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ANALYSESETOPIA

OCTOBRE2015

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Carlo CaldariniSociologue, directeur de l’Observatoire despolitiques sociales en Europe (inca cgil) et

chercheur associé d’Etopia.

UN CHIEN QUI COURT DERRIÈRE SA QUEUE LA MOBILITÉ DU TRAVAIL ATYPIQUE EN EUROPEAu fil du temps, de nouvelles formes de relations de travail dit« atypiques » se sont imposées en Europe. Et les modèles deprotection sociale volent en éclats…

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Cet article est basé pour la plupart sur les résultats d’une recherche-action [1]réalisée par un regroupement d’organisations syndicales d’Allemagne, Belgique,Espagne, France, Italie, Royaume-Uni, Slovénie et Suède, avec la collaboration dela Confédération syndicale européenne (CES), dont le but était de pointer « laplace » de l’emploi atypique dans le cadre européen de la libre circulation destravailleurs et des régimes de sécurité sociale [2].

L’enquête partait d’un constat évident : la croissance progressive et généralisée del’emploi dit atypique. Atypique notamment par rapport à ce qui est un des piliersde l’Europe sociale, le travail à durée indéterminé et à temps plein, alors que lescontrats à durée déterminée représentent aujourd’hui au moins 15% des emploiset les temps partiels plus de 20% [Eurostat 2014]. Et ces pourcentages ne font ques’accroître, tant la précarité est loin d’être stabilisée.

Au cours des ces deux dernières décennies, il y a eu, en fait, une prolifération destypologies de contrats et, dans ce contexte, une augmentation relative du nombrede travailleurs employés sous des relations de travail de plus en plus marquées parl’insécurité.

L’épouvantail du chômage, la prétendue généralisation d’une flexicurité à ladanoise, l’affaiblissement de la concertation et du dialogue social, et parconséquent des travailleurs les plus éloignés de toute représentation collective,tous ces phénomènes ont contribué à légitimer, pays par pays, la création d’unepanoplie de typologies contractuelles qui ne trouvent pas toujours leurshomologues au-delà des frontières nationales.

Et même si les chiffres officielles ne sont pas suffisamment standardisées pourpermettre des comparaisons nettes et pertinentes, par exemple entre ce qui estatypique dans un pays et ce qui ne l’est pas dans un autre, les informationssubstantielles confirment la thèse de la prolifération de « nouvelles formesd’emploi » [3], flexibles, occasionnelles, irrégulières, aléatoires, précaires…

Dans certains pays, il ne s’agit que de mesures de dérégulation au coup par coup,quoique significatives, tandis que dans d’autres les gouvernements se sontengagés dans une refonte d’envergure de l’ensemble du code du travail, qui amodifié en profondeur les relations industrielles, mettant à mauvaise mine ledialogue social et les négociations collectives.

On justifie souvent ces réformes du droit du travail par l’argument selon lequell’insécurité de l’emploi serait une des conséquences de la crise, et la flexibilisationun de ses meilleurs antidotes [4]. Très peu nombreuses sont les analyses partant -au contraire – de l’hypothèse que la crise ait plutôt été utilisée comme « uneexcuse » pour justifier la démolition tant des droits sociaux que du dialogue socialqu’en était largement à l’origine [5].

Mais nous n’allons pas retracer ici l’histoire du dialogue social ni l’analyse desdifférentes formes d’emploi existantes en Europe, les deux sujets étant d’ailleursdéjà largement traités par d’autres analystes sociaux, institutionnels et non [6].

L’exercice fait par cette recherche syndicale – celui-ci par contre tout à faitoriginal et inédit – a été plutôt de placer ce phénomène dans le contexte des droitsà la mobilité (libre circulation) et à la sécurité sociale. Le résultat a été de révélerles entraves, dissimulées dans les différents codes du travail, qui empêchent defait les travailleurs sous contrat atypique de pleinement jouir de leurs droitssociaux lorsqu’ils essayent d’améliorer leurs conditions de vie et de travail enfaisant usage de la libre circulation et en s’établissant ainsi dans un autre Étatmembre.

Soyons clairs à ce sujet : un emploi atypique peut être dans certains cas un choixconscient, ou le résultat d’un accord volontaire et explicite entre l’employé etl’employeur. Un choix, par exemple, qui permet une plus grande liberté dans lagestion de son temps de vie, ou de combiner ce travail avec d’autres intérêts etd’autres sources de revenus. Ceci est parfois le cas dans le monde de l’art ou dansd’autres professions, spécialement créatives. Mais ce n’est qu’une minorité. Dansla plupart des cas, le travail atypique ne constitue pas un choix volontaire et estplutôt associé à un état de précarité : c’est principalement de cela que traite entout cas cet article, comme d’ailleurs le projet dont il s’inspire.

1 APERÇU DE LA LÉGISLATION EUROPÉENNE

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Depuis l’origine, de la CEE comme de la CECA, les conditions d’exercice du droit àla libre circulation ont été codifiées par des dispositifs législatifs européens pastoujours très faciles. Ceux-ci ont été à plusieurs reprises révisés et adaptés auxchangements institutionnels et à l’évolution des phénomènes migratoires intra-européens.

