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Éditorial E n cette année 2012, le programme SERENA finalise son analyse des dispositifs d’action publique en lien avec les services écosystémiques (SE). Rappelons que le programme se décline en trois temps : l’analyse historique du concept et de sa diffusion autant dans les sphères scientifiques que politiques ; l’étude de sa mise en œuvre dans des dispositifs d’action publique (et privée) et le retour sur les politiques publiques qu’un tel concept peut engendrer, notamment au niveau des politiques de conservation, agricoles voire d’aménagement du territoire. Dans le cadre de l’analyse des dispositifs, les aires protégées et la certification environne- mentale ont fait l’objet d’études poussées durant l’année 2011 ; faisant suite à celles menées en 2010 sur les PSE et les MAET. Le bilan est double. D’une part, nos travaux montrent que tout en étant des dispositifs largement antérieurs à la montée en puissance du concept de service écosystémique, ce dernier permet à leurs promoteurs de légitimer leurs actions. Ainsi, les conservationnistes recourent aux SE pour justifier l’importance de la conservation voire le financement des aires protégées. D’autre part, les chercheurs du programme ont mis en évidence l’émergence de nouvelles thématiques autour des SE, comme par exemple le recours à la géomatique pour l’identification des zones prioritaires de conservation en fonction des services écosystémiques rendus (voir le projet Aries de l’équipe de R. Costanza par exemple). L’utilisation de ce concept à des fins de sensibilisation des firmes de leur dépendance aux services écosysté- miques est également une tendance majeure qu’il apparait pertinent de croiser avec la montée en puissance des mécanismes innovants de finance internatio- nale… Toutes ces initiatives récentes rendent d’autant plus significatif le retour vers les politiques publiques. Est-ce que ce concept induit des changements dans la manière de concevoir et de mettre en œuvre les politiques de conser - vation, agricole et d’aménagement du territoire, au-delà des expériences pilotes qui jalonnent les différents pays étudiés (France, Costa Rica, Madagascar et dans une moindre mesure les États-Unis, le Brésil et le Cambodge) ? Quels sont les acteurs et réseaux impliqués ? Quelles dynamiques institution- nelles, quelles idéologies sous-jacentes sont actuellement à l’œuvre à ce sujet ? Bref, autant de sujets passionnants pour 2012, date rappelons-le majeure pour le renouvellement de la politique agricole commune et la poursuite des négociations sur le climat. Cette troisième lettre de SERENA vous propose un point d’avancement du programme… Bonne lecture Philippe Méral - IRD ([email protected]) et Denis Pesche - Cirad ([email protected]) 1. Paiements pour services environnementaux 2. Mesures agri-environnementales territorialisées Au sommaire En Asie du sud-est, le Cambodge expérimente ses propres mécanismes de paiement pour services environnementaux ....... 2 Trois questions à... Charles Rakotondrainibe .... 3 Émergence de la notion de service environnemental en France....................... 4 Les services écosystémiques : une richesse renouvelable pour la société Entretien avec Harold Mooney ................ 6 Au-delà de SERENA... À lire ....................................... 7 La sélection web................... 7 L’agenda des SE ............. 8 Serena Info est réalisé grâce au soutien de l’Agence nationale de la recherche (ANR) Très bonne lecture pour ce troisième numéro. Serena Info est également disponible en anglais et en espagnol. www.serena-anr.org Info Services environnementaux et usages de l’espace rural Numéro 3 • Mai 2012 SERENA Info-3.indd 1 08/06/12 08:51

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Éditorial

En cette année 2012, le programme SERENA finalise son analyse des dispositifs d’action publique en lien avec les services écosystémiques (SE). Rappelons que le programme

