Étude sur les anciennes minutes des notaires, leur ...

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ÉTUDE Sur les anciennes minutes des notaires, lette eonseration et leisi' coininunicafitin. La loi du 2 ventôse an XI sur l'organisation du notarial a réglementé la conservation des minutes notaritiles et leur communication aux parties intéressées, comme l'avait déjà fait la loi (lu 6 octobre 1791. Dans son article premier, elle déclare instituer les notai- res pour recevoir les actes et contrats, leur donner le carac- tère d'authenticité, « en conserver le ddpÔ/ et cri délivrbr grosses et expéditions ». L'art. 20 impose aux notaires l'obligation « de garder mi- nute dc tous les actes qu'il reçoivent «, à l'exception d'une certaine catégorie d'actes, qu'ils peuvent délivrer en brevet. L'art. 21 aliribue an seul notaire possesseur (le la minute le droit (le délivrer des grosses et des expéditions. Aux termes de l'art. 22, r les notaires ne peuvent se des- saisir d'aucune minute, si ce n'est dans les cas prévus par la loi, et en vertu d'un jugement ». Aux termes de l'ail. 23, « les notaires ne peuvent égale- nient, sans l'ordonnance du président du tribunal de pre- mière instance, délivrer expédition ni donner connaissance des actes à d'autres qu'aux personnes intéressées en nom di- rect, héritiers ou ayants droit, à peine de dommages et in- térêts, d'une amende de 100 francs, et d'être, en cas de récidive, suspendus de leurs fonctions pendant liais mois.. » Enfin les art. 54 h 64 règlen t la I msmission des minutes et des répertoires des notaires qui ont cessé leurs fonctions. Les notaires titulaires ou leurs héritiers ont la faculté de H D Il liii II Ei 11111111111111111 t OOOOOO5626359J

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ÉTUDESur les anciennes minutes des notaires, lette

eonseration et leisi' coininunicafitin.

La loi du 2 ventôse an XI sur l'organisation du notariala réglementé la conservation des minutes notaritiles et leurcommunication aux parties intéressées, comme l'avait déjàfait la loi (lu 6 octobre 1791.

Dans son article premier, elle déclare instituer les notai-res pour recevoir les actes et contrats, leur donner le carac-tère d'authenticité, « en conserver le ddpÔ/ et cri délivrbrgrosses et expéditions ».

L'art. 20 impose aux notaires l'obligation « de garder mi-nute dc tous les actes qu'il reçoivent «, à l'exception d'unecertaine catégorie d'actes, qu'ils peuvent délivrer en brevet.

L'art. 21 aliribue an seul notaire possesseur (le la minutele droit (le délivrer des grosses et des expéditions.

Aux termes de l'art. 22, r les notaires ne peuvent se des-saisir d'aucune minute, si ce n'est dans les cas prévus parla loi, et en vertu d'un jugement ».

Aux termes de l'ail. 23, « les notaires ne peuvent égale-nient, sans l'ordonnance du président du tribunal de pre-mière instance, délivrer expédition ni donner connaissancedes actes à d'autres qu'aux personnes intéressées en nom di-rect, héritiers ou ayants droit, à peine de dommages et in-térêts, d'une amende de 100 francs, et d'être, en cas derécidive, suspendus de leurs fonctions pendant liais mois.. »

Enfin les art. 54 h 64 règlen t la I msmission des minuteset des répertoires des notaires qui ont cessé leurs fonctions.Les notaires titulaires ou leurs héritiers ont la faculté de

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céder à un autre notaire (le la même résidence les minutesdç la place vacante, et de traiter (le gré à gré à raison dubénéfice des expéditions.

Ajoutons que tous les anciens dépôts de minutes, connussous la dénomination de chambres de contrats, bureaux detabellionage, et autres, ont été maintenus à la garde deleurs possesseurs, les grosses et expéditions ne pouvant enêtre délivrées que par un notaire de la résidence des dé-pôts, ou, à défaut, par nù notaire de la résidence la plusvoi-sine.

Tel est 'e résumé précis et fidèle de la législation actuel-lement en vigueur sur la conservation et la communicationdes minutes notariales.

11 n'est pas exact dc clive, comme on l'a fait quelquefois (4),que cette législation consacre le droit des notaires commeseuls propriétaires de leurs ni mu tes. Sans doute le tribunFavard, dans un rapport, au nom de la section de législationsur le projet de la loi de ventôse an XI, a reconnu que « lesminutes confiées à la garde des notaires soni, le fruit de leurstravaux ou de ceux faits par leurs prédécesseurs . Mais ila ajouté aussitôt que ces minutes « intéressent tous les ci-toyens. et que, sous ce rapport, ois pourrait les considérercomme une propriété publique n.

Le véritable caractère juridique du droit des notaires surJours minutes, qu'il s'agisse de notaires de l'ancien régimeou de notaires contemporains, ne semble avoir été nullepart mieux défini que dans un Rapport adressé au Ministrede l'Jntéricw, le 24 avril 4866, par M. de Ilozière, au nomdes Inspecteurs généraux des Archive (2). n Les minutesdos notaires, est-ii dit dans ce document, ne sauraient, sousaucun rapport, être assimilées aux antres biens mobi-liers. Le droit des titulaires d'offices a toujours été limité

(4) Revue critique de l&jistatioi et de jurisprudence, 39° année, 1890,P. 142à150, article de M. l'ainturier, avocat général près hi Cour deDouai, sur fa wopri4td des rniniife des anciens tcibeltionuges.

(2) 3e ne saurais trop remercier éminent sénateur de la Lozère d 'a-voir bien voulu me communiquer, avec une extrême obligeance, tunedes minutes manuscrites de ce Rappor( Ion si grand ]]Tt&t.

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par l'intérêt clos tiers et le caractère public de la profession.Les notaires n'ont jamais pu, même an moyen âge, être con-sidérés comme les propriétaires absolus des actes insérésdans leurs cartulaires. lis en sont plus que dépositaires,puisqu'ils en peuvent tirer profit, plus nième qu'usufruitiers,puisqu'ils en peuvent transmettre la jouissance. Mais la na-ture de leur privilège leur impose le devoir de conserveret, quant à la faculté de transmettre, qu'on peut môme con-sidérer comme une obligation, ils ne peuvent légitimementl'exercer qu'en faveur d'officiers investis du môme caractèrepublic

C'est clans ce sens que s'esU prononcé le tribunal civil delit Seine, le îi février 4869, au sujet d'une affaire Vassalcontre Charavay (Voy. Revue du Notarial, t. IX, p. 929,n°2221, et t. X, p. (OS, n°2303).

On nous permettra de reproduite ici les principaux détailsde ce procès, qui offrent encore aujourd'hui un véritableintérê L.

M. Charavay avait annoncé la vente aux enchères publi-ques, à Paris, de diverses pièces autographes, parmi les-quelles figuraient: 4° le testament de Mignard, mi des pluscélèbres peintres français ; 2° le testament de Rigaud. autrepeintre fiançais de grand talent; 3 0 le partage fait, entreLouis XIV et son frère Philippe d'Orléans, des meubles,

rpierreries, bijoux qui leu avaient été légués par leur mèreAune d'Autriche. Au partage se trouvaient annexés le testa-ment original d'Anne d'Autriche, ainsi qu'un état ou inven-taire des meubles et pierreries dépendant de sa succession.

Un notaire de Paris, M 0 Vassal, reconnut que ces piècesétaient des actes en minute reçus par l'un de ses prédéces-seurs et dépendant de son élude. il mit opposition à la venteet demanda que les pièces fussent réintégrées parmi sesminutes.

Suivant lui, le déplacement de ces minutes provenait oud'un .détournement ou d'une cession faite par un des notai-res prédécesseurs. Mus, dans aucun cas, le détenledr nepouvait justifler la possession légitime de ces minutes, ouplutôt le droit de propriéhi auquel il prétendait. Les .winu tes

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des notaires n'étant point dans le commerce, il ne pouvaitinvoquer le principe écrit dans l'art. 2279, C. civ. et direqu'en fait de meubles la possession vaut lifte.-

u Un acte en minute, ajoutait M. Vassal soutenu par sesconseils, n'est point la propriété du notaire il n'appartientmême pas aux parties qui Pont signé; l'acte en minuteest d'une nature plus élevée. Il a reçu par l'intermédiaire dunotaire le sceau de l'autorité publique ; et quand même lenotaire et les parties s'entendraient pour l'anéantir ou enfaire la cession, ils n'en auraient pas le droit. - A d'autresépoques, sans doute, on a autorisé la vente en masse desminutes d'une étude par le notaire ou ses héritiers, mais àla condition, il importe de le remarquer, que ces minutespassaient entre les mains d'un autre gardien, fonctionnairedu même ordre, c'est-à-dire d'un notaire, non pour donnerLi celui-ci le droit de les vendre mi-même ait offrant etdernier enchérisseur, niais en lui imposant, au contraire,l'obligation (le les conserver comme celles de son propreministère.

