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1 Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année Institut de Formation en Soins Infirmiers INFIRMIER Promotion : 2013/2016 Remise du dossier : 20 mai 2016 Session:1 U.E 3.4 S6 5.6 S6 6.2 S6 TRAVAIL ECRIT DE FIN D’ETUDE La gestion des émotions, une nouvelle compétence infirmière ? Référent du suivi pédagogique : Madame Christine RAYMOND Formatrice chargée de la guidance : Madame Pascale VACARISAS Guillaume LEFORT Laurence ZAMMIT

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

Institut de Formation en Soins Infirmiers

INFIRMIER

Promotion : 2013/2016

Remise du dossier : 20 mai 2016

Session:1

U.E 3.4 S6 – 5.6 S6 – 6.2 S6

TRAVAIL ECRIT DE FIN D’ETUDE

La gestion des émotions, une

nouvelle compétence infirmière ?

Référent du suivi pédagogique : Madame Christine RAYMOND

Formatrice chargée de la guidance : Madame Pascale VACARISAS

Guillaume LEFORT

Laurence ZAMMIT

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

« Nous attestons que ce travail est personnel, cite systématiquement les sources

utilisées entre les guillemets et ne comporte pas de plagiat »

Guillaume LEFORT

Laurence ZAMMIT

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Remerciements

Nous souhaitons en préambule, adresser nos remerciements à toutes les personnes,

qui de près ou de loin, nous ont apportés leur aide dans l’élaboration de ce travail de

fin d’étude.

Nous tenons dans un premier temps à remercier notre formatrice guidante pour ses

conseils, sa disponibilité et son écoute.

Nous souhaitons également remercier l’ensemble de l’équipe pédagogique de l’IFSI de

Carcassonne qui a su nous élever pendant ces trois années de formation.

Nous remercions l’ensemble des professionnels de santé, notamment les infirmiers du

service des urgences, pour la richesse de leurs paroles et de leurs enseignements.

Enfin nos remerciements s’adressent à nos proches pour leur patience et leur aide

précieuse, notamment dans les moments d’incertitudes.

Merci

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SOMMAIRE

INTRODUCTION……………………………………………………… p. 7

1 Temps exploratoire…………………………………………………. p. 9

1.1 Contexte…………………………………………………………… p. 9

1.2 Situations d’appels contextualisée……………………………… p. 9

1.2.1 Situation d’appel n°1…………………………………………. p. 9

1.2.2 Situation d’appel n°2…………………………………………. p.11

1.2.3 Constats de situation………………………………………… p.11

1.3 Notre questionnement de départ……………………………….. p.12

1.4 Exploration des situations……………………………………….. p.13

1.4.1 Enquête exploratoire auprès des soignants………………. p.13

1.4.2 Recension des écrits………………………………………… p.15

1.4.2.1 L’échec et le sentiment de culpabilité chez le soignant…. p.15

1.4.2.2 L’agir pour sauver……………………………………………. p.16

1.4.3 Synthèse du temps exploratoire……………………………. p.17

2 Problématique théorique…………………………………………. p.20

2.1 Les représentations……………………………………………….. p.20

2.1.1 Introduction au concept de représentation…………………. p.20

2.1.2 Les représentations sociales………………………………… p.20

2.1.3 Les représentations professionnelles………………………. p.22

2.2 Les émotions………………………………………………………. p.24

2.2.1 Définition du concept des émotions………………………… p.24

2.2.2 Le travail émotionnel…………………………………………. p.25

2.2.3 L’intelligence émotionnelle…………………………………… p.28

2.3 Synthèse du cadre conceptuel…………………………………… p.29

2.4 Question de recherche……………………………………………. p.30

3 Protocole de recherche…………………………………………… p.31

3.1 Définition des mots-clefs de la question de recherche………… p.32

3.2 Méthodologie……………………………………………………….. p.32

3.2.1 Choix de la méthode…………………………………………... p.33

3.2.2 Choix de la population………………………………………… p.33

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3.2.3 Construction de l’outil de recherche………………………… p.34

3.2.4 Modalités de recueil de données……………………………. p.35

3.2.5 Lieu et période de l’étude……………………………………. p.35

3.2.6 Guide d’entretien……………………………………………… p.36

3.2.7 Modalités de transcription des données……………………. p.36

3.2.8 Critique de la méthode utilisée………………………………. p.37

CONCLUSION…………………………………………………………. p.38

Bibliographie……………………………………………………………. p.41

ANNEXE…………………………………………………………………. p.44

ABTRACT…………………………………………………………. ….. p.47

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L i s t e d e s s i g l e s u t i l i s é s

AFGSU : Attestation de Formation aux Gestes et Soins d’Urgence

AVC : Accident Vasculaire Cérébral

CH : Centre Hospitalier

CESU : Centre d’Enseignement des Soins d’Urgence

EHPAD : Etablissement d’Hébergement pour Personne Agée Dépendante

HAS : Haute Autorité de Santé

IDE : Infirmier Diplômé d’Etat

IGAS : Inspection Générale des Affaires Sociales

MIT : Massachusetts Institute of Technology

OAP : Œdème Aigu du Poumon

OMS : Organisation Mondiale de la Santé

RUSS : Réanimation-Urgences-SAMU-SMUR

SAMU : Service d’Aide Médicale d’Urgence

SAUV : Salle d’Accueil de l’Urgence Vitale

SMUR : Service Mobile d’Urgence et de Réanimation

SSR : Soins de Suite et de Réadaptation

UHCD : Unité d’Hospitalisation de Courte Durée

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

INTRODUCTION

La profession infirmière, régie par le décret 2004-11-28-802 du 29 juillet 2004

est une discipline professionnelle à part entière qui s’est forgée une identité propre et

reconnue des instances internationales au cours des XIXème, XXème et XIème siècles

suite aux bouleversements socioculturels, politiques, religieux, industriels et

économiques des sociétés occidentales. Avec l’évolution des besoins en matière de

santé, l’infirmier est aujourd’hui devenu un acteur incontournable et essentiel du

système de santé moderne.

Le mot infirmier tire ses origines du latin in-firmus, étymologiquement qui

s’occupe des infirmes. L’une des pionnières à qui l’on doit l’évolution de la profession

jusqu’alors réservée aux femmes pauvres et sans instruction, est Florence Nightingale.

Elle manifesta rapidement un réel intérêt pour les questions sociales et décida de

s'investir dans le soin des malades. En 1860 elle créa l’école d’infirmières Nightingale

School and Home for Nurses at Saint Thomas Hospital à Londres où les premières

infirmières-stagiaires recevaient une formation d’un an. Depuis maintenant plus de 150

ans, la profession et les champs de compétences des infirmières n’ont cessé d’évoluer.

Selon le décret sus-cité, relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la

profession d'infirmier, le champ de compétences légales se définit ainsi :

Les soins infirmiers, préventifs, curatifs ou palliatifs sont de nature technique,

relationnelle et éducative. Leur réalisation tient compte de l'évolution des sciences et des

techniques. Ils ont pour objet dans le respect des règles professionnelles des infirmiers et

infirmières, incluant notamment le secret professionnel, de protéger, maintenir, restaurer et

promouvoir la santé des personnes ou l'autonomie de leurs fonctions vitales physiques et

psychiques, en tenant compte de la personnalité de chacune d'elles, dans sa composante

psychologique, sociale, économique et culturelle. (Article R4311-2).

Selon l’OMS, la mission des soins infirmiers dans la société est d'aider les

individus, les familles et les groupes à déterminer et réaliser leur plein potentiel

physique, mental et social et à y parvenir dans le contexte de l'environnement dans

lequel ils vivent et travaillent, cela dans le respect d’un code de déontologie très strict.

