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UN

PETIT TOUR

DE MAGIE ?

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AVERTISSEMENT

Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez

obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui

gère ses droits. Cela peut être la SACD pour la France, la SABAM pour la Belgique, la SSA

pour la Suisse, la SACD Canada pour le Canada ou d'autres organismes. A vous de voir avec

l'auteur et/ou sur la fiche de présentation du texte.

Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la

représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe.

Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au

respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues et les droits

payés, même a posteriori.

Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit

s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer.

Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et

pour la structure de représentation.

Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes

amateurs.

Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours

profiter de nouveaux textes.

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ACTE UN

Une pièce sobre au centre de laquelle se trouve une caisse en forme de parallélépipède, pouvant

contenir un être humain. Caisse destinée à accueillir un volontaire pour servir de cobaye lors d’un tour

de magie. Trois femmes sont présentes à l’ouverture du rideau. Elles semblent faire des exercices

respiratoires. Elles portent des tenues de grand couturier témoignant ainsi d’une classe sociale

bourgeoise. Des tailleurs et des chaussures à talons seraient l’idéal. Rendant ainsi moins aisé chaque

mouvement.

Margaux : Inspiration maximum, relâchement… Inspiration, relâchement… Et maintenant, effeuillage

libérateur !

Elles effectuent simultanément un mouvement qui montre clairement qu’elles simulent un

déshabillage. Elles retirent pour commencer, le haut, puis le bas et finissent leur exercice par un

piétinement des vêtements virtuels dont elles viennent de se débarrasser.

Margaux : Comment vous sentez-vous ?

Adèle : Nettement mieux !

Margaux : Et maintenant, mesdames, au travail !

Eva : Le mot est pittoresque !

Adèle : Lequel ?

Eva : Le mot « Travail »

Adèle : Il est vrai que cette expérience extravagante nous éloigne singulièrement de nos habitudes

quotidiennes.

Margaux : Avons-nous à rougir de notre oisiveté ?

Adèle : Certes, non !

Eva : J’ai parfois un peu de scrupules.

Adèle et Margaux se figent.

Adèle et Margaux : Vous ?

Eva : Oui, moi…

Margaux : (Subjuguée) Des… scrupules ?

Eva : Mais ça ne dure pas !

Adèle : (Rassurée.) Ah !

Margaux : Vous nous rassurez !

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Eva : Sommes-nous forcées, Margaux, de nous livrer à cette parade grotesque ?

Margaux : Nous nous sommes engagées, Eva !

Eva : Cet engagement est postérieur à l’événement qui nous a ridiculisées !

Margaux : Une promesse est une promesse, y revenir serait indigne de nous !

Adèle : Et puis cette aventure pourrait présenter un côté amusant, non ?

Eva : Si vous le dites.

Margaux : Allons, mesdames, préparons-nous, Adèle, votre costume !

Eva extrait un hamburger de son sac et le déguste en se plaçant derrière la boîte de magicien et en

étalant une serviette sur ses genoux. Elle rajoute du ketchup. Un petit flacon qu’elle sort de son sac

également. Margaux va chercher un petit tabouret sur lequel poser sa scie et les objets nécessaires à

ce tour de magie. Tour de magie consistant à scier une femme en deux.

Margaux : Comment pouvez-vous ingurgiter cette nourriture grossièrement populaire, Eva ?

Eva : Une de mes faiblesses Margaux, il y a des jours où l’envie d’être esclave du plaisir gustatif

primaire est plus forte que les préceptes que la raison nous impose !

Margaux : J’explique plutôt cette petite débauche ponctuelle par un soupçon de nervosité !

Eva : Vous trouvez qu’il n’y a pas de quoi ?

Margaux : Dites-vous que ce monstre à mérité son sort !

Eva : Bien sûr, bien sûr !… Mais il ne suffit pas de se le répéter pour… N’avez-vous pas aussi des

moments de… Fragilité, Margaux ?

Margaux : Jamais ! Ou si peu… (Passage bref de mélancolie.) Et dire que je l’ai aimé ! Rustre !

Eva : Je l’ai aimé également Margaux.

Margaux : Certes, mais j’ai été la première.

Eva : Qu’est-ce que cela change ? Il vous a trompé avec Adèle avant de m’ajouter à sa liste, je ne vois

guère où est la différence ?

Margaux : L’affront est plus ignoble lorsque vous êtes en tête de liste.

Eva : Alors, selon vous, la position est un paramètre qui tempère l’affront ?

Adèle revient de la coulisse en tutu. Margaux et Eva la regardent éberluées.

Adèle : Qu’en dites-vous ?

Elle fait quelques pas pour se montrer sous toutes les coutures.

Adèle : Bien conservé, n’est-ce pas ?!

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Eva : Vous parlez de quoi ?

Adèle : Du costume, voyons !

Elle fait à nouveau quelques pas pour se mettre en valeur.

Adèle : C’est mon costume de petit rat lorsque j’étais élève à l’opéra… J’ai un peu forci mais,

heureusement, il est élastique !

Margaux : Très élastique !

Adèle : Ne soyez pas blessante !

Margaux : Fort bien, mais que vient faire ce costume dans notre numéro de magie ?

Adèle : Il y a tellement longtemps que j’attendais une occasion de porter à nouveau cette tenue !

Eva : Vous comptez jouer l’assistante en tutu ?

Adèle : Je pensais qu’une pointe d’originalité ne pouvait pas nuire.

Margaux : A propos de pointe, avez-vous les chaussons qui vont avec ?

Adèle : Evidemment !

Eva : Ridicule !

Adèle : Je vous en prie, Eva !

Eva : Je donne mon sentiment, rien de plus.

Adèle : Vous pourriez tout aussi bien le garder pour vous !

Margaux : S’il vous plaît, mesdames !... Si vous parvenez encore à faire des pointes, Adèle, nous

pouvons peut-être sauver l’honneur.