Aujourd’hui, cette matière est organisée notamment autour de deuxpiliers : lacitoyenneté européenne [7] et la libre circulation des travailleurs [8]. Et deux actesde droit dérivé en codifient, dans ce cadre, les règles : la Directive 2004/38 et le Règlement 883/2004.

La Directive définit une série de critères de non-discrimination des citoyenseuropéens, et des membres de leur famille, en matière de droit de résidence. Le Règlement, à son tour, a comme objectif d’éviter que le travailleur migrant setrouve – d’un point de vue de la sécurité sociale - dans une situation défavorablepar le seul fait d’avoir travaillé dans plusieurs États membres.

Déjà en 1957, les fondateurs de la CEE avaient en effet compris que si la librecirculation devait être une des libertés individuelles fondamentales, celle-cin’aurait pu se réaliser en l’absence d’une « coordination » transfrontalière desrégimes de sécurité sociale.

Un des principes qui en était à la base, est celui dit de la totalisation des périodes,en vertu duquel, pour donner un exemple, si vous avez travaillé en Belgique et enFrance, et que vous restez involontairement inoccupé dans ce dernier pays, celui-ci est censé devoir vous verser des prestations de chômage comme à sestravailleurs nationaux, en tenant compte - sans exceptions ni restrictions – tantdes périodes de travail salarié prestées en France que de celles prestées enBelgique.

Ce principe est à sont tour intégré et complété par celui dit de l’exportabilité desprestations. Pour terminer l’exemple, si ensuite vous souhaitez rentrer enBelgique pour y trouver un emploi, vous avez le droit de garder (exporter) pour unecertaine période vos allocations de chômage françaises.

L’étude que nous allons synthétiquement présenter ici, montre cependantcomment ces normes – édifiées en presque 60 ans d’histoire de l’Europe sociale –ont été rendues partiellement inefficaces par la dérégulation sauvage desmarchés du travail et comment, plus concrètement, des milliers de travailleurs ettravailleuses sous contrats atypiques sont aujourd’hui exclus, d’un seul coup, deleurs droits à la sécurité sociale et à la libre circulation.

Le Traité instituant la Communauté économique européenne était en vigueurdepuis moins de dix mois, les langues officielles et le statut des fonctionnairesavaient juste été édictés, et la débâcle du marché charbonnier s’annonçait auxportes de la CECA : le jeudi 25 septembre 1958, le Conseil de la CEE adopta sonpremier règlement concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants.

La libre circulation de la main-d’œuvre était l’un des principes fondamentaux dunouveau marché commun. Cette nouvelle liberté comportait, entre autres, un droitfondamental à la sécurité sociale pour tout travailleur se déplaçant d’un Étatmembre à l’autre, sur base d’un système transnational dit de « coordination »,visant à faire parler entre eux les différents régimes nationaux.

Mais ce n’était pas une mesure philanthropique en faveur des travailleurs : ils’agissait plutôt d’un outil essentiel à la mobilité des facteurs de production,réclamé de vive voix par les fédérations des employeurs. Les dispositionsdiscriminatoires sur la base de la nationalité, présentes dans les différentssystèmes nationaux de sécurité sociale, avaient en fait un effet dissuasif sur lalibre circulation des travailleurs, et du coup sur la construction du marché.

En réalité, une tout autre approche avait été également prise en compte àl’époque, allant plutôt dans la direction de l’harmonisation des règles sociales [9].Et, dans ce cadre, deux options étaient sur la table. L’une, plus radicale, consistaità établir un véritable cadre juridique commun ; l’autre, basée sur un socle de

2 LA SÉCURITÉ SOCIALE DES TRAVAILLEURS MIGRANTS, ENTREHARMONISATION ET COORDINATION

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normes minimales, laissait aux États membres un certain degré de liberté dans laconstruction de leurs propres systèmes. Mais la majorité des gouvernementsnationaux considérèrent tant l’une que l’autre politiquement prématurées [10], etce point ne fut plus jamais mis à l’ordre du jour.

Née en 1958, la coordination est donc fondée, aujourd’hui encore, sur un certainnombre de principes fondamentaux :

Totalisation des périodes. La possibilité de faire valoir la totalité des périodesde travail, d’assurance et de résidence accomplies dans un État membre,pour la détermination d’un droit dans un autre État membre.Exportabilité des prestations. La possibilité de se déplacer dans un autre Étatmembre, tout en continuant à recevoir certaines allocations en espèces del’État membre de provenance, faisant interdiction à celui-ci d’en réserver lepaiement aux seules personnes résidant sur son territoire.Égalité de traitement. C’est le droit de résider et de travailler dans leterritoire d’un autre État membre en étant soumis aux mêmes devoirs et auxmêmes droits que les ressortissants nationaux.Unicité de la législation applicable. Toute personne est soumise à lalégislation d’un seul pays, normalement le pays de travail [11].Assimilation des faits. Si au titre de législation nationale des effets juridiquessont attribués à la survenance de certains faits ou évènements, tels que lamaladie, la maternité ou l’incapacité temporaire des accidents du travail, ildoit être tenu compte également des faits ou évènements semblablesintervenus sur le territoire de tout autre État membre [12].

Il était naturel que, dans leur mise en pratique, ces principes s’adaptent au fur et àmesure à l’évolution de la société et à celle de ses phénomènes migratoires. Untournant important est par exemple intervenu en 2003, lorsque la coordination aouvert ses portes aux ressortissants de pays tiers. Voilà que les règlements actuelscomptent désormais 191 articles et 16 annexes, soit plus de 200 pages [13].