Ceci exige que les infirmiers apprennent et assurent des fonctions ayant trait au

maintien et à la promotion de la santé aussi bien qu'à la prévention de la maladie.

C’est à partir de l’ensemble de ces évolutions de la profession que démarre

notre réflexion quant à l’exercice du métier. Les sciences infirmières représentent et

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désignent l'ensemble des savoirs théoriques, cliniques, éthiques et pratiques issus des

modèles conceptuels en soins infirmiers développés durant le XXème siècle. Nous

nous interrogeons ainsi sur la définition et la particularité du métier, non pas sur le plan

théorique et littéraire tel qu’il peut être présenté dans les textes et ouvrages officiels,

mais sur le plan des qualités humaines qu’il requiert et l’ensemble des composantes

intellectuelles et émotionnelles qui le déterminent. En effet, le cadre de la profession

est aujourd’hui parfaitement défini mais notre réflexion a démarré d’une part autour de

situations de décès de patients nous ayant tous deux questionnés, et d’autre part,

autour de récits, études et données récoltés auprès des soignants ayant vécu des

situations douloureuses et traumatisantes.

Une enquête menée par l’IGAS en 2009 constate qu’environ 58% des français

meurent dans un établissement de santé, dont 16% décèdent à l’issue d’un séjour

d’une durée inférieure ou égale à 24 heures, notamment aux urgences. Pourtant, à

l’hôpital, la mort demeure taboue et son évocation dérange. En effet, le personnel

hospitalier, et notamment médical, la ressent comme une défaite. L’enquête mentionne

que ce sont les décès imprévus et brutaux qui provoquent le plus de stress chez les

soignants, pouvant entrainer des deuils pathologiques et des situations de souffrance

au travail. Effectivement, comment s’armer face à la mort quand le socle même du

métier de soignant est de réaliser des soins destinés à maintenir ou restaurer la santé

de la personne malade ?

Cette question nous préoccupe à titre personnel autant que professionnel, et

nous souhaitions exploiter un thème autour de la mort en institution, notamment au

sein du service d’urgence où nous devions réaliser le sixième stage de notre formation.

Compte tenu de la nature des prises en charges aux urgences, nous avons donc

orienté notre thématique sur la mort violente, brutale, soudaine, accidentelle car nous

voudrions comprendre le processus émotionnel que mettent en place les soignants

face à de telle situation.

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1. TEMPS EXPLORATOIRE

1.1 Contexte : le service des urgences

L'accueil et le traitement des urgences est une des fonctions des centres

hospitaliers, publics ou privés. Il permet d’accueillir vingt-quatre heures sur vingt-quatre

les malades et les blessés. Le service d'urgences se charge du tri et de la prise en

charge immédiate des patients, puis après un certain temps, si cela est nécessaire

passe le relais aux structures médicochirurgicales adaptées et/ou au médecin de ville.

Le service des urgences se décompose en plusieurs zones, la zone d’accueil des

patients avec un accueil administratif et paramédical, ainsi que plusieurs salles dédiées

à l’attente avant l’enregistrement du patient, aux enfants et à leurs familles, au public

adulte dont l’état de santé permet une attente assise avant les soins, et un

emplacement dédié aux brancards pour les personnes arrivant allongées (pompiers,

ambulances…) ; des zones de soins dont les salles d’accueil de l’urgence vitale

équipées de matériel de réanimation, et des zones après soins pour l’attente des

résultats des examens, consultations spécialistes…. Il peut exister également une

unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) ainsi que divers services associés : le

bureau des services sociaux, le bureau de la permanence de l’accès aux soins et à la

santé, un secrétariat médical, une salle d’accueil famille, une salle d’examen pour

patient contagieux, une salle d’examen pour les personnes amenées par les forces de

l’ordre et un centre d’entrainement aux soins d’urgences (CESU)…Le service est en

liaison étroite avec le SMUR et le SAMU. Composé d’une équipe pluridisciplinaire

(médecins, internes, infirmiers, aides-soignants et brancardiers…) le service accueille

des patients qui présentent toutes sortes de pathologies à différents stades de gravité.

Ce service est particulièrement confronté aux situations de mort brutale.

Nous avons tous deux étés confrontés à plusieurs situations de décès soudains

durant notre stage et avons choisi de présenter celles qui nous ont particulièrement

questionnés.

1.2 Situations d’appel contextualisées

1.2.1 Situation d’appel n°1

La première situation que nous allons présenter concerne le cas d’une patiente

accueillie aux urgences dans les toutes premières semaines de notre stage. Cette

patiente, Madame G, âgée d’environ 90 ans, autonome dans les actes de la vie

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quotidienne, vivait seule à son domicile dans un village à proximité de Carcassonne

lors de sa prise en charge par le service. Suivie pour une hyper-tension artérielle,

Madame G n’avait pas d’autre antécédent médical.

Lors de son arrivée aux urgences avec le SAMU, elle présente un syndrome de

détresse respiratoire aigu que le médecin attribue à un probable OAP. La patiente est

alors installée dans un box SAUV, c'est-à-dire de réanimation. Madame G. est placée

sous assistance respiratoire avec un masque à oxygène à haute concentration et le

médecin demande que soit réalisée une gazométrie chaque heure afin de contrôler

l’efficacité de cette assistance, à évaluer l’équilibre acido-basique et le degré de

l’insuffisance cardio-respiratoire.

Une infirmière nous propose de réaliser une gazométrie, la cinquième. A ce

stade de notre formation et de notre stage, nous sommes en demande de gestes

techniques pour améliorer notre dextérité, et acceptons de réaliser ce prélèvement

sans avoir toutefois assuré la prise en charge globale de cette patiente dès son

arrivée.

La gazométrie, qui consiste à prélever le sang artériel généralement au niveau

du poignet sur l’artère radiale, est un acte douloureux pour les patients. Nous

expliquons à Madame G. que nous allons procéder à un nouveau prélèvement et nous

excusons pour la gêne et la douleur occasionnées. Nous étions sommes assez

perplexes en observant un hématome conséquent sur son poignet à l’endroit où quatre

prélèvements artériels ont déjà été effectués. Mais, galvanisés par l’autonomie qui

nous est concédée, nous réalisons tout de même la cinquième gazométrie. Madame

G. est consciente et souffre.

La patiente ne se trouvant pas dans l’un des box qui nous est attribués, nous

n’avons contribué que très ponctuellement à sa prise en charge, avec la réalisation de

la gazométrie, suite à la demande de l’infirmière alors occupée par un autre patient.

Deux heures plus tard, tandis que nous poursuivons la prise en charge d’autres

patients, une aide-soignante nous demande de venir l’aider. Madame G. est décédée.

Occupés par d’autres soins, nous ne nous sommes pas rendu compte de la

dégradation de l’état de la patiente. Nous restons sans voix, non pas que son décès

nous ait traumatisés, mais parce que nous avions eu peine à la voir souffrir au moment

de la réalisation de la gazométrie, et que la succession de soins invasifs et douloureux

signifiait pour nous l’évidence d’une amélioration de son état de santé et non sa mort

soudaine.

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1.2.2 Situation d’appel n°2

Il s’agit de notre premier jour de stage aux urgences et nous naviguons tant

bien que mal dans cet univers de soin qui s’agite au rythme de l’arrivée des patients.

Nous sommes encadrés pour ce premier jour par une infirmière en charge des 2 salles

d’accueil des urgences vitales.

