Travail salarié, travail domestique, travail au noir : l’économie domestique à l’épreuve de...

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Sociologie du travail 54 (2012) 297–316 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Travail salarié, travail domestique, travail au noir : l’économie domestique à l’épreuve de l’accession à la propriété Work for wages, work in the household, undeclared work: The household economy put to the test of home ownership Anne Lambert Centre Maurice Halbwachs, École normale supérieure, École des hautes études en sciences sociales, 48, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France Résumé Cet article, issu d’une enquête ethnographique menée dans un lotissement récent d’une commune péri- urbaine de l’est lyonnais, vise à saisir les effets de l’accession à la propriété pavillonnaire sur le rapport au travail salarié et au travail domestique des conjoints. Ainsi, en dépit de son poids économique, la maison peut constituer une ressource familiale et professionnelle pour les ménages modestes dans un contexte de précarisation de l’emploi salarié. C’est notamment le cas pour les femmes peu qualifiées qui « choisissent » de se spécialiser dans la garde d’enfants, déclarée ou non. Pour autant, l’accession contribue souvent à ren- forcer la division du travail entre hommes et femmes. Les modes d’articulation des sphères professionnelle et domestique dépendent en outre du niveau de ressources financières et sociales des ménages, ainsi que de la distance aux réseaux familiaux d’entraide et d’échange. © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Accession à la propriété ; Périurbain ; Économie domestique ; Travail salarié ; Travail au noir ; Genre Abstract A survey conducted in a recent housing development located in an exurban township to the east of Lyon, France, investigated how owning a house affects the work for wages and work in the household of each person in a couple. Though an economic burden, a house can represent a family and occupational resource for low-income households in a context where wage earning is precarious. This is especially true for women with few skills who “choose” to specialize in day-care work, whether declared or not. Home ownership often reinforces the division of labor between men and women. The articulation of the occupational and Adresse e-mail : [email protected] 0038-0296/$ see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2012.06.004

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Sociologie du travail 54 (2012) 297–316

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Travail salarié, travail domestique, travail au noir :l’économie domestique à l’épreuve de l’accession à la

propriété

Work for wages, work in the household, undeclared work: The householdeconomy put to the test of home ownership

Anne LambertCentre Maurice Halbwachs, École normale supérieure, École des hautes études en sciences sociales,

48, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France

Résumé

Cet article, issu d’une enquête ethnographique menée dans un lotissement récent d’une commune péri-urbaine de l’est lyonnais, vise à saisir les effets de l’accession à la propriété pavillonnaire sur le rapport autravail salarié et au travail domestique des conjoints. Ainsi, en dépit de son poids économique, la maisonpeut constituer une ressource familiale et professionnelle pour les ménages modestes dans un contexte deprécarisation de l’emploi salarié. C’est notamment le cas pour les femmes peu qualifiées qui « choisissent »de se spécialiser dans la garde d’enfants, déclarée ou non. Pour autant, l’accession contribue souvent à ren-forcer la division du travail entre hommes et femmes. Les modes d’articulation des sphères professionnelleet domestique dépendent en outre du niveau de ressources financières et sociales des ménages, ainsi que dela distance aux réseaux familiaux d’entraide et d’échange.© 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.

Mots clés : Accession à la propriété ; Périurbain ; Économie domestique ; Travail salarié ; Travail au noir ; Genre

Abstract

A survey conducted in a recent housing development located in an exurban township to the east of Lyon,France, investigated how owning a house affects the work for wages and work in the household of eachperson in a couple. Though an economic burden, a house can represent a family and occupational resourcefor low-income households in a context where wage earning is precarious. This is especially true for womenwith few skills who “choose” to specialize in day-care work, whether declared or not. Home ownershipoften reinforces the division of labor between men and women. The articulation of the occupational and

Adresse e-mail : [email protected]

0038-0296/$ – see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2012.06.004

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household spheres also depends on the household’s financial and social resources and on the distance fromfamily networks of exchange and support.© 2012 Published by Elsevier Masson SAS.

Keywords: Home ownership; Exurbia; Household economy; Work for wages; Undeclared work; Gender; France

En France, les politiques d’encouragement à l’accession à la propriété conjuguées à la haussedes prix immobiliers dans les centres urbains ont renforcé l’attrait de la construction neuve dansle périurbain lointain pour les familles modestes et les jeunes ménages (Berger, 2004 ; Briant,2010)1. Devant l’envolée du marché immobilier sans lien avec la progression des salaires, unegrande partie de ces nouveaux accédants recourt à des crédits de plus en plus longs, entre 20 et30 ans, pour financer l’acquisition du nouveau logement. La maison induit aussi de nombreusesdépenses annexes, qui ne sont pas toujours prévues dans le budget initial : des dépenses conjonc-turelles liées à l’aménagement de la maison et du cadre bâti, et des dépenses structurelles liéesà son fonctionnement, à la mobilité quotidienne des conjoints, à l’arrivée et la prise en chargedes enfants, à la modification du système d’imposition locale, etc. S’inscrivant dans une mobili-sation familiale — matérielle et morale — de long terme (Cuturello et Godard, 1982), la mobilitérésidentielle génère donc en retour un processus d’adaptation de l’économie domestique afin defaire face à la nouvelle pression budgétaire. Véritable système de « production, de répartition etde circulation des biens et des services [qui existe] hors du marché et des institutions » (Gramainet al., 2005), l’économie domestique se trouve en effet fortement bouleversée par l’achat d’unpavillon dans une commune périurbaine.

Notre article ne prend pas pour objet le montage financier de l’acquisition de la maison et larelation bancaire (négociation des conditions d’emprunt, interactions avec les banquiers, etc.2), niles stratégies d’autoconstruction partielle ou totale du logement, qui sont par ailleurs bien connues(Cuturello et Godard, 1982 ; Topalov, 1987 ; Weber, 1989 ; Gollac, 2011). Il n’envisage pas nonplus le processus de formation du choix résidentiel qui préside à l’achat immobilier3. Notrearticle entend plutôt revenir sur les changements structurels qui affectent, à sa suite, l’économiedomestique dans ses aspects les plus pratiques et quotidiens, au regard notamment de la situationd’emploi respective des conjoints et du rapport au travail domestique4. Si le ménage5 apparaît aupremier abord comme l’échelle d’observation pertinente (l’achat du pavillon étant financé par lesressources propres du couple en vue de l’occupation par la famille nucléaire), nous montreronsaussi le rôle de la famille élargie et de son ancrage local dans l’organisation de l’économiedomestique, à la suite des travaux d’ethnographie économique (Dufy et Weber, 2007). L’enjeu

1 Je tiens à remercier tout particulièrement Stéphane Beaud, Catherine Marry ainsi que Sarah Abdelnour pour leurrelecture attentive de ce texte et leurs remarques avisées. Je remercie également les évaluateurs de la revue Sociologie dutravail.

2 Voir à cet égard l’ouvrage de Jeanne Lazarus, L’épreuve de l’argent, Banques, banquiers, clients, Paris, Calman-Lévy,2012, qui porte principalement sur le crédit à la consommation et les effets du système d’évaluation du risque bancaire,au travers de procédures informatiques (le scoring).

3 Le lecteur pourra se reporter sur ce point à l’ouvrage de J.-Y. Authier, C. Bonvalet et J.-P. Lévy (Eds.), Élire domicile.La construction sociale des choix résidentiels, PUL, Lyon, 2010.

4 « Le travail domestique est alors défini par contraste avec le travail rémunéré, parfois pénible mais dont la contrepartieest le salaire, et avec le loisir, où l’usage du temps est librement choisi » (Roy, 2011).

5 L’Insee définit le ménage comme « l’ensemble des personnes (apparentées ou non) qui partagent de manière habituelleun même logement (que celui-ci soit ou non leur résidence principale) et qui ont un budget en commun ».

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est bien au final d’interroger la diversité des liens qui existent entre les trajectoires résidentielle,professionnelle et familiale de ménages qui accèdent à un même statut résidentiel (propriétédu logement) et à un même type de bien immobilier (des maisons sur catalogue situées dans deslotissements périurbains), mais qui mobilisent des ressources sociales très différentes (matérielles,symboliques, familiales, etc.) : si certains ménages s’en sortent apparemment mieux que d’autresface à la nouvelle contrainte économique à laquelle ils sont confrontés en raison de niveaux derevenus supérieurs, d’autres familles ayant des niveaux d’endettement équivalents ont des modesd’organisation domestique très différents.

L’enquête ethnographique que nous avons réalisée dans un lotissement d’une commune péri-urbaine populaire de l’est lyonnais, auprès d’une quarantaine de ménages ayant récemment faitconstruire leur maison6, et appartenant, soit aux classes populaires (ouvriers et employés), soit auxprofessions intermédiaires, montre tout d’abord que le coût d’ajustement au nouveau logementpèse plus fortement — mais pas uniquement — sur les femmes. Si Peter Willmott et MickaelYoung (1957) mettaient en avant le coût psychologique et affectif de l’isolement des femmesrécemment installées dans les nouveaux quartiers pavillonnaires de la banlieue londonienne (leshommes supportant davantage le coût financier), notre enquête entend revenir sur les consé-quences économiques et matérielles de la mobilité résidentielle, en particulier ses effets sur lerapport au travail salarié et domestique des conjoints7. Alors que la bi-activité est devenue unecondition quasi nécessaire à la souscription d’un crédit immobilier par les ménages modestes8,l’emploi féminin constitue en effet bien souvent la principale variable d’ajustement. Toutefois, leseffets apparaissent nettement différenciés d’un groupe social d’accédants à l’autre. En particulier,le niveau respectif de qualification des conjoints, le type de mobilité résidentielle ou encore lacomposition du ménage et sa position dans le cycle de vie jouent un rôle déterminant.