Cette évolution continue n’a pourtant pas mis en question, jusqu’à présent aumoins, la règle générale qui en est à la base, selon laquelle les travailleursmigrants ne doivent subir aucune réduction du montant de leurs prestations desécurité sociale du fait qu’ils ont exercé leur droit à la libre circulation (Cour dejustice de l’UE) [14].

Concrètement, que se passe-t-il lorsqu’un citoyen italien ou espagnol parexemple, ayant travaillé sous contrat atypique dans son pays, s’établit en Belgiqueou dans un autre pays de l’UE pour y travailler ou pour y chercher du travail ?

Les chiffres et les témoignages réunis par les organisations syndicalesmontrent, non seulement que les travailleurs atypiques et « mobiles » (synonymepolitiquement correct de migrants) sont de plus en plus nombreux mais, surtout,que les bras de la coordination européenne sont devenus beaucoup trop courtsface à la dérégulation du droit du travail.

Les obstacles se manifestent à différents niveaux , ci-après regroupés, pour desraisons de synthèse et de clarté, en cinq domaines problématiques.

Quand on parle de travail atypique, le cas le plus évoqué est celui de l’Allemagne,et de ses célèbres « mini-jobs » (Geringfügige Beschäftigung). Il s’agit,essentiellement, d’activités professionnelles dites mineures (ou accessoires, ouencore marginales), introduites en 1971 dans le Sozialgesetzbuch (code de lasécurité sociale allemand). Jusqu’en 2012, les mini-jobs étaient assurés enAllemagne uniquement contre les accidents du travail, à condition de ne pasdépasser les seuils maximaux de 400 € par mois et de 15 heures par semaine. Apartir de 2013, le seuil salarial a été porté à 450 €, la limite de 15 heures a étéabolie, et l’exonération de cotisations de sécurité sociale a été rendue« facultative ». Dans la pratique, cela signifie que l’employeur peut aujourd’hui

3 LA SÉCURITÉ SOCIALE DES TRAVAILLEURS « ATYPIQUES ET MOBILES » ENEUROPE

3.1 TOTALISATION IMPOSSIBLE, POUR TOUTE FORME DE TRAVAIL NONSOUMIS À COTISATIONS SOCIALES

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prétendre que le travailleur « renonce volontairement » à ses droits à la sécuritésociale.

Initialement conçu pour fournir « un revenu secondaire aux femmes mariées »,dont la sécurité sociale était en tout cas garantie par le conjoint, ou pour légaliserle travail occasionnel des salariés déjà couverts par l’assurance sociale au titre durégime général, le mini-job est devenu un phénomène de masse en Allemagne,concernant aujourd’hui près d’un emploi sur cinq. Selon le rapport du syndicatallemand [15], les mini-jobs sont à présent 7,5 millions, dont plus de 63% sontoccupés par des femmes. Environ 2,5 millions de ces travailleurs et travailleusesont aussi d’autres sources de revenus, ce qui leur donne normalement accès à lasécurité sociale, mais pour les 5 millions de travailleurs restants le mini-job est laseule source de revenu d’emploi (QAI, Institut Arbeit und Qualifikation). Un contratde ce type est payé en moyenne entre 5 et 7 € l’heure.

Exemple 1 En Allemagne, les contrats Geringfügige Beschäftigung permettentd’engager un travailleur (une travailleuse le plus souvent) pour une rémunérationbrute de maximum 450 € par mois, et de ne l’assurer que contre les accidents detravail. Il est évident que les règles européennes ne sont pas faites pour ce type decontrat. Si vous comptez par exemple vous établir pour un certain période enAllemagne, et que pour payer vos frais vous y décrochez un petit job, sachez queces périodes d’activités professionnelles, non soumises à cotisations sociales, nevous donnerons aucun droit en termes de chômage ou de pension, ni enAllemagne ni dans n’importe quel autre pays de l’UE.

Et pourtant, les mini-jobs allemands ne sont pas un cas isolé.

Dans le Royaume Uni, le travail salarié dont la rémunération est inférieure à 109 £par semaine (environ 550 € par mois) est également exonéré de toute cotisationsociale (Small Earnings Exception), et par conséquent exclu de toute prestation àcaractère contributif.

En Slovénie, la même règle s’applique à tout travail occasionnel et à temps partielne dépassant pas les 60 heures par mois et dont la rémunération ne se situe pasau-delà de 6 300 € bruts par an (malo delo) [16].

L’impossibilité de totaliser des périodes de travail non soumises à cotisations estune injustice de fait, qui a pourtant ses fondements dans la logique assurantiellede la sécurité sociale des travailleurs. Le paradoxe est que, même si vous avezversé des cotisations sociales, leur prise en compte dans un autre État membrepeut également s’avérer irréalisable, si votre travail était encadré par un contratnon-standard. En cas de chômage, le problème se produit lorsque les périodesd’assurance accomplies dans le premier État membre n’ont pas d’équivalent dansle régime d’assurance de l’autre État membre.