Adèle : Je ne vous promets rien.

Eva : Nous ne nous sommes pas encore baptisées !

Margaux : Est-ce si important ?

Eva : Un nom de scène est primordial Margaux ! De plus, je vous rappelle que c’est moi qui suis

chargée de vous annoncer !

Margaux : Nous y réfléchirons, approchez que je vous explique le subterfuge de ce numéro.

Elles prennent place autour de la boîte.

Quand vous aurez pris place à l’intérieur, Adèle, vous introduirez votre tête dans l’ouverture, ici, et il

vous suffira ensuite de replier les genoux sur votre poitrine.

Adèle : C’est un mouvement de contorsionniste.

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Margaux : Vous nous avez assez rebattu les oreilles avec votre passé de danseuse !

Adèle : Deux années de danse, ce n’est pas… D’autant plus que j’étais souvent absente…

Eva : Cette tâche n’est plus à votre portée, Adèle ?

Adèle : Je n’ai rien dit de tel ! Il faudra juste que j’exécute quelques mouvements d’échauffement !

Rien n’est impossible.

Margaux : Une fois que vous aurez adopté cette position, je refermerai le couvercle et vous agirez sur

les deux manettes ici présentes. Celles-ci actionnent les faux pieds que l’on chaussera de chaussons

identiques aux vôtres. Ainsi le public sera bluffé lorsque je scierai la boîte en deux et que nous

séparerons, avec Eva, par le centre, les deux parties de celle-ci.

Adèle : Il n’y a vraiment aucun risque ?

Margaux : Absolument aucun !

Eva : Vous hésitez, Adèle ?

Adèle : Je m’informe !

Margaux : Si vous voulez bien, commençons !

Elles se mettent en place.

Eva : Mesdames, mesdemoiselles, messieurs ! Vous allez assister ce soir à un numéro de

prestidigitation unique au monde !

Margaux : N’en faites pas trop quand même, Eva !

Eva : Je rends l’événement plus spectaculaire, Margaux ! (Elle reprend sa présentation) Une femme

sera coupée en morceaux devant vos yeux sans le moindre trucage ! Il vous faudra avoir le cœur bien

accroché et les nerfs solides ! Je vous demande maintenant une salve d’applaudissements pour les

actrices de ce numéro exceptionnel, j’ai nommé, le trio « Les mantes religieuses »

Adèle : Qu’avez-vous dit ?... Margaux, ce n’est pas possible, c’est de la provocation !

Margaux : Adèle a raison, « Les mantes religieuses » n’est pas…

Eva : Personne ne pourra faire la relation, allons ! Un peu d’audace, mesdames !...

Adèle : Avec un tel nom de scène, nous signons notre forfait !

Margaux : Nous en débattrons plus tard, poursuivons !

Eva met la musique d’ambiance pendant que Margaux montre la boîte au public et invite Adèle à y

entrer. Elle referme le couvercle et avec une clef, verrouille la boîte. Elle jette ensuite la clef par-dessus

son épaule pour donner, sans doute, plus de panache au numéro. Eva, par des gestes déliés et

démonstratifs sur une petite danse ridicule, ponctue chaque mouvement de Margaux qui saisit

maintenant la scie, et la manipule de manière artistique afin de démontrer au public l’absence totale

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de trucage. Puis, en souriant, elle se met à scier la boîte en deux. Soudain, elle se fige et semble

inquiète. Eva s’en rend compte.

Margaux : Oh mon Dieu !

Eva : Quelque chose ne va pas Margaux ?

Margaux : (Se rapprochant d’Eva) J’ai souillé mes chaussures Chanel…

Eva vient à sa rencontre.

Eva : Ah oui, effectivement, c’est ennuyeux !

Adèle : Que se passe-t-il ?

Margaux : Rien de grave, j’ai juste tâché une de mes chaussures.

Adèle : Vos Chanel ? C’est ennuyeux, non ?

Margaux : Aucune chaussure n’est irremplaçable, mais…

Eva : On dirait du…

Margaux : Du ?

Eva : Une tâche brune à proximité d’une scie…

Adèle : Que dites-vous ?

Margaux : Pensez-vous que je me sois blessée ? (Elle scrute ses mains, palpe son visage…)

Adèle, dans une position inconfortable, tente d’en savoir un peu plus.

Adèle : Vous vous êtes blessée, Margaux ?

Margaux : Peut-être !

Adèle : Peut-être ?!... Vous ne savez pas si vous êtes blessée ?

Eva : Ce n’est peut-être pas elle.

Adèle : Pas elle ?... Qui alors ?

Eva : Si nous procédons par élimination.

Margaux : Vous, vous ne sentez rien d’anormal, Adèle ?

Adèle : Rien d’anormal ? Que voulez-vous dire ?

Eva : Margaux ne semble pas blessé et pourtant quelqu’un saigne.

Adèle : C’est peut-être vous, Eva !

Eva : Aucune trace de sang sur mes vêtements, non, je crains que ce ne soit pas moi.

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Adèle : Alors qui saigne ?

Margaux : Eh bien, il ne reste qu’une seule possibilité.

Adèle : Que voulez-vous… Ce serait moi ?!...

Eva : J’en ai bien peur.

Adèle : Ouvrez cette boîte immédiatement !!!

Eva : Vous ne ressentez vraiment aucune douleur nulle part ?

Adèle : Non, aucune !...Ouvrez cette maudite boîte !!

Eva : Ouvrez Margaux.

Margaux : La clef est quelque part par là (Elle s’éloigne vers le fond pour chercher la clef qu’elle a

jetée quelques secondes plus tôt.)

Eva : Parfois une coupure profonde ne précède la douleur que de quelques secondes, vous ne

ressentez toujours rien, Adèle ?

Adèle : Mais non, Eva, je viens de vous le dire !!!

Eva : Dans le doute, ne vous agitez pas !

Adèle : Mais puisque je vous dis que je ne ressens aucune douleur !

