrement BurgiRoos et Gabriele Siegenthaler Muinde. «Les droitsdes femmes sont mis à rude épreuve», constate Mme

    Roos. «Le fait que les ex-premières dames aientmilité pour l’égalité des droits ne facilite pas leschoses. Aujourd’hui, le mouvement semble s’in-verser », complète sa collègue. Les périodes d’in-stabilité apportent souvent de l’eau au moulin desmouvements conservateurs, provisoirement dumoins. « Les pays nord-africains, explique BurgiRoos, se sont moins préoccupés des questions so-ciétales que l’Occident. Ils vont devoir aborder cesthèmes et cela prendra du temps. » C’est pourquoila Suisse consacre plusieurs de ses projets à la pro-blématique du genre.Bien qu’il soit trop tôt pour apprécier globalementl’efficacité du programme pour l’Afrique du Nord,un premier processus d’évaluation a déjà démar-ré. «En matière de coopération au développement,il faut du temps avant de pouvoir mesurer les ré-

    Ces Libyennes brandissent fièrement leur carte électorale le 7 juillet 2012. Elles participent aux premières élections libresorganisées depuis près de cinquante ans. Il s’agissait de désigner les 200 membres du Congrès national général.

    S’adapter à la situationL’Algérie n’est pas inclusedans le programme de la Confédération pourl’Afrique du Nord, car lepays n’a pas connu lemême bouleversement politique que ses voisins.Quant au Proche-Orient, lasituation y est extrêmementfragile depuis plus d’unsiècle. La DDC fournit uneaide humanitaire. Commed’autres services fédéraux,elle tente d’adapter ses ac-tivités à la situation et auxdéfis de la politique dedéveloppement. Dans lesterritoires palestiniens oc-cupés, elle réalise un pro-gramme à long terme.

  • Scott Nelson/NYT/Redux/laif

    Johann Rousselot/laif

    Un seul monde No 1 / Mars 201314

    sultats », explique Burgi Roos. Elle s’attend doncà ce que les efforts s’étendent sur plusieurs années,voire plusieurs décennies. «Mais nous sommessûrs d’obtenir un bon impact. » Cette confiance re-pose notamment sur l’étroite collaboration entreles divers services fédéraux, ajoute Mme Roos : «Lesacteurs externes nous font souvent remarquer quenotre approche est unique en son genre. En effet,

    Échos du Printemps arabe à Berne

    L’exposition Karama ! Les révolutions arabes etleurs répercussions se tient jusqu’à fin mai auKäfigturm de Berne. Organisée par le Forum po-litique de la Confédération avec l’appui de laDDC et d’autres services fédéraux, elle s’interrogesur les causes des révoltes, illustre le rôle desmédias sociaux et présente la situation dans lesdifférents pays deux ans après les soulève-ments. L’exposition et les conférences prévues,qui font intervenir des hôtes suisses et étrangers,montrent comment la Suisse a réagi à ces évé-nements, en renforçant ses activités en Afriquedu Nord. Elles évoquent aussi les répercussionssur la Suisse et sur la migration. Le public peutentrer en contact avec des personnes de la région par le biais des médias sociaux. Une par-tie du contenu est également disponible surInternet.«Karama ! Les révolutions arabes et leurs réper-cussions», jusqu’au 31 mai au Käfigturm www.kaefigturm.chwww.facebook.com/KaefigturmForum

    D’autres choix quel’émigrationEn juin dernier, la Suisse et la Tunisie ont conclu unpartenariat migratoire.Celui-ci inclut un protocoled’entente, un accord sur la coopération dans le domaine de la migration et un autre sur l’échangede jeunes professionnels. Au Maroc, l’Office fédéraldes migrations soutient un projet de réinsertion de jeunes ayant essayé en vain d’émigrer versl’Europe. Mené en collabo-ration avec la chaîneMövenpick, ce projet offreaux bénéficiaires une for-mation de cinq mois dansl’hôtellerie et une prise encharge psychosociale. Enparallèle, une campagnede sensibilisation présenteles risques de la migration.

    l’aide humanitaire et la coopération sont réuniesau sein d’une même entité, et nous exploitons lessynergies. » Cela améliore d’ailleurs l’image de laSuisse dans les pays partenaires, précise de son côtéMme Siegenthaler. ■

    (De l’allemand)

    Les réseaux sociaux, comme Facebook, ont prouvé leur capacité à mobiliser des foules (ici au Caire en janvier 2011). Maisles médias traditionnels, en particulier la télévision, ont également joué un rôle important dans les révoltes arabes.

  • Leonardi/Contrasto/laif

    Un seul monde No 1 / Mars 2013 15

    Afrique du Nord

    La transition sera longue et seméed’embûchesCes deux dernières années, la démocratie a gagné du terraindans les pays nord-africains. Ceux-ci restent cependantconfrontés à d’importants défis économiques et politiques.Dans un entretien avec Mirella Wepf, l’économiste égyptien Ahmed Galal livre ses impressions et ses prévisions.

    Un seul monde : Où en seront les pays nord-africains dans dix ans, selon vous ?Ahmed Galal : Les changements en Afrique duNord ressemblent à ceux survenus en Amérique la-tine, en Asie de l’Est et en Europe de l’Est au coursdes dernières décennies. Nous savons donc que detelles transitions prennent du temps et qu’ellesn’ont rien de linéaire. Dans une dizaine d’années,notre situation économique et politique sera sansdoute comparable à celle du Mexique, de la Ma-laisie, de l’Indonésie ou de la Turquie.

    Quels sont les principaux changements deces deux dernières années ?Les populations ont appris qu’elles ont le pouvoird’influer sur la politique. Toutefois, l’économie abeaucoup souffert : le coût de la vie et le chôma-ge ont pris l’ascenseur. Je m’attends à une période

    Dans les pays d’Afrique du Nord où la population s’est révoltée, les anciens régimes ont trop misé sur la croissance etpas assez sur une répartition équitable des richesses, estime Ahmed Galal.

    relativement longue de fléchissement conjonctu-rel. La reprise dépendra ensuite des progrès poli-tiques, des réformes économiques et de l’aide ex-térieure.