Mais l’enquête montre aussi que la maison achetée à crédit peut devenir une ressource matérielleet professionnelle, même relative, pour certains ménages. En effet, malgré la contrainte budgétairequ’elle implique, la maison peut constituer le support de nouvelles activités productives dansun contexte de précarisation de l’emploi salarié. C’est particulièrement le cas des femmes peuqualifiées qui « choisissent » de se spécialiser dans le travail domestique et la garde d’enfants,au noir (en tant que nourrice) ou déclaré (en tant qu’assistante maternelle). Après avoir rappeléles conditions sociales et les modalités d’entrée dans la « carrière » d’assistante maternelle, nousmontrerons ainsi dans la deuxième partie de cet article que cette nouvelle situation reste toutefoisprécaire du point de vue des revenus, des conditions de travail comme du statut social. Enfin, auniveau de la famille élargie, la maison peut permettre la mutualisation des services de garde et lacirculation des ressources entre membres de la parenté, évitant notamment d’externaliser le travaildomestique. Cette mutualisation peut être temporaire (vacances scolaires ou temps extrascolaire)ou durable dans le cas de ménages adultes re-cohabitants — une situation qui concerne au premierplan les mères séparées peu diplômées. Au final, la diversité des usages sociaux du pavillon (dansun cadre professionnel et/ou familial), étroitement liée aux ressources des ménages et à leurs

6 D’autres entretiens ont été réalisés dans des lotissements construits dans les années 1970, afin de « mesurer » les effetsde génération et comparer les conditions d’accession.

7 Le contexte socio-économique et institutionnel a nettement évolué depuis l’enquête de P. Willmott et M. Young, enparticulier avec la très nette progression du taux d’emploi des femmes. En outre, l’étude Willmott et Young porte sur uncontexte de mobilité résidentielle sans changement de statut d’occupation du logement (il s’agit de locataires).

8 L’enquête nationale sur le logement de l’Insee montre que, en 2006, 64 % des acquéreurs récents de maison neuveappartiennent à des ménages bi-actifs. Ce taux est maximal dans les ménages où la personne de référence est ouvrière.En comparaison, la part des ménages bi-actifs en France métropolitaine est d’environ 27 %.

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trajectoires, permet de nuancer l’image misérabiliste qui pèse habituellement sur les accédantsmodestes des zones périurbaines et pavillonnaires (Magri, 2008).

Méthode et terrain d’enquêteL’enquête de terrain a été effectuée dans une commune périurbaine et populaire située à

35 km à l’est de Lyon. Proche de plusieurs sites industriels et séparée de Lyon par l’aéroportSaint-Exupéry, la commune a connu une forte croissance démographique à partir des années19709, qui s’est accompagnée du développement de nombreux lotissements pavillonnaires.À cet égard, elle apparaît représentative de la vague de périurbanisation qu’a connue laFrance au cours des années 1970. Aujourd’hui, l’urbanisation de la commune est impo-sée par la Directive territoriale d’aménagement (DTA) de l’aire métropolitaine lyonnaise,afin d’organiser le desserrement de l’agglomération. Le lotissement principal dans lequelont été menés entretiens ethnographiques et observations est l’une des trois principalesopérations d’urbanisme réalisées par la municipalité depuis les années 2000. Il s’agit d’unlotissement de 65 lots commencé en 2007 dans le cadre d’une zone d’aménagement concerté(ZAC) — opération qui contraint le lotisseur à des aménagements et participations finan-cières. Réalisé par tranches, il a d’abord attiré des jeunes ménages lyonnais et, après lacrise de 2008 et la difficile commercialisation des lots qui s’en est suivie, des ménages demilieux populaires issus de la proche banlieue lyonnaise ou du bourg industriel voisin. Lescontraintes architecturales ont en effet été relâchées et des dispositifs d’aide à l’accession(de type Pass foncier) ont été mis en place par les élus locaux, favorisant l’accession deménages plus modestes.

Outre le dépouillement d’archives municipales et l’exploitation de données du recen-sement, nous avons effectué des entretiens avec des élus locaux et une quarantaine deménages du lotissement10. Les entretiens approfondis, réalisés au domicile des enquêtés,visent à reconstituer les trajectoires résidentielle, professionnelle et familiale des ménageset à rendre compte de leurs modes d’organisation domestique. La plupart des entretiens ontété réalisés avec les femmes ou en couple, ce qui peut s’expliquer par le sexe de l’enquêtricemais aussi parce que l’espace domestique continue d’apparaître comme un espace fémininpar excellence. Les entretiens réalisés avec les hommes seuls sont plus rares ; ils nous ontpermis d’éclairer ou de contrebalancer le point de vue des femmes. Enfin, entretiens etobservations se sont révélés complémentaires : alors que les premiers permettent de réins-crire l’achat du pavillon dans le temps biographique long, les secondes donnent à voir lesusages que les ménages font de leur logement.

On peut dès lors distinguer trois types de ménages au sein du lotissement : les ménagesd’ouvriers bi-actifs, ancrés localement ; il s’agit essentiellement d’ouvriers qualifiés quitravaillent dans les usines métallurgiques, textiles ou agroalimentaires « du coin11 » et quisont fortement insérés dans des réseaux locaux et familiaux de sociabilité. Pour ces ménagesplus âgés que la moyenne et déjà constitués, la maison marque l’aboutissement de la trajec-toire résidentielle. Les autres ménages de classes populaires du lotissement sont issus desgrandes cités d’habitat social de la proche banlieue lyonnaise. Salariés d’exécution dans

9 La commune passe de 2454 habitants en 1968 à 5435 habitants en 2007.10 Toutefois, quelques ménages au profil atypique par rapport au reste du lotissement (retraités, chômeurs) ont refusé le

principe de l’entretien, ne permettant pas la constitution d’une population d’enquête exhaustive.11 L’expression fait ici référence à l’ouvrage de Nicolas Renahy, Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale, La

Découverte, Paris, 2005.

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le tertiaire et l’industrie, ils sont vendeurs, manutentionnaires, ouvriers dans les travauxpublics ou encore agents contractuels des collectivités territoriales (pour la Communautéurbaine de Lyon par exemple) ; ils sont aussi plus jeunes et moins qualifiés. La maisonconstitue une promotion résidentielle mais s’accompagne d’un éloignement considérabledes lieux de travail et de sociabilité. Au total, ces deux groupes d’habitants sont majoritairesau sein du lotissement ; ils se caractérisent par l’importance des ménages d’origine étran-gère, portugaise et algérienne notamment, mais aussi d’Afrique sub-saharienne et d’Asie duSud-Est. À leurs côtés, résident enfin des jeunes couples de professions intermédiaires ou decadres moyens, issus du centre de Lyon, sans enfant (ou avec des enfants en bas âge). Plusdiplômés mais d’origine sociale modeste, ils représentent les petites classes moyennes enascension et travaillent comme infirmiers, professeurs des écoles, éducateurs spécialisés ouencore agents commerciaux. La maison en lotissement périurbain ne constitue, à leurs yeux,qu’une étape résidentielle. Étant donnée leur sous-représentation au sein du lotissement,l’article accordera une plus grande place aux deux premières catégories de ménages.

1. La situation d’emploi comme variable d’ajustement : genre et milieu social

L’accession à la propriété en zone périurbaine a-t-elle un impact sur la division sexuelle dutravail au sein du couple, notamment sur le rapport au travail salarié des femmes qui ont aussihabituellement la charge des tâches domestiques et du soin aux enfants (Maruani, 1985 ; Delphy,1998 ; Bourdieu, 1998) ? Selon des études économétriques récentes, lorsque le taux d’effort12 desménages accédants dépasse 25 % de leurs revenus, les femmes ont en effet plus de chances d’êtreactives, toutes choses égales par ailleurs (Houdré, 2009). Toutefois, le niveau de revenu du conjoint,des prestations sociales ou encore du diplôme de la femme restent de puissants déterminants dutaux d’activité féminin : les femmes diplômées sont ainsi plus souvent actives que les autres maisla présence d’enfants en bas âge joue dans le sens contraire. D’autres recherches montrent que leschoix de localisation périurbaine et l’investissement sur la scène résidentielle qui en découle de lapart des ménages de classes moyennes (les « nouvelles classes moyennes salariées ») constituentune forme de compensation symbolique à une position professionnelle incertaine, sans pour autantengager de profondes modifications de l’économie domestique (Bidou, 1984 ; Benoît-Guilbot,1986 ; Debroux, 2011).

