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Un logement pour les sans-abri ?

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marjorie lelubre

Un logement pour les sans-abri ?

la nouvelle dynamique des dispositifs d’accompagnement social en logement

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ISBN 978-2-930582-14-6© Editions du Basson, octobre 2013

1ère éditionD/2013/12.096/6

Photo de couverture : Suzanne HuygensPhotos intérieures : Fabienne Denoncin ©

Cette étude a été réalisée grâce au soutien du Cabinet du Ministre de Développement durable, de la Fonction publique, de l’Energie et du Logement en Région wallonne, Jean-Marc Nollet.

ouvrage publié avec l’aide du Conseil Supérieur du logement

C o l l e c t i o n T A N D E M

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PRÉFACEjeaN-marC NolleT, ministre wallon du Développement durable, de la Fonction publique, de l’energie, du logement et de la recherche

en tant que ministre du logement, il me semble essentiel de soutenir des projets qui permettent de créer du lien entre les structures d’accueil et des solutions pérennes de logement. le colloque qui a été organisé à l’occasion des 10 ans du relais social de Char-leroi les 6 et 7 octobre 2011 a bien montré la nécessité de proposer un accompagnement social adéquat pour permettre aux personnes fragilisées de sortir de situations de mal logement.

C’est donc avec beaucoup d’enthousiasme que je participe depuis le début de la légis-lature à différents projets du relais social de Charleroi. Qu’il s’agisse de soutenir l’étude, qui fait l’objet de cet ouvrage, ou de financer des actions de relogement en période hiver-nale et de recherche de logements au travers du capteur logement, je ressens, à chaque fois, le sérieux des projets menés et la volonté d’évaluation permanente des actions en-treprises.

la crise que nous connaissons renvoie vers la rue de nouveaux publics.

Face à des sans-abri de longue date, d’autres publics plus éphémères s’adressent aux services. Ils émettent des besoins diversifiés, nécessitent des réponses spécifiques, im-posent d’autres réactions. le relogement, en tant qu’action publique, doit tenir compte de ces nouvelles réalités.

Dans ce contexte, la politique du logement doit apprendre à aller au-delà de ses mis-sions d’origine qui se concentrent autour de la brique. l’accompagnement social dans le logement prend sa source dans le tissu associatif des années 80. il a atteint sa maturité, ce qui justifie la mise en perspective de ses pratiques, ce que réussit admirablement bien l’étude dont il est question dans ces pages.

mon souhait est que dans l’avenir, les passerelles entre les politiques du logement et de l’action sociale se pérennisent. les destins de nos concitoyens ne peuvent se heurter aux frontières des compétences administratives et politiques.

C’est d’ailleurs dans ce cadre que j’ai tenu à créer le métier de référent social dans les sociétés de logement de service public, fonction au croisement des politiques du loge-ment social et des politiques d’insertion et de cohésion sociales. C’est aussi dans la même logique que j’ai créé le concept de ménage social accompagné qui permet d’accompagner temporairement dans le logement social des ménages comme on le ferait dans un loge-ment d’insertion ou de transit.

Je voudrais enfin saluer la qualité du travail de Marjorie Lelubre, qui au-delà de sa brillante analyse des pratiques d’accompagnement social en matière de logement, a su livrer une série de recommandations qui pourront guider l’action politique présente et future.

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PRÉFACENiColaS berNarD, juriste, Professeur aux Facultés universitaires Saint-louis

L’ACCOMPAGNEMENT SOCIAL : UN CONCEPT RÉSOLUMENT PLURIELPrésenté comme allant de soi, le concept d’accompagnement social cultive pourtant

un paradoxe : s’il fait l’objet d’un large consensus quant à son principe, sa mise en œuvre soulève un certain nombre de questions de fond, loin d’être toutes réglées. l’évidence n’en est pas une, manifestement. Il n’y a qu’à voir la définition (extensive !) qu’en donne le Code wallon du logement pour prendre la mesure de la nature profondément poly-morphe — et de la complexité — de la notion, décrite officiellement comme un " en-semble des moyens mis en œuvre par les acteurs sociaux, pour aider les occupants d'un logement loué par un opérateur immobilier afin qu'ils puissent s'insérer socialement dans le cadre de vie, utiliser leur logement de manière adéquate, comprendre et respec-ter leurs devoirs contractuels, accéder à une aide adaptée à leur situation et à leurs be-soins, auprès des services existants dans le secteur de l'aide à la personne et de l'action sociale, et de manière plus spécifique : pour les logements de transit, obtenir une aide dans la recherche active d'un autre logement dans les délais compatibles avec leur situa-tion, la mise en ordre de leur situation administrative et sociale, la constitution d'une garantie locative; pour les logements d'insertion, bénéficier d'un accompagnement utili-sant le logement comme facteur de stabilisation ".

Commençons par la reconnaissance (unanime). À juste titre, l’accompagnement social est valorisé par les pouvoirs publics, qui y adossent de manière étroite des dispositifs emblématiques tels que les agences immobilières sociales, les logements de transit ou encore les logements d’insertion ; et, loin de représenter une simple qualité, l’accom-pagnement est un élément constitutif à part entière de ces mécanismes, une condition même de possibilité. Inutile également de chercher ailleurs l’office assigné aux référents sociaux tout juste installés dans les sociétés de logement. Plus spécifiquement (eu égard à la thématique qui nous occupe ici), l’aide aux sans-abri ne se concevrait plus aujourd’hui sans un minimum d’accompagnement assuré en parallèle aux personnes bénéficiaires.

il est vrai de manière générale qu’habiter peut se désapprendre, et qu’un plus ou moins long séjour dans la précarité est susceptible d’émousser certains réflexes trop rapidement présentés comme naturels. l’accompagnement social, dans ce cadre, peut tenir du " chaînon manquant ", celui qui permet de passer d’un logement assisté à un habitat de droit commun in fine, qui installe l’occupant dans une véritable trajectoire résidentielle.

Pour autant, on l’a dit, l’accompagnement social charrie une série de questionnements majeurs, dont ne fera pas l’économie si l’on entend conférer à l’outil l’ampleur qu’il mé-rite.

Sur quoi, tout d’abord, doit porter l’accompagnement social ? Que recouvre par exemple la célèbre " pédagogie de l’habiter " instituée officiellement comme ordre de mission des A.I.S. ? Désire-t-on par là aider l’occupant à s’approprier (ou se réappro-prier) son lieu de vie, dans une perspective de réinvestissement identitaire, ou cherche-

t-on plus prosaïquement à lui inculquer le respect des obligations locatives tradition-nelles (payer le loyer, entretenir le bien, etc.) ?

Dans la ligne, qui est censé prodiguer l’accompagnement social ? Le gestionnaire du sys-tème, qui connaît à la fois le bien et l’occupant, mais peut passer pour juge et partie ? Ou alors un tiers extérieur ?

Quel caractère de contrainte conférer par ailleurs au suivi de cet accompagnement (par le locataire) ? L’imposer, c’est risquer de braquer l’intéressé, dont l’adhésion volon-taire au projet constitue en effet le meilleur gage de réussite. Purement facultatif, en revanche, l’accompagnement pourrait bien alors ne pas atteindre les personnes qui en ont pourtant le plus besoin.

Dans un registre similaire, la figure du contrat (souvent associée à l’accompagnement social) pose indubitablement question. Certes, il peut induire une responsabilisation accrue du signataire et autorise une individualisation de son contenu (au regard des besoins et spécificités de l’individu). Il convient cependant de s’assurer que la conven-tion a véritablement été négociée (plus soumise en bloc, à prendre ou à laisser), tout en vérifiant que les obligations qu’elle contient sont adaptées… et marquées par une certaine réciprocité !

il y a lieu aussi de s’interroger également sur la sanction à réserver aux individus méconnaissant la teneur de leur accompagnement social. Trop forte (résiliation du bail par exemple), cette sanction aura pour effet de replonger dans la marginalité ceux que l’accompagnement était pourtant censé réinsérer. mais, à se cantonner dans l’ordre du pur symbole, la sanction perdra alors cet effet dissuasif sans lequel l’individu ne voit plus la nécessité qu’il y a à déférer au prescrit.

À propos du comportement du bénéficiaire, précisément, à quel niveau placer la barre ? est-il réaliste d’attendre de la part celui-ci qu’il agisse exactement comme l’occupant standard (le " bon père de famille "), alors que son parcours erratique de vie l’a peut-être rendu — temporairement — moins apte à remplir certaines obligations locatives et à se conformer à des modèles théoriques. Dans la foulée, l’accompagnement social doit-il ai-der par priorité l’individu à assumer son rapport — matériel, technique, juridique — au logement ou, plus largement, importe-t-il de recouvrer d’abord la maîtrise sur sa propre vie (avant d’envisager quoi que ce soit d’autre) ?

Comment, par ailleurs, parvenir à injecter une dimension collective dans un accompa-gnement social par essence marqué par une personnalisation de son contenu ? Si, d’un côté en effet, l’accompagnement doit épouser étroitement les besoins de l’individu, il serait fâcheux, de l’autre, de se cantonner dans des relations interpersonnelles et juxta-posées alors que, précisément, la paupérisation procède d’abord d’une " désaffiliation " vis-à-vis du groupe. l’accompagnement manquerait dès lors une partie de son but s’il ne contribuait pas, en parallèle, à retisser du lien social.

Sur le plan, enfin, de l’intensité de l’accompagnement et de son résultat, observe-t-on — comme on l’entend parfois — qu’un accompagnement poussé induit une certaine dé-responsabilisation du bénéficiaire, trop longtemps " assisté " pour pouvoir par la suite affronter la " vraie vie " (une fois la relation locative terminée) ? Ou, tout à l’inverse, c’est un tel accompagnement qui a permis à l’intéressé de reprendre pied progressivement et qui lui a réinsufflé — entre autres — cette confiance et cette estime de soi sans lesquelles

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INTRODUCTION LES DISPOSITIFS D’ACCOMPAGNEMENT SOCIAL EN LOGEMENT : UNE NouVelle aPProCHe DaNS la luTTe CoNTre le SaNS-abriSme eT l’eXCluSioN Du loGemeNT

Consacré en tant que question sociale à part entière dans le courant des années 90 (Damon, 2002), les réponses apportées au sans-abrisme s’inspirèrent d’abord d’un traitement humanitaire, orienté vers la satisfaction immédiate des besoins primaires. À l’heure actuelle, si l’urgence demeure un pilier prédominant, de nouveaux dispositifs visant une réinsertion à long terme sont venus compléter ce premier panel de mesures, dont l’un des plus prometteurs semble être l’accompagnement social en logement.

Si le logement paraît une réponse logique au sans-abrisme, les opérateurs de terrain ont rapidement conclu qu’une réinsertion durable appelait bien évidemment un meilleur accès au logement mais aussi un encadrement approprié. Si l’on conçoit sans difficulté l’arrivée en rue comme un événement traumatisant, il est parfois plus malaisé d’appré-hender à quel point un retour à la norme logement peut être une épreuve à part entière. l’ampleur des obligations et démarches qui incomberont désormais à ces nouveaux loca-taires et de l’isolement qu’ils peuvent ressentir sont des obstacles de taille.

les dispositifs d’accompagnement social en logement sont-ils en mesure de faciliter un maintien dans le logement ? Quelles réalités se cachent derrière cette notion ? Qui sont les bénéficiaires ? Quels sont les effets et impacts de ces dispositifs dans l’organisation du secteur de la prise en charge du sans-abrisme et de l’exclusion du logement ? Pour répondre à toutes ces questions, le relais social de Charleroi, avec le soutien du ministre du logement en région wallonne, a mis en place une recherche longitudinale de quatre ans. Des travailleurs sociaux de neuf services actifs dans l’accompagnement social en logement1 ainsi qu’une trentaine de leurs bénéficiaires2 y ont été associés. Dans cette recherche, nous confronterons le point de vue des professionnels et celui des bénéfi-ciaires de l’accompagnement par le biais de méthodes qualitatives (entretiens et obser-vations directes).

1 Ces neuf services, huit situés sur le territoire carolorégiens et un sur le territoire liégeois, ont été sélectionnés sur base d’une auto-identification comme étant un dispositif d’accompagnement social. En effet, le secteur étant structuré par des cadres législatifs épars, aucun critère légal ne permet d’assurer une telle identification. Nous nous sommes donc basés sur une définition endogène. Ces neuf services sont les suivants : Comme chez Nous (APL) ; Loginove (APL) ; Relogeas (APL) ; Solidarités Nouvelles (APL) ; Habitat-Service (APL) ; Ais Charleroi-Logement ; Pôle d’hébergement et de logements transitoires du CPAS de Charleroi ; Foyer familial (MAC) ; Aide-locative du FLW.2 La constitution de l’échantillon de ces bénéficiaires s’est déroulée en plusieurs phases. Lors de la première phase, ce sont les travailleurs sociaux des services qui ont proposé la participation à certains de leurs bénéfi-ciaires répondant au critère suivant lequel leur entrée dans le dispositif d’accompagnement avait été précédé d’un épisode de sans-abrisme au sens stricto sensu (structure d’hébergement ou rue). Lors d’une seconde phase, pour éviter les effets de filtre éventuel, ce sont tous les nouveaux locataires entrant dans le dispositif qui se sont vus proposer la participation au protocole de recherche. En outre, comme nous le verrons dans le chapitre III, les personnes sans-abri apparaissant comme numériquement marginales, les critères de sélection ont été élargis à toute personne ayant vécu un épisode d’exclusion du logement (logement chez un tiers ; logement insalubre ; logement précaire ; …). Enfin, l’intégration de deux projets-pilotes au sein du protocole de recherche a constitué une troisième phase de constitution de l’échantillon.

il est périlleux de s’aventurer seul sur le marché privé du logement (et illusoire d’espérer accéder à une certaine autonomie en la matière) ?

Présentées ici sans aucune prétention à l’exhaustivité, ces interrogations sont, on le voit, aussi nombreuses que passionnantes. en tous cas, elles se dérobent à toute appré-hension unilatérale et appellent, au contraire, des réponses nuancées. Tel est précisé-ment l’intérêt d’un ouvrage comme celui-ci. Tel est aussi — et surtout — le grand mérite des travaux de marjorie lelubre, laquelle met ces questions à plat et leur apporte une réponse fouillée, rigoureuse et originale en même temps, s’alimentant à la double source de ses connaissances scientifiques et de son expérience de terrain.

Bonne lecture !

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pagnement social en logement, la contractualisation a, depuis peu, fait son apparition au sein de nombreux dispositifs qu’ils s’agissent du plan d’accompagnement des chô-meurs ou du contrat d’intégration, imposé aux jeunes allocataires du riS. Ce mouvement de contractualisation a nourri de nombreux débats, apparaissant pour certains comme un véritable outil d’émancipation ou, au contraire, comme un principe d’exclusion des plus faibles. les dispositifs d’accompagnement social en logement n’échappent pas à ces questionnements. L’utilisation du contrat dans ce contexte apparaît comme d’autant plus intéressante qu’elle est issue d’initiatives du terrain et non d’injonctions d’un pouvoir subsidiant. Notre objectif ne sera pas d’aboutir à une position en faveur ou contre la contractualisation mais bien de tenter d’en comprendre les effets réels sur le terrain, le contrat y étant d’ores et déjà une réalité.

De ces différents constats découlera une série de recommandations. Cependant, rappe-lons que l’objectif général de cette recherche était bien de suivre un nouveau métier en phase de construction. Ces recommandations ne sont dès lors qu’un reflet partiel des raisonnements et analyses actuellement en cours parmi les opérateurs de l’accompagne-ment social en logement et, de manière plus générale, dans le secteur de la lutte contre le sans-abrisme et l’exclusion du logement.

Cette recherche s’est donc construite autour de deux finalités importantes. D’une part, éclairer la nature même des dispositifs d’accompagnement social en logement et les réa-lités concrètes qu’ils recouvrent sur le terrain. D’autre part, s’interroger sur les effets et impacts de ces dispositifs quant à la réinsertion des personnes et la lutte contre le sans-abrisme et l’exclusion du logement. Pour ce faire, plusieurs thématiques ont ponctué ces quatre années de recherche. le présent document rend compte de l’essentiel de ce travail.

le premier chapitre explorera les différentes conceptions de l’accompagnement social telles qu’elles sont actuellement mobilisées par les professionnels en charge de l’appli-quer sur le terrain. Si, d’un point de vue théorique, ces professionnels ont développé des conceptions relativement proches, subsistent sur le terrain des pratiques diversifiées (reprises dans une typologie à 3 entrées). Nous complèterons cette approche en repre-nant la définition qu’en donnent les bénéficiaires, premiers concernés par ces dispositifs.

le second chapitre sera l’occasion de rappeler que les dispositifs d’accompagnement social ici analysés se développent dans le contexte particulier du logement, ce dernier ayant irrémédiablement une influence sur la manière dont cet accompagnement se dé-ploie. Nous insisterons sur la nécessité de ne pas confondre besoin en matière de loge-ment et besoin en matière d’accompagnement. Par ailleurs, nous analyserons l’injonc-tion paradoxale faite aux bénéficiaires de l’accompagnement social de se stabiliser dans le logement alors que l’organisation générale du parc social et assimilé implique une importante mobilité résidentielle. l’ensemble de ce chapitre visera à montrer comment l’accompagnement social peut permettre de transformer un logement en " chez soi " à part entière. À cet égard, nous nous intéresserons à la notion de salubrité telle que déve-loppée par les bénéficiaires et les contradictions éventuelles avec les prescrits légaux en la matière.

Dès la première phase de constitution de notre échantillon de bénéficiaires, nous nous apercevions que les personnes sans-abri, dans le sens défini par la FEANTSA3, appa-raissaient comme relativement minoritaires au sein des dispositifs d’accompagnement. Suite à ce premier constat, nous nous interrogerons quant aux types de bénéficiaires ayant accès à ces dispositifs et aux éventuels critères de sélection ayant cours dans le secteur ; cette question sera analysée tout au long du troisième chapitre.

Dès son avènement au sein de nos sociétés, le secteur de l’action sociale a dû se prémunir de l’accusation d’encourager la mise sous tutelle d’une catégorie de la population, inca-pable de se prendre en charge. Chaque nouveau dispositif voyant le jour doit faire face à une telle suspicion. il paraissait donc intéressant d’aborder cette question dans le cadre des dispositifs d’accompagnement social en logement. Ce quatrième chapitre cherchera à analyser les effets et impacts de l’accompagnement social en logement sur l’autonomie de ses bénéficiaires. Nous verrons que cette question de l’autonomie et des différents profils de bénéficiaires entretient des liens étroits et déterminants pour l’organisation des dispositifs d’accompagnement social.

Enfin, autre question transversale dépassant largement les seuls dispositifs d’accom-

3 European Typlogy on Homelessness and Housing Exclusion ; www.feantsa.org

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Au cours de ces quatre années, de nombreux écrits ont été produits sous la forme de rap-ports intermédiaires. Ces derniers restent disponibles, l’objectif du présent document étant d’en fournir une synthèse plus accessible mais néanmoins complète. Ces premières pages sont aussi l’occasion de remercier l’ensemble des professionnels ayant permis la réalisation de cette recherche, tant pour le temps qu’ils y ont consacré que pour leurs réflexions et commentaires qui ont permis d’éclairer et de faire avancer la recherche. Bien évidemment, il nous faut également remercier les trente-trois bénéficiaires qui ont consacré de nom-breuses heures à répondre à nos questions et accepté de partager certains aspects de leur intimité.

Merci à Sarah, Yannick, David, Colette, Margaret, Laetitia, Théophile, Sophia, Sadguna, Christelle, Valérie, Carmen, Frederick, Rachel, Christian, Marcel, Thibaut, Nagima, Gabriel, Ludovic, Josette, Arielle, Farida, Paul, Abdel, Georges, Nadine, Dominique, François, Patrice, Joseph, Stef et tous les autres4.

Enfin, initiée au départ de la coordination du Relais social, cette recherche a bénéficié du soutien d’un Comité d’accompagnement disponible et dynamique dont les expertises di-verses ont permis d’enrichir nos réflexions. Nos remerciements vont à :

- Nicolas Bernard, professeur de droit et juriste, FUSL ;

- Sébastien Fontaine, représentant du Ministre du logement en Région wallonne, Jean-Marc Nollet ;

- Paul-Emile Hérin, représentant de la DGO4 ;

- Suzanne Huygens, coordinatrice générale du Relais social de Charleroi ;

- Stephan Lux, coordinateur de l’APL " Habitat-Service " ;

- Anne Quévit, représentante du FWL ;

- Anne-Catherine Rizzo, coordinatrice de l’APL ‘Relogeas’ ;

L’ensemble de cette démarche a été rendue possible grâce au soutien du Ministre du Loge-ment en Région wallonne, Jean-Marc Nollet.

4 Prénoms d’emprunt

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CHAPITRE IL’ACCOMPAGNEMENT SOCIAL EN LOGEMENT : UNE NOTION POLYMORPHE À MIEUX DÉFINIR

la sélection des partenaires institutionnels ayant pris part au protocole de recherche a mis en avant la coexistence de plusieurs cadres législatifs sans qu’aucun n’arrête de définition spécifique de l’accompagnement social en logement5. Sur le terrain, les débats entre les opérateurs lors des moments de rencontre organisés dans le cadre de la re-cherche firent apparaître les prémices d’une identité collective mais celle-ci demeurant en construction sur de nombreux aspects. Dans un tel contexte, comprendre la notion d’accompagnement social en logement apparaissait comme l’un des enjeux fondamen-taux de la recherche.

5 Lors du protocole de recherche, le Code wallon du logement et de l’habitat durable a subi des modifica-tions, notamment en incluant en son article 3, 9°, une définition de l’accompagnement social repris comme suit : « 11°ter accompagnement social : ensemble de moyens mis en œuvre par les acteurs sociaux, pour ai-der les occupants d’un logement loué par un opérateur immobilier afin qu’ils puissent s’insérer socialement dans le cadre de vie, utiliser leur logement de manière adéquate, comprendre et respecter leurs devoirs contractuels, accéder à une aide adaptée à leur situation et à leurs besoins, auprès des services existants dans le secteur de l’aide à la personne et de l’action sociale, et de manière plus spécifique : - pour les logements de transit, obtenir une aide dans la recherche active d’un autre logement dans les délais compatibles avec leur situation, la mise en ordre de leur situation administrative et sociale, la constitution d’une garantie locative ; - pour les logements d’insertion, bénéficier d’un accompagnement utilisant le logement comme facteur de stabilisation »

© Fabienne Denoncin

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négocié et évolutif – au cours des interactions mettant en face-à-face bénéficiaires et professionnels – et, enfin, sa visée multidimensionnelle dans l’objectif d’une réinsertion durable et stable.

1er pilier : L’accompagnement social en logement, une dynamique relationnelle

De manière générale, l’action sociale repose en grande partie sur la relation construite entre le professionnel et le bénéficiaire. De fait, cet aspect apparaît effectivement comme l’une des composantes fondamentales du discours des professionnels. Ces interactions sont considérées comme le matériau principal permettant à l’accompagnement social de prendre vie. L’accompagnement doit se baser sur une confiance réciproque s’instal-lant entre les protagonistes, une confiance facilitant le partage d’informations, y compris pour ce qui concerne des aspects parfois intimes du parcours des bénéficiaires.

les aspects humains et relationnels sont donc placés au centre des discours des pro-fessionnels dont la certitude quant à leur importance est renforcée par une conception selon laquelle l’accompagnement ne donne de bons résultats que s’il est issu d’une dé-marche volontaire de la part du bénéficiaire. La question de la contrainte constitue un débat central pour ces professionnels.

les professionnels estiment essentiel de s’appuyer sur un socle relationnel solide pour construire la démarche d’accompagnement, socle renforcé par la forme que prendront ces interactions. en effet, les dispositifs d’accompagnement social en logement pré-sentent l’originalité de se dérouler principalement hors des murs de l’institution, privi-légiant le domicile comme lieu d’intervention. un tel choix n’est pas sans conséquence pour le déroulement de la démarche d’accompagnement. lieu privilégié de l’intimité, le domicile est, en effet, généralement réservé à un cercle restreint composé des membres de la famille ou d’amis. Y accepter – et souvent apprécier – la présence d’un tiers tel que le travailleur social n’est pas anodin. outre le lieu, les formes mêmes de l’interaction se différencient de celles déployées traditionnellement dans les institutions. Par exemple, le tutoiement et l’usage des prénoms renforcent cette idée d’intimité, de relation " parti-culière " qui se noue entre professionnel et bénéficiaire.

Intervenir au départ du domicile se justifie, aux yeux des professionnels, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la plupart des institutions opérant au sein de leur patrimoine, ces visites à domicile se comprendraient par une volonté de vérifier le bon entretien du bien mis à disposition. mais cette raison semble, en réalité, très secondaire. intervenir au domicile des personnes viserait, en réalité, à mieux comprendre les bénéficiaires en connaissant réellement leur environnement quotidien. Hors de l’institution, ces derniers seraient plus enclins à révéler qui ils sont, ouvrant la porte sur des facettes qu’ils avaient préféré ne pas montrer jusque-là.

C’est vrai que lorsque les personnes sortent de l’institution, la relation est tout à fait autre. Je découvre … ou elles m’ouvrent les portes sur d’autres choses, une partie d’elles-mêmes qu’elles n’ont pas voulu dévoiler en institution. (…) Quand on est dans son logement, la réalité est autre. (Accompagnateur social en loge-ment – Extrait d’entretien – Avril 2010)

Si la dynamique relationnelle semble faire la force de l’accompagnement social, elle

Adoptant une perspective interactionniste (Le Breton, 2004), nous avons basé la com-préhension de cette notion en partant du point de vue des acteurs impliqués dans le processus, en tentant de le confronter. Nous verrons d’ailleurs que ces deux groupes partagent une vision relativement commune, preuve d’une co-construction en cours. l’analyse du discours de ces professionnels permettra, par ailleurs, de faire émerger des enjeux visant à la fois à construire une vision commune à l’interne mais aussi à la faire reconnaître à l’externe.

Cette tentative de définition doit pour autant être considérée avec précaution. En effet, l’une des craintes des professionnels est de voir leur outil cadenassé dans un carcan trop rigide. Ces professionnels oscillent continuellement entre une volonté de recon-naissance et le souhait de conserver la marge de manœuvre dont ils disposent actuel-lement. " Lorsque l’on s’intéresse à la question de l’accompagnement social, un premier élément à révéler est la difficulté de cerner et de définir ce que l’on entend par ces termes. La difficulté tient principalement à la nature de la démarche, qui, parce qu’elle touche aux aspects humains fondamentalement immatériels, échappe à l’emprise des mots. (…) C’est une appellation pragmatique qui veut coller avec la réalité sociale. Elle peut correspondre à des pratiques différentes selon les contextes institutionnels et les populations concernées. Des nuances apparaissent tant en ce qui concerne les objectifs à atteindre que les modalités d’action» (CSL, 2009, p.2).

1. Le consensus au travers du discours des professionnels

Bien que l’accompagnement social en logement ne fasse l’objet que d’une définition officielle récente et très large et qu’il soit expérimenté au départ de cadres très diffé-rents, les professionnels s’accordent sur un certain nombre de conceptions théoriques, admises et partagées par tous. Précisons que la plupart de ces opérateurs avaient préa-lablement réalisé un premier travail de réflexion à ce propos, démontrant leur souhait de développer une stratégie identitaire en tant que métier à part entière6. en outre, si, à l’interne, la plupart des opérateurs semblent avoir développé une vision commune, l’un des enjeux reste de faire reconnaître celle-ci auprès des autres partenaires avec les-quels leurs pratiques les mettent inévitablement en contact. Cette stratégie identitaire doit donc se déployer tant au niveau des autres professionnels actifs dans la lutte contre le sans-abrisme et l’exclusion du logement que vis-à-vis de professionnels de secteurs, d’apparence plus éloignés, voire situés tout à fait en dehors du champ de l’action sociale. en effet, l’une des particularités des professionnels de l’accompagnement social en loge-ment est l’obligation d’entrer en contact avec un panel extrêmement large d’agents ins-titutionnels auprès desquels ils doivent asseoir leur légitimité.