Le rapport du syndicat italien met à ce propos l’accent sur les contrats dits « aprogetto » introduits dans les années 1990 dans le code du travail de ce pays [17].Bien qu’il s’agisse à tous les effets d’un travail subordonné, prenant fin une fois leprojet réalisé, leur statut est juridiquement considéré comme une « sous-espèce »du travail indépendant. Ces contrats sont ainsi soumis en Italie à un régimed’assurance tout à fait spécial (gestion séparée), qui donne droit à certainesgaranties minimales, tout juste comparables à celles du travail salarié.

Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de la panoplie de prestations sociales, elleaussi atypiques, mises en place par un bon nombre d’États membres pourpartiellement compenser la faiblesse économique et sociale du travail atypique,de plus en plus répandu en Europe. Le problème est que ces compensations n’ontnormalement pas d’équivalent d’un pays à l’autre, ce qui rend utopique leregroupement (totalisation) des différents périodes d’assurance, accomplis ici etlà en Europe.

Si vous décrochez un de ces contrats de travail, par exemple dans le cadre d’uneconvention de recherche avec une université italienne, ou encore pire dans un callcenter, vous serez soumis à un régime séparé, donnant droit en cas de chômage àdes mini-allocations, nullement comparables à ce qui existe ailleurs. Mais si vous

3.2 TOTALISATION IMPOSSIBLE, MÊME SI DES COTISATIONS SOCIALES ONTÉTÉ EFFECTIVEMENT VERSÉES

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rentrez en Belgique, vos périodes de travail accomplies sous le régime italienseront considérées comme du travail indépendant, et par conséquent ne serontpas prises en compte en cas de chômage, malgré vos cotisations versées à lacaisse italienne.

Exemple 2 Paola, italienne, âgée de 32 ans, s’est établie en Belgique en janvier2012. Dans sa première année et demie de résidence en Belgique elle travaille àplusieurs reprises, et pour différents employeurs, toujours avec des contratsd’intérimaire, dont le dernier se termine en juin 2013. En juillet 2013 Paolaintroduit une demande d’allocation de chômage auprès de la CAPAC. Pour avoiraccès à son indemnité, Paola doit prouver au moins 312 jours de travail au coursdes 21 mois précédant sa demande, une condition qu’elle pourrait facilementremplir en totalisant ses 300 jours d’assurance en Belgique avec ceux accomplisen Italie sous différents contrats « a progetto ». Et pourtant l’ONEM rejette sademande, compte tenu du fait que ces cotisations que Paola a versé en Italie dansle cadre de son contrat atypique sont assimilées en Belgique à du travailindépendant.

Exemple 3 Pierre est un chercheur belge, âgé de 31 ans. Il s’est établi en 2012 enItalie, où il a travaillé pendant six mois, 36 heures par semaine, pour un organismepublic de recherche, sous contrat « a progetto ». Durant cette période, Pierre aversé ses cotisations sociales dans le régime obligatoire prévu à cet effet. En2013, il obtient un contrat à durée déterminée auprès d’une université deBruxelles et il rentre ainsi en Belgique. Huit mois après Pierre est au chômage.Ayant cotisé au total pendant plus de 312 jours au cours des 18 derniers mois, ilaurait du avoir droit normalement à des allocations de chômage en Belgique. Sescotisations versées en Italie, cependant, sont assimilées en Belgique à despériodes d’assurance au régime des indépendants. Si Pierre avait continué àtravailler ne fût-ce qu’un mois en Italie, il aurait eu droit là-bas à une indemnitéunique de chômage (una tantum). Ayant par contre travaillé et cotisé bien pluslongtemps, mais dans deux pays, il n’a droit à aucune indemnité.

Rappelons que, au vu de la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE, lestravailleurs migrants ne devraient jamais se trouver – d’un point de vue de lasécurité sociale - dans une situation défavorable par le seul fait d’avoir travaillédans plusieurs États membres.

En règle générale, si vous êtes au chômage, pour percevoir vos allocations vousdevez être disponible sur le marché de l’emploi, et donc demeurer dans le pays quivous les paye. Cependant, dans le cadre de la coordination européenne, vouspouvez sous certaines conditions chercher du travail dans un autre pays de l’UE,tout en continuant à recevoir vos allocations pendant maximum six mois.

Ce principe, dit de l’exportation, est lui aussi facilement mis à mal si trop de culs-de-sac se cachent dans le labyrinthe de votre carrière professionnelle. Laprotection sociale des travailleurs les plus précarisés est en fait de plus en plusconfinée à des mesures nationales spécialement conçues pour les personnes qui,en raison d’une carrière fragmentée et atypique, se trouvent en situation dechômage sans pouvoir remplir les conditions d’ouverture des droits à desprestations « normales », découlant de leurs cotisations.

Il s’agit, dans la plupart des cas, de prestations effectivement liées à la perted’emploi, mais dont l’accès n’est pas en fonction des cotisations versées par lebénéficiaire (droit assurantiel), mais de ses conditions de revenu (situation debesoin). Ce qui fait glisser le travailleur dans les mains de l’aide sociale plutôt quedans celles de la sécurité sociale.

