Un cas de mydriase anisocorique chez un chien - CAZALOT - IOVS 2009

6
O udja, chienne labrador stérilisée, âgée de 9,5 ans, est présentée en consultation référée d’ophtalmologie pour une mydriase de l’œil droit apparue un mois auparavant (Photo 1). L’animal se déplace normalement mais semble gêné dans les ambiances en forte luminosité. Les examens clinique et neurologique réalisés par le vétérinaire traitant ne révèlent pas d’autre anomalie et la chienne présente un bon état général. EXAMEN VISUEL En salle d’attente, Oudja montre un comportement exploratoire, une démarche, un éveil et un tonus normaux. L’ensemble des tests visuels (poursuite visuelle de la boule de coton, clignements à la menace et à l’éblouissement, placer visuel) sont positifs. EXAMEN DU GLOBE OCULAIRE ET DE SES ANNEXES A l’examen à distance (Photo 2), le volume des globes apparaît normal sur les deux yeux. Toutefois, une ptose de la paupière supérieure, sans procidence de la membrane nictitante, est observée à droite. A la paupière inférieure, une néoformation discrètement éversante est remarquée sans répercussion lésionnelle aux niveaux palpébral, conjonctival et cornéen. > FORMATION Un cas de mydriase anisocorique chez un chien Le cas présenté permet de revoir la démarche clinique à adopter face à une anisocorie : recherche d’une atteinte visuelle ou de lésions oculaires associées, définition d’un myosis ou d’une mydriase anisocorique, neuro-localisation et enfin diagnostic. La neuro-localisation s’appuie sur une connaissance anatomique précise des voies optiques et visuelles et permet d’évoquer des hypothèses qui seront explorées lors d’examens complémentaires. Mots-Clés : Anisocorie – Mydriase – Paralysie du III – Voies optiques – Nerf oculomoteur – Noyau d’Edinger-Westphal - Chien. * Clinique Vétérinaire La Borde Rouge – 150 rue E. Rostand 31200 Toulouse. ** Clinique Vétérinaire Harfang - 40 rue Jean Moulin 31320 Castanet Tolosan. > CAS CLINIQUE Informations Ophtalmologiques Vétérinaires > N° 9 > 2 ème trimestre 2009 Guilhem PISTRE DMV** Photo 1. Oudja, 9,5 ans. Photo 2. Examen à distance. Noter à droite la ptose palpébrale supérieure, le strabisme ventro-latéral et la mydriase. Guillaume CAZALOT DMV*

Transcript of Un cas de mydriase anisocorique chez un chien - CAZALOT - IOVS 2009

Page 1: Un cas de mydriase anisocorique chez un chien - CAZALOT - IOVS 2009

Oudja, chienne labrador stérilisée, âgée de 9,5 ans, est présentée en consultation référée d’ophtalmologie pour une mydriase de

l’œil droit apparue un mois auparavant (Photo 1). L’animal se déplace normalement mais semble gêné dans les ambiances en forte luminosité. Les examens clinique et neurologique réalisés par le vétérinaire traitant ne révèlent pas d’autre anomalie et la chienne présente un bon état général.

ExamEn visuEl

En salle d’attente, Oudja montre un comportement exploratoire, une démarche, un éveil et un tonus normaux.

L’ensemble des tests visuels (poursuite visuelle de la boule de coton, clignements à la menace et à l’éblouissement, placer visuel) sont positifs.

ExamEn du globE oculairE Et dE sEs annExEs

A l’examen à distance (Photo 2), le volume des globes apparaît normal sur les deux yeux. Toutefois, une ptose de la paupière supérieure, sans procidence de la membrane nictitante, est observée à droite. A la paupière inférieure, une néoformation discrètement éversante est remarquée sans répercussion lésionnelle aux niveaux palpébral, conjonctival et cornéen.