1.1. Unedéfinitionpartagéeàl’interne

Trois piliers constituent la trame de l’accompagnement social aux yeux des profession-nels, s’accordant à la fois sur la dynamique relationnelle qu’il implique, son caractère

6 INTEREG III, Dynamiques d’accompagnement social en matière de logement, Juin 2007 ; Conseil Supé-rieur du logement, Promouvoir l’accompagnement social lié au logement locatif en Wallonie, 2009.

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3ème pilier : L’accompagnement social en logement, une prise en charge multidi-mensionnelle

bien que dénommé ‘accompagnement social en logement’7, les démarches entreprises dans le cadre de ces dispositifs dépassent ce seul domaine afin d’envisager les probléma-tiques des bénéficiaires dans leur ensemble. Si des aspects très concrets tels que le paie-ment du loyer, l’entretien du bien et les bonnes relations de voisinage constituent une base pour la majorité des dispositifs d’accompagnement social, les professionnels s’ac-cordent sur le fait que cette gestion en " bon père de famille " de son logement ne peut s’envisager que si les bénéficiaires disposent des appuis nécessaires dans les autres do-maines de leur vie. Problèmes d’endettement, assuétude, difficultés relationnelles sont autant de domaines à prendre en compte pour assurer un maintien dans le logement.

Dès lors, les professionnels de l’accompagnement social se doivent de développer une expertise dans de nombreux domaines et de compter sur un réseau étendu de parte-naires. Cette capacité à faire lien entre les secteurs et/ou à assurer la cohérence dans le suivi est, pour ces professionnels, une compétence centrale. la mesure des effets et impacts de l’accompagnement social en logement ne peut donc se limiter au nombre de bénéficiaires demeurant dans leur logement. Même en cas de " chute ", de retours en rue, l’accompagnement social devra permettre aux bénéficiaires de faire un pas supplémen-taire dans leurs tentatives de réinsertion.

Si le logement se situe au centre des préoccupations des professionnels, l’action d’en-semble ne se limite pas à la seule période d’occupation du logement. bien souvent, l’entrée dans le dispositif d’accompagnement social précède l’entrée concrète dans le logement et peut se poursuivre au travers de l’occupation de plusieurs logements. De nouveau, ces différentes temporalités doivent être prises en compte pour bien cerner les effets et impacts de l’accompagnement social.

1.2. Unespécificitéàfairereconnaîtreàl’externe

Comme on le voit, sans constituer à l’heure actuelle un métier à part entière et reconnu comme tel, les professionnels de l’accompagnement social en logement sont pourtant parvenus à s’accorder sur un ensemble de préceptes communs. l’un des enjeux auxquels seront confrontés ces opérateurs sera, toutefois, de faire reconnaître une telle concep-tion tant au niveau du reste du secteur de la lutte contre le sans-abrisme et l’exclusion du logement qu’au niveau de l’ensemble de leurs partenaires extérieurs.

De même, faire valider leur approche passe également par une reconnaissance accor-dée par les pouvoirs publics. or, placés à la croisée de plusieurs compétences ministé-rielles, action sociale et logement, les dispositifs d’accompagnement social en logement souffrent de cette ambiguïté et de cette multiplicité d’intervenants ministériels poten-tiellement impliqués.

Suivant la théorie de l’écologie professionnelle (Hughes, in Vielle, 2005 ; Cholez, 2011), l’on sait que l’apparition d’un nouveau métier demande aux acteurs d’entrer en " lutte "

7 Le terme lui-même a fait l’objet de débats lors du protocole de recherche, certains opérateurs privilégiant les termes « accompagnement social en matière de logement ».

peut aussi en être l’une des faiblesses lorsqu’il s’agit pour ces professionnels de rendre compte de leurs pratiques. En effet, l’instauration de cette relation de confiance et son maintien dans le temps réclament un investissement en temps très important, difficile à faire valoir en termes de subventionnement.

2ème pilier : L’accompagnement social en logement, une pratique adaptable et adaptée

appréhender l’accompagnement social nécessite d’accepter la malléabilité intrinsèque de celui-ci, tant en termes de concept qu’en termes de pratiques déployées sur le terrain. il est désormais un fait établi que la prise en charge des personnes précarisées appelle à tenir compte des parcours individuels et des spécificités de chaque situation.

S’adapter aux bénéficiaires et à leur singularité, c’est aussi être en mesure de réévaluer continuellement l’accompagnement tel qu’il a été modélisé lors des premiers temps de la rencontre. Ce caractère évolutif de la démarche peut se comprendre en corollaire de la dimension pédagogique qu’impliquent ces dispositifs. Dans un modèle idéal, l’accom-pagnement doit offrir à la personne la possibilité de parfaire son apprentissage, rendant l’intervention des professionnels de moins en moins nécessaire.

Prendre en compte les particularités de chaque histoire, c’est aussi permettre aux béné-ficiaires de faire de l’accompagnement social un outil qui leur convienne, tout en ten-tant de faire en sorte que le " projet de vie " poursuivi au cours de l’accompagnement soit choisi. Se pose alors la question de la conformité aux normes en vigueur au sein de nos sociétés dont les travailleurs sociaux apparaissent comme les garants, parfois à contre cœur (Franssen, 2003). Soulignons à cet égard les marges de négociation qui s’ouvrent au sein de ces dispositifs d’accompagnement, faisant de l’adaptabilité non plus une valeur pédagogique mais une condition de poursuite du travail initié. le dialogue qui s’engage entre ces deux protagonistes que sont le bénéficiaire et le professionnel se transforme en l’une des conditions de réussite de ces dispositifs. mais là, encore, il est difficile de faire valoir un tel engagement et une telle expertise au travers de critères mesurables par les pouvoirs publics.

Je leur pose aussi la question : ‘qu’est-ce que c’est pour toi un accompagnement social ?’ ; ‘En quoi, je pourrais t’être utile ?’ ; ‘Quelles sont tes attentes à mon égard ?’ (…) Il y a des choses auxquelles nous, on ne va pas penser. J’explique ce que je peux lui apporter mais je veux toujours savoir ce qu’elle veut. Si elle me dit qu’elle n’a pas besoin d’accompagnement, on lui dit que c’est son droit mais on lui a donné l’information. (Accompagnateur social en logement – Extrait d’en-tretien – Avril 2010)

S’adapter apparaît donc comme le leitmotiv central des professionnels de l’accompa-gnement social, même si cette volonté de faire " du cas par cas ", du " sur mesure " ren-contre bien sûr ses limites en fonction des contextes institutionnels dans lesquels elle prend place. la durée et l’intensité de l’accompagnement devront ainsi tenir compte de conditions matérielles telles que la durée d’occupation du logement ou la disponibilité du travailleur social. Ces limites qui viennent d’ailleurs parfois nourrir un sentiment de frustration tant du côté des bénéficiaires que des professionnels.

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ment social, deux phénomènes très souvent corrélés au sein de la littérature scientifique mais également au niveau du terrain. Nous appuyant sur les trajectoires individuelles de chacun des bénéficiaires, nous avons pu constater que ces derniers présentaient, en effet, d’importantes carences en termes de capital social. Dès lors, le professionnel peut faire l’objet d’un investissement émotionnel très important, jusqu’à être assimilé à un membre de la famille. Si investir le lien apparaît donc comme un élément intrinsèque de l’accompagnement social, il s’agit aussi de prévoir les outils permettant de désinvestir celui-ci dans les meilleures conditions et éviter tout sentiment de rejet chez le bénéfi-ciaire. Nous reviendrons sur ce sujet ultérieurement.

3. Les pratiques, une application différenciée des conceptions théoriques

Au-delà des trois piliers fondateurs communs identifiés précédemment, il paraissait opportun de construire une typologie des dispositifs d’accompagnement social en loge-ment permettant de rendre compte de la mise en pratique qui est, elle, différenciée. Trois types d’accompagnement social ont été identifiés :

Type 1 : Un accompagnement " collé-serré " 8: Ce type d’accompagnement prévoit une fré-quence élevée de rencontres entre le bénéficiaire et le professionnel, généralement selon un rythme hebdomadaire, voire plus, selon la situation de la personne, ses demandes ou la phase d’accompagnement dans laquelle elle se trouve. ainsi, le début de l’accom-pagnement demandera des rencontres régulières mais cela pourra aussi être le cas lors d’événements particuliers, identifiés comme ‘période crise’. Les relations nouées entre les deux protagonistes sont relativement fortes et entraînent une charge émotionnelle importante. le rôle de soutien psychologique est alors souvent mis en avant. les do-maines concernés dépassent largement le cadre du logement lui-même. les démarches entreprises peuvent dès lors embrasser la plupart des facettes du quotidien des per-sonnes. Face à l’étendue des champs pouvant entrer dans le cadre de ce type d’accompa-gnement, le travailleur social doit disposer de connaissances très larges et faire preuve d’adaptabilité. Face aux autres services œuvrant autour de la personne, il devient un référent, un point d’information à destination du bénéficiaire mais aussi l’élément cen-tral dans les démarches et projets du locataire.

Ce type d’accompagnement est celui sur lequel nous avons basé la plupart de nos obser-vations.

Type 2 : Un accompagnement basé sur la demande : Dans ce type d’accompagnement, tant les fréquences que les domaines de la vie des bénéficiaires concernés par le dispositif d’accompagnement seront fonction des demandes exprimées par ceux-ci ou des besoins pressentis par les professionnels. Précisons que ces deux sphères ne se recouvrent pas toujours, les personnes pouvant être demandeuses d’un accompagnement plus poussé que ce que le travailleur ne propose et inversement. Si le logement constitue le point de départ principal de la relation, d’autres domaines peuvent être mis à jour, dans le sens

8 Expression utilisée par un travailleur social en charge d’un dispositif d’accompagnement.

pour faire valoir leurs conceptions et les limites de leur territoire. alors qu’avec leurs collègues du secteur du sans-abrisme et de l’exclusion du logement, c’est le côté nova-teur de leur approche et la spécificité de leurs pratiques qui devront être validés, c’est la spécificité de leur public et leur expertise en la matière qu’ils devront imposer au niveau des secteurs périphériques. les enjeux identitaires vis-à-vis de l’extérieur sont donc multiples et fragiles, plaçant les professionnels dans une situation d’équilibre précaire.

2. L’accompagnementsocialdéfiniparlesbénéficiaires

Les professionnels ont défini l’accompagnement social en se basant sur sa composante relationnelle, faisant de cette dernière la base de leur travail quotidien. De leur côté, les bénéficiaires partagent cette vision. Lorsqu’il s’agit d’évoquer ce que représentent les dispositifs d’accompagnement social en logement, ce ne sont donc pas les démarches concrètes effectuées avec les travailleurs sociaux qui apparaissent comme fondamen-tales, mais bien la relation qu’ils ont tissé avec ces derniers. ainsi, c’est la qualité de la relation qui garantira la qualité des démarches accomplies, dans un mouvement de renforcement réciproque.

Parce que j’aime bien quand elles viennent, on discute encore bien d’une chose ou l’autre. C’est ce que je dis, ils ne doivent pas venir spécialement pour des papiers ou autre, mais pour voir comment ça va, un petit peu discuter. Vous savez, quand on est tout seul, c’est bon d’un peu parler aussi. Ce qui est malheureux, c’est que je suis une solitaire et que j’ai horreur de la solitude. (Bénéficiaire de l’accompa-gnement social – Extrait d’entretien – Janvier 2012)

Ça me fait plaisir qu’elle me téléphone pour savoir si tout va bien parce que j’es-time que … Voilà, au moins, elle se dit, je vais prendre des nouvelles si ça s’arrange, si je ne peux pas donner un coup de main, je trouve ça chouette. (Bénéficiaire de l’accompagnement social – Extrait d’entretien – Juin 2010)

Le travailleur social est un soutien moral, celui à qui il est possible de se confier, mais aussi un intermédiaire face aux autres agents institutionnels qui continuent à inspirer une certaine méfiance. Rappelons que la majorité des bénéficiaires entretenaient déjà des liens étroits avec un ou plusieurs intervenants sociaux et institutionnels au sens large avant leur entrée dans le dispositif d’accompagnement. or, ces relations ont par-fois été difficiles à vivre. La confiance à construire avec l’accompagnateur social n’est donc pas un événement anodin. Progressivement, le professionnel devient un référent, en charge de la centralisation et du dispatching des informations, notamment vis-à-vis des agents extérieurs. Si endosser ce rôle permet souvent de sécuriser les bénéficiaires dans leurs démarches, il présente également le risque de voir le professionnel se subs-tituer au bénéficiaire aux yeux de l’extérieur, les informations lui étant alors communi-quées directement et non plus au premier concerné qu’est le bénéficiaire. Le profession-nel devra donc assurer un subtil équilibre encourageant les bénéficiaires à s’ouvrir vers l’extérieur tout en assurant, au moins dans les premiers temps, un rôle d’intermédiaire et de facilitateur dans la communication.

lors de cette recherche, nous avons également étudié les liens entre précarité et isole-

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Cette hétérogénéité des types d’accompagnement apparaît comme revendiquée et as-sumée au niveau des professionnels de l’accompagnement. une telle diversité trouve à s’expliquer au travers de différents éléments. D’une part, cet accompagnement doit s’adapter aux situations des personnes ainsi qu’à leur évolution. ainsi, un même béné-ficiaire peut connaître différents types d’accompagnement social au cours de sa " car-rière " au sein du dispositif d’accompagnement social. Mais outre la volonté d’offrir un type d’accompagnement adapté à la situation des bénéficiaires, il s’agit également de prendre en compte les réalités institutionnelles des opérateurs, dont certains n’ont qu’un nombre très limité de personnel, ne leur permettant d’offrir que des accompagnements de type 3. Toutes les institutions ne peuvent donc se permettre d’offrir tous les types d’accompagnement, posant la question de l’adéquation entre types d’accompagnement et profil des bénéficiaires. La recherche a permis de mettre en avant que les bénéficiaires les plus désaffiliés ne recevaient pas toujours le type d’accompagnement le plus intense.

où la non prise en compte de ces autres problématiques pourrait constituer un obstacle au maintien durable dans le logement. le mode relationnel instauré entre le travailleur social et le locataire est basé sur un registre plus utilitaire et laisse moins de place à l’affect que dans le type d’accompagnement précédent. Par rapport aux autres services actifs autour de la personne, le professionnel apparaît comme un partenaire au même titre que ses collègues.

Type 3 : Un accompagnement relâché : Si la fréquence des rencontres est variable comme dans les autres modèles, elle est souvent beaucoup plus espacée (trimestrielle, voire annuelle). Cette moindre fréquence ne s’explique pas par un intérêt plus diffus de la part du travailleur social mais par un champ d’action plus restreint qui se limite au seul domaine du logement. Seront donc principalement abordés des aspects techniques tels que la gestion des petits travaux lorsque le travailleur appartient à un service qui joue aussi le rôle de bailleur. les travailleurs auront pour mission essentielle de développer chez le locataire une pédagogie axée sur la gestion du logement – ce que d’aucuns nom-ment " la pédagogie de l’habiter " - tels que le relevé des compteurs, la demande de prime - aDel, notamment -, le paiement du loyer et l’entretien du bien en général. Plus généra-lement, les rencontres entre le professionnel et le bénéficiaire se font le plus souvent à la demande de ce dernier et portent exclusivement sur les aspects précédemment cités. Dans le cas de demandes dépassant ce cadre, ce sont des services partenaires qui seront sollicités. la fonction du professionnel sera d’informer et d’orienter et non de prendre part aux démarches éventuelles à mener. Vu le faible nombre de rencontres, la relation tissée entre protagonistes s’apparente au modèle relationnel instauré entre un usager et le personnel d’une administration. Seules les visites à domicile (une fois l’an pour véri-fier l’état du bien) viendront contredire ce modèle relationnel.

Tableau n°1 - Typologie des dispositifs d’accompagnement social en logement

Comme toute typologie, il s’agit bien évidemment d’une construction d’idéaux-types dont l’application connaît des adaptations plus ou moins importantes en fonction des réalités de terrain. au départ de cette typologie, les travailleurs sociaux ont développé une série de modèles hybrides, mélangeant les caractéristiques de différents types. ou-til à parfaire, cette typologie permet toutefois de mieux cerner les différences qui sur-viennent lors de l’application de conceptions théoriques véhiculées dans les discours des professionnels.

Fréquence Domaines Relation avec le travailleur social

Type 1

Très régulière Multidimensionnel Intense

Type 2

Régulière mais basée

sur la demande

Attention particulière sur le logement mais possibilité

d’autres domaines

Variable

Type 3

Rare Centré exclusivement sur le logement

Peu dense

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CHAPITRE II LE LOGEMENT, UN APPUI ESSENTIEL À LA DYNAMIQUE DE l’aCComPaGNemeNT SoCial

le logement est bien évidemment un élément déterminant dans la mise en place d’un dispositif d’accompagnement social en logement. Comme nous venons de le montrer, le type d’accompagnement social sera influencé par le bénéficiaire, son profil, ses besoins et ses attentes mais également par l’offre de logements disponibles. il s’agit donc ici de prendre en compte l’influence de cet autre élément qu’est le type de logement, mettant en lumière une triple dynamique déterminant l’équilibre général de l’accompagnement social.

or, les logements dans lesquels se déroulent ces dispositifs présentent des caractéris-tiques spécifiques qui les distinguent de la norme logement en vigueur. Nous examine-rons notamment le caractère transitoire de ces logements ainsi que la surreprésentation du parc social et assimilé. Ces deux aspects influent irrémédiablement sur l’organisa-tion générale des dispositifs d’accompagnement social et montrent de nouvelles limites auxquelles la volonté d’adaptabilité des professionnels de l’accompagnement social doit faire face.

© Fabienne Denoncin

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préjugés et refusées dès l’annonce d’une garantie locative CPaS10. en outre, lorsque ces premiers obstacles sont franchis, elles se voient refoulées vers une portion spécifique du marché locatif privé où les marchands de sommeil sont légion. le déséquilibre entre offre et demande renforce, par ailleurs, les effets de ce stigmate initial.

Pour autant, il paraît inenvisageable de ne compter que sur le parc social et assimilé pour régler la question du mal-logement. l’implication du marché privé en la matière est une nécessité. Pour ce faire, les dispositifs d’accompagnement social en logement doivent compter sur de nouveaux appuis, voire de nouvelles fonctions, leur permettant de mobiliser ce parc privé tout en s’assurant des bonnes conditions de logement des bénéficiaires11. Des projets novateurs tels que le capteur-logement ou le bail glissant sont de nouvelles pistes à explorer.

au vu des moyens nécessaires à l’entretien du parc existant et le contexte de crise dans lequel nous évoluons, on ne peut, en effet, espérer un développement massif du parc social et assimilé à court terme. or, les dispositifs d’accompagnement social en logement n’auront un effet significatif dans le cadre de la lutte contre le sans-abrisme et l’exclusion

10 Une étude menée en 2011 par le Relais social de Charleroi auprès de 140 utilisateurs des services du réseau mettaient en avant ces effets de discrimination, rendant impossible le passage de la visite pour de nombreux candidats-locataires précarisés. Voir rapport d’activités 2011 du Relais social de Charleroi – 3ème et 4ème parties – Sortir du sans-abrisme … par le logement ? Les utilisateurs nous donnent leur point de vue, pp.98-10211 Les bénéficiaires logés dans le parc privé lors de leur entrée dans le dispositif d’accompagnement social ont été relogés au sein du parc social en raison des mauvaises conditions du logement privé qu’ils occu-paient.

Figure n° 1 - Triple dynamique de l’accompagnement social

1. Un logement issu du parc social et assimilé

Parmi les neuf dispositifs d’accompagnement social en logement ayant pris part au pro-tocole de recherche, seuls trois d’entre eux interviennent au sein du marché locatif privé, prépondérance qui se répercute d’ailleurs au sein de notre échantillon9. Cette faible re-présentativité du parc privé se comprend pour plusieurs raisons. D’une part, rappelons que l’accompagnement social en tant que tel ne bénéficie que d’un financement mini-mal. Dès lors, agir dans le cadre de logements d’insertion et de transit apparaît comme l’une des seules possibilités de dégager des financements supplémentaires. D’autre part, agir au sein de son propre patrimoine devrait théoriquement offrir plus de latitude aux équipes dans le choix des bénéficiaires. En effet, il peut sembler risqué de loger des personnes aux profils plus désaffiliés au sein du parc privé, le respect des obligations locatives demandant un accompagnement social des plus serrés sans qu’aucune garantie de succès ne puisse être apportée. À cet égard, pourtant, l’on constate que les institu-tions disposant d’un patrimoine propre sont confrontées aux mêmes difficultés quant aux risques financiers qu’elles peuvent prendre. Disposant d’un financement limité, les impayés de loyer potentiels ou les dégâts matériels réduisent drastiquement cette marge de manœuvre que devrait leur offrir le fait d’œuvrer au sein de leur propre patrimoine.

Cette surreprésentation du parc social et assimilé se justifie aussi en raison des diffi-cultés d’accès des personnes précarisées au marché locatif privé, souvent victimes de

9 Notre échantillon n’a jamais été constitué à des fins représentatives, les constats dressés depuis ce der-nier doivent donc être considérés avec prudence, étant fortement dépendant des critères choisis lors de sa construction. Cependant, signalons que sur les 33 bénéficiaires ayant pris part au protocole de recherche, seuls six vivaient au sein du marché privé, dont quatre sous le régime du bail glissant. Les deux autres loca-taires considérés ont d’ailleurs migré vers le parc social et assimilé au cours de leur accompagnement social. Enfin, trois locataires ayant débuté leur accompagnement social au sein du parc social et assimilé ont été relogés par la suite au sein du parc privé.

Encadrén°1 :desprojetsnovateurspourimpliquerlemarchélocatifprivé

Le dispositif du bail glissantDispositif mis en place depuis plusieurs années, le bail glissant reste néan-moins peu appliqué sur l’ensemble du territoire wallon. Par ce dispositif, une institution joue l’intermédiaire et s’engage auprès d’un propriétaire à assurer le paiement du loyer et l’entretien du bien pendant une période déterminée avant que locataire et propriétaire ne signent un bail clas-sique pour entretenir une relation propriétaire-bailleur « traditionnelle ». Pendant cette période transitoire, un accompagnement social est, par ailleurs, assuré afin de préparer le locataire à la gestion de son logement.

Le capteur-logementla fonction de capteur-logement est d’aller à la rencontre de proprié-taires privés afin de les inviter à louer leurs biens à des personnes pré-carisées. L’accompagnement social apparaît, dans ce contexte, comme un argument de poids. le capteur-logement a pour objectif de restaurer le lien de confiance entre bailleur et locataire en acceptant de jouer le rôle d’intermédiaire, en étroite collaboration avec les travailleurs sociaux en charge de l’accompagnement social.

Acc.social

Qui Par qui

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Cependant, là encore, les discours des professionnels se heurtent à la pratique. en effet, la majorité du patrimoine mis à disposition des bénéficiaires de l’accompagnement est régulé par des contrats de courte durée, certains prévoyant, en outre, des limitations temporelles très précises, comme dans le cadre des logements d’insertion, de transit ou d’urgence. Cette occupation limitée dans le temps entraîne de facto un accompagnement à durée limitée. Peu de services disposent de la possibilité de conclure des baux à long terme, qu’il s’agisse d’un effet de la législation en vigueur ou de l’offre limitée qui est la leur. en effet, face à l’ampleur de la demande, plusieurs services privilégient les occupa-tions à court terme, afin de permettre au plus grand nombre de connaître cette réinser-tion par le logement. la législation actuelle en matière de baux constitue d’ailleurs un obstacle à toute tentative d’ajustement en la matière de la part des services.

Oui, de fait, le manque de souplesse au niveau législatif, le cadre légal ne permet pas grand-chose là-dessus, c’est un peu emmerdant. En même temps, là aussi, je mets en garde certains collègues de ne pas trop vite réclamer une modification le jour où le bail sera régionalisé parce que c’est très bien que le cadre commun soit celui-là et qu’on ne remette pas en cause la règle commune parce qu’après, tu peux aussi bidouiller à l’infini. (Accompagnateur social en logement – Extrait d’entretien – Avril 2010)

Ces déséquilibres éventuels entre durée d’occupation et durée d’accompagnement peuvent engendrer des effets pervers quant à la réinsertion des personnes. lorsque l’accompagnement doit s’arrêter sans que l’ensemble du parcours n’ait été accompli ou lorsqu’un logement accompagné est habité par une personne dont le besoin n’est plus à comprendre en termes d’accompagnement mais dans la nécessité de trouver à se loger à un prix abordable, ce sont des déséquilibres qui se mettent en place. Pour lutter contre ce phénomène, les professionnels militent, de longue date, afin que les législations en vigueur puissent faciliter et promouvoir l’instauration de passerelles entre les différents opérateurs immobiliers du parc social et assimilé. il s’agirait, par exemple, d’envisager la sortie des dispositifs d’accompagnement en facilitant l’accès aux SlSP pour les béné-ficiaires ayant été accompagnés et pouvant désormais mieux répondre aux attentes de cet opérateur.

De manière plus générale, ces durées d’occupation restent interpellantes dans ce qui semble être une généralisation du caractère transitoire des logements mis à disposition des personnes précarisées12. Si l’on peut comprendre que ce caractère transitoire vise à répondre à la demande du plus grand nombre et suivre l’évolution des situations – notamment en termes de composition de ménage et de changement de revenus -, cette assimilation transition/précarité porte en elle un paradoxe qu’on ne peut ignorer.

En effet, selon les professionnels, l’une des difficultés majeures des personnes ayant été sans-abri ou exclues du logement, lorsqu’elles retrouvent un logement, serait d’adop-ter une gestion temporelle adaptée, dégagée de l’immédiateté qu’elles avaient connue

12 À côté des formes de logement telles que le logement de transit ou d’insertion, aux durées limitées et prédéterminées, un mouvement plus large semble s’être opéré, notamment au niveau des SLSP qui ont désormais repensé l’organisation de leur parc en ne prévoyant que des baux de neuf ans, révisables tous les trois ans.

du logement que si l’offre immobilière générale augmente. le recours au marché privé semble donc être l’une des solutions à privilégier.

intervenir au sein du parc privé doit évidemment s’envisager en tenant compte de ce nouvel acteur qu’est le propriétaire. Si dans le cas du capteur-logement, ses intérêts sont représentés par l’intermédiaire d’un intervenant tiers, l’équilibre peut être plus délicat à trouver lorsque c’est l’institution elle-même qui assure ce rôle, devant conju-guer plusieurs fonctions, à la fois représentant du bailleur et du locataire. Cependant, une telle remarque peut également être établie pour les institutions agissant au sein de leur propre patrimoine, obligées de porter une double casquette. Pour éviter tout conflit d’intérêt, ces institutions s’organisent de manière à ce que l’identité de bailleur et celle d’accompagnateur soient portées par des personnes différentes aux yeux des locataires-bénéficiaires. Une stratégie similaire pourrait être appliquée pour que les interlocuteurs du propriétaire et locataire puissent être des personnes différentes au sein d’une même équipe, en veillant à l’étroite collaboration de ces deux acteurs.