Dans des concl usions fort étudiées, l'organe du ministèrepublic, M. Manuel, établit d'abord, à l'aide des dispositionsde la loi du 25 ventôse an Xi, que les notaires sont de véri-tables dépositaires publics, et que leurs minutes sont unepropriété publique, à la conservation de laquelle la sociétéest intéressée. Sans doute, à- l'exclusion de tous autres, ilsont le droit; de délivrer des expéditions et des grosses deces minutes, mais ils n'en sont point pour cela propriétaires.Possesseurs ]égaux des minutes, ils ont la jouissance de cequ'on peut appeler les droits utiles attachés è cette posses-sion.

M. Manuel démontra ensuite que, suivant la législationantérieure è celle de l'an Xi, les minutes des notaires avaientle même caractère qu'aujourd'hui et qu'elles constituaientune propriété publique. Et il cita, à l'appui de son opinion,iinjnrisconsulle de la fin du XVIC siècle, Papon, qui a écritque tes protocoles et registres des notaires, dépandantdu domaine, sont du domaine du Boy o, c'est-à-dire duclon)a.irie public (Livre V, titre X, n° 40). 1.1 ajouta à cette

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autorité une série d'ordonnances, d'édits, d'arrêts du Parie-ment, de règlements spéciaux aux notaires (lu Châtelel. deParis, réglant la'conservation cL la Irajismission des minu-tes des notaires. -

Le tribunal civil de la Seine suivit les conclusions duministère public et motiva ainsi le jugement, qui ordonnala réintégration des pièces revendiquées aux minutes du no-taire Vassal

« . . . Attendu que si, d'une part, à l'époque contem-poraine des pièces revendiquées, et depuis celte époque jus-qu'à cc jour, les notaires, institués pour assurer la foi publi-que aux contratspar eux reçus, ont eu pour devoir impérieuxd'en garder les minutes, d'une autre part, l'objet même deces minutes et le but de l'insi.i(ution, à savoir la conserva-tion à toujours des actes rédigés parles notaires, impliquentnécessairement que les minutes ne sont pas dans le com-merce, et qu'ainsi elles sont inaliénables, imprescriptiblesetnon susceptibles d'une appropriation privée;

» Qu'en effet, les minutes notariées constituent une pro-priété publique, parce que la société, intéressée à leurconservation, ale droit de veiller à leur transmission pouren suivre la trace et les retrouver au besoin

Attendu qu'ainsi les pièces revendiquées, à quelque épo-que et quelles que soient les circonstances dans lesquelleselles ont été distraites des dépôts de minutes de Le Fouin etde Beauvais, notaires prédécesseurs médiats de \Tassat,nontpu arriQer légitimement en la possession de Charavay etdoivent être réintégrées en l'étude du demandeur .. . »

IIIl semble, au premier abord, que la législation actuelle-

ment en vigueur, telle qu'elle vient d'être exposée, est denature à satisfaire tous les intérêts enjeu, intérêts publicset intérêts privés, et qu'elle a édicté des prescriptions suffi-sautes pour assurer la conservation indéfinie des minutesdes notaires.

Assurément il en est ainsi, en ce qui concerne les minutesdes actes qui remontent à moins d'un siècle. C'est en effet

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sur ces documents que repose la légitimité des patrimoinesdes générations vivantes ou éteintes depuis peu: cl les no-taires doivent y recourir journellement pour rédiger desactes nouveaux ou pour fournir à leur clientèle la justifica-lion de droits contestés.

Les minutes des actes reçus dans le cours de ce siècle sonten général reliées avec soin et placées dans le cabinet mômedu notaire en exercice.

Mais en est-il de même des anciennes minutes ., de cellesqui remontent au VIII', au XVIF, au Xvle siècle, et audelà? Ne les néglige-t-on pas, par cela seul qu'elles sontencombrantes et qu'elles sont rarement consultées pour lasolution d'un litige? Ne se iaisée-t-on pas aller trop souventà les reléguer dans un grenier, sans ordre cl sans soin?.

Des faits regrettables ont quelquefois confirmé ces crain-tes. C'est ainsi qu'en 1888, M. le Ministre de l'instructionpublique a informé M. le Garde des sceaux que la ville deLyon venait d'acheter, moyennant I 50 fi, à un bouqui-nisteun lot de registres (le notaires des années 1551 à 1872,ainsi qu'un répertoire allant jusqu'en 1863. Ces registresprovenaient d'une étude de Poucin (4m). La veuve d'unancien notaire les avait trouvés relégués dans une cham-bre de débarras avec de vieux livres et de leux papiers;et eUe avait vendu le lent pour une somme modique.

Plusieurs années auparavant, l'archiviste du Gard ache-tait, dans les nièmes conditions, 75 registres provenant d'uneétude de notaire de Reinoulins. L'archiviste de la Haute-Loire achetait, de son côté, 21 registres d'actes datés dcl 689à 1767. Celui de la Drônie sauvait du pilon plus de 50 regis-tres de 1560 à 1750. Dans le Vaucluse, la Lozère, les Bas

-ses-Alpes, la Corrèze, etc., d'anciennes minutes ont été re-trouvées chez des épiciers et des débitants de tabac. Enfinle procès Vassal ci-dessus rappelé a prouvé que les ancien-nes minutes réunies clans les éludes de notaires de Parisn'étaient pas elles-mêmes à l'abri de certains détourne-ments.

Les érudits, les archivistes, les congrès archéologiques,les sociétés historiques, philologiques et des beaux-arts ont

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- ilinvoqué ces divers incidents pour réclamer, au nom desdroits de l'histoire, des mesures plus efficaces de conserva-flou. Des voeux ont été émis et de nombreux mémoires écritsdans ce sens, dans la seconde moitié de ce siècle.

Tous ceux qui s'occupent de recherches historiques, gé-néalogiques et d'histoire locale se sont évertués à mettreen lumière, non sans quelque exagération d'ailleurs, ]'im-porlatice des renseignements variés, que les anciennes mi-nutes des notaires peuvent fournir aux historiens. Suivanteux, les minutiers des anciens tabellions renferment destrésors inappréciables ; ce sont des mines inépuisables dedocuments précieux, « non seulement pour la connaissanceexacte (le certains faits, mais surtout polir l'étude des moeurs,des coutumes, des mesures, des monnaies, du commerce,de l'industrie et de tout ce qui touche, en un mot, à la viesociale d'une époque (t) n.

M. de liozière, dans 501) rapportait Ministre de l'intérieur,du 24 avril 1866, a célébré lui aussi les anciennes minutesde notaires, au point de vue historique. u L'indifférencequ'on leur a témoignée jusqu'à nos jours, dit-il, tenait k lafausse opinion qu'on s'était formée de leur contenu. On étaitconvaincu qu'elles ne renfermaient que des contrats privéset que leur importance ne s'étendait pas au delà du cercledes intérêts domestiques. Des études récentes ont, au con-traire, prouvé que l'histoire intime d'une foule de localités,s'y trouve comprise, et qu'elles donnent sur la vie munici-pale les détails les plus authentiques cl les plus curieux n.

L'impoitancedes anciennes minutes notariales s'expliquepar le rùle joué par les notaires dans l'ancienne organisa-tion sociale (2). « La société du moyen âge, ajoute M. deIlozière, était dépourvue des moyens de publicité que nous

(I) Rapport de l'archiviste de Vaucluse cité par M. Jolil'ois, dans sonMérnol e sur l'util.itd et l'impo'lanee des rer,istres (les notaires, insérédans le Bulletin du Comité des travau.v historiques et scientifiques, sectiond'histoire et de philologie, année 1884, r 428 et striv.

(2) Voyez au n° 92.1 11 de la Benne du Notariat notre Etride historiquesur' les oriqin.es et l'histoire du notariat franeais avant la loi de ventôsean XI.

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connaissons aujourd'hui; son existence était violente et mo-bile, et elle avait jusqu'à un certain point conscience de soninstabilité. Aussi les protocoles des notaires étaient-ils con-sidérés comme l'asile te plus sir, et tes administrations pu-bliques venaient-elles y chercher une garantie pour la con-servation de leurs actes, aussi bien que les particuliers pourla sincérité de leurs contrais. Les notaires étaient appeléspar les magistrats municipaux pour enregistrer les procès-verbaux de leurs délibérations, parles collecteurs des denierspublics pour constater la régularité do leurs comptes, parTes corporations d'arts et méliers pour rMiger ]Purs statuts.Ils intervenaient dans les transactions entre les seigneurs etles communes, et ils formulaient les chartes (tes coutumes,les règlements de droits d'usages, les concessions de banali-lés. ils assistaient aux audiences des tribunaux, dressaientles requêtes ou les répliques des parties et couchaient lessentences sur leurs cartulaires. Il n'y a pas jusqu'au pou-voir royal qui n'ait eu recours à leur ministère et n'ait ré-clamé, dans certaines circonstances, l'appui de leur autoritémorale ».