    Qu’attendez-vous de la Suisse ?J’espère que la Suisse appuiera la transition vers ladémocratie, le transfert de connaissances et detechnologies ainsi que la promotion de la forma-tion professionnelle. Elle pourrait aussi contribuerà créer des emplois, notamment en soutenantl’émergence de petites et moyennes entreprises. Lasituation initiale variant d’un pays à l’autre, l’aidedoit être taillée sur mesure. Il importe aussi derendre aux pays spoliés les fonds détournés par leursanciens dirigeants. La rapidité avec laquelle la Suis-se a gelé de nombreux avoirs financiers a été una-nimement saluée. Mais les gens trouvent mainte-

    Ahmed Galal, titulaired’un doctorat en éco-nomie de l’Universitéde Boston, dirige de-puis 2007 le Forumpour la recherche éco-nomique (ERF) auCaire. Auparavant, cet Égyptien avait faitpartie des organes di-rigeants de la Banquemondiale pendant 18ans. Il est l’auteur denombreux livres et pu-blications. L’ERF estun laboratoire d’idéesindépendant qui traitede questions de déve-loppement dans lespays arabes, enTurquie et en Iran. Il aété soutenu pendantplusieurs années parl’ancien Secrétariatd’État à l’éducation et à la recherche – qui faisait partie duDépartement fédéralde l’intérieur – et par la DDC.

  • Markus Kirchgessner/laif

    Denis Dailleux/VU/laif

    Un seul monde No 1 / Mars 201316

    Le chômage, problèmebrûlantUne économie en bonnesanté est cruciale pour garantir à long terme lesuccès d’une révolution.Le taux de chômage est àcet égard un critère déter-minant. En 2010, environ1,4 million d’Égyptiensétaient officiellement sansemploi, mais les chiffres officieux sont largementsupérieurs. Selon un son-dage réalisé en avril 2012,la création d’emplois figureen tête des priorités de lapopulation pour l’après-révolution. Elle est suiviepar la hausse des salaires,l’amélioration des condi-tions de travail et le renfor-cement de la sécurité dansle pays. Parmi les per-sonnes interrogées, 39%ont estimé que la créationd’emplois doit constituerl’objectif primordial de lapolitique économique.

    nant que la procédure juridique de restitutions’éternise.

    Qu’est-ce qui pourrait entraver le dévelop-pement en Afrique du Nord?La transition risque de faire long feu si les progrèspolitiques demeurent insuffisants ou si les besoinsfondamentaux de la population ne sont pas cou-verts. Or, la reconstruction politique prendra dutemps. Il faut élaborer de nouvelles constitutions,élire des parlements et former des gouvernements,cela tout en créant des emplois. Ces mesures doi-vent intervenir dans le respect du droit et jouird’une grande crédibilité, de manière à attirer lestouristes ainsi que les investisseurs et les bailleursde fonds étrangers. Les pays nord-africains doiventaussi regagner la confiance des investisseurs locaux.Les conditions actuelles sont favorables à la crois-sance économique. Toutefois, il importe de rétablirl’équilibre macroéconomique et d’accroître lescompétences de la main-d’œuvre. Le système desanté et l’éducation nécessitent des réformes, ce quiprendra également beaucoup de temps. On nepeut pas non plus laisser de côté le secteur infor-mel. Enfin, nous avons besoin d’un contrat socialqui assure les mêmes chances à tous les citoyens,rémunère le dur labeur et vient en aide aux per-sonnes défavorisées.

    Dans quelle mesure les nouveaux partis in-fluent-ils sur l’économie?Les partis tendent à défendre des stratégies écono-miques qui servent leurs intérêts et ceux de leursalliés. Les structures démocratiques contraindronttoutefois les tenants du pouvoir à pratiquer une po-litique qui bénéficie à l’ensemble de la population.Les nouveaux partis en sont conscients. Ce quimanque parfois aux dirigeants actuels, c’est l’ex-périence gouvernementale, vu qu’ils sont restés desdécennies dans l’opposition.

    Quelle est l’influence de la culture et de lareligion sur le développement ?

    Les institutions politiques sont, à n’en point dou-ter, le principal facteur de progrès. Une fois qu’ellesseront en place, le succès économique suivra. Lerisque d’un « choc des cultures » a été largementsurestimé par les observateurs internationaux. Jus-qu’ici, les Frères musulmans ont fait preuve d’ungrand pragmatisme. En Égypte et en Tunisie, ils ontdéclaré vouloir un État qui garantisse la libertéd’opinion et de religion, ainsi que l’égalité. De plus,la séparation dogmatique des confessions est moinsmarquée dans ces deux pays, où la religiosité est partradition plutôt cantonnée à la vie privée.

    Quels sont vos principaux partenaires com-merciaux?Les États-Unis et l’Europe. Nous n’avons pas de re-lations soutenues avec l’Asie, à l’exception de laTurquie : son gouvernement islamique fait d’elle unmodèle pour l’Égypte et la Tunisie. L’importancede la Russie est plus politique qu’économique. Ence qui concerne l’Europe, divers accords, proces-sus et politiques nous ont certes facilité l’accès àses marchés, mais nombre de barrières sont restéesen place. La mobilité des travailleurs est restreinteet les règles en matière d’investissement peu claires.

    Vous préconisez la libéralisation afin de sti-muler la croissance, tout en mettant en gar-de contre une répartition injuste des profits. Les inégalités sont moins profondes en Afrique duNord qu’en Amérique latine. Mais les anciens ré-gimes ont trop misé sur la croissance et pas assezsur une répartition équitable des richesses. À celas’ajoute la corruption. Il n’est donc pas surprenantque la classe moyenne ait été la première à se re-beller. À l’avenir, les gouvernements ne pourrontplus éviter de lutter contre la corruption et de pro-mouvoir l’équité. Seuls des efforts timides ont ce-pendant été entrepris dans ce sens. ■

    (Pour des raisons de production, cet entretien a été réalisé en septembre 2012; de l’anglais)

    La formation de base et continue est particulièrement importante en Afrique du Nord, où le taux de chômage est élevé.

  • Noeman AlSayyad/UNDP

    Myriam Abdelaziz/Redux/laif

    Un seul monde No 1 / Mars 2013 17

    Afrique du Nord

    Faits et chiffresLes États d’Afrique du NordLa notion d’Afrique du Nord a été créée par l’administration colo-niale française pour désigner l’espace géographique qu’ellecontrôlait. Elle ne tient pas compte des traditions locales,puisque la population autochtone a de tout temps appelé la ré-gion «Maghreb» (de l’arabe al-maghrib, « l’endroit où le soleil secouche»). Selon le sens donné aujourd’hui à cette expression,l’Afrique du Nord ne se limite pas au petit Maghreb (Maroc,Algérie et Tunisie) ou au grand Maghreb (la Libye et la Mauritanieen plus), mais englobe aussi l’Égypte et le nord du Soudan. Sur leplan politique, on rattache souvent quelques pays nord-africains,en particulier l’Égypte et la Libye, au Proche-Orient. La péninsuledu Sinaï (en partie égyptienne) se trouve géographiquement enAsie et fait partie du Proche-Orient.