Eva : Pourquoi vous agiter, alors ?

Adèle : J’étouffe !

Eva : Respirer profondément.

Adèle : Vous croyez que je vais accoucher ?! J’angoisse, Eva !!

Eva : Votre blessure pourrait s’agrandir !

Adèle : Quelle blessure ? Comment voulez-vous que je sois blessée si je ne ressens pas la moindre

douleur ?!!!

Eva : Sait-on jamais ! Il y a tellement de phénomènes étranges dans ce domaine ! Tenez, une jambe

sectionnée par un requin, ou un bras à une portière emporté par une voiture roulant à vive allure en

sens inverse… les chocs sont si violents que le corps ne réagit pas instantanément !

Adèle : Je vous remercie de ces exemples rassurants, Eva !

Eva : Mon intention n’avait qu’un but informatif !

Adèle : Cela fait plus de 2 minutes, nous pouvons maintenant écarter la blessure profonde !

Eva : Vous êtes peut-être un cas unique, Adèle !

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Margaux : Eva, venez m’aider, je ne sais plus où a atterri cette satanée clef !!

Adèle : Mais enfin, pourquoi l’avoir jetée, cette clef, Margaux ?

Margaux : Je n’en ai aucune idée ! Je me suis sans doute laissée emporter par mon enthousiasme,

Eva, un réflexe stupide, je vous l’accorde.

Eva : Jouer les saltimbanques m’a grisée également, Adèle ! C’est si pittoresque !

Adèle : Pittoresque ou pas, je suis peut-être en train de me vider de mon sang pendant que vos sens

s’exaltent !

Eva : L’hypothèse de la blessure a fait son chemin à ce que je vois !

Adèle : A force de me le répéter, j’ai un sérieux doute !

Eva : Ayez confiance, Adèle ! De plus, l’hémorragie semble régresser !

Adèle : Que dites-vous ?

Eva : L’écoulement s’est réduit.

Adèle : Mon corps s’est vidé de tout son sang, alors ?

Eva : Ne dites pas de sottises !

Margaux : La voilà !!

Elle s’empresse d’ouvrir. Une fois la boîte ouverte, Adèle en sort précipitamment.

Adèle : Mon tutu est tâché de sang, mon Dieu !

Eva : Montrez.

Pendant ce temps, Margaux se penche à l’intérieur et en retire un flacon de ketchup vide.

Margaux : Ne cherchez plus.

Elle tient le flacon assez haut pour que tout le monde puisse le voir.

Eva : Oh ! C’est mon Ketchup !

Les regards se dirigent vers Eva.

J’ai dû le poser par inadvertance dans la boîte tout à l’heure…

Ils deviennent insistants.

Un moment de distraction ! …Vous pouvez comprendre un moment de distraction tout de même,

mesdames ? … Mes excuses les plus plates, voilà !... (Les regards sont toujours sur elle.) Eh bien !... Je

me suis excusée !... J’ai saisi, je prends à ma charge le pressing pour votre tutu, Adèle, et je

m’engage également à remplacer vos Chanel, Margaux, cela va de soi !

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Margaux : Oh je vous en prie, Eva !

Eva : J’y tiens !

Margaux : J’ai un petit maître cordonnier pour chaussures de luxe à deux pas de ma propriété qui,

pour quelques centaines d’euros, leur rendra leur lustre d’origine !

Eva : Vous cherchez à m’offenser, Margaux, ne m’ôtez pas, s’il vous plaît, l’opportunité de réparer

cette humiliante bévue !

Margaux : Si vous insistez !

Adèle : Toujours est-il mesdames, que ces petits incidents ne sont pas le fruit du hasard !

Margaux : Que voulez-vous dire, Adèle ?

Adèle : J’entends par là qu’une ombre macabre plane sur nous et nos actes récents, une ombre qui

risque d’affecter nos fragiles esprits !

Eva : Elle a raison !

Margaux : Je le crois aussi… Il est temps de distancer de nouveau ce fléau et de nous soulager !

Mesdames, en position !

Elles s’avancent et réalisent le mouvement effectué en début de pièce.

Déshabillons-nous de nos mauvaises consciences… Inspiration, expiration et maintenant ! Le haut !

(Elles retirent un haut virtuel en réalisant un mouvement synchronisé et le jettent au sol)

Puis le bas !!

(Elles retirent un bas, toujours virtuel, et le jette également au sol)

Et maintenant la phase d’expulsion et de libération !!

(Elles piétinent les vêtements virtuels avec vigueur et émettant un petit cri de rage)

Margaux : Vous sentez-vous mieux ?

Eva : Oui !!

(Margaux, placée au centre du groupe, se tourne vers Adèle)

Adèle : Oh que oui !!

Margaux : Efficace !

Eva : Très efficace !

Adèle : Je dirais même surprenant d’efficacité !

Margaux : Aucune image néfaste ne vous habite plus ?

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Eva : Aucune !

Adèle : Aucune !... A part…

Margaux : A part ?!

Adèle : Je ne parviens pas me débarrasser de…

Eva : De ?

Adèle : Celle de Gér… Puis-je prononcer son prénom ?

Margaux : S’il n’évoque en vous que répulsion et dédain, oui !

Adèle : Celle de Gérôme au fond d’un bouillonnant fleuve, parmi les algues sauvages, flottant au gré

du courant comme un pantin désarticulé.

Eva : Notre cher Gérôme, retenu dans le lit de ce cours d’eau par une funeste laisse, comme un

animal dompté et aujourd’hui inoffensif.

Margaux : Brrr, j’en ai la chair de poule !

Adèle : Je le hais ! Je le maudis de tout mon être !

Eva : Ma haine est aussi forte que la vôtre, je l’exècre comme… un céleri poisseux !

Margaux : Que dites-vous ?

