Un « droit de mourir dans la dignité » bientôt inscrit dans la loi ?

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É D I T O R I A L

Médecine palliative

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N° 6 – Décembre 2004

Med Pal 2004; 3: 275-276

© Masson, Paris, 2004, Tous droits réservés

Un « droit de mourir dans la dignité » bientôt inscrit dans la loi ?

B.-M. Dupont

D

ans un entretien accordé à un grand quotidien

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,Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé, a annoncéque le gouvernement avait accepté les conclusions de lamission parlementaire sur l’accompagnement de la fin devie, créée le 15 octobre 2003. Parmi les propositions dece groupe réunissant des élus de toutes tendances politi-ques, la recommandation à l’unanimité d’instituer un droità « laisser mourir », mais également la possibilité pour lespatients en fin de vie, dans certains cas, de refuser leurstraitements. Les conclusions de ce rapport pourraient êtrereprises bientôt dans un projet de loi.

S’il n’est pas question, pour le ministre, de légaliserl’euthanasie, ou simplement de la dépénaliser («

cela re-mettrait en cause l’interdit du droit de tuer

»), il précisecependant que «

la loi instaurera le droit de mourir dansla dignité

». L’affirmation est doublement troublante, surle fond comme sur la forme. Le fond, c’est cette vieilleidée d’un droit à « mourir dans la dignité ». Quel être hu-main digne de ce nom, en effet, pourrait vouloir pour luiou ses proches une mort dans l’indignité ou, ce qui n’estpas exactement la même chose, une mort indigne ? Noussouhaitons toutes et tous une mort la plus douce possible,une mort humaine, une mort dans l’apaisement et la di-gnité. Qu’il soit nécessaire de rappeler cette idée qui sem-ble aller de soi par un texte de loi est chose déstabilisante :il faudrait dire le caractère « légal » de la revendication àbien mourir, c’est-à-dire dans la dignité ? Notons que lesdéfenseurs des soins palliatifs comme les militants pourle droit à mourir dans la dignité (ADMD) réclament lamême chose ! Pourquoi ne pas imaginer, plutôt, un droità vivre dans la dignité, y compris jusqu’au bout, y comprisdans cette phase ultime de la fin de vie ? L’expressionserait peut-être plus juste car elle replacerait le mourirdans le processus naturel du vivre, elle poserait les ques-tions éthiques au regard de la vie antérieure de chaquepersonne, de son histoire, de ses valeurs.

Vouloir donner consistance au moment du mourir, parun texte de loi, c’est peut-être ouvrir la porte à une sa-

cralisation excessive : après tout, la mort n’est que le mo-ment ultime de la vie. La revendication du « pouvoir choi-sir sa mort » illustre sans doute l’une des caractéristiquesde notre époque : celle du désir individuel érigé en règlede toutes choses, celle de l’indépendance absolue et de lavaleur de l’individualisme. Il y aurait un « droit à » in-cluant le droit à l’enfant, le droit à la différence (ou aucontraire à l’indifférence), le droit à la mort choisie, etc…Il y aurait ainsi un droit à posséder « sa » vie, comme onpossède une voiture. Ce désir de propriété peut-il être as-souvi ? N’y a-t-il pas un risque de perpétuelle coursepoursuite contre l’inexorable du temps qui fait, mais qui,aussi, défait et dépossède ? Et si la vie était d’un autreordre, par exemple celui de la relation ? À moi, bien sûr,mais aussi aux autres, au monde ? L’indépendance ne doitpas être confondue avec l’autonomie dont elle n’est quela version radicale et radicalisée. L’autonomie reconnaîtmon pouvoir de décision, mon inaliénable liberté, maissous le prisme du regard des autres, de leur égale liberté.Être en vie, c’est être en relation et pas seulement pouvoirdire « j’y ai droit ».