    LiensLe Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD)consacre une partie de ses activités à la transition démocratique.Il fournit une aide technique et des conseils aux pays en dévelop-pement engagés dans ce processus. Il soutient notamment l’or-ganisation d’élections transparentes.www.undp.org

    Le Centre pour le contrôle démocratique des forces armées(DCAF), basé à Genève, s’occupe surtout de la politique interna-tionale de sécurité et du secteur de la sécurité des États. Il a pourmission de promouvoir les principes de bonne gouvernance et decontrôle démocratique en la matière.www.dcaf.ch

    La chaîne de télévision panarabe Al Jazeera, fondée en 1996, ason siège à Doha (Qatar). En Occident, certains la jugent anti-américaine. Dans les pays arabes, elle est considérée comme uncontrepoids aux médias contrôlés par les régimes en place.www.aljazeera.com

    L’engagement de la Suisse en Afrique du Nordwww.ddc.admin.ch, «Afrique du Nord»

    Citations«Je suis fasciné par Mohamed Bouazizi, le marchand ambu-lant dont le suicide par immolation, le 17 décembre 2010, a déclenché la révolution en Tunisie. Son acte a allumé un gigantesque incendie qui a finalement transformé tout lemonde arabe. Cet homme est le Christ des temps modernes.Il a porté sa croix et sacrifié sa vie. » Ibrahim al-Koni, écrivain libyen domicilié en Suisse

    «L’expression ‘Printemps arabe’ n’est pas très heureuse, carelle engendre une certaine impatience. Il vaudrait mieux parlerdu début de la transition dans le monde arabe, donc d’un pro-cessus qui nous occupera sans doute durant une décennie oudeux. »Volker Perthes, directeur de la Fondation Science et Politiqueà Berlin. Les changements au Moyen-Orient sont l’un de sessujets de recherche.

    De nouveaux défis pour les femmes arabes(vc) En Tunisie et en Égypte, les femmes ont d’emblée participéaux manifestations. Victimes d’une triple discrimination (poli-tique, économique et sexuelle), elles avaient toutes les raisonsde se révolter. Toutefois, il ne suffit pas de renverser un régimepour instaurer la justice et l’égalité. Aujourd’hui, les femmesarabes font face à de nouveaux défis. Alors que le parti islamistetunisien Ennahdha avait affirmé vouloir respecter pleinementleurs droits, ses premiers mois au pouvoir et la montée d’unmouvement salafiste suscitent des inquiétudes. En Égypte, laviolence envers les femmes n’a cessé d’empirer ces dernièresannées. En Syrie, les femmes ont joué initialement un rôle clédans la mobilisation politique et les manifestations. Lorsque larévolte s’est muée en guerre civile, elles ont non seulement étémises à l’écart, mais sont également devenues les cibles de violences, d’arrestations arbitraires et d’agressions sexuelles. Le Printemps arabe offrira-t-il aux femmes une nouvelle libertéou les condamnera-t-il à rester des victimes?

  • Christian Heeb/laif

    Un seul monde No 1 / Mars 201318

    HORIZONS

    Sandra Baquedano se souvient bien de ce jour dejuin 2009 où le chef de l’État fut arraché de sonsommeil par les militaires et expulsé du pays paravion. Elle se trouvait dans sa cahute en bois, per-chée sur une colline qui surplombe Tegucigalpa, etsuivait les nouvelles à la télévision sur son canapédécrépit. Cela l’avait exaspérée. Non pas qu’elle aiteu une admiration particulière pour Manuel Ze-laya : «Comme tout politicien, il promettait davan-tage que ce qu’il tenait. » Mais l’essence était bon

    marché grâce aux livraisons solidaires de pétrole duVenezuela, le salaire minimum avait nettement aug-menté et surtout, ce libéral de gauche avait été lé-gitimement élu. Les élites honduriennes l’ont trai-té de «dangereux communiste » pour le chasser desa fonction.«Ce fut comme une gifle donnée au peuple», re-marque Sandra, qui était enceinte à l’époque etn’avait pas participé avec ses voisins aux manifesta-tions de protestation. «Heureusement», dit-elle en

    « Ici au Honduras, je n’ai aucun avenir»

    Le passé récent du Honduras est marqué par un putsch poli-tique, le trafic de drogue, la violence, la pauvreté et l’exode ru-ral. Tout ce qu’il reste à beaucoup de gens, c’est l’espoir d’unavenir meilleur. Ils abandonnent leurs villages et s’établissentà la périphérie de la capitale Tegucigalpa, à la recherche d’unemploi et d’un revenu. De Sandra Weiss*.

    De nombreuses familles rurales viennent grossir les bidonvilles situés à la périphérie de Tegucigalpa, la capitale duHonduras.

  • Sandra Weiss (2)

    Un seul monde No 1 / Mars 2013 19

    Honduras

    Honduras

    El Salvador

    Nicaragua

    Guatemala

    Mexique

    Bélize Mer des Caraïbes

    Océan Pacifique

    serrant contre elle Genesis, sa fillette de trois ans.Cinq personnes sont mortes durant les journées agi-tées qui ont suivi le putsch. Les assassinats n’ont pascessé depuis lors.

    Ni électricité ni eau, mais de l’espoirIl faut une demi-heure pour se rendre du centre deTegucigalpa, bruyant et empesté par les gaz d’échap-pement, jusqu’au bidonville de Mololoa. Là, onentre dans un autre monde: des sentiers boueux tra-versent la jungle ; des cabanes moisies tiennent enéquilibre instable sur des pitons rocheux ; des ga-

    Le Honduras en bref

    NomRépublique du Honduras

    Superficie 111890 km2

    CapitaleTegucigalpa

    Population8 millions

    Âge moyen21 ans

    PauvretéEnviron 60% des habitantsvivent avec moins d’undollar par jour

    EthniesMétis : 90%Amérindiens (Chortís,Lencas, Pechs, Misquitos,Tawahkas) : 7%Afro-Honduriens (princi-palement Garífunas) etEuropéens : 3%

    Produits d’exportation Bananes, café, métauxprécieux

    mins jouent au foot sur une place poussiéreuse ; desvieilles femmes hissent sur la pente des provisionset des seaux d’eau. Aucun bus ne mène à Mololoa.Les taxis collectifs arrivent jusqu’au terrain de foot-ball, mais seulement pendant la saison sèche. C’estdans cette zone de transition anarchique entre vil-le et campagne que vit Sandra Baquedano.Elle est arrivée dans la capitale il y a quatorze ans,venant de l’arrière-pays, et a construit sa bicoquesur un terrain qui ne lui appartenait pas. Un endroit

    sans eau, sans électricité et sans rue. Comme descentaines de milliers de petits paysans, elle avait l’es-poir de trouver du travail en ville. L’exode rural aété renforcé par les conflits fonciers, le chômage etla chute des prix agricoles provoquée par les im-portations bon marché des États-Unis, qui ont sui-vi l’accord de libre-échange en 2006. Hélas, la ca-pitale n’offre pas suffisamment d’emplois pour destravailleurs agricoles sans formation. Sandra, âgée de30 ans, a tout de même trouvé un emploi à mi-temps dans une équipe de nettoyage. Son père estmaçon à la journée. Ses frères Oscar (22 ans) et Joel(28 ans), bien que titulaires – comme elle – d’unematurité, ne trouvent pas d’emploi et survivent entant que marchands ambulants. C’est le cas de 2 mil-lions de Honduriens, soit deux tiers de la popula-tion active.