Très rapidement, l’atmosphère relativement sereine du service change, la

régulation informe de l’arrivée via le SMUR d’un patient d’une quarantaine d’années en

urgence vitale absolue. Nous ne maitrisons pas encore le fonctionnement de la SAUV

et devenons alors observateurs de la prise en charge de ce patient : amené en

brancard, il est déshabillé, les constantes sont prises, un bilan est réalisé, il est

perfusé. Il est encadré par des médecins, des infirmiers, des aides-soignants, des

réanimateurs appelés en renfort : une multitude de soignants autour de ce patient. La

scène que nous observons nous choque profondément, le patient victime d’une rupture

de varices œsophagiennes vomit des flots de sang. La situation dégénère rapidement,

la salle devient bruyante : bips incessants du monitorage, voix fortes des réanimateurs

qui doivent agir vite sans céder à la panique, va-et-vient incessant des soignants…

Puis, le calme revient. Nous ne comprenons pas très bien ce qu’il se passe, les

soignants sortent de la salle, nous entendons parler l’infirmière qui nous encadre : « il

est en train de partir ». Partir ? Mais où part-il ? change-t-il de service ? Nous voyons

alors sur le brancard le corps sans vie du patient, son linge souillé de sang. Les aides-

soignants réalisent la toilette mortuaire de ce patient et rapidement, l’équipe d’entretien

des locaux est appelée pour nettoyer le box car, déjà un autre patient est attendu.

1.2.3 Constats de situation

A ce stade de notre formation, nous souhaitions réaliser un maximum de gestes

techniques pour parfaire notre dextérité et bénéficier d’une certaine autonomie dans la

gestion des patients, des soins, des examens et de leurs résultats. Le service des

urgences nous semblait être le lieu de formation idéal. Toutefois, les situations

rencontrées nous ont questionnés sur le bien-fondé de la réalisation de certains actes

techniques invasifs et douloureux.

Nous constatons que ce service requiert une bonne dextérité dans

l’accomplissement des gestes techniques, une parfaite connaissance du matériel

médical et des produits médicamenteux, du sang-froid et de la réactivité lors de la prise

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en charge d’un patient en urgence vitale. Or, nous avons pu observer pendant notre

stage que les urgences vitales ne représentaient qu’une faible part des prises en

charge médicales quotidiennes. Nous nous demandons si le modèle de prise en

charge adapté à l’urgence vitale ne devient pas le modèle de base adopté par les

soignants quel que soit le motif de consultation aux urgences.

Par ailleurs, le caractère soudain et imprévisible des décès aux urgences nous

questionne. Dans la première situation, nous assistons à la prise en charge d’une

personne âgée certes, mais qui bénéficie de soins médicaux visant à la maintenir en

vie coûte que coûte. Pourtant, malgré les connaissances, le savoir-faire, la dextérité

des soignants, et la multiplicité des actes à visée curative, cette personne est décédée.

Dans la deuxième situation, un patient bien plus jeune bénéficie également

d’une prise en charge optimale de la part de l’ensemble de l’équipe visant à le sauver

et pourtant, cette personne décède brutalement, dans des conditions qui nous ont paru

violentes, visuellement agressives et qui nous ont choqués.

Par ailleurs, nous constatons que la survenue de ces décès n’altère pas le

fonctionnement du service et la poursuite des soins auprès des autres patients.

Nous nous demandons donc quel est l’impact émotionnel de ces décès sur les

soignants. De plus, comment les soignants des urgences parviennent-ils à faire

abstraction de ces moments qui nous ont paru violents pour poursuivre la prise en

charge des autres patients ?

1.3 Notre questionnement de départ

Au regard des différentes interrogations qu’ont suscité les situations

précédemment décrites, nous établissons une question de départ :

Dans un service dédié à l’urgence où préserver la vie est un des fondements de

l’activité, les soignants adoptent un modèle de prise en charge qui nous semble

unidimensionnelle à visée curative quelle que soit la gravité de la pathologie, et doivent

mettre en place un processus émotionnel adapté pour faire face à la mort brutale.

Pour étayer cette hypothèse, nous avons donc consacré un premier temps de

recherche exploratoire à la pratique professionnelle au travers d’entretiens menés

auprès de soignants, de lectures d’ouvrages, d’articles, de revues professionnelles…

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1.4 Exploration des situations

1.4.1 Enquête exploratoire auprès des soignants

Nous avons mené deux entretiens qualitatifs de vingt minutes chacun le 22

novembre 2015 et le 23 novembre 2015 auprès d’infirmiers des urgences/SMUR. Nous

avons également recueilli des témoignages glanés tout au long de notre stage, auprès

de l’ensemble de l’équipe soignante des urgences. Nous voulions connaître les

représentations que les soignants avaient de leur métier, les modèles de prise en

charge qu’ils adoptaient au quotidien, leur rapport avec la mort et leurs mécanismes

d’adaptation aux situations de mort brutale.

Nous avons élaboré une trame de discussion autour de ce thème avec des

questions de relance :

Depuis combien de temps êtes-vous infirmier et depuis combien de temps travaillez-

vous aux urgences ; quel est votre parcours professionnel ? Que représente pour vous la

profession d’infirmier aux urgences ? Avez-vous déjà été confronté à des situations de mort

violente pendant vos années d’exercice ? Pouvez-vous me parler d’une situation qui vous a

particulièrement marqué ? Pourquoi cette situation vous a-t-elle particulièrement marqué ?

Comment avez-vous fait pour gérer cette situation ? Et comment faites-vous pour gérer les

autres situations au quotidien ? Qu’est-ce que vous aimeriez qu’il soit mis en place pour vous

aider à gérer ces situations ?

Les grands items communs ressortis de ces entretiens sont les suivants :

Travailler aux urgences est une vocation pour les soignants interrogés. Selon

les trésors de la Langue Française, la vocation se définit par le penchant impérieux

qu’un individu ressent pour une profession. Les infirmiers disent qu’ils ne souhaitent

pas travailler dans un autre secteur de soins et qu’ils ont construit leur parcours

professionnel en lien avec ce désir d’être confronté à la situation d’urgence. Ils

verbalisent leur fierté de travailler aux urgences.

Nous avons par ailleurs discuté avec l’ensemble des infirmiers du service,

notamment les jeunes diplômés, et nous avons constaté chez eux une volonté

profonde de faire carrière au sein des urgences, l’aboutissement ultime étant d’intégrer

les équipes SMUR. En effet dans leur représentations, l’infirmier du SMUR est expert

dans la prise en charge de l’urgence vitale, il maîtrise parfaitement les gestes

techniques de réanimation et possède de multiples connaissances

physiopathologiques. Ces infirmiers ont choisi de travailler aux urgences car ils

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reconnaissent apprécier l’action, la technique, l’imprévu, la diversité des situations de

soin, le travail d’équipe, et recherchent la montée d’adrénaline que provoque la

situation d’urgence.

Toutefois, le service des urgences est un microcosme particulier, premier lieu

d’accueil de l’hôpital, drainant plusieurs niveaux de requêtes. Les patients sont en effet

devenus consommateurs de santé, avec une exigence d’immédiateté par rapport à

leurs besoins qu’ils soient d’ordre somatique ou psychosocial et quel que soit le niveau

de gravité. Danet (2007) écrit : « Alors qu’ils (les services d’urgences) avaient été

initialement créés pour accueillir des pathologies aiguës et graves, seulement 2 % des

situations cliniques que ces services accueillent répondent à cette définition. » (p.224).