2. Un parc locatif assimilant caractère transitoire et situations de précarité

la question du temps est une donnée continuellement interrogée dans le champ du tra-vail social. Doit-on offrir aux personnes en difficulté une aide inconditionnelle et incondi-tionnée, acceptant que certaines d’entre elles nécessitent un encadrement durant toute leur vie ? Pour être utile, l’aide doit-elle se faire ponctuelle ? Quelles sont les modalités d’intervention du travail social au regard de la dimension temporelle ? Par ailleurs, face au manque de moyens auquel la plupart des services sociaux sont confrontés, de nom-breux professionnels déplorent le fait de manquer de temps pour remplir l’ensemble de leurs missions. le temps est ainsi un élément qui régule désormais le secteur de l’action sociale.

or, l’intérêt que nous venons de porter à la surreprésentation du parc social et assimilé s’articule avec la question de la temporalité, d’une part, en raison du caractère transitoire qu’a adopté l’ensemble du parc social et assimilé pour réguler la mise à disposition de ses logements et, d’autre part, par l’imbrication de deux temporalités, liée à l’occupation du logement et à la durée du dispositif d’accompagnement social, rarement convergents.

S’inscrivant dans la volonté d’adapter l’accompagnement social aux situations indivi-duelles, les professionnels partagent l’idée de développer leurs actions sans prévaloir d’une quelconque durée prédéterminée.

Le logement d’insertion, c’était 18 mois renouvelable, maintenant, on va être dans des durées plus adaptées, plus variées mais voilà, le temps, c’est toujours important. C’est la première balise mais c’est difficile de dire l’avance ‘Voilà, le temps nécessaire à …’ (…) Mais comment dire en commençant un accompagne-ment, voilà, je pense que le temps nécessaire, c’est x temps ? C’est quatre mois, c’est un an, c’est trois ans. C’est quand même relativement compliqué de pouvoir dire ça. (Accompagnateur social en logement – Extrait d’entretien – Novembre 2010)

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centres-urbains ou périurbains, correspondant d’ailleurs à la volonté des bénéficiaires. Ce qui pose donc question ne concerne pas tant la spécificité des zones dans lesquelles s’organisent ces dispositifs d’accompagnement social, mais le fait que ces relogements impliquent dans la majorité des cas des déplacements souvent importants quant aux régions d’origine des personnes. Si ces déplacements apparaissent comme une nécessité au vu de la rareté de l’offre, ils peuvent également provoquer un déracinement impor-tant quant à un capital social dont on connaît déjà les fragilités.

Mais faut me comprendre aussi, moi, je viens de P. [nom d’une commune environ-nante de Charleroi], j’ai 37 ans et depuis l’âge d’un an, je vis à P., j’adore P., je suis de là, toutes mes amies sont là, tous mes liens sont là-bas. Quand mon beau-fils est en congé, je lui demande s’il sait me déposer là-bas la journée un petit peu pour que je puisse changer d’air. Parce que, moi, je suis arrivée ici, je ne fais que pleurer. Maintenant, ça va mieux. Maintenant, ça va, je m’habitue, c’est … j’ai été me promener avec le petit, j’ai été montrer mon ancienne école à ma fille. Je m’habitue mais je ne resterai pas 20 ans ici, ça, c’est sûr. Moi, je voudrais P. y, là, oui. À P., il y a toutes mes amies là-bas et puis, il y a tout le monde qui m’envoyait des messages " ça va aller … " et tout ça et c’est dur. (Bénéficiaire d’un dispositif d’accompagnement social – Extrait d’entretien – Mai 2012)

Permettre aux bénéficiaires de se construire de nouveaux repères dans un environne-ment méconnu est l’une des fonctions de l’accompagnement social. Cependant, l’on peut comprendre la démotivation de certains bénéficiaires se voyant dans l’obligation de refaire un même travail à plusieurs reprises lors de leur carrière au sein du dispositif d’accompagnement social en raison de déménagements successifs. Du côté des profes-sionnels, la répétition d’un même travail peut aussi être assimilée à une mauvaise utili-sation des ressources disponibles.

Par ce chapitre, nous avons mis en avant combien la politique du logement telle qu’elle est organisée actuellement influe sur le développement des dispositifs d’accompagne-ment social en logement. Nous pensons que les dispositifs d’accompagnement social en logement ne pourront réellement déployer leurs effets que s’ils s’organisent au sein d’un parc locatif adapté, qu’il soit social ou privé, permettant aux bénéficiaires d’envisager leur réinsertion à long terme et mettre fin à leur mobilité résidentielle. Cette stabilité en termes de logement apparaît comme d’autant plus souhaitable qu’elle nous semble être un point de départ pour engranger une stabilité dans d’autres domaines de la vie des personnes.

lors de leur épisode de sans-abrisme ou d’exclusion du logement. De la même manière, l’accompagnement social devrait permettre de développer une nouvelle appréhension du logement, transformant celui en véritable " chez soi "13 et non plus en simple lieu de passage. or, comment répondre à ces deux objectifs lorsque le logement dont on dispose n’est présenté que comme une étape d’un parcours qui s’annonce encore bien long ?

Dans les faits, la plupart des bénéficiaires ont bel et bien montré des signes d’appropria-tion de leur logement ; notamment dans la décoration et l’équipement de leur intérieur ainsi qu’en développant une pratique d’accueil de visiteurs extérieurs. Cependant, le caractère transitoire de leurs logements n’a pas manqué de générer d’importants sen-timents d’incertitude et d’angoisse quant à la possibilité de revivre un épisode de sans-abrisme ou d’exclusion du logement. Cette appropriation est donc toujours demeurée fragile.

Ces constats nous invitent à conclure que, quelle que soit la durée d’accompagnement, prédéterminée ou non, de longue ou de courte durée, il importe surtout de la différen-cier de la temporalité liée à l’occupation du logement. Si la mobilité fait désormais partie de la modernité, s’intégrant dans la stratégie d’acteurs comme créatrice de nouvelles opportunités, cette vertu ne s’actualise qu’auprès des personnes ayant fait le choix et ayant la maîtrise de cette mobilité (Martucelli, 2006). Ici, cette mobilité apparaît surtout comme forcée, face à des acteurs ne disposant pas toujours des moyens ou capacités pour en retirer un réel avantage.

Enfin, s’approprier son logement appelle également à s’approprier plus largement l’en-vironnement dans lequel il se situe. Là encore, les efforts consentis par les bénéficiaires pour y parvenir sont souvent relativement importants. Chaque déménagement apparaît donc comme une épreuve d’autant plus difficile à vivre que ces localisations sont rare-ment choisies par les bénéficiaires.

3. Une localisation contrainte

Plusieurs études (Bodeux, 2002 ; CPDT, 2006) montrent combien la localisation du loge-ment est un critère de bien-être fondamental pour tout individu. Chaque futur locataire se devra d’aboutir à un compromis prenant en compte ses désirs mais aussi ses moyens. Or, les personnes précarisées disposent en réalité de peu de marge de manœuvre pour faire valoir leurs envies. en effet, si la législation en matière d’attribution de logements au sein du parc SlSP leur offre la possibilité d’élire un certain nombre de lieux dans les-quels ils souhaitent ou ne souhaitent pas vivre, force est de constater que la seule straté-gie permettant de maximiser ses chances d’obtenir le " saint-graal " est bien d’élargir au maximum ses critères de sélection. Ces choix n’en sont donc jamais vraiment.

De par l’analyse de notre échantillon, nous avons constaté que la majorité des loge-ments mobilisés dans le cadre des dispositifs d’accompagnement se situaient dans des

13 Certains courants de pensée souhaitent d’ailleurs que la notion de sans-abrisme puisse être remplacée par la notion de « chez soi » qui permettrait de prendre en compte les dimensions symboliques qui accom-pagnent la prise de possession d’un logement.

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CHAPITRE IIIL’ACCOMPAGNEMENT SOCIAL, ACCESSIBLE À TOUS ?

Parmi les opérateurs de terrain, le logement accompagné s’est progressivement imposé comme l’une des pistes prépondérantes dans la lutte contre le sans-abrisme et l’exclu-sion du logement. Cependant, les modalités quant à ce relogement continuent à faire débat entre les tenants de la vision Housing First, visant un accès au logement sans aucune condition et étape préalable et les tenants du modèle en escaliers, promouvant une réinsertion faite de paliers ; le relogement ne devant être effectif que lorsque la personne concernée aura atteint un certain degré d’autonomie. Qu’en est-il de l’organi-sation actuelle des dispositifs d’accompagnement social en logement ? Toutes les per-sonnes sans-abri ou exclues du logement jouissent-elles d’un accès égal à ce type de dispositifs ? Si tel n’est pas le cas, serait-il opportun de généraliser un tel accès et selon quelles conditions ?

1. Leprofildesbénéficiairesdesdispositifsd’accompagnementsocial en logement

Dans ce chapitre, nous voudrions montrer que les dispositifs d’accompagnement social interviennent préférentiellement au niveau d’une forme particulière d’exclusion du lo-gement, où les personnes sans-abri sont peu représentées. Pour s’accorder sur un tel constat, il s’agira dans un premier temps de s’entendre sur ce que recouvre la notion de

© Fabienne Denoncin

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sans-abrisme. en effet, d’usage commun, cette notion a progressivement amalgamé un grand nombre de situations en matière d’exclusion du logement, empêchant une véri-table compréhension du phénomène. Nous débuterons donc ce chapitre par une tenta-tive de clarification en la matière, en insistant notamment sur le fait que le sans-abrisme et l’exclusion du logement ne doivent pas être considérés comme des états de fait mais bien comme des processus. Enfin, nous tenterons de mettre en évidence l’aspect parfois sélectif de l’accès aux dispositifs d’accompagnement social en logement et les raisons qui poussent les institutions à opérer de la sorte.

1.1. Lacatégorisationdusans-abrismeetdel’exclusiondulogement

l’exclusion liée au logement peut se décliner de différentes façons. Face à l’absence de domicile, on peut retrouver une large palette de statuts résidentiels que marpsat et Fir-dion (2000) distinguent selon quatre aspects : l’aspect physique, le statut d’occupation, l’état de confort et la précarité de la résidence. en effet, passer ses nuits dans l’espace public ou au sein d’une structure d’hébergement de longue durée offrant toutes les commodités et la possibilité de disposer d’un espace privé mèneront les personnes à expérimenter l’exclusion du logement de manière bien différente. la typologie élaborée par la FeaNTSa suit d’ailleurs un raisonnement similaire, en distinguant quatre formes d’exclusion du logement, réparties en treize catégories distinctes (Voir tableau présenté sur la page de droite).

Cette classification européenne réserve le terme ‘sans-abri’ à deux situations précises que sont le fait de dormir en rue ou en structure d’hébergement d’urgence (compris comme un hébergement gratuit pour quelques nuits). Le sans-abrisme est donc cir-conscrit à des situations particulières et ne peut, comme l’usage courant le fait pourtant régulièrement, s’appliquer à toute personne rencontrant des difficultés en matière de logement, distinction qui permet de mieux appréhender la typologie européenne. ainsi, nous avons été attentifs, tout au long de ces pages, à évoquer la situation des personnes sans-abri et exclues du logement, car si cette seconde catégorisation inclut la première, celle-ci doit être réservée à des situations précises.

Partant de cette classification européenne et des modèles repris dans la littérature scientifique, et en tenant compte des spécificités de notre échantillon, nous avons isolé quatre statuts résidentiels, distingués selon quatre indicateurs que sont : le sentiment de sécurité ; la possibilité de se projeter dans l’avenir ; l’intensité de la prise en charge des services sociaux et la possibilité de disposer d’un espace privé.

a) Statut n°1 : Rue et structure d’hébergement d’urgence

en raison d’un manque de places disponibles au sein des structures d’hébergement d’ur-gence, les personnes sans-abri qui y ont recours doivent parfois se contenter des espaces publics afin de trouver un endroit où passer la nuit. S’alternent dès lors des nuits au sein du dispositif de prise en charge et des nuits où la débrouille est reine. Statut le plus insé-curisant, il est marqué par l’instabilité et l’angoisse. Souvent organisées selon un mode collectiviste, la possibilité de disposer d’un espace privatif au sein de ces structures est extrêmement limitée, voire inexistante. le taux d’encadrement y étant moins important

Sentiment de sécurité

Possibilité de se projeter

dans l’avenir

Intensité de la prise en charge

Possibilité de disposer d’un

espace privatif

Statut n°1

- - + - Statut n°2

++ + ++ +

Statut n°3

+/- +/- - ++ Statut n°4

+/- +/- - +/-

ETHOS 2 0 0 7 Typologie européenne de l’exclusion liée au logement

L’exclusion liée au logement est un des problèmes de société traités dans le cadre de la Stratégie européenne pour la protection et l’inclusion sociale. La prévention de l’exclusion liée au logement et la réintégration des personnes sans domicile sont des questions qui nécessitent une connais-sance des parcours et trajectoires qui mènent à de telles situations de vie.

FEANTSA, Fédération européenne d’Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri, a développé une typologie de l’exclusion liée au logement ap-pelée ETHOS (European Typology on Homelessness and housing exclusion).

La typologie part du principe que le concept de “logement” (ou “home” en anglais) est composé de trois domaines, dont l’absence pourrait constituer une forme d’exclusion liée au logement. Le fait d’avoir un logement peut

être interprété comme: avoir une habitation adéquate qu’une personne et sa famille peuvent posséder exclusivement (domaine physique); avoir un lieu de vie privée pour entretenir des relations sociales (domaine social); et avoir un titre légal d’occupation (domaine légal). De ce concept de logement sont dérivées quatre formes d’exclusion liée au logement: être sans abri, être sans logement, être en situation de logement précaire, être en situation de logement inadéquat - des situations qui indiquent toutes l’absence d’un logement. ETHOS classe donc les personnes sans domicile en fonction de leur situation de vie ou de logement (“home”). Ces caté-gories conceptuelles sont divisées en 13 catégories opérationnelles qui peuvent être utiles sur le plan de l’élaboration, du suivi et de l’évaluation de politiques de lutte contre l’exclusion liée au logement.

Catégorie opérationnelle Situation de vie Définition générique

Cat

égor

ie C

once

ptu

elle

SAN

S AB

RI 1 Personnes vivant dans la rue 1.1 Espace public ou externe Qui vit dans la rue ou dans des espaces publics, sans héber-gement qui puisse être défini comme local d’habitation

2 Personnes en hébergement d’urgence

2.1 Hébergement d’urgence Personne sans lieu de résidence habituel qui fait usage des hébergements d’urgence, hébergements à bas prix

SAN

S LO

GEM

ENT 3 Personnes en foyer d’hébergement

pour personnes sans domicile 3.1 Foyer d’hébergement d’insertion

3.2 Logement provisoire Quand l’intention est que la durée du séjour soit courte

3.3 Hébergement de transition avec accompagnement

4 Personnes en foyer d’hébergement pour femmes

4.1 Hébergement pour femmes Femmes hébergées du fait de violences domestiques et quand l’intention est que la durée du séjour soit courte

5 Personnes en hébergement pour immigrés

5.1 Logement provisoire/centres d’accueil Immigrants en hébergement d’accueil ou à court terme du fait de leur statut d’immigrants

5.2 Hébergement pour travailleurs migrants

6 Personnes sortant d’institutions 6.1 Institutions pénales Pas de logement disponible avant la libération

6.2 Institutions médicales (*) Reste plus longtemps que prévu par manque de logement

6.3 Institutions pour enfants / homes Pas de logement identifié (p.ex. au 18e anniversaire)

7 Bénéficiaires d’un accompagnement au logement à plus long terme

7.1 Foyer d’hébergement médicalisé destiné aux personnes sans domicile plus âgées

Hébergement de longue durée avec accompagnement pour ex-sans-abri (normalement plus d’un an)

7.2 Logement accompagné pour ex-sans-abri

LOGE

MEN

T PR

ÉCAI

RE 8 Personnes en habitat précaire 8.1 Provisoirement hébergé dans la famille/chez des amis

Qui vit dans un logement conventionnel, mais pas le lieu de résidence habituel du fait d’une absence de logement

8.2 Sans bail de (sous-)location Occupation d’une habitation sans bail légal Occupation illégale d’un logement;

8.3 Occupation illégale d’un terrain Occupation d’un terrain sans droit légal

9 Personnes menacées d’expulsion 9.1 Application d’une décision d’expulsion (location)

Quand les avis d’expulsion sont opérationnels

9.2 Avis de saisie (propriétaire) Quand le prêteur possède un avis légal de saisie

1 0 Personnes menacées de violences domestiques

10.1 Incidents enregistrés par la police Quand une action de police est prise pour s’assurer d’un lieu sûr pour les victimes de violences domestiques

LOGE

MEN

T IN

ADÉQ

UAT 1 1 Personnes vivant

dans des structures provisoires/non conventionnelles

11.1 Mobile homes Pas conçu pour être un lieu de résidence habituel

11.2 Construction non conventionnelle Abri, baraquement ou cabane de fortune

11.3 Habitat provisoire Baraque ou cabine de structure semi permanente

1 2 Personnes en logement indigne 12.1 Logements inhabitables occcupés Défini comme impropre à être habité par la législation nationale ou par les règlements de construction

1 3 Personnes vivant dans conditions de surpeuplement sévère

13.1 Norme nationale de surpeuplement la plus élevée

Défini comme excédant les normes nationales de densité en termes d’espace au sol ou de pièces utilisables

Note: Un séjour de courte durée est défini comme normalement moins d’un an; un séjour de longue durée est défini comme plus d’un an. Cette définition est compatible avec les définitions du recensement telles qu’elles sont recommandées dans le rapport UNECE/EUROSTAT (2006)

(*) Inclut les centres de désintoxication, les hôpitaux psychiatriques, etc.

Fédération Européenne d’Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri AISBL

European Federation of National Associations Working with the Homeless AISBL

194, Chaussée de Louvain n 1210 Bruxelles n Belgique n Tél.: + 32 2 538 66 69 n Fax: +32 2 539 41 74 n [email protected] n www.feantsa.org

Pour obtenir plus de renseignements, veuillez consulter le 5e bilan de statistiques sur l’exclusion liée au logement en Europe (Edgar et Meert) sur le site de la FEANTSA www.feantsa.org.

La FEANTSA est soutenue financièrement par la Commission européenne. Les opinions exprimées sont celles des intervenants, la Commission n’est pas responsable de l’utilisation des informations qui sont inclues dans le présent dossier.

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transitoire, ce qui peut provoquer un sentiment d’instabilité et d’insécurité important, l’hébergement pouvant à tout moment être remis en cause. Comme pour les logements surpeuplés, la possibilité de disposer d’un espace privatif existe a priori mais reste limi-tée par le partage de cet espace avec des membres extérieurs à la cellule familiale de base. l’encadrement y est inexistant, malgré des contacts éventuels avec des services sociaux extérieurs.

Tableau n°2 - Caractéristiques selon le statut résidentiel

Ces distinctions sont importantes pour appréhender les différents profils de personnes qui coexistent au sein des dispositifs d’accompagnement social en logement. Cependant, comme nous l’indiquions en préambule, le seul statut résidentiel ne peut permettre de comprendre la trajectoire d’un bénéficiaire, celle-ci devant être replacée dans une pers-pective temporelle, ce que la mobilisation du concept de carrière (Becker, 1963) rend possible.

1.2. Leconceptdecarrièrepourmieuxcomprendrelesans-abrismeetl’exclusiondulogement

La littérature scientifique relative au sans-abrisme comprend plusieurs modèles cher-chant à expliciter l’exclusion du logement comme un processus évolutif et mouvant im-pliquant des transformations identitaires, liées à l’apparition de nouvelles conduites. les trois auteurs repris ci-dessous ont pour point commun de construire une carrière en trois étapes distinctes. Cependant, rappelons que l’apparente linéarité des trajectoires impliquée par ces modèles théoriques doit être relativisée. en effet, si certains béné-ficiaires continueront leur parcours jusqu’à la troisième et dernière étape, des sorties sont aussi envisageables. Par ailleurs, avoir atteint une étape ne signifie pas que l’on y demeura de manière permanente. les allers-retours peuvent être nombreux.

1.2.1. Le modèle bressonien

Pour cet auteur (Bresson, 1997), le sans-abrisme met en présence trois mondes de la marginalité, trois univers distincts, définis selon des principes d’organisation du quoti-dien et des rythmes propres.

que dans les autres structures d’hébergement, les relations avec les travailleurs sociaux sont moindres et la possibilité de débuter un parcours de réinsertion sociale peu pro-bable14.

b) Statut n°2 : Structure d’hébergement de longue durée/Institutions

Permettant un hébergement de plusieurs mois, ce statut confère aux résidents une sta-bilité résidentielle, au moins à moyen terme. Selon les institutions considérées, la pos-sibilité d’organiser son quotidien selon un mode privatif est variable mais, néanmoins, plus importante que dans les structures d’hébergement d’urgence. une vie en collec-tivité reste toutefois relativement présente dans la plupart des institutions. Disposant d’une équipe de travailleurs sociaux présents sur l’ensemble de la journée et parfois même durant la nuit, le taux d’encadrement y est particulièrement important. Concer-nant les sorties d’institutions, les situations peuvent être de divers ordres selon l’insti-tution considérée (hôpitaux, prison, …). Si le taux d’encadrement peut y être important, la mission principale de ces institutions n’étant pas d’apporter une prise en charge dans le domaine social, l’accompagnement est extrêmement limité. la possibilité de disposer d’un espace privatif peut exister mais celle-ci reste très limitée et la vie en collectivité sera sans doute un aspect prégnant.

c) Statut n°3 : Logement insalubre et/ou surpeuplé

la notion d’insalubrité peut laisser la place à de multiples interprétations. Pour notre part, nous nous réfèrerons à l’arrêté du Gouvernement wallon du 30 juillet 2007 déter-minant les critères minimaux de salubrité et de surpeuplement15. en dehors du système de prise en charge institutionnelle, le taux d’encadrement est inexistant, même si par-fois, ces personnes sont en contact avec différents services d’aide, qu’il s’agisse d’une antenne du CPaS ou d’un syndicat des locataires. même si la possibilité de disposer d’un espace privatif existe, elle peut parfois être très limitée, notamment en situation de sur-peuplement. Toutefois, cet espace est alors partagé par les membres d’une cellule fami-liale et en dehors de tout contrôle des travailleurs sociaux. Toujours soumis à la possi-bilité de voir leur titre d’occupation remis en cause soit d’un point de vue légal – arrêté d’inhabitabilité – soit pratique – impossibilité matérielle de demeurer dans le logement, notamment d’un effondrement, situation qu’ont vécu plusieurs répondants -, ces loca-taires sont placés dans une situation d’angoisse importante.

d) Statut n°4 : Logement chez des tiers

Il s’agit de personnes isolées ou, plus souvent, de familles pouvant bénéficier de la soli-darité familiale ou amicale. Généralement, cette situation ne présente qu’un caractère

14 Notons que certaines structures commencent à développer des mesures en ce sens, complétant leur offre de service par des permanences en journée.

15 Au-delà des critères émis par les instances publiques, les discours des répondants ont fait apparaître une notion de salubrité subjective, le référentiel déployé par ces derniers en la matière se basant prin-cipalement sur les expériences antérieures, les amenant à considérer satisfaisants des logements jugés insalubres selon les critères légaux car constituant une amélioration quant à leur situation passée.

Sentiment de sécurité

Possibilité de se projeter

dans l’avenir

Intensité de la prise en charge

Possibilité de disposer d’un

espace privatif

Statut n°1

- - + - Statut n°2

++ + ++ +

Statut n°3

+/- +/- - ++ Statut n°4

+/- +/- - +/-

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1.2.2. Le modèle damonien

L’auteur (Damon, 2002) décrit la carrière morale d’une personne sans-abri au cours de laquelle interviendront des transformations profondes de sa personnalité ; transforma-tions à envisager en fonction des rapports que les personnes sans-abri entretiennent avec le système de prise en charge.

1. Phase de fragilisation

Sas d’entrée dans la carrière de sans-abri, elle se matérialise par la première sollicita-tion adressée au système de prise en charge. Celui-ci est souvent totalement méconnu des personnes concernées qui devront, progressivement, y prendre leurs marques et apprendre à décoder les informations transmises. redoutant cette première prise de contact, elle est retardée le plus possible. l’apparence extérieure, le comportement ne laissent pas toujours deviner la situation de dénuement dans laquelle se trouve la per-sonne mais cette " invisibilité " ne pourra être que transitoire, les ressources tant maté-rielles que psychologiques nécessaires au maintien de cette image de normalité s’effri-tant progressivement. lors de cette phase d’entrée, les contacts avec les pairs ne sont pas désirés, voire rejetés par l’impossibilité pour la personne d’accepter une identifica-tion avec ces " autres ".

2. Phase de routinisation

ayant dépassé une période d’acclimatation, la vie en rue et la fréquentation des ser-vices s’inscrivent peu à peu dans une routine journalière. De nouvelles stratégies se construisent et se perfectionnent, notamment par le contact avec les pairs et les travail-leurs sociaux. D’autres repères sont ainsi mis en place par le recours à des adaptations propres à chaque individu, mettant en avant une nouvelle maîtrise de la situation, loin de l’idée d’une errance désorganisée. les services de prise en charge sont investis selon des stratégies personnelles développées au cours de contacts réguliers. le statut de SDF est désormais visible aux yeux des autres par différents attributs tels que l’apparence phy-sique ou des comportements d’attente près de lieux comme les centres d’hébergement ou soupes populaires.

3. Phase de sédentarisation

C’est la phase la plus visible de la carrière, ce qui explique d’ailleurs qu’on réduise sou-vent le phénomène à cette seule phase. elle se caractérise par une installation durable dans l’espace public, confondu avec un territoire privé. Des distances sont mises avec le système d’aide sociale mais des liens demeurent néanmoins pour la satisfaction de besoins impérieux ; cette distanciation est notamment ce qui différencie cette phase de celle de la routinisation. Pour maintenir leur identité, ils cherchent à rationaliser leur situation et à retourner le stigmate qui pèse sur eux.