    L’émigration rêvée vers les États-UnisJusqu’au milieu du 20e siècle, le Honduras expor-tait essentiellement du café, du sucre et des bananes.Il ne s’y est pas ajouté grand-chose depuis lors : jus-te un peu de légumes et des produits textiles. Lesentreprises américaines Dole et United Fruit, pro-priétaires des plantations, avaient autrefois un telpouvoir qu’elles choisissaient ou destituaient lesprésidents – d’où le terme de « république bana-nière». Dans les années 70, l’armée américaine a prisle relais de ces groupes, afin de combattre depuis leHonduras les mouvements de guérilla d’Amériquecentrale.De cette époque, il reste la base militaire américai-ne de Palmerola – convertie entre-temps en centreanti-drogue régional – et une ambassade dont lasplendeur éclipse le palais présidentiel. Seuls ceuxqui ont réussi entrent dans ce bâtiment. Les politi-ciens locaux se battent pour être reçus par l’am-bassadeur – et décrocher un visa pour les États-Unis.Un sésame impossible à obtenir pour Sandra. Rienque les frais de dossier représentent la moitié de sonrevenu mensuel qui équivaut à 230 francs suisses.Mais il lui arrive parfois de rêver à ce que serait savie aux États-Unis.Des dizaines de milliers de Honduriens entrepren-nent chaque année le périlleux voyage vers le Nord,où on peut gagner en une semaine, comme ouvrierdans l’agriculture ou le bâtiment, autant d’argentqu’en un mois au Honduras. Un cousin de Sandraa essayé deux fois. Il a été rançonné par des doua-niers corrompus, dévalisé par des brigands, il estpresque tombé du train de marchandises sur le toitduquel les migrants traversent le Mexique, avantd’être refoulé à la frontière américaine. Mais cethomme de vingt ans veut encore tenter sa chance.« Ici au Honduras, je n’ai aucun avenir », constate-t-il.

    Tegucigalpa

    Sandra Baquedano vit avec Genesis, sa fille de trois ans,dans le quartier pauvre de Mololoa.

  • Sandra Weiss

    Un seul monde No 1 / Mars 201320

    Un pays isoléLe Honduras connaît unealternance politique régu-lière entre le Parti libéral etle Parti national. Tous deuxsont des organisationsclientélistes qui permettentà l’élite du pays de semaintenir au pouvoir et depuiser dans les caisses de l’État. Le libéral ManuelZelaya avait bien lancéquelques programmes sociaux après son électionen 2006, mais sans tou-cher aux privilèges fiscauxde l’élite et au népotisme.Chefs d’entreprises, Égliseet partis ont commencé àfaire la grimace quand ils’est allié au socialiste vé-nézuélien Hugo Chavez. Ils ont encore accepté engrinçant des dents les li-vraisons de pétrole à basprix et l’adhésion à l’orga-nisation régionale de gau-che Alba. Mais lorsqueManuel Zelaya a augmentéle salaire minimum et com-mencé à lorgner vers uneréélection (interdite par laConstitution), on l’a ren-versé. Ce putsch a eu poureffet de polariser le pays,de l’isoler sur le plan inter-national et de le plongerdans une crise économique.

    Vu le taux élevé de criminalité, il est risqué de marcherdans les rues après 16 heures.

    Le taux d’homicides le plus élevé du mondeÀ Mololoa, il y a des centaines de jeunes commelui. La plupart n’ont pas suivi plus de sept ou huitannées d’école, soit parce qu’ils n’avaient pas d’ar-gent pour acheter uniformes et livres, soit parce quepersonne n’était là pour les discipliner. Trois quartsdes mères élèvent seules leurs enfants. Les pères ontpris le large depuis longtemps et rares sont ceux quipaient une pension alimentaire.«Nous avons le choix entre nous occuper de nosenfants ou assurer la subsistance de notre famille.Impossible de faire les deux», soupire Sandra. Parconséquent, les jeunes tombent dans la délinquan-ce ou le milieu de la drogue. Il vaut mieux ne passortir après 16 heures, lorsque le soleil tape moinsfort et que les jeunes voyous s’attroupent.Le Honduras est aujourd’hui le pays le plus dange-reux du monde. Nulle part ailleurs, on ne tue da-vantage : 86 homicides par 100000 habitants et paran. On assassine des enfants pour une paire de bas-kets, des chauffeurs de bus qui refusent de payer unetaxe aux racketteurs, des adolescents qui appartien-nent à un autre gang, des trafiquants de droguemembres d’un cartel ennemi et, surtout depuis lecoup d’État, nombre de syndicalistes, de leaders paysans et de journalistes.Le putsch a isolé le Honduras sur le plan interna-tional longtemps après les élections de novembre2009. Cette marginalisation a eu des effets drama-tiques sur le plan économique : les pays voisins ontdécrété un embargo, les bailleurs de fonds ont geléleur aide, le Venezuela a stoppé ses exportations de

    pétrole bon marché, ce qui a doublé le prix de l’es-sence, et des emplois ont disparu.Alors que le Honduras avait bénéficié en 2005d’une remise de dettes de la communauté interna-tionale, le gouvernement a pris de nouveaux cré-dits. Ceux-ci n’ont pas été consacrés, comme conve-nu, à la lutte contre la pauvreté, mais ont servi à cou-vrir les salaires des fonctionnaires. L’État est le pre-mier employeur du pays ; il récompense ses parti-sans politiques par des postes dans l’administration.Aujourd’hui, le Honduras est presque aussi endet-té qu’avant l’opération de désendettement et 60%de sa population vit toujours dans la pauvreté.