Dans ce même texte, l’auteur écrit que 2% des situations cliniques nécessitent la

réanimation ou des soins intensifs, 8% concernent des pathologies médicales

conduisant à une hospitalisation. Les autres situations touchent des personnes âgées

en rupture, des patients en crise psychosociale et des consultations non urgentes au

sens médical. Les infirmiers que nous avons rencontrés disent se retrouver confrontés

à des prises en charge ne relevant pas de l’urgence selon eux, loin de leurs

représentations de leur profession.

Par ailleurs, les infirmiers interrogés disent avoir été confrontés régulièrement

à des situations de morts violentes. Ils expriment être plus touchés par les décès de

personnes jeunes et mortes de façon accidentelle. Ils gèrent ce type de situations

plutôt de façon individuelle, en fonction de leurs croyances et de leurs valeurs mais

n’hésitent pas à en parler en équipe. Une forte représentation de leur profession est

liée à l’image de sauveur qui les habite, et lorsqu’ils sont confrontés à un décès

inattendu, ils peuvent le vivre comme un échec. Ils verbalisent de la culpabilité et ainsi,

une façon de gérer leurs émotions est de dire qu’ils ont tout tenté, qu’ils ont fait tout ce

qui était en leur pouvoir pour sauver le patient. Nous n’avons pas eu d’éléments

concernant leur besoin par rapport à un éventuel soutien pour mieux gérer ces

situations.

Au terme de ces entretiens, plusieurs thèmes ont retenu notre attention, thèmes

que nous avons explorés au travers de consultations professionnelles et scientifiques.

Tout d’abord, nous avons constaté que les infirmiers des urgences avaient une

représentation commune de leur métier que nous nommons l’agir pour sauver, orientée

vers une prise en charge plutôt médicale. Par ailleurs, confrontés à des situations de

mort malgré cette prise en charge, les soignants peuvent vivre ces décès comme un

échec et ressentir de la culpabilité.

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1.4.2 La recension des écrits

1.4.2.1 l’échec et le sentiment de culpabilité chez le soignant

Selon les trésors de la langue française, l’échec est le résultat négatif, et

généralement d’une certaine gravité, d’une entreprise. Le sentiment d’échec n’est pas

particulièrement propre aux soignants du service des urgences, et habite l’ensemble

des professionnels de soins confrontés à la mort. Phaneuf (2014) écrit que : « Le deuil

en milieu de soin […] comporte toujours un sentiment de perte narcissique, c’est-à-

dire, l’échec de l’idéal d’une possible guérison. » (p.4).

Selon Haas (2010), il existe trois types de morts aux urgences auxquelles sont

confrontés les soignants :

- La mort brutale et inattendue, le décès n’est pas prévisible au début de la prise en

charge mais s’annonce durant celle-ci ;

- La mort attendue : la mort du patient est d’emblée évidente ;

- La mort échappement, intermédiaire, lorsque le contrôle d’une pathologie aigüe finit par

échapper à l’équipe soignante et que le décès n’était pas envisagé au départ. (p.578)

C’est cette situation plus particulièrement qui peut générer un sentiment d’échec chez

les soignants, phénomène que nous avions observé au moment des entretiens

exploratoires, et qui est fortement lié au sentiment de culpabilité.

Selon le dictionnaire de psychanalyse de Laplanche et Pontalis, la culpabilité

désigne un état consécutif à un acte que le sujet tient pour répréhensible, ou encore,

un sentiment diffus d’indignité sans relation avec un acte précis dont le sujet

s’accuserait. Phaneuf (2014) écrit : « Qu’il s’agisse de la mort inattendue d’un

accidenté, d’un cardiaque ou d’un suicidé, elle (la soignante), est confrontée à

l’incompréhension et bouleversée par ce départ brutal, évitable peut-être ? » (p.4). Elle

ajoute « Certains infirmiers ne se trouvent pas à la hauteur de leur rôle, se font des

reproches. » (p.11).

Ce sentiment de culpabilité est particulièrement accentué par l’existence d’une

conception sociale du soin qui accorde de moins en moins de place au risque d’échec.

Barrea de Vleeschhouwer (2004) écrit : « Habité par la représentation sociale d’une

médecine toute puissante, le patient en vient à demander la réalisation d’un rêve

impossible, que les praticiens eux-mêmes, ont parfois fait miroiter. » (p.80). Elle ajoute

que cette conception est particulièrement forte dans les services techniques ou actifs

tels que les urgences et parle de « La survalorisation des services hautement

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techniques, dits actifs par opposition aux services dits passifs (gériatrie, neurologie,

psychiatrie). » (p.80). Dans son ouvrage Prendre soin à l’hôpital, Hasbeen (1987)

écrit même que : « Des infirmiers exerçant dans des secteurs aigus de haute technicité

sont animés par une forme de sentiment de supériorité… » (p.50). Rothier Bautzer

(2013) écrit dans Le Care négligé « C’est le lien au curatif et au traitement technique

de l’aigu qui fonde encore la noblesse du soin pour les groupes professionnels dans le

champ de la santé. » (p.25). Aux urgences, la gravité de certaines pathologies

rencontrées implique chez les soignants une forte maitrise technique, des

connaissances aguerries et une responsabilité maximale à l’égard des patients. Or,

face au décès inévitable, le soignant est, selon Laurent et al. (2005) « confronté au

paradoxe potentiellement stressant existant entre la nécessité d’une expertise sans

faille et la prise de conscience de ses propres limites. ».

1.4.2.2 L’agir pour sauver

Laurent (2005) écrit également que « devant l’état d’urgence vital du patient, il

faut agir rapidement et efficacement, et dans ce contexte, le personnel ne se permet

pas d’être envahi par ses émotions. ». Elle ajoute que devant l’état de détresse

extrême des patients « …les équipes doivent faire preuve d’une grande technicité qui

facilite ainsi le recours à une pratique médicale déshumanisée… », elle continue : « La

déshumanisation de la relation au patient se traduit généralement par une distanciation

avec le patient qui est alors considéré comme un objet. » ; « Cette mise à distance se

fait à l’insu du professionnel… et elle est ressentie de manière douloureuse comme

une forme d’échec. ». Par ailleurs, Laurent écrit que cette déshumanisation de la

relation serait liée à « une censure des réactions émotionnelles souvent considérées

comme professionnellement indésirables et non conformes aux normes de la

profession. ».

Phaneuf (2014) nomme cette censure « le syndrome de la femme forte », en

référence au mécanisme de défense, le stoïcisme, que met en place l’infirmière face à

la mort. Elle écrit : « … certains soignants cherchent plutôt à développer une forme de

neutralité afin de mettre leurs émotions à distance et même se former une carapace

pour tenir le coup sans flancher. » (p.8). Elle parle de « …crainte du jugement des

autres… qui pourraient les croire faibles, inefficaces et incapables de tenir leur rôle

professionnel… ». Elle ajoute que face aux situations de morts répétées, l’infirmière

« peut développer un affaiblissement de sa capacité d’empathie et privilégier les

attitudes protectrices contre la souffrance en se limitant à la technicité des

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

interventions de soins. ». Laurent parle de protection des soignants derrière l’acte

médical, mais il s’agit toujours du même mécanisme : faire, agir, et cultiver le sentiment

d’avoir été utile par l’action pour réduire l’angoisse causée par le décès. Phaneuf parle

alors de l’angoisse d’agir qui anime les soignants. Hesbeen évoque lui la centration sur

la tâche. Il écrit que le métier d’infirmier est ancré dans l’action, et que cela se

traduit par « un attachement important au faire. ».