Interrogeant ces thèses de la « compensation financière et symbolique » du logement, notreenquête en zone périurbaine montre qu’il existe trois modes d’ajustement des carrières profession-nelles et résidentielles, selon la nature et le niveau de ressources des ménages et la configurationfamiliale. En effet, les logiques d’ajustement des ménages qui reposent sur des calculs écono-miques indigènes, prennent en compte différents éléments tels que le type de travail et le statutsocial, la composition familiale, la position dans le cycle de vie ou encore la distance géogra-phique au reste de la parenté. En particulier, les modalités de la production domestique et sesréorganisations successives reflètent non seulement le degré de la contrainte financière mais aussiles représentations morales de la famille et des échanges qui prévalent en son sein, qui sont socia-lement situées et constituent le produit d’expériences socialisatrices antérieures. Les différencesobservées dans les modes d’ajustement des pratiques domestiques renvoient plus largement àla diversité du peuplement des lotissements périurbains de l’est lyonnais, qui attirent des jeunescouples des centres villes proches, par leur mobilité sociale de faible ampleur, des « petits moyens »

12 Rapport entre la charge de remboursement liée à l’achat de la résidence principale et le revenu disponible du ménage.

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étudiés dans le contexte francilien (Cartier et al., 2008), mais aussi des ménages modestes issusdu parc HLM de banlieue ou encore des familles ouvrières stables et ancrées localement.

1.1. Les ouvriers « du coin » : les horaires décalés et le travail de nuit comme ressourcedomestique

Près du quart des nouveaux habitants du lotissement résidait précédemment dans le périmètrecommunal ou dans les environs, majoritairement dans le parc locatif privé et plus rarement dans lesecteur social. Pour ce groupe composé de ménages ouvriers bi-actifs, plus âgés que la moyenne,l’installation en pavillon ne constitue pas un éloignement significatif du lieu de travail (des usinesimplantées dans le secteur de Pont de Chéruy, de la plaine de l’Ain ou de la zone franche de l’Isled’Abeau13). Si l’économie domestique se trouve mise à l’épreuve, ce n’est donc pas tant du fait dela mobilité géographique de faible ampleur (il s’agit d’une mobilité de proximité), que de la haussede la pression budgétaire : les mensualités liées aux crédits immobiliers sont toujours plus élevéesque les loyers dont ils s’acquittaient précédemment. Quelques points communs se dégagent alorsde l’observation de ces familles, dans les modes d’organisation des échanges intrafamiliaux ;ceux-ci reflètent les spécificités du travail ouvrier (production en continu, organisation du travailen équipe, modalurité des horaires) mais aussi des modes d’organisation domestique propres auxmilieux populaires (Schwartz, 1990 ; Beaud et Pialoux, 1999).

En effet, la nouvelle organisation domestique repose en premier lieu sur les horaires de nuitet le travail décalé entre les conjoints. Le plus souvent, les femmes alternent grâce au systèmedes 2 × 8 le travail en matinée et en après-midi d’une semaine à l’autre tandis que les hommeseffectuent des horaires en 3 × 8, 2 × 12 (plage de 12 heures de travail consécutives) ou choisissentde travailler le week-end (« faire le SD », selon un enquêté). Mieux payées, les heures de nuitet le travail dominical remplissent une double fonction économique et pratique. Ils permettenttout d’abord d’arrondir les salaires par le sur-tarif appliqué (majoration d’environ 20 % du salairehoraire de base selon les conventions collectives et les accords d’entreprise), au côté des heuressupplémentaires régulièrement effectuées. Les ménages s’assurent ainsi des paies plus confor-tables (quoique irrégulières) qui permettent de financer les crédits immobiliers liés à l’achat de lamaison et les dépenses induites par son fonctionnement, parfois plus élevées que prévu, commela facture de chauffage électrique en hiver. Mais cette organisation temporelle est aussi particu-lièrement appréciée des femmes parce qu’elle favorise l’articulation entre travail salarié et travaildomestique et leur permet d’« exercer une activité professionnelle tout en maintenant la qualitédu service domestique qu’elles apportent à leur famille » : soins aux enfants, courses, ménages,etc. (Daune-Richard, 1984). Les hommes aussi disent apprécier cette organisation du travail car letemps libre dégagé en journée leur permet de bricoler et d’avancer dans les travaux d’aménagementde la maison, le pavillon étant souvent livré sans les finitions pour des raisons financières. Assu-rant la présence quasi permanente d’au moins l’un des conjoints au domicile, cette organisationévite en dernier ressort d’externaliser le travail domestique en recourant aux services marchandsde garde par exemple. Aussi, si la répartition des tâches domestiques demeure fortement genrée(courses, cuisine et ménage pour les femmes ; bricolage, jardinage et travaux d’aménagementpour les hommes), le soin aux enfants (accompagnement scolaire, suivi des devoirs, etc.) apparaîtdavantage partagé.

13 La périurbanisation de l’emploi industriel est liée à la pression foncière, mais aussi à la politique industrielle de l’Étatet aux stratégies patronales de gestion de la main d’œuvre (Girard, 2009).

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Ali, 52 ans, est dans cette situation. Ancien agent de maîtrise et fonctionnaire de la compagnienationale d’électricité algérienne, il a fui l’Algérie en 1998 avec sa femme et ses trois enfants,laissant derrière lui une situation professionnelle stable et un pavillon. À son arrivée en France, ilse retrouve ouvrier à la chaîne et cumule les contrats à durée déterminé (CDD) avant de décrocherun contrat à durée indéterminé (CDI) comme opérateur dans une industrie pharmaceutique situéeà une vingtaine de minutes en voiture de son domicile14. Sa femme qui n’a jamais occupé d’emploisalarié, se consacre à leur quatrième enfant né en 2001, avant de prendre un poste d’ouvrière dansune usine locale d’arachides au tournant de l’année 2005. Ce choix est clairement motivé par ladécision d’acheter une maison, alors que les projets de retour s’éloignent ; le statut de locatairedu parc HLM représente aussi à leurs yeux une forme de déclassement. Logés par un bailleursocial dans la commune industrielle limitrophe, ils entreprennent ainsi les premières démarchesde recherche en 2006. Les niveaux de revenus liés à la nouvelle stabilité professionnelle du couplepermettent à Ali et sa femme d’obtenir en 2009 un crédit sur 30 ans (mais à taux variable), aprèsavoir essuyé plusieurs refus (le montant de leur apport personnel s’élève alors à 10 000 euros). Sila réalisation d’un lotissement bon marché dans le secteur permet la concrétisation de leur projetrésidentiel en 2010, la pression budgétaire liée à la construction de la maison entraîne cependantd’importants ajustements de l’économie domestique. À son installation dans la maison, Ali seporte donc volontaire pour travailler exclusivement de nuit, le week-end, alors que la directionde l’usine procède à des restructurations. Cette nouvelle organisation lui permet d’avancer lestravaux dans sa maison (« j’ai tout fait ») et de bricoler dans son garage. Véritable établi où ilrépare différents appareils électroménagers, c’est aussi là qu’il recoit les visiteurs occasionnels dela journée, amis, collègues ou ouvriers du chantier (le garage, équipé d’une table et d’une gazinière,sert aussi accessoirement de « cuisine d’été »). Si Ali ne s’occupe jamais du ménage, il prend encharge quotidiennement son fils cadet, en CM2 : outre les trajets en voiture pour l’emmener àl’école, il assure les repas du midi afin d’éviter les frais de cantine. Ce mode d’organisationreprésente au final des économies substantielles pour le couple :

« A : Ma femme travaille maintenant. Ici, si tu ne travailles pas les deux, ils ne te donnent pasle crédit. Même si tu gagnes 1500 euros, ils ne te donnent pas de crédit. Elle a commencéà travailler en 2005-2006. C a s’appelle Ravet à Charvieux, c’est une usine qui fait lescacahouètes, les pistaches. Elle vient à 14 heures, quand elle sort du travail. Moi, je faisque le week-end. Avant j’étais en semaine, mais ca fait une année que j’ai changé avec lamaison. Ils ont fait des équipes du week-end, je suis volontaire. Parce que le week-end, cavous gagne du temps aussi. Je fais 12 heures samedi, 12 heures dimanche. C a m’arrangebeaucoup.

E : C’est mieux payé ?A : C’est presque pareil. . . Mais c’est pour le temps pour ici aussi, pour avancer les

choses. . . On calcule tout, ici en France, on calcule tout ! Moi, j’ai pas de week-end, toujoursje travaille ! Le week-end, je travaille au boulot, la semaine, je travaille ici. »

Cette organisation domestique fonctionne d’autant mieux que les ménages ouvriers, ancréslocalement, peuvent compter sur l’aide de proches, notamment au sein de la lignée maternelle,rappelant en cela les conclusions des études anglo-saxonnes de la parenté sur l’importance de la

14 Nous reprenons ici le raisonnement indigène des ménages pour lesquels l’unité de mesure de la mobilité est le tempsplutôt que la distance. Ce système de calcul rappelle la dépendance automobile des ménages dans les zones périurbaines.