1.2.3. Le modèle thelenien

L’auteur (Thelen, 2006) identifie trois grandes catégories de personnes sans-abri, cha-cune de ces catégories pouvant elle-même se décomposer en sous-catégories.

a) La galèreelle succède à la perte du logement et consacre l’arrivée en rue. les personnes plongées dans cette phase doivent faire face à une toute nouvelle situation et à ses difficultés inhé-rentes. Cette première phase se caractérise par une volonté de cacher sa situation réelle aux yeux des uns et des autres. ayant encore un pied dans leur vie antérieure et bru-talement plongées dans cette nouvelle situation anxiogène, les personnes sont comme écartelées entre deux mondes marqués chacun par ses valeurs propres. en raison de leur méconnaissance de ce nouveau monde, il leur est difficile d’assurer leur " survie quoti-dienne ". Ces personnes sont donc amenées à dépenser une grande quantité d’énergie en poursuivant un double objectif, tenter de camoufler leur situation aux yeux du monde extérieur tout en cherchant à répondre à leurs besoins primaires. le gain d’argent est une des occupations majeures des personnes se trouvant en situation de galère. Pour éviter de se faire repérer au sein de l’espace public et ne connaissant pas encore les services d’aide, elles déploient de multiples stratégies pour occuper leur temps dans des endroits qui ne les exposent pas directement. leur monde est angoissant et incertain.

b) La zone

La zone symbolise l’apprentissage auquel les exclus ont été soumis, tant au niveau des manières de vivre que d’un certain nombre de valeurs, constituant la ‘culture de la zone’. Cette culture implique l’usage d’un certain vocabulaire ainsi qu’une série de comportements attendus. leur quotidien s’axe désormais exclusivement autour du sys-tème de prise en charge institutionnel et leurs besoins sont assurés grâce à leur fine connaissance de ce système, dont ils peuvent parfois faire bénéficier leurs pairs, par un système d’échanges d’informations qui nourrit de nombreuses conversations. Chaque zonard a construit un circuit personnel selon ses besoins et ses préférences, suite à de nombreuses recherches et comparaisons des différents endroits qu’ils fréquentent ; une construction qui réclame du temps et de l’énergie. ils entretiennent certaines relations de proximité avec des travailleurs sociaux. ils ont abandonné leurs anciennes valeurs au profit de celles plus en adéquation avec leur mode de vie en rue.

c) La cloche

le moins important d’un point de vue numérique mais pourtant le plus visible dans l’espace public et au sein de la conscience collective, à l’image de la zone, le monde de la cloche implique une culture avec son vocabulaire, ses valeurs, ses comportements, voire ses codes. les contacts des ‘clochards’ avec le système institutionnel sont relative-ment épars ; ce faible recours aux institutions est l’un des traits caractéristiques de cette phase. Ces sollicitations ont toujours pour raison des demandes ponctuelles et bien sou-vent, encouragées par les travailleurs sociaux qui ont été à leur rencontre. leur ancien mode de vie n’a plus de résonance à leurs yeux et ils n’envisagent leur avenir que dans la rue. l’espace public structure leur nouveau mode de vie. il serait néanmoins erroné de penser que cette phase se caractérise par l’apathie et le chaos. l’abandon des anciens repères s’est fait par l’adoption d’une nouvelle routine, faite de ses régularités propres tant au niveau spatial que temporel. l’alcool tient une place centrale dans ce nouveau mode de vie.

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a) Les récemment décalés

Présentant peu de traits communs avec le reste de la population sans-abri, ces per-sonnes viennent d’entrer en contact avec le monde de la rue. après la perte de leurs repères habituels, elles doivent faire face à de nouvelles règles qu’elles méconnaissent et à un nouveau mode de vie qu’elles désavouent. elles désapprouvent les autres personnes sans-abri avec lesquelles elles estiment n’avoir rien en commun. elles sont dans une dy-namique où elles font le plus d’efforts pour s’en sortir. Ces individus vivent au quotidien dans le stress et dans la confusion.

b) Les liminaires

Suite à différents échecs dans ses tentatives pour s’en sortir, ces dernières deviennent de moins en moins nombreuses et le processus d’adaptation à cette nouvelle vie débute. les liminaires connaissent une adaptation progressive à leur nouvel environnement. la distinction avec les pairs devient ténue au point de disparaître. Cette distinction ne leur importe d’ailleurs plus à présent. Sans qu’ils ne partagent une identification positive, ils acceptent l’idée d’un sort commun. ils sont à une étape où leurs anciennes normes et leurs nouvelles s’affrontent, ayant maintenant un pied dans chacun des mondes. l’auteur distingue les liminaires réguliers des liminaires adaptés. les premiers s’en sortiront ou tomberont dans la marginalisation ; les seconds vont, quant à eux, demeurer dans un état transitoire. les différentes stratégies d’adaptation qu’ils développent leurs permettent de ne pas sombrer totalement et de vivoter grâce à de petits boulots et au recours à des services répondant à leurs besoins primaires. ils sont généralement plus âgés et ont passé plus de temps en rue que les liminaires réguliers.

c) Les marginaux

ils ont passé plus de deux années en rue et se trouvent désormais en dehors du système tant d’un point de vue structurel que cognitif. leur nouveau mode de vie est totalement intégré et la seule idée d’une sortie de la carrière de sans-abri leur paraît inimaginable. leur identité toute entière les rattache à ce monde. Dans cette catégorie cohabitent les vagabonds, plus jeunes et moins engagés dans le monde de la rue, ils voyagent de ville en ville au gré des opportunités, notamment en matière de travail ; les clochards, souvent alcooliques chroniques, leur territoire se résume au seul centre urbain de leur ville et, enfin, les malades mentaux.

Ces trois modèles théoriques présentent un certain nombre de points communs, notam-ment dans le type d’indicateurs qu’ils mobilisent pour décrire la carrière d’une personne sans-abri. en ce qui concerne notre échantillon, de tels modèles ne trouvent à s’appliquer que de manière partielle puisque la plupart des répondants impliqués dans le protocole de recherche n’ont pas connu le sans-abrisme à proprement parler. Nous inspirant de ce modèle, nous avons construit les différentes phases de la carrière d’une personne exclue du logement, permettant la prise en compte de différents statuts résidentiels.

1.3. Unesous-représentationdesprofilslesplusdésaffiliés

Ce modèle théorique rend désormais possible la caractérisation de notre échantillon selon deux critères : le statut résidentiel et la phase atteinte par le bénéficiaire dans sa carrière. Nos premiers entretiens avec les 33 bénéficiaires ayant pris part au protocole

Tableau 3 - Phases de la carrière d’exclusion du logement Durée de

l’expérience Connaissance du système de prise

en charge

Contacts avec le système de prise

en charge

Contacts avec les pairs

Système de valeurs

Phase 1

Récente, phase marquant l’entrée dans la carrière

Méconnaissance, qui engendre une difficulté et une dépense d’énergie importante pour trouver les informations nécessaires ou assurer tant la satisfaction des besoins quotidiens que pour trouver les informations recherchées. Pour éviter les effets trop importants du stigmate, les services mobilisés sont d’abord des services généraux (mutuelle, caisse d’allocations sociales, administrations). La réorientation vers des services d’urgence n’intervenant que dans un second temps.

Tous n’ont pas encore pu affronter le sentiment de honte qui accompagne le premier contact avec un service social. Pour les autres, leur méconnaissance du système rend ces contacts irréguliers. De manière générale, ils ont déjà entretenu des contacts avec des agents de l’Etat mais ceux-ci leur étaient alors imposés. Ces expériences antérieures marquent leur rapport avec le système de prise en charge. La nature des relations avec les professionnels de l’accompagnement social fait d’ailleurs l’objet d’un travail important.

Les contacts avec les personnes partageant une même situation sont évités au maximum, par peur de voir le stigmate se porter sur eux. Leurs discours marquent une importante volonté de distanciation d’avec « ces autres ». La fréquentation des services ne se faisant qu’à des fins utilitaires, n’impliquant pas de permanence sur place, ces contacts sont de fait limités. L’idée de pairs n’est d’ailleurs pas ancrée dans leur système de valeurs.

Conservation du système de valeurs antérieur, même si ces personnes sont déjà souvent issues d’un milieu précaire à l’origine et incompréhension du nouveau mode de valeurs auquel ils sont petit à petit confrontés. Le logement reste la référence, que celui-ci soit insalubre ou qu’il appartienne à un tiers. Renoncer à cette norme entraînerait un coût trop élevé au niveau psychologique. Ils vivent cette perspective avec angoisse.

Phase 2

Variable selon les individus, souvent marquée par des allers/retours entre différents statuts résidentiels

Degré de connaissance important, permettant d’assurer la survie quotidienne et de jouer le passeur d’informations auprès des autres. Les services généraux demeurent une ressource potentielle mais les services d’urgence sont mobilisés le plus souvent.

Régulier. Les contacts avec les différents services représentent un pivot dans l’organisation quotidienne, notamment avec les professionnels de l’accompagnement social.

Une régularité plus grande dans les contacts avec les services s’accompagne de la création de liens avec les pairs, notamment par des actions de militance. Ces contacts commencent à engendrer un sentiment d’appartenance à ce nouveau groupe, même s’il s’agit toujours de se différencier de ce dernier.

Transformation progressive du système de valeurs antérieur pour se conformer peu à peu à un nouveau mode de vie. Le logement apparaît encore comme une piste envisageable, mais ce sont souvent des formes dérivées qui sont visées.

Phase 3

Relativement longue, pouvant s’étaler sur plusieurs années

Degré de connaissance important mais se centrant principalement autour du secteur de l’urgence, les autres services sociaux leur apparaissant inaccessibles ou inutiles

Rare et variable (période de contact intenses suivie d’une absence totale) de par la volonté même des personnes. Ces contacts ne sont activés que pour des demandes impérieuses et très précises.

Les relations avec les pairs s’organisent principalement en rue. Lors de leur retour en logement, un sentiment de trahison peut d’ailleurs apparaître. Même s’ils peuvent constituer une figure emblématique du « sans-abri » pour les autres habitants de la rue, les contacts sont en réalité peu fréquents.

S’il peut y avoir un abandon des valeurs antérieures, elles demeurent présentes, même si les discours tendent à faire valider de nouvelles valeurs issues du mode de vie à la rue.

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au vu de ces effets d’échantillonnage, une analyse en termes de statut résidentiel parais-sait compromise et il nous a semblé plus opportun de se référer à un indicateur complé-mentaire, la phase atteinte par les bénéficiaires dans leur carrière. on constate alors une majorité – 2/3 de l’échantillon - de bénéficiaires se situant au début de leur carrière. Ce résultat doit toutefois être nuancé par deux aspects.

D’une part, il faut rappeler que, numériquement, cette phase regroupe le plus grand nombre de personnes au sein de la population sans-abri ou exclues du logement. Cette importance numérique se reflète dans notre échantillon.

D’autre part, si nous avons cherché à déterminer la phase dans laquelle se trouvait le bénéficiaire avant son entrée dans le dispositif d’accompagnement social, notre analyse s’est construite sur base des discours des répondants. on peut penser que les personnes inscrites depuis déjà un certain temps dans le dispositif d’accompagnement au moment de leur entrée dans le protocole de recherche ont mis en place des mécanismes tendant à relativiser leur situation antérieure de sans-abrisme ou d’exclusion du logement17.

Si l’interprétation de ces deux critères appelle à la nuance, on remarque toutefois que les bénéficiaires des dispositifs d’accompagnement en logement sont souvent moins touchés par la désaffiliation et présentent des caractéristiques spécifiques. Ces bénéfi-ciaires ont rarement connu la rue ou les hébergements d’urgence (l’impression contraire étant due aux effets d’échantillonnage) et se trouvent au début de leur carrière, amenant ainsi une surreprésentation des profils les plus désaffiliés. Pour comprendre ce constat, plusieurs explications doivent être prises en compte. Nous examinerons à la fois les stra-tégies des professionnels et des bénéficiaires ainsi que le contexte institutionnel dans lequel celles-ci se développent.

2. Comprendrelasélectivitéàl’œuvreauseindesdispositifsd’accompagnementsocialenlogement

2.1. Du côté des professionnels, la cohabitation de deux courants depensée

Cette surreprésentation de bénéficiaires peu désaffiliés dans les dispositifs d’accompa-gnement social nous interpelle d’autant plus qu’aucun des opérateurs de terrain n’a éta-bli de critères formels de sélection. Chaque demande est analysée par le biais de quelques considérations très générales. Pour les services disposant d’un patrimoine propre, ce sont avant tout des conditions liées au bâti lui-même qui seront mises en avant telles que l’adéquation du type de logement disponible et la composition de la famille ou encore le montant du loyer et le revenu de la personne. Concernant le profil des bénéficiaires, les critères semblent absents. les entretiens menés avec les professionnels à ce sujet n’ont

17 Par exemple, lors du passage de la phase 2 à la phase 3, d’importantes modifications interviennent dans le système de valeurs de l’acteur, développant une « culture de la rue ». Or, on peut penser qu’après plusieurs mois au sein du dispositif d’accompagnement, la force de ces valeurs s’amenuise au profit d’une nouvelle conformité à la norme logement, rendant l’identification des personnes en phase 3 plus délicates, notre analyse intervenant a posteriori.

de recherche visaient à faire le point de leur parcours résidentiel antérieur de manière relativement large. C’est sur base de ces éléments que nous avons procédé à la classifica-tion reprise dans la figure ci-dessous16.

Figure n°2 - Distribution des membres de l’échantillon selon leur type de résidence antérieure et leur positionnement dans leur carrière

en termes de statut résidentiel, l’on pourrait penser à une relative équité entre les béné-ficiaires issus de la rue ou de l’hébergement d’urgence et les bénéficiaires issus d’institu-tions d’hébergement de longue durée, comme les maisons d’accueil.

Cependant, cette équivalence doit être relativisée par les effets de l’échantillonnage. en effet, lors de la première phase de cette constitution de l’échantillon, seules les personnes issues de la rue ou des abris de nuit étaient acceptées dans le protocole de recherche. Ce critère de sélection a donc influencé leur représentation dans l’échantillon. Toutefois, rapidement, nous nous sommes rendus compte qu’il était difficile de trouver des béné-ficiaires répondant à ce critère résidentiel et nous avons été obligés d’élargir ce der-nier. en réalité, nous constations que les personnes issues de la rue ou des abris de nuit étaient peu présentes dans la population des dispositifs d’accompagnement social en logement. Pour correspondre à cette réalité, nous avons donc mis en place une seconde phase de constitution de l’échantillon, permettant la diversité constatée dans la figure ci-dessus. en outre, un second effet d’échantillonnage découlant de la prise en compte des bénéficiaires de deux projets-pilotes en matière d’accompagnement social, dont l’un concernait plus spécifiquement les personnes sans-abri, a renforcé cette surreprésenta-tion artificielle des personnes issues de la rue dans notre échantillon.

16 Les données relatives à chaque bénéficiaire sont reprises dans le tableau n°7.

0

2

4

6

8

10

12

Rue/Hu HLD/Inst. Tiers Log. Insalubre

Phase 3

Phase 2

Phase 1

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des personnes présentant moins de difficultés et plus de ressources pour les résoudre, les professionnels de l’accompagnement social oscillent continuellement entre des atti-tudes contradictoires mais semblent, au final, s’inscrire dans la politique du plus grand nombre, à savoir aider un maximum de personnes avec les ressources disponibles, au risque de délaisser les situations les plus lourdes.

Plus largement, la question des critères de sélection à l’œuvre au sein des dispositifs d’accompagnement social en logement s’inscrit dans un débat plus large qui anime ac-tuellement le secteur de la prise en charge du sans-abrisme et de l’exclusion du loge-ment. en effet, alors que jusqu’il y a peu, ce secteur prévoyait des prises en charge orga-nisées selon un modèle dit " en escaliers ", une nouvelle tendance, connue sous le vocable Housing First, tend à privilégier un accès direct depuis la rue au logement. Nous pensons donc pertinent d’interroger la validité de ces modèles en y impliquant la question du profil des bénéficiaires. Les personnes les plus désaffiliées peuvent-elles se reloger, sans aucune étape préalable et selon quel type d’accompagnement ? Au sein des dispositifs " traditionnels " d’accompagnement social, nous avons pu noter que les sorties prématu-rées – souvent accompagnées d’un retour en rue – avaient été le fait des personnes les plus désaffiliées. Nous reviendrons sur cette question. Cependant, il semble que notre échantil-lon n’ait compris qu’un nombre trop limité de ce type de profil pour en tirer des conclusions définitives. Des approfondissements de cette question devraient donc être envisagés.

À cet égard, notons que, malgré la coexistence de ces deux écoles de pensée, un consensus réunissait ces professionnels selon lequel la prise en charge de ce type de bénéficiaires nécessiterait un accompagnement beaucoup plus intense – en termes de fréquence, de pluridisciplinarité, … - et plus long qu’une personne dont l’exclusion du logement aurait été de courte durée et sous un statut résidentiel moins précaire. or, la plupart des dis-positifs d’accompagnement social en logement actuels souffrent d’un manque important de financement pouvant empêcher le développement de tels types d’accompagnement à grande échelle. La prise en charge des personnes les plus désaffiliées est alors marginale pour s’équilibrer avec les autres types d’accompagnement auxquels doivent faire face les professionnels.

2.2. Ducôtédesbénéficiaires,retrouverlegoûtaulogement18

l’on a vu les réticences éventuelles des institutions à accueillir un trop grand nombre de personnes désaffiliées. Cependant, il s’agit également de prendre en considération les raisons qui pousseraient les personnes présentant un tel profil à ne pas vouloir intégrer ces dispositifs.

en effet, si la sélection informelle mise en place par les professionnels semble désavanta-

18 Un projet-pilote de relogement des personnes sans-abri en période hivernale annonçait comme l’un de ses objectifs centraux le fait de pouvoir redonner goût au logement à des personnes qui semblaient, en ap-parence, ne pas vouloir débuter une recherche de logement. Leur proposer un logement pour une période de quelques mois, sans autres obligations, devait permettre de les convaincre des bienfaits de disposer d’un logement. Si cet objectif n’a pas forcément fonctionné pour l’ensemble des bénéficiaires, une situation illustre bien l’importance de redonner goût au logement par ce type de projets puisqu’une personne vivant en rue depuis de nombreuses années et qui avait annoncé clairement son intention d’y demeurer a accepté de débuter la recherche d’un logement plus durable lors de cette période transitoire. Selon nos informa-tions, il demeurerait toujours dans ce logement actuellement.

permis de détecter que des critères généraux tels que la motivation de la personne ou le fait qu’un accompagnement social puisse lui être bénéfique. Ces deux critères peuvent d’ail-leurs donner lieu à des décisions contradictoires (une personne peu motivée ayant peut-être encore plus besoin d’accompagnement) et laissent une grande part à l’interprétation.

Au départ, ils doivent être en formation, avoir un projet de vie, pas construit car le but, c’est de le construire, mais en tout cas, d’avoir un projet de vie réfléchi. D’avoir pensé à aller en formation, en médiation de dettes, de pouvoir se projeter au moins dans les 6 premiers mois, qu’est-ce que je voudrais bien faire de ma vie. Donc, maintenant, c’est une réflexion que nous, on les amène à avoir aussi au premier entretien. C’est aussi de dire quel est ton objectif ? Est-ce que c’est avoir un logement ou travailler d’abord ? Est-ce que le logement est ton premier objectif ou pas ? (Accompagnateur social en logement – Extrait d’entretien – Avril 2010)

Il faut qu’il y ait également une adhésion du locataire sur base des … mais c’est aussi s’inscrire dans une démarche active en dehors du logement et au sein de l’association ou en dehors mais avec quelque chose de bien ciblé ; ça peut être une formation professionnelle ou autre chose... (Accompagnateur social en loge-ment – Extrait d’entretien – Avril 2010)

Ne pouvant nous baser sur des critères de sélection officiels pour expliquer cette sur-représentation des bénéficiaires les moins désaffiliés, c’est l’analyse des discours des professionnels qui a permis de dégager deux écoles de pensée qui viennent à s’opposer.

Pour les tenants de la première école, le non-accès des profils les plus désaffiliés aux dispositifs d’accompagnement social en logement s’expliquerait par un manque de com-pétences (notamment en termes d’autonomie), empêchant d’envisager le relogement à ce stade de leur parcours. un passage préalable en maison d’accueil, par exemple, serait alors préconisé. un tel argumentaire reproduit un phénomène plus général de sélectivité dans le secteur de l’aide sociale où ce sont les individus les plus nantis en capitaux social, culturel, économique et autres qui accéderaient aux dispositifs les plus élaborés (Soulié, 1997).

Dans un mouvement inverse, pour les tenants de la seconde école, c’est, au contraire, parce que ces bénéficiaires présentent d’importantes lacunes en termes de capitaux qu’ils doivent prioritairement intégrer les dispositifs d’accompagnement social. les dé-fenseurs de cette seconde vision sont toutefois minoritaires.

la coexistence de ces deux courants de pensée renvoie à un modèle théorique mis en place par Elster (1992) selon lequel les choix des praticiens de la santé se comprennent selon une logique à trois entrées. Perfectionniste, certains praticiens favoriseront les patients les moins atteints afin de maximiser les chances de guérison de ces derniers ; désirant l’efficacité maximale, ce sont les patients dont l’état est considéré comme moyen qui seront privilégiés car ils permettront de constater l’évolution la plus nette ; enfin, voulant faire preuve de compassion, l’action se centrera sur les patients dont l’état de santé est le plus grave.

De telles logiques semblent également à l’œuvre au niveau des dispositifs d’accompa-gnement social en logement. Pris entre la volonté de " sauver " les personnes dans les situations les plus désespérées et la nécessité de voir leurs efforts aboutir, préférant

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sociales restreintes, elles privilégieront des profils auprès desquels l’intensité de l’ac-compagnement sera moindre, permettant de couvrir un plus grand nombre de situa-tions.

Sans des modifications plus globales permettant d’enrayer cette double pénurie, l’accès aux dispositifs d’accompagnement social en logement restera plus difficile pour les per-sonnes présentant un profil plus désaffilié ; des mesures structurelles qui apparaissent d’autant plus complexes à mettre en place qu’elles concernent deux secteurs, du loge-ment et de l’action sociale, qui entretiennent peu de liens, notamment de par la sépara-tion actuelle de ces deux compétences au niveau gouvernemental.

ger les profils les plus désaffiliés, il faut également relever qu’on retrouve peu de profils de la sorte dans la demande globale adressée aux dispositifs d’accompagnement social. Des statistiques précises n’étant pas relevées en la matière, il s’agit d’être prudent dans ce constat, ce dernier relevant des impressions émises par les professionnels. Toutefois, au-delà de cette mise en garde de rigueur, on peut, en effet, penser que tant la réinsertion dans le logement que la perspective d’un accompagnement social relativement poussé puissent être des éléments qui freinent la demande des personnes elles-mêmes.

Paradoxalement, le retour en logement peut constituer une épreuve. Se réapproprier des habitudes du quotidien, gérer son budget, retrouver une adresse légale – et donc, par-là, une existence administrative, impliquant le retour des créanciers – sont autant d’obstacles qui peuvent dérouter une personne ne connaissant que la rue depuis plu-sieurs mois.

Mais je crois que le plus dur, c’est de se réhabituer à ça. Reprendre tous les rôles en tant que locataire en fait. Faut penser à faire les carreaux, faut penser à faire là, … dans votre voiture, vous n'avez rien à faire, un petit coup de karcher et c’est fini. (…) S’il n’y a pas quelqu’un pour l’aider et pour l’aiguiller dans ses dé-marches, parce qu’il n’y a pas que ça, il faut aussi se dire qu’il faut reprendre une vie, réapprendre à se lever le matin, à boire son café dans la maison, … ce sont des petites choses qui sont tellement waouh. (Bénéficiaire de l’accompagnement social en logement – Extrait d’entretien – Juin 2010)

Face aux craintes que peut susciter le retour en logement, le dispositif d’accompagne-ment social peut être perçu selon une double perspective. Soit l’accompagnement est vécu comme un soutien indispensable, permettant de franchir ce cap, certains bénéfi-ciaires exprimant que leur accord du relogement n’avait été possible que parce qu’ils se savaient soutenus par des travailleurs sociaux le temps nécessaire à réaliser la tran-sition ; soit l’accompagnement social est perçu comme une contrainte supplémentaire, conditionnant l’accès au logement. en effet, nouveau dispositif dans le paysage de l’action sociale, les bénéficiaires ne disposent pas forcément d’une conception claire de ce que peut recouvrir l’accompagnement social en logement. Si les professionnels eux-mêmes se trouvent dans une période de conceptualisation de cet outil, on comprend que ces cla-rifications sont aussi nécessaires pour favoriser l’appréhension des bénéficiaires quant à ce nouveau dispositif.

2.3. Gérer une double pénurie

Si les stratégies des acteurs sont centrales pour la compréhension de ce phénomène de sélectivité, l’on sait que le contexte dans lequel ces derniers évoluent oriente, limite ou cadre les dites-stratégies.

en effet, disposant d’un patrimoine restreint et d’enveloppes budgétaires limitées pour ce qui concerne strictement l’accompagnement social, ces dispositifs ne peuvent accueil-lir qu’un nombre limité de bénéficiaires. Or, dans un tel contexte de double pénurie, on observe souvent la mise en place de processus de sélection plus stricts, visant à assurer la pérennité, notamment financière, des projets. Ne disposant que de peu de moyens, les institutions sont amenées à privilégier une majorité de candidats dont elles pensent qu’ils honoreront leur loyer, par exemple. De la même manière, n’ayant que des équipes

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CHAPITRE IVl’aCComPaGNemeNT SoCial, Comme ouTil De DÉVELOPPEMENT DE L’AUTONOMIE INDIVIDUELLE

l’avènement du référentiel de l’activation sociale dans la plupart des sociétés occi-dentales a entraîné une nouvelle perception de l’individu. S’il est désormais considéré comme un acteur essentiel de son insertion – reconnaissance censée lui conférer une nouvelle dignité -, il est aussi attendu de lui qu’il fasse preuve de responsabilité et d’auto-nomie. Or, si cette dernière notion apparaît comme centrale dans de nombreux discours des représentants du champ de l’action sociale, elle entraîne son lot de confusions aux-quelles les dispositifs d’accompagnement social en logement n’échappent pas.

la compréhension de la notion elle-même pose question et est source de nombreux dé-bats, entre les professionnels bien sûr mais surtout entre bénéficiaire et professionnel. Nous verrons que si les professionnels envisagent l’autonomie comme une distanciation quant à leur propre service, détachement compensé par la mise en place d’un réseau de services sociaux plus lâche mais néanmoins bien présent, les bénéficiaires envisagent l’autonomie comme un état où les travailleurs sociaux seraient complètements absents. Tous les bénéficiaires n’accordent d’ailleurs pas la même valeur à cette notion d’autono-mie, divergence qui peut s’expliquer, en partie, par le fait que ces bénéficiaires soient ou non reconnus comme autonomes.

Cette question de l’autonomie constitue désormais un enjeu fondamental pour préjuger de l’opportunité d’un dispositif aux yeux des intervenants extérieurs. en effet, face à

© Fabienne Denoncin

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ciaires de l’accompagnement social. En effet, alors que les bénéficiaires opteront pour une définition de l’autonomie déliée de toute attache institutionnelle, les professionnels envisageront une autonomie ne pouvant s’exercer qu’au sein d’un ensemble de res-sources sociales mobilisables en cas de nouvelles difficultés. Cette opposition peut ame-ner la survenance de certains conflits, notamment lors des sorties du dispositif.

Un concept à adapter selon les situations

L’autonomie ne serait pas une fin en soi mais devrait découler d’un processus formatif se déclinant tout au long du dispositif d’accompagnement. l’autonomie ne doit donc pas être considérée comme un état mais s’envisager comme un processus nécessitant du temps – parfois long –avant de pouvoir s’actualiser.

Tandis que les bénéficiaires donneront de l’autonomie une vision théorique, faisant de cette notion une valeur transversale, les professionnels la déclinent sous un ensemble de pratiques concrètes. ainsi, la mise en autonomie s’enracine dans un leitmotiv selon lequel le professionnel se doit d’apporter un appui, un soutien aux démarches de chaque bénéficiaire sans jamais se substituer à lui. Les situations pratiques viennent parfois contredire cet idéal, notamment pour des personnes dont le degré d’autonomie initiale serait trop bas pour entamer une série de démarches plus complexes ; cette situation étant, aux yeux des professionnels, relativement marginale.

Les professionnels souhaitent ainsi faire du " sur mesure ", rendant cette notion d’auto-nomie sans doute plus malléable dans les pratiques mais plus difficilement saisissable dans les discours. Ainsi, si des conflits peuvent naître de la différence de perception entre professionnels et bénéficiaires, de mêmes conflits peuvent survenir entre profession-nels, les attentes de chacun de ces protagonistes ne se rencontrant que partiellement.