se décline en trois temps : l’analyse historique du concept et de sa diffusion autant dans les sphères scientifiques que politiques ; l’étude de sa mise en œuvre dans des dispositifs d’action publique (et privée) et le retour sur les politiques publiques qu’un tel concept peut engendrer, notamment au niveau des politiques de conservation, agricoles voire d’aménagement du territoire. Dans le cadre de l’analyse des dispositifs, les aires protégées et la certification environne-mentale ont fait l’objet d’études poussées durant l’année 2011 ; faisant suite à celles menées en 2010 sur les PSE et les MAET. Le bilan est double. D’une part, nos travaux montrent que tout en étant des dispositifs largement antérieurs à la montée en puissance du concept de service écosystémique, ce dernier permet à leurs promoteurs de légitimer leurs actions. Ainsi, les conservationnistes recourent aux SE pour justifier l’importance de la conservation voire le financement des aires protégées. D’autre part, les chercheurs du programme ont mis en évidence l’émergence de nouvelles thématiques autour des SE, comme par exemple le recours à la géomatique pour l’identification des zones prioritaires de conservation en fonction des services écosystémiques rendus (voir le projet Aries de l’équipe de R. Costanza par exemple). L’utilisation de ce concept à des fins de sensibilisation des firmes de leur dépendance aux services écosysté-miques est également une tendance majeure qu’il apparait pertinent de croiser avec la montée en puissance des mécanismes innovants de finance internatio-nale… Toutes ces initiatives récentes rendent d’autant plus significatif le retour vers les politiques publiques. Est-ce que ce concept induit des changements dans la manière de concevoir et de mettre en œuvre les politiques de conser-vation, agricole et d’aménagement du territoire, au-delà des expériences pilotes qui jalonnent les différents pays étudiés (France, Costa Rica, Madagascar et dans une moindre mesure les États-Unis, le Brésil et le Cambodge) ? Quels sont les acteurs et réseaux impliqués ? Quelles dynamiques institution-nelles, quelles idéologies sous-jacentes sont actuellement à l’œuvre à ce sujet ? Bref, autant de sujets passionnants pour 2012, date rappelons-le majeure pour le renouvellement de la politique agricole commune et la poursuite des négociations sur le climat.Cette troisième lettre de SERENA vous propose un point d’avancement du programme… Bonne lecture

Philippe Méral - IRD ([email protected]) et Denis Pesche - Cirad ([email protected])

1. Paiements pour services environnementaux2. Mesures agri-environnementales

territorialisées

Au sommaire

En Asie du sud-est, le

Cambodge expérimente

ses propres mécanismes

de paiement pour services

environnementaux ....... 2

Trois questions à...

Charles Rakotondrainibe .... 3

Émergence

de la notion de service

environnemental

en France....................... 4

Les services

écosystémiques : une

richesse renouvelable

pour la société

Entretien avec

Harold Mooney ................ 6

Au-delà de SERENA...

À lire .................................

...... 7

La sélection web ................... 7

L’agenda des SE .............8

Serena Info est réalisé grâce

au soutien

de l’Agence nationale

de la recherche (ANR)

Très bonne lecture pour

ce troisième numéro.

Serena Info est également

disponible en anglais et en

espagnol.

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www.serena-anr.org

infoS e r v i c e s e n v i r o n n e m e n t a u x e t u s a g e s d e l ’ e s p a c e r u r a l Numéro 3 • Mai 2012

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En Asie du sud-est, le Cambodge expérimente ses propres mécanismes de paiement pour services environnementaux Le Cambodge : des transformations socio-économiques rapides Petit pays, relativement peu peuplé (15 millions d’habitants) et jusqu’ici essentiellement rural (avec 75 % de la popula-tion vivant directement de l’agriculture et/ou de la pêche), le Cambodge connaît un développement économique parmi les plus forts de la région (PIB +10 % par an sur la période 2000-2008). Le gouvernement royal et les élites politiques sont aussi avides de transformations rapides et la société rurale traditionnelle y subit de profondes muta-tions. Enfin, le pays abrite une biodiversité remarquable par la présence de nombreux « hotspots » comme le massif des Cardamomes ou le bassin du bas Mékong.

La politique de conservation au CambodgeLa politique de conservation au Cambodge est très récente (1993) et repose principalement sur une approche régle-mentaire avec la mise en place de 26 zones protégées couvrant plus de 18 % du pays. Le financement de cette politique repose essentiellement sur les contributions des bailleurs internationaux (195 millions de dollars pour 26 programmes de conservation en 2011).Les années récentes marquent une évolution de la manière dont la question de la conservation est appré-hendée et mise en débat dans le pays, notamment sous l’influence des acteurs internationaux (bailleurs, ONG). Elle se caractérise par trois principes :

mise à l’agenda politique et reconnaissance de la valeur des écosystèmes pour les services qu’ils rendent à la population ;

décentralisation de la gestion des problèmes environnementaux et responsabilisation des populations locales ;

volonté de favoriser les mécanismes dits « de marché » dont les dispositifs de paiements pour la fourniture de services environnementaux.