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matrilocalité dans les milieux populaires15 (Willmott et Young, 1957). En permettant le main-tien des réseaux d’entraide et d’échange, la mobilité de proximité augmente en quelque sorte lasolvabilité des ménages engagés dans des parcours d’accession immobilière. La maison, par sasituation comme par ses dimensions16, constitue une ressource spatiale et matérielle spécifique.Adeline, 36 ans, d’origine portugaise, est « pilote de ligne » dans une usine de fabrication de siègesautomobiles située à 10 minutes en voiture du lotissement. Mère de deux enfants âgés de 13 et8 ans, elle est mariée à un ouvrier portugais qu’elle a placé chez son ancien employeur. En 2 × 8,elle alterne matinée et après-midi d’une semaine à l’autre. Si Adeline dit apprécier son travail pourl’esprit de camaraderie qu’elle y trouve, elle est aussi satisfaite des horaires qui lui permettent des’occuper de ses enfants. Et quand l’organisation rôdée et minutée du quotidien est mise à mal parles imprévus du travail, Adeline peut compter sur sa sœur cadette qu’elle a aussi fait entrer chezson employeur, à la chaîne, il y a un an. Leurs enfants fréquentent volontairement la même écoleclassée ZEP, en dépit de la carte scolaire qui rattachait le fils d’Adeline à l’école du village : lerecoupement des sphères professionnelle, résidentielle et familiale permet aux sœurs de mutuali-ser leurs ressources. L’hiver, ce sont les grands-parents maternels qui assurent ce travail de careainsi qu’une partie des tâches domestiques. Ouvriers dans le secteur, ils sont rentrés au Portugal aumoment de leur retraite pour habiter la maison qu’ils ont fait construire, étape par étape. D’octobreà fin janvier, ils vivent chez Adeline, occupant l’une des deux chambres d’enfants à l’étage. S’ilsjustifient leur présence par « les fêtes de fin d’année », la maison d’Adeline servant de principallieu de rassemblement familial, leur séjour prolongé assure aussi la continuité des échanges inter-générationnels de biens et services au-delà de la distance géographique qui les sépare. L’espace dela maison, modulable, et du jardin s’avère particulièrement pratique pour ce mode de fonctionne-ment domestique. En doublant la surface d’habitation par rapport à l’appartement précédemmentloué dans le centre ancien du bourg voisin, il permet de loger des membres de la parenté et deprendre en charge les enfants des deux sœurs, le mercredi ou le soir après l’école. Jouant unrôle central dans les milieux populaires, ces activités productives non marchandes, prises dansun circuit d’échanges au sein de la parenté, permettent en définitive de mettre en commun desressources et de réaliser des économies d’échelle (Weber, 1989). En ce sens, la famille élargied’Adeline fonctionne comme une véritable « maisonnée17 » (Gollac, 2011).

1.2. Mères et salariées : le privilège des professions intermédiaires

À l’opposé de l’échelle sociale du lotissement par leurs statuts socioprofessionnels18, lesmembres des classes moyennes recourent aussi à la bi-activité. Les logiques d’emploi sous-

15 « L’ancienneté résidentielle, comme la parenté locale, favorisent chacune la création d’un réseau d’attaches locales,mais lorsqu’elles se combinent l’une l’autre, comme à Bethnal Green, elles exercent une force autrement plus puissanceque lorsqu’elles agissent séparément » (Willmott et Young, 2010 [1957], p. 100).16 Les maisons bas de gamme achetées sur catalogue ont une taille modeste (entre 90 et 110 m2) mais leur superficie

reste plus grande que celle des précédents logements occupés.17 Sibylle Gollac définit la maisonnée comme « un groupe de coopération productive quotidienne, qui rassemble des

personnes éventuellement apparentées et souvent corésidentes qui assurent ensemble la production nécessaire à la surviequotidienne de ses membres et se mobilisent autour de “causes communes” plus ou moins lourdes et exceptionnelles »(Gollac, 2011, p. 131).18 Par les revenus du travail, ces jeunes ménages ne sont parfois pas éloignés de certains couples d’ouvriers bi-actifs et

stables, en fin de carrière. C’est particulièrement le cas des couples hétérogames (employé-e et cadre intermédiaire) quigagnent entre 2500 et 3000 euros nets par mois et bénéficient peu des revenus des transferts socio-fiscaux. En effet, mêmeles allocations familiales, qui sont versées sans condition de ressources, le sont uniquement aux personnes ayant au moinsdeux enfants à charge.

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jacentes sont pourtant bien différentes de celles des ménages ouvriers étudiés précédemment enraison de leurs niveaux de qualification, de leur position dans le cycle de vie et de leur trajectoirerésidentielle. En effet, issus des centres urbains (Lyon principalement), ces jeunes ménages, pluspetits, plus jeunes et plus qualifiés (ce sont des couples sans enfant ou avec un enfant en bas âge),occupent des emplois à plein temps de professions intermédiaires (infirmier, instituteur, éducateurspécialisé. . .), de cadres moyens (commercial, informaticien) et plus rarement de cadres supé-rieurs (inspecteur de la répression des fraudes, vétérinaire) dans l’agglomération lyonnaise. Plussouvent éloignés de leur lieu de travail que les ouvriers (les emplois qualifiés du tertiaire étantplus concentrés dans le centre des agglomérations que l’emploi industriel, davantage situé enpériphérie), ces jeunes couples sont aussi plus souvent isolés du reste de la parenté et ne peuventpas compter sur les réseaux familiaux d’entraide dans l’organisation du quotidien. Ainsi, si lacontrainte financière liée à l’endettement encourage les femmes à garder une activité profession-nelle (comme dans le cas des familles ouvrières) malgré, parfois, la présence d’enfants en basâge, c’est d’abord parce que cette activité salariée qualifiée est suffisamment rémunératrice pourpermettre de sous-traiter le travail de care. L’embauche d’une assistante maternelle n’engendrepas de perte d’argent par rapport aux revenus des transferts sociaux dont ces femmes pourraientbénéficier en ne travaillant pas (quoique le gain ne soit pas toujours significatif)19.

Mais si ces ménages aux positions professionnelles intermédiaires valorisent la bi-activité,c’est aussi parce qu’elle constitue un signe d’appartenance aux classes moyennes et représente,à ce titre, un fort enjeu statutaire. En effet, d’origine modeste, ces jeunes couples sont engagésdans des trajectoires inter- et intra-générationnelles ascendantes et cherchent à consolider despositions sociales encore incertaines. Plus diplômés que leurs parents, ils sont en situation depromotion professionnelle, souvent par voie interne20, du fait de leur formation initiale dansles filières courtes du supérieur (DUT, BTS, etc.). En cultivant le travail, l’ascèse et l’épargne,ils augmentent non seulement leur solvabilité et peuvent rembourser plus rapidement la maisonachetée à crédit, qualifiée de « tremplin »21, et dont l’occupation est d’emblée envisagée commetemporaire du fait de sa localisation périphérique et de ses caractéristiques architecturales (elleest située dans l’enceinte d’un lotissement bon marché constitué de petites maisons achetées surcatalogue). Mais ces ménages affichent aussi leur aspiration au mode de vie des classes moyennesdont la bi-activité, en tant que symbole d’une économie domestique « moderne » — par oppositionà la division traditionnelle du travail entre les sexes — constitue l’un des signes distinctifs.

Au sein du lotissement, dans les interactions quotidiennes entre voisins, l’activité salariéedes femmes à l’extérieur du domicile a ainsi un fort pouvoir de distinction, surtout lorsqu’elles’accompagne du placement en nourrice des enfants. Aurore, 33 ans, titulaire d’un DESS destatistiques appliquées, est inspectrice de la répression des fraudes (fonctionnaire de catégorieA) après avoir été contrôleuse (catégorie B). Elle travaille quotidiennement à Grenoble, située àune heure trente de voiture. Alors que son mari informaticien, également à plein temps, effectuerégulièrement des déplacements professionnels, Aurore a décidé à son arrivée dans le lotissementde recourir aux services d’une assistante maternelle pour son fils, alors âgé d’un an. Pour desraisons pratiques, elle s’est adressée à sa voisine Séverine, mère de trois enfants et anciennevendeuse, en cours de formation pour l’obtention de l’agrément d’assistante maternelle. L’accordde garde a toutefois éclaté avant d’avoir abouti. Non seulement leurs modes de vie apparaissent

19 Le montant de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) versée par la caisse d’allocation familiale (CAF) auxfamilles est soumis à conditions de ressources.20 Ils peuvent ainsi, par exemple, passer du statut d’agent commercial à celui de responsable d’agence.21 La plus-value financière réalisée lors de la revente reste toutefois très incertaine.

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antinomiques (Aurore, en retrait de la vie du lotissement, reproche à Séverine bruit et fuméedégagés lors des « soirées barbecue ») mais leur style éducatif semble aussi diverger (Séverinen’aurait pas supporté que le petit garcon « ne se plaise pas à son domicile »). Si le conflit quioppose les deux femmes renvoie aux différents ethos de classe qui les séparent, les propos deSéverine sur sa nouvelle situation professionnelle trahissent aussi sa difficulté à revendiquer uneidentité professionnelle valorisante au regard des autres femmes actives du lotissement :

« E : Vous êtes la seule nourrice sur le lotissement ?S : Oui, elles travaillent toutes à l’extérieur ! Il y a beaucoup de femmes qui travaillent

là. La plupart travaillent. . .

E : Mais vous aussi vous travaillez !S : Oui mais moi, je suis chez moi donc ca ne me fait pas le même effet. Je travaille et

en même temps je garde mes enfants. Et puis Clément, il est quand même grand. Donc iln’a pas besoin de moi. . . »

L’absence de lieu de travail spécifique, malgré l’établissement récent d’une structure de relaisd’assistantes maternelles dans la commune, et la faible rémunération constituent de puissantsvecteurs de domination symbolique. L’usage de compétences maternelles est aussi naturalisé etn’apparaît pas comme un savoir-faire spécifique qui serait valorisé socialement et financièrement.Au final, la comparaison des situations professionnelles des femmes entre elles trahit le degréd’aisance financière respective des ménages et engendre des conflits sur la définition des modesde vie et d’organisation domestique légitimes.