    Plaque tournante du trafic de cocaïneVide politique et crise économique ont profité auxcartels mexicains et colombiens de la drogue. Aucours des trois dernières années, ceux-ci ont fait duHonduras l’une des principales plaques tournantesdu trafic de cocaïne. Chaque jour, des petits avionsbourrés de drogue atterrissent et décollent sur despistes secrètes dans le nord du pays, inhabité ; desbateaux rapides accostent sur la côte caraïbe poury charger la marchandise venue d’Amérique du Sudet la transporter vers les États-Unis, le plus gros mar-ché de cocaïne du monde.Les cartels recourent à la corruption et à l’intimi-dation pour miner un État déjà faible. Des chefs dela police sont impliqués dans le crime organisé. Desmaires de zones frontalières se mettent à construi-re de somptueux monuments, tandis que l’onmanque de main-d’œuvre pour la récolte du café :le transbordement de paquets de drogue rapporteen une nuit autant que deux semaines de travail pé-nible dans les champs.Craignant de voir le Honduras sombrer entièrementdans ce trafic, les États-Unis ont renforcé leur assis-tance militaire. Mais le président conservateur Por-firio Lobo a d’autres priorités : tout en poussant sescandidats pour l’élection de novembre 2013, il rêved’un nouvel aéroport et de cités-modèles dans deszones de libre-échange. Et Sandra Baquedano? Ellerêve d’eau courante, d’une vraie maison et de voirun jour sa fille faire des études. Les politiciens ontperdu tout crédit à ses yeux. Cette colère du peuplepourrait profiter à une vieille connaissance habilléede neuf : Manuel Zelaya. L’ancien président a fon-dé un nouveau parti et désigné sa femme Xioma-ra Castro comme candidate à la présidence. ■

    *Sandra Weiss, journaliste indépendante basée à Mexico,est correspondante en Amérique latine depuis 1998. Elleécrit pour divers médias germanophones, dont «DerBund», «Die Zeit », «Die Welt » et «Der Standard».

    (De l’allemand)

  • Un seul monde No 1 / Mars 2013 21

    Honduras

    DDC

    La liberté de mouvement est fortement réduite auHonduras. Pratiquement personne ne se risque àsortir le soir et les rues sont désertes après 21 heures.Le pays détient le record mondial de la criminali-té, avec 86 homicides par 100000 habitants et paran. Tous les efforts de développement ne servirontpas à grand-chose si l’on ne parvient pas à jugulerune telle violence. C’est la raison pour laquelle cethème revêtira à l’avenir une importance centraledans notre engagement.J’habite l’unique gratte-ciel de Tegucigalpa. Demon appartement, j’accède directement au garagesouterrain – restant ainsi dans un environnementsûr. Il me suffit de quinze minutes en voiture pourrejoindre mon lieu de travail. Les bureaux de laDDC se trouvent dans la même maison que ceuxde l’Entraide protestante et de la Croix-Rougesuisse. Nous avons des échanges réguliers qui pro-fitent aux uns et aux autres.La DDC n’a qu’une petite antenne à Tegucigalpaactuellement. La plupart de nos programmes sontsuivis par le bureau de coopération pour l’Amériquecentrale, situé à Managua. Comme celui-ci assumeégalement la gestion administrative et financière, j’airelativement peu à faire au bureau. Dorénavant, nous

    allons toutefois nous occuper davantage depuis icide nos programmes au Honduras. Vu la spirale dela violence et les problèmes de sécurité, il est im-portant d’être présent sur place. Le matin, je commence par lire mes courriels. Grâ-ce au décalage de huit heures par rapport à Berne,je vois ce qui s’est passé durant la journée à la cen-trale. Aujourd’hui, je me rends ensuite à la résiden-ce de l’ambassadrice américaine, où se réunit legroupe des donateurs G-16. Nous discutons durantdeux heures des priorités fixées par le gouverne-ment pour les douze mois à venir. Le Honduras dis-pose d’un vaste système de coordination des dona-teurs, qui a été mis en place après l’ouragan Mitchet continue de bien fonctionner.Cet après-midi, je dois effectuer une visite « sur leterrain». Autrefois, cette expression signifiait quenous allions chez les paysans pour examiner leurschamps de carottes ou de maïs. Aujourd’hui, je merends dans un quartier pauvre et gangrené par laviolence. Par sécurité, je circule dans la voiture

    Objectif sécurité Le programme régional de la DDC pour l’Amériquecentrale se concentrait jus-qu’à présent sur la décen-tralisation, le développe-ment économique et l’eaupotable. La stratégie decoopération 2013-2017 yajoute un autre thème prio-ritaire : le changement cli-matique. Le Nicaragua et le Honduras ont été frap-pés à plusieurs reprises parde graves catastrophes na-turelles, une tendance quidevrait encore empirer cesprochaines années en rai-son du changement clima-tique. Au Honduras, laDDC travaille à promouvoirla sécurité par diversmoyens. Ainsi, elle soutient– en collaboration avec laBanque interaméricaine dedéveloppement – la ré-forme du secteur de la sé-curité. Elle intensifie égale-ment ses efforts pour offrirdes perspectives auxjeunes défavorisés et ren-force ses programmesconsacrés à la protectiondes droits de l’homme.www.ddc.admin.ch/ameriquecentrale www.cooperacion-suiza.admin.ch/america-central

    Une journée sur le terrain avec... Jürg Benz, coordinateur de la DDC à Tegucigalpa

    d’une organisation partenaire locale et en compa-gnie de personnes qui connaissent bien les lieux.Nous visitons un taller popular (atelier populaire), oùdes adolescents apprennent des métiers artisanaux,comme la menuiserie ou la coiffure. Dans le cadrede notre programme Pro Joven, nous soutenons desinstitutions de formation professionnelle gérées pardes associations ou par l’Église. Malheureusement,les formations dispensées ne répondent pas à la de-mande actuelle sur le marché du travail. Par consé-quent, nous nous employons à améliorer la qualitéet l’offre de ces écoles.De retour au bureau, je reçois la visite de représen-tants de la Galerie nationale des arts. Ils ont enten-du parler de notre «pour-cent culturel » et vou-draient en bénéficier pour offrir une visite au Mu-sée des Beaux-Arts à 5000 jeunes des quartiersdéfavorisés. Comme je ne crois pas à l’efficacitéd’une action isolée, cette idée ne me convainc pas.Toutefois, nous soutenons régulièrement d’autresprojets culturels, notamment des productions théâ-trales ou un festival sur la culture et les droits del’homme. Du point de vue de la politique de dé-veloppement, il est judicieux de promouvoir la cul-ture précisément dans un pays où les gens ne se ren-contrent presque plus dans l’espace public. Mêmesi ces projets ne contribuent pas directement à créerdes emplois ni à atteindre les Objectifs du Millé-naire pour le développement. ■

    (Propos recueillis par Gabriela Neuhaus)

    (De l’allemand)

    « Je ne crois pas à l’efficacité d’une action isolée. »

  • Keystone/Urs Fluueler

    Un seul monde No 1 / Mars 201322

    Honduras

    Mon nom est María del Rosario Barahona. J’ai 53ans. Je suis née dans une famille très pauvre de Nue-va Armenia, une commune rurale située au sud deTegucigalpa, la capitale du Honduras. J’ai deuxfilles, Sandy Merari (23 ans) et GreciaLizeth (19 ans). Ce sont elles qui m’ontdonné la force de me battre pour avoirune vie meilleure. Et je crois que je suisen train d’y arriver.