Eva : Comme un céleri poisseux ! … Je déteste le céleri… Et alors quand il est poisseux, n’en parlons

pas !…

(Elle remarque l’air éberlué des deux autres)… Je me comprends !

Eva : Et je le vomis aussi comme un aliment avarié, comme un âcre mollusque !

Adèle : Et moi, je l’abhorre Comme…

Margaux : Mesdames, mesdames ! Ne nous laissons pas gagner par la vindicte ! Du sang froid, de la

dignité !

Adèle : Vous venez de dire qu’il devait évoquer répulsion et dédain en nous, Margaux !

Margaux : Certes, mais il n’est pas nécessaire de laisser la colère nous envahir !... Avez-vous d’autres

images présentes ?

Eva : J’entends encore le son étrange que fit son crâne lorsque vous l’avez frappé avec votre gourdin,

Margaux !

Margaux : Une batte.

Eva : Pardon ?

Margaux : Une batte, c’était une batte de base-ball !

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Adèle : Le base-ball est un jeu américain qui consiste à envoyer une balle le plus loin possible à l’aide

de cette fameuse batte pour laisser le temps à un coéquipier de faire un parcours déterminé au

préalable et le boucler avant qu’un joueur de l’équipe adverse puisse rapatrier ladite balle à son

point de départ.

Margaux : Merci de cette précision Adèle !

Adèle : J’ai jugé utile d’ajouter cette information pour faire comprendre à Eva que le gourdin est un

objet d’une grossièreté notoire pendant que la batte demeure un article plus subtile, d’une forme

plus élégante, faite d’un bois plus noble et dont l’emploi, à l’origine ludique, peut offrir, à l’occasion,

la possibilité de rendre des services plus… Définitifs !

Eva : (Reprenant son hamburger pour y croquer délicatement après avoir étalé une serviette sur ses

genoux.)

Margaux : Toutes ces matières grasses sont nuisibles, Eva !

Eva : J’en suis consciente, je vous remercie Margaux ! C’est ma façon à moi de calmer mes nerfs.

Adèle : Très jolie, cette serviette.

Eva : C’est une Hermès, petit cadeau de bienvenue dans la maison.

Adèle : Très fin ! Les petites broderies ajoutent à son charme, c’est de la soie française, n’est-ce pas ?

Eva : Cela va de soi.

Elles sourient au jeu de mots.

Il s’agit tout de même d’une Hermès, Adèle !

Adèle : Oh, vous savez, les confections de luxe ne sont plus ce qu’elles étaient, les grandes maisons

exportent leurs productions en Chine de nos jours !

Eva : Je n’en crois pas un mot !

Adèle : Je n’en ai pas la preuve formelle, mais mes camarades de bridge pourraient vous livrer

quelques secrets gratinés à ce sujet !

Eva : En Chine, Hermès ! Comment est-ce possible ?!!

Adèle : J’en suis restée stupéfaite tout comme vous, Eva ! Et ils en produisent eux-mêmes, m’a-t-on

dit !

Eva : De la soie ?!

Adèle : De la soie, Eva, oui !

Eva : Les chinois ? Vous êtes très drôle Adèle !

Adèle : C’est ce qu’on ma affirmé, oui !

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Eva : Et vous avez gobé cette énormité ?

Adèle : A vrai dire, tout comme vous, j’ai eu, d’emblé, un petit doute !

Eva : On s’est moqué de vous, Adèle, cela me paraît évident !

Margaux : Je dois vous faire un aveu… Il m’arrive aussi de revoir son visage dans mes rêves.

Adèle et Eva se tournent vers Margaux.

Adèle : Vous, Margaux ?!

Margaux : Moi, oui !... Cela vous étonne ?

Eva : (Après un regard sur Adèle.) Venant de vous, un peu, Margaux !

Margaux : Mais enfin, me prendriez-vous pour un monstre ?

Adèle : Nous n’avons nullement laissé entendre une telle chose !!

Margaux : Je suis un être capable d’humanité tout comme vous, un être avec ses forces et ses failles !

Eva : Nous n’en doutons pas une seconde !

Adèle : Plutôt que « Failles » N’utilise-t-on pas le mot faiblesse ?

Margaux : Pardon ?

Adèle : Dans cette expression, le mot « failles » pour l’assonance, n’est-il pas… (Voyant le visage

interrogatif de ses camarades.) … C’est sans importance !... Vous disiez ?

Margaux : Rien.

Eva : Mais si, vous nous avez avoué que son visage était présent dans vos rêves, Margaux !

Margaux : Ah oui… Oui… Bien sûr… (Embarrassée.) Il avait quand même quelques qualités,

reconnaissons-le !

Adèle : Qui ?

Eva : Eh bien… !!!

Margaux : Lui !

Adèle : Ah oui !... Oui, oui, c’est incontestable.

Eva : Vous ne prononcez plus son prénom, Margaux ?

Margaux : Je préfère m’en abstenir pour ne pas risquer l’attendrissement.

Adèle : Sa manière d’embrasser était divine.

Margaux : Hummmm ! Et ses lèvres !

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Eva : il les frottait d’un mouvement qui semblait désordonné, au prime abord, mais qui résultait d’un

mécanisme diabolique destiné à paralyser de plaisir sa proie pour ensuite la cueillir et en faire son

esclave.

Margaux : Je me souviens que ses bras s’enroulaient autour de mes hanches pour m’emporter d’une

pression délicate et sensuelle à la fois, vers un monde où l’étoile était reine !

Adèle : Et son sexe !

(Les deux autres se retournent vivement sur Adèle.)

Quoi ?...

Margaux et Eva : Non, rien, poursuivez !

Adèle : Son sexe était une bombe, mesdames ! Une bombe à retardement qui savait fracturer avec

savoir faire n’importe quel passage récalcitrant avant d’y laisser entrer une colonne interminable

chargée des plus belles promesses !

(Les deux autres continuent de la fixer.)

Parfaitement !... C’est l’image que je conserve de lui !... plus qu’une image, une sensation… Une

sensation ensorcelante !!