Le réseau social comme support de l’autonomie

Tandis que les bénéficiaires développent une conception de l’autonomie proche de la notion d’indépendance, les professionnels cherchent à faire en sorte que cette autono-mie puisse s’exercer dans un cadre précis, mis en place durant le temps de l’accompagne-ment social. en effet, le processus d’autonomisation est surtout un temps durant lequel chaque bénéficiaire pourra se constituer un réseau – composé à la fois d’intervenants de l’action sociale au sens large mais aussi de représentants d’un réseau informel (famille, amis, collègues, …) – sur lequel repose, à long terme, l’exercice de son autonomie.

Du point de vue des professionnels, l’individu autonome s’envisage donc sous un mode interactionnel où ce sont ses capacités à mobiliser des ressources extérieures qui lui permettront d’activer durablement l’autonomie acquise durant le dispositif d’accom-pagnement. l’individu autonome n’est donc pas un être isolé, disposant des capacités nécessaires pour résoudre toutes les problématiques qui se poseraient à lui, mais étant capable d’identifier l’agent qui lui permettra de surmonter cette difficulté que ce soit par la délivrance d’informations supplémentaires ou par une démarche plus concrète.

Or, de leur côté, les bénéficiaires développent une conception de l’autonomie devant leur permettre de s’affranchir des différentes tutelles auxquelles ils ont été soumis durant la période d’accompagnement. en effet, si différentes stratégies ont été mises en place à

l’accusation récurrente d’encourager le maintien d’une frange importante de la popula-tion sous un statut d’assisté, le secteur de l’action sociale s’est fait un point d’honneur à démontrer que ses dispositifs ne pouvaient être considérés comme des mises sous tutelle mais viseraient l’intégration de tous dans la société en développant leur autono-mie. les dispositifs d’accompagnement social en logement s’inscrivent dans un même mouvement.

Dans ce chapitre, nous analyserons cette question au travers des trente-trois parcours individuels des bénéficiaires participant au protocole de recherche, en nous basant sur des modèles établis par des auteurs comme Paugam (1991, 1993) et Duvoux (2009). Notre méthodologie ayant permis d’assurer un suivi de plusieurs années pour chaque bénéficiaire, nous suivrons l’évolution de ces derniers dans leur " mise en autonomie " de leur entrée à leur sortie du protocole de recherche. Pour ce faire, nous nous baserons sur les discours des acteurs analysés au départ d’indicateurs construits dans le cadre du protocole de recherche. En ce qui concerne l’autonomie, ce sont les discours des bénéfi-ciaires qui seront pris en compte, notre méthodologie ne prévoyant pas de récolter l’avis des professionnels sur les bénéficiaires mais en tant que concept général.

1. L’autonomie,notionpolymorphe

alors que la notion d’autonomie est souvent utilisée tant dans le discours des profes-sionnels de terrain que dans celui des décideurs institutionnels et politiques, elle reste pourtant éminemment floue et fait l’objet de définitions variées, comme celle de Guillou et Moreau de Bellaing (2004, 99) : " Au sens étymologique, autonomie vient du grec auto-nomia, puis, autonomos, et signifie la liberté des individus ou des groupes par rapport aux normes, leur capacité à se définir un système de règles qui leur soit propre. L’autonomie comporte aussi bien la possibilité de se soumettre aux règles que de leur désobéir. L’auto-nomie se démontre donc également par la capacité des individus à désobéir aux normes communes. " Pour d’autres auteurs (Chauffaut & David, 2003), l’autonomie devrait être considérée à la fois comme une valeur, une méta-compétence et un système. on com-prend dès lors toute la complexité inhérente aux tentatives de définition d’une telle no-tion. Pour contourner ces difficultés, et suivant en cela la perspective interactionniste, nous nous sommes centrés sur une définition de l’autonomie selon le point de vue des acteurs. ainsi, nous allons voir que, malgré l’usage habituel de cette notion dans le lan-gage courant, professionnels et bénéficiaires n’ont pas forcément une même vision de cette notion d’autonomie, créant un risque de déséquilibre au sein des stratégies rela-tionnelles et identitaires de chacun de ces groupes et, parfois, une sortie anticipée du dispositif d’accompagnement.

1.1. Lavisiondesprofessionnels,uneautonomie" encadrée "

Définir cette notion apparaît comme un exercice d’autant plus complexe que la volonté des professionnels est d’en faire un outil adaptable et négocié avec chaque bénéficiaire, partant de son parcours antérieur, de ses compétences et de ses objectifs. l’autonomie ne pourrait ainsi être définie au départ d’indicateurs précis. Or, cette négociation peut s’avérer ardue alors qu’une différence fondamentale oppose professionnels et bénéfi-

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toutes ses affaires personnellement. (Bénéficiaire de l’accompagnement social en logement – Extrait d’entretien – Juin 2010)

Déjà, de savoir se débrouiller seule, sans personne. C'est la meilleure des auto-nomies. Mais, de temps en temps, il faut quand même admettre qu'on a besoin d'aide. (Bénéficiaire de l’accompagnement social en logement – Extrait d’en-tretien – Septembre 2010)

l’autonomie est l’occasion pour les personnes de faire valoir leur libre-arbitre, leur of-frant la possibilité de prendre leurs propres décisions. Si les conseils d’autrui consti-tuent un appui, la décision appartiendra à l’individu autonome, capable de préjuger des conséquences de ses choix et de les assumer

Être autonome, c’est être responsable de ses actes. Quoi qu’il arrive, être respon-sable de ce qu’on fait. Avoir fait les choix soi-même, même peut-être avec l’aide de l’autre, mais le faire soi-même. Prendre la décision soi-même, ça, c’est être autonome. (Bénéficiaire de l’accompagnement social en logement – Extrait d’entretien – Juin 2010)

Plus largement, la notion d’autonomie renverrait à la question de la liberté, l’individu autonome devant échapper au contrôle d’autrui, libre de faire ses choix et d’agir sans en référer à un tiers. Cette conception était particulièrement le fait des plus jeunes membres de l’échantillon, renvoyant parfois les professionnels de l’accompagnement social à l’image d’une figure parentale, détentrice de l’autorité et capable d’enrayer l’une ou l’autre action.

Autonome, pour moi, c‘est faire ce que je veux, c’est ne pas être commandé par quelqu’un parce que je suis une adulte majeure. (Bénéficiaire de l’accompagne-ment social en logement – Extrait d’entretien – Septembre 2010)

Pratique à mettre en œuvre par une série de démarches concrètes réalisées en corol-laire d’un processus d’apprentissage pour les professionnels, valeur constitutive du sta-tut identitaire pour les bénéficiaires, la notion d’autonomie est des plus complexes à appréhender au départ d’une définition fixée une fois pour toutes. Or, cette complexité s’accroît encore en raison des différents niveaux de perception qu’elle appelle. En effet, si les professionnels la définissent plutôt en termes de pratiques, c’est que la définition produite s’ancre dans leur environnement professionnel et autour d’une projection à l’égard de leurs bénéficiaires et non pour eux-mêmes. De leur côté, les bénéficiaires en ont donné une définition au départ de leur situation individuelle, percevant la notion d’autonomie selon leurs conditions d’existence actuelles.

l’autonomie est donc une notion appelant la prise en considération d’une double pers-pective, d’une part, au niveau de l’individu lui-même et, d’autre part, dans ce qu’il sera à même de faire valider auprès des agents qui l’entourent.

1.3. L’autonomie,ressentieetreconnue

lors du protocole de recherche, beaucoup de temps a été consacré à interroger les pro-fessionnels de l’accompagnement social sur les indicateurs mobilisés pour préjuger de l’autonomie d’un individu ; cette " évaluation " intervenant notamment pour préjuger

cette période pour feindre d’ignorer l’injonction paradoxale ‘sois autonome’ qui pesait sur eux - notamment en modifiant la tenue des interactions qu’ils nouaient avec les pro-fessionnels de l’accompagnement social, comme nous le verrons par la suite -, la sortie du dispositif doit leur permettre de vivre cette autonomie sans plus aucune contrainte extérieure.

1.2. Lavisiondesbénéficiaires,unepluralitédeconceptions

Au même titre que les professionnels, les bénéficiaires envisagent l’autonomie comme nécessitant l’acquisition d’un certain nombre de compétences, leur permettant notam-ment de se " débrouiller " et de prendre les décisions qui jalonnent leur quotidien. Notre approche de l’autonomie sur base des travaux de Paugam (1991) et Duvoux (2008) mettra en évidence que ces différentes conceptions coexistant parmi les bénéficiaires peuvent se comprendre à la lumière du positionnement de chaque individu dans sa ten-tative de retrouver cette autonomie.

Professionnels et bénéficiaires s’accordent sur l’idée que l’autonomie est un objectif à atteindre ; répondre à cette injonction apparaissant comme un indicateur de " norma-lité ». Ainsi, mis à part pour les bénéficiaires très éloignés de l’autonomie, elle constitue une valeur centrale, que les relations avec les professionnels doivent permettre d’activer.

l’autonomie est devenue une valeur centrale dans le secteur de l’action sociale mais plus largement au sein de nos sociétés contemporaines19, prévalence dont les bénéficiaires sont bien conscients. Ces derniers ont ainsi opéré un rapprochement spontané entre la notion d’autonomie et le champ sémantique de la normalité, être " autonome " étant assimilé à être " comme tout le monde ", une normalité qui devrait toucher toutes les facettes de leur quotidien.

la question de la normalité, et donc de la norme, est en effet très présente dans les dis-cours des bénéficiaires, considérant l’autonomie comme un gage de cette normalité, leur permettant d’atteindre le statut d’individu responsable, d’un " inclus à part entière ".

Être autonome, c’est pouvoir gérer sa vie complète que ce soit financier ou le reste… Pour moi, c’est normal d’être autonome. Oui, moi, je ne dépends pas de… Moi, je m’en suis toujours sorti, enfin, matériellement. (Bénéficiaire de l’accom-pagnement social en logement – Extrait d’entretien – Septembre 2010)

Promue principalement en tant que valeur, l’autonomie implique également une série de capacités que les bénéficiaires doivent mobiliser. Dans ses premières acceptations, l’au-tonomie impliquera de la part du bénéficiaire qu’il puisse " se débrouiller ", indiquant par là qu’il devra être en mesure de prendre en charge une série de gestes qui organisent son quotidien. Se débrouiller sous-entendant alors, d’une part, que l’individu, ne dispo-sant pas de la maîtrise complète de la situation, devra agir au mieux selon les compétences dont il dispose et, d’autre part, qu’il réalisera ces actions sans le concours d’autrui.

Être autonome, c’est savoir se débrouiller tout seul pour n’importe quoi. C’est se faire à manger, savoir s’occuper de ses papiers, savoir aller travailler, savoir faire

19 Ainsi, le CPAS a vu le sens de son acronyme modifié, passant de la notion d’aide à la notion d’action.

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menés avec des dizaines de bénéficiaires. De ce processus naîtra un ouvrage qui devien-dra une référence, la disqualification sociale (1991), au sein duquel l’auteur élabore une typologie avec pour objectif de catégoriser trois types de relation aux services d’action sociale et au système de l’assistance. Pour élaborer cette typologie, Paugam se basera sur deux dimensions que sont le rapport à l’emploi et les relations avec les travailleurs sociaux. il construit ainsi un modèle à plusieurs entrées où il analyse la fragilité, la dé-pendance et la rupture. Vingt ans plus tard, Duvoux (2008) reprendra ce modèle pour l’actualiser, ne parlant plus cette fois du degré de dépendance mais évoquant l’autono-mie qu’il distingue comme intériorisée, contrariée et pouvant aller jusqu’au refus de la dépendance.

S’inspirant des apports de ces deux modèles théoriques, nous avons interrogé la ques-tion de l’autonomie des bénéficiaires au sein des dispositifs d’accompagnement social en logement au départ de trois critères : les rapports avec les travailleurs sociaux, l’appré-ciation quant à la notion d’autonomie et surtout, le rapport au logement. en effet, les deux auteurs précédents se centraient sur le rapport à l’emploi, partant d’un dispositif mis en place afin d’encourager l’insertion professionnelle. Au vu de notre objet d’étude, il semblait plus pertinent de remplacer ce rapport à l’emploi par un rapport au logement. Par ce choix, nous nous inscrivons dans la vision de Bresson (1997) lorsqu’il évoque une transformation des normes sociales intégratrices par un affaiblissement de la norme emploi au profit de la norme logement.

Sur base de ces trois indicateurs et de l’analyse des entretiens menés avec les trente-trois bénéficiaires ayant pris part au protocole de recherche, nous avons établi quatre degrés théoriques d’autonomie.

2.1.1.Degré1 :Uneautonomieenvoied’appropriation

Ces bénéficiaires disposaient déjà d’une expérience de locataire et/ou de propriétaire - plus rarement - avant d’intégrer le logement qu’ils occupent actuellement. ils possèdent une certaine habitude des tâches afférentes à l’occupation d’un logement telles que le paiement du loyer, l’entretien du bien, les relations avec les fournisseurs d’énergie et autres. même si leur expérience en tant que personne sans-abri ou exclue du logement a introduit un certain flou dans leur situation administrative, celle-ci peut se réguler au fil des mois, parfois avec l’intervention des travailleurs sociaux.

ils sont satisfaits de leur logement et ont conservé un référentiel relativement précis pour préjuger de cette satisfaction. attirés par les loyers compétitifs du parc public, ils envisagent une sortie vers le parc privé si leurs revenus connaissaient une augmentation, notamment par la reprise d’une activité professionnelle. entrer en rapport direct avec un propriétaire, sans l’intermédiation du travailleur social, ne leur pose pas de difficultés particulières, targuant sur les compétences acquises par leurs expériences passées.

Si, au début de leur installation, ils ont fait appel aux travailleurs sociaux, généralement pour obtenir des informations complémentaires, leurs rapports sont désormais épars. S’ils les sollicitent encore, de temps à autre, il s’agit exclusivement de questions liées au logement lorsque le travailleur social appartient à l’institution propriétaire de celui-ci, s’inscrivant dans la relation d’un locataire vers un propriétaire, dont le travailleur social constituerait l’intermédiaire. lorsque le travailleur social n’a pas de lien avec le pro-

de l’opportunité d’une sortie du dispositif. or, ces démarches n’ont jamais pu aboutir. il semble que ce double niveau de perception de l’autonomie en soit l’une des causes explicatives. Se sentir et se déclarer autonome semblent, de prime abord, relever du seul individu. Toutefois, pour que cette perception interne perdure, elle devra susciter l’ad-hésion des autres acteurs, qui confirmeront ou infirmeront cette perception endogène. En effet, sans cette reconnaissance extérieure de son autonomie, le bénéficiaire n’aura jamais vraiment l’occasion de l’exercer pleinement, si ce n’est en déniant toute valeur à ce jugement extérieur. Certaines sorties anticipées du dispositif, contre l’avis des profes-sionnels, pouvaient paradoxalement apparaître comme une volonté de faire reconnaître son autonomie.

Les discours des bénéficiaires laissent à penser que peu d’entre eux ne se sentent pas au-tonomes. Précisons à cet égard qu’il peut parfois être malaisé de reconnaître un manque d’autonomie face à un étranger comme le chercheur, d’autant que les discours des béné-ficiaires montrent combien ils sont conscients de la prépondérance de cette valeur au sein de nos sociétés contemporaines.

De leur côté, les professionnels justifient généralement à la fois l’entrée et la sortie d’un dispositif d’accompagnement par un manquement, ou une amélioration, au niveau de cette autonomie. il importe donc que ces deux protagonistes puissent s’entendre quant à l’appréciation qu’ils en feront. Or, l’on constate, tant par les définitions reprises ci-dessus que dans la pratique, que des conflits peuvent survenir, complexifiant la suite de l’accompagnement, plus particulièrement dans la négociation relative à son contenu et à son intensité.

Certains bénéficiaires, revendiquant un haut degré d’autonomie, pourront avoir des dif-ficultés à accepter un accompagnement trop intense, ayant le sentiment que l’autonomie telle qu’ils la ressentent n’est pas reconnue par les professionnels. À l’autre extrême, certains bénéficiaires ne s’estimant pas suffisamment autonomes pourront interpréter une moindre intensité de l’accompagnement comme un signe de désintérêt. Pour que l’accompagnement puisse se dérouler sans encombre, professionnels et bénéficiaires de-vront mettre en place un équilibre suite à une négociation souvent intense. Si un accord survient, il se verra, par ailleurs, régulièrement réévalué. la rencontre entre perception individuelle et reconnaissance extérieure sera l’une des clés de la réussite de l’ensemble du dispositif.

2. Uneconceptiondel’autonomiecommeunprocessus

Les difficultés des acteurs à définir une telle notion peuvent se comprendre par le fait que l’autonomie ne constitue pas un état mais relève d’un processus. les professionnels préfèrent ainsi évoquer la " mise en autonomie " plutôt que l’autonomie elle-même. Ce constat de terrain est d’ailleurs repris par plusieurs auteurs ayant analysé la question de l’autonomie ou de l’autonomisation des publics fragilisés par la description de diffé-rentes phases

Suite à l’introduction du RMI à la fin des années 80 en France, Paugam se lance dans une vaste enquête visant à interroger la mise en place de ce dispositif au départ d’entretiens

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d'accompagnement ne sont généralement pas les premiers intervenants sociaux à entrer en contact avec eux - leurs rapports se déroulent selon des codes maîtrisés par les deux parties. Considérant ne pas avoir la chance des autres jeunes de leur âge puisqu’ils ne disposent que de très peu voire d’aucune ressource familiale, l’aide apportée par les tra-vailleurs sociaux leur semble une compensation légitime. ils les sollicitent donc pour de nombreux domaines de leur vie. Parfois à peine sortis de l’adolescence, ils ont des diffi-cultés à accepter que le travailleur social joue un rôle de contrôle sur leurs actions. Dès lors, ce travailleur social pourra être assimilé au " méchant " et les confidences seront réservées à un autre. Conscients de ce phénomène, il n’est d’ailleurs pas rare que les tra-vailleurs sociaux jouent sur cette complémentarité des rôles. S’il est plus caractéristique des jeunes populations, ce phénomène se retrouve chez certains adultes.

leur jeune âge les a généralement empêchés de vivre pleinement leur autonomie, qu’ils considèrent comme synonyme de notions telles que l’indépendance et la liberté. Pour eux, cette première expérience en logement est donc à la fois source d’enthousiasme et d’angoisse. Manquant de connaissances, de capacités financières, d’appuis extérieurs, l’autonomie les attire autant qu’elle les repousse. S’ils estiment fondamental d’être autonome à terme, ils considèrent que leur âge est une justification acceptable au fait qu’ils n’en jouissent pas encore pleinement. ils n’éprouvent aucune honte à déclarer ne pas se sentir autonomes et les conséquences sur leur estime de soi restent minimes. l’autonomie reste un objectif à atteindre, sans constituer leur objectif prioritaire. ils ne conçoivent dès lors pas l’aide des travailleurs sociaux comme un frein à l’exercice de cette autonomie mais comme un appui pour y accéder un jour.

initialement construite au départ des parcours des jeunes membres de l’échantillon, nous avons constaté que cette catégorie pouvait également concerner les bénéficiaires dont l’épisode d’exclusion du logement survenait après une période relativement longue de stabilité en logement, malgré l’insalubrité de ce dernier. Ces expériences antérieures influent d’ailleurs fortement sur le référentiel de ces bénéficiaires. Ces situations concer-naient alors plus particulièrement les familles. leurs rapports se vivent sous un même mode que pour leurs jeunes homologues, puisque si ces contacts sont acceptés, voire valorisés, ils doivent maintenir une certaine distance. les rapports qu’ils entretiennent avec les professionnels de l’accompagnement sont rationnalisés par le recours à des évé-nements extérieurs pour justifier leur situation d’exclusion du logement, aucun n’ayant d’ailleurs connu le sans-abrisme stricto sensu. la situation n’est néanmoins acceptable que si elle est envisagée comme transitoire. Si elle venait à perdurer, leur estime de soi en serait endommagée. L’autonomie apparaît comme une valeur importante et reste un objectif, perçue principalement comme un affranchissement par rapport aux profession-nels de l’accompagnement – même si certains souhaiteraient conserver des rapports d’ordre personnel – mais aussi par rapport à tous les travailleurs sociaux.

2.1.3. Degré3 :Uneautonomieentension

De par son ambivalence, cette catégorie est sans doute la plus hétérogène des quatre au niveau des individus qui la constituent. leur parcours résidentiel est ponctué par des allers-retours dans le logement, principalement dans le logement privé mais pas exclu-sivement. Ces expériences ont été vécues soit en tant qu’isolé, soit en tant que membre d’un ménage, soit le plus souvent, suivant les deux configurations. Ils ont alterné des ex-

priétaire, les rencontres sont l’occasion de faire le point sur la situation des personnes mais les demandes sont rares et les informations transmises limitées à certains champs. Lorsqu’une difficulté survient, les personnes font appel à d’autres appuis. Le travailleur social n’est envisagé que comme une ultime ressource. les relations entre les deux pro-tagonistes sont plutôt positives, à condition que le travailleur social respecte cette volon-té de mise à distance. Certaines visites trop régulières peuvent être vécues comme des intrusions et entraîner des réactions d’indignation chez les bénéficiaires.

Pour ces bénéficiaires, l’autonomie correspond à la possibilité de prendre ses propres décisions et doit couvrir l’ensemble des domaines du quotidien. Se basant sur cette définition, ils s’estiment donc autonomes. Ils réalisent seuls la quasi-totalité de leurs démarches. même s’ils admettent avoir eu recours aux travailleurs sociaux par le passé, ils considèrent cette phase comme ayant été transitoire. Disposant d’un certain nombre de capitaux, ces bénéficiaires ont déjà fait montre d’autonomie par le passé et la perte de celle-ci ou du moins d’une partie d’entre elle a été douloureuse à accepter.

Si confrontés à de nouveaux problèmes, ils déclarent qu’ils pourraient de nouveau faire appel à des travailleurs sociaux, ils nuancent cette position en rappelant que cette pé-riode de" galère " a aussi constitué une période d’apprentissage. Leur volonté de s’affran-chir du système d’aide sociale reste fortement ancrée chez eux. Ils sont reconnaissants envers l’aide apportée mais restent conscients que cela n’a pas été sans conséquence sur leur image de soi. Estimant avoir dû faire de nombreux sacrifices pour se réapproprier leur autonomie, elle apparaît désormais comme une valeur importante dans la constitu-tion de leur identité.

2.1.2. Degré2 :Uneautonomierecherchée

Cette catégorie concerne principalement des jeunes sortis d’institution ou en rupture familiale. ils occupent un logement propre pour la première fois et méconnaissent la plu-part des démarches à entreprendre pour la tenue de celui-ci. ils font donc régulièrement appel aux travailleurs sociaux pour solliciter une information ou plus régulièrement un accompagnement physique dans l’accomplissement de l’une ou l’autre démarche.

Ils ont des difficultés pour spécifier leur ressenti par rapport à leur logement. Ils se basent sur des références liées à leur expérience passée (lorsqu’ils ne disposaient que d’un espace réduit au sein d’un lieu plus collectif qu’il s’agisse d’une institution ou du domicile familial). La localisation à proximité des centres-villes, et donc des lieux de loi-sirs, fait partie de leurs critères d’évaluation. Des caractéristiques telles que la salubrité du bien leur apparaissent trop abstraits.

Si, avant d’entrer dans le dispositif d'accompagnement, ils avaient fait des démarches vers le secteur privé, ils ont généralement émis le souhait d’être accompagnés, estimant qu’ils ne pouvaient se fier à leur propre jugement en la matière. N’étant jamais entrés en contact direct avec un propriétaire privé, ils craignent cette première confrontation et suspectent souvent les propriétaires de vouloir les " arnaquer ". Certains estiment ce-pendant que cette première expérience dans le cadre des dispositifs d'accompagnement constitue un bon apprentissage pour faire face à ces propriétaires dans le futur.

Généralement habitués à côtoyer les travailleurs sociaux - ceux en charge des dispositifs

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2.1.4. Degré4 :UneautonomiedélaisséeLeur parcours en matière de logement se rapproche de celui des bénéficiaires du degré précédent. il est généralement jonché d’expériences en logement de courte durée et stoppées brutalement, notamment par des expulsions sauvages20. leurs rapports avec les propriétaires, qu’ils appartiennent au parc privé ou public, sont généralement vécus sous un mode conflictuel. Reproduisant un modèle similaire dans les différents loge-ments occupés, plusieurs aspects liés à sa gestion peuvent être négligés, amenant une accumulation de problématiques trop lourdes pour que la personne se maintienne dans le logement. leur occupation du logement se vit comme une phase temporaire. ils inves-tissent donc peu les lieux, que ce soit par leur présence physique ou par des objets maté-riels. ils y reproduisent des habitudes acquises dans le monde de la rue. leurs critères de satisfaction se définissent selon un mode onirique, leur choix se dirigeant sur de grandes demeures, généralement plutôt situées dans des campagnes verdoyantes. Alors qu’ils éprouvent des difficultés importantes dans de nombreux domaines de leur quotidien, ils ont du mal à se tourner vers les travailleurs sociaux, car ils estiment l’action de ces derniers inutile. Disposant d’une connaissance pointue de l’entièreté du dispositif d’aide, ils s’estiment d’ailleurs aptes à remplacer les travailleurs sociaux auprès des nou-veaux venus en les orientant au mieux dans le dédale des services sociaux. ils mettent souvent en avant ce rôle de passeur d’informations qu’ils se plaisent à jouer. Sans rejeter catégoriquement les travailleurs sociaux, ils aimeraient néanmoins être traités en égaux et que leurs connaissances dans le domaine social soient reconnues et valorisées par les professionnels. lorsqu’ils considèrent qu’ils ne sont pas entendus ou pas pris au sérieux, les conflits peuvent voir le jour. Cela les amène parfois même à tout plaquer pour recom-mencer ailleurs (même s’il s’agit parfois de la commune d’à côté) et à entrer en contact avec d’autres services sociaux. De nouveau, leur conception de l’autonomie se rapproche de celle du degré 3, à savoir la capacité à " se débrouiller seul ". Pour ces bénéficiaires, il s’agit d’un élément central pour réclamer le statut d’adulte. ils vivent donc douloureusement et acceptent de plus en plus difficilement les interventions des travailleurs sociaux, qu’ils perçoivent comme allant à l’encontre de leur autonomie. Ne pouvant néanmoins objectivement se passer continuellement des interventions des travailleurs sociaux (ne serait-ce que pour pou-voir disposer de certains droits à des allocations sociales, par exemple), cette situation peut leur apparaitre comme de plus en plus difficilement acceptable. Les conséquences sur leur image de soi sont importantes et les conflits avec les repré-sentants des services sociaux nombreux. Toutefois, refuser parfois toute aide de la part des travailleurs sociaux peut dégrader leur situation, ce qui, à terme, nuira d’autant plus à leur autonomie. Perpétuellement coincés dans ce paradoxe, des ruptures peuvent in-tervenir. Cependant ces ruptures ne perdurent pas longtemps, car les ressources finan-cières des bénéficiaires sont liées aux prestations des travailleurs sociaux. Progressive-ment, il se peut qu’une partie de ces bénéficiaires en viennent à abandonner cette notion d’autonomie au profit d’autres valeurs plus accessibles, comme le fait d’aider leurs pairs.