Par ailleurs, la confrontation à la mort peut conduire à un changement des

valeurs professionnelles et personnelles : remise en question du soignant,

relativisme… et être considérée comme un rituel de passage auquel le soignant doit

faire face pour obtenir une légitimité professionnelle par ses pairs. Laurent (2012)

écrit : « La mort et le traumatisme sont un rituel de passage professionnel, pour

intégrer et faire partie du groupe […] L’intervention permet à certains de gagner en

notoriété, c’est-à-dire que plus la situation est traumatique, plus elle permet au

personnel d’être valorisé dans son action. ».

1.4.3 Synthèse du temps exploratoire

Au cours de notre passage aux urgences, nous avons tous deux été

confrontés à des situations de prise en charge ayant abouti au décès du patient. Ce

n’était pas la première fois dans notre cursus de formation que nous avions été

témoins de décès en structure, notamment en EHPAD. Nous avions observé que la

mort des résidents en EHPAD, malgré le caractère inéluctable de ces décès, touchait

les soignants qui s’autorisaient à montrer leurs émotions et qui pouvaient prendre un

temps d’arrêt pour verbaliser ces émotions avec l’ensemble de l’équipe. Aux urgences,

malgré le caractère soudain et parfois violent des décès, nous avons observé que le

fonctionnement du service n’était pas altéré par ce type de situations. Nous nous

sommes alors questionnés sur le processus émotionnel que mettent en place les

soignants des urgences pour surmonter ces morts brutales.

Ces questions nous semblaient importantes en tant que futurs professionnels.

En effet, le contact avec la mort peut être vécu difficilement, mais son

accompagnement fait partie des missions attribuées depuis des siècles à l’infirmier

selon Phaneuf : « ce passeur entre la vie et la mort. ».

Nous souhaitions également comprendre quelles représentations de leur métier

avaient les infirmiers des urgences, si ces représentations avaient une influence sur

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

leur vécu émotionnel face à la mort brutale, et sur la façon de prendre en charge les

patients.

Au travers de nos discussions avec le corps infirmier des urgences et de nos

lectures, il en ressort que les urgences sont un monde à part à l’hôpital, un

microcosme dans lequel les infirmiers, dans leur globalité, justifient leur présence dans

ce service avec fierté, convaincus que l’exercice de leur métier requiert une certaine

forme de vocation, le tout accentué par un grand sentiment d’utilité. L’objectif majeur

des jeunes infirmiers des urgences est d’intégrer l’équipe de SMUR, ces infirmiers

étant considérés comme des experts de l’urgence, des sauveurs capables de maintenir

la vie de patients en péril. Toutefois, le pourcentage de patients relevant de l’urgence

vitale aux urgences est minime, et les infirmiers se trouvent face à des malades dont la

situation médicale est loin des représentations de leur métier. Il existe une

survalorisation des actes techniques dans ce service liée, peut-être, à la vision

occidentale de toute-puissance médicale. La plupart des soins sont protocolisés, et

malgré l’impression d’autonomie dont pensent faire preuve les infirmiers des urgences,

on peut constater que la prise en charge des patients est essentiellement médicale,

axée sur la technique et ancrée dans l’action. Agir pour sauver, quelle que soit la

gravité de la situation, nous semble donc être la ligne de conduite des soignants aux

urgences. Nous nous demandons si le mode d’exercice d’un service peut avoir une

influence sur la prise en charge infirmière.

Parfois, les infirmiers sont confrontés à des situations de mort soudaine, des

décès qu’ils n’ont pas pu empêcher. Ils peuvent alors ressentir le décès comme un

échec, une défaite et éprouver un sentiment de culpabilité. Toutefois, dans la crainte

du jugement des autres, le soignant peut mettre en place une censure émotionnelle

face à la mort brutale et faire preuve de distanciation avec le patient qui semble se

traduire par une déshumanisation de la relation. D’autre part, l’activité des urgences ne

peut pas être interrompue, elle impose d’assurer la continuité des soins quel que soit

l’état émotionnel des soignants. De plus, les soignants peuvent utiliser ces situations

comme un tremplin à leur professionnalisation. En effet la mort brutale peut être

considérée comme un rituel de passage, asseyant une certaine légitimité

professionnelle : plus le soignant aura été confronté à des situations de morts brutales,

plus il obtiendra la reconnaissance de ses pairs. De plus, les expériences vécues lui

permettront d’améliorer ses futures prises en charge dans un contexte similaire. Nous

nous demandons si le mode d’exercice d’un service peut avoir une influence sur le

vécu émotionnel des soignants face à la mort brutale.

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Nous avons tous deux choisi de devenir infirmiers car cette profession véhicule

des valeurs qui sont importantes à nos yeux. Il s’agit d’un choix particulièrement

réfléchi dans le cadre d’une reconversion professionnelle. Pendant notre cursus de

formation, nous avons réalisé des stages dans des structures de soins très différentes :

EHPAD, psychiatrie, services hospitaliers, cabinets libéraux… Nous nous demandons

si les lieux d’exercice et les représentations liées à leurs activités peuvent influencer

les soignants, par rapport à leur vécu émotionnel, notamment face aux situations de

soins difficiles pouvant entrainer le décès du patient, et donc par rapport à leur façon

de prendre en soin.

L’ensemble de ce questionnement doit faire l’objet d’un approfondissement

théorique que nous allons présenter dans la deuxième partie de notre travail de fin

d’études. La question centrale qui découle de notre temps exploratoire est la suivante :

En quoi les représentations professionnelles du métier de soignant influencent

la gestion de ses émotions et donc sa prise en charge des patients ?

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2. PROBLEMATIQUE THEORIQUE

Afin d’étudier notre question centrale, nous allons présenter les concepts de

représentations professionnelles et de gestion des émotions.

2.1 Les représentations

2.1.1 Introduction au concept de représentation

Dans un premier temps, nous voulons comprendre le concept de représentation

professionnelle dans un service tel que les urgences, celui-ci ayant selon nous une

influence importante sur le mode de fonctionnement des soignants. Pour ce faire, Il

apparait important, de revenir sur les origines du concept de représentation. Le mot

représentation est apparu dès l’antiquité, particulièrement dans le domaine de

l’esthétique, et figure dans certains textes de Platon ou de Plotin. D’après le

dictionnaire historique de la langue française, le mot représentation tient ses origines

du mot latin repraesentatio qui signifie action de mettre sous les yeux.

Le philosophe Emmanuel Kant défini au 18°siècle « la représentation comme

le caractère unificateur des deux modes de connaissances que sont l’intuition et la

pensée »1. Son sens n’a cessé d’évoluer avec le temps et le mot est devenu beaucoup

plus subjectif, il tient désormais plus de l’imaginaire, de l’affect, de l’idée que l’on se fait

de telle ou telle chose. En effet, il désigne aujourd’hui le fait de se représenter, par le

biais d’une image intellectualisée sous l’influence de ses origines, sa culture, ses

croyances, son statut social ou autre, une action proprement dite.

2.1.2 Les représentations sociales

C’est à partir du 19° siècle que le concept de représentation sociale, qui

deviendra par la suite une notion fondamentale de la psychologie sociale, émerge avec

Durkheim qui introduit en 1898 l'idée de représentation collective, désignant des

façons communes de perception et de connaissance bien distinctes des

représentations individuelles. Aux urgences, ces connaissances s’articulent

essentiellement autour de la sphère médicale et des savoirs techniques et théoriques

qu’elles requièrent. La psychologie sociale est située à l'interface de la psychologie et

du social, de l'individuel et du collectif. Selon Formarier et Jovic (2013) « les

représentations sociales sont des phénomènes à la fois individuels et collectifs prenant 1 Dictionnaire des concepts philosophiques. BLAY, M. Larousse, CNRS Editions, 2006.