Quelques secondes s’écoulent.

Margaux : Vous comptez conserver votre tutu ensanglanté, Adèle ?

Eva : Confiez-le moi, il sera de nouveau immaculé pour notre… exhibition !

Adèle : Je m’excuse de revenir sur le sujet, mais qui a eu l’idée saugrenue de cette mascarade ?

(Eva et Margot se regardent.)

Eva et Margaux : Quelle mascarade ?

Adèle : Ce numéro ridicule de magie !

Eva : Nous l’avons décidé ensemble avant d’apprendre que nous nous étions succédées dans le lit de

ce… monstre, Adèle, votre mémoire connaitrait-elle quelques défaillances ?

Margaux : Souvenez-vous ! Nous avons été invitées dans sa modeste demeure pour leur… comment

dit-on ?

Eva : Pendaison de crémaillère, je crois !

Margaux : C’est cela ! Pittoresque cette coutume, n’est-ce pas ?... Enfin, bref, c’est précisément à

cette occasion que nous avons fait plus ample connaissance, cela vous revient-il, Adèle ?

Adèle : Oui, il me semble ! Oui, oui, bien entendu ! Quel toupet et quel mufle !

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Eva : Ignoble goujat ! Inviter ses trois maîtresses sous son toit, en toute connaissance de cause,

quelle outrecuidance !

Margaux : Du machiavélisme, vous voulez dire ! C’est au cours de cette journée que sa femme,

touchée par nos multiples présents, a cru bon de nous convier à cette fête anniversaire qui a lieu

demain !

Eva : Nous n’avons fait que nous conformer, au même titre que tous les autres participants, à cette

autre singulière coutume qui veut que chacun des ôtes présente un numéro de music hall !

Adèle : Mais enfin, son mari est censé rentrer demain de son séminaire ! Et nous savons toutes trois

qu’il n’en sera rien !

Deux secondes de silence.

Margaux : Nous n’en savons rien, Adèle !

Adèle : Bien sûr que si !

Eva : Nous n’en savons rien du tout, Adèle !

Eva et margaux fixent Adèle avec insistance. Quelques secondes s’écoulent.

Adèle : (Comprenant enfin la situation)… Nous n’en savons rien, bien sûr… vous avez raison…

Margaux : Mesdames, il est temps !

Elles se lèvent. Adèle va se changer pendant que les deux autres rassemblent les accessoires.

Eva : Au fait, entérinons-nous notre nom de scène ?

Margaux : « Les mantes religieuses » ? Je crains qu’Adèle ne soit pas de notre avis.

Eva : Mettons-le au vote !

Margaux : Oh oh !!!... Manœuvre subtile ! Finement joué, Eva !

Eva : Alors ?

Margaux : Alors quoi ?

Eva : Vous voterez pour, Margaux ?

Margaux : Ménageons le suspens, Eva !

Tout à coup, Eva est saisie d’une émotion très forte qui la fait reculer.

Eva : Aaaah !

Margaux : Qu’avez-vous ?

Eva : Mon Dieu !!

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Margaux : vous avez vu un fantôme ?

Eva : …

Margaux : Ne me dites pas qu’un résidu de mauvaise conscience vous assaille ?

Eva : (Montrant quelque chose dans la coulisse) Là !!

Margaux : Où ça ?

Eva : Là !!!

Margaux : Adèle !

Eva : Vous ne voyez pas, ce halot lumineux ?!

Adèle entre.

Adèle : Vous êtes souffrante, Eva ?

Margaux : J’ai peur qu’elle ne soit prise d’hallucinations.

Eva : Adèle, ne me dites pas que…

Adèle : (Offre un visage d’incompréhension.)

Eva : Margaux, vous ne voyez rien ??

Margaux : Asseyez-vous, Eva.

Eva : Sa rivière ! Sa rivière de diamants !... Ne me dites pas que c’est… l’original ?

Margaux recule à son tour.

Margaux : Quelle horreur !!!

Adèle : C’est tout ce que cela vous inspire ?

Eva : Mes mains… mes mains en tremblent !

Margaux : J’ai, moi-même, un frisson qui me parcourt l’échine !

Eva : Je peux (Tendant des mains tremblantes.)

Adèle : Allez-y.

Eva s’approche d’Adèle et touche du bout des doigts un collier à son cou.

Margaux : C’est l’original !! Elle a l’original !

Eva : Comment avez-vous fait ?

Adèle : Une vente aux enchères privée.

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Eva : Vous avez jalousement gardé le secret.

Adèle : A la guerre comme à la guerre, mesdames !

Margaux : Combien ?

Adèle : Un prix acceptable.

Eva : Combien ?

Adèle : 500 000.

Margaux : Je défaille ! Si peu cher ?

Eva : A ce prix, j’aurais acheté la bague avec…

Adèle garde un silence évocateur.

Eva : Elle a… aussi la bague !!

Margaux : Combien ?

Adèle : 400 000 ! J’ai laissé la bague dans mon coffre pour ne pas trop attirer l’attention mais je n’ai

pu résister à l’envie de porter le collier.

Eva : Votre cruauté est sans limites Adèle !

Margaux : Nous humilier de la sorte, c’est indigne !

Adèle : Allons, mesdames, cèderiez-vous à la jalousie ?

Eva : Et elle nous nargue par-dessus le marché !

Margaux : Jamais je n’aurais pu imaginer que vous puissiez … !

Eva : J’aurais noyé dix Gérôme pour avoir ce collier !

Margaux : Mon bras aurait été leste et vigoureux sur les crânes d’une quinzaine de ces bipèdes

mâles !

Adèle : J’ai bien peur, mesdames, que la résignation ne soit votre seule planche de salut à l’heure

qu’il est !

Eva : Satan !