Le cas du massif (hotspot indo-birman) des Cardamomes illustre bien cette évolution. En effet, la stratégie nationale de conser-vation de ce massif forestier a d’abord consisté à déployer un vaste ensemble d’aires protégées (4 des 26 aires proté-gées du Cambodge) dans la partie cen-trale des Cardamomes sur plus de 400 000 hectares de forêt d’accès diffi-cile. Cette politique ne tenait pas suffi-samment compte des populations locales notamment migrantes et de

leurs intérêts en matière d’exploitation de la forêt. Par ailleurs, en raison des capacités limitées de l’administra-tion forestière à faire appliquer la réglementation en vigueur, de problèmes de sécurité et de corruption, la forêt des Cardamomes est sujette à des pratiques illé-gales de coupes de bois, de commerce d’animaux sau-vages et d’allocation des terres à des plantations de cultures commerciales comme de l’hévéa. Dans ce contexte plusieurs projets pilotes de rémunération des communautés locales pour leurs efforts de protection des écosystèmes ont été planifiés. Ainsi, par exemple, début 2011, l’Union européenne a lancé avec l’appui technique de l’ONG Fauna & Flaura International un programme expérimental qui propose de développer des schémas de PSE sur deux sites de production d’hy-droélectricité situés au cœur du massif. Son objectif est de garantir des modes d’usage des terres en amont des ouvrages conformes aux contraintes de la production hydroélectrique. L’objet du projet est de tester, à une échelle réduite, l’opérationnalité du mécanisme de rémunération mis en place, sa faisabilité et son effica-cité. À terme il s’agit d’aller vers un financement du dis-positif par une contribution des bénéficiaires du service fourni, c’est-à-dire les concessionnaires des usines hydroélectriques.

PSE : vers un nouvel instrument de politique publique ? Les Cardamomes apparaissent aujourd’hui comme un terrain d’expérimentation pour étudier la faisabilité mais aussi l’efficacité de dispositifs de PSE en complément de la politique historique des aires protégées. En aucun cas, il ne s’agit de substituer un instrument à un autre mais de chercher à mieux concilier intérêts individuels privés et objectif général de conservation de l’écosystème.Il est indéniable que les notions de service écosystémique et de paiement pour service rendu participent d’une nou-velle rhétorique contribuant aujourd’hui à la réflexion et à l’évolution du débat public sur les pratiques de conser-vation au Cambodge. Pour autant, la diffusion de ces notions est encore limitée et l’opérationnalisation demeure essentiellement au stade de projets pilotes ou de stratégies de « niches » destinées à drainer de nou-velles sources de financement. Le processus est récent, moins de 10 années, et ces approches émergentes doivent encore être rendues compatibles avec le cadre légal cambodgien. Nous assistons donc à un changement en « douceur » des institutions qui sied certainement aux traditions du pays « du sourire » !

Christophe Déprés

Pour en savoir plus...Payments for biodiversity conservation in the context of weak institutions: Comparison of three programs from Cambodiaby T. Clements, J. Ashish, K. Nielsen, D. An, S. Tan et J. Milner-Gulland (2010). Ecological Economics 69 (6): 1283-91

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Trois questions à... Charles RakotondrainibeDirecteur général adjoint de Madagascar National Parks. Anciennement dénommé “Association nationale pour la gestion des aires protégées (ANGAP)”, le Madagascar National Parks, créé au début de la mise en œuvre du plan national d’actions environnementales (PNAE) à Madagascar en 1990, est un organisme de droit privé, reconnu d’utilité publique, mandaté par le gouvernement pour gérer le réseau national de parcs nationaux et réserves de Madagascar.