    Mes deux filles étudient à l’université.Cela me remplit de joie, parce que,moi-même, je n’ai pu aller à l’école quejusqu’en cinquième année primaire. Jesuis persuadée que tout un chacun peuts’en sortir à force de persévérance. C’estaussi l’avis de ma fille aînée qui a adop-té cette devise : «Dis-toi que tu peux lefaire et tu atteindras ton but. »

    Le jour où mes filles ont obtenu leurcertificat d’études, à la fin de l’école se-condaire, a été l’un des plus beaux mo-ments de ma vie. J’étais vraiment heu-reuse. Je me croyais dans un rêve, telle-ment j’avais lutté pour qu’elles puissentétudier. Il y a bien des mères qui se dé-couragent, mais moi, je me suis toujours dé-brouillée pour que mes filles puissent aller à l’éco-le. Et je ne peux pas me plaindre, car elles n’ont pasredoublé une seule fois. Au début, je me sentais seu-le et je pleurais, craignant de ne jamais y arriver.Ensuite, j’ai trouvé du réconfort auprès d’un grou-pe de mères que nous avons constitué dans la com-munauté. Nous parlions de nos problèmes et desprojets de nos enfants. Ma vie n’a jamais été faci-le. Quand j’étais enfant, ma mère est partie à Te-gucigalpa en quête d’une vie meilleure et m’a lais-sée avec ma grand-mère. Parfois, cette dernièren’avait pas de quoi nous nourrir. À 14 ans, on m’aemmenée chez mon autre grand-mère, mais son

    Le dur combat d’une mèremari était alcoolique et a voulu abuser de moi.Quand j’ai raconté à ma mère ce qui s’était passé,elle m’a reprise avec elle.

    Cela fait presque quarante ans quenous vivons dans la colonia San Fran-cisco, un quartier pauvre situé en bor-dure de la capitale. Avant, nous louionsune chambre, mais maintenant noushabitons une petite maison que m’amère avait achetée après des années delabeur. Je n’ai donc pas de loyer à payer.J’ai commencé à travailler très jeune.Au début, on ne voulait pas m’enga-ger à cause du handicap dont je souffreà la main gauche et à la jambe gauche.Quand j’ai eu mes filles, j’étais déses-pérée, car je devais subvenir à leurs be-soins et, malgré l’aide de ma mère, jene m’en sortais pas. J’ai alors acceptétoutes sortes de travaux, y compris lebalayage des rues, en échange d’un pe-tit sac de nourriture.

    Quand mes filles sont entrées à l’éco-le, je me suis mise à cuire des galettesde maïs et à les vendre. C’est de cela

    que nous vivons aujourd’hui encore. Toutefois, il ya des périodes où ce commerce ne nous rapportepresque rien. Les gens d’ici sont très pauvres et sou-vent, ils n’ont pas de quoi payer. Quand cela arri-ve, je leur fais cadeau des galettes pour ne pas devoir les jeter. Mais j’en suis peinée, car c’est lefruit de mon travail.

    Je dois investir environ huit dollars par jour et j’engagne en moyenne cinq. J’en mets deux de côtépour le transport de ma fille cadette à l’université.Avec le reste, j’essaie de couvrir nos autres frais.Bien que nous vivions dans une zone de grandedélinquance, où beaucoup de jeunes hommes netravaillent pas et forment des maras (bandes armées),nous avons de la chance, car il ne nous est jamaisrien arrivé. Mais un grand nombre de personnesqui, comme moi, tiennent un petit commerce, sontobligées de payer à ces gangs « l’impôt de guerre ».

    Peu importe les sacrifices que je dois faire. Depuisque mes filles ont reçu leur certificat d’études, j’aidécidé de les soutenir jusqu’à ce qu’elles terminentl’université. La vieillesse ne me fait pas peur, car j’aibien élevé mes filles et je sais qu’elles m’aiderontquand j’en aurai besoin. ■

    (Propos recueillis par Sandra Maribel Sanchez ; de l’espagnol)

    María del Rosario

    Barahona est une mère

    célibataire qui se dévoue

    entièrement à ses deux

    filles. Malgré son handicap

    physique, elle se bat pour

    que celles-ci puissent ter-

    miner leurs études univer-

    sitaires. Les deux jeunes

    femmes font preuve

    du même courage que

    leur mère pour affronter

    l’adversité.

  • Abdullahi Salad/Radio Ergo

    Farhan Lafole/Radio Ergo

    Un seul monde No 1 / Mars 2013 23

    DDC

    actualise également son site Internet en y ajoutantdes textes et des photos. Selon lui, l’originalité dela station tient surtout à sa thématique humanitai-re et au fait qu’elle dispose d’informations exclu-sives et fiables grâce à une équipe de journalistesprofessionnels. «Ce matériel est non seulementapprécié par les Somaliens, tant à l’intérieur du paysqu’à l’étranger », précise M. Garane, «mais aussi uti-lisé régulièrement par les organisations humani-taires. »Pour beaucoup d’habitants des régions reculées deSomalie, Radio Ergo est le seul lien avec le mon-de extérieur. Elle leur fournit de précieux conseilspratiques, par exemple sur les précautions à prendreen cas d’épidémie de choléra. Les œuvres d’entraideannoncent sur les ondes les prochaines distributionsde denrées alimentaires ou de semences. Autre exemple de la fonction vitale qu’exerce Ra-dio Ergo : lors des inondations torrentielles de l’au-tomne 2012, le pire a pu être évité grâce à la dif-fusion sur ondes courtes d’une alerte météo, com-plétée par des reportages sur les mesures à prendrepour éviter une aggravation de la situation. ■

    (De l’allemand)

    Un pont vers le monde extérieurAlerte en cas de crue, conduite à adopter face au choléra ousituation désespérée dans un camp de réfugiés. Toutes les in-formations de Radio Ergo portent sur des questions humani-taires. Les programmes quotidiens de cette station unique enson genre couvrent l’ensemble du territoire de la Somalie. Ilsdonnent la parole à des gens qui n’ont jamais voix au chapitre.