1.3. De la précarité professionnelle à la spécialisation dans le travail domestique : carrièresde femmes au foyer

Le troisième type d’organisation domestique observé au cours de cette enquête est celui desfamilles de milieux populaires issues du parc HLM de la proche banlieue lyonnaise. Le déména-gement dans une commune périurbaine considérée comme la « campagne », parfois de manièrepéjorative comme un « trou », implique, comme pour les ménages de classes moyennes, un éloi-gnement significatif du lieu de travail et des réseaux familiaux ; mais en l’absence de système decompensation (familial ou monétaire), il pèse plus lourdement sur leur économie domestique. Àcet égard, le coût matériel et symbolique de la mobilité résidentielle apparaît plus élevé pour lesfemmes.

En effet, avec en moyenne deux ou trois enfants en bas âge, ces ménages trentenaires occupentdes emplois peu qualifiés dans les services et l’industrie souvent localisés dans la première cou-ronne de l’agglomération lyonnaise. Pour ces familles, le maintien de la bi-activité impliqueraitnon seulement de s’équiper d’un deuxième véhicule (la commune est mal desservie par les trans-ports en commun)22, mais aussi de recourir aux services payants de garde pour les enfants. Lesmembres de la parenté, souvent installés à proximité de l’ancien quartier et peu motorisés, sonttrop loin du nouveau lieu de résidence pour être systématiquement mis à contribution. Dans cecontexte, l’activité salariée des femmes à l’extérieur du domicile apparaît d’autant moins rentable

22 Les jeunes couples de professions intermédiaires doivent également parfois s’équiper d’un deuxième véhicule ; maisils sont plus nombreux à pratiquer le covoiturage entre conjoints parce que les lieux de travail sont proches et les horairesde bureau, plus réguliers. Au contraire, les travailleurs peu qualifiés de l’industrie et des services sont soumis à des horairesde travail décalés et irréguliers qui empêchent la mise en place de telles stratégies de mobilité quotidienne.

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qu’elle est peu qualifiée et faiblement rémunératrice. C’est pourquoi le déménagement engendrebien souvent une assignation à domicile de ces dernières, au contraire des ouvrières « du coin ».

C’est le cas d’Yvonne, 28 ans, ancienne vendeuse dans un grand magasin de la banlieue lyon-naise et mère de deux jeunes enfants (deux et quatre ans). Son mari, 34 ans, est chef du rayonboucherie dans un supermarché d’une autre commune de proche banlieue. Depuis le déménage-ment, il effectue tous les jours, à 5 heures du matin et 16 heures, les 20 kilomètres qui le séparentde son lieu de travail pour un salaire mensuel de 1800 euros nets. Le couple rembourse 980 eurospar mois de crédit pour la maison. En tant que vendeuse, Yvonne touchait le SMIC. L’organisationdomestique serrée mise au point dans l’ancien quartier pour gérer les horaires décalés liés au métierde la vente et éviter le recours à une nourrice reposait sur la triple proximité du lieu de travail, dulieu de résidence des enfants et des parents ; elle a volé en éclat avec l’éloignement géographique.Suite à l’achat de la maison, Yvonne a continué à travailler quelques mois en recourant aux ser-vices d’une nourrice mais, enceinte de son deuxième enfant, elle a finalement décidé de prendreun congé parental. En plus des frais de transport, l’arrivée du deuxième enfant surenchérissaiten effet le coût de la nourrice et rendait son activité professionnelle non rentable. Alors que leschances de retourner sur le marché du travail s’amoindrissent à mesure que se prolonge le congéparental, Yvonne n’envisage plus de reprendre une activité salariée à court terme et souhaite,comme pour reculer l’échéance du « choix » professionnel, un troisième enfant. Elle ne regrettepas les « horaires ingrats » de la vente, même si elle se plaint d’un certain isolement. Ses nouvellesresponsabilités familiales semblent compenser la perte d’un statut professionnel peu valorisant(Bozon, 1990). Son mari, lui, appréhende le coût financier et matériel de l’agrandissement de lafamille alors que la maison de 90 mètres carrés, avec trois chambres, apparaît déjà trop petite.

En fait, le renoncement au travail salarié des femmes peu qualifiées issues des grandes citésd’habitat social de l’est lyonnais signifie non seulement la prise en charge totale des soins auxenfants afin de réduire au maximum les dépenses financières (accompagnements scolaires etpériscolaires, alimentation au domicile le midi à la place de la cantine, etc.) ; mais il s’accompagneaussi plus largement d’une spécialisation dans le travail domestique, puisque les femmes assumentdésormais seules l’entretien de la maison, les courses et la cuisine — les abords extérieurs de lamaison et le jardin restant encore l’apanage des hommes. Si Yvonne présente cette spécialisationdomestique comme le fruit d’un calcul financier rationnel (Yvonne gagnait 700 euros de moinsque son mari), cette dernière est aussi vécue comme naturelle, produit de l’intériorisation de lacontrainte familiale et du rôle que la femme doit jouer dans ce cadre. Les calculs économiquesindigènes effectués par Yvonne montrent d’ailleurs que son travail domestique est clairementinvisibilisé : « Quand je travaille, on est à près de 3000 euros et là, en congé parental, on est à2500 ».

En définitive, l’accession à la propriété en zone périurbaine a des effets ambivalents pour cesfemmes non seulement parce qu’elle favorise l’entrée dans la carrière de mère au foyer, mais aussiparce qu’elle est souvent synonyme de dissension des liens familiaux et d’isolement social. Cesentiment apparaît très inégalement partagé par les hommes et les femmes du fait des contraintesstructurelles différentes qui pèsent désormais sur leur emploi du temps ; il tend à faire apparaître,a posteriori, la décision d’achat de la maison comme une prérogative masculine. L’investissementaffectif d’Yvonne dans la maison est ainsi plus limité : contrairement à son mari, elle concoit lamaison uniquement comme une étape dans une trajectoire résidentielle qui la ramènerait versson ancien quartier, lieu de l’ancrage familial. Yvonne reste en effet très attachée à son ancienlieu de résidence : après « six mois de déprime » et un engouement très limité pour les travauxd’emménagement (sa mère a dû venir l’aider pour faire la décoration), elle passe la plupart desmercredis et de son temps libre chez ses parents ou dans sa belle-famille, multipliant ainsi les

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allers-retours (« on n’est jamais là »). Le week-end toutefois, le rythme des visites familialesdécélère. Son mari apprécie plus qu’elle le calme procuré par la maison ainsi que les travaux dejardinage et d’entretien du bassin de tortues qu’il a spécialement construit à l’occasion.

Yvonne : de la vente au travail domestique« Y : Le problème avec la vente, c’était au niveau des horaires en fait : travailler les jours

fériés, travailler jusqu’à huit heures le soir, travailler les samedis. . . pas de vie de famille !Quand j’ai repris le travail après ma fille, on n’avait que le dimanche en commun. On n’avaitpas les mêmes jours de congé parce qu’il fallait qu’on se débrouille pour que le jour decongé de mon mari, il s’occupe d’elle, et le mien, et bien c’est moi, pour que ca évite aumaximum qu’on ait la nourrice à payer. [. . .] Quand je suis arrivée ici, j’étais encore à tempsplein, mais je n’avais que ma fille qui était très peu gardée par la nourrice : 20 heures parsemaine, parce qu’on essayait avec les horaires de goupiller pour que mon mari soit là, ouque moi je sois là. Maintenant, avec deux enfants, ce n’est pas pareil. Et puis est-ce queles horaires vont être pareils ? Au niveau du boulot, en trois ans, ca a changé au niveaudes responsables. Je ne vais peut-être pas avoir des horaires arrangeants comme je l’avaisavant. . . Je n’aurais pas mon mercredi. . . Donc si c’est pour retravailler mais qu’au final lanourrice me coûte plus cher que ce que je touche si je restais chez moi ! Il va falloir voir,recalculer, si je fais un mi-temps, si je ne fais pas un mi-temps. Tout se calcule, tout ca. Parrapport aux aides qu’ils nous donnent, il faut voir avec la CAF, calculer combien vaut unenourrice, parce que j’ai déjà eu une nourrice. Aujourd’hui, avec la CAF, l’aide. . . l’aide auxjeunes enfants ou je ne sais plus, et les allocations familiales — il y a trois choses, je sais.Au total, ca fait 650 euros par mois. Et comme j’ai un revenu pas élevé avec mon mari, etqu’on a un crédit de 900 euros par mois, on a le droit à l’APL : 120 euros. [. . .]

E : Et l’entretien de la maison, c’est plutôt vous ou votre conjoint ?Y : Non, c’est moi. Les femmes, elles font le ménage et les hommes, ils travaillent à

l’extérieur [rires] ! En fait, je le fais deux fois par semaine. Il ne faut pas rentrer dans lamaniaquerie. Mais comme je ne travaille pas, c’est logique que je ne lui demande pas. Il aun métier difficile, étant à la maison, ce serait déplacé de ma part. [. . .]