Comment avez-vous intégré les services environnementaux (SE) dans la gestion du réseau des aires protégées ? Charles Rakotondrainibe : La définition du plan national d’actions environnementales en 1990 et la charte de l’environnement portent la focale sur la protection de la biodiver-sité, la gestion plus rationnelle de l’eau, du sol, si possible de l’air. Le concept de SE était là mais n’avait pas émergé de manière explicite. Au début des années 2000, la pro-blématique de la pérennisation financière était au centre des pré-occupations. Cela correspondait aussi à une dynamique mondiale, tout le monde se disait que l’ar-gent n’est pas toujours disponible donc il fallait trouver un moyen pour financer la conservation de la biodiversité . Outre la notion de fonds “ revolving ” (prin-cipe à la base de l’avènement de la Fondation malgache pour les aires protégées et la biodiversité), comme piste de financement durable du réseau des aires protégées, la valorisa-tion des SE rendus par les aires proté-gées était également explorée. Il y avait déjà l’écotourisme qui s’est développé progressivement tout au long de la mise en œuvre du PNAE. Une première réflexion portait sur l’eau, notamment par rapport à la société nationale de l’eau et d’électri-cité malgache (JIRAMA) qui bénéficiait des services hydrologiques rendus par certaines aires protégées. Progressive-ment, MNP a commandé différentes études pour explorer les possibilités par rapport à chaque service environ-nemental, notamment l’eau, le carbone,

l’écotourisme, la compensation des activités minières... Des sites poten-tiels sont étudiés pour faire l’objet d’un développement dans le futur. Pour le carbone, par exemple, nous avons participé à la rédaction du docu-ment RPP (préparation de la politique nationale REDD) et procédons à une identification préalable des sites qui présentent une certaine additionnalité. Ça s’arrête là pour le moment. C’est

encore au stade conceptuel, ce n’est pas encore très concret.

Donc pour vous la valorisation des SE ce serait plutôt dans une optique de financement que dans une optique pure de préservation des services ?C. R. : Les deux, c’est une question de discours, cela dépend de ce que l’on met en avant.Si on veut convaincre des partenaires financiers c’est plutôt l’optique finan-cement mais quand on est avec les politiques c’est clair que l’on utilise les deux, le financement et le développe-ment d’une manière ou d’une autre.N’étant pas un pur conservationniste,

je suis ouvert aux problé-matiques de développe-ment. Je considère qu’une aire protégée c’est unique-ment un instrument d’amé-nagement du territoire. Dans le temps c’est au pays de déci-der si un changement est nécessaire ; en tout cas c’est une richesse qu’on met là et à un moment donné s’il y a une ques-

tion qui se pose, il faut en discuter.

Qu’en est-il des perspec-tives de MNP à long terme ? C. R. : La pérennisation finan-cière est au centre de nos pré-occupations. Le plan straté-g ique a recommandé une diminution de la dépendance aux bailleurs. Actuellement le ratio est de 75/25 il faut que ça devienne 50/50 vers 2016. Par ailleurs, la structure de MNP va

être plus ou moins réduite avec des fonctions beaucoup plus ciblées vers les clients, en adoptant une approche entrepreneuriale.Pour cela, la valorisation des SE, notamment le tourisme (en examinant le consentement à payer des touristes) et le carbone, doit être renforcée un peu plus, sans oublier la recherche qui nous apporte une part non négligeable en terme de chiffre d’affaires. Une aire protégée peut être considérée comme un produit. Il s’agit d’une richesse qui doit générer de l’argent, permettant d’assurer sa gestion.

Propos recueillis parCécile Bidaud (IRD)

je ne suis pas un conservateur du type strict, ça ne m’intéresse pas. Je suis ouvert pour le développement, on le fait pour le développement. Je considère qu’une aire protégée c’est un instrument d’aménagement du territoire, c’est seulement ça.

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Émergence de la notion de service environnemental en France

La notion de service écosystémique est apparue tar-divement en France et provient clairement des arènes internationales. La notion est née dans l’uni-vers anglo-saxon et la France y est restée long-temps réticente. Le premier coup d’accélérateur est apparu vers 2005 avec la publication du rapport du Millennium Ecosystem Assessment (MEA) et avec la prise de conscience par les autorités françaises du retard de la France dans le domaine des ser-vices écosystémiques. La notion s’est alors diffu-sée, d’abord dans les milieux scientifiques et dans les cercles liés aux négociations internatio-nales (notamment celles liées au changement climatique et à la biodiversité). Ensuite, l’intérêt pour la notion s’est renforcé en 2008-2009, accélération dont témoigne notamment la publication de deux rapports : l’expertise collective de l’INRA sur les rap-ports entre agriculture et biodiversité (2008) et le rapport du Centre d’Analyse Stratégique (CAS) sur l’évaluation des ser-vices rendus par les écosystèmes (2009). Cette accentuation du poids des services écosystémiques dans le contexte français s’inscrit dans le cadre de la réflexion sur la biodiversité et le développement durable engagé par le Grenelle de l’En-