    Des émissions pour les réfugiésDepuis 2008, Radio Ergodiffuse quotidiennementsur ondes courtes un pro-gramme humanitaire d’uneheure qui commence à8h30. Ces émissions cou-vrent tout le territoire natio-nal ainsi que les régionsfrontalières voisines où vi-vent de nombreux réfugiéssomaliens. On peut aussiles entendre et découvrirdes informations plus dé-taillées sur le site Internetde la station, accessiblepartout dans le monde. Ceprojet a été mis sur pied etfinancé à l’origine par leBureau de la coordinationdes affaires humanitairesde l’ONU, dans le cadre deson engagement en faveurde Réseaux d’informationrégionaux intégrés (Irin).Depuis juin 2011, RadioErgo poursuit son travailsous l’égide de l’organisa-tion danoise InternationalMedia Support. La DDC lui verse 200000 francspar an, contribuant ainsi àla protection des victimesde conflits et de catas-trophes dans l’un descontextes les plus fragilesdu monde.www.radioergo.org/so

    (gn) «Naturellement que j’ai peur », avoue Abdi-aziz Abdinur Ibrahim. Le journalisme est un mé-tier dangereux dans son pays. Néanmoins, ce jeu-ne Somalien est bien décidé à rester : « Si je m’enallais, il n’y aurait plus personne pour donner la parole à mes concitoyens. » Actuellement, M. Ab-dinur fait des recherches sur le système de santédans les régions de Bay et de Bakool, au sud dupays. Durant la grande crise alimentaire de 2011,il est allé interroger les réfugiés vivant dans descamps. Ces gens ont décrit leur situation et expri-mé leurs besoins. «D’autres radios ne font que parler de la guerre et des questions de sécurité enSomalie », note ce journaliste engagé. «Avec mesreportages, je peux rendre publics les aspects so-ciaux que cela recouvre et tendre mon micro auxpersonnes que l’on n’écoute jamais. »Abdiaziz Abdinur Ibrahim est l’un des vingt jour-nalistes libres qui travaillent régulièrement pourRadio Ergo. Il envoie la version définitive de sesreportages à la centrale de diffusion, basée à Nai-robi.

    Authentique et fiable«Radio Ergo est unique en son genre», assure leproducteur Mohamed Garane qui compose lesémissions quotidiennes en mêlant actualités, infor-mations de service et reportages. Chaque jour, il

    De leurs reportages dans des camps de réfugiés ou des zones inondées, les journalistes de Radio Ergo rapportent également des textes et des photos.

  • Beat Kehrer

    Un seul monde No 1 / Mars 201324

    ( jls) Les distances limitent fortement l’accès auxsoins de la population rurale de Mongolie, com-posée principalement d’éleveurs nomades. Il exis-te un hôpital dans chacun des 21 aïmags (provin-ces). Pour s’y rendre, les malades doivent souventparcourir plusieurs centaines de kilomètres, certainsaïmags étant trois ou quatre fois plus grands que laSuisse. L’équipement est rudimentaire et le per-sonnel peu expérimenté, car le gouvernement af-fecte les jeunes médecins en province. « Face à un cas compliqué, ces praticiens sontdésemparés. Faute de pouvoir consulter des spé-cialistes, ils envoient le patient vers Oulan-Bator,la capitale. Mais c’est un trajet long, coûteux et ex-trêmement pénible pour les malades », explique ledocteur Beat Kehrer, chef du Swiss Surgical Team

    Le bon diagnostic dans les steppes via InternetDans un pays aussi vaste que la Mongolie, les médecins deszones rurales sont très isolés et souvent dépourvus face à descas difficiles. Avec l’appui de la DDC, des chirurgiens suissesont établi un système de télémédecine pour les aider à poserun bon diagnostic et à prendre certaines décisions cliniques.Les 21 hôpitaux provinciaux sont désormais reliés par Internetà ceux de la capitale.

    (SST), une organisation active depuis treize ans enMongolie. La ville d’Ölgii par exemple, chef-lieud’un aïmag situé à l’ouest du pays, se trouve à 1636km d’Oulan-Bator. Il faut compter trois à quatrejours de voyage dans des bus bondés et sur desroutes non goudronnées.

    Échanges entre experts et non-experts«Nous nous sommes demandé comment romprel’isolement de nos jeunes confrères mongols etavons conclu que la télémédecine était la meilleu-re solution», se souvient le chirurgien saint-gallois.Sur mandat du SST, l’entreprise allemande Klug-hammer a mis au point le système de téléméde-cine MonTelNet à partir d’un logiciel développépar le Département de pathologie de l’Hôpital uni-

    Des chirurgienssuisses «en vacances»Le Swiss Surgical Team(SST) a été fondé en1999 par le docteurPierre Tschanz, aujour-d’hui décédé. Lors d’unvoyage en Mongolie, cechirurgien romand avaitété frappé par les besoinscriants en matériel médi-cal et en formation conti-nue dans les zones ru-rales. À son retour, il aréuni quelques confrèressuisses prêts à aider cepays. Le SST compte au-jourd’hui trente membres :des chirurgiens, maisaussi des anesthésistes,des gynécologues, despathologistes, des infir-miers, etc. Chaque an-née, ces professionnelspassent trois semaines enMongolie pendant leursvacances à titre bénévole.Ils donnent des confé-rences, conseillent lespraticiens locaux et lesassistent pendant lesopérations. Le SST four-nit également des équipe-ments médicaux. Parailleurs, il reçoit régulière-ment de jeunes médecinsmongols, au bénéficed’une bourse de laConfédération, qui fontdes stages de six moisdans des hôpitauxsuisses. www.swiss-surgical-team.org

    Sainshand, chef-lieu de la province mongole de Dornogobi, se trouve dans le désert de Gobi, à 470 km de la capitale.

  • Beat Kehrer

    25Un seul monde No 1 / Mars 2013

    Une solution pour lesrégions isoléesLa télémédecine est en-core peu courante dansles pays en développe-ment ou en transition, notamment en raison ducoût élevé des équipe-ments nécessaires. LaMongolie est l’un des pre-miers pays où un réseaufonctionne à l’échelle nationale. La plate-formeCampusMedicus, conçuepour répondre aux besoinsspécifiques des médecinsmongols, a toutefois sus-cité ces dernières annéesl’intérêt d’autres paysconfrontés au même typede problèmes. Elle est utili-sée notamment en Arménie,au Zimbabwe, en Éthiopie,en Tanzanie, au Nigeria, au Malawi et au Pakistan.Plusieurs dizaines de spécialistes, à travers lemonde, sont raccordés àcette plate-forme.

    versitaire de Bâle. Elle a créé une plate-forme in-teractive sur Internet, appelée CampusMedicus, quipermet des échanges d’images, des discussions etdes conférences à distance entre professionnels dela santé. L’implantation du système a démarré enmai 2008. La DDC finance les deux tiers du projet. Tous leshôpitaux provinciaux et sept cliniques spécialiséesde la capitale ont été raccordés progressivement àCampusMedicus, dont le centre se trouve à l’Uni-versité mongole des sciences de la santé. Klug-hammer a livré aux hôpitaux des aïmags tout le ma-tériel nécessaire, à savoir des ordinateurs, des écranset divers appareils destinés à transmettre par Inter-net des photos de patients ou des résultats d’exa-mens. Cela inclut une caméra vidéo, un microsco-pe relié à un appareil de photo numérique et unlogiciel permettant de numériser les clichés radio-logiques.