E : Et vous avez d’autres projets résidentiels ?Y : Ici c’est une étape. Le but c’est de repartir sur Mions, Meyzieux, parce que là on est

quand même bien éloigné de la famille, ca fait 20-25 minutes. Et puis nos boulots sont restéslà-bas. Tous les matins, il y a les bouchons, ce n’est pas comme pour aller sur Lyon maisquand même il y a 20 minutes qu’il faut se faire. Avant, à Saint-Priest, on avait 5 minutes,5 à 10 minutes de voiture, c’est tout. Moi j’étais sur Saint Bonnet, j’étais vendeuse enpuériculture. Mon mari il est boucher à Décines, il est responsable du rayon Leclerc. [. . .]Mais c’est vrai que moi j’aurais bien aimé reprendre un appartement plus grand dans unerésidence plus luxueuse fermée avec code et tout et puis lui, il m’a dit “non, je veux unjardin”. Il voulait son petit espace vert. Il avait raison, avec les enfants. Ils s’éclatent ! Maisc’est vrai que moi un appart, ca ne m’aurait pas dérangé. . . À Mions, ou à Meyzieux, il y ades résidences sympas.

E : Et lui ? Il se plait ici ?Y : C’est lui qui la voulait la maison ! Il ne s’en plaint pas, au contraire. Il a son petit

potager, ses tomates l’été. . . »

En ce sens, le pavillon renforce pour ces ménages les inégalités liées à la division du tra-vail domestique. Les « captifs du périurbain » (Rougé, 2005) sont ici des « captives » qui peinent

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à recréer des réseaux locaux de sociabilité alors que les principales instances de socialisationque constituaient le travail et la famille sont soudainement éloignées. Si cette organisation répondmanifestement à une logique financière (faire face à la contrainte de crédit et aux frais de fonction-nement de la maison), elle renvoie aussi de manière latente à des modes traditionnels d’organisationdomestique et des représentations de la famille socialement situées qui associent projet familialet maison individuelle, d’une part (Haumont, 1966 ; Bourdieu et Saint Martin, 1990), et universdomestique et espace féminin, d’autre part (Schwartz, 1990). Dès lors, « l’économie domestiquene peut se penser indépendamment d’une certaine conception du ménage, et plus exactement desrelations et des échanges qui prévalent au sein de l’unité domestique » (Perrin-Heredia, 2011).

2. La maison comme ressource : le cas des nourrices et des assistantes maternelles

La question de l’articulation entre sphère domestique et sphère professionnelle a donc d’autantplus d’acuité que l’accession à la propriété en zone péri-urbaine renforce la pression budgétairequi pèse sur les ménages en même temps qu’elle conduit, pour une partie de ces accédants,à l’éloignement des bassins d’emplois et des circuits familiaux d’entraide et d’échange. Danscertains cas, les ajustements de l’économie domestique consécutifs à l’achat du logement passentpar le brouillage des frontières entre travail domestique et travail salarié. La maison, espace dereproduction par excellence, est alors partiellement transformée en espace de production. Si lecas de l’autoconstruction de leur logement par les ménages ouvriers constitue un fait social biendocumenté, nous avons choisi de nous attarder ici sur le cas des femmes peu qualifiées et mèresde famille qui se spécialisent dans le travail domestique et en font une source de revenus, directe(par la marchandisation de services de garde et, plus rarement, de ménage) et indirecte (par leséconomies réalisées au quotidien dans le budget familial). Au sein du lotissement, cette situationconcerne essentiellement les femmes peu diplômées qui occupaient des emplois non qualifiés dansles services, et qui étaient majoritairement issues des cités d’habitat social de la proche banlieuelyonnaise. Si les ressorts de la spécialisation domestique répondent à des logiques économiques etfamiliales spécifiques, cette activité, souvent liée à la recherche d’un revenu d’appoint, recouvre undégradé de situations qui va du travail au noir (nourrice) au travail déclaré (assistante maternelle),et de la pratique occasionnelle à la pratique régulière. D’un coût symbolique et matériel parfoisélevé, cette activité n’est rendue possible que grâce à la nouvelle ressource que constitue lamaison. L’analyse des usages familiaux du pavillon en matière de production domestique montreplus largement que ce dernier peut constituer une véritable ressource pour l’ensemble de la parenté.

2.1. Faire du care son métier : la maison comme ressource professionnelle

L’éloignement du marché du travail des mères peu diplômées se fait par étapes successivesdont la rupture avec l’emploi salarié constitue l’aboutissement. C’est l’exercice d’un ou plusieurscongés parentaux qui en constitue souvent la première étape. Si, pendant la durée du congéparental d’éducation23, le contrat de travail avec le dernier employeur est « suspendu »24, le lienjuridique et symbolique à ce dernier est maintenu. À l’issue de cette période, les femmes peuventen effet choisir de reprendre leur activité salariée ou de percevoir les allocations chômage selon

23 Prestation sociale versée par la caisse d’allocation familiale (CAF) et accordée à tout salarié à la naissance d’un enfant ;elle est valable jusqu’au trois ans de celui-ci.24 Seul un emploi d’un an minimum permet l’ouverture de droit au congé parental d’éducation.

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la durée de cotisation. La période du congé parental est ainsi souvent marquée par un statut socialambigu. La création de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) en 2003, dans la continuitéde l’allocation parentale d’éducation (APE) qui avait été étendue aux familles de deux enfantsen 1994, a contribué à renforcer l’attrait du congé parental pour les femmes peu diplôméesexercant des métiers peu qualifiés et précaires. Pour certains auteurs, cette politique familialevisait précisément au retrait du marché du travail de ses bénéficiaires en lien avec les politiquesde l’emploi (Commaille et al., 2002). Dans le lotissement, peu de femmes faiblement qualifiéesayant épuisé leurs droits au congé parental d’éducation ont repris leur ancien emploi. La nouvelleconfiguration familiale et résidentielle (présence d’enfants en bas âge, éloignement des anciensbassins d’emplois, contraintes de crédit) modifie les coûts et les avantages liés à l’exercice d’unemploi salarié peu qualifié à l’extérieur du domicile. Pour autant, la pression budgétaire et ladiminution des prestations sociales poussent les ménages à rechercher de nouvelles sources derevenus.

Séverine, 43 ans, titulaire d’un CAP d’employée de bureau, a exercé plusieurs années dans lavente à Lyon, avant de suivre son mari à Marseille, muté dans le cadre de son emploi de télécon-seiller chez EDF. L’éloignement géographique et l’arrivée rapprochée de trois enfants l’amènentà quitter son emploi. De retour dans la région lyonnaise, le couple, dont les parents ont eux-mêmes « fait construire », décide d’acheter une maison : « Ils nous disaient que c’était une caissed’épargne, on ne paie pas pour rien. Et puis c’était vite fait, quand on voit les prix des maisonsen location ! A cinq il faut de la place, le crédit c’est quasi le prix d’un loyer ». Malgré son statutprofessionnel stable, les revenus du mari suffisent à peine à obtenir un crédit, qui sera finalementaccordé à raison de 950 euros par mois pendant trente ans par un établissement spécialisé de crédit(ESC). En vue de son installation en lotissement, et eu égard aux fortes contraintes budgétaires quis’exercent sur le couple, Séverine choisit dès lors de suivre une formation d’assistante maternelleafin d’exercer à son domicile. Le travail d’assistante maternelle apparaît comme un « bon com-promis », selon ses termes, non seulement parce que le coût d’entrée dans le métier est faible (laformation de 120 heures peut être effectuée à distance et mobilise des compétences acquises parailleurs, dans l’exercice des fonctions parentales), mais aussi parce que la superposition des lieuxet temps de travail salarié et domestique permet de limiter les dépenses quotidiennes (aucun fraisde déplacement ni de garde d’enfant par exemple). L’achat de la maison a donc aussi contribué àfaconner son choix professionnel. Le jardin et la présence d’un grand garage en partie aménagéen salle de jeu par son mari lui auraient, selon elle, facilité l’obtention de l’agrément des servicesdépartementaux de protection maternelle et infantile (PMI) lors de la visite effectuée pour vérifierles conditions d’accueil des jeunes enfants.

Séverine : assistante maternelle, « un bon compromis »« S : Avant quand j’habitais à Villeurbanne, je travaillais à la Part-Dieu dans le commerce.

Et après quand on est parti sur Marseille, je n’ai pas travaillé parce que j’ai eu mon premierenfant et après ca s’est tout enchaîné, les deux autres sont arrivés peu de temps après. [. . .]Mais on a vraiment eu du mal pour avoir un crédit. À l’époque, moi je ne travaillais pas.J’étais en congé parental mais ils ne prenaient pas en compte le congé parental dans lesrevenus. Et comme j’avais quitté le magasin où je travaillais pour partir sur Marseille, jen’avais pas un employeur qui m’attendait. Donc j’étais en recherche d’emploi en fait. Onne pouvait pas justifier d’un salaire. Même si je ramenais de l’argent d’une certaine facon,ils ne prenaient que le salaire de mon mari en compte. Donc c’était vraiment très juste.

E : Et donc là, c’est nouveau que vous ayez repris une activité ?N : Oui. Je rentre dans ma troisième année [d’assistante maternelle].