20 Par ‘expulsion sauvage’, nous reprenons les termes utilisés par les opérateurs du logement sur le terri-toire carolorégien. Cette expression désigne des expulsions réalisées hors du cadre légal, c’est-à-dire des expulsions qui n’impliquent notamment pas la décision d’un juge de paix et la présence d’un huissier et des membres des forces de l’ordre. Ces expulsions sont généralement ponctuées d’actes d’intimidation et de violence envers le locataire concerné.

périences où ils étaient responsables de la pleine gestion du logement avec des épisodes où ces aspects étaient délégués en tout ou en partie à un(e) partenaire. Dans certains cas, leurs connaissances et leurs compétences quant à la gestion d’un logement peuvent être partielles. Ces expériences de logement se sont souvent conclues par des échecs. le fait d’occuper un logement peut donc constituer un élément anxiogène.

Conscients de la possibilité de perdre à nouveau leur logement, ils l’investissent relative-ment peu, consacrant un budget plus important à des objets qui pourront facilement être emportés s’ils devaient quitter le logement. en général, ils se déclarent peu satisfaits de leur logement. la partie du parc privé qui leur est accessible étant dégradée, ils espèrent se stabiliser dans le parc public.

leurs relations avec les travailleurs sociaux peuvent être extrêmement changeantes. elles peuvent passer d’un attachement inconditionnel à un rejet féroce, le tout dans des périodes extrêmement brèves. Cette alternance peut désarçonner les travailleurs sociaux, et ce d’autant plus que les signes de ce retournement de situation ne sont pas toujours visibles. Lors de la période " lune de miel ", les personnes feront en sorte de montrer leur bonne volonté et d’expliciter leurs échecs anciens par un manque d’aide de la part des services sociaux, désormais comblé par la rencontre avec ce travailleur social idéal, allié indispensable. les sollicitations pourront être nombreuses et usantes pour le professionnel. À l’autre extrême, le travailleur social sera considéré comme ne prenant pas en compte les demandes des personnes et n’étant pas suffisamment compétent pour apporter des solutions adéquates. Dans certains cas, les bénéficiaires continueront à sol-liciter les travailleurs sociaux. Dans d’autres, ils refuseront tout contact et une période sera nécessaire avant que le travailleur social puisse renouer le contact. Cette absence de contact sera toujours de courte durée. la fréquence des relations entre ces deux prota-gonistes est assez régulière, mais variable selon la période considérée. Quoi qu’il en soit, ils ont une certaine dépendance vis-à-vis des travailleurs sociaux, qu’elle soit consciente ou non, assumée ou non.

De même que pour leur parcours résidentiel, les liens qu’ils entretiennent avec la notion d’autonomie sont aléatoires et divergent fortement d’un individu à l’autre. Pour certains d’entre eux, cette autonomie n’a jamais pu être pleinement réalisée, soit en raison du maintien constant de liens avec l’un ou l’autre service social, soit du fait de leur dépen-dance, souvent financière, à un partenaire qui prend en charge la plupart des domaines de la vie de ces individus.

Pour ces bénéficiaires, l’autonomie, c’est la capacité à se débrouiller seul. Conscients que les périodes de leur vie où ils ont pu se considérer comme étant pleinement autonomes ont été de courte durée, ils minimisent l’importance d’une telle notion dans leur quoti-dien. lorsqu’ils la revendiquent plus ardemment, ils le font généralement pour s’inscrire en opposition avec les travailleurs sociaux, notamment lors des périodes de conflit.

Toutefois, lorsqu’ils ressentent un manque (qu’il soit économique, social, culturel ou autre), ils acceptent que leur autonomie soit diminuée pour disposer de l’aide des tra-vailleurs sociaux. ils maintiennent donc une position en tension, où conscients de n’avoir jamais pu actualiser pleinement leur autonomie, ils continuent à espérer qu’ils pourront un jour l’atteindre.

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3. Analysedesparcoursdestrente-troisbénéficiairesdel’échantillonauregarddelanotiond’autonomie

Sur base de ce modèle théorique, nous avons procédé à l’analyse du parcours de chacun des trente-trois bénéficiaires ayant pris part au protocole de recherche pour y déceler la prévalence des trois indicateurs choisis. Cette analyse se déroule sur deux temps : d’une part, à l’entrée du protocole de recherche et, d’autre part, à la sortie de celui-ci.

3.1. Unesurreprésentationdesprofilslesplusautonomes

De par la nécessité initiale d’impliquer 20 bénéficiaires, notre protocole de recherche a, au final, concerné 33 répondants. En effet, les départs inévitables pour un protocole s’étalant sur plusieurs années ont dû être compensés par l’intégration de nouveaux ré-pondants, dans une deuxième étape de constitution de l’échantillon. Par ailleurs, la prise en compte de deux projets-pilotes a permis de diversifier les situations d’analyse, tout en augmentant le nombre de répondants impliqués. la date d’entrée dans l’échantillon varie donc fortement pour chaque répondant considéré, certains ayant pris part au protocole de recherche dès mars 2010 tandis que les derniers répondants ont intégré le processus en novembre 2012. Pour permettre une cohérence dans l’analyse et dans la comparai-son des différentes biographies individuelles, l’analyse se portera sur les deux premiers entretiens de chaque bénéficiaire. Précisons que les bénéficiaires ayant intégré le pro-tocole de recherche lors de la première phase de constitution de l’échantillon étaient dans le dispositif d’accompagnement selon des durées variables allant d’une année à quelques semaines. Or, nous pensons que ce facteur temps est susceptible d’influencer le degré d’autonomie de chaque bénéficiaire. Cette variabilité dans les temporalités étant prise en compte dans l’analyse, nous pensons toutefois qu’elle constitue plutôt un atout permettant la comparaison entre différentes situations.

Figure n°3 - Situation de l’échantillon à l’entrée (1ère colonne) et à la sortie (2ème colonne) dans le protocole de recherche

Tableau n° 4 : Les différentes figures de l’autonomie à partir des discours des bénéficiaires sur les dispositifs d'accompagnement

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Autonomie délaissée

Autonomie en tension

Autonomie recherchée

Autonomie en voie d'appropriation

Rapport au logement Rapports avec les travailleurs sociaux

Appréciation quant à la notion de l’autonomie

Degré 1 : Une autonomie

en voie d’appropriation

● Référentiels quant à la gestion d’un logement acquis par des expériences positives antérieures; ● Satisfaction quant au logement occupé ; ● Espoir de pouvoir intégrer le parc privé, à condition d’une augmentation des revenus.

● Rapports ponctuels, généralement réservés au domaine du logement quand celui-ci appartient à l’institution; ●Autres ressources disponibles ; ●Relations positives si la mise à distance progressive peut se faire sans heurts.

●L’autonomie, c’est prendre ses propres décisions; ●Après une période transitoire où ils avaient le sentiment de ne plus être autonomes, ils ont désormais réacquis ce sentiment; ●Valeur importante dans la constitution de leur identité.

Degré 2 : Une autonomie

recherchée

● Pas ou peu de référentiels en matière de logement individuel, car première expérience ou habitude d’un logement inadapté; ●Des critères de satisfaction (quant au logement occupé) peu établis, se basant sur les expériences passées ; ● Méfiance a priori vis-à-vis du secteur privé, car méconnaissance ou contacts douloureux par le passé.

●Rapports réguliers et vécus sous un mode habituel pour les bénéficiaires. Un conflit peut subvenir si le contrôle exercé par les travailleurs sociaux devient trop important; ●Cette relation est considérée comme un substrat au manque d’entourage familial ou comme la conséquence d’évènements extérieurs indépendants de la volonté des personnes (maladie, crise du logement, propriétaire véreux, …); ●L’intervention des travailleurs sociaux concerne tous les domaines du quotidien, mais tend à se réduire avec le temps.

●L’autonomie, c’est être libre et indépendant; ●Leur âge ou le caractère transitoire de la situation constitue la justification du manque d’autonomie dont ils sont conscients. Cette justification rend moins douloureuse la prise de conscience; ● Ils espèrent pouvoir atteindre leur autonomie prochainement grâce à l’aide des travailleurs sociaux.

Degré 3: Une autonomie

en tension

●Parcours résidentiel fait d’allers/retours en raison de référentiels parfois inadaptés; ● Peu d’investissement quant au logement occupé; ● La partie du parc privé qui leur est accessible étant dégradée, ils espèrent se stabiliser dans le parc public.

● Rapports assez réguliers mais variables selon les périodes ; ● Position changeante entre la relation fusionnelle et le rejet brutal ; ● Disposant de peu de capitaux, les interventions concernent tous les domaines du quotidien.

●L’autonomie, c’est la capacité à se débrouiller seul; ●Conscients de n’avoir jamais pleinement pu atteindre cette autonomie; ● Ils minimisent l’importance d’une telle notion pour ne pas trop entamer l’estime de soi.

Degré 4 : Une autonomie

délaissée

● Référentiels souvent peu adaptés au logement ; ● Satisfaction peu élevée quant au logement occupé. Leurs critères d’évaluation se vivent sous un mode onirique ; ● Le rapport au logement est vécu sous un mode conflictuel qu’il s’agisse du parc privé ou public.

●Ils estiment que l’intervention des travailleurs sociaux est inutile ; ● Pourtant, ils doivent parfois se résoudre à faire appel à ces deniers pour la réalisation de démarches; ●Paradoxe de plus en plus difficilement tenable.

● L’autonomie, c’est la capacité à se débrouiller seul; ●Conscients de ne pas l’être, ils continuent à désirer le devenir; ●Les conséquences sur l’estime de soi peuvent donc être importantes.

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vigueur en matière de bail à résidence principale ou de convention d’occupation précaire ne permet pas d’adapter ces deux temporalités. Cette inadéquation entraîne une mobi-lité importante lorsque la durée de mise à disposition du logement est inférieure à la durée d’accompagnement nécessaire ou le maintien de personnes dans des logements où un accompagnement est offert sans qu’ils n’en aient plus besoin. rappelons toutefois que le maintien dans le logement se justifie par le fait que la personne continue à néces-siter un logement abordable, ce qu’elle ne peut trouver ailleurs. Précisons également que si l’accompagnement offert à ces personnes inscrites de longue date dans le dispositif est alors très léger, il peut être réactivé en période de crise.

Sept bénéficiaires présentent toutefois des durées d’accompagnement de moins d’un an. Parmi ces derniers, 4 bénéficiaires (n°29, 30, 31 et 32) étaient impliqués dans un projet qui ne prévoyait la mise à disposition d’un logement que pendant les mois d’hiver. a contrario,les 3 bénéficiaires restants (n°6, 7 et 8) relevaient d’un dispositif d’accompa-gnement limitant celui-ci à 6 mois minimum et à un an maximum.

Comme déjà précisé précédemment, 20 bénéficiaires affichaient un haut degré d’autono-mie au moment de leur entrée dans le protocole de recherche. Pour 9 d’entre eux, cette autonomie étaient en voie de réappropriation. Nous avons émis alors deux hypothèses pour expliquer cette surreprésentation ; soit les effets d’une sélection privilégiant les profils les moins désaffiliés, notre chapitre relatif à l’accessibilité ayant déjà mis en avant une sous–représentation des personnes sans-abri de longue date ; soit les effets positifs du processus d’apprentissage mis en place dans le cadre des dispositifs d’accompagne-ment social.

À l’analyse de ces 9 parcours individuels, l’on pourrait conclure que c’est surtout la pre-mière hypothèse qui influence cette surreprésentation puisque 6 de ces 9 bénéficiaires présentaient, dès leur entrée quasi simultanée dans le dispositif d’accompagnement social et dans le protocole de recherche, un haut degré d’autonomie que quelques mois d’accompagnement ont suffi à réactiver. Cependant, on remarque aussi que les trois autres bénéficiaires étaient depuis de longues années dans le dispositif d’accompagne-ment sans que leur autonomie ne soit remise en cause. Demeurer dans un dispositif d’accompagnement pendant plusieurs années ne semble donc pas entraver l’autonomie du bénéficiaire.

mais qu’en est-il de la validité de notre seconde hypothèse sur les effets du processus d’apprentissage des dispositifs d’accompagnement ? Pour répondre à cette question, il paraît intéressant d’analyser cette autonomie partant de la situation de chaque bénéfi-ciaire à l’entrée et à la sortie du protocole de recherche pour déterminer son évolution éventuelle.

3.2.2. Comparaison de l’échantillon à l’entrée et à la sortie du protocole de re-cherche

À l’entrée du protocole de recherche, nous identifions 9 personnes comme étant en voie de réappropriation de leur autonomie. a la sortie du dispositif, considérant les mêmes

Comme le montre la figure ci-dessus, 20 des 33 répondants impliqués dans un dispo-sitif d’accompagnement social démontrent, àl’entréeduprotocolederecherche, un degré d’autonomie relativement important, que celle-ci soit en voie d’être réappropriée ou recherchée. Faire partie d’un dispositif d’accompagnement ne serait donc pas anti-nomique à une certaine autonomie des répondants. Cette plus grande présence de per-sonnes dans les deux degrés les plus importants d’autonomie se comprend à la lumière de deux phénomènes.

D’une part, les professionnels de l’accompagnement ont pour volonté de ne pas se subs-tituer aux personnes et se montrent attentifs à éviter la création d’un phénomène de dépendance, et ce d’autant plus qu’ils savent leurs interventions limitées dans le temps. annoncé comme un principe fondamental d’action, l’accompagnement serait un proces-sus d’apprentissage vers le recouvrement partiel ou total de cette autonomie. or, nous indiquions en préambule que certains répondants se trouvaient déjà dans le dispositif d’accompagnement depuis parfois presqu’une année lorsqu’ils ont intégré le protocole de recherche. On peut donc penser que ces derniers avaient déjà pu, en partie, bénéfi-cier des effets de cet apprentissage et retrouver une certaine d’autonomie lors de leur intégration dans le protocole de recherche. Nous examinerons cette hypothèse plus en profondeur lors du second point de notre analyse.

D’autre part, le troisième chapitre relatif à l’accessibilité des bénéficiaires aux dispositifs d’accompagnement a permis de conclure en une représentation plus conséquente d’un certain profil de personnes, généralement issues d’un statut résidentiel moins précaire et ayant connu un épisode d’exclusion du logement de courte durée. on peut penser que les bénéficiaires affichant de telles caractéristiques ont conservé un degré d’autonomie plus élevé que leurs homologues ayant connu la rue durant plusieurs mois ou années.

La surreprésentation des profils les plus autonomes s’explique principalement soit par les procédures de sélection mises en place, permettant néanmoins de conclure qu’au-tonomie et accompagnement peuvent s’accorder, soit par le processus d’apprentissage intrinsèque aux dispositifs d’accompagnement conduisant progressivement à ce retour à l’autonomie. Si les deux phénomènes jouent sans doute de leur complémentarité, nous pensons néanmoins que la seconde hypothèse est celle qui permet d’expliciter cette sur-représentation. Pour le prouver, il s’agit dès lors d’analyser cette question de l’autono-mie au regard de la durée des dispositifs d’accompagnement social en logement.

3.2. Untempslongd’accompagnementcommeindicateurd’autonomie

3.2.1. La durée du dispositif d’accompagnement social

L’analyse du tableau n°7 montre que des dispositifs d’accompagnement social en loge-ment durent souvent plusieurs années. Ce constat doit cependant être relativisé par dif-férents éléments dont notamment la confusion entre durée d’occupation du logement et durée d’accompagnement. en effet, la plupart des dispositifs d’accompagnement s’orga-nisent au sein du patrimoine même de l’institution. or, la législation actuellement en

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autonomie (degré 4) et qui affichent une même absence d’évolution. Ainsi, si l’accèsaudispositifleurparaîtplusrestreintàlabase,onconstateégalementqu’ilssontceuxquiprofitentlemoinsdeseffetspositifsdel’accompagnement,pourcequiconcernel’améliorationdeleurautonomie (8 bénéficiaires du degré trois affichant un statu quo pour 3 bénéficiaires connaissant une évolution positive en matière d’auto-nomie). Précisions d’ailleurs que parmi ces 8 bénéficiaires du degré trois affichant un statu quo en termes d’autonomie, 3 disposent encore d’un logement, tandis que les 5 autres sont retournés en rue ou chez un tiers.

Ce constat de stagnation s’applique tant pour des dispositifs d’accompagnement de longue durée (bénéficiaires n°1, 3 ou 17) que de courte durée (bénéficiaires 29, 31 et 32). Signalons que la durée plus courte de l’accompagnement des bénéficiaires n°7, 15 et 19 s’explique par des sorties anticipées opérées par les bénéficiaires, ces derniers préférant quitter le logement mis à leur disposition plutôt que de continuer l’accompa-gnement.

l’une de nos premières suggestions était d’élargir les modalités d’accès aux dispositifs d’accompagnement en faveur des personnes les plus désaffiliées. Cette seconde partie d’analyse précise cette recommandation. Cet accès plus large doit s’accompagner d’une réflexion sur les types d’accompagnement proposés (notamment en matière de moyens actuellement disponibles pour intensifier et diversifier les dispositifs d’accompagne-ment social en logement) et sur les modalités de cet accès (un accès direct versus un accès conditionnés par certaines étapes préalables, notamment en structure d’héber-gement). En effet, si l’évolution des personnes ayant une autonomie en tension semble difficile, elle n’est pas impossible comme le montre la situation de deux bénéficiaires (bénéficiaires n°33 et 10). Précisons que le bénéficiaire n°33 a fait l’objet d’un accompa-gnement assuré par un binôme de travailleurs sociaux, l’un spécialisé dans la parenta-lité, l’autre assurant un accompagnement plus général. De son côté, le bénéficiaire n°10 a été accompagné pendant de nombreuses années.

Les bénéficiaires " presqu’autonomes " qui profitent le plus des effets de l’accompagnement

Parmi les 8 bénéficiaires affichant un taux d’autonomie plus élevé à la sortie qu’à l’entrée du protocole, deux d’entre eux sortaient d’une autonomie en tension (degré 3), passant pour l’un à une autonomie recherchée (degré 2) et pour l’autre à une autonomie en voie de réappropriation (degré 1). Tous deux se sont maintenus d’ailleurs en logement. Si notre constat quant aux moindres effets positifs de l’accompagnement pour les per-sonnes les moins autonomes doit être maintenu, la situation de ces deux bénéficiaires montre que des exceptions sont possibles.

Les 6 autres bénéficiaires évoluant positivement en termes d’autonomie sont, quant à eux, passés, durant l’accompagnement social en logement, du degré 2 vers le degré 1. Ainsi, alors qu’à l’entrée de la recherche, on dénombrait 11 bénéficiaires dans le degré 2, ils ne sont plus que quatre à la sortie du protocole de recherche. Cette catégorie de

indicateurs, 16 personnes se trouvent dans la même situation. Comment comprendre cette augmentation et qu’en est-il des personnes affichant, lors de leur entrée dans le protocole de recherche, un degré d’autonomie plus faible ?

La comparaison des trajectoires de chaque bénéficiaire peut nous apporter certains élé-ments de réponse. Toutefois, il faut prendre en compte que chaque bénéficiaire n’affiche pas la même durée au sein du dispositif d’accompagnement. D’une part, chacun d’eux, ayant un rythme propre, prendra plus ou moins de temps dans son évolution éventuelle. D’autre part, les " sorties anticipées " (à l’initiative du bénéficiaire, se soldant souvent par un retour au statut de personne sans-abri ou exclue du logement) peuvent égale-ment raccourcir la durée de l’accompagnement.

De manière globale, l’on constate que parmi les 33 bénéficiaires, 23 affichaient un taux d’autonomie similaire à l’entrée et à la sortie du protocole de recherche, 8 affichaient un taux plus élevé tandis que 2 affichaient un taux moins élevé. Le premier constat est quel’entréedansundispositifd’accompagnementseraitplutôtdenatureàamé-liorerl’autonomiedespersonnes,puisque8d’entreellesontconnuuneévolutionpositive,alorsqueseules2ontvuleurautonomiedécroîtrelorsdeleurparcoursau seindudispositif d’accompagnement. Cependant, au-delà de ce traitement très général, il est intéressant de mieux comprendre ces différentes évolutions individuelles.

Les effets moindres de l’accompagnement auprès des publics les plus désaffiliés

Lors de leur entrée dans le protocole de recherche, 9 bénéficiaires étaient en voie de réappropriation de leur autonomie (degré 1) ; à la sortie, ces 9 mêmes personnes sont demeurées dans la même catégorie, montrant bien que l’accompagnement ne nuit pas à l’autonomie initiale, même pour les personnes ayant un degré élevé d’autonomie. Par ailleurs, ce statu quo est, en réalité, le fruit de notre modèle théorique, ne prévoyant pas de degré plus élevé, sans quoi ces personnes auraient probablement atteint un degré 5 d’autonomie totale.

Pour ce qui concerne les 14 autres bénéficiaires qui affichaient cette même stagnation au niveau de l’autonomie, le statu quo atteint surtout les individus affichant une autono-mie en tension (degré 3). Ils sont 8 à être demeurés au même degré d’autonomie entre leur entrée et leur sortie du protocole de recherche. Signalons que 2 de ces bénéficiaires demeurent actuellement dans le dispositif d’accompagnement et qu’une évolution reste donc encore envisageable.

on peut émettre l’hypothèse que les personnes ayant une autonomie en tension éprouvent des difficultés à évoluer sur ce point, bien que ces faiblesses ne se manifestent pas de la même façon dans tous les domaines. Comment expliquer l’absence d’évolution chez ces 8 bénéficiaires dont l’autonomie est en tension ?

En reprenant chaque parcours individuel, on s’aperçoit que ces bénéficiaires sont ceux dont les statuts résidentiels étaient les plus précaires et dont la carrière avait été la plus longue ; caractéristiques qu’ils partagent avec les deux bénéficiaires qui ont délaissé leur

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Tableau n° 5 - Trajectoire des bénéficiaires au sein des dispositifs d’accompagnement social en logement bénéficiaires apparaît donc comme l’une de celles profitant le plus des effets de l’accom-

pagnement, du moins pour ce qui concerne son autonomie.

A contrario, deux bénéficiaires vont connaître une détérioration de leur niveau d’auto-nomie. en retournant à leur situation individuelle ceux-ci, on constate que ce sont en réalité des éléments inattendus de leur biographie qui semblent être à l’origine de cette détérioration. Ainsi, ces bénéficiaires, qui au départ, présentaient des problèmes de santé mentale, ont vu leur maladie s’aggraver, obligeant d’ailleurs les professionnels de l’accompagnement social à les réorienter (sans toujours trouver de solutions, comme c’est le cas pour l’un des bénéficiaires demeurant toujours dans le dispositif). Les liens entre le secteur de la santé mentale et de l’action sociale restent en effet complexes à actualiser sur le terrain.

les dispositifs d’accompagnement social impliquent donc prioritairement des per-sonnes qui ont déjà atteint un certain niveau d’autonomie. Ceci vient donc corroborer nos conclusions, à savoir une sélectivité à l’œuvre au sein de ces dispositifs. Cependant, les analyses permises par le suivi longitudinal mettent aussi en avant le processus d’ap-prentissage et de mise en autonomie des dispositifs d’accompagnement social, particu-lièrement au niveau des bénéficiaires en recherche d’autonomie (degré2). En effet, si des " échecs " (ou en d’autres mots, les " sorties anticipées " du dispositif avec un retour au statut de personne sans-abri ou exclue du logement, voire les " régressions " dans l’autonomie notamment pour des problèmes de santé mentale) sont bien évidemment possibles, la majorité des personnes a vu son degré d’autonomie augmenter lors du dispositif d’accompagnement, particulièrement du degré 2 vers le degré 1, tandis que les personnes présentant déjà un degré 1 d’autonomie affichaient un statu quo faute d’évolution possible au sein de notre modèle théorique. Ces différentes évolutions nous amènent à affirmer que les dispositifs d’accompagnement social ne constituent en rien un obstacle à l’autonomie.

Cette analyse évolutive a également mis en avant que les bénéficiaires les plus désaffi-liés, en plus de leurs difficultés d’accès aux dispositifs, sont aussi ceux qui " profitent " le moins des effets de l’accompagnement social et qui voient leur autonomie stagner. Certains retourneront d’ailleurs au statut de personne sans-abri ou exclue du logement.

Ces deux constats précisent nos remarques quant à l’accès des personnes les plus désaf-filiées aux dispositifs d’accompagnement social. En effet, si nous pensons qu’il importe d’élargir ces conditions d’accès, il s’agit de réfléchir aux conditions à mettre en place pour que cet accès plus important ne se solde pas par un échec supplémentaire pour ces personnes. or, actuellement, le secteur ne dispose encore que de peu moyens pour envisager des types d’accompagnement plus intenses et plus diversifiés.

Degré

d’autonomie Entrée protocole

Degré

d’autonomie Entrée protocole

Phase de

la carrière

Statut

du DAS durée1

Statut

résidentiel Entrée dans le DAS2

Statut

résidentiel –Sortie du protocole3

EVOLUTION POSITIVE Bénéf. n°2 2 1 Phase 2 Terminé (48) Rue/HU Logement Bénéf. n°6 2 1 Phase 1 Terminé (6) HLD/Inst. Logement Bénéf. n°8 2 1 Phase 1 Terminé (6) Log. insalubre Logement Bénéf. n°18 2 1 Phase 2 En cours (36) HLD/Inst. Logement Bénéf. n°28 2 1 Phase 1 Terminé (18) HLD/Inst. Logement Bénéf. n°30 2 1 Phase 1 Terminé (4) Rue/HU Logement Bénéf. n°33 3 2 Phase 2 En cours (20) Log. insalubre Logement Bénéf. n°10 3 1 Phase 1 En cours(20 HLD/Inst. Logement STAGNATION Bénéf. n°5 1 1 Phase 1 Terminé (48) HLD/Inst. Logement Bénéf. n°11 1 1 Phase 1 Inconnu HLD/Inst. Inconnu Bénéf. n°12 1 1 Phase 1 En cours (48) Log. insalubre Logement Bénéf. n°13 1 1 Phase 1 En cours (72) HLD/Inst. Logement Bénéf. n°14 1 1 Phase 1 Terminé (24) Rue/HU Logement Bénéf. n°9 1 1 Phase 1 Terminé (12) HLD/Inst. Logement Bénéf. n°16 1 1 Phase 1 En cours (36) Log. insalubre Logement Bénéf. n°23 1 1 Phase 1 Terminé (12) HLD/Inst. Logement Bénéf. n°27 1 1 Phase 1 Terminé (18) Log. insalubre Logement Bénéf. n°26 2 2 Phase 1 En cours (24) Log. insalubre Logement Bénéf. n°24 2 2 Phase 1 Terminé (24) Log. Insalubre Logement Bénéf. n°21 2 2 Phase 1 Terminé (36) Tiers Logement Bénéf. n°22 2 2 Phase 1 Terminé (30) Tiers Inst. carcérale Bénéf. n°17 3 3 Phase 1 En cours (36) Tiers Logement Bénéf. n°1 3 3 Phase 2 Terminé (48) Log. insalubre Logement Bénéf. n°3 3 3 Phase 1 Terminé (36) HLD/Inst. Hébergement Bénéf. n°7 3 3 Phase 1 Terminé (6) Log. insalubre Log. chez un tiers Bénéf. n°25 3 3 Phase 1 En cours (18) HLD/Inst. Logement Bénéf. n°29 3 3 Phase 2 Terminé (4) Rue/HU Hébergement Bénéf. n°31 3 3 Phase 1 Terminé (4) Tiers Log. chez un tiers Bénéf. n°32 3 3 Phase 3 Terminé (4) Rue/Hu Hébergement Bénéf. n°15 4 4 Phase 3 Terminé (12) Rue/Hu Hébergement Bénéf. n°19 4 4 Phase 3 Terminé (12) Rue/HU Hébergement RÉGRESSION Bénéf. n°4 3 4 Phase 2 En cours (48) RUE/HU Logement Bénéf. n°20 2 4 Phase 2 Terminé (18) Rue/Hu Institution

1 Situation en juin 2013. 2 Nous avons considéré le statut résidentiel principal de chaque répondant au cours du mois antérieur. Certains pouvaient cumuler plusieurs statuts, notamment entre l’hébergement chez un tiers et l’hébergement d’urgence. 3 Situation en juin 2013.