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en compte des groupes plus ou moins élargis. Elles influencent les manières de faire et

le champ des connaissances. » (p.265). Aux urgences, nous avons observé que quel

que soit le motif de consultation dans la filière longue, la prise en charge est

relativement toujours uniforme avec la réalisation d’un bilan sanguin et la pose d’une

perfusion. Abric (1997) considère que « les représentations sont un ensemble organisé

des informations, des croyances, des attitudes et des opinions qu’un individu (ou un

groupe) élabore à propos d’un objet donné. ». En France, à partir des années 60,

Moscovici réalise de nombreuses recherches autour du thème central des

représentations sociales. Dans ses différents ouvrages (1961, 1984), il démontre

l’influence des représentations sociales sur le plan sociocognitif lors de l’intégration de

la nouveauté ainsi que le rôle qu’elles exercent sur l'orientation des communications et

des conduites. Pour Moscovici, l’étude des représentations sociales peut se présenter

comme un ensemble hétérogène de savoirs, connaissances, valeurs qui définissent les

significations et perceptions d’une action ou d’un objet. C’est en 1961 qu’il élabore une

première définition du concept de représentations sociales, reprise par Jodelet (1991)

« Forme de connaissance socialement élaborée et partagée ayant une visée pratique

et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social. ». Les

sciences infirmières, auxquelles se rapporte le rôle propre infirmier, sont un exemple

concret pour illustrer la définition de Jodelet. En effet, les pratiques infirmières,

spécifiques à la profession et acquises durant la formation d’IDE ou l’exercice du

métier, élaborées et partagées par l’ensemble de la profession, concourent à la

construction d’un modèle identitaire. Ce modèle pouvant éventuellement être

catégorisé en fonction des différentes spécialités infirmières.

Toujours selon Jodelet d’après Moscovici (1989), « Le concept de représentations

sociales désigne une forme de pensée sociale. Celles-ci sont des modalités de pensée

pratique orientées vers la communication, la compréhension et la maîtrise de

l'environnement social, matériel et idéal. » (p.361)

Selon Abric, les représentations sociales ont des fonctions bien précises :

- Des fonctions cognitives : les représentations sociales permettent aux individus

d'intégrer des données nouvelles à leur cadre de pensée.

- Des fonctions d'interprétation et de construction de la réalité : elles sont une

manière de penser et d'interpréter le monde et la vie quotidienne. Les valeurs et le

contexte dans lequel elles s'élaborent ont une incidence sur la construction de la

réalité. Le contexte des urgences, de par la multitude et la diversité des motifs de

consultations, se prête parfaitement à la construction d’un modèle de prise en charge

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protocolisé et spécifique aux pathologies rencontrées. Il existe toujours une part de

création individuelle ou collective dans les représentations. C'est pourquoi elles ne sont

pas figées, même si elles évoluent lentement.

- Des fonctions d'orientation des conduites et des comportements : les

représentations sociales sont porteuses de sens, elles créent du lien ; en cela elles ont

une fonction sociale. Elles aident les gens à communiquer, à se diriger dans leur

environnement et à agir. Elles engendrent donc des attitudes, des opinions et des

comportements.

- Des fonctions identitaires : les représentations situent les individus et les

groupes dans le champ social et permettent l'élaboration d'une identité sociale et

personnelle gratifiante.

- Des fonctions de justification des pratiques : elles concernent particulièrement

les relations entre groupes et les représentations que chaque groupe va se faire de

l'autre groupe, justifiant a posteriori des prises de position et des comportements. Les

infirmiers des urgences justifient par exemple la pose systématique de cathéter

veineux périphérique (dans la filière longue) auprès de leurs collègues des autres

services par le caractère imprévisible de l’évolution délétère d’un motif de consultation.

Cet acte permettant, selon eux, d’anticiper les prises en charge et examens éventuels.

Les représentations sociales sont donc un processus que le soignant va

développer inconsciemment pour appréhender des aspects de la vie quotidienne avec

ses propres valeurs et conduites de sa vie en société, issues d’un sens commun selon

Bataille, et qu’il va dupliquer sur son mode d’action professionnel. Il n’est pas rare de

voir des infirmiers de services différents être en désaccord sur la nature ou la

réalisation d’un soin, chacun priorisant ses actions en fonction du secteur de soins

auquel il appartient. Il n’est pas rare de voir les infirmiers des urgences, toujours dans

cette logique purement somatique, favoriser le rôle prescrit au rôle propre.

2.1.3 Les représentations professionnelles

Les représentations professionnelles puisent leurs références théoriques dans

la psychologie sociale et dans les sciences de l'éducation.

Les représentations professionnelles, selon Moscovici, se définissent comme

une catégorie particulière de représentations sociales. Elles assurent le même rôle que

les représentations sociales mais dans un contexte professionnel. Ce sont des savoirs

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

communs, partagés et socialement élaborés par les membres d’un groupe

professionnel, et qui ne concernent qu’eux seuls et les objets du champ d’activité qui

leur est propre. Elles sont un ensemble structuré (Abric, 1994) de cognitions,

d’attitudes et de croyances qui définissent leur réalité et leurs pratiques. Dans le

service des urgences, les infirmiers considèrent qu’ils exercent tous avec le seul et

unique but de préserver la vie. La protocolisation de la plupart des soins dispensés,

spécifique au microcosme du service, renforce ce sentiment d’appartenance à un

groupe, tant par l’uniformité des soins dispensés que par le mode de pensée élaboré.

Les représentations professionnelles se définissent ainsi selon Bataille et al.

(1997) :

Ni savoir scientifique, ni savoir de sens commun, elles sont élaborées dans l’action et

dans l’interaction professionnelle qui les contextualisent, par des acteurs dont elles fondent les

identités professionnelles correspondant à des groupes du champ professionnel considéré, en

rapport avec des objets saillants pour eux dans ce champ.

Ces représentations permettent aux membres des groupes de se reconnaître

entre eux mais également de se différencier du reste de la population ou d’autres

groupes professionnels.

Les individus, qui sont sujets de la représentation professionnelle, sont alors

perçus comme des professionnels, partageant des pratiques et des références qui

fondent une culture commune, autrement dit une identité professionnelle selon Bataille

et al. (1997). Les représentations professionnelles assurent les mêmes fonctions que

les représentations sociales, appliquées cependant à un contexte spécifique : elles

offrent une grille de lecture commune de la réalité aux professionnels concernés

(fonction cognitive), elles orientent leurs pratiques pour savoir comment se comporter

(fonction orientation des conduites), elles permettent de justifier leurs actions passées

ou futures (fonction justificatrice), et contribuent à fonder une identité professionnelle

(fonction identitaire).

A l’hôpital, des études sociologiques et anthropologiques sur la profession

d'infirmier attestent d’une valorisation des soins techniques, comme nous avons nous-

mêmes pu le constater lors de notre passage en stage dans le service des urgences,

et véhiculent selon Vega (1997) l'idée que « les infirmiers hospitaliers ne se réalisent

pleinement qu’au travers du paradigme médical. ». Il convient donc de définir ce qu’est

l’hôpital pour comprendre ce qui s’y déroule. Le mot hôpital tire ses racines du latin

hospitalis domus, qui signifie maison où l’on reçoit les hôtes, et défini par le Larousse

comme un « Établissement public ou établissement privé ayant passé certaines

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conventions avec l'État et où peuvent être admis tous les malades pour y être traités ».