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E : Qu’est-ce qui vous a poussé à reprendre ?N : Financièrement. [silence]E : Pour la maison ?N : Oui. Pour la maison. Pour avoir une vie plus agréable on va dire. Pouvoir se faire

plaisir, faire plaisir aux enfants, partir en vacances. . . Je savais que j’allais reprendre uneactivité professionnelle. Je pouvais reprendre dans le commerce mais sur Lyon, ca n’allaitpas être trop possible : les enfants, les amener chez la nourrice. . . et puis bon j’ai mis dutemps à les avoir, je voulais m’occuper d’eux aussi ; ca me faisait mal au cœur de les laisser.Quand les magasins se sont montés ici, je me suis renseignée, mais c’est beaucoup des petitscontrats en fait, des 25 heures, des 30 heures. Donc ca fait vraiment des tout petits salaires.Et puis là j’ai trouvé un bon compromis : je m’occupe de mes enfants et j’ai un salaire. Jem’occupe aussi des enfants des autres. »

2.2. Échanges marchands et non marchands entre voisins : entre services, travail au noir ettravail déclaré

Le cas de Séverine témoigne du brouillage des frontières entre travail salarié et travail domes-tique fréquent dans les activités de « nourrice » (Mozère, 1995) mais aussi dans les services deproximité liés à la prise en charge des personnes dépendantes (Ténédos et Weber, 2006). Cettefrontière est d’autant plus ténue que l’activité est irrégulière et/ou non déclarée. En effet, larecherche de sources complémentaires de revenus pour faire face à la contrainte de crédit, auxfrais de fonctionnement de la maison et à l’éducation des enfants, peut aussi conduire à l’exerciced’activités non déclarées au domicile ou dans le voisinage immédiat, la maison et le lotissementconstituant alors de nouvelles ressources pour l’organisation domestique des ménages. Si la situa-tion de travail au noir répond à des logiques matérielles (contrainte résidentielle) et sociales (letravail à-côté constitue d’abord une forme d’entraide et de troc), la paupérisation des ménagesrenforce la dimension économique de l’échange. En effet, le travail au noir permet tout d’abordde préserver un certain nombre de droits sociaux acquis par le retrait du marché du travail (lecongé parental notamment), indispensables à l’équilibre budgétaire précaire de ces ménages. Ilpermet aussi d’exercer une activité rémunérée en dehors du registre qui encadre l’activité desindépendants (y compris des assistantes maternelles qui font l’objet d’un contrôle de la part desservices départementaux) et ainsi faire l’économie temporelle et matérielle d’une éventuelle qua-lification. Il apparaît en outre particulièrement adapté à l’exercice d’activités irrégulières dans uncadre domestique, en lien avec une demande fluctuante (horaires de travail flexibles des parentsd’une semaine à l’autre, départ des enfants du lotissement, etc.). Parce que ces échanges de ser-vices ont souvent lieu dans le cadre du lotissement, le travail au noir constitue enfin une formede prolongement de la sociabilité de voisinage, souvent vécue sur le mode du « dépannage » ; ilpermet d’atténuer la violence symbolique inhérente à la formalisation et à la contractualisationdes échanges marchands.

Dans l’ensemble toutefois, si ces services rémunérés constituent du point de vue juridiqueune forme de « travail dissimulé25 » (eu égard notamment au fisc et à la sécurité sociale), lesménages eux-mêmes n’ont pas forcément conscience d’agir dans l’illégalité : non seulement la

25 Le travail au noir pose de nombreux problèmes de définition auxquels s’est heurté le législateur. Appelé « travaildissimulé » dans la loi 1997, il constitue en fait une infraction à différents codes : vis-à-vis du fisc (les revenus du travailne sont pas déclarés et taxés) ; vis-à-vis de la Sécurité sociale (l’employé — ou le patron — ne paie pas de charges socialeset continue de percevoir des droits sociaux sous conditions de ressources) ; vis-à-vis du droit du travail (ce qui peut avoir

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nature du travail apparaît légale, mais les sommes engagées sont faibles (de l’ordre de dizainesd’euros) et irrégulières ; les échanges marchands sont en outre peu marqués du sceau des relationshiérarchiques. Ainsi, si les ménages ne mentionnent pas facilement en entretien l’existence de telsarrangements financiers, c’est davantage pour éviter les histoires de voisinage et par sentimentd’illégitimité devant les montants en jeu et la précarité de leur budget que par peur de la répressionfiscale.

Séverine est ainsi la seule nourrice déclarée du lotissement. D’autres voisines, plus précaires,ont renoncé à suivre la formation d’assistante maternelle, mais pas à exercer une activité d’appoint.Prise par les contraintes économiques et familiales, Zora, 28 ans, mère de quatre garcons âgésde deux à onze ans, n’a jamais envisagé sérieusement d’obtenir l’agrément. Elle est tout d’abordtrop occupée par la gestion du quotidien : outre l’entretien du domicile, elle conduit ses enfants àl’école quatre fois par jours et refuse de les mettre à la cantine ou au centre aéré pour des raisonsfinancières (« il faut encore payer ! »). Mais la formation d’assistante maternelle lui apparaît aussitrop sélective et lui rappelle sa propre distance au système scolaire. Fille d’immigrés algériens,Zora s’est en effet mariée « au bled » à l’âge de 16 ans après avoir arrêté ses études en seconde.Son mari, lui, travaille comme ouvrier en CDI dans une entreprise régionale de travaux publicsdepuis son arrivée en France en 1998 ; mais, non diplômé (il a quitté l’école en primaire), sonsalaire ne permet pas de subvenir aux besoins du ménage. Zora affirme en effet que la maisonponctionne lourdement le budget familial : le crédit représente plus du double du loyer HLM dontelle s’acquittait précédemment. Elle est ainsi fortement contrainte sur ses dépenses alimentaireset limite à contrecœur les déplacements automobiles dans son ancien quartier, une cité HLM dela proche banlieue lyonnaise où résident encore sa mère et une partie de ses huit frères et sœurs.Durablement éloignée du marché du travail, Zora effectue quelques ménages au noir chez desparticuliers de la commune. Au sein du lotissement, elle a trouvé des gardes d’enfants, d’abordirrégulières, sur le mode du « dépannage », avant d’être instituées et faire l’objet de transactionsmarchandes. Les ressources sont modestes mais précieuses : elles permettent à Zora quelquesextras alimentaires et parfois, de donner un peu d’argent de poche à ses enfants.

Zora accompagne ainsi régulièrement le fils cadet de sa voisine béninoise, Simone, à l’école ;en échange, elle percoit une rémunération d’une dizaine d’euros par semaine. En effet, les garconsfréquentent le même établissement scolaire mais, du fait de la distance et de leur jeune âge, ils nepeuvent s’y rendre seuls. Simone, divorcée, qui élève seule ses trois enfants, peine à assumer letravail domestique depuis son déménagement. Infirmière dans un hôpital à Lyon, elle a pourtantprivilégié les horaires de nuit pour éviter de faire garder ses enfants et augmenter ses revenus. Mais,alors que son fils cadet n’est qu’en primaire, l’aîné, handicapé et placé en institution, demandeune surveillance particulière le week-end. Après quelques mois de cohabitation, Simone et Zoraont donc fini par trouver un accord concernant l’accompagnement scolaire des enfants. C’estaussi Zora qui veille à l’extinction des feux les soirs où Simone travaille, les maisons étant quasimitoyennes. L’accord a pourtant éclaté au bout de quelques mois du fait d’un conflit concernant leslimites de propriété (le constructeur de Simone n’a pas dégagé la terre évacuée pour l’implantationde la maison, « enterrant » ainsi la maison de Zora).

D’autres voisines, peu diplômées, ont entrepris la formation d’assistante maternelle sans jamaisl’achever. C’est le cas de Samia, d’origine algérienne, 32 ans, mère de deux garcons qui a arrêtéses études après un bac STT. Si le faible capital culturel explique dans un premier temps le renon-

des effets sur les conditions de travail) ; parfois enfin, vis-à-vis du code pénal (quand l’activité est illégale, ce qui n’estpas le cas de la garde d’enfant) (Weber, 2008).

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cement de Samia à obtenir l’agrément, le sens de la trajectoire sociale du ménage montre aussique l’opportunité d’un complément de revenu avec le travail de garde n’est pas systématique.Ayant entamé une formation d’assistante maternelle dans un centre de la banlieue lyonnaise deuxans auparavant, après un long congé parental, Samia n’a toujours pas fait valider son agrémentauprès des services départementaux de la PMI. Cette formation, qu’elle considère comme relati-vement dévalorisée (« je n’ai rien appris. Quand on a déjà des enfants, c’est du blabla. ») et peuqualifiante (« c’est juste une petite feuille comme quoi j’ai passé une formation. C’est pas commele CAP ! »), aurait dû permettre de constituer un salaire d’appoint pour le couple. Mais avec laprogression salariale et statutaire de son mari, régulière depuis quelques années, la pression éco-nomique se détend (titulaire d’un BTS action commerciale, il a débuté comme agent commercialet est aujourd’hui responsable d’un service de vente chez un opérateur de téléphonie). Ainsi, siSamia pensait un temps chercher du travail en secrétariat « et même en usine », elle n’envisagedésormais plus que de facon distante son retour vers l’emploi salarié. D’ailleurs, Samia, qui avaitprévu avec son mari de consacrer une pièce de la nouvelle maison à la garde d’enfants, ne souhaitepas exercer cette activité à plein temps, contrairement à d’autres assistantes maternelles (« moi lepériscolaire, ca me suffit, je n’en ai pas besoin toute la journée »). Signe ultime du retournementdu projet professionnel, la pièce du bas réservée dans les plans initiaux à l’accueil des enfantslors des gardes est toujours encombrée et le poêle du salon n’a pas recu de barrière protectrice,ce qui serait rédhibitoire pour recevoir l’agrément selon elle :

« S : Normalement il y a cette pièce qui était prévue pour les enfants, mais dans cette pièceil y a encore des cartons. C’est pour ca aussi que je voulais faire cette pièce : comme ca, lesenfants ne vont pas dans la chambre de mes enfants, c’est bien séparé. Mais le problème,c’est le poêle. Je pense qu’il faut que je mette quelque chose devant . . . [Continuant, commepour elle-même] En fait, j’aurais du faire un BTS en alternance, je suis bête, je n’ai paspensé avant. . . »

Samia qui apparaissait peu mobilisée par la perspective de devenir assistante maternelle, untravail qu’elle trouve peu gratifiant et physiquement éprouvant, est désormais enceinte de sontroisième enfant. Comme pour Yvonne, le projet de maternité a permis d’évacuer au moinstemporairement la question du « retour » à l’emploi salarié.