vironnement, qui a débouché notamment sur la création de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB). La perspective de renégociation de la Politique agricole com-mune (PAC) et son verdissement ont également contribué à élargir l’attrait de la notion de service environnemental (et de leur rémunération) et pas seulement au sein des ministères de l’agriculture et de l’environnement. Les organisations pro-fessionnelles agricoles ont une perception variée de la notion de service environnemental : certains acteurs évoquent une “contrainte supplémentaire pour la production agricole”, alors que d’autres y voient de “ nouveaux marchés à conqué-rir ”, en lien avec la labellisation des produits, le recyclage des déchets verts ou encore le carbone. Il ressort globalement un refus de remettre en cause les modèles dominants de sys-tèmes agricoles. Les organisations professionnelles agricoles voient cependant un intérêt dans la notion de service envi-ronnemental dans l’optique d’un repositionnement des aides agricoles post-2013. L’Union européenne a représenté un moteur puissant pour l’intégration de la notion de service environnemental en France. La PAC a ainsi fortement contri-bué à l’ouverture d’une fenêtre d’opportunité pour les ser-vices environnementaux, d’abord en introduisant la notion d’environnement au sein des politiques agricoles (1992), puis en mettant en œuvre une logique de compensation des sur-coûts liés à des pratiques agricoles respectueuses de l’envi-ronnement à travers les programmes agri-environnemen-taux. Leur déclinaison française s’est concrétisée par la

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Paris

Tech

L’émergence en France de la notion de SE, est assez tardive comparée à celle constatée dans d’autres pays, le Costa Rica par exemple. Dans le contexte français, l’acronyme « SE » englobe les services environnementaux et les services écosystémiques, et procède de deux entrées principales : l’une relève des services

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Émergence de la notion de service environnemental en France

signature de mesures agri-environnementales (MAE), dis-positifs de contractualisation par lesquels les agriculteurs ont pu volontairement s’engager à mettre en œuvre des pratiques plus respectueuses de l’environnement en échange d’un paiement compensatoire. Ces politiques inci-tatives ont ensuite été complétées par l’introduction d’une éco-conditionnalité des aides (inscrite dans la PAC à partir de 2003-2004) qui consiste à établir un lien entre le verse-ment des aides “ directes ” du premier pilier de la PAC et le respect de certaines pratiques minimales contribuant à la qualité de l’environnement.

On assiste également à la montée en puissance du thème des services écosystémiques au sein du monde de l’entre-prise. Certaines grandes entreprises semblent s’être saisies de la notion dès 2004-2005, comme un instrument intéres-sant pour la mise en œuvre de leur stratégie environne-mentale. Elles constituent à ce titre l’un des acteurs moteurs de la diffusion de la notion en France. Certains secteurs sont particulièrement actifs sur la question (cosmétiques, aménagement, transport, services aux collectivités).

De la même manière, les SE renouvellent le regard porté par les organisations non gouvernementales (ONG) sur l’envi-ronnement. En effet, l’approche par les SE permet de dépas-ser les approches en termes d’actifs naturels, qui étaient au cœur de la vision défendue par les ONG jusque là. Cepen-dant, les représentants des ONG rencontrés insistent sur les limites et les dérives de cette approche : le système de com-pensation que les SE suggèrent, peuvent, aux yeux des ONG, dédouaner les pollueurs de leur responsabilités. En fait, les grandes ONG environnementales semblent occuper une position d’interface entre pouvoirs publics, recherche et entreprises. Leurs multiples positions au sein de la plupart des instances traitant de la notion de service écosystémique au sens large (FRB notamment) leur confère un rôle essen-tiel dans la diffusion de la notion.