Le ministre pourra répondre, avec justesse, que le Codepénal ne distingue pas le laisser-mourir et le faire-mou-rir : l’affaire Vincent Humbert est là pour nous le rappeler.Il conviendrait donc de réparer cette injustice. Admettons,mais dans ce cas, comment passer sous silence les arti-cles 37 et 38 du Code de déontologie médicale qui déjà,avec leurs lacunes, tentent d’anticiper et d’expliquer laprise de décision difficile ? C’est le trouble quant à laforme. Article 37 : «

En toutes circonstances, le médecindoit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade,l’assister moralement et éviter toute obstination déraison-nable dans les investigations ou la thérapeutique »

. Arti-cle 38 : «

le médecin doit accompagner le mourant jusqu’àses derniers moments, assurer par des soins et mesuresappropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarderla dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’apas le droit de provoquer directement la mort »

. Ce soucide l’Autre et de sa dignité est bien présent dans le Codeactuel, quoi qu’on en dise, comme il l’était déjà dans lacirculaire Laroque de 1986, dans celle de 1991 précisantque les soins palliatifs font partie intégrante des missionsde l’hôpital ; comme le droit à l’accès aux soins palliatifs

1. Le Figaro, vendredi 27 août 2004.

Adresse pour la correspondance :

Bernard-Marie Dupont,

[email protected] Dupont BM. Un « droit de mourir dans la dignité » bientôt inscrit dans la loi ?

Med Pal 2004; 3: 275-276.

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et à un accompagnement est garanti depuis la loi du9 juin 1999.

S’il faut se réjouir de la prise de position du ministreen faveur du développement des soins palliatifs, si per-sonne ne peut être réellement contre une clarification desdébats, s’il devient possible de protéger les professionnelsde santé injustement poursuivis et de tenir compte, aumieux, de la revendication des malades, et en particulierdes personnes en fin de vie, il ne faut peut-être pas toutattendre de la loi. Règle-t-elle d’ailleurs les problèmes defond ? Curieusement, si tout le monde s’accorde pour ren-dre à la personne en fin de vie sa dignité, quelle définitionen donnons-nous ? Est-elle d’ailleurs commune aux ju-ristes, médecins, philosophes ? Peut-on parler de dignitéau singulier ?

Historiquement, le mot « dignité » peut être rattaché àtrois périodes distinctes de l’évolution de l’humanité. Ilapparaît avec les sociétés préchrétiennes et traduit l’équi-valence économique de l’échange. Si un homme, ou unefemme, vaut un arpent de terre et trois moutons, alors ilsera digne de l’échange. Légitime fierté de celui ou de cellequi sait qu’il peut être mis sur le plateau de la balance !

Avec les trois grandes religions du Livre, la dignitéhumaine se pense à l’image du Créateur. Elle n’est plus

équivalence économique, mais ressemblance : créé àl’image de Dieu, l’homme devra s’en montrer digne, il de-vra savoir lui ressembler sans s’identifier à lui (orgueil).

La Révolution française, dénonçant ce rapport à latranscendance, pense les rapports humains en termed’équivalence. Il n’y a plus de Dieu mais des hommes etdes femmes qui tous ont la même valeur. De quelle dignitéparlons-nous donc ? Comme l’éthique, déclinée en demultiples versions, parfois contradictoires, l’évocation oula convocation du concept de dignité ne règle rien. Laproposition de loi qui va être soumise au Parlement n’ade réel intérêt que si elle permet, enfin, ce débat nationalsur la fin de vie. Notre doute (et cet éditorial n’engageque son auteur) c’est de voir l’idéologie se substituer à laraison, le monologue faire office de dialogue. Alors, avantde vouloir affirmer que vivre, c’est apprendre à mourir,ne serait-il pas plus juste et moins prétentieux de dire quevivre, c’est apprendre à penser ?

Donnons-nous des règles de méthode, évitons l’idéolo-gie, la démagogie, voire simplement l’ignorance : appre-nons à nous méfier des sondages et des questions (et plusencore de la manière dont elles sont posées). L’article d’Em-manuel Defachel sur les déterminants socio-culturels d’undroit à l’euthanasie est l’exemple d’une réflexion maîtrisée.