M. de Rezière ne peut s'empêcher do voir avec chagrinl'état d'abandon où sont laissés des documents si précieux;et il affirme bien haut que le devoir de tous ceux qui ss'in-téressent,au progrès des sciences historiques est de cherchernu remède 'u celle déplorable situation.

Co remède. quelques-uns ont cru le trouver dans la prati-que suivie dans certaines grandes villes par les chambresde notaires et consistant à établir un dépôt spécial destiné àrecevoir tes minutes des notaires décédés. M. Taillandier,conseiller à la Cour de cassation et membre de la Commis-sien des archives départementales et communales, a pro-posé, en 4853, d'adopter partout cette pratique très heu-reuse et de la convertir en prescription générale (1).

D'autres, et ce sont les plus nombreux, ont demandé depréférence le dépôt aux archives départementales de toutesles minutes notariales antérieures à 4791.

(J) Les Areli ives de lit .Prat,ce, par U. Bordier, p. 355.

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D'autres enfin; comme le savant et: prudent M. LéopoldDelisle, ont demandé, sans rien préciser, u que des mesuressoient prises pour assurer la conservation des anciennes mi-nutes de notaires, pour en dresser (les inventaires et pouren faciliter la communication dans l'intérêt de l'histoire »(Bulletin du Comité des travaux historiques, section d'histoireet (M philologie, 1.884, p. 142).

Ait de la dernière législature, en 1893, M. de Benoîta présenté à la Chambre (les députés un projet de loi ten-dant à faire verser aux archives départementales toutes lesminutes antérieures à l'an 1700. Voici d'ailleurs dans quelstermes était conçu ce projet de loi

ART. jet . - Les notaires devront, à partir du 1er janvier 4804, ver.ser aux archives clépartemeniates toutes tes minutes antérieures à l'an1100.

Mir: 2. - Ces minutes, contradictoirement inventoriées avec l'ar-chiviste, seront cataloguées ait de chacun des notaires déposants,qui en retirera récépissé.

AICT, 3. - Toute expédition dé ces actes pourrit délivrée parl'amie iviste, mais devra être visée conforme par le notaire propriétairede la mijiute, qui continuera, ainsi que ses successeurs, h toucher Tecoût de l'expédition.

L'opinion publique s'est préoccupée, dans une certainemesure, de ce projet, quoiqu'il n'ait pu venir en discussionen tempstemps utile devant: le Parlement.

Les notaires s'y sont montrés hostiles; et ils ont mani-festé leur hostilité dans l'assemblée générale des déléguésdes notaires des départements, tenue à Paris le 25 octobre1893 (1).

Ils ont prétendu avoir acheté leurs droits sur les ancien-nes minutes à beaux deniers comptant, et que « les en pri-

ver constituerait une spoliation, à moins d'une indemnitésuffisante o. Ils ne considéreraient pas comme suffisante la.perception qui leur serait réservée (tes émoluments attachésà la délivrance des grosses et expéditions.

Ils ont protesté, au nom des familles et du secret profes-sionnel, cSntre la communicdion et la divulgation (les ac-

(4) flevuc du notariat, n' 9078.

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les de la vie privée. Qui donc voudrait se confier désormaish celui dont une loi viendrait périodiquement violer les ar-chives pour les livrer au public?

Quant aux historiens et aux archivistes, leurs études, sui-vaut les notaires, sont sans contredit pleines d'attrait. « Ilest possible qu'ils trouvent au milieu d'un nombre consi-dérable de minutes sans aucun intérêt historique des docu-xiients de quelque valeur. Mais Futilité de leurs recherchesne semble pas suffisante pour prévaloir contre le droit desparties et des notaires. Les choses qui pourraient être di-vulguées sans inconvénient, sont déjà coiinues, et leur com-munication aux savants ne leur apprendrait rien de non-veau. )).

C'est alois que M. le Garde des Sceaux, après s'être con-certé avec M. le Ministre de l'instruction publique, a nommépar un arrêté en date du 20 novembre 1893, une commis-sion à l'effet u d'examiner ]es mesures les plus propres àassurer la conservation des anciennes minutes notariales et,s'il y a lieu, leur communication n.

Cette commission a été comp osée demembres de l'Institut,MM . de .Rozière, Picot et Xavier Charmes, de magistratsde la Cour de cassation, MM. Bard et Falcimaigne, de no-taires honoraires ou en exercice, MM. Pinguet, J)uguct etJierbetle, d'archivistes et de chefs (le bureau du Ministèrede la Justice. -

Le premier soin de la commission instilnée auprès du Mi-nistère de la Justice sera certainement de s'éclairer en con-sultant les précédents, les études et les enquêtes faites an-térieurement sur cette question.-

Ce travail préparatoire ne sera ni sans importance ni sansintérêt; et nous voulons essayer (l'en tracer ici les lignesgénérales, avant d'aborder le fond même de la question etla solution pratique qu'il convient de lui donner.

IIIUn point, dont on ne se rend pas toujours un compte suffi-

sant, c'est que toutes les anciennes minutes ne se ren-contrent pas entre les mains des notaires actuels. Un grand

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nombre de ces anciennes minutes est dispersé dans les ar-chives des départements, des villes, des hospices, (les tribu-naux, et même dans certaines collections particulières.

La principale cause cl' une telle dispersion, comme l'a faitobserver N. de Rozière dans son Rapport, tient au caractèremôme du notariat sous l'ancien régime. Le droit des notai-res procédait alors, comme aujourd'hui, d'une délégation dela puissance publique; mais comme celle puissance étaitmorcelée, on comptait: autant d'espèces de notaires que degenres de souverainel.és. Les seigneurs laïques, les évêchés,les chapitres, les abbayes, les communes s'étaient arrogélé droit d'en instituer et tenaient d'autant plus à celle préro-galive qu'elle était le plus souvent une sorrce de revenus.Il y avait donc, à côté des notaires loyaux, des notaires sei-gneuriaux, ecclésiastiques et municipaux.

De leur côté, le Pape et l'Empereur, considérant le droitde créer des notaires comme un des ail ribuls de la suzerai-neté, qu'ils prétendaient exercer sur le monde, avaient ins-titué des notaires apostoliques et des notaires impériaux,qui fonctionnaient à côté de ceux qui viennnent d'être énu-mérés.

Il fautarriver jusqu'à la Révolution, pour voir restreindrel'exercice des fonctions notariales aux seuls officiers insti-liés par un seul et unique souverain.

J usqu'à la fui du seizième siècle, les offices des notairesétaient concédés à titre viager, et les titulaires disposaientde leurs minutes comme du reste de leur patriiiioine. Ils lestransmettaient à leurs héritiers ou les léguaient avec leursaul.res biens meubles à des établissements de bienfaisance.Quelquefois. les villes ou les corps religieux les réclamaientcomme faisant partie de leurs archives. Quelquefois aussiles tribunaux en ordonnaient le dépôt dans leurs greffes.

Pour parer aux abus résultant de ccl état de choses, il futcréé par divers édits, et notamment par l'édit d'Henri IIIde mai 1575, des offices spéciaux de garde notes, distinctsdes offices de notaires. Mais l'édit d'l-lenri 1V de 1597 abolitces offices de garde notes, ou plutôt les réunit aux offices dej oairesi.ahell .ions, qu'il rendit .héréditaires

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Ait siècle, le désordre au sujet des ancien-nes minutes notariales fut porté à son comble, lit d'é-veiller la sollicitude du chancelier d'Aguesseau.