Pour n’en citer que quelques-unes [18] : les allocations pour chercheurs d’emploibasées sur le revenu au Royaume Uni (Income-based jobseeker’s allowance), lesprestations dites de base pour chercheurs d’emploi en Allemagne (Benefits tocover subsistence costs under the basic provision for jobseekers unless),l’allocation pour demandeurs d’emploi en Irlande (Jobseekers’ allowance),l’allocation de chômage de l’Étate en Estonie (State unemployment allowance), lesallocations dites de soutien au marché du travail introduites en Finlande suite à laréforme des allocations de chômage en 2002 (Act on Unemployment Benefits1290/2002), etc. Ou, pourquoi pas, les milliers de chômeurs qui ont perdu, enBelgique, le droit à leurs allocations depuis le 1er janvier 2015, et pour lesquels

3.3 IMPOSSIBILITÉ D’EXPORTER SES PRESTATIONS DE CHÔMAGE

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les CPAS constituent la seule planche de salut.

Ce type de prestations restent confinées dans une zone grise du droit européen,qui marque la frontière entre la sécurité sociale proprement dite, intégrée à partentière dans les règles de la coordination, et l’assistance sociale, qui en estaujourd’hui largement exclue. En plus de la paupérisation que ces mesuresentraînent en termes strictement monétaires, ces sont les droits individuels et« assurantiels » qui s’envolent en éclat, pour faire place, au mieux, à la générositécaritative et aléatoire de l’état providence.

La mauvaise surprise arrive au moment où, voulant chercher un emploi dans unautre État membre, par exemple dans votre pays d’origine, vous découvrirez qu’onvous a volé le droit à l’exportation de vos allocations, la règle européenne n’étantd’application que pour les prestations strictement contributives.

Exemple 4 Au Royaume Uni, une allocation de chômage non-contributive(Income-based jobseeker’s allowance) peut être accordée aux personnes qui ontinvolontairement perdu leur emploi mais qui ne remplissent pas les conditionsd’ouverture des droits aux prestations de chômage liées aux cotisations. Cetteallocation est versée « sous conditions de ressources » : il faut, par exemple, nepas disposer d’épargne dont le montant excède 16 000 £ (23 000 € environ).

Dans la pratique, les chômeurs ainsi indemnisés perçoivent des allocationsforfaitaires qui ne reflètent plus le montant des cotisations versées ni celui de leurdernier salaire, mais uniquement les ressources, l’âge et la situation familiale dubénéficiaire, et dont le paiement ne peut durer que 6 mois maximum.

Au-delà des préjudices économiques directs, dus à la réduction du montant et dela durée du subside par rapport à une allocation de chômage « normale », lestravailleurs concernés se voient ainsi également privés de ce droit à la mobilité quileur permettrait d’aller chercher du travail dans un autre pays, tout en conservantleurs allocations de chômage pour 3 mois minimum (article 64 du Règlementeuropéen 883/2004).

D’autres obstacles viennent de la variété des conditions minimales requises pourl’ouverture du droit à certaines prestations. D’une manière ou d’une autre, tous lespays fixent de conditions minimales d’assurance (périodes de stage) pour l’accèsaux prestations par exemple de chômage, ou de maternité et de paternité [19]. Etcela peut être tout à fait logique dans le cadre d’un régime assurantiel.

Le problème, encore une fois, est celui de la disparité de traitement qui affecte lestravailleurs mobiles en fonction des différentes régimes nationaux auxquels ontété soumis toute au long de leur carrière professionnelle. Dans certains pays, enfait, ces conditions minimales sont moins strictes, et donc potentiellementaccessibles même aux travailleurs et aux travailleuses avec des carrièresparticulièrement courtes et fragmentées. Dans la plupart, elles sont au contrairebeaucoup plus rigides et complexes, et ainsi plus difficiles à atteindre si vous aveznavigué longtemps à travers les régimes de sécurité sociale de plusieurs pays,avec en plus des carrières particulièrement fragmentées.

En Belgique, avant de pouvoir prétendre à une allocation de chômage, nousdevons avoir travaillé, en fonction de l’âge, entre 312 et 624 jours durant 21 à 42mois. En Allemagne, il faut compter 12 mois minimum de cotisations au cours desdeux dernières années. En France, 122 jours sur les 28 derniers mois. En Suède,l’ouverture du droit aux prestations de chômage est soumise à une condition ditede travail (arbetsvillkoret), pour laquelle il convient d’avoir travaillé au moins 80heures par mois pendant 6 mois au cours des 12 derniers mois précédant le débutdu chômage, ou effectué au moins 480 heures de travail réparties sur une périodede 6 mois consécutifs, dont au moins 50 heures par mois, au cours des 12 derniersmois précédant le début de la situation de chômage [20].

Cette hétérogénéité implique, pour de nombreux travailleurs sous contratsatypiques, un parcours d’obstacles sans ligne d’arrivée.

Exemple 5 Francisco, de nationalité espagnole, 38 ans, a commencé a travaillerdans son pays à l’âge de 24 ans. Mais comme il aime bien voyager et découvrird’autres pays, il a jugé bon à un certain moment de profiter du droit à la libre

3.4 LE MANQUE DES CONDITIONS MINIMALES POUR L’OUVERTURE DU DROIT

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circulation qui lui est offert en tant que citoyen européen, en s’établissant d’aborden Italie, et puis en France. Il s’en sort plutôt bien, cumulant les uns après lesautres plusieurs contrats saisonniers et occasionnels de courte durée, toujoursdans l’Horeca. Jusqu’au moment où il décide d’aller vivre à Londres, en octobre2012, pour y travailler dans la restauration. En mars 2013 Francisco se retrouvesans emploi, et il introduit ainsi une demande d’allocation de chômage.Nonobstant sa carrière fragmentée, il a versé pas mal de cotisations sociales, maisil n’arrive pas à remplir toutes les conditions requises, et sa demande est rejetée.