En anthropologie toujours selon Vega, l'hôpital se définit comme une institution fondée

sur un regroupement social autour du procédé thérapeutique, mais surtout un monde

foisonnant, qui croise des dimensions de l'homme quasi infinies. Selon Augé (1993),

l’hôpital est « un espace clos, circonscrit, aux frontières bien structurées, symbole

d'identité, commandant des relations prescrites entre partenaires obligés, relié à des

postures, à des attitudes. » (p.32). Cette définition établie par Augé suscite réflexion

car elle pourrait, selon nous, parfaitement s’adapter à la seule et unique présentation

du service des urgences, microcosme quasi autonome ou règne une appartenance

identitaire très forte. Propre au service, puisque reliée à des postures et à des attitudes

des membres de l’équipe, cette identité professionnelle influe donc sur la nature des

émotions des soignants qu’il convient donc d’approfondir.

2.2 Les émotions

2.2.1 Définition du concept des émotions

Il semble assez clair que les représentations professionnelles que les infirmiers

ont de leur métier influencent la gestion de leurs émotions. Afin de mieux comprendre

ce mécanisme, nous allons définir les émotions et approfondir les recherches sur la

nature de celles-ci.

L'émotion doit son étymologie au latin motio action de mouvoir, mouvement. Le

mot est toutefois construit en deux parties : le préfixe « e » issu de ex qui signifie

éloignement vers l’extérieur et le radical « motion » issu de movere. Selon Formarier

et Jovic (2013), le mot émotion a été construit au XIIIème siècle à partir du mot motion

(mouvement) d’après l’ancien français. Au XVème siècle, le mot est utilisé au sens du

trouble moral et au XVIème siècle comme un dérivé d’émouvoir. Parmi les premières

recherches sur le concept des émotions, on retrouve celles du philosophe Descartes

qui dans son ouvrage, Les Passions de l'âme, identifie six émotions simples :

« l'admiration, l'amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse ». Darwin (1872), dont les

travaux sur l'évolution des espèces vivantes ont révolutionné la biologie, décrit les

émotions comme universelles, innées et communicatives. Selon lui, les émotions

seraient un héritage de nos ancêtres dû au fait qu’à l’époque où l’homme n’était encore

qu’un chasseur-cueilleur, la confrontation à de nombreux phénomènes inattendus tels

que la rencontre de prédateurs, imposait une réponse rapide face aux situations

perçues comme dangereuses. R.W Picard, professeur de sciences au M.I.T pose la

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complexité des émotions par leurs particularités d’être idiosyncrasiques, c'est-à-dire

propres à chaque individu. Les émotions généreraient une capacité d’adaptation et de

changement face aux interactions avec l’autre. Aux urgences, face aux dizaines de

prises en charge quotidiennes auxquelles est confronté l’infirmier, celui-ci doit avoir la

capacité de s’adapter aux pathologies et à la diversité de la population rencontrées

(homme, femme, enfant, personne âgée, personne atteinte d’un handicap, d’une

maladie chronique, pathologie sociale, barrière de la langue, culturelle, etc.…). La

nature des émotions et la manière dont il les gère influencent ainsi sa posture

professionnelle.

La théorie psycho-évolutionniste des émotions de Plutchik et Kellerman (1986),

est l'une des méthodes de classification des réactions émotives générales. Il

considérait qu'il y avait huit émotions de base : la joie, la peur, le dégoût, la colère, la

tristesse, la surprise, la confiance et l'anticipation. C’est à partir de ce constat qu’il

construit une roue des émotions en 1980 pour démontrer que les mécanismes de

défense psychologique sont des manifestations des huit émotions de base. Ainsi,

l’émotion peut se définir comme une expérience à la fois psychologique et

physiologique de l'état d'esprit d'un individu lorsqu'il est soumis à des influences

biochimiques (interne) et environnementales (externe). Selon Myers (2004), l'émotion

introduit de façon essentielle « un comportement physiologique, des comportements

expressifs et une conscience. » (p.500). L'émotion est associée à l'humeur, au

tempérament, à la personnalité, à la disposition et à la motivation de l’individu.

2.2.2 Le travail émotionnel

C’est dans le champ de la sociologie des émotions que nous avons souhaité

dans un premier temps orienter notre travail de définition du concept. En effet, ce

champ cherche à comprendre comment les dimensions socioculturelles façonnent les

émotions et impactent leur gestion. Or, la dimension sociale du travail au sens activité

rémunérée qui permet la production de biens et services, pourrait demander en effet

une certaine gestion ou maîtrise de l’expression des émotions.

Les émotions, parce qu’elles seraient involontaires et difficilement contrôlables,

ne pourraient pas, à priori, être conduites par des règles sociales, superposables au

comportement et à la pensée. Pourtant, des connexions apparaissent entre la structure

sociale, les règles de sentiments, la gestion des émotions et l'expérience émotionnelle,

connexions que tente d’établir Hochschild professeur de sociologie à Berkeley à

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travers ses travaux de recherche. Elle se demande en effet pourquoi les expériences

émotionnelles sont normalisées dans la vie de tous les jours : les gens sont joyeux à

une fête, tristes à des funérailles, heureux à un mariage… De la même façon, nous

avons constaté que les soignants dans la sphère sociale du service des urgences,

normalisent leurs émotions en ne les montrant pas, ou peu.

Hochschild (2003) se questionne donc sur les conventions concernant les

sentiments. Elle émet l’hypothèse suivante : « Il semble que des règles régissent la

façon dont les gens essaient de réagir ou de ne pas réagir émotionnellement de

manière convenable à une situation. » (p.19). Selon nous, les règles établies aux

urgences impliquent que les soignants limitent leurs réactions émotionnelles pour

continuer à assurer les soins de façon efficiente. En effet, il est fréquent, par exemple,

d’y entendre les soignants désigner un patient non pas par son nom, son sexe ou sa

catégorie sociale mais par la raison de sa présence dans le service (ex : l’AVC du box

quatre).

Selon le modèle de pensée de l'interactionnisme, les émotions

s’imprègneraient donc des influences sociales. Ainsi, les individus mettraient en œuvre

un travail pour tenter d’adapter leurs émotions aux différentes situations sociales. Elle

appelle ce travail le travail émotionnel, soit l’acte par lequel l’individu tente de modifier

le degré ou la qualité d’une émotion. Elle parle de deux catégories de travail sur les

émotions : l’évocation, la cognition vise un sentiment désiré, absent au préalable ; la

suppression, la cognition vise un sentiment involontaire initialement présent.

Hochschild pense que l’individu est conscient de la contradiction possible entre ce qu’il

ressent et ce qu’il voudrait ressentir ou ce qu’il croit devoir ressentir dans une situation

donnée. En réaction, l'individu tente d’éliminer cette divergence en travaillant sur le

sentiment. Il peut alors mettre en œuvre diverses techniques de travail émotionnel. La

technique cognitive tente de modifier l’image, l’idée ou la pensée afin de

métamorphoser le sentiment associé. Une deuxième technique est dite corporelle et

utilise par exemple la respiration contrôlée pour modifier certains symptômes

physiques de l’émotion. Il existe également le travail émotionnel expressif où l’individu

tente de modifier son expressivité pour transformer le sentiment intérieur.