> FORMATION

Un cas de mydriase anisocorique chez un chien

Le cas présenté permet de revoir la démarche clinique à adopter face à une anisocorie : recherche d’une atteinte visuelle ou de lésions oculaires associées, définition d’un myosis ou d’une mydriase anisocorique, neuro-localisation et enfin diagnostic. La neuro-localisation s’appuie sur une connaissance anatomique précise des voies optiques et visuelles et permet d’évoquer des hypothèses qui seront explorées lors d’examens complémentaires.

Mots-Clés : Anisocorie – Mydriase – Paralysie du III – Voies optiques – Ner f oculomoteur – Noyau d’Edinger-Westphal - Chien.

* Clinique Vétérinaire La Borde Rouge – 150 rue E. Rostand 31200 Toulouse.** Clinique Vétérinaire Harfang - 40 rue Jean Moulin 31320 Castanet Tolosan.

> CAS CLINIQUE

Informations Ophtalmologiques Vétérinaires > N° 9 > 2ème trimestre 2009 �

Guilhem PISTREDMV**

Photo 1. Oudja, 9,5 ans.Photo 2. Examen à distance. Noter à droite la ptose palpébrale supérieure, le strabisme ventro-latéral et la mydriase.

Guillaume CAZALOTDMV*

Page 2: Un cas de mydriase anisocorique chez un chien - CAZALOT - IOVS 2009

Photo 3. Examen rapproché. A. Absence de pigmentation palpébrale (A1) et de la membrane nictitante (A2). B. Néoformation palpébrale. C. Ptose palpébrale. D. Croissant scléral. E. Mydriase. F. Cataracte postérieure circulaire. G. Extensions corticales de cataracte. H. Vacuoles équatoriales.

Un cas de mydriase anisocorique chez un chien

� Informations Ophtalmologiques Vétérinaires > N° 9 > 2ème trimestre 2009

tablEau 1. diagnostic d'unE anisocoriE

AnIsOCOrIE

OD OG

AMBIAnCE PHOtOPIquE

OD OG OD OG

AMBIAnCE sCOtOPIquE

OD OG OD OG

DIAGnOstIC Mydriase anisocorique droite Myosis anisocorique gauche

tablEau 2. diagnostic différEntiEl d’unE mydriasE anisocoriquE

VOIECAusEs DE MyDrIAsE

unIlAtérAlE sIGnEs ClInIquEs AssOCIés, rEMArquEs ExAMEns COMPléMEntAIrEs

Afférente PharmacologiqueInstillation d’un : - sympathomimétique (néosynéphrine, adrénaline)- parasympatholytique (atropine, tropicamide)

- Recueil des commémoratifs

Afférente Hypoplasie ou atrophie du sphincter pupillaire

- Hypoplasie congénitale- Atrophie post-inflammatoire

- Congénital : aucun- Sinon, recherche d’uvéite

Afférente Glaucome

- Hydrophtalmie, hyperhémie conjonctivo-épisclérale, œdème cornéen et stries de Haab, hypertonie intra-oculaire, atrophie rétinienne, excavation papillaire

- Eventuelle cécité

- Tonométrie- Echographie - Gonioscopie

Afférente Synéchies

- Hyperhémie épisclérale, œdème cornéen, effet tyndall, hypopion, migrations pigmentées sur la cristalloïde antérieure, hypotonie intra-oculaire, dégénérescence vitréenne, lésions rétiniennes

- Eventuelle cécité

- Tonométrie- Echographie- Biologie clinique pour la recherche

étiologique

Afférente Lésion de la rétine- Atrophie, décollement - Cécité associée

- Electrorétinographie- Echographie- Angiographie fluorescéinique

Afférente Lésion du nerf optique

- Trauma, inflammation (infectieuse ou pas), néoplasie- Origine locale, centrale ou systémique- Cécité associée

- Tonométrie- Electrorétinographie- Potentiels évoqués visuels- Angiographie- Imagerie (radio, écho, scanner, IRM)- Biologie clinique- Analyse de liquide cérébrospinal

AfférenteLésion post-chiasmatique, du tractus optique ou des noyaux prétectaux

- Trauma, inflammation (infectieuse ou pas), néoplasie- Cécité associée jusqu’aux noyaux prétectaux- Autres troubles neurologiques de type central

(convulsions, ataxie, éveil anormal, etc.)

-Imagerie (scanner, IRM)-Analyse de liquide cérébrospinal

Efférente parasympathique

Lésion du noyau parasympathique du III, du nerf III ou du ganglion ciliaire

- Trauma, inflammation (infectieuse ou pas), néoplasie, dégénérescence périphérique

- Origine rétrobulbaire ou centrale- Ptose palpébrale, strabisme ventrolatéral, déficit

d’accomodation- Chez le chat, l’aspect en D ou D inversé est du à une

atteinte des nerfs ciliaires courts (médiaux ou latéraux)

- Epreuve des collyres : étage pré- ou post-ganglionnaire

- Echographie rétrobulbaire- Imagerie (scanner, IRM)- Analyse de liquide cérébrospinal- Test FIV et FelV lors de pupille en D ou

D inversé

Efférente sympathique

Syndrome de Pourfourdu Petit

- Syndrome rare d’irritation des voies sympathiques : inverse du Claude Bernard Horner

- Exophtalmie et fente palpébrale augmentée

- Epreuve des collyres pour situer la lésion- Imagerie du thorax et du névraxe

> CAS CLINIQUE

A1

B

A2

C

D

E

G

F

H

Page 3: Un cas de mydriase anisocorique chez un chien - CAZALOT - IOVS 2009

Enfin, la persistance d’un croissant scléral médial lors des mouvements de la tête traduit la présence d’un léger strabisme ventro-latéral, associée à une discrète ophtalmo-parésie verticale. Les sensibilités cornéenne et péri-oculaire sont normales.L’examen des milieux transparents révèle uniquement une cataracte postérieure circulaire immature bilatérale, probablement d’origine congénitale, sans lenticône associé. L’observation d’extensions fibrillaires corticales et de vacuoles équatoriales évoque un processus évolutif, mais ces lésions cristalliniennes ne semblent constituer qu’une gêne visuelle très minime pour la chienne (Photo 3).

L’examen des iris confirme une anisocorie. L’absence de myosis à l’œil droit en ambiance photopique et à l’éblouissement, associée à une mydriase correcte de l’œil gauche en ambiance scotopique, permet de conclure à une mydriase paralytique anisocorique droite (Tableau 1). Le réflexe photomoteur direct droit est négatif, alors que le consensuel est positif. Inversement, le réflexe direct gauche est positif et son consensuel négatif. En outre, aucune lésion du sphincter pupillaire ou du stroma irien n’est identifiée. L’ophtalmoscopie et la tonométrie clôturent l’examen ophtalmologique sans apporter de réponse étiologique à la mydriase anisocorique (Tableau 2).

Un cas de mydriase anisocorique chez un chien

Encadré 1. contrôlE dE la motricité pupillairE

Le système nerveux végétatif oculaire, sympathique et parasympathique, exerce un rôle régulateur sur la pupille et le cristallin, une action sécrétoire sur les glandes lacrymales et plus accessoirement une action vasomotrice et trophique. Il se caractérise par l'existence d'un centre névraxial et surtout par la présence d'un relais périphérique, interposé entre le système nerveux central et l'œil. Il s'agit donc d'une voie à deux neurones : un neurone pré-ganglionnaire, connecteur, allant du mésencéphale (système parasympathique) ou de la moelle épinière (système sympathique) au ganglion végétatif et un neurone post-ganglionnaire, effecteur, dont le corps cellulaire est contenu dans le ganglion et qui se termine dans les structures de l'œil. Le fonctionnement de ces systèmes est de type "réciproque" pour ce qui concerne la pupille, semblable à celui que l'on rencontre dans le couple agoniste-antagoniste des muscles squelettiques ; il est "synergique" pour la sécrétion lacrymale. L’activation du système sympathique sous contrôle hypothalamique oriente vers une finalité conservatrice : améliorer la vue pour mieux fuir ou se battre (mydriase, exophtalmie, augmentation de l’ouverture palpébrale et rétraction de la troisième paupière). Les voies parasympathiques du réflexe photomoteur qui conduisent au myosis modulent la motricité pupillaire pour l’adapter en fonction de l'ambiance lumineuse du milieu.

Rétines

Nerfs optiques

Tractus optiques

Corps genouillés latéraux

Mésencéphale

Moelle épinière cervicale

Moelle épinière thoracique (T1-T3)

Chaîne sympathique ascendante

Ganglion cervical cranial

Fibres sympathiques descendantes

B. Dilatateur A. Sphincter

Ganglion ciliaire (cône rétrobulbaire)

Nerf oculomoteur III

Noyaux parasympathiques du nerf oculomoteur

(anc. Edinger-Westphal)

Voies visuelles et photomotrices afférentesVoies photomotrices parasympathiques efférentesVoies sympathiques efférentes

Oreille moyenne

Informations Ophtalmologiques Vétérinaires > N° 9 > 2ème trimestre 2009 �

CAS CLINIQUE <

Page 4: Un cas de mydriase anisocorique chez un chien - CAZALOT - IOVS 2009

nEuro-localisation

Cette étape de la démarche diagnostique permet de cibler les examens complémentaires et de les interpréter à bon escient.L’innervation mixte de l’iris, sympathique pour le muscle dilatateur et parasympathique pour le sphincter pupillaire, conduit à deux hypothèses pathogéniques : une hypersympathotonie ou une hypoparasympathotonie (Encadré 1).Décrite chez l’homme essentiellement dans les cas de cancer œsophagien ou d’hyperthyroïdie, l’hypersympathotonie ou syndrome de Pourfour du Petit conduit aux symptômes inverses du syndrome de Claude Bernard Horner : exophtalmie modérée, avec augmentation de la fente palpébrale, mydriase réflexive, pâleur et froideur de la face, parfois hyperhydrose et épiphora. Chez la chienne Oudja, la mydriase est totalement aréflexive et la ptose palpébrale est incompatible avec une hypertonicité du muscle tarsal, sous innervation sympathique. En outre, l’apparition d’un myosis en moins de 20 minutes lors de l’instillation locale de pilocarpine à 2 % permet de confirmer une lésion des voies optiques parasympathiques (Encadré 2).Les examens à distance et rapproché ont mis en évidence une lésion des voies optiques sans altération des voies visuelles. Celles-ci étant communes jusqu’au tractus optique (rétine, nerf optique, chiasma optique et tractus optique), l’anomalie siège sur la branche descendante du réflexe photomoteur : noyau pré-tectal, noyau parasympathique du nerf oculomoteur (anciennement noyau d’Edinger-Westphal), nerf oculomoteur, ganglion ciliaire, muscle ciliaire ou sphincter pupillaire. Les réflexes photomoteurs altérés sont le réflexe direct droit et consensuel gauche, ce qui exclut une atteinte pré-tectale et précise la lésion sur les voies descendantes effectrices ipsilatérales droites (Encadré 3). Le trajet de ces voies peut être décomposé en plusieurs portions suivant les structures qu’elles traversent (Encadré 4).- Les noyaux moteurs et parasympathiques du nerf oculomoteur sont situés dans le mésencéphale. Ils émergent au niveau des pédoncules cérébraux (origine réelle). Une lésion dans cette zone n’est pas exclue mais la proximité des noyaux droit et gauche et l’unilatéralité des lésions ne sont pas en sa faveur.- Une portion intra-dure-mérienne jusqu’au sillon inter-pédonculaire où il émerge (origine apparente). Une lésion méningée dans cette zone peut causer l’ensemble des symptômes.- Une portion extra-dure-mérienne cheminant caudalement à la selle turcique avant de s’engager dans le sinus caverneux. Une lésion peut comprimer le nerf contre la base du crâne à cet endroit.- Une portion cheminant dans le sinus caverneux. Les nombreux syndromes liés à une affection de cette zone comprennent variablement une paralysie des nerfs trochléaire (IV), abducens (VI),

Encadré 3. intErprétation dEs réflExEs photomotEurs chEz oudja

Encadré 2. lE tEst à la pilocarpinE 2%

Les parasympathomimétiques directs sont des agonistes des récepteurs muscariniques présents entre autre au niveau du sphincter pupillaire : ils miment les effets de l’acétylcholine.Ainsi, lors d’atteinte pré- ou post-ganglionnaire de la voie parasympathique, l’instillation locale d’un collyre de pilocarpine 2% entraîne une constriction pupillaire rapide et complète par le phénomène d’hypersensibilité de dénervation.Au contraire, le myosis n’apparaît qu’au bout de 20 minutes sur un œil normal ou exempt de lésions parasympathiques.