    L’avis des spécialistes en quinze minutesLe praticien local envoie par exemple sur la plate-forme l’image d’un tissu tumoral grossi au micro-scope ou la radiographie d’une fracture. Après avoirexaminé ces photos, les experts d’Oulan-Bator po-sent un diagnostic et décrivent le traitement oul’intervention chirurgicale à entreprendre. Leurscommentaires sont disponibles quinze minutes plustard sur CampusMedicus.Si ces experts ont des doutes, ils peuvent à leur tourconsulter des spécialistes internationaux. Lesmembres du SST et un nombre croissant d’autresmédecins à travers le monde sont en effet raccor-dés au système. Qu’ils soient basés en Suisse, en Al-lemagne ou aux États-Unis, tous peuvent vision-ner les mêmes photos, séquences vidéo ou docu-ments. Ils donnent leur avis par des notes écrites oupar téléconférence.Depuis début 2009, près de 25000 dossiers de pa-tients ont déjà été examinés. Environ 290 méde-cins mongols utilisent ce système qui a nettementamélioré l’accès aux soins dans les zones rurales.Par ailleurs, le nombre de transferts vers Oulan-Bator a diminué de presque 50%, ce qui représenteun important gain de temps et d’argent pour lesmalades.

    Dysplasies détectées à 7000 kmGrâce à la télémédecine, la Mongolie a commen-cé à dépister la dysplasie de la hanche. Cette mal-formation congénitale est facile à traiter si on la dé-tecte chez le nouveau-né, alors qu’à un âge plusavancé, elle nécessite une opération délicate. En2011, les hôpitaux d’Oulan-Bator ont examiné prèsde 9000 bébés, dont environ 1300 présentaient desanomalies. Au début, les pédiatres mongols ont sou-

    Des médecins d’hôpitaux de province se forment à la télémédecine.

    mis les images des échographies à leurs confrèressuisses. Peu à peu, ils ont appris à les interprétereux-mêmes. La petite Anujin fait partie des 1300 bébés chez les-quels l’examen aux ultrasons a révélé un problè-me. Les médecins ont pu la soigner et aujourd’hui,ses hanches sont parfaitement normales. Ce fut unimmense soulagement pour sa maman, MmeAmar-jargal. Cette jeune femme d’Oulan-Bator souffred’une dysplasie, comme sa propre mère d’ailleurs,et elle craignait beaucoup de la transmettre à sonenfant.

    Un système bientôt en mains mongoles Le téléenseignement est une autre application cléde CampusMedicus. Il se pratique par le biais devidéoconférences, de séminaires virtuels ou detextes écrits. Des experts du monde entier dispen-sent ainsi des cours aux médecins de province, sup-pléant à l’absence de toute possibilité de formationcontinue dans les zones rurales. En juin 2013, la DDC et le SST mettront un ter-me à leur projet. Ils transféreront le système Mon-TelNet au ministère mongol de la santé. D’ici là,même les dispensaires des villages auront été rac-cordés. «Notre but n’est pas de rester indéfiniment.Nous avons construit l’édifice de la télémédecineet formé les utilisateurs. Les médecins mongols sontparfaitement capables de le gérer et de l’entrete-nir », assure le docteur Kehrer. Les membres du SSTcontinueront à donner des avis médicaux, mais sim-plement en tant qu’utilisateurs de la plate-forme.■

  • Paule Seux/hemis.fr/laif

    Un seul monde No 1 / Mars 201326

    DDC interne

    Sans sécurité, pas de développement( jtm) Au Honduras, le taux an-nuel d’homicides a doublé encinq ans et atteint aujourd’huiun record mondial : 86 mortspour 100000 habitants. Enplus de son coût en vies hu-maines, cette violence entravele développement. Contraire-ment à la tendance généraledans le reste de l’Amérique la-tine, la pauvreté ne diminuepas et la croissance est faible.La DDC réagit à cette situationdésastreuse par des effortsaccrus dans la prévention dela violence. Son nouveau pro-gramme de sécurité est centrésur une réforme complète dela police hondurienne, minéepar la corruption. Le but estde débarrasser cette institu-tion de ses éléments criminelset de la former à des tâchespréventives afin qu’elle ne selimite plus à la répression. Laréforme, qui commence en2013, durera plusieurs an-nées. Elle est soutenue par le gouvernement hondurien.Un système de contrôle et de sanctions sera instauré ausein de la police. Un autre volet important consistera àmettre en œuvre des plans deprévention dans les villes lesplus touchées par la violence. Durée du projet : 2012 – 2015Volume : 7 millions CHF

    Les traumatismes de laguerre en Bosnie(mpe) Les guerres ne causentpas seulement des pertes envies humaines, des blessures

    physiques et des dégâts ma-tériels aux infrastructures.Elles affectent aussi les indivi-dus dans leur santé mentale.Ce phénomène a des consé-quences sociales majeures enBosnie, où une large propor-tion de la population souffrede troubles traumatiques. Il enrésulte un taux anormalementélevé de suicides, d’homi-cides et de violences perpé-trées par des individus désé-quilibrés. Or, le pays n’est pasen mesure actuellement d’as-surer les traitements que cescriminels particuliers nécessi-tent quand ils sont incarcérés.En collaboration avec leSecrétariat d’État à l’écono-mie (Seco), la DDC a décidéde soutenir la mise en placed’un institut de psychiatrie lé-gale à Sokolac, dans laRépublique serbe de Bosnie.Quelque 200 prisonniers pour-ront ainsi bénéficier d’un suivipsychologique approprié.C’est la première fois que l’ons’attaque à ce phénomène enBosnie. La Suisse a déjà ac-quis une large expérience enmatière de santé mentaledans ce pays, où plusieursprojets sont toujours en cours.Durée du projet : 2012 – 2013Volume : 1,34 million CHF

    Donner une seconde chanceaux jeunes Nigériens(bm) En dépit des progrès réa-lisés jusqu’ici, l’accès à l’édu-cation reste problématique auNiger. Dans ce pays à fortecroissance démographique

    (3,3% par an)