Au final, l’offre de services de garde au sein du voisinage, qui peut prendre la forme de travailau noir, est facilitée par la morphologie du lotissement et son mode de peuplement. Relativementdense en comparaison des constructions en secteur diffus par exemple, le lotissement assureaussi un recrutement démographique homogène (des familles avec enfants) alors que l’espace dela maison facilite l’accueil de ces derniers (salle de jeu, jardin, etc.). Toutefois, la fragilité desaccords, sans cesse menacés d’éclatement au gré des conflits de voisinage, n’en fait pas une sourcepérenne de revenus, d’autant plus que les enfants du lotissement sont amenés à partir à leur tour.En outre, la proximité spatiale de familles aux niveaux de revenus et aux styles éducatifs parfoistrès différents génère des confits de voisinage (Chamboredon et Lemaire, 1970), comme dans lecas d’Aurore précédemment évoqué. Cette dernière n’a pas souhaité poursuivre l’expérience degarde avec Séverine, soupconnant dans le faible investissement éducatif de celle-ci à l’égard deson fils, l’expression d’une forme de jalousie sociale. Alors qu’Aurore et son mari, plus jeunesde dix ans, sont plus haut placés dans la hiérarchie salariale et professionnelle (fonctionnaire decatégorie A et informaticien), la pente de leur trajectoire sociale apparaît également clairementascendante : l’écart ne cesse alors de se creuser avec Séverine dont les perspectives d’évolutionprofessionnelle sont minces. La garde d’enfants à domicile représente enfin pour une partie deces nourrices reconverties sur le tard un relatif isolement social, que seule l’organisation de la

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profession peut partiellement combler. La création d’un relais pour assistantes maternelles sur lacommune a ainsi permis à Séverine de « sortir de [sa] cuisine une demi-journée par semaine ».

2.3. La mutualisation du travail domestique au sein de la parenté : la maison commeressource familiale

L’enquête de terrain révèle plus largement l’importance de la maison dans l’économie domes-tique de la parenté, dans un contexte de précarité économique grandissante. La maison permetnotamment la mutualisation des services de garde pendant l’année scolaire si les familles habitentà proximité, comme dans le cas d’Adeline précédemment évoqué, ou lors des vacances scolaires,la maison servant alors de lieu de villégiature pour les cousins. Monsieur et Madame Tsai sontpar exemple dans ce cas. Ayant fui le Laos avec leur famille au début des années 1980, ils ont étérelogés dans le secteur HLM grâce à une association de la banlieue lyonnaise. Travaillant commeouvriers depuis leur arrivée en France, ils ont progressivement reconstitué un capital financierleur permettant d’acheter à crédit un petit pavillon en 2009. Très proches de leur famille qu’ilscontinuent de fréquenter tous les week-ends, ils ont accueilli en juillet et août derniers plusieursde leurs neveux et nièces logés en HLM. En plus de compenser partiellement l’absence de départen vacances par le changement de cadre de vie, ils assurent aussi un service informel de garde,étant légèrement plus âgés. La maison, encore peu meublée (la pièce principale, un salon-cuisine,ne comporte qu’un canapé, une table de cuisine en plastique et un aquarium) permet ainsi deloger, même sommairement, l’ensemble des apparentés. Rita, leur voisine congolaise, ne s’estpas plainte de la sur-occupation temporaire du logement. Si elle se dit aussi heureuse de pou-voir accueillir lors des fêtes ou des vacances scolaires certains de ses proches, elle a égalementplacé sa fille aînée chez sa belle-sœur, locataire à Lyon, afin qu’elle puisse poursuivre sa scolaritédans le bon lycée privé de centre ville. Au contraire des thèses sur la nucléarisation de la famille(Parsons, 1955 ; de Singly, 2010), l’enquête montre ainsi que l’installation en maison n’empêchepas la formation d’un système résidentiel multi-situé au sein de la famille élargie et le maintiende solidarités familiales.

L’usage partagé de la maison n’est pas l’apanage des ménages immigrés et peut, dans certainscas, s’inscrire dans des situations beaucoup plus durables. Le pavillon semble dès lors jouer un rôleassurantiel croissant pour la famille élargie face à l’augmentation des risques sociaux (chômage,divorce, etc.). Ainsi, les ruptures conjugales plus fréquentes conduisent une partie des mèresde famille peu diplômées et surexposées au chômage à une cohabitation intergénérationnellecontrainte avec leurs ascendants. Si le seul couple retraité du lotissement, originaire « du coin »,qui hébergeait deux enfants quadragénaires n’a pas souhaité se prêter à l’entretien sociologique,sans doute par peur du jugement moral, d’autres ménages ouvriers retraités installés dans un ancienlotissement de la commune ont témoigné de cette situation de recohabitation intergénérationnellecontrainte. Une veuve a ainsi réaménagé le garage de son pavillon Phénix26 acheté dans les années1970, pour héberger sa fille et son petit-fils suite au divorce de cette dernière. Bien que l’accès aulogement soit indépendant, la cuisine reste toujours partagée et les repas sont pris en commun.Au côté des difficultés de décohabitation des jeunes liées à leurs conditions d’insertion sur lemarché du travail, cette situation de re-cohabitation contrainte au cours de la vie adulte constitueun véritable symptôme de la précarisation des classes populaires. La mutualisation d’une partie

26 Société de construction de maisons individuelles à bas prix.

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des ressources et les économies d’échelle engendrées par cette organisation familiale et permisespar le pavillon constituent, du point de vue des individus, une limite à leur autonomie.

3. Conclusion

L’acquisition d’une maison induit de nouvelles dépenses et génère certaines aspirationsà la consommation qui pèsent sur l’organisation quotidienne des ménages modestes, surtoutlorsqu’elle s’accompagne d’une forte mobilité géographique et d’un éloignement des anciensréseaux de sociabilité et d’entraide. Néanmoins, l’accueil durable ou temporaire de membres dela parenté soumis au durcissement des conditions de vie montre que le pavillon assure aussi unefonction sociale de solidarité et de redistribution, à l’opposé des thèses sur la nucléarisation de lafamille et de repli sur la sphère domestique généralement associées à ce type d’habitat (Bourdieuet Saint Martin, 1990). Le pavillon peut en outre constituer une ressource professionnelle nouvelleet fournir le support d’activités productives, comment en témoigne la transformation partielle dugarage en établi ou en salle de jeux pour les nourrices, ou encore l’usage du jardin d’agrémenten jardin potager. Certains cadres industriels ou informaticiens de la région parisienne licenciésau cours des années 1990 y ont également trouvé le support de nouvelles activités de conseil,dans un cadre indépendant et, aujourd’hui, de plus en plus fréquemment, d’auto-entrepreneur27.Le développement des services à la personne combiné aux politiques d’encouragement à l’auto-entrepreneuriat (un régime créé en 2009) pourrait ainsi renforcer les liens entre travail salarié ettravail domestique, d’autant plus que l’accession à la propriété pavillonnaire permet bien souventaux primo-accédants de disposer d’un espace de vie plus grand.

Mais l’achat d’une maison en zone périurbaine pourrait aussi contribuer à renforcer les inéga-lités observées entre classes sociales dans la division sexuelle du travail. En effet, si les enquêtesstatistiques de l’Insee (Dumontier et al., 2002) soulignent la plus grande contribution des hommesaux tâches ménagères et parentales, le rattrapage relatif du temps de travail domestique deshommes sur celui des femmes concerne davantage les classes moyennes supérieures, pour les-quelles l’égalité des rôles au sein du couple constitue une norme sociale valorisée. Pour lesménages modestes, notamment ouvriers, la répartition du travail domestique reste d’autant plusinégale que les femmes ne travaillent pas. Par la pression financière qu’il engendre et devantl’inégale mobilité des ménages, l’habitat pavillonnaire pourrait ainsi renforcer le retrait desfemmes peu qualifiées du marché du travail salarié et, in fine, accentuer leur spécialisationdomestique.

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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27 Cet article est issu d’un travail de thèse sur l’habitat pavillonnaire périurbain, réalisé à partir d’un terrain comparatifmené dans les régions lyonnaise et parisienne.

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