L'éminent chancelier rédigea, en 1.734, un projet. d'éditrelatif à la conservation des minutes des nolaires. « La con-servation des minutes des notaires, disait-il dans une sorted'exposé de motifs, ne nous u pas paru mériter moins d'at-tention que les différents objets sur lesquels nous avonsrésolu de porter nos vues pour la réformation et perfectiondes anciennes ordonnances. Et comme de toutes celles quiont été faites sur celte matière si intéressante pour la sûretéet la tranquillité des familles, il n'y en a presqueaueune quis'exécute aujourd'hui : soit à cause de leur multiplicité, soità cause que personne n'étant chargé d'en prendre le soin,les notaires ou leurs veuves et héritiers sont les maîtres (lesoustraire les minutes, de les laisser prendre ou emporterou de les vendre à ceux mêmes qui ont intérêt de les suppri-mer, sans que nos juges et nos procureurs puissent en être.informés qu'à mesure que ces abus paraissent sous leursyeux dans les contestations des particuliers, lors desquellesles notaires qui les ont commis étant décédés, leurs succes-seurs n'en sont plus responsables, non plus que de la perteou soustraction des anciennes minutes dont on ne peutjamais les convaincre, en sorte que la facilité d'éviter lesjustes punitions qu'ils méritent occasionne le relâchementet le désordre. »

Les ait. 6 et 7 (le ce projet d'édit de d'Aguesseau nousparaissent offrir assez d'intérêt, pour être reproduits:

Art. Ci. - Que pour la sûreté desdites minutes, registres et inven-taires, il soit donné dans chacune (les juridiclions vit lieu propre etconvenable pour les y déposer, dont nous chargeons les juges de nousinformer pur nos procureurs aU n qu'il y soit par nous pou rv r.

Art. 7. - Et afin que les dispositions contenues au présent édit soientinviolablemeir t observées saris que par la négligence des notaires ouautrement elles puissent souffrir aucune altération, nous avons, pourveiller auxdits dépôts et à l'exécution de font ce que dessus, créé,créons, et érigeons en titre d'office formé et héréditaire en chaque ju-ridiction royale de notre royaume, ou autre juridiction ressortissantesucculent en ]los cours, tin Office de conseiller greffier conservateur desmiaules des notaires, (10111 les fondions seront réglées ci-après et dont

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la finance sera employée aux réparations et constructions des lieuxnécessaires, vacations des juges pour les inventaires et autres fiais qu'ilconviendra faire pour l'exécution du présent édit.

Ce projet souleva de nombreuses objections. On repré-senta à d'Aguesseau que la création de nouveaux officesserait un embarras et ne serait d'aucun avantage bien appré-ciable. Il se décida, comme il le dit lui-même dans une cir-culaire adressée aux procureurs généraux et aux intendantsà la date du 8 juin 1738, « à chercher des -voies plus sim-ples et plus innocentes ». Il voulut s'ciclairer d'abord parune enquête générale. « Vous prendrez la peine, disait-ilaux procureurs généraux et aux intendants, de m'instruirepleinement de tout ce qui regarde cette matière dans l'éten-due de votre ressort; et comme je ne doute pas qu'il n'yait eu de temps en temps des règlements faits par votrecompagnie poui empêcher la perte on la dissipation desactes qui intéressent la fortune et souvent l'honneur desfamilles, vous aurez soin de m'envoyer une copie de cesrèglements et d'y joindre voire avis Sur les moyens qui vousparaitront les plus convenables pour les rendre pins utileset plus aisés à exécuter qu'ils ne l'ont été par le passé.

L'intendant de Champagne répondit à M. le Chancelierle 42 février 1742. Quelques passages de cette réponsesont assez curieux « Monseigneur, la conservation desminutes des notaires et des greffiers est unobjet bien dignede l'attention que vous avez la bonté d'y donner. li est cer-tain que le désordre sur cet article est monté à son comble.Ce n'est pas absolument dans les villes qu'il domine; quoi-qu'on y découvre des abus, on peut les compter pour rien,si on les compare à ceux qui se commettent dans les villa-ges. La mort d'un notaire et le changement d'un greffiersent, dans ces endroits, l'époque la plus ordinaire de la pertedes minutes. Elles deviennent dès ce moment le partage deshéritiers du défunt, du greffier qui sort d'exercice et quel-quefois du premier venu qui s'en empare. De là l'origined'une infinité de procès injustes où le bon droit succombesouvent par le défaut de titres... Les offices de notaires sont.ou héréditaires ou à la nomination des seigneurs. Il y aurait

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peu d'abus, dans le premier cas, si la vente de la pratiquesuivait toujours celle de l'office mais la faculté de diviserl'un d'avec l'autre en est une source intarissable.-On vendla charge, les minutes restent et comme, par successionde temps, elles se trouvent entre les mains de personnesqui n'ont aucun intérêt à les conserver, elles ne tardentguère à être dissipées (1) ).

De guerre lasse, d'Aguesseau abandonna son projet deréforme.

Cependant le Conseil du roi se préoccupa de faciliter aumoins les recherches des parties intéressées. Des arrêts de1782 prescrivirent l'établissement à Paris d'un dépôt desmatricules de tons les notaires de France, consistant entables ulphabétiquds des noms des notaires, de leurs prédé-cesseurs et des années d'exercice. Mais la Révolution survint,qui retarda la réalisation de cette légère amélioration.

Il était possible alors de réunir et de concentrer dans desdépôts publies toutes les anciennes minutes des notaires.

La vénalité et l'hérédité des offices ont été en effet sup-primées par la loi du G octobre 1791 ; et le notariat réorga-nisé sur des bases nouvelles, comme toutes nos institutionsjudiciaires et politiques. Les notaires seigneuriaux ont dis-paru avec les juridictions seigneuriales, abolies par accla-ination et sans aucune indemnité, dans la mémorable nuitdu 4 août 1789. Mais les législateurs de la Constituante ontpréféré laisser les anciennes minutes, à titre de dépôt, dansles études des nouveaux notaires institués.

Un peu plus tard, le législateur de ventôse an XI, appeléà promulguer une loi organique sur le notariat, a suivi lesmêmes errements. Pour éviter de soulever une difficulté, unconflit quelconque, le statu quo a été maintenu. C'est au pointque tous les anciens dépôts de minutes organisés dans cer-taines grandes villes, sous l'ancien régime, en vertu de règle-

(4) Cette correspondance entre te chancelier tl'Aguesseau, les procu-reurs généraux et les intendants a été retrouvée dans les archives dé-parLementales de la Marne. Le dossier réuni au Ministère de la justiceau sujet des anciennes minutes notariales contient les extraits que nousvenons. de reproduire.

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ments particuliers, et connus sous la dénomination de cham-bres de contrats, bureaux dé .tabellionage et autres, furentmaintenus à la garde de leurs possesseurs.

Où sait quavant la Révolution, il n'y avait aucune unifor-mité dans nos institutions: le notarial ne faisait F)5 excep-Lion à cette règle. Ainsi dans les pays dits de labelfionage,les notaires tenaient des registres ou protocoles sur lesquelsils écrivaient, les unes à la suite des autres leurs minutes,dont ils donnaient lecture aux parties et qu'ils signaient deleur seing manuel. Les registres achevés étaient déposés ausiège des tabeilionages. Comme on le voit, les notaires char-.gés de rédiger les actes n'en avaient pas le dépôt. (1)- Il en était ainsi, par exempte, dans ]'Artois, où, suivant.une réglementation qui remontait au moins jusqu'à Charles-Quint (1.531) les notaires n'étaient pas détenteurs de leursminutes, ils les Versaient dans un dépôt spécial appelé-greffe duu gros, sous la garde et la responsabilité d'un officierpublie appelé gref/i.er du gros. L'application à cet ancien dé-pôt de l'art. 60 de la loi de ventôse an Xi a donné lieu àdes discussions assez vives entre la Chambre des notaires.de Saint-Orner et l'archiviste du Pas-de-Calais. M. le gardedes sceaux, par une décision en date du 18 niai 1.889, a.prescrit de conserver le dépôt entre les mains des notaires,qui en sont les détenteurs, et s'est opposé à un transfert dans.les archives départementales.

Il existe encore à Rouen, ait de Justice, ut ' dépôtétabli en vertu d'un arrêt du Parlement de Normandie, du5juin 1598 1 pour assurer la'coriservation des actes notariés..Il contient: 10 toutes les minutes du t.abellionage de Rouerijusqu'en 1686; 2 0 les minutes des notaires établis dans lessix sergenteries de la vicarité (le Rouen (11500 à 1791); 30.des registres contenant les minutes d'un certaincertain nombred'anciens notaires, la plupart seigneuriaux, 40 les registres.du contrôle depuis 1607 jusqu'à la Révolution.

A Bordeaux, sous l'ancienne monarchie, la corporationdes notaires de cette ville avait fait construire un bâtiment.

(!)Giry, Manuel de diplomatique, p. 843, hachette, 1894.

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appelé Garde noies, destiné à recevoir, en les laissant t ladisposition de chaque notaire, toutes les ancienne minutes.L'hôtel, devenu propriété nationale, a été vendu en 4828; etles minutes ont été alors versées, sans aucune protestationdes notaires, aux archives départementales (t).

Depuis la loi de ventôse an XI, il a été fait diverses ten-tatives pour concentrer les anciennes minutes notariales,soit dans un dépôt central à Paris, soit aux archives dépar-tementales. Aucune de ces tentatives n'a pu aboutir.