Margaux : Mante religieuse !!! (Se détournant d’Adèle.) C’est dans le silence et l’indifférence que je

trouverai la force de surmonter cette injuste et cruelle épreuve ! Tenez-vous à distance, âme

malfaisante !

Eva : (Rejoignant Margaux.) Le silence, l’indifférence et le dédain Margaux !

Eva et Margaux se placeront l’une à l’avant de la boîte et l’autre à l’arrière et soulèveront celle-ci

comme s’il s’agissait d’un cercueil. Une petite musique caricaturalement sombre montera. Elles

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sortiront d’un pas solennel. Adèle les suivra du même pas, avec un air plein de dignité et de

compassion pour ses deux camarades. Puis, noir.

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ACTE DEUX

Margaux et Eva sont sur scène. Silencieuses. Une atmosphère étrange règne. Eva se tourne soudain

vers Margaux.

Eva : Pardon ?

Margaux : Hum ?

Eva : Vous disiez ?

Margaux : Moi ?... Rien !

Eva : Vous n’avez pas… ?

Margaux : Non.

Eva : J’ai cru…

Margaux : Je me suis raclé la gorge.

Eva : Ah !

Margaux : Mais je n’ai rien dit !

Eva : On s’éclaircit toujours la gorge avant de parler.

Margaux : Ou pas !

Eva : C’est rare.

Margaux : Mais possible.

Eva : Si vous le dites.

Elles se taisent à nouveau pendant quelques secondes.

Eva : (Pour elle.) Qu’est-ce qu’elle fait ?

Margaux : Pardon ?

Eva : Rien.

Margaux : Vous n’avez pas… ?

Eva : Non.

Margaux : Vraiment ?!

Eva : Oui.

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Margaux : J’avais pourtant cru entendre…

Eva : Je réfléchissais tout haut.

Margaux : Il me semblait bien…

Eva : Une simple réflexion.

Margaux : Sonore tout de même !

Eva : Si vous voulez.

Un temps.

Margaux : Quel était le sujet de cette réflexion ?

Eva : Rien d’important.

Margaux : Dites toujours !

Adèle entre enfin. Elle a un visage jovial.

Margaux : Ah, enfin, Adèle !

Adèle : Il y a une circulation !

Eva : Nous attendons depuis 40 minutes !

Adèle : Et un soleil ! Un temps à faire du shopping ! Pourquoi m’avoir donné de nouveau rendez-vous

dans ce lieu froid et sombre ?

Margaux : Mais enfin, Adèle !

Adèle : Vous en faites des têtes d’enterrement !

Eva : Quoi ?

Adèle : Souriez un peu, voyons !

Margaux : Sourire ?!

Elle va s’asseoir sur la boîte de magicien.

Adèle : Je crois que je vais garder mon manteau, il fait frais ici !... Alors ?

Eva : Alors quoi ?

Adèle : Pourquoi ce rendez-vous ?

Margaux : Pourquoi ce rendez-vous ?

Adèle : C’est bien ce que j’ai dit !

Eva : C’est bien ce qu’elle a dit !

21

Adèle : Vous allez répéter longtemps chacune de mes phrases ?

Eva : Mais enfin, Adèle, Gérôme !

Adèle : Gérôme, quoi Gérôme ?

Eva : Vous vous souvenez ?

Adèle : Et de quoi diable devrais-je me souvenir ?

Margaux : Il était là hier soir !

Adèle : Evidemment qu’il était là, c’était l’anniversaire de son épouse !

Margaux et Eva se regardent, éberluées.

Adèle : Eh bien quoi ? (Attendrie.) Il avait bonne mine vous n’avez pas trouvé ?

Margaux : Allons, Adèle…

Adèle : Vous n’avez pas trouvé ?

Margaux : Mais enfin, Adèle… il n’aurait pas dû…

Adèle : Vous n’allez pas lui reprocher sa bonne mine, tout de même ?

Eva : Un cadavre a rarement une bonne mine, voyons !

Margaux : Vous vous sentez bien, Adèle ?... Vous avez oublié que nous l’avons… occis ?

Adèle : Mais, de qui parlez-vous ?

Margaux : De Gérôme !!!!

Eva : Gérôme, vous vous souvenez, notre ex-amant !!

Adèle : Gérôme ?

Margaux : C’est cela, Gérôme, celui que nous avons noyé avant-hier !

Adèle : Oui, je vois bien de qui il est question, je ne suis tout de même pas….

Subitement, son visage se transforme et elle prend conscience de la réalité.

Jarnibleu ! Gé Gé… Gérôme !!... Notre Gérôme !! Il a ressuscité !!!

Margaux : Ne soyez pas stupide, Adèle ! Il ne s’est pas noyé, voilà tout !... Je ne vois qu’une seule

explication, la pierre que vous avez choisie était d’un poids insuffisant, Eva.

Eva : Ou alors votre coup de batte, peu efficace, Margaux !

Margaux : Vous mettez en doute mon adresse physique Eva ? Vous avez entendu comme moi le bruit

sourd que l’arme a provoqué sur son crâne ! Preuve que j’ai visé juste !

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Eva : Je ne suis pas sûre qu’un bruit sourd constitue une preuve, Margaux, un coup efficace n’aurait-il

pas dû provoquer un son plus rond, suivi d’un petit écho plus creux ?

Margaux : Plus creux ?... Si son crâne avait été vide, je ne dis pas, mais jusqu’à preuve du contraire, la

cavité crânienne de Gérôme était belle et bien habitée !

Eva : Ou alors, c’est votre nœud, Adèle !

Adèle : Mon nœud ? Que reprochez-vous à mon nœud ?

Margaux : Eva soulève une hypothèse plausible, votre nœud aurait pu être défaillant.

Adèle : Mon nœud était tout ce qu’il y a de plus correct mesdames, c’est mon père qui m’en a

enseigné la technique !

Eva : Votre père était dans la marine ?

Adèle : Nullement, il était dans la charcuterie et je peux vous assurer qu’il savait ficeler, aucune

viande n’a eu à se plaindre d’un nœud défaillant !