Finalement, la notion de SE dépasse les clivages existant sou-vent entre agriculture et environnement en France. Les ins-tances qui soutiennent cette approche trans-sectorielle de la question environnementale (ONG notamment) jouent ainsi un rôle crucial dans la diffusion mais surtout dans la lente sta-bilisation du concept de SE en France. La notion de SE trouve aujourd’hui un assez large écho en France et est mobilisée par des acteurs très divers, aux objectifs eux-mêmes variés et parfois contradictoires. Des dispositifs publics émergent en lien avec les services écosys-témiques ou avec les paiements pour services environne-mentaux. Il semble toutefois que la notion de SE rencontre un large écho parce qu’elle permet justement de réunir des

acteurs très différents autour de la question de l’envi-ronnement et de la biodiversité. Elle suscite l’intérêt dans le sens où elle suggère que des écosystèmes et des acteurs en charge de certains de ces écosystèmes (les terres agricoles et forestières) rendent des services à la collectivité. Mais en parallèle sa faible assise théorique favorise les incompréhensions. Cette notion « auberge espagnole » où chaque acteur semble intégrer à la défini-tion ce qu’il souhaite y trouver, pourrait susciter des désil-lusions si un travail d’approfondissement conceptuel et de clarification n’était pas conduit.

Pour l’équipe SERENA France : O. Aznar, M. Décamps, C. Maury.

écosystémiques et des dispositifs associés, dans la filiation du Millennium Ecosystem Assessment. L’autre renvoie aux paiements pour services environnementaux rendus par des acteurs, et est centrée sur les agriculteurs et forestiers, dans la filiation des mesures agri-environnementales du second pilier de la Politique agricole commune de l’Union Européenne.

Atelier sur les services écosystémiques, les parcs et les labels à Clermont FerrandL’atelier a eu lieu du lundi 5 au vendredi 9 décembre 2011 dans les locaux de l’UMR Métafort campus des Cézeaux (Clermont-Ferrand, France). Il s’agissait de l’atelier annuel du projet ANR Serena. L’ate-lier a permis de montrer l’état des recherches sur les liens entre ser-vices écosystémiques et aires protégées, ainsi qu’entre services éco-systémiques et certification environnementale.Au total, 34 personnes ont participé à l’atelier. Certains participants venaient du monde de la recherche : du Cirad, de l’IRD, d’Irstea-Cemagref, de VetagroSup, d’AgroParisTech, de l’université d’Anta-nanarivo, de l’INRA, de l’université Montpellier 3, du CNRS, de l’uni-versité de Versailles St Quentin en Yvelines, de l’université nationale du Costa Rica, ainsi que de l’université royale d’agriculture du Cam-bodge. D’autres venaient du monde du développement durable : fédération des parcs naturels régionaux de France, Parc naturel ré-gional du Vercors, Rain Forest Alliance Costa Rica.

Contact : [email protected] et [email protected] Un compte rendu de la réunion sera téléchargeable très prochainement sur le site Serena : www.serena-anr.org

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Les services écosystémiques : une richesse renouvelable pour la sociétéEntretien avec Harold Mooney Harold Mooney, professeur de biologie à Standford, a participé activement au Millennium Ecosystem Assessment (MEA) et présidé jusqu’en 2011 le comité scientifique de Diversitas.Pourriez-vous nous parler en quelques mots de la naissance du Millennium Ecosystem Assessment (MA) ?Harold Mooney : En 1995, une évaluation globale de la biodiversité est réalisée (GBA) pour la communauté scientifique. L’absence de reconnaissance de la GBA par les politiques a été une réelle déception. Il y avait un fort sentiment que quelque chose d’équivalent au GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), une évaluation permanente du changement climatique, était nécessaire pour la diversité biologique.Tirant les leçons de l’échec politique de la GBA, un nouveau processus d’évaluation (le MEA) a été créé, conçu sur la notion de service écosystémique. Mais le plus important, c’est que la gouvernance de l’évaluation, à travers un conseil multipartite, n’était pas seulement le fait des scientifiques mais associait des ONG, des industriels et les gouvernements par le biais des représentants des conventions relatives à la diversité, tels que la CDB (Convention sur la diversité biologique).

Quel a été le rôle du concept de service écosystémique (SE) ? Peut-on parler d’un consensus à l’égard de cette nouvelle approche ?H. M. : Le concept de service écosystémique a permis de relier entre elles différentes com-munautés telles que celles des écologistes, du développement et du monde des affaires, les organismes gou-vernementaux et intergouvernementaux, les décideurs, etc. Certains écologues traditionnels estiment néanmoins que la notion de service écosysté-mique néglige les préoccupations d’ordre éthique pour la protection de la nature. Ce n’est pas le cas puisque les services dits culturels util isés dans le MEA intègrent clairement la protection de notre patrimoine culturel qui comprend aussi notre monde vivant environnant. Pour moi, le concept de SE est un point

de vue qui permet une large représentation de la société autour de la table. C’est un plus énorme !