En 1835 1 M. Joye, chef de bureau au ministère dé la Justicedemanda, par voie de pétition à la Chambre des députés,qu'on obligeât tous les notaires à remettre à un dépôt cen-tral établi à la Chancellerie le double de leurs minutes.Lette obligation était imposée sous l'ancien régime, par unMit du mois de juin 1778, aux notaires des colonies. La pé-tition fut renvoyée, avec avis favorable aux Ministres de la.Justice et des Finances. Le rapporteur s'était exprimé en cestermes: « Voire commission, convaincue de l'utilité de lamesure proposée, pense que s'il n'était pas possible de lamettre à exécution par la création d'un dépôt central, on de-vrai t s'arrMer à l'idée d'un établissement par département,C'est une idée à étudier, à méditer u.

En 1853, la commission centrale des archives départe-mentales el communales, dépendant alors du Ministre del'Intérieur, reprit la question. Elle prétendit qu'à Paris, parsuite de la cherté croissante des loyers, les anciennes minu-tes n'étaient pas conservées avec tout le soin désirable, tantdans l'intérêt des familles que dans celui de l'histoire et elleproposa de créer un dépôt central destiné à recevoir toutesles vieilles minutes des études. La Chambre des notaires-de Paris fut consultée; elle repoussa énergiquement le pro-• jet ; . et le Carde des Sceaux écrivit le R février 4857 au Mi-nistre de l'intérieur u que les institutions qui régissent lenotariat s'opposaient à son admission ; que d'ailleurs, aupoint. de vue historique, la collection des minutes n'avait

(I) Nous empruntons ces divers renseignements à l'enquête faite parles soins des Procureurs généraux, en 4865, et dont il sera question,un peu plus bas.

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point une sérieuse importance; que la conservation (les Li-lies ne remontait pas au delà du seizième siècle; cL quedepuis lors, la découverte (te l'imprimerie avait permis (lerecueillir tous les documents qui avaient un véritable intérêtpour t'histoire ».

Quelques années plus tard, sur l'insistance de la commis-sion centrale des archives départementales auprès du Minis-tre de l'intérieur et celle (tu Comité des études historiquesauprès du Ministre de l'instruction publique, un accord in-tervint entre les Ministres de la Justice et de l'intérieur envue d'une double enquête h faire, d'un côté par les soins desProcureurs généraux et d'un autre côté par les soins desPréfets. Ti s'agissait de savoir si, sans déroger aux prescrip-lions des lois en vigueur, sans porter aucune atteinte auxdroits des notaires détenteurs des minutes, ou ne devait pasouvrir dans les archives départementales un dc'p41 légal et

facultatif aux notaires peu désireux de conserver eux-mêmesles anciennes minutes de leurs études.'

La circulaire adressée aux Procureurs généraux le 12 avril18611 (4) par le Garde des Sceaux, pour prescrire l'enquêtea ne dissimula pas que, même réduite à ces derniers ter-nies, c'est-à-dire à un abandon facultatif des anciennes mi-nutes, de la part des officiers publics qui en ont en quelquesorte la propriété, en môme temps qu'ils en sont les dépo-siUures, cette question soulevait, en droit et en fait, (lesdifficultés qu'il importait d'examiner n.

Elle indiqua que, pour atteindre le but poursuivi, unchangement de législation serait sans doute nécessaire; qu'endroit, les lois spéciales de la matière, les lois du B octobre4791 et du 25 ventôse an XI, s'opposeraient peut-être à ceque les anciennes minutes fussent distraites des dépôts quileur avaient été assignées, alors même que les dépositairesy donneraient leur consentement. Une sim lit .edécision minis-térielle peut-elle suffire en effet pour décharger les notairesd'un dépôt, légal dont ils ont té investis par une loi, en cou-

(1) fleure du notariat, n° 841.

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fiant ce dépôt à d'autres fonctionnaires non (lésighés par lamême loi?

Eu faveur du projet de dépôt: facultatif, on pouvait, il estvrai,se prévaloir d'un précédeni:récent.. En 4860,les minutesde l'ancienne communauté des notaires de l'Angoumois, dé-posées depuis longues années dans un bâtiment départemen-tal, le palais Tai Hefei-, avaient été réunies aux archives de lapréfecture du consentement unanime de tous les nol.aires decette vil1e en vertu d'une décision concertée entre les deuxdépartements de la justice et de ]'Intérieur, qui avait réservéh. ces notaires le droit d'expédition en imposant à l'archi-viste l'obligation, moyennant la perception d'un droitdroit derecherche, d'obtempérer à toute réquisition de commuai-.quer qui lui serait adressée par ces officiers publics. Mais ceprécédent était fort contestable. Endroit, il semblaiten con-tradiction avec les lois en vigueur ; et, en fait, les notairesd'Angoulême avaient protesté, par diverses délibérations,contre le projet de translation de leurs anciennes minutesaux archives départementales (t).

La circulaire du Garde des Sceaux n1ild'ailleurs bien enlumière toutes les difficultés à résoud re. On enj ugera par lespassages suivants, qui ont gardé toute leur valeur et peuventêtre mis, non sans profit, sous les yeux de la commissionrécemment nommée au Ministère de la Justice;

,,En fait, l'étal, (les choses indiqué est-il exact? Ses rapports ne sontils pas empreints d'exagération, et, par suite nième, la mesure pro-posée serait-elle suffisamment justifiée par le nombre et l'importancedes actes qu'il s'agirait de déplacer, parlent , intérét historique, par lemauvais état de conservation dans lequel les laisseraient la plupart deleurs dépositaires actuels, notamment tes notaires ruraux, (lui, s'il fauten croire les rapports (lui ont été faits ft M. le ministre de l'intérieur,auraient, presque pat tout, ou perdu ou vendu, un grand nombre (leminutes? -

D'un autre côté, n'y aurait-il pas des inconvénients à placer, dès àprésent, dans un dépôt d'archives, dont le but déclaré est de fournirles matériaux d'une histoire intérieure (le la France, destinée à la l"-

(1) C'est ce (lui résulte du dossier existant au Ministère de la justice,et dont M. Amiaurl, chef du bureau du notariat,a bien voulu me don-ner' communication avec soji obligeance ordinaire.

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blicité, des documents qui peuvent intéresser encore l'honneur et laconsidération de certaines familles, et dont, par ce motif, les lois de lamatière ont si rigou reuseni e!) t interdit la divulgation?

,' En troisième lieu, il importe de se préoccuper de l ' effet (lui seraitproduit dans le notariat, parles mesures à prendre dans le sens despropositions (le M. le ministre de l'Intérieur, des adhésions on des ré-sistances qui l'accueilleraient, et (le rechercher jusqu'à quel pointelles seraient appelées h recevoir une application générale, suscepti-ble de remplir suffisam ment le but qu'on aurait voulu atteindre.

Enfin, et en supposant que la généralité des notaires, consentis-sent à se dessaisir de leurs anciennes minutes, abandonneraient-ils enmême temps le droit d'en délivrer des expéditions qui leur appartientaujourd'hui exclusivement et, si ce droit devait leur être réservé, com-ment en concilier l'exercice, dans la pratique, avec les nouvelles dis-positions prises pour la garde (les actes, -à expédier?

L'enquête fail.e par les soins des procureurs généraux adémontré l'importance et l'ancienneté des minutes nolaria-les conservées clans les divers dépôts.

Il y u. dans les ressorts d'Aix et de Toulouse, des actesremontant jusqu'au treizième siècle. Les ressorts de Nîmes,Montpellier, Ilouen et Toulouse en possèdent du quatorzièmesiècle. Les ressorts d'Aix, de Bourges, de Caen, de Mont-pellier, de Nancy, de Nîmes, et de Paris en possèdent duquinzième siècle. On rencontre des actes du seizième siècleà peu près dans tous les ressorts de Cours d'appel.

L'enquête a révélé en môme temps la dispersion des an-ciennes minutes dans les dépôts les plus divers. La plusgrande partie des actes est en la possession des notaires;niais il-mi existe un certain nombre dans les archives dé-partementales, dans les archives des communes, dans lesgreffes, au siège des chambres de notaires, et même chezcertains particuliers. Les ressorts d'Agen, de Bastia, deCaen, de Limoges, de Mines, d'Orléans et de Pau sont lesseuls où il n'existe pas de dépôts (l'actes en dehors des étu-des de notaires.

Les archives départementales contenant des dépôts im-portants de minutes anciennes sont au nombre de dix envi-ron nous citerons seulement les archives départementalesde Bordeaux, d'Angoulême, de Dijon, (le Lille, de Perpi-guam -

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On compte une douzaine de dépôts clans les archivescommunales: à Saint-Pu], à Bergues et à Hondschoote dansle Nord, à la .Rochelle, û Auray (Morbihan), û Thiers (Puy-de-Dôme), à Montauban.