Margaux : Mesdames, mesdames, un peu de calme ! La réalité est tout autre… Il est fort à penser que

notre victime séjourne toujours dans son univers liquide…

Adèle : Vous dites ?!

Eva : Margaux nous explique que…

Adèle : Qu’un corps tempe toujours dans le fleuve, j’avais bien compris, merci !

Eva : Ah !

Adèle : Donc, si je suis votre raisonnement, quelqu’un d’autre…

Margaux : Sert de repas au poisson ?

Adèle : Je dois avouer que, d’une certaine façon, je suis un peu rassurée.

Les autres la regardent un peu surprise de la remarque qu’elle vient de faire.

Pour le conditionnement !... C’est la preuve que ma science du nœud n’est pas en cause !

Les deux autres continuent de la regarder toujours plus intriguées.

Tenez, (Utilisant son foulard elle cherche à y faire un nœud.) Je vais vous donner l’occasion de tester

l’efficacité de mes nœuds !

Eva : L’identité de la victime ne vous intéresse guère, visiblement ?

Adèle : L’identité de la victime ?... Si, si… Elle… Pourquoi ne m’intéresserait-elle pas ? Si, bien sûr… Je

voulais juste vous prouver que… (Elle remet son foulard en place.) … Vous… Vous avez une idée de…

Eva : Eh bien…

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Margaux : Disons que nous avons des présomptions.

Adèle : Ah !

Eva : On peut même avancer que ces présomptions sont plutôt sérieuses, Margaux !

Margaux : C’est juste, on peut l’admettre, Eva.

Adèle : … Eh bien ?!... Qu’attendez-vous pour…

Eva : Margaux est retourné hier soir sur le bord du fleuve à l’endroit où nous avons immergé notre

Gérôme…

Margaux : Celui que nous croyions être notre Gérôme !

Eva : C’est exact.

Margaux : J’y ai fait la découverte d’un indice qui ne laisse que peu de doute sur l’identité de notre…

erreur.

Adèle : … Et ?

Eva : Montrez-lui, Margaux.

Margaux : (Elle prend un ticket dans son sac et le tend à Adèle.)

Adèle : Qu’est-ce que c’est ?

Margaux : Un ticket de pressing qui est tombé d’une des poches de la victime.

Adèle : (Lisant) Tiens, c’est amusant, il est inscrit le nom de mon mari sur ce tic…. Mon Dieu !!

Léopold !!!

Eva et Margaux se précipitent pour la soutenir.

Margaux : Comment avons-nous pu confondre Léopold avec Gérôme ?

Eva : L’erreur est humaine, Margaux… Reprenez-vous, Adèle.

Margaux : (S’adressant à Eva.) A voir son état, le testament ne lui est pas favorable.

Adèle : Pour qui me prenez-vous ? Tout me revient, je suis l’unique héritière.

Eva : Alors pourquoi ces simagrées ?

Margaux : 15 ans de vie commune méritent bien quelques larmes.

Adèle : Pas du tout, le testament exclut l’assassinat ! (Ses pleurent redoublent.)

Margaux et Eva se jettent un regard coupable.

Margaux : Je suis vraiment navrée Adèle, et dire que c’est moi qui ai porté le coup !

Eva : Et moi qui ai choisi le poids qui l’a entraîné au fond du fleuve.

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Adèle : Vous oubliez que le nœud est de ma conception, j’ai noyé de mes mains tout mes espoirs

d’héritage ! Que la vie est mal faite et d’une impitoyable cruauté, mesdames ! (Elle pleure de

nouveau.)

Eva : Mais… Rien ne dit que le corps sera retrouvé un jour ! Par conséquent…

Margaux : Eva n’a pas tort !

Adèle : Disparition ou assassinat, précise le testament !

Margaux : Zut !

Eva : Pauvre Lépo !

Adèle : Comment l’avez-vous appelé ?

Eva : Qui ?

Adèle : Vous venez d’appeler mon mari Lépo !

Eva : …Oui…

Adèle : Il ne se faisait appeler Lépo que dans l’intimité, comment connaissez-vous ce…

Eva : Vous avez sans doute dû en parler en notre présence, n’est-ce pas Margaux ?

Margaux : Je suppose.

Adèle : Vous avez couché avec Léopold ?

Eva : Qu’allez-vous imaginer, Adèle !!

Adèle : Personne ne connaissait ce diminutif, à part moi !

Margaux : Allons, allons, Adèle ! Lépo n’a jamais été un exemple de vertu !

Un regard inquisiteur sur Margaux.

Adèle : Vous aussi ?!

Margaux : Pardon ?

Adèle : Vous aussi, vous avez couché avec mon mari !!

Margaux : Adèle, vous vous égarez !!

Adèle : Tout devient plus clair maintenant ! Ses récents voyages n’étaient donc qu’un prétexte !

Eva : Je vous assure, Adèle, que vous vous méprenez !

Adèle : Ne vous fatiguez pas, mesdames, c’est de bonne guerre, je vous avouerais que moi-même,

j’ai…

Margaux : Vous ?

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Adèle : Henri ne vous a rien dit ?

Margaux : Henri et vous… Ne me dites pas que le collier et la bague, c’était lui ?

Adèle : Le collier seulement, pas la bague ! Il m’a pourtant assuré qu’il vous tenait au courant de ses

aventures !

Margaux : Il va me le payer !

Adèle : C’est déjà fait pour ma part, si j’ose dire ! (Elle sourit.) Remarquez, Léopold aussi m’avait fait

ce serment et pourtant… (Une bouffée d’émotion.) Léop ! Toi qui avais peur de l’eau, te voilà servi !

Mon héritage noyé, immergé pour l’éternité ! Comment as-tu pu me faire ça, Lépo !!

Margaux : Soyons juste, Léopold n’est pas totalement responsable dans ce cas de figure, Adèle.