Quels sont les défis aujourd’hui pour traduire cette notion de SE dans les politiques ?H. M. : Ce qui nous manque toujours est une mesure systé-matique de ce qu’apportent les services écosystémiques à travers le temps et une évaluation des conséquences de toutes les pertes qui peuvent arriver. Nous avons maintenant deux nouvelles initiatives qui permettront d’atteindre ces objectifs. La première est la nouvelle plate-forme intergou-vernementale pour la biodiversité et les services écosysté-miques (IPBES), comparables à celle du GIEC, et qui servira à l’évaluation périodique des résultats de la science, et l’autre est GEO-BON, un système d’observation qui est conçu pour suivre l’état de la biodiversité à l’échelle mondiale, y compris les services écosystémiques. Ces deux initiatives bénéficient d’un soutien direct des organisations internationales inter-gouvernementales, contrairement à la GBA.

Les décideurs politiques de plusieurs organismes dans les domaines de l’agriculture, de la foresterie et de l’environ-nement utilisent maintenant le concept de service écosys-témique dans leur planification et leurs recherches. Nous

avons encore besoin de plus d’outils pour rendre ce concept plus opérationnel. Il y en a déjà beaucoup de disponibles dès maintenant et d’autres sont à venir. Nous pouvons maintenant cartographier la fourniture des services écosystémiques en re lat ion aux paysages par exemple. Ce qui est très impor-

tant aujourd’hui est d’intégrer les services écosysté-miques dans les systèmes de comptabilité nationale et d’estimation des richesses d’un pays. Notre tâche princi-pale est de répandre l’idée que les services écosysté-miques constituent une richesse renouvelable pour la société, aussi bien en termes économiques que non éco-nomiques. Cela permettra d’engager leur protection plu-tôt que d’en voir l’épuisement à court terme.

Entretien mené et traduit par Denis Pesche UMR ART-Dev

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« Pour moi, le concept de SE est un point de vue qui permet une large représentation de la société autour de la table. C’est un plus énorme ! ».

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À lireecosystem services from Agriculture And forestry. meAsurement And pAymentBruno Rapidel, Fabrice DeClerk, Jean-François Le Coq et John Beer (dir.)Face aux enjeux de perte de la biodiversité et du changement climatique, les systèmes agricoles ne peuvent plus être évalués uniquement sur la base de la nourriture qu’ils fournissent, mais aussi sur leur capacité à préserver l’environnement. En outre, il s’agit de mettre en place de nouveaux instruments qui visent à encourager et promouvoir des pratiques durables par le biais d’incitations financières. Les auteurs montrent que si ces principes sont simples, la pratique est beaucoup plus compliquée. Les deux premiers chapitres du livre présentent des problèmes méthodologiques liés à la quantification et à la commercialisation des services écosystémiques de l’agriculture, y compris l’agroforesterie. La dernière partie expose des études de cas de mise en pratique de paiements pour services écosystémiques en Amérique latine et tire quelques leçons pour un développement durable et efficace de ces mécanismes.

Un numéro spécial de Development anD Change : un regard critique sur la marchandisation de la natureDevelopment and Change, Forum 2012, Vol 43, Issue 1Ce numéro spécial comporte un ensemble de contributions adoptant un regard critique sur différents proces-sus de marchandisation de la nature. L’article de McDonald et Colson sur le TEEB (TEEB Begins Now’: A Virtual Mo-ment in the Production of Natural Capital ) en est un exemple : L’objet de cet article est un regard critique sur le TEEB et notamment quant à la quantification de la valeur des écosystèmes et de la diversité biologique, qui selon les auteurs repose sur une réduction de la complexité écolo-gique à des catégories idéalisées par le TEEB (notamment les mécanismes de marché) en oubliant la complexité des contextes sociaux, écologiques, culturels…Les auteurs soutiennent que la rhétorique TEEB (axée notamment sur des notions de crise et de valeur) met en ligne le capitalisme avec une nouvelle sorte de modernisation écologique dans laquelle ‘le marché’ et les artifices du marché servent de mécanismes clés.Ce faisant ils soulignent l’importance des réunions internationales, points clés, où les différentes conceptions de la protection de la diversité biologique émergent, circulent et sont négociées. Dans ces lieux, les acteurs sont « reliés » par ces modèles conceptuels et ils cherchent souvent à faire coller le réel à ces modèles, comme c’est le cas dans la logique d’opérationnalisation de la notion de « capital naturel ».