Les greffes des Cours clappe] (le Lyon, Nancy, Rennes etRouen, et les greffes de vingt tribunaux de première ins-tance possèdent d'anciennes minutes d'actes notariés.

Enfin dix chambres de notaires ont organisé des dépôtsdans les locaux affectés à leurs réunions. A Besançon, ledépôt est placé sous la garde d'un secrétaire archiviste etcontient tous 'es actes antérieurs à l'année 4800. A Greno-ble, c'est le secrétaire de la chambre des notaires qui déli-vre les expéditions et perçoit les émoluments. Des dépôtssemblables existent auprès des chambres de notaires d'Em-brun, (le Saint-Marcellin et de Trévoux. Le dépôt organisépar la chambre des notaires de Lyon contient plus de cinqcent nulle actes, depuis l'année 126 jusqu'à l'année 1829.À Moulins, près de trois cent mille minutes, dont les pinsanciennes datent de 1.5150, sont déposées dans le local de lachambre des notaires.

Au cours de l'enquête, les notaires se montrèrent absolu-ment hostiles à tout projet ayant pour effet de restreindreou de supprimer leur privilège de dépositaires des ancien-nes minutes. Sur 9.700 notaires environ alors en exercice,cent à peine acceptèrent la translation de leurs anciennesminutes aux archives départementales.

Les préfets, il est vrai, dans leur enquête administrative,représentèrent les notaires comme peu dignes de conserverles précieux documents Provenant de leurs prédécesseurs,et appuyèrent de tout leur pouvoir le projet de réunir dansles archives départementales toutes les anciennes minutes.u Dans les études de campagne, dirent-ils en substance, lesminutes sont jetées pêle-mêle clans des greniers souventmal clos, sans aucun ordre, sans aucune nesure de conser-vation, dans un tel état de confusion que les recherches ysont absolument impossibles. L'humidité, les insectes, lesrongeurs détruisent peu b peu ces vieux papiers livrés àl'abandon et commettent des dégMs irréparables. Dans les

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grandes villes, les anciens documents sont mieux conservés.mais presque jamais ils ne sont classés; les recherches sontainsi rendues impossibles. D'ailleurs les notaires, faute d'é-tûdes spéciales, ne seraient pas capables de déchiffrer lesanciennes écritures. - Si les minutes étaient confiées auxarchives départementales, elles se trouveraient placées dansdes bâtiments bien installés, où des archivistes paléogra-phes veilleraient sur elles avec un soin pieux; elles seraientclassées, cataloguées; les recherches deviendraient faciles;et les érudits auraient le loisir d'exploiter une mine detrésors presque inexplorée ».

Mais les Procureurs généraux émirent des appréciationstout à fait différentes et soutinrent avec une grande énergieles intérêts et les résistances des notaires. Suivant eux, lesnotaires, sauf de rares exceptions, avaient le plus grandsoin de leurs anciennes minutes. Dans les archives prove-nant de leurs prédécesseurs, ils -situaient à voir le témoi-gnage de l'ancienneté de leur étude et (le l'importance de laclientèle don( ils avaient hérité I Ces collections étaientcomme les titres d'honneur de leur office.

Les Procureurs généraux ajoutèrent qu'on ne pouvait dé-Posséder les notaires de leur droit d'expédition, sans leurallouer une indemnité pécuniaire.

En présence des contradictions et des difficultés gravesrévélées par les enquêtes, le Ministre de l'intérieur écrivitle 29 juin 1865 au Garde des sceaux, pour lui annoncer qu'iln'insistait plus au sujet de la réunion aux archives départe-mentales de toutes les anciennes minutes notariales. Une ré-clamait plus que les minutes abandonnées dans tes greffesdes tribunaux. Mais cette réclamation était encore con-traire kt l'esprit et à la lettre de l'article 60 de la loi du25 ventôse ait par cela seul que les documents revendi-qués avaient conservé le caractère de minutes notariales.La réclamation ne fut donc pas accueillie favorablement.

Tel fut le résultat des enquêtes prescrites par les deuxMinistères de l'Intérieur et de la Justice en 4864. C'était unrésultat négatif.

L'impression donnée alors par l'enquête faite parles Pro-

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cureurs généraux se trouve résumée et confirniée4aus unrapport fait au Sénat, en 4867, au sujet d'une pétition, quireprochait encore une fois au x notaires l'état d'abandon deleurs vieilles minutes. « La passion tic l'archéologie, disaitle rapporteur, entraîne beaucoup trop loin les pétitionnai-res. Si les minutes anciennes peuvent offrir aux recherchesdes antiquaires un butin précieux, elles n'ont pas moinsd'importance pour les Familles dont; elles contiennent l'his-toire et il faut les laisser dans les études des notaires ofi'lesintéressés ont le droit d'aller 'es consulter. La mesure pro-posée sciait d'abord, pour les études, une véritable mutila-tion. ltle tendrait à dépouiller les notaires de leur carac-tère de garde-notes, auquel ils doivent le titre môme du loin,office, et ne pourrait leur être imposée sans une indemnitéfort difficile à régler n

-1VAujourd'hui, la question de la conservation des anciennes

minutes se pose de nouveau. Une commission est instituéeauprès du Ministère de la Justice pour l'examiner.

N'y a-t-il pas quelque chose à faire pour mieux assurer, àl'avenir, celte conservation?

lit tout d'abord, observons que si les érudits ont une ten-dance à exagérer ta valeur historique des documents ren-fermés dans les vieux minatiers, les notaires déprécient partrop l'importance de ces titres. il y aune part de vérité danschacune des opinions en présence.

Bien des travauxd'uu puissant intérêt historique ont dé-montré le parti qu'on pouvait tirer de l'étude des anciennesminutes notariales. Et, chose remarquable, ces travaux sontla plupart du temps sortis de la plume des notaires eux-mêmes. C'est ainsi que M. Suin, président de la Chambredes notaires de Soissons, a publié de nombreuses brochu-res sur l'histoire du Soissonnais pendant le XV1 C siècle, oitil u mis en oeuvre ses recherches personnelles dinis les an-ciens actes conservés dans son étude ou dans les études deses collègues. On peut en juger par le seul énoncé des titresdes brochures Les Protestants à Soissons (1567-1568), pu-

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blication du Cabinet Itistoruue, 4858 - DLseour& sur l'un-portance et l'utilité des archives notariales, publication ditJournal du Notariat, 1857. . 404 ; - Contribution du clergésoissûnnais à l'entretien de l'ar;n!e tic la Ligue, clans leJournal dit Notariat de l864, p. 496; - Renseignements surl'état des classes bourgeoises et populaires dans le Soisson-nais pendant la seconde moitié du XV? .ç2èele, dans le Jour-nal du Notariat de 1865, p. 96.

De son côté, M. Léonce Favatier, notaire honoraire àNarbonne, u publié clans le Bulletin (le la commission ar-chéologique de Narbonne, 1892 et 1893, des études curieu-ses et pleines (le vie notamment sur la vie municipale àNarbonne au XVJIO siècle, sur une élection en 1667, et; surune frite publique en 1645. Ce savant notaire a publié en ou-tre dans la Revue des Pijrdndes et de la France méridionale,1890, une étude des plus documentées sur l'importance (lesregistres - des notaires et les rensignements qu'ils, peuventfournir sur l'histoire générale ou locale.

Sans doute les renseignements, que l'on rencontre dansles registres des notaires, s'appliquent plutôt à l'histoirelocale qu'à l'histoire générale: Mais n'es-1-ce pas du rappro-chement des diverses histoires locales bien faites; que doitsortir une histoire générale complète?

Un archiviste de Dijon, M. Joseph Carnier, u montré, enexcellents termes, tout le Parti 9U'Otl pet tiret des minu-tes des notaires déposées aux archives de la Côte-d'Or, pourécrire l'histoire de ce pays (4).

Il passe en revue les contrats de mariage, où apparaissent-un certain nombre de familles patriciennes et parlementai-res de la Bourgogne, les donations entre-vifs, les testament-s,les inventaires après décès, les partages, les procurations,les sociétés, qui révèlent l'état des moeurs, ]es progrès del'agriculture, du commerce et de l'industrie, à mesure quel'on s'éloigne des périodes troublées du moyen âge.

e Au début, dit M. Carnier, tous ces actes de nature sidiverse sont relativement peu nombreux, surtout dans les

(1) Les minutes de -notaires aux archives de ta Côte (û,' (I)ijon. Im-primerie Jobard).

