Un arrêt de principe en matière de soins aux mineurs ?

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Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Médecine & Droit 2014 (2014) 81–82 Éditorial Un arrêt de principe en matière de soins aux mineurs ? A leading judgment regarding care to minors? Mots clés : Mineur (soins) ; Autorité parentale (acte usuel) ; Acte usuel (autorité parentale) Keywords: Child medicine; Minor (medical act); Medical act (parents rights) Chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autre quand il fait un acte usuel de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant, à condition que cet acte soit réalisé à l’égard d’un tiers de bonne foi (Article 372-2 du Code civil). Depuis longtemps, la question était posée de faire la part dans l’activité médicale entre les actes qui pouvaient être décidés par un seul parent car ils étaient « usuels » au sens du droit des parents et ceux qui nécessitaient l’accord des deux parents ; ainsi était-il admis que ce n’était pas l’importance de l’acte au sens d’une analyse médicale, mais bien la place qu’il pouvait avoir dans la vie familiale : habituel et fréquent, ou inusité et lourd de sens. Une jurisprudence sur l’opération d’un phimosis, le même jour, sur trois garc ¸ons d’une famille de confession israélite à la demande de la mère sans consultation du père en était l’exemple le plus illustratif 1 . Une décision récente du Conseil d’État vient de trancher la question d’une manière, certes, claire et sans doute logique, mais dont les conséquences majeures pour la pratique de la médecine pédiatrique doivent conduire à une réflexion approfondie. Dans cette décision du 7 mai 2014 2 , le Conseil d’État apporte une réponse en apparence certaine : un acte médical ne constitue pas un acte usuel de l’autorité parentale. Il s’agissait, dans cette affaire, de la prescription d’un antidépresseur à une adolescente de 16 ans à la suite d’une pathologie dont le diagnostic était qualifié de « dépression modé- rée sévère ». Les parents de la mineure étaient divorcés. Le 10 novembre 2008, la jeune fille est consultée pour la première fois par une psychiatre. Une aggravation de son état conduit à ce 1 TGI Paris, 6 novembre 1973, G.P. 1974, P. 299, note P. Barbier. 2 C.E. no 359076 et notre commentaire. Jonas C. Pas de prescription d’un antidépresseur sans l’accord des deux parents, Dictionnaire permanent Santé, bioéthique, biotechnologies, no 249, juin 2014, p. 9. qu’elle revoie le même médecin deux jours plus tard, accompa- gnée de sa mère. C’est à cette occasion que le médicament est prescrit sans chercher à recueillir le consentement du père. Le Conseil national de l’ordre des médecins saisi par le père a rejeté sa demande. Le père défère cette décision devant le Conseil d’État, juge de cassation en ce domaine. Le Conseil d’État appuie sa décision sur la lecture combinée de plusieurs textes : l’article R4127–42 du Code de la santé publique article 42 du Code de déontologie des médecins qui précise notam- ment que le médecin est autorisé en cas d’urgence à donner des soins à un mineur même si les parents ne peuvent pas être joints ; les articles du Code civil relatifs à l’autorité parentale : l’important article 372–2 (précité) du Code civil qui pré- cise : « à l’égard des tiers de bonne foi chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autre quand il fait seul un acte usuel de l’autorité parentale. . . », L’article 373–2 du Code civil : « la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale ». On pourra objecter, dans l’immédiat, qu’il s’agit d’un arrêt relatif au droit disciplinaire des médecins, et non pas une déci- sion prise après contestation de l’intervention médicale en lien avec l’application d’une règle civile. Mais c’est bien cette ques- tion que le père soulevait. Les raisons pour lesquelles le père a choisi la voie disciplinaire et un éventuel recours associé devant une juridiction judiciaire ou administrative, ne sont pas connues. La haute juridiction suggère que la psychiatre aurait pu s’appuyer sur la notion d’urgence qui donne la possibilité de déroger aux règles de droit dans certaines situations 3 . Il semble cependant que les conditions étaient loin d’être réunies dans cette espèce. 3 Jestaz P. L’urgence et les principes classiques du droit civil, Paris, LGDJ ed., 1968 et notre Thèse, L’opposition de la personne à l’acte médical, Tours, 1993, spec. P. 452 et S. http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2014.07.003 1246-7391/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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ScienceDirectwww.sciencedirect.com

Médecine & Droit 2014 (2014) 81–82

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Un arrêt de principe en matière de soins aux mineurs ?

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ots clés : Mineur (soins) ; Autorité parentale (acte usuel) ; Acte usuel (autoritéarentale)

eywords: Child medicine; Minor (medical act); Medical act (parents rights)

Chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autreuand il fait un acte usuel de l’autorité parentale relativement

la personne de l’enfant, à condition que cet acte soit réalisé à’égard d’un tiers de bonne foi (Article 372-2 du Code civil).

Depuis longtemps, la question était posée de faire la part dans’activité médicale entre les actes qui pouvaient être décidésar un seul parent car ils étaient « usuels » au sens du droit desarents et ceux qui nécessitaient l’accord des deux parents ; ainsitait-il admis que ce n’était pas l’importance de l’acte au sens’une analyse médicale, mais bien la place qu’il pouvait avoirans la vie familiale : habituel et fréquent, ou inusité et lourd deens. Une jurisprudence sur l’opération d’un phimosis, le mêmeour, sur trois garcons d’une famille de confession israélite à laemande de la mère sans consultation du père en était l’exemplee plus illustratif1.

Une décision récente du Conseil d’État vient de trancher lauestion d’une manière, certes, claire et sans doute logique, maisont les conséquences majeures pour la pratique de la médecineédiatrique doivent conduire à une réflexion approfondie.

Dans cette décision du 7 mai 20142, le Conseil d’État apportene réponse en apparence certaine : un acte médical ne constitueas un acte usuel de l’autorité parentale.

Il s’agissait, dans cette affaire, de la prescription d’unntidépresseur à une adolescente de 16 ans à la suite d’uneathologie dont le diagnostic était qualifié de « dépression modé-

ée sévère ». Les parents de la mineure étaient divorcés. Le0 novembre 2008, la jeune fille est consultée pour la premièreois par une psychiatre. Une aggravation de son état conduit à ce

1 TGI Paris, 6 novembre 1973, G.P. 1974, P. 299, note P. Barbier.2 C.E. no 359076 et notre commentaire. Jonas C. Pas de prescription d’unntidépresseur sans l’accord des deux parents, Dictionnaire permanent Santé,ioéthique, biotechnologies, no 249, juin 2014, p. 9.

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http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2014.07.003246-7391/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

u’elle revoie le même médecin deux jours plus tard, accompa-née de sa mère. C’est à cette occasion que le médicament estrescrit sans chercher à recueillir le consentement du père.

Le Conseil national de l’ordre des médecins saisi par le père rejeté sa demande. Le père défère cette décision devant leonseil d’État, juge de cassation en ce domaine.

Le Conseil d’État appuie sa décision sur la lecture combinéee plusieurs textes :

l’article R4127–42 du Code de la santé publique – article42 du Code de déontologie des médecins – qui précise notam-ment que le médecin est autorisé en cas d’urgence à donnerdes soins à un mineur même si les parents ne peuvent pas êtrejoints ;

les articles du Code civil relatifs à l’autorité parentale :◦ l’important article 372–2 (précité) du Code civil qui pré-

cise : « à l’égard des tiers de bonne foi chacun des parentsest réputé agir avec l’accord de l’autre quand il fait seul unacte usuel de l’autorité parentale. . . »,

◦ L’article 373–2 du Code civil : « la séparation des parentsest sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercicede l’autorité parentale ».

On pourra objecter, dans l’immédiat, qu’il s’agit d’un arrêtelatif au droit disciplinaire des médecins, et non pas une déci-ion prise après contestation de l’intervention médicale en lienvec l’application d’une règle civile. Mais c’est bien cette ques-ion que le père soulevait. Les raisons pour lesquelles le père ahoisi la voie disciplinaire et un éventuel recours associé devantne juridiction judiciaire ou administrative, ne sont pas connues.

La haute juridiction suggère que la psychiatre aurait pu’appuyer sur la notion d’urgence qui donne la possibilité de

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éroger aux règles de droit dans certaines situations . Il sembleependant que les conditions étaient loin d’être réunies dansette espèce.

3 Jestaz P. L’urgence et les principes classiques du droit civil, Paris, LGDJ ed.,968 et notre Thèse, L’opposition de la personne à l’acte médical, Tours, 1993,pec. P. 452 et S.

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Département de psychiatrie A, CHU de Tours,37044 Tours cedex 9, France

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2 Éditorial / Médecine &

Sur un plan théorique, la position du Conseil d’État est satis-aisante car chaque acte médical est lourd de conséquences et neeut pas être considéré comme usuel dans la vie familiale. Pour-ant, regardant cette décision avec un œil de praticien, on ne peutu’être alarmé sur les conséquences que cela posera dans nombre

e situations pour les pédiatres et les pédopsychiatres, surtout

l’heure où l’on envisage d’introduire des droits nouveaux aux beau-parents » : bien des complications en perspectives.

it 2014 (2014) 81–82

Psychiatre, docteur en DroitCarol Jonas