Adèle : Sans doute, mais faire de l’adversité son alliée, ne le blanchit pas complètement non plus,

Margaux !

Eva : Hubert est avocat, Adèle, il vous sortira de cette impasse, il connaît la loi sur le bout des doigts,

il a toujours su transiger avec elle et saura trouver un moyen de vous faire restituer ce qui vous est

dû !

Adèle : Je vous remercie, Eva, il m’en a déjà fait la proposition.

Eva : Hubert ? Quand aurait-il pu….

Adèle : Eh bien… Ne me dites pas que… ?...

Eva : Attendez, attendez… La bague…

Adèle : C’était lui.

Eva : L’ignoble individu ! Il va s’en mordre les doigts !

Soudain, tout en manipulant le ticket de pressing, Adèle semble avoir un doute.

Adèle : Attendez une petite seconde… il ne pouvait pas l’avoir avec lui ce ticket puisque c’est moi qui

suis passée chercher son costume au pressing ce jour-là ! (Regard sur les deux autres comme pour se

justifier) Un jour d’oisiveté extrême !

Margaux et Eva, la regardent, intriguées.

Il a dû tomber de mon Vuitton quand nous l’avons transporté sur la berge !

Eva : Vous en êtes certaine, Adèle ?

Adèle : Absolument !

Eva : C’est ennuyeux.

Margaux : Plus qu’ennuyeux ! Embarrassant.

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Adèle : Cela dépend de quel côté l’on se place… Je vais quand même avoir une petite discussion avec

Léopold.

Eva : Et moi avec Hubert.

Margaux : Henri n’y échappera pas non plus !

Un temps.

Tout cela ne résout pas notre mystère, mesdames !... Qui ondule avec les algues en ce moment

même ?

Soudain, un doute les assaille. Chacune se saisit de son portable et compose un numéro. L’attente

dure quelques secondes puis elles raccrochent simultanément.

Eva : Messagerie.

Margaux : Egalement.

Adèle : Idem.

On frappe à la porte. Les trois femmes se figent sur place, puis se regardent avec des expressions

d’inquiétude. On frappe de nouveau. Margaux finit par se lever et s’approche de la porte. Elle jette un

dernier regard vers ses camarades et ouvre.

Margaux : Gérôme !

L’homme entre en silence

Gérôme : Bonjour mesdames !

Il s’approche de la boîte de magicien.

Gérôme : Marrant votre numéro de la femme coupée en morceaux ! Tout le monde a bien rigolé

quand l’un des pieds, sensé être celui d’Adèle, s’est déboîté ! L’impondérable est toujours ce qui fait

le plus rire !...

Margaux : (En faisant référence à leur situation.) Pas toujours.

Gérôme : Vous avez raison, pas toujours.

Il fait mine d’allumer une cigarette.

Adèle : C’est interdit !

Gérôme la regarde, interloqué.

Eva : Elle veut dire que cela peut être dangereux.

Margaux : En temps normal.

Eva : Mais que vous pouvez…

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Adèle : Oui, bien sûr, vous pouvez…

Gérôme : On ne se tutoie plus ?

Il s’apprête à allumer sa cigarette quand il est interrompu par une question.

Margaux : Comment… Comment nous as-tu trouvé… Gérôme ?

Gérôme : Je vous ai suivi, quelle question.

Eva : Bien sûr !

Les trois femmes se regardent.

Gérôme : Vous êtes en train de vous demander pourquoi, hein ?

Adèle : Peut-être… pour… nous… parler ?

Gérôme : Exactement !

Eva : Bien sûr !

Gérôme : Je vous ai trouvées bizarres hier soir !

Margaux : Bizarres ?

Gérôme : Oui.

Eva : Bizarres, nous ? (Elle ajoute un petit sourire maladroitement amusé.)

Gérôme : Bizarres, vous, oui !

Adèle : Nous étions… troublées de vous… de te revoir… (S’adressant aux autres.) N’est-ce pas ?

Margaux : Tout à fait.

Eva : C’est bien ça, nous avons… toutes les trois… C’était… l’émotion.

Gérôme : On aurait dit que vous ne vous attendiez pas à me revoir !

Margaux : Nous ??!!!

Eva : Quelle idée extravagante !

Adèle : Une bien singulière pensée !

Gérôme : Bien sûr ! On se fait parfois des idées ! Vous savez ce que c’est, on a vite fait d’imaginer un

scénario cauchemardesque où, tenez, par exemple, on nous assomme avant de nous jeter à l’eau !

Les trois femmes se figent.

Si vous voyiez vos têtes, mesdames !! (Il rit à l’idée qui lui traverse l’esprit.) Je vous ai apporté

l’extase à tour de rôle, c’est à votre tour maintenant ! (Un sourire.) Hummmm ! Je n’aurais jamais

imaginé que cela puisse être aussi jouissif !!

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Les trois femmes sont toujours muettes.

Vous attendez visiblement que je vous révèle toute l’histoire. (Il allume enfin sa cigarette ou se met à

sucer un bonbon.) Mettons donc un terme à ce suspens insoutenable. Voilà. Il y a quelques jours, j’ai

anticipé mon départ au séminaire de plusieurs heures. Petit subterfuge pour connaître l’identité de

celui qui sautait ma femme. J’ai donc surveillé l’entrée de chez moi en me dissimulant de l’autre côté

de la rue. Vers 21h, un homme est entré. Il faisait très sombre, j’ai vérifié par la suite, les lampes

avaient été dévissées volontairement. Beau travail ! Lorsque l’homme est ressorti, peu de temps

après, un éjaculateur précoce, comme tous les hommes d’affaires ! Trois ombres féminines

l’attendaient. Elles lui ont foutu un sac noir sur la tête avant de l’assommer et de le charger dans une

voiture.

Adèle : Jarnibleu !

Gérôme : Je ne connaissais pas ce juron, Adèle !