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campagnes. Nous sommes à une époque troublée; mais àmesure qu'on s'éloigne du temps des grandes guerres, quela tranquillité publique s'affermit, le bien-être, dont elle estla conséquence, tend à se développer chaque jour davan-tage. Les maisons ruinées se iehàtissent; d'autres s'élèvent,les champs demeurés en jachères se couvrent de récoltes,011 essarte, on dessèche, on livre de nouveaux terrains à laculture, l'argent sort des cachettes. Le commerce, l'indus-trie reprennent leur essor. D'un autre côté, le marchandenrichi, le paysan dont la terre s'est arrondie, veulent dis-poser à leur gré du bien qu'ils ont acquis. Ils imitent lesgrands seigneurs et les bourgeois. Comme eux ils veulentfaire montre de leur petite fortune dans leurs donationsentre-vifs, dans les contrats de mariage de leurs enfants,dans leurs testaments. Tout cela donne lieu à des transac-tions de plus en plus nombreuses, auxquelles prennent dé-sormais part des gens (le la plus humble condition. Voilà leSpectacle auquel on assiste en dépouillant ces minutes

On y retrouve la trace d'anciennes cl, singulières coutu-me-, disparues, comme celle qui consistait pour la femmeveuve renonçant à la communauté à déposer sa ceinture etses clefs sur la tombe de son mari. Les minutes des notairesde Semur offrent, en 1638 et en 1658 deux exemples de cetteancienne coutume bourguignonne, rendue fameuse parMarguerile de Flandres, veuve du duc Philippe le Hardi.

Ces mêmes minutes révèlent des traits de moeurs vrai-ment curieux En voici un, à titre d'exemple. Un sieur Eran-çois Tliétion, lieutenant ai' régiment de Bourgogne, mariéet jouissant de quelque fortune, prend Je monde en dégoût.Il détermine sa femme à une séparation de corps et de biens.La séparation accomplie, Thétion, qui voulait se faire carme,amène un matin sa femme ail couvent des carmes de Semur.Là, devant l'autel, en présence des religieux et d'un notaireappelé tout exprès, il lui fait prononcer le voeu de garderune perpétuelle continence, de ne jamais répéter la compa-gnie conjugale, lui donnant d'ailleurs la liberté de vivre dansle monde ou d'entrer en religion. Lui, de son côté, prononcele même voeu, en exprimant sa résolution de se retirer chez

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les carmes de Chalon, ce qu'il exécuta en l'année 4659.il-faut aller plus loin. Les érudits qui fouillent les an-

ciennes minutes notariales rencontrent parfois des docu-ments d'un intérêt capital pour l'histoire générale de ]acivilisation. Ces rencontres sont évidemment fort rares maisil suffit qu'elles se soient produites une fois, pour qu'ellespuissent encore se reproduire à l'avenir.

Cette heureuse fortune est advenue à M. l'abbé Requin;Tandis qu'il fouillait les vieilles minutes des notaires d'Avi-gnon, il a découvert une série de documents établissantqu'en 1444, il existait à Avignon un atelier d'imprimeuret il a publié les résultats île sa découverte dans une bro-chure intitulée: L'imprimerie à Avignon, en 1.444. M. l'abbéRequin ii reçu à ce propos les éloges les plus flatteurs dumonde savant. L'Académie des inscriptionsa consacré cettedécouverte, clans le compte rendu de sa séance du 2 mai3890. u M. Léopold lielisle, est-i] (lit dans ce compte rendu,présente, de la part de M. l'abbé Requin, une brochure in-titulée L'imprimerie â Avignon en 1444. L'auteur y faitconnaître une série de contrats tirés des registres des nolai-res d'Avignon qui sont peut-être les plus anciens témoigna-ges que nous nous possédions sur la découverte de l'impri-merie u.

Les documents découverts par M. l'abbé Requin attestentqu'en 1.444, l'art d'écrire artificiellement avec des caractè-res mobiles, était connu, pratiqué et enseigné à Avignonpar un orfèvre, originaire de Prague, nommé Waldfoghcl,à une date où Gutenberg lui-même commençait ses essaiset n'avait encore imprimé aucun livre.

Cet orfèvre étranger était-il le véritable inventeur de l'im-primerie ? Cet art ne lui avait-il pas été enseigné par d'au-Ires ? La dernière hypothèse est plus probable; S'il est venul'exercer h Avignon, c'est que certaines eirconstallces igno-rées l'ont obligé à chercher un refuge dans une ville libre,dont les franchises et les privilèges le garantissaient contreles poursuites et les revendications (I.).

(1) Les origines de iïmprirnerie û dtignon, par flu]ianiel , nrciiivisi,e,Avignon, 1890. -

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Mais les notaires partisans du statu quo ne se laissent pasémouvoir et s'en tiennent au texte de la loi de ventôse an XI.Pour un intérêt historique plus ou moins contestable, di.sent-ils, il ne faut pas pernetlre (le divulguer les secrets(tes familles. Comment admettre les érudits et les curieuxà compulser les anciennes minutes, les laisser pénétrer dansl'intimité du foyer et s'initier à toutes les particularités de-la vie des familles, revers de fortune, filiations illégitimes,etc. ? Ces secrets ensevelis dans le silence des études nota-riales seraient désormais jetés en pâturepâture à tous ceux qui re-cherchent les scandales ?

Cette objection n'a qu'une valeur relative. Il semble pielorsque plus d'un siècle s'est écoulé, tous les documents quitouchent à l'histoire d'un pays, d'une région, par un certaincôté, peuvent être, en règle générale, livrés à la publicitésans aucun inconvénient. Les scandales, dont ces documentsont parfois conservé la trace, ne sauraient plus guère rejaillirsur les générations actuelles.

La meilleure preuve, c'est que, malgré les dispositionsformelles de la loi, de nombreux érudits ont pénétré, avecl'assentiment des notaires dépositaires des anciennes minu-tes, dans l'intimité du foyer des familles les plus connues,ont révélé au public les secrets de ces familles, môme lesplus scabreux, et qu'il n'en est résulté aucun de ces scandalesretentissants, que l'on paraît redouter.

D'ailleurs, si un scandale se produisait, la société et lesfamilles ne seraient pas désarmées, loin de là. Il suffirait -d'appliquer les dispositions de l'art. 34 de la loi sur la presse(lu 29 juillet'488, qui punit de peines correctionnelles ceuxqui diffament ou injurient la mémoire des morts, avec l'in-teii lion de porter atteinte à l'honneur ou à la considérationdes héritiers vivants. -

Il n'y aurait donc, à notre avis, aucun danger sérieux àinscrire dans un nouveau texte législatif, l'autorisation (Ion-née aux dépositaires d'anciennes minutes notariales (le com-muniquer au public les registres et documents remontant-ù plus d'un siècle. Notre législalion cyi.mjnelle et civile pro-

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tège suffisamment les familles contre les indiscrétions inju-rieuses, ou simplement malveillantes.

A titre de surcroît de garantie, un droit de veto préventifpourrait être accordé aux héritiers ou représentants desparties intéressées, s'ils avaient des raisons légitimes pours'opposer à toute communication.

Il conviendrait peut-être aussi, pour rémunérer, dans unecertaine mesure, la surveillance particulière ù exercer parles notaires au cours des communications, de leur permet-tre de percevoir, suivant un tarif h déterminer, un droitspécial de communication. On écarterait ainsi, du mêmecoup, les simples curieux et les fâcheux, qui n'auraientaucun intérêt sérieux h poursuivre des recherches prolon-gées.

Les dispositions (le la loi de ventôse, (lui prescrivent auxnotaires le secret le plus i ni pénétiabl e, n'ont pas empêchéle public de connaître un grand nombre de déclarationsrelatives aux filiations naturelles. il n'y u presque pas detravail d'érudition sur le flJe, le XVJI° et le XVIIP. sièclesqui ne (tonne l'analyse (le quelqu'un de ces documents.

On sait qu ' en vertu d'un édit (le ilenri 11 (]il de février1556, toute femme qui cachai I. sa grossesse et son enfante-ment était réputée coupable d'infanticide en cas de décès del'enfant et punie de mort. De là l'obligation pour toute frite011 femme de déclarer son état à la justice, ainsi que le nomde son séducteur. A l'encontre de bien d'autres édits tom-bés en désuétude, celui-ci se maintint dans toute sa rigueurjusqu'à la Révolution.