www.fsd.nl/espThe Ecosystem Services Partnership ESP lancé par le Gund Institute for Ecological Economics (University of Vermont, USA), cette initiative a pour but de créer un réseau d’individus et d’organisations autour des SE en encourageant la diversité des approches.

Ce réseau est jeune et son site encore en construction mais on y trouve néanmoins outre des liens intéressants, des études de cas, un accès à des bases de données en lien avec les SE, des contacts potentiels et un agenda assez complet. http://environment.yale.edu/teeb

Le TEEB à YaleComme si vous y étiez (ou presque) ! Des interventions filmées sur les fondamentaux de l’évaluation des SE, la dynamique des interactions hommes/écosystèmes, leurs impacts sur les communautés locales, les politiques sub-nationales, nationales et les accords internationaux… Autant de thèmes développés par des chercheurs et experts du TEEB qui ont fait équipe pour un cours à Yale en 2011.

À noter également un classement des interventions par public « pour les citoyens, les politiques, les milieux d’affaires… ».

lA sélection WeB

Au-delÀ de serenA...

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Responsables de la publication : Philippe MÉRAL (IRD), Denis PEsChE (CIRAD)Coordination de la lettre d’info n°3 : Caroline MAURY (Irstea). Mise en page Laurent CORSINI (IRD/AIRD)SERENA - Ph. Méral - 911, avenue Agropolis - BP 64501 - F-34394 Montpellier cedex 5 - FranceTél. +33 (0)4 67 63 69 78 - Fax +33 (0)4 67 63 87 78Contact : [email protected] couverture : M.-N. Favier, J.-P. Rolland, M. Jégu, T. Joet, J. Clément, © IRD, © CEMAGREF.Publication gratuite - reProduction autorisée à condition exPresse de mentionner la source.

À découvrir et l’AgendA des seteeB conference 2012 :

mAinstreAming the economics of nAture: chAllenges for science And implementAtionLeipzig19-22 mars 2012Le thème central de cette conférence concerne l’intégration des coûts et avantages de la nature dans les instruments de décision, à l’interface entre la science et le politique.Cette conférence encourage les contributions qui vont au-delà des techniques et méthodes d’évaluation mais explorent plutôt leur usage en situations concrètes.Parmi les thèmes de cette conférence plusieurs sessions concernent les SE (liste non exhaustive) : Évaluation participative des SE, partenariat et SE, Évaluation des SE et prise de décision au niveau local, SE et genre, ou encore une session intitulée « Nature en ville : SE, planification territoriale et développement urbain » qui ques-tionne le lien entre décision locale et processus globaux notamment en soulignant le rôle spécifique des contextes locaux lors de l’application des instruments propres aux SE.• Renseignements : http://www.teeb-conference-2012.ufz.de/

henvi science dAys 2012rethinking urBAn sustAinABility – ecosystem services As treAsures for the future Université d’Helsinki16 -18 avril 2012Le concept de SE fournit selon les organisateurs de ces journées une approche holistique et intégrative pour la planification et l’administration urbaines. Les « Sciences Days » aborderont le concept de service écosystémique dans le contexte de développement urbain durable, en interrogeant sa faculté à améliorer l’in-terface science-politique et à soutenir le dialogue entre science et société.• Renseignements : http://www.helsinki.fi/henvi/societalinteraction/Scienceday2012.htm

séminAire politicAl ecology et services écosystémiques en milieu forestier tropicAlÉcole doctorale du Muséum national d’histoire naturelle, ParisDu 20 au 26 avril 2012Ce séminaire organisé dans le cadre du projet ANR « Approches géogra-phiques des services écosysté-miques » (AGES) cf Lettre Serena N°2• Renseignements et programme : [email protected] et [email protected]

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Ecosystem services and rural land uses

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