Ce travail qui consiste à rendre le sentiment compatible à la situation est un

travail que l’individu réalise intérieurement de façon continue. Mais il obéit parfois à des

règles qui ne sont pas entièrement décidées par lui. Les lignes de conduites sociales

qui dirigent la façon dont les individus essayent de ressentir peuvent être décrites

comme un ensemble de règles partagées socialement : « Ces droits et devoirs de

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

sentiment sont des indicateurs de la profondeur des conventions sociales, jusqu’ aux

limites extrêmes du contrôle social. ». L’auteur écrit que les règles de sentiment sont le

reflet des modèles d’appartenance sociale et qu’elles peuvent être utilisées pour

spécifier son appartenance à un groupe social bien défini. Nous pensons qu’aux

urgences, les soignants sont amenés à prendre de la distance par rapport à leurs

émotions parce que cette façon d’être est conforme au groupe.

Hochschild a donc défini cette maîtrise des émotions ou « travail émotionnel »,

comme la compréhension, l’évaluation et la gestion de ses propres émotions, mais

également celle d’autrui notamment dans la sphère du travail (Hochschild, 1983 et

1993). Pour elle, le travail émotionnel dans l’emploi possèderait trois caractéristiques

principales :

- il demande un contact face à face, un échange verbal ou non verbal avec un

public ;

- l’attitude et l’expression du travailleur produisent un état émotionnel (la

confiance, la sécurité, la peur, etc.) chez le client (ou le patient) ;

- la dimension émotionnelle faisant partie de la tâche, les employeurs peuvent

exercer un contrôle sur les activités émotionnelles des employés, à travers, par

exemple, la formation et/ou la supervision.

Dans les organisations, les travailleurs observent des règles de sentiments :

feeling rules, qui suggèrent le type d’émotion appropriée dans chaque interaction et

dans chaque rôle. Or, pour être conforme à ces règles de sentiments, les travailleurs

mettent en pratique le travail émotionnel. Le management peut imposer ces règles de

sentiments. Par exemple, il peut être prescrit de sourire même si l’on n’en a pas envie.

De plus, et cela est un point essentiel pour Hochschild, l’exécution de cette prescription

exige une synchronisation de soi et de ses propres émotions pour que le travail puisse

s’accomplir sans trop de pénibilité. Ainsi l’organisation du travail détermine des règles

sociales et émotionnelles qu’il convient de respecter, et impose un travail émotionnel

certain notamment dans un service tel que les urgences où les soignants deviennent le

réceptacle des émotions des patients et de leurs familles.

Or, cet état de fait amène à se questionner sur le concept d’intelligence

émotionnelle chez les soignants.

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

2.2.3 L’intelligence émotionnelle

Dans les années 90, Salovey et Mayer définissent l’intelligence émotionnelle

comme « l’habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter

la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les

émotions chez soi et chez les autres. » (p.185). Afin d’étayer leur théorie, Mayer,

Salovey et al (2001) démontrent que le concept d’intelligence émotionnelle se situe

entre l’interaction des émotions préalablement définies et des cognitions. Les

cognitions sont un ensemble de processus mentaux qui se rapportent à la fonction de

connaissance et qui permettent à l’organisme d’apprendre de son environnement et de

résoudre des problèmes dans des situations nouvelles. Ces apprentissages se font

souvent dans le but de satisfaire les motivations ou afin de créer ou de maintenir des

émotions positives. Damasio (1995) écrit que « les émotions font partie des fonctions

cognitives car le raisonnement et la prise de décision ne peuvent pas se faire sans les

émotions. ». Il convient donc de dire, selon ces auteurs, que l’intelligence émotionnelle

est l’expression d’une interaction entre les émotions et les cognitions. Mayer, Salovey

et al défendent l’idée que les êtres varient dans leur capacité à traiter l’information

d’une nature émotionnelle et que cette même capacité influe dans certains

comportements d’adaptation. A contrario, on pourrait penser qu’il existe un profil type

capable d’exercer dans un service tel que les urgences, profil qui nécessiterait pour les

infirmiers de traiter les informations de manière quasi uniforme afin de procéder à une

prise en charge standard et commune.

Selon ces auteurs, précurseurs du concept d’intelligence émotionnelle, ce

modèle comporte deux dimensions. Tout d’abord une dimension expérientielle, qui

consiste en la capacité à percevoir et à manipuler l’information émotionnelle, puis une

dimension stratégique qui permet à l’individu de comprendre et de gérer les émotions

sans nécessairement bien percevoir les sentiments qui en découlent.

Ainsi l’intelligence émotionnelle est une intelligence intra personnelle, qui

permet à une partie de notre personnalité de se mettre à l’écoute d’elle-même. C’est

une prise de conscience de soi, de ses propres sentiments, au fur et à mesure de leur

apparition. Elle favorise selon Goleman (1997), une « conscience impartiale des

sentiments passionnés ou agités, une distanciation par rapport à l’expérience vécue,

une évolution au-dessus ou à côté du flux principal ». Nous pouvons transposer cette

citation avec le ressenti des soignants aux urgences, lorsqu’ils sont confrontés à des

situations de morts brutales et qu’ils sont capables de prendre à la fois conscience de

leurs émotions et de les mettre à distance pour assurer les soins. En effet, lorsque les

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

ressentis sont repérés, les soignants deviennent plus lucides sur la situation qu’ils sont

en train de vivre. La distanciation qu’ils adoptent par rapport à la situation leur permet

une plus grande concentration sur leur environnement, en l’occurrence la prise en

charge du patient.

Des modèles mixtes de l'intelligence émotionnelle, développés initialement par

Mayer et Salovey, mais rapidement abandonnés, posent le fait qu’une telle intelligence

pourrait être influencée par les caractéristiques de la personnalité de l’individu tel que

la persévérance, la projection, etc. Cependant, d’autres chercheurs, tel que Bar-On

directeur de l’Institut des Intelligences Appliquées du Danemark, ont poursuivi leurs

recherches sur cette voie. Bar-On (1997) développe le concept centré sur une gamme

de capacités émotionnelles et sociales. Il définit l’intelligence émotionnelle comme

« l'agrégation d'habilités, de capacités et de compétences [...] qui [...] représente une

collection de connaissances utilisées pour faire face à la vie efficacement » (p.15).

L’auteur soutient l’idée que l’intelligence émotionnelle se développe avec le temps, et il

est possible de l’améliorer par la formation.

2.3 Synthèse du cadre conceptuel

Afin de synthétiser les différentes recherches conceptuelles effectuées, nous

allons reprendre les idées maîtresses.

Dans un premier temps, nous avons pu constater que les représentations

professionnelles, issues des représentations sociales, offrent une grille de lecture

commune aux infirmiers des urgences. Elles orientent leurs pratiques, permettent de

justifier leurs actions passées et contribuent à fonder une identité professionnelle, une

culture commune. Elles permettent aux membres du groupe de se reconnaître entre

eux, mais également de se différencier des autres professionnels. Nous pensons que

les infirmiers des urgences ont une représentation professionnelle de leur métier axée

sur la gestion de leurs émotions, notamment dans les situations d’urgences vitales. Le

travail émotionnel est l’acte par lequel le soignant tente de modifier le degré ou la

qualité d’une émotion, en relation avec une situation sociale qui impose ses règles.

L’urgence vitale nécessite maitrise et dextérité dans l’accomplissement des soins

techniques, et implique ainsi, un travail sur ses propres émotions, à savoir prendre

conscience de ses ressentis pour être capable de les mettre à distance, et rester

efficace en toute circonstance. Ce type d’intelligence, l’intelligence émotionnelle, se

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

développe avec le temps, elle représente un ensemble d'habiletés, de capacités et de

compétences et nous pensons qu’elle contribue à développer l’expertise de l’infirmier.

A la lecture des différents concepts, notre questionnement de départ s’est peu à