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de revoir les critères d’accès permettant aux profils les plus désaffiliés d’accéder aux dispositifs d’accompagnement, ces difficultés de taille en termes de mise en autonomie devront donc être prises en considération.

En lien direct avec le chapitre III présentant les profils des répondants, ce tableau n°7 nous permet de constater un lien entre le degré d’autonomie et la phase atteinte par un individu dans sa carrière de personne sans-abri, dont l’un des indicateurs mobilisés concernait le statut résidentiel du répondant.

Tableau n° 6 – Lien entre statut-résidentiel et degré d’autonomie

l’on constate que les personnes en rue ou en structure d’hébergement d’urgence appa-raissent comme les moins autonomes. Seules les personnes avec ce type de structure d’hébergement sont reprises dans le degré le plus faible d’autonomie. a l’inverse, les personnes hébergées en structures d’hébergement de longue durée affichent un taux d’autonomie plus élevé, à l’image des personnes provenant d’un logement insalubre. les personnes se trouvant dans la première phase de leur carrière présentent un degré d’au-tonomie relativement élevé, tandis que les personnes se trouvant dans la dernière phase de leur carrière se trouvent au niveau le plus faible d’autonomie.

Tableau n° 7 – Lien phase de la carrière et degré d’autonomie

De par notre échantillon restreint d’individus, nos constats découlant de mesures quan-titatives doivent être pris avec précaution. l’on constate néanmoins que les personnes ayant un profil le plus désaffilié (précarité du statut résidentiel et avancement dans la carrière) sont aussi celles qui sont le moins autonomes. Or, nous venions de conclure que les personnes les moins autonomes sont celles qui profitent le moins des bénéfices de l’accompagnement pour la réappropriation de leur autonomie. S’il nous paraît important

Degré

d’autonomie n°1

Degré d’autonomie

n°2

Degré d’autonomie

n°3

Degré d’autonomie

n°4

Total Rue/Hu 1 3 4 2 10

HLD 5 3 3 0 11 Tiers 0 2 2 0 4

Logement insalubre

3 3 2 0 8

Total 9 11 11 2 33

Degré

d’autonomie n°1

Degré d’autonomie

n°2

Degré d’autonomie

n°3

Degré d’autonomie

n°4

Total Phase 1 9 8 6 0 23 Phase 2 0 3 4 0 7 Phase 3 0 0 1 2 3

Total 9 11 11 2 33

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CHAPITRE Vla CoNTraCTualiSaTioN De l’aCComPaGNemeNT SoCial

Si l’autonomie et la responsabilisation sont des notions centrales dans les discours en-tourant la plupart des dispositifs mis en place dans le secteur de l’action sociale – dépas-sant largement le secteur de la lutte contre le sans-abrisme et l’exclusion du logement -, c’est leur application au travers d’un outil tel que le contrat qui a retenu notre attention. En effet, la contractualisation fait maintenant partie prenante du paysage des bénéfi-ciaires et professionnels de l’action sociale. Que ce soit un contrat d’accompagnement des chômeurs, un contrat d’intégration des allocataires du riS, ou encore un programme d’accompagnement individualisé pour les résidents des maisons d’accueil, le contrat a fait une entrée fracassante dans le secteur de l’action sociale, générant son lot de cri-tiques et de remises en cause.

les dispositifs d’accompagnement social en logement n’échappent pas à cette logique. Cependant, à la différence des autres dispositifs que nous venons de citer, cette utili-sation du contrat ne découle pas d’une injonction par les instances supérieures mais bien d’initiatives de terrain. ainsi, la majorité des services partenaires de cette recherche recourent à une forme de contractualisation. Face à un tel succès sur le terrain, il appa-raissait intéressant de consacrer un chapitre entier à ce phénomène.

La contractualisation à l’œuvre au sein des dispositifs d’accompagnement social en loge-ment est une thématique à considérer, et ce d’autant plus que les formes qu’elle adopte sont souvent hybrides en raison de l’existence d’un premier lien contractuel entre loca-

© Fabienne Denoncin

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d’éviter toute source de contraintes dans la mise en place d’un dispositif d’accompagne-ment social (cet accompagnement sous contrainte étant souvent associé à des échecs dans les démarches ultérieures), l’usage du contrat dans la pratique apparaît, de prime abord, antinomique à ce souhait initial.

De leur côté, les bénéficiaires semblent éprouver d’importantes difficultés à distinguer ce qui relève d’une obligation légale liée au contrat de bail, des obligations qui découle-raient de la contractualisation de l’accompagnement.

1.2. Lesconditionsdelabonneexécutiond’uncontratausensjuridique

Pour qu’un contrat puisse être reconnu d’un point de vue juridique, différentes condi-tions doivent être remplies. Nous retiendrons le consentement éclairé des parties, la capacité des parties à contracter ainsi que l’absence de disproportionnalité entre les parties (Hubert, 2006). Ces conditions sont à considérer dans un sens relativement res-treint. ainsi, le consentement éclairé des parties prévaut uniquement au moment de la signature dudit contrat. Or, si les bénéficiaires ont tous déclaré avoir été informés du contenu de chaque document signé, nous nous étonnons que quelques mois, voire par-fois quelques semaines suivant cette signature, peu d’entre eux se souviennent de ce qu’ils ont signé et des engagements pris par cette signature. De la même manière, l’inter-prétation juridique des capacités des parties à contracter concerne l’âge et les facul-tés mentales des contractants. Cependant, l’on peut considérer ces capacités dans un sens plus large. En effet, les bénéficiaires des dispositifs d’accompagnement social en logement présentent certains manques en termes de capitaux économiques, sociaux et culturels, manques qui remettent en cause, au moins en partie, leurs capacités à contrac-ter. Enfin, juridiquement, l’absence de disproportionnalité touche les cas où l’une des deux parties profiterait d’une faiblesse de l’autre contractant ou lorsque le contrat intro-duirait un déséquilibre flagrant dans les obligations respectives de chacun. Dans le cas du contrat d’accompagnement social, la relation qui unit bénéficiaire et professionnel semble d’emblée afficher un tel déséquilibre, le bénéficiaire se voyant placé dans une position où il est celui qui requiert l’aide du professionnel. Toutefois, juridiquement par-lant, cette asymétrie dans la relation ne peut être considérée comme un déséquilibre flagrant, en ce sens que chacune des parties est consciente de ce déséquilibre et s’engage à ne pas en tirer avantage.

Si, d’un point de vue strictement juridique, le contrat d’accompagnement répond donc à ces trois conditions principales, une interprétation plus large de ces conditions appelle à des remises en cause. Pour poursuivre l’analyse de la contractualisation de l’accompa-gnement social, on peut s’inspirer des travaux de Michaux (cité par Hubert, 2006) qui distinguent cinq critères permettant de prévaloir de la valeur juridique d’un contrat.

La signature d’un document. Tous les services ayant choisi la voie de la contractualisation ont adopté une forme écrite, prévoyant une signature du document par le bénéficiaire et le professionnel. Toutefois, l’on peut s’interroger sur la valeur accordée à l’écrit par ces bénéficiaires qui semblent privilégier l’oral et l’engagement interpersonnel. Par ailleurs, l’on note que ces bénéficiaires disposent de peu de références en matière de contrats, tant dans sa forme que son contenu, entravant sa réelle appropriation. en outre, cette signature intervient dans un moment stressant pour le bénéficiaire. Au moment de l’ac-

taires et opérateurs de par la mise à disposition d’un logement . la contractualisation de l’accompagnement social en logement prend des formes diverses (article du contrat de bail, annexe, document indépendant,…), ce qui peut devenir une source de confusion tant au niveau de la reconnaissance juridique et légale de l’accompagnement que dans l’appropriation qu’en ont les locataires. en outre, bien que très souvent mobilisé dans les discours des professionnels, son usage dans la pratique des professionnels se fait plus marginal et son existence est souvent déniée par les bénéficiaires. Nous tenterons de comprendre les raisons de ce paradoxe entre omniprésence dans les discours et uti-lisation symbolique. Pour ce faire, nous allons considérer les stratégies relationnelles et identitaires de chaque groupe d’acteurs.

1. La pertinence de la notion de contrat dans le cadre des dispositifsd’accompagnementsocial

La contractualisation dans les dispositifs d’accompagnement social se complexifie, car les protagonistes sont déjà engagés dans une forme de contrat par l’occupation du logement mis à disposition par l’opérateur immobilier. Partant de ce lien initial, les formes prises par le contrat d’accompagnement peuvent donc être multiples. Par ailleurs, si l’usage des termes " contrat " ou " convention " s’impose peu à peu sur le terrain, l’analyse plus approfondie de ces dits-contrats montre qu’ils n’en ont bien souvent que le nom, ne res-pectant pas les conditions de la bonne application d’un contrat au sens juridique.

1.1. Desformesdecontractualisationhybrides,sourcesdeconfusionetd’ambiguïté

les formes de cette contractualisation se distinguent tout d’abord selon la nature de l’opérateur en charge du dispositif d’accompagnement. en effet, si ce dernier opère au sein de son patrimoine, il pourra choisir de lier ou non la contractualisation de l’accom-pagnement à l’occupation du logement. S’il organise le dispositif d’accompagnement dans un patrimoine tiers, ses possibilités seront beaucoup plus limitées. la seule alter-native est alors de réaliser une contractualisation de l’accompagnement tout à fait indé-pendante. Dans le premier cas, correspondant à la situation majoritaire sur le terrain, les opéra-teurs peuvent donc lier la contractualisation de l’accompagnement social au contrat de bail – ou, plus souvent, à la convention d’occupation précaire -, soit sous formes d’ar-ticles spécifiques, soit par le biais d’une annexe. L’’accompagnement social devient ainsi l’un des aspects à part entière de la relation unissant bailleur et locataire. Dans cette situation, les bénéficiaires et travailleurs sociaux peuvent éprouver quelques difficultés dans la compréhension des obligations de chacune des parties. Le respect de l’accompagnement social doit-il et peut-il être considéré comme une obligation locative de par son inscription dans le contrat de bail ?

Comme nous allons le voir, la nature juridique du contrat d’accompagnement social et de ce fait, sa force contraignante sont remises en cause de manière unanime par la plupart des auteurs s’étant penchés sur la question. Toutefois, son application sur le terrain est source d’ambiguïtés. Si les discours des professionnels s’accordent quant à la nécessité

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S’il en porte le nom, le contrat – convention - d’accompagnement social n’en a souvent que la forme, ne respectant pas ou très partiellement la plupart des conditions émises. malgré tout, il reste l’un des registres centraux du discours des professionnels. Comment expliquer cette surreprésentation dans les discours par rapport à l’absence ou faible valeur juridique et la discrétion de cet outil dans les pratiques ?

2. La pratique du bluff

les professionnels de l’accompagnement social sont conscients de la faible valeur juri-dique du contrat qu’ils proposent. Certains regrettent, d’ailleurs, de ne pas disposer de suffisamment de leviers pour intervenir de manière plus proactive face à un bénéficiaire refusant la collaboration. une telle position relance l’éternel débat de l’aide contrainte dans le champ de l’action sociale mais peu de ces professionnels semblent prêts à fran-chir l’étape qui ferait de l’accompagnement une contrainte. en effet, au vu de l’état actuel du marché du logement, ajouter une condition supplémentaire à l’accès au logement semble peu opérant. en outre, rendre l’accompagnement obligatoire, notamment de par sa reconnaissance juridique, risquerait d’entraîner la dérive actuellement en cours dans d’autres pays européens où des candidats-locataires viennent à trouver des difficultés justifiant un accompagnement pour accéder au logement.

l’usage du contrat vaudrait donc pour la valeur symbolique qu’il comporte ainsi que la démarche pédagogique qu’il implique. Signer un contrat ne constituerait pas un acte juridique mais acterait d’un engagement moral dont la valeur dépendra de la qualité de la relation nouée entre bénéficiaire et professionnel. L’utilisation du contrat dans le contexte de l’accompagnement social serait une manière de favoriser l’apprentissage de ces formes contractuelles qui imprègnent progressivement le quotidien de tout un cha-cun.

Cependant, si notre analyse a permis de remettre en cause la valeur juridique du contrat d’accompagnement, en faisant un outil avant tout symbolique, nous avons vu que celui-ci draine de nombreuses confusions et ambiguïtés. Si la valeur juridique du contrat d’ac-compagnement peut être remise en cause, les bénéficiaires en sont-ils conscients ?

En cas de " crise ", à savoir lorsqu’une difficulté survient sans que le bénéficiaire ne consente à collaborer avec les professionnels, ces derniers peuvent éprouver une cer-taine frustration face à leurs efforts réduits à néant. aussi, le rappel du contrat est perçu comme l’une des solutions possibles afin de relancer le processus de collaboration. Mais pour que cette stratégie porte ses fruits, il importe que le bénéficiaire croie, au moins en partie, à la force contraignante de celui-ci. C’est alors que ce que nous avons nommé la pratique du " bluff " peut se mettre en place.

Comme dans toute partie de poker, chaque joueur devra manœuvrer en fonction des cartes qu’il a en mains. les professionnels qui opérent dans un patrimoine ne dépendant pas de leur institution, ne pourront jamais user de l’ultimatum de l’expulsion comme moyen de pression. Dans ce cadre, le contrat ne leur offre que peu d’atouts. le jeu peut néanmoins devenir plus intéressant pour les professionnels disposant de ce joker. An-noncer une éventuelle perte du logement en cas de refus de collaboration peut ainsi

cès à son nouveau logement, il est confronté à une série de démarches administratives complexes. Préoccupé par la gestion de son emménagement, la signature du contrat d’accompagnement peut apparaître comme un geste anodin dont il ne perçoit pas tou-jours l’importance. Enfin, si c’est bien le bénéficiaire qui signe le contrat en son nom, le professionnel signe au nom de l’institution. Dans certains cas, ce n’est d’ailleurs pas le professionnel lui-même qui signe mais l’un de ses supérieurs hiérarchiques, rappelant de nouveau le déséquilibre initial entre les parties.

Un document qui scelle l’accord entre deux personnes. les dispositifs d’accompagnement social en logement sont fondés sur l’idée d’une collaboration volontaire entre les par-ties, laissant une large place à la négociation. l’analyse d’autres dispositifs, tel que le plan d’accompagnement des chômeurs, remettait en cause cette capacité de négociation. Dans le cas des dispositifs d’accompagnement social en logement, on peut affirmer que la négociation fait partie intégrante des pratiques mises en place. Chaque contrat est d’ailleurs appelé à évoluer au cours du processus. Cependant, rappelons que le béné-ficiaire reste dans une position de dépendance. Son acceptation de l’accompagnement social est souvent perçue comme facilitant l’accès au logement. même si le professionnel souhaite valoriser le processus de négociation, le bénéficiaire peut de son côté ne pas vouloir exercer cette capacité au risque de perdre son accès au logement, souvent consi-déré comme le " saint-graal " dans le contexte de crise actuel.

Un document créateur d’obligations réciproques. Si les contrats mentionnent une série d’engagements pris par le professionnel, ceux-ci sont en réalité compris dans ses mis-sions habituelles, remettant en cause l’idée de création de nouvelles obligations. Pré-cisons que ces contrats peuvent aussi permettre une organisation du travail lorsque plusieurs partenaires sont engagés dans un même accompagnement. Dans le cas des dispositifs d’accompagnement social, l’idée que le contrat implique de nouvelles " obli-gations " pour le bénéficiaire peut aussi être remise en cause par la philosophie de l’ac-compagnement rejetant d’emblée l’idée d’obligations. le contrat d’accompagnement ne serait donc pas tant créateur d’obligations juridiques mais bien d’engagements symbo-liques. la réciprocité des engagements pose d’ailleurs également question.

Un document créateur d’effets juridiques. Dans le cas des dispositifs d’accompagnement social, l’illusion quant à la création d’effets juridiques est renforcée par la fusion avec le contrat de bail ou la convention d’occupation précaire. or, d’après la jurisprudence en vigueur, il semble que le contrat d’accompagnement en lui-même n’ait que peu de valeur aux yeux des juges de Paix, contrecarrant d’ailleurs la cinquième condition émise par mi-chaux (2006), à savoir la possibilité d’un recours en justice. en effet, lors d’un désaccord entre bénéficiaire/locataire et propriétaire/accompagnateur, ce sont des arguments liés au non-respect des obligations locatives traditionnelles qui seront mises en avant. le contrat d’accompagnement ne peut être que marginalement mobilisé pour justifier une procédure d’expulsion, seule sanction envisageable dans le cas des dispositifs œuvrant dans leur propre patrimoine. en effet, le non-respect de l’accompagnement social ne constitue que rarement une justification suffisante pour provoquer une expulsion, en ce sens que l’accompagnement ne peut être considéré à l’heure actuelle comme une obligation essentielle. Aussi son non-respect peut parfois apparaître comme un élément supplémentaire, à côté d’autres clauses qui n’ont pas été respectées.

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der de la sorte serait de nature à mieux appréhender les difficultés des bénéficiaires, ces derniers se trouvant plus en confiance. Pénétrer dans le logement des personnes se justifierait donc par une raison pratique (telle que la vérification de l’état du logement) mais s’expliquerait plus fondamentalement par une volonté de connaître la situation du bénéficiaire dans son quotidien. De telles rencontres feraient émerger des informations demeurées cachées lors des rapports antérieurs noués au sein de l’institution.

Cependant, si l’intervention au domicile des bénéficiaires présenterait l’avantage de mieux connaître leur quotidien, la modification du lieu habituel d’intervention implique également pour ces professionnels une perte dans la maîtrise de la situation. En effet, plusieurs auteurs ont démontré comment les agents d’une institution développent des stratégies de protection en utilisant des éléments de l’espace environnant. ainsi, Dubois (2008) montrait comment les agents de la CAF replongeaient leur regard sur l’écran d’ordinateur ou quittaient leur guichet, sous prétexte d’aller chercher un document lorsqu’ils perdaient la maîtrise d’une interaction. Lors d’une précédente recherche dans les structures d’accueil d’urgence des personnes sans-abri (Lelubre, 2009), nous avons d’ailleurs mis en avant l’existence de ces lieux de repli, bureaux ou salles de repos qui permettent aux travailleurs sociaux d’échapper quelques instants aux sollicitations du public. Toutefois, intervenir au domicile des bénéficiaires prive les professionnels de l’accompagnement social de ces possibilités de distanciation.

De la même manière, nous indiquions l’importance accordée par ces professionnels à la trame relationnelle qu’ils nouent avec les bénéficiaires. Là encore, au-delà du principe philosophique sous-tendu par cette proposition, les formes de l’interaction déployée par ces professionnels se distinguent de celles qu’elle peut prendre au sein de l’institution. ainsi, alors que la plupart des services tentent d’éviter les contacts interpersonnels, les dispositifs d’accompagnement social favorisent ces derniers. l’usage des prénoms, le tu-toiement, les modes de salutation sont autant d’indices impliquant une nouvelle forme d’interaction où le professionnel est placé dans un exercice d’équilibre périlleux entre proximité et distanciation.

Lieu d’intervention limitant sa maîtrise de la situation, formes inhabituelles de l’inte-raction, ces professionnels se trouvent, par ailleurs, dans une phase transitoire où ils doivent encore faire valider la pertinence de l’accompagnement social en logement, et ce malgré l’existence de leurs dispositifs depuis de longues années. outre la recherche d’une validation et d’une reconnaissance extérieure, ces travailleurs sociaux cherchent également à faire valoir la professionnalisation de leurs pratiques et, en ce y compris, les formes atypiques de l’interaction qu’elle suppose.

Sommés d’investir la relation, privés de leurs repères habituels, à la recherche d’une reconnaissance quant à la spécificité de ce nouveau métier, ces professionnels voient le contrat comme la possibilité de réinjecter du cadre dans une relation dont les formes et le lieu tendent à masquer la nature professionnelle. répondant à des stratégies identi-taires et relationnelles précises, le contrat renvoie donc plus largement à des enjeux de légitimité pour ces professionnels de l’accompagnement social. Ceci explique en partie le succès que le contrat rencontre parmi les opérateurs qui, pour rappel, ont développé ce projet de leur propre initiative, sans aucune directive d’un pouvoir subsidiant .

Toutefois, si le contrat peut être considéré comme l’une des catégories constitutives des

permettre de redynamiser des bénéficiaires où la seule relation de confiance n’avait pas ou plus permis d’engager un accompagnement positif et valorisant pour la personne. Cependant, si le " bluff " peut être mobilisé dans une visée positive, pratiquer de la sorte comporte un risque si le joueur opposé adhère trop au bluff et, se sentant acculé, dé-cide d’abandonner la partie. ainsi, même s’il s’agit de situations marginales, nous avons pu constater un tel abandon de la partie auprès de quelques bénéficiaires, qui face à l’annonce d’une non-reconduction éventuelle d’un contrat de bail pour non-respect de l’accompagnement social, choisissaient de quitter, d’eux-mêmes, le logement mis à leur disposition (même si cela impliquait parfois le retour en rue du jour au lendemain).

Si le contrat se voit valorisé par la valeur symbolique qu’il comporte et par la pratique du " bluff " qu’il permet, nous pensons que sa présence dans les discours des professionnels et le succès qu’il connaît sur le terrain s’expliquent aussi par son importance au niveau des stratégies relationnelles et identitaires des acteurs, tant professionnels que bénéfi-ciaires.

3. L’usageducontratcommestratégieidentitaireetrelationnelle

Tous les acteurs, qu’ils soient professionnels ou bénéficiaires de l’accompagnement, s’at-tachent à décrire l’accompagnement social en logement par sa nature interactionnelle. Dispositif innovant, il vise à développer l’intervention sociale au départ d’une relation de confiance, tissée dans le temps et nécessitant un investissement relationnel conséquent. or, si cette nouvelle forme d’interactions replace l’individu au centre du dispositif, elle implique une série de conséquences sur le cadre de travail de ces professionnels, consé-quences que le contrat va pouvoir contrecarrer en partie.

À l’inverse, nous verrons que les bénéficiaires poursuivent des stratégies visant à nier ces efforts de cadrage et ignorer le contrat, symbole de la professionnalisation d’une re-lation qu’ils voudraient avant tout interpersonnelle. le contrat n’est donc pas un simple outil de gestion quotidienne, son usage répond à des stratégies précises de la part des acteurs. Nous allons maintenant tenter de les mettre en avant dans cette dernière partie de notre chapitre.

3.1. Lecontrat,réinjecterducadre

Si d’un point de vue formel, le contrat connaît un succès relativement large au sein des dispositifs d’accompagnement social, ce dernier est pourtant peu mobilisé au niveau des pratiques concrètes déployées par les opérateurs de terrain. Demeurant souvent dans les dossiers sociaux et administratifs des bénéficiaires, les contrats sont réservés à des usages très limités, tels que la gestion de crise ou l’évaluation. Comment comprendre un tel succès discursif face à une pratique si limitée du contrat ?

les dispositifs d’accompagnement social se différencient de nombreux autres services sociaux par le lieu d’intervention qu’ils privilégient. en effet, alors qu’habituellement, ce sont les bénéficiaires qui sont invités à se rendre dans les murs de l’institution, les pro-fessionnels de l’accompagnement social en logement préfèrent des interventions dans le milieu de vie de personnes par l’organisation de visites régulières à domicile. Procé-

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dement et les relations avec les travailleurs sociaux oscillent entre amour et haine au gré des événements quotidiens. Notre propos ne vise donc pas à défendre l’idée de la consti-tution d’un capital social stable et de qualité mais bien à expliciter l’absence de senti-ment d’isolement pour de nombreuses personnes lors d’un épisode de sans-abrisme ou d’exclusion du logement.

le retour en logement constitue donc une étape cruciale où ce nouveau réseau se voit totalement remis en question. Ne pouvant plus garder de contacts avec les travailleurs sociaux qu’ils côtoyaient jusque-là et confrontés à un conflit de loyauté vis-à-vis des " compagnons " demeurés en galère, les bénéficiaires expérimentent, lors des premiers temps dans leur logement, un isolement. Cet isolement est d’autant plus fort que l’épi-sode de sans-abrisme ou d’exclusion du logement dont ils ont été victimes ne leur a, généralement, pas permis de conserver les quelques liens familiaux ou amicaux qu’ils avaient construits avant cet épisode.

Dans un tel contexte, les relations qui se nouent avec les professionnels de l’accompa-gnement social prennent une importance cruciale dans le quotidien des bénéficiaires. la visite du travailleur peut alors être la seule interaction de la semaine. l’engagement émotionnel des bénéficiaires peut donc prendre une ampleur démesurée. Ainsi, lorsque nous interrogions les bénéficiaires sur la nature de leur relation avec les professionnels, ces derniers n’hésitaient pas à mobiliser un champ lexical faisant du professionnel, un ami, voire un membre de la famille.

là encore, outre le sentiment d’isolement consécutif au retour en logement, les formes et le lieu de l’interaction renforcent cette confusion des genres. en effet, le logement est le socle de l’intimité, son accès étant réservé à un cercle restreint. le fait que le profes-sionnel privilégie le domicile comme lieu d’intervention peut amplifier cette idée que la relation nouée n’est pas d’ordre professionnel, mais résulte d’un attachement et intérêt du professionnel pour la situation particulière du bénéficiaire.

L’introduction du contrat dans le cadre de cette relation apparaît dès lors comme anti-nomique, puisqu’il rappelle que les relations entretenues avec le professionnel ne sont pas mues par un attachement émotionnel de ce dernier, mais sont en réalité motivées par intérêt strictement professionnel pour la situation du bénéficiaire. Ignorer le contrat n’est donc pas le signe d’une mauvaise compréhension du bénéficiaire, mais bien l’une des conséquences de sa perception de la relation qui l’unit aux professionnels de l’ac-compagnement social.

les efforts consentis à la personnalisation de la relation s’inscrivent, par ailleurs, dans une stratégie identitaire. En effet, être un " bénéficiaire " entraîne des effets négatifs quant à l’estime de soi des personnes. Le soutien du professionnel peut apparaître comme révélateur d’une faiblesse. aussi, ramener le professionnel sur le plan de l’affect et de l’intime permet, pour le bénéficiaire, de ne plus expliquer sa présence par l’iden-tification d’un manque d’autonomie dans la gestion du quotidien. Au contraire, le béné-ficiaire verrait plutôt la présence soutenue du professionnel comme révélatrice de sa capacité à nouer une relation interpersonnelle et une amitié avec le professionnel. elle témoignerait qu’en réalité, le bénéficiaire est différent des autres personnes nécessitant le soutien d’un travailleur social. Ainsi, ignorer le contrat reviendrait pour le bénéficiaire à réinstaurer une sorte d’équilibre entre lui et le professionnel.

dispositifs d’accompagnement social, on constate dans le même temps une négation de cet outil par les bénéficiaires qui n’en ont qu’une appropriation très faible. Là encore, notre hypothèse est que cette négation du contrat est plus qu’un simple oubli ou une méconnaissance de l’outil mais répond à des stratégies précises.

3.2. Le refus du contrat comme tentative de personnalisation de la re-lation

Lors des différents entretiens menés avec les bénéficiaires, nous nous sommes éton-nés de leurs réponses lorsque nous les interrogions sur un éventuel contrat d’accom-pagnement. alors que nos entretiens ne suivaient la signature desdits contrats que de quelques mois, voire de quelques semaines, de nombreux bénéficiaires déclaraient ne pas s’en souvenir. D’ailleurs, lorsqu’après quelques insistances de notre part, ils se remé-moraient l’existence de celui-ci, la plupart d’entre eux ne pouvaient expliquer son conte-nu, témoignant d’une appropriation très faible de cet outil. or, nous pensons que si la survalorisation du contrat par les professionnels témoigne de leur volonté de réinjecter du cadre dans une relation qui en semble dépourvue, sa négation par les bénéficiaires répond aussi à une stratégie identitaire pour ces derniers.

De nombreux professionnels expliquent la mise en place des dispositifs d’accompagne-ment social en logement comme faisant suite au constat d’isolement de la plupart des personnes sans-abri et exclues du logement lorsque ces dernières accèdent à un loge-ment. en effet, l’isolement ressenti en logement les empêche de se maintenir durable-ment en logement et les pousse de nouveau vers la rue ou les structures d’hébergement. l’accompagnement social est ainsi conçu comme un appui dans la réalisation d’une série de démarches concrètes, mais aussi comme un soutien moral. la période d’accompa-gnement doit alors servir de transition durant laquelle le bénéficiaire sera invité à se constituer un nouveau réseau social.

L’analyse des situations des 33 bénéficiaires ayant pris part au protocole de recherche a permis de mieux cerner ce sentiment d’isolement, ressenti et craint par ces derniers. Tout d’abord, l’on constate en effet que la plupart de ces bénéficiaires n’entretenaient que des rapports épars avec leur cercle familial, même si pour certains d’entre eux, c’est bien l’appel au réseau informel qui a retardé la sollicitation des services sociaux. Notre désaccord par rapport aux théories couramment énoncées concerne cependant l’affir-mation selon laquelle le sans-abrisme, et dans une moindre mesure l’exclusion du loge-ment, renforcerait cette carence originelle. en effet, si nous adhérons à l’idée que les effets du stigmate pesant sur les personnes sans-abri ou exclue du logement peuvent mener à une distanciation quant à son milieu d’origine, nous pensons qu’un mouvement compensatoire se met en marche. organisés sous un mode essentiellement collectif, la plupart des services encouragent la mise en place d’une communauté de pairs. De la même manière, la présence des travailleurs sociaux permet de compenser, au moins en partie, les carences constatées dans le capital social des personnes, carences provoquées par leur détachement du milieu familial. Ces contacts avec les pairs et les travailleurs sociaux, ainsi qu’avec une série d’autres agents institutionnels, vont donc assurer la constitution d’un nouveau capital social que l’entrée en logement mettra en péril. bien évidemment, nous sommes conscients que ce nouveau capital social ainsi constitué est marqué par l’instabilité. en effet, les nouvelles amitiés nouées en rue se défont très rapi-

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CONCLUSION

D’abord organisé autour d’un traitement lié à l’urgence et à la satisfaction des besoins primaires, le secteur de la lutte contre le sans-abrisme et l’exclusion du logement s’est progressivement doté d’outils novateurs visant à offrir des solutions à plus long terme qui prennent en compte l’ensemble des problématiques de la personne (et non pas seu-lement celles rendues immédiatement visibles par sa situation de précarité). Ainsi, si le logement s’impose comme une solution allant de soi pour résorber cette forme d’ex-clusion la plus aigüe qu’est le sans-abrisme, les opérateurs se sont rapidement rendu compte de l’inefficacité d’une telle solution si cette dernière ne s’accompagne pas d’un véritable travail social de fond. ont alors vu le jour les premiers dispositifs d’accompa-gnement social en logement.

encore méconnue aux niveaux médiatique et politique il y a quelques années, cette ap-proche, qui vise à allier une politique de la brique à un soutien social adapté et de qua-lité, connaît pourtant déjà d’importants développements sur le terrain. Face aux enjeux présents dans nos sociétés contemporaines (comme, par exemple, le fait, pour certains, de devoir se contenter de l’espace public ou de structures d’hébergement temporaires comme lieux de vie), les dispositifs d’accompagnement social apparaissent comme une piste de solution qui méritait que l’on s’y attarde, et ce afin de mieux l’appréhender. C’est donc dans cette optique que nous avons poursuivi cette recherche quatre années durant.

Au-delà d’une apparente simplicité, notre premier chapitre a montré combien la défini-tion de l’accompagnement social implique de nombreux débats au sein d’un métier qui demeure, à l’heure actuelle, en construction. Si un certain consensus se dégage quant aux conceptions théoriques qui entourent la notion d’accompagnement social en logement, sa mise en pratique révèle d’importantes disparités. Cette hétérogénéité des pratiques nous a d’ailleurs amenés à construire une typologie à trois entrées qui nous permette de rendre compte des dispositifs existants. Aboutir à une telle définition de l’accompagne-ment social fut une tâche d’autant plus complexe que ces dispositifs reposent en grande partie sur une dimension impalpable, mais néanmoins centrale : le relationnel. En effet, l’accompagnement social ne s’actualise que dans les rencontres entre professionnels et bénéficiaires, où chaque protagoniste doit s’adapter aux demandes, attentes et compé-tences de l’autre.

organisés principalement au départ du parc social et assimilé, les dispositifs d’accom-pagnement social sont placés devant le défi de devoir gérer une double pénurie. D’une part, l’offre en matière d’accompagnement social reste actuellement relativement faible.. D’autre part, ces dispositifs doivent faire face au manque de logements disponibles et adaptés aux besoins des personnes. obligés de se loger dans un parc locatif impliquant une grande mobilité, les bénéficiaires de l’accompagnement social sont constamment confrontés à l’injonction paradoxale de s’installer dans des logements transitoires qui mettent parfois en péril les résultats engrangés par le dispositif d’accompagnement.

justement, évaluer les résultats des dispositifs d’accompagnement social en logement n’est pas une tâche aisée. Si le maintien dans le logement – et la construction d’un nou-veau référentiel y afférant – constitue sans doute l’un des indicateurs principaux, il ne

4. Uncontratquin’enaquelaformemaisrévélateurd’enjeuxcentrauxpourlesacteurs

les différentes analyses relatives à l’usage du contrat dans le champ de l’action sociale oscillent entre deux interprétations. Soit le contrat est vu comme un facteur supplé-mentaire d’exclusion, supposant que tous les individus ne disposeraient pas des compé-tences nécessaires pour en respecter les engagements. Soit il est perçu comme un outil d’émancipation, visant à replacer l’individu, ses motivations, ses attentes et ses projets au centre des préoccupations.

Défendant l’idée d’une démarche volontaire et la nécessité d’une adhésion, les profes-sionnels des dispositifs d’accompagnement social en logement optent pour cette deu-xième conception, en tendant à faire du contrat un objet négocié et évolutif. Par ailleurs, si le contrat doit être considéré comme un outil à valeur symbolique et pédagogique qui reprécise l’engament moral de chacune des parties, l’ensemble des opérateurs s’accordent sur l’idée que cette contractualisation ne doit pas impliquer de caractère contraignant. l’acceptation de l’accompagnement ne doit en effet pas devenir une condi-tion d’accès au logement.

Dans un tel état d’esprit, l’absence de valeur juridique du contrat ne semble donc pas gêner les professionnels de l’accompagnement social, même si ces derniers aimeraient bénéficier de leviers supplémentaires lorsqu’une personne choisit d’arrêter de collabo-rer. A ce niveau, le recours à la pratique du " bluff " apparaît comme un palliatif.

Toutefois, si l’on peut comprendre la volonté des professionnels de conserver un outil malléable et adaptable selon la situation de chaque bénéficiaire, la contractualisation de l’accompagnement, telle que conçue actuellement, entraîne une confusion et un entre-deux qu’il paraît nécessaire de clarifier tant pour le bien des bénéficiaires que celui des professionnels eux-mêmes. une contractualisation est de fait d’autant plus confuse qu’elle s’associe à la contractualisation régissant l’occupation du logement.

Enfin, nous avons vu que le contrat implique des enjeux plus importants qu’il n’y paraît. ainsi, son omniprésence dans les discours des professionnels, en opposition à un usage plus limité dans les pratiques quotidiennes, semble indiquer que l’objectif de ce contrat n’est pas seulement de marquer l’engagement symbolique des protagonistes mais qu’il est aussi un moyen pour ces professionnels de réinjecter du cadre face à cette nouvelle injonction qui pèse sur eux d’investir le relationnel. De la même manière, la négation du contrat par les bénéficiaires ne résulte pas uniquement d’un manque de référence en matière contractuelle. elle répond aussi à leur objectif d’appréhender la relation qui les unit au professionnel sous un mode différent. Percevoir ces derniers en tant qu’amis in-times est de nature à réduire les effets du stigmate qui pèse sur eux. le contrat implique donc des enjeux, certes moins visibles, mais tout aussi importants à considérer si l’on souhaite en comprendre l’usage qui en est fait sur le terrain.

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positifs d’accompagnement social en logement. en effet, malgré les débats que cet outil continue à susciter parmi les professionnels, son usage sur le terrain a pris une ampleur considérable. Nous mettions en avant les ambiguïtés d’une telle contractualisation, no-tamment par la confusion intrinsèque entre les obligations de chacun quant à l’occu-pation du logement et celles relatives à l’accompagnement à proprement parler. Nous évoquions alors comment les professionnels tentaient de sortir de cette confusion par la pratique du bluff, leur permettant d’éviter de tomber dans la contrainte formelle tout en disposant de levier en cas de non-participation du bénéficiaire à l’accompagnement proposé. mais, plus globalement, nous émettions l’hypothèse que cet usage du contrat devait se comprendre au-delà de la force symbolique et pédagogique que les profession-nels lui confèrent. en effet, alors que la pédagogie de l’accompagnement social impose désormais aux professionnels de bouleverser leurs pratiques en se centrant sur l’enga-gement personnel hors des murs de l’institution, le contrat apparaissait comme l’un des moyens de réinjecter du cadre dans la relation, leur conférant une nouvelle maîtrise de la situation. Partant de cette hypothèse, nous avons cherché à montrer que la négation du contrat par les bénéficiaires - oubli de l’existence d’un tel document, de son contenu ou de l’avoir signé – ne relevait pas seulement d’une méconnaissance de l’écrit. au contraire, il répond à leur propre stratégie identitaire et relationnelle où la personnalisation de la relation avec le professionnel apparaissait comme le moyen de renverser le stigmate qui pèse sur eux, le contrat symbolisant la relation professionnelle qu’ils souhaitent modi-fier en une interaction entre égaux.

les dispositifs d’accompagnement social en logement ne sont donc pas un simple pro-longement de pratiques déjà existantes dans le secteur de la lutte contre le sans-abrisme et l’exclusion du logement. ils constituent, au contraire, une nouvelle dynamique pour considérer le phénomène sous un autre angle. le sans-abrisme et l’exclusion du loge-ment ne découlent plus uniquement de carences économiques. ils appellent à la prise en compte du bénéficiaire dans toute sa complexité. Métiers en construction, les débats qu’ils suscitent restent encore nombreux, à l’image de l’usage du contrat, déjà fruit de longs débats parmi les opérateurs. Nous espérons que cette recherche aura permis de faire avancer la réflexion sur certains de ces points encore en débat.

peut être le seul. en effet, de vocation multidimensionnelle, l’accompagnement social se présente davantage comme un processus d’apprentissage qui vise une amélioration globale de la situation des bénéficiaires.

autre indicateur pouvant prévaloir à l’évaluation des dispositifs d’accompagnement so-cial, l’autonomie apparaît comme un élément d’évaluation intéressant. À cet égard, la plupart des bénéficiaires ont globalement connu un maintien, voire une évolution posi-tive en la matière. a noter que la stagnation du niveau d’autonomie ainsi constatée ne relevait pas nécessairement d’un manque d’évolution dans leur situation, mais plutôt d’une limite de notre modèle théorique, pour les personnes qui avaient déjà atteint le degré le plus haut d’autonomie lors de leur entrée dans le protocole de recherche.. De tels résultats permettent de contredire l’idée selon laquelle ce chaînon supplémentaire dans l’aide apportée aux personnes sans-abri ou exclue du logement serait un encoura-gement à une politique d’assistanat. Cette critique est d’autant moins pertinente que les personnes demeurées le plus longtemps dans les dispositifs d’accompagnement étaient généralement celles qui parvenaient au plus haut degré d’autonomie.

il nous faut toutefois mettre un bémol à cet apport des dispositifs d’accompagnement. Ce sont les profils les moins autonomes qui bénéficiaient le moins de cette mise en auto-nomie, demeurant au même degré et opérant majoritairement des sorties anticipées du dispositif qui les conduisaient à un nouvel épisode de sans-abrisme. ainsi, alors que le chapitre 3, relatif à l’accès des personnes sans-abri, nous amenait à conclure à la néces-sité d’élargir lesdites conditions d’accès, ce second constat nous amène à préciser cette recommandation.

En effet, lors de notre analyse des différents profils des bénéficiaires engagés au sein des dispositifs d’accompagnement, nous concluions en une sous-représentation des personnes ayant connu le sans-abrisme au sens strict, d’autant plus si cet épisode avait perduré dans le temps. Or, après avoir constaté une incidence entre ce type de profils (provenant de la rue et engagés dans la phase 2 ou 3 de leur carrière) et un faible degré d’autonomie, on note que ce sont également ces personnes qui profiteraient le moins des dispositifs d’accompagnement, en tout cas pour ce qui concerne le maintien en logement et le degré d’autonomie. un tel constat demande donc à ce que tout élargissement du public-cible – nécessaire au demeurant – puisse s’accompagner d’un élargissement des moyens ad hoc, permettant notamment de proposer un accompagnement suffisamment intense et diversifié pour faire face aux besoins et demandes de ce type de population. De manière plus générale, les projets d’expérimentation du modèle Housing First, actuelle-ment en cours un peu partout en europe, et, particulièrement, celui récemment initié en Belgique doivent permettre de corroborer ou d’infirmer nos hypothèses en la matière, celles-ci ne portant que sur un échantillon relativement restreint. Ces constats ouvrent d’ailleurs de nouvelles perspectives en matière de recherche.

En effet, si ces quatre ans de recherche ont confirmé la nécessité de davantage dévelop-per les dispositifs d’accompagnement en logement pour lutter efficacement contre le sans-abrisme et l’exclusion du logement, il semble opportun de continuer la réflexion quant aux modalités d’accompagnement de ces populations les plus désaffiliées. Cela implique d’évaluer l’éventuelle nécessité d’étapes préalables.

Enfin, nous abordions la question de la contractualisation à l’œuvre au niveau des dis-

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RECOMMANDATIONS

Si l’objectif général de cette recherche était de pouvoir mieux appréhender les dispositifs d’accompagnement social en logement dans toute leur complexité, notamment en vue d’en faciliter l’appropriation par le secteur de l’action sociale venant en aide aux per-sonnes sans-abri, il s’agissait, par ailleurs, de dégager, en concertation étroite avec les opérateurs eux-mêmes, une série de pistes permettant le développement de tels outils en Région wallonne. Vous trouverez ci-dessous l’ensemble de ces recommandations, non hiérarchisées en termes de priorités mais ordonnancées selon sept thématiques.

THÉMATIQUE N°1 : PROMOUVOIR DES DISPOSITIFS D’aCComPaGNemeNT SoCial

1. Favoriser le développement de dispositifs d’accompagnement social en logement, adaptés et en nombre suffisant, sur l’ensemble du territoire de la Région wallonne, en tant que compléments indispensables à la politique de la brique, notamment en liant les politiques de logement et d’action sociale.

THÉMATIQUE N°2 : FAVORISER LA RECONNAISSANCE DE l’aCComPaGNemeNT SoCial eN loGemeNT

2. Favoriser la cohérence entre les décrets régionaux qui régissent les différentes ins-titutions organisant des dispositifs d’accompagnement social (APL, AIS, MAC, …) par une définition commune de cet accompagnement social en logement.

3. Revoir et accorder les critères de subventionnement de l’accompagnement social et du post-hébergement, éventuellement dans le cadre de co-financement entre le ministre de l’action sociale et le ministre du logement en région wallonne.

4. Financer les actions de formation communes, ainsi que des supervisions, des tra-vailleurs en charge de l’accompagnement social, qu’ils soient issus du secteur de l’action sociale ou du logement.

5. Réfléchir à la possibilité de financer des projets-pilotes d’accompagnement social en logement, développés en collaboration étroite avec les services d’urgence et de première ligne.

THÉMATIQUE N° 3 : FACILITER LES LIENS, LES LIEUX DE RÉFLEXION ET DE COORDINATION ENTRE LES DISPOSITIFS D’aCComPaGNemeNT SoCial eT leS auTreS SeCTeurS

6. Développer des passerelles entre les différents opérateurs, tant en amont, au départ des services de première ligne afin de proposer à chacun des formules plus durables, qu’en aval, afin d’assurer des solutions de logement pérennes à la fin du dispositif

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de la population des services de première ligne (si une augmentation des moyens est envisageable) afin de susciter l’intérêt pour l’insertion en logement auprès des personnes qui en sont très éloignées.

18. Permettre des périodes d’essai dans les dispositifs d’accompagnement social en logement pour les personnes les plus éloignées de la norme logement (et prévoir un outil juridique adapté quant à l’existence de tels modes de mise à disposition de logement).

19. Lancer la réflexion quant aux conditions d’accès, formelles et/ou informelles, aux dispositifs d’accompagnement social en logement, afin d’éviter les risques d’une trop grande sélectivité. l’élargissement des conditions d’accès, et les risques qui ac-compagnent celui-ci, ne pouvant être possible que si les opérateurs ont les moyens – financiers notamment - d’assumer celui-ci.

THEMATIQUE N°6 : RENFORCER LES LIENS ENTRE LES OPÉRATEURS PUBLICS DU LOGEMENT ET DE l’aCComPaGNemeNT SoCial

20. encourager la mise à disposition de patrimoine public à des dispositifs d’accompa-gnement en logement, notamment en s’appuyant sur le référent social mis en place récemment dans les SlSP.

21. Valoriser les formes novatrices de relogement permettant la collaboration entre opérateurs immobiliers et dispositifs d’accompagnement social en logement.

22. Réfléchir à la question des dérogations possibles au sein du parc SLSP, notamment dans le cadre des projets-pilotes mis en place en collaboration par des opérateurs du logement et de l’action sociale.

23. Faire en sorte que les attributions indépendantes des points de priorité au sein des SLSP puissent bénéficier au public fréquentant les structures d’urgence, en contre-partie de leur intégration dans un dispositif d’accompagnement social en logement assuré par une institution spécialisée en la matière.

24. Développer de nouveaux outils dans le cadre de la politique du logement, tel que le logement conventionné.

THEMATIQUE N°7 : FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT DE L’ACCOMPAGNEMENT SOCIAL SUR LE MARCHÉ PRIVÉ

25. Développer la fonction de capteur-logement en lien avec les dispositifs d’accompa-gnement social.

26. Développer le principe du bail glissant en lien avec les dispositifs d’accompagne-ment social.

27. Réfléchir aux outils facilitant l’accès à la propriété.

d’accompagnement social.7. Financer la mise en place de modules de formation/information/supervision tant à

l’interne qu’à l’externe.8. Intégrer l’axe logement de manière plus importante dans les Relais sociaux (revoir

la composition des CA et AG ; développer un pôle d’actions à part entière et renfor-cer les liens avec les autres pôles).

9. Favoriser les liens entre les dispositifs d’accompagnement social et les secteurs pé-riphériques, notamment au niveau de la santé mentale.

THÉMATIQUE N° 4 : ASSOCIER LES DISPOSITIFS D’ACCOMPAGNEMENT SOCIAL D’OUTILS JURIDIQUES ADAPTÉS

10. Suggérer une réflexion relative à un outil juridique régissant l’occupation tempo-raire de logements, prenant en compte les réalités des opérateurs confrontés à la gestion complexe de leur patrimoine immobilier, tout en respectant les droits des locataires.

11. Développer des lieux de concertations entre les institutions mettant en place des dispositifs d’accompagnement social en logement et les juges de Paix des différents arrondissements judiciaires : partir d’une expérience-pilote sur un territoire.

12. Favoriser l’appropriation du contrat de bail/convention d’occupation précaire eT du contrat d’accompagnement social par les locataires, notamment en distinguant les signatures des documents liés d’une part, au logement et d’autre part, liés à l’ac-compagnement social.

13. Réfléchir quant aux outils à mettre en place pour faciliter la gestion des obligations financières de certains bénéficiaires dans le cadre de la location d’un logement.

14. Continuer la réflexion concernant l’usage des contrats d’accompagnements social dans le cadre des dispositifs d’accompagnement social en logement.

THÉMATIQUE N°5 : RÉFLÉCHIR SPÉCIFIQUEMENT À L’INTÉGRATION DES PERSONNES SANS-ABRI STRICTO SeNSu De loNGue DaTe DaNS leS DiSPoSiTiFS D’aCComPaGNemeNT SoCial eN loGemeNT

15. Tester l’impact de l’intensification des dispositifs d’accompagnement social en loge-ment (équipes pluridisciplinaires, accompagnement social en binôme, fréquence plus importante, …) dans la réinsertion des personnes les plus désaffiliées et appor-ter les moyens de cette intensification.

16. Tester la pertinence du modèle Housing First pour ce type de profils (impact des étapes préalables à la mise en logement).

17. Promouvoir l’existence des dispositifs d’accompagnement social en logement auprès

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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

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MARPSAT Maryse & FIRDION Jean-Marie, La rue et le foyer, Paris, PUF, 2000

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VIELLE Pascale, POCHET Philippe & CASSIERS Isabelle (DIR.), L’état social actif : vers un changement de paradigme, p.i.e.- Pieter lang, 2005

Articles

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CHAUFFAUT Delphine & DAVID Elodie, La notion d’autonomie dans le travail social, Cré-doc, cahier de recherche n°186, Septembre 2003.

CHOLEZ Céline, Une écologie des activités de travail : les territoires négociés des chauf-feurs-livreurs, Recherches Qualitatives, Vol. 30, n°1, 2001

FRANSSEN A., Le sujet au cœur de la nouvelle question sociale, La Revue nouvelle, Dé-

INDEX

aDel – allocation de déménagement et de loyer

aG- assemblée générale

aiS – agence immobilière sociale

aPl – association de Promotion du logement

Ca – Conseil d’administration

CaF- Caisses d’allocations familiales

CPDT – Conférence permanente du développement territorial

CSl – Conseil Supérieur du logement

FlW – Fonds du logement des familles nombreuses de Wallonie

maC – maison d’accueil

riS – revenu d’insertion sociale

SLSP – Société de logement de service public 

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TABLE DES MATIèRESPRÉFACES ...............................................................................................................................................................iiNTroDuCTioN ...................................................................................................................................................1CHaPiTre i ...........................................................................................................................................................41. le consensus au travers du discours des professionnels .........................................................4

1.1. Une définition partagée à l’interne ................................................................................................51.2. Une spécificité à faire reconnaître à l’externe ...........................................................................7

2. L’accompagnement social défini par les bénéficiaires ..............................................................83. Les pratiques, une application différenciée des conceptions théoriques ..........................9CHaPiTre ii .......................................................................................................................................................121. un logement issu du parc social et assimilé ...............................................................................122. un parc locatif assimilant caractère transitoire et situations de précarité ....................143. Une localisation contrainte ...............................................................................................................16CHaPiTre iii .....................................................................................................................................................181. Le profil des bénéficiaires des dispositifs d’accompagnement social en logement ............18

1.1. la catégorisation du sans-abrisme et de l’exclusion du logement .................................181.2. le concept de carrière pour mieux comprendre le sans-abrisme et l’exclusion du logement.................................................................................................................211.3. Une sous-représentation des profils les plus désaffiliés ....................................................26

2. Comprendre la sélectivité à l’œuvre au sein des dispositifs d’accompagnement social en logement .........................................................27

2.1. Du côté des professionnels, la cohabitation de deux courants de pensée ...................272.2. Du côté des bénéficiaires, retrouver le goût au logement ..................................................292.3. Gérer une double pénurie ...............................................................................................................30

CHaPiTre iV......................................................................................................................................................321. l’autonomie, notion polymorphe ...................................................................................................32

1.1. La vision des professionnels, une autonomie " encadrée " ................................................331.2. La vision des bénéficiaires, une pluralité de conceptions ..................................................341.3. L’autonomie, ressentie et reconnue ............................................................................................36

3. Analyse des parcours des trente-trois bénéficiaires de l’échantillon au regard de la notion d’autonomie ..............................................................................................44

3.1. Une surreprésentation des profils les plus autonomes .......................................................443.2. Un temps long d’accompagnement comme indicateur d’autonomie .............................46

CHaPiTre V .......................................................................................................................................................541. la pertinence de la notion de contrat dans le cadre des dispositifs d’accompagnement social .................................................................................................................54

1.1. Des formes de contractualisation hybrides, source de confusion et d’ambiguïté ..........551.2. les conditions de la bonne exécution d’un contrat au sens juridique...........................55

2. la pratique du bluff .............................................................................................................................573. L’usage du contrat comme stratégie identitaire et relationnelle .......................................58

3.1. le contrat, réinjecter du cadre ...................................................................................................................... 593.2. Le refus du contrat comme tentative de personnalisation de la relation .................................. 60

4. un contrat qui n’en a que la forme mais révélateur d’enjeux centraux pour les acteurs ..........62CoNCluSioN .....................................................................................................................................................64reCommaNDaTioNS .....................................................................................................................................67iNDeX ...................................................................................................................................................................71biblioGraPHie ...............................................................................................................................................72

cembre 2003, n°12.

Soulie C., le classement des sans-abri, actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 118, Genèse de l’État moderne, 1997, pp. 69-80.

Rapports

CONSEIL SUPÉRIEUR DU LOGEMENT - Rapport, Promouvoir l’accompagnement social lié au logement locatif en Wallonie, 2009.

CPDT (2004). Epilogue : les choix de localisation résidentielle des ménages : comment les infléchir ?

lelubre marjorie, Freins et facilitateurs à l’accueil, l’hébergement et le logement des personnes sans-abri- relais social de Charleroi, Novembre 2009

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Editions du Bassonrue du Basson 81, 6001 Marcinelle, Belgique

www.editionsdubasson.com - [email protected]

DEPot LEgAL1ere édition : octobre 2013

impression : imprimerie bietlot, Gilly(imprime en belGique - septembre 2013)

Déjà paru aux éditions du BassonSilence dans les rangs / Pierre Mathues

(Coll. Spectacles-extraits, 2009)Bruit de feuilles / D. Watteyne et P. Zimmerman

(Coll. Tandem, 2010)Danses a Charleroi / Collectif

(Coll. Tandem, 2010)Abécé d'aire de jeux / Collectif

(Coll. Tandem, 2010)Regards / Collectif(Coll. Tandem, 2010)

Un homme venu des Abruzzes / A. Scatozza(Coll. Ma vie est un Roman, 2012)

La Grosse Chronique / Philippe Genion (Coll. Osons, 2012)

Lettres à Polly / Philippe Wanufel(Coll. Ma vie est un roman, 2013)

Humeurs Belges ! / Philippe Genion (Coll. Osons, 2013)

Ruquier, il est sympa ? / Alain Doucet (Coll. Roman, 2013)

Dourbes, 3 000 ans racontent / Daniel Gaye (2013)

A paraître aux éditions du BassonL'Agence Béta du Scorpion [1. Les vipères sonnent] / Joëlle-Etienne

(Coll. Basson Noir, 2013)Nimadea [1. Le maitre des pierres] / Kathelyne Vande Kerckhove

(Coll. Fantastique, 2013)