Au Royaume-Uni, en fait, pour prétendre aux prestations de chômagecontributives (Contribution-based Jobseeker’s allowance), des cotisations sur lesalaire réel (Class 1 Contributions) doivent avoir été payées dans l’une des deuxannées fiscales de référence pour au moins 26 fois la cotisation minimalehebdomadaire de l’année en cause (les cotisations fictives ne sont pas prises encompte dans ce calcul). Par ailleurs, durant ces deux mêmes années de référence,les cotisations versées doivent au minimum correspondre à 50 fois la cotisationminimale hebdomadaire de l’année en cause (dans ce deuxième calcul même lescotisations fictives peuvent être créditées). Et en ayant épargné durant ces annéesgrâce à son travail, il ne rempli même pas les « conditions de ressources » pourréclamer une allocation de chômage non-contributive (Income-based jobseeker’sallowance).

C’est la méthode de calcul des prestations qui vous discriminera, finalement, sivous avez cumulé plusieurs périodes d’assurance à court terme, ou incomplètes,dans différents pays. Malgré la propagation des contrats de courte durée, lessystèmes nationaux de protection sociale reflètent encore, à bien d’égards, lemodèle de société basée sur la continuité du travail, à temps plein et à duréeindéterminée, et leurs systèmes de calcul des prestations suivent par conséquentcette même logique.

Il incombe alors à la Cour de justice de l’UE de fermer de temps en temps lesportes laissés ouvertes par les pouvoirs politiques, comme l’ont souligné lessyndicats espagnols [21] à propos du système de calcul de la pension de vieillesse.

Exemple 6 Dans l’affaire Elbal Moreno (C-385/11), concernant une travailleuse àtemps partiel, la Cour européenne a jugé que la manière dont la Seguridad Socialespagnole avait pris en compte ses périodes de cotisation était discriminatoire,étant donné que le calcul effectué en fonction des heures effectivement prestéesne lui permettait pas d’atteindre le nombre minimum de cotisations nécessairepour une pension de vieillesse. Selon les juges, une telle méthode de calcul estmanifestement discriminatoire vis-à-vis des travailleurs à temps partiel, parce quela même contribution peut donner droit à une prestation ou non, en fonction desdifférents systèmes de sécurité sociale auquel ils ont été soumis.

Exemple 7 L’affaire Salgado Gonzalez (C-282/11), concernait une travailleuseayant cotisé 10 ans en Espagne et 5 au Portugal, pour laquelle la Seguridad Socialespagnole avait calculé le montant de sa prestation sur la base des 10 ans decotisations effectivement versées en Espagne durant les derniers 15 ans. End’autre termes, un diviseur fixe avait été appliqué, sans aucun ajustement au faitque la personne avait exercé son droit à la libre circulation durant la périodeconcernée. Ce faisant, a estimé la Cour, une discrimination évidente a été crééeentre le travailleur, ou la travailleuse, qui a cotisé dans plus d’un pays et un autrequi a contribué, pour la même période, dans un seul pays.

Les syndicats suédois [22] fournissent à leur tour un autre exemple bien concretde la façon dont les méthodes de calcul d’une pension peut facilement conduire àdes résultats défavorables lorsque le travailleur a exercé son droit à la librecirculation dans le cadre de plusieurs contrats de travail de courte durée.

Exemple 8 Fernando a alterné dans sa vie plusieurs courtes périodes d’emploi, enItalie, en Espagne et en Suède. À l’âge de 25 ans, il travaillait en Espagne sous descontrats de formation, qui n’ont abouti à aucune cotisation. À 35 ans, Fernandos’est installé en Suède, où il a toujours sa résidence. Jusqu’à l’âge de 45 ans il suitplusieurs formations, mais il n’a pas de véritable revenu. Au cours des 20 dernièresannées, il a alterné plusieurs contrats de travail dans des restaurants, en Italie eten Suède. Or, ayant atteint l’âge de la retraite, vis-à-vis de l’Italie avec seulement48 semaines de cotisations Fernando n’atteigne pas le minimum requis (52

3.5 OBSTACLES LIÉS AUX MÉTHODES DE CALCUL DES PRESTATIONS

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semaines) pour une pension de vieillesse. De la part de la Suède, sur la base deses faibles cotisations Fernando ne recevra qu’une très petite pension de base(inkomstpension). Et quant à la pension dite garantie (garantipension), qui estattribuée en Suède aux personnes qui ont eu de faibles revenus, et dont le tauxplein n’est atteint qu’avec 40 ans de résidence, celle-ci ne lui sera versée qu’enproportion de ses périodes de séjour effectif dans le pays.

Le montant total de sa pension sera de ce fait inférieur à ce qu’il lui auraitappartenu, à parité de périodes de cotisation, s’il n’avait pas exercé son droit à lalibre circulation. Si Fernando avait résidé tout le temps en Suède ou en Italie, etavait versé les mêmes cotisations dans un seul de ces pays au lieu de deux, lemontant de sa pension serait aujourd’hui considérablement plus élevé. Revoilà undernier exemple de violation du principe selon lequel un travailleur migrant nedevrait jamais se trouver – d’un point de vue de la sécurité sociale - dans unesituation défavorable par le seul fait d’avoir travaillé dans plusieurs Étatsmembres.

C’est comme un chien qui court derrière sa queue.

D’une part, les travailleurs et les travailleuses sous contrat précaire sont poussés àplier bagages à la recherche de meilleures conditions économiques et socialesdans d’autres pays de l’Europe, mieux lotis en terme d’opportunité d’emploi etde protection sociale.

D’autre part, c’est précisément parmi les migrants (citoyens de l’UE et non) quel’emploi se présente le plus souvent sous forme de contrats atypiques et précaires.

Selon un rapport de 2010 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) [23], cecorpus de normes européennes consacrées à la libre circulation des travailleurs età leur accès à la sécurité sociale concerne environ 11 millions d’européens vivantde manière stable dans un autre État membre (2,5 % de la population totale del’UE), plus d’un million de personnes franchissant les frontières de l’UE pour letravail chaque jour (transfrontaliers), et environ 250 000 personnes qui, ayanttravaillé dans plus d’un État membre, ont besoin d’exporter chaque année unepartie de leur sécurité sociale. En plus de ceux-ci, les 20 millions environ deressortissants de pays tiers qui vivent, travaillent et étudient dans un pays de l’UE,sont aussi potentiellement concernés.

Selon Eurofound, dans l’UE les contrats dits atypiques représentent 15% del’emploi total parmi les travailleurs âgés de plus de 35 ans, et 50% parmi les plusjeunes [24].

En conséquence, on peut faire sans grand risque le pari qu’au moins un sur quatre– voire un sur trois - de ceux et celles qui travaillent dans un pays de l’UE dont ilsn’ont pas la nationalité, le fasse sous contrat atypique.

A l’instar des systèmes nationaux de sécurité sociale, qu’ils visent à coordonner etnon pas à harmoniser, ces règlements européens ont été conçus principalementpour protéger les travailleurs - notamment les hommes / chefs de ménage,employés à temps plein et à durée indéterminée - contre des risques« traditionnels » liés à des relations de travail « standards » : chômage, accidentset maladies professionnelles, soins de santé, vieillesse.

Mais, au cours des vingt dernières années, dans presque tous les pays de l’UEd’autres formes de contrats, dites « atypiques », ont progressivement pris la placedes contrats traditionnels et classiques : mini-jobs, travail intermittent, nettementdéfini, de soir, de week-end, à distance, à domicile, à projet, avec plusieursemployeurs, sur demande, à zéro heure, sans contrat écrit, etc.

Et les régimes nationaux de protection sociale ont été également déconstruits aufil du temps, se débarrassant progressivement des modèles autour desquels lacoordination européenne avait été édifiée et structurée, pour faire place à d’autresformes de protection, moins solides et souvent elles aussi « atypiques ».

Résultat ? L’absence d’harmonisation entre les systèmes nationaux de protectionsociale rend son alternative, à savoir la coordination, inaccessible à des millionsde personnes.

CONCLUSIONS

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Cette asymétrie entre travailleurs « standards » et « atypiques » entraîne, pour cesderniers, quatre sources de discrimination :

Ils ont des revenus faibles et instables quand ils travaillent.Ils sont mal couverts par les systèmes de sécurité sociale quand ils restentau chômage.Ils perdent une grande partie de leurs droits sociaux quand ils se déplacentd’un pays à l’autre.Ils ont plus de risques que les autres de se retrouver sous contrat atypiquelorsqu’ils décrochent un emploi dans un autre pays. La combinaison de cesquatre facteurs tend à enfermer les travailleurs « mobiles et sous contratatypique » dans une sorte de piège de la précarité, économique et sociale.

Et, pour comble de malheur, s’ils se sont installés dans un pays comme laBelgique, ils risquent même de se faire expulser faute d’un statut de véritable« travailleur », ou d’être traités de « charge déraisonnable » s’ils ont eu lamauvaise idée de perdre involontairement leur emploi, et de faire ainsi valoir cesdroits à la sécurité sociale qui devraient normalement leur être accordés sur basede leur statut de travailleur et de citoyen, ainsi que de leur cotisationsassurantielles [25].

Caldarini C., Giubboni S., McKay S., The “place” of atypical work in the Europeansocial security coordination : A transnational comparative analysis (Belgium,France, Germany, Italy, Slovenia, Spain, Sweden, United Kingdom), WP CSDLEMassimo D’Antona, 2/2014 (http://bit.ly/1yLlTTY).

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[1] Nous utilisons ici le terme « recherche-action » tel que définit en 1986 par Hugon et Seibel : « Il s’agitde recherches dans lesquelles il y a une action délibérée de transformation de la réalité ; recherches ayantun double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant cestransformations » (Hugon M.A., Seibel C., Recherches impliquées, Recherches action : Le cas del’éducation, De Boeck Université, Belgique, 1988, p.13).

[2] Projet Accessor 2013-2014. Coordination Marisa Pompei (INCA CGIL UK). Direction scientifique CarloCaldarini (Observatoire des politiques sociales en Europe). Projet cofinancé par la Commissioneuropéenne. Voir : Caldarini C., Giubboni S., McKay S., The “place” of atypical work in the European socialsecurity coordination : A transnational comparative analysis, WP CSDLE Massimo D’Antona, 2/2014(http://bit.ly/1yLlTTY).

[3] Eurofound, New forms of employment, Publications Office of the European Union, Luxembourg, 2015

[4] European Commission, Economic Crisis in Europe : Causes, Consequences and Responses, 2009 ;Commission européenne, Une stratégie pour des compétences nouvelles et des emplois : une contributioneuropéenne au plein emploi, 2010.

[5] Lang C., Schömann I., Clauwaert S., Atypical forms of employment contracts in times of crisis,European trade union institute ETUI, Brussels, 2013.

[6] Voir par exemple : Eurofound, New forms of employment, 2015 ; Eurofound, Flexible forms of work :“very atypical” contractual arrangements, 2010 ; Eurofound, Very atypical work : Exploratory analysis offourth European Working Conditions Survey, 2010 ; Gumbrell-McCormick R., “European trade unions andatypical workers”, Industrial Relations Journal, 2011 ; Leschke J., “Challenges of Old-Age Insurance WithRegard to Career Breaks and Atypical Employment”, Transfer : European Review of Labour and Research,Vol. 17, No. 1, 2011 ; Working Lives Research Institute and London Metropolitan University, Study onPrecarious work and social rights, 2012.

[7] Articles 18 à 25 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

[8] Articles 45 à 48 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

[9] Roberts S., « Bref historique de la coordination de la sécurité sociale », dans Commission européenne,50 ans de coordination de la sécurité sociale, Luxembourg, Office des publications de l’Union européenne,2010.

[10] Watson P., Loi sur la sécurité sociale des Communautés européennes, Mansell, Londres, 1980.

[11] On compte toutefois des exceptions importantes, par exemple, pour les travailleurs détachés.

[12] Ce principe rend inapplicable les inégalités indirectes de traitement, celles qui ne sont pas fondéessur la nationalité mais qui produisent les mêmes discriminations par application d’autres critères dedistinction que la nationalité et qui affectent d’avantage les travailleurs migrants ou qui sont plusfacilement remplis par les ressortissants nationaux.

[13] Règlements n° 883/2004 et n° 987/2009 (plus le règlement 859/2003 concernant les ressortissantsdes pays tiers).

[14] Voir, par exemple, arrêts Nemec, C-205/05 ; Bosmann, C‑352/06 ; Hudzinski et Wawrzyniak C‑611/10et C‑612/10.

[15] Caldarini, Giubboni, McKay, op. cit., pp. 71-76.

[16] Caldarini, Giubboni, McKay, op. cit., pp. 97-100. Des contrats de nature identique existent aussi enAutriche et en Suisse. En Espagne, par contre, lorsque la BCE en avait acheté la dette souveraine, une desconditions dictées était la mise en place de contrats de type mini-job. La Confédération espagnole desassociations d’entreprise (CEOE) a défendu cette demande, mais les syndicats ont réussi à l’empêcher.

[17] Caldarini, Giubboni, McKay, op. cit., pp. 71-76.

[18] European Commission, A fact finding analysis on the impact on the Member States’ social securitysystems of the entitlements of non-active intra-EU migrants to special non-contributory cash benefits andhealthcare granted on the basis of residence, 2013 (http://bit.ly/1AOuzvX) ; De Cortazar C. et al.,Coordination of Unemployment Benefits. Think Tank Report, Tress, 2012 (http://bit.ly/18gX21S).

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Grexit – Aspects macroéconomiques

Publications - Refonder Le RêveEuropéen ?Harmonisation européenne de

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Publications - Chine : Face Au DragonLa Chine, miroir de notre

impuissance

Publications - L’Europe À L’offensiveL’Europe déracinée

Europe fédérale vs apocalypse du

capital

intégration européenne(Europe)

Publications - Notes, Traductions…Le Plan C (Citoyens) pour l’Europe

Publications - AnalysesLa mobilité du travail atypique en

Europe

sécurité sociale(Solidarités)

Publications - AnalysesLa mobilité du travail atypique en

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La pension légale : fardeau à

« réformer » ou progrès à

moderniser ?

A bout de souffle : inventaire de 15

mois de Gouvernement PS/CdH en

Wallonie

Publications - Dossier 3 : ApprochesÉcologistes Du SocialQuel avenir pour la sécurité sociale

belge ?

[19] Voir, par exemple : http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=858&langId=fr

[20] Source : www.cleiss.fr

[21] Caldarini, Giubboni, McKay, op. cit., pp. 92-96.

[22] Caldarini, Giubboni, McKay, op. cit., pp. 77-80.

[23] ILO, Coordination of Social Security Systems in the European Union. An explanatory report on ECRegulation 883/2004 and its Implementing Regulation 987/2009, International Labour Office, DecentWork Technical Support Team and Country Office for Central and Eastern Europe, Budapest, 2010.

[24] Eurofound, New forms of employment, Publications Office of the European Union, Luxembourg, 2015.

[25] Caldarini C., « La liberté, de foutre le camp », dans Ensemble, n° 85, décembre, pp. 51-55(http://bit.ly/180QTqB).

Pour aller plus loin sur le site d'Etopia :