Muscle sphincter pupillaire

Noyau parasympathique

du nerf oculomoteurGanglion ciliaire

Myosis rapide et complet

Myosis en 20 min

= = Lésion parasympathique pré ou post ganglionnaire

La voie efférente du réflexe photomoteur est identique à celle de la vision jusqu’au tractus optique controlatéral. Là, 20% des fibres rejoignent le noyau prétectal toujours controlatéral du mésencéphale. Le noyau pré-tectal ipsilatéral est néanmoins stimulé par une décussation incomplète au niveau du chiasma (75% chez le chien). Des noyaux pré-tectaux, une grande majorité des fibres décusse une seconde fois pour rejoindre les noyaux parasympathiques des nerfs oculomoteurs III. La voie efférente comprend deux séries de motoneurones périphériques. Les fibres parasympathiques dites pré-ganglionnaires associées aux fibres somatiques oculomotrices s’en séparent une fois sorties du foramen rond où elles synapsent au niveau du ganglion ciliaire rétrobulbaire sur les seconds motoneurones périphériques, dits post-ganglionnaires. Ces derniers sont regroupés sous forme de 5 à 8 nerfs ciliaires courts mixtes chez le chien (deux uniquement parasympathiques chez le chat). Ces fibres se terminent sur le muscle sphinctérien irien et sont responsables de sa contraction.

Fibres assurant le réflexe photomoteur direct gauche : activesFibres assurant le réflexe photomoteur consensuel droit : activesFibres assurant les réflexes photomoteurs direct gauche et consensuel droit : activesFibres assurant les réflexes photomoteurs direct droit et consensuel gauche : inactives

Oeil normal (pas de lésion

parasympathique)

� Informations Ophtalmologiques Vétérinaires > N° 9 > 2ème trimestre 2009

> CAS CLINIQUE Un cas de mydriase anisocorique chez un chien

Innervation parasympathique de l'iris

Décussation centrale

Nerf optique

Corps genouillé

Noyau pré-tectal

Nerf oculomoteur (III)

Ganglion ciliaire

Noyau d'Edinger-Westphal (neurones parasympathiques du III)

Fibres post-ganglionnaires

Fibres pré-ganglionnaires

Page 5: Un cas de mydriase anisocorique chez un chien - CAZALOT - IOVS 2009

ophtalmique (V ), optique (II), ce qui n’est pas le cas pour cette chienne.- Une portion rétrobulbaire où les fibres parasympathiques pré-ganglionnaires quittent le nerf oculomoteur pour synapser dans le ganglion ciliaire et rejoindre les muscles ciliaire et sphincter de l’iris. La présence de signes moteurs (ptose palpébrale, strabisme divergent ventro-latéral en "coucher de soleil" et ophtalmoplégie verticale) et végétatifs (mydriase) évoque une lésion du nerf oculomoteur avant la bifurcation de son contingent parasympathique. Un test à l’ésérine 0,5 % (Génésérine®) est donc réalisé pour situer l’étage pré- ou post-ganglionnaire de la lésion. L’apparition rapide d’un myosis confirme une origine pré-ganglionnaire (Encadré 5). Celle-ci est compatible avec l’absence d’anomalie sphinctérienne, d’uvéite ou de glaucome à l’examen ophtalmologique. Une deuxième confirmation est apportée par l’aspect normal du cône rétrobulbaire en échographie trans-sclérale.

En conclusion, la lésion à l’origine des symptômes semble siéger au niveau du trajet intra crânien intra- ou extra-dure-mérien du nerf oculomoteur droit.

hypothèsEs diagnostiquEs

La sélectivité des symptômes oriente plutôt vers une lésion unique, bien qu’une atteinte multicentrique asymptomatique d’autres régions cérébrales soit possible : - aucun trauma n’a été rapporté ;- l’âge, la race et le bon état général

sont en faveur d’une néoplasie compressive ;

- l’exploration des hypothèses vasculaires, hémorragiques (troubles de l’hémostase, anévrisme) ou ischémiques (hyperviscosité sanguine, micro-angiopathie), nécessite un bilan hémato-biochimique ;

- les affections inflammatoires, infectieuses (maladie de Carré, toxoplasmose, néosporose, abcès cérébral) ou pas (méningite, méningo-encéphalite), sont moins probables en l’absence de tout autre signe.

diagnostic

Un bilan hémato-biochimique complet normal oriente le diagnostic vers une origine tumorale. Une ponction de liquide cérébrospinal est proposée avant la réalisation d’un scanner cérébral mais est déclinée par le propriétaire.

L’imagerie révèle la présence d’une néoformation de 12 x 12 x 5 mm, en région caudale de la selle turcique à droite. Sa localisation et son aspect oriente le diagnostic vers un méningiome en plaques localisé (Photo 4). Une évolution multicentrique ultérieure ne peut toutefois être exclue dans cette affection. Une intervention chirurgicale s’avérant impossible dans cette zone et la radiothérapie seule n’ayant qu’un caractère palliatif, les propriétaires restent dans l’expectative.

Encadré 4. lE trajEt du nErf oculomotEur, du mésEncéphalE à l’œil

Les noyaux d'origine du ner f oculomoteur sont situés dans les pédoncules cérébraux : les noyaux moteurs assurent l’innervation de la musculature oculaire extrinsèque et les noyaux parasympathiques (anciennement noyaux d’Edinger-Westphal) celle de la musculature oculaire intrinsèque. A partir de ces noyaux, les fibres se dirigent vers le sillon inter-pédonculaire d'où elles émergent en formant le tronc du nerf. Il pénètre dans la paroi externe du sinus caverneux, passe dans la fente sphénoïdale et pénètre dans la cavité orbitaire en passant dans l'anneau de Zinn. Là, le contingent parasympathique s’individualise, synapse dans le ganglion ciliaire et innerve le muscle sphincter pupillaire. Les fibres motrices du nerf oculomoteur innervent le muscle releveur de la paupière supérieure, les muscles droits dorsal, ventral et médial et le muscle oblique ventral.

A noter :la traversée du III dans la fenêtre vasculaire. Dans le syndrome d'hypertension intra-crânienne, il existe à ce niveau une compression du III et des fibres végétatives ( ) responsable d'une paralysie du III et d'une mydriase

A- Coupe transversale du mésencéphale, au niveau du noyau du III et du colliculus supérieur.B - Coupe transversale du mésencéphale, au niveau du noyau du IV et du colliculus inférieur.C - Coupe transversale du rhombocéphale, au niveau du noyau du VI du planchet du 4ème ventricule et de l'éminence ronde.

1. Sinus caverneux, artère carotide interne et les 3 nerfs moteurs de l'oeil.2. Noyau para-sympathique de Westphal-Edinger et fibres végétatives de l'irido-contraction, pénétrant à l'intérieur du tronc du III.3. Noyau du 3 (en fait, coalescence de plusieurs noyaux).4. Noyau du IV, dont les fibres sont croisées à la face dorsale du mésencéphale.�. Artère basilaire.�. Noyau du VI, contourné par le genou interne du nerf facial. A ce niveau, relief de l'éminence ronde, sous le plancher du 4ème ventricule.�. Noyau du VII.�. Eminence ronde (Eminentia teres).9. Partie pétreuse du Temporal (rocher).10. Dos de la selle.11. Jugum sphénoïdal12. Tente du cervelet et incisure de la tente (ici agrandie).

5 - Artère basilaire 13 - Artère cérébrale postérieure14 - Artère cérébelleuse supérieure15 - Artère cérébelleuse moyenne

Informations Ophtalmologiques Vétérinaires > N° 9 > 2ème trimestre 2009 9

CAS CLINIQUE <Un cas de mydriase anisocorique chez un chien

Origine apparente des nerfs moteurs de l'oeil(Face ventrale du tronc cérébral)

Selle turcique de l'hypophyse

Portion rétrobulbaire

Portion extra-dure-mérienne

Portion caverneuse

Portion extra-dure-mérienne

Neurolocalisation de la lésion

Page 6: Un cas de mydriase anisocorique chez un chien - CAZALOT - IOVS 2009

suivi

Quinze jours après le diagnostic, Oudja a fait une crise convulsive dont elle a récupéré sans séquelle. Elle est prise en charge par l’administration de prednisolone à 1 mg/kg/jour pendant 8 jours afin de diminuer l’inflammation péri-tumorale, toujours présente lors de méningiome. Depuis, une crise épileptiforme apparaît tous les deux à trois mois sans aggravation. Elle est traitée selon le même protocole. Aucun anticonvulsivant n’est prescrit sur le long terme. Cette évolution, qui traduit une extension lente et progressive du foyer lésionnel, reste en faveur d’un processus tumoral bien que l’absence d’apparition d’autres signes soit étonnante. Deux ans et demi après le diagnostic initial, malgré une réponse à la menace toujours bonne, les propriétaires semblent noter une légère baisse d’acuité visuelle. Celle-ci peut être expliquée par une évolution modérée des lésions cristalliniennes ou par un début de compression du chiasma optique. Toutefois, la chienne conserve un très bon état général et aucune métastase pulmonaire, cutanée ou nasale n’est observée. Dans la mythologie égyptienne, l’œil sacré d’Oudja n’est-il pas symbole de bonne santé ? ■

Crédit des photographies : 1 à 3. Guillaume CAZALOT ; 4. Scan ENV. Toulouse.

Encadré 5. lE tEst à l’ésérinE 0,5 % (ou physostigminE 0,5%)

Les parasympathomimétiques indirects stimulent la voie parasympathique en inhibant notamment la dégradation synaptique de l’acétylcholine par les cholinestérases dans le ganglion ciliaire. En pratique, une instillation locale d’un collyre à l’ésérine à 0,5% permet de localiser la lésion sur les voies parasympathiques.Lors d’atteinte pré-ganglionnaire, peu d’acétylcholine est libérée dans la synapse et l’action des anticholinestérasiques permet donc de limiter sa dégradation et d’obtenir une constriction pupillaire rapide par le phénomène d’hypersensibilité de dénervation. Au contraire, lors d’atteinte post-ganglionnaire, l’acétylcholine se fixe normalement sur les récepteurs nicotiniques post-synaptiques. Le flux n’est interrompu que dans l’axone menant au sphincter pupillaire. L’action des anticholinestérasiques est donc nulle.Enfin, dans un œil sans atteinte parasympathique, le myosis apparaît en 40 à 60 minutes seulement.

Muscle sphincter pupillaire

Noyau parasympathique

du nerf oculomoteurGanglion ciliaire

Myosis rapide et complet

Myosis en 40 à 60 min

= Lésion pré-ganglionnaire

Photo 4. Néoformation sus-tentorielle droite à proximité de la selle turcique.

Pas de myosis = Lésion post-ganglionnaire

Oeil normal (pas de lésion

parasympathique)

Un cas de mydriase anisocorique chez un chien

10 Informations Ophtalmologiques Vétérinaires > N° 9 > 2ème trimestre 2009

> CAS CLINIQUE

Conclusion

Le diagnostic étiologique d'une mydriase anisocorique (et plus généralement de toute affection oculaire ayant une origine nerveuse) est fondé sur une démarche clinique rigoureuse. La localisation des lésions nerveuses nécessite d'avoir une connaissance précise de l'anatomie et du fonctionnement des voies optiques et visuelles. Des examens complémentaires permettant de déterminer la nature de ces lésions peuvent alors être envisagés.