Dans sa brochure sur Les minutes de notaires aux archivesde fa G61e-d'Or, que nous avons déjà citée, M. Josephtiar-nier met en lumière deux déclarations de ce genre. L'uned'elles reçue Pli à Prusly-sur-Ource offre des particu-larités assez originales la femme de chambre (le la com-tesse de Rochefort étant accouchée clandestinement dans labasse-cour du château, cette daine outrée de ce qu 'elle con-sidérait comme un affront fait à sa maison, fit venir le no-tai te et en sa présence contraignit ].a heureuse à décla-rer sa honte clic .uoni du père de l'enfant, qui était te valet

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du fiisde la comtesse. Dans une autre déclaration de 1683,le séducteur, qui n'est autre que le seigneur de Dampierre-en-Montagne, prend les devLmts et s'engage à nourrir et éle-ver l'enfant ou les enfants qui proviendraient d'une jeunefemme enceinte (le ses œuvres.

Ces traits particuliers ainsi mis au jour font bien connaî-tre les moeurs d'une époque et permettent tic porter un juge-ment réfléchi. S'efforcer de les couvrir d'un voile inpén6-trahie, c'est dérober quelque chose à l'histoire du passé.

On se plaisait autrefois à considérer que les archives detoute nature devaient rester ensevelies dans un profondmystère. Mais ce n'est plus là ]e sentiment des nouvellesgénérations, pins avides de lumière. Nous avons vu, depuisquelques années, s'abaisser les barrières réglementaires,qui empêchaient; ail ministère des affaires élrangères, toutecommunication de documents, même antérieurs au XIX°.siè-cia. Si ces barrières ont disparu, d'autres destinées à garantir des secrets bien moins importants disparaîtront à leurtour.

Le point relatif à la communication des anciennes minu-tes une fois réglé, il ne reste plus qu'à se prononcer-sur lemeilleur mode de conservation de ces documents (1).

(1) Sur cette question, oit consultera avec fruit iii législation italienne,telle qu'elle résulte de la loi du 25 juillet 1875, qui a réglé définitive-ment l'organisation du notariat et des archives notariales eu Italie. LaBibliothèque de i'Eeolc des Chartes, année 1876, p. 257 etsuiv., a publiéà ce sujet un rapport des plus intéressants de M. de Mas-Latrie, air-quel nous renvoyons 'nos lecteurs.

Dans l'exposé des motifs de la loi, le Ministre italien de la justice,M. de Falco, a rappelé les controverses et l'opposition soulevées par leprojet d'organisation des archives notariales dans une partie de l'lttr-lie où elle Était une création, notammentment en Pi é n on t. t La préten ti 011des notaires du Piémont, qui soutiennent iàur droit le propriété sur! es minutes, ne repose sur aucune hase juridique, dit le Ministre ; eSofficiers publics ne sont chargés que de donner un caractère d'authen-ticité à l'acte; si l'acte devait appartenir à quelqu'un, ce serait à lapartie qui l'a payé; mais l'intdrét général veut qu'il devienne la pro-priété de l'Etat. C'e s t en effet en vertu d'un caractère conféré par laloi que les notaires peuvent authentiquer les actes ; ils eu font desactes pu hljcs qui rie peuvent appartenir qu'à l'Etat. Il serait certaine-

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Les érudits et les sociétés savantes ont proposé et propo-sent encore de faire verser dans les archives départemen-tales toutes les anciennes minutes notariales antérieures à1791. ou à la loi de ventôse an Xi.

Dans l'enquête à laquelle il n été procédé en 1864-18651]e Procureur général de Rouen n indiqué divers moyenspratiques pour mettre en oeuvre le projet des sociétés sa-vantes.

Un de ces moyens consisterait à faire effectuer dans chaqueélude le calcul approximatif des droits d'expédition produits,dans la dernière période quinquennale, par les minutes an-térieures à 1794, et ii remettre au notaire, au moment deson desèaisissemeift, un capital équivalent au produit de cespièces pendant un laps de temps déterminé, vingt ans parexemple.

ment plus avantageux pour les notaires de conserver eux-mêmes leursminutes, le gouvernement le recon nai L ; mais l'intérêt du petit nombredoit céder à l'intérêt gdnéral. » Le Ministre rappelle ensuite l'avantageque les particuliers retirent de l'existence des archives notariales,l'approbation qu'a reçue cette institution dans les pays étrangers et lesplaintes qua motivées souvent en France l'application d'un régimecontraire.

Les dispositions de la loi italienne, en ce qui concerne les archives,peuvent se résumer brièvement.

Auprès de chaque collège de notaires (nos chambres de discipline)existent des archives à la tète desquelles est placé tin chancelier archi-viste; nommé par décret parmi les notaires en exercice, et dont letraitement est payé sur la caisse des archives.

On conserve aux archives: I" la copie de tous les actes notariés queles officiers de l'enregistrement doivent exécuter et transmettre dansles deux mois de l'enregistrement de lacté; ' la copie de toutes lesinscriptions faites sur le répertoire de chaque notaire dans le courantdu mois, copie qui doit are, envoyée auxarchives dans le mois suivant;3e les originaux et les copies des actes notariés reçus à l'étranger; 4- lesactes originaux, appelés protocoles, de chaque notaire, qui doiventêtre envoyés aux archives après sa mort avec ses répertoires; io lessceaux des notaires. Les protocoles et les répertoires doivent être gar-dés dans un tien différent (le celui où sont gardées les copies trans-mises par leuregistrement. Les revenus des frais dexpéditions déli-vrées aux archives appartiennent par moitié aux archives et par moi-tié au notaire sa vie durant ou à ses héritiers pendant vingt ans aprèssa mort.

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Mais le Procureur général de Rouen comprenait qu'outreles difficultés d'ordre financier soulevées par la nécessitéd'indemniser les notaires, le calcul sur lequel reposait leprojet constituerait une base 1)1011 incertaine, puisque, àmesure que l'on s'éloigne de la date des actes notariés, lacommunication en devient moins fréquente et (lue les éva-luations du passé ne peuvent servir pour juger exactementcelles de l'avenir; et il proposa une autre combinaison denature, d'après lui, à concilier tout à la fois l'intérêt 'ies no-taires, l'intérêt ries parties et l'intérêt historique. --

Aux termes rie cette combinaison nouvelle, chaque notai 'edresserait un tableau ou catalogue exact des actes dôiit ilopérerait le versement aux archives. Ce répertoire permet-Irait aux parties de faire des recherches sans sortir de leurslocalités et permettrait en même temps aux notaires d'ob-tenir directement du conservateur des minutes les expédi-tions nécessaires. Les expéditions seraient délivrées parl'archiviste et seraient soumises à la signature du président(le la chambre des notaires du chef-lien du département, oudu plus ancien I ifukiire résidant au chef-lieu, s i le présidentn'y résidait pas lui-même. Quant aux honoraires, défalca-tion faite des frais de recherche et de copie,- ils seraient at-tribués aux notaires à l'étude desquels appartiendraient, lesminutes expédiées.

Ce projet, si bien ordonné qu'il soit, a pour résultat dedéposséder les notaires de leurs anciennes minutes, qu'ilsconsidèrent, non sans raison, comme un titre d'honneur deleur office. .11 est appelé naturellement à soulever aujour-d'hui comme autrefois les plus vives et les plus légitimesrésistances. il convient donc de ne pas s'y arrêter.

Ii semble que l'accord pourrait se faire plus facilementsur le projet qui consiste à déplacer les anciennes- minuteset à les concentrer dans un local dépendant des chambresde discipline des notaires. Les chambres do, discipline, tropdénuées de ressources pour se procurer nu local suffisant,trouveraient certainement un asile soit dans les dépendan-ces des palais de justice, soit dans celles des hôtels de ville.Le dépôt continuerait à être placé sous la foi des notaires.

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Le secrétaire ou le président de lit remplirait lesfonctions d'archiviste. Grâce k une minime cotisation (techaque notaire, un clerc opérerait les recherches et prépa-venU les expéditions. Le droit d'expédition serait attribuéentièrement à l'officier public ayant originairement possédéles m i nutes . Pour faciliter les recherches, les anciennes mi-nutes seraient classées et inventoriées, suivant une méthodeet (les règles unirormes dans toute la Franec.

Au besoin, ]es archivistes départementaux, qui ont dansleurs mima l e s , polir-raient fort bien, sans aucune dépense nouvelle, être chargésde l'inspection des nouveaux dépôts d'archives notariales.

'tel est le projet qui aurait nos préférences, si une modifi-cation c1ùelconque était apportée,en cette matière, a ]aloi deventôse an NI.

li a déjà reçu la consécration de l'expérience. li a été eneffet mis à exécution, comme nous l'a révélé l'enquête de1864.-1865, dans plusieurs arrondissements; et il a donnéles meilleurs résultats.

A annoter r IEnclycl. du Net., y° Minute, n' 140.

top. G. SainI.Anbio et fI'eve,ot. - J. Thevenot sueee,,onr, Se-Chier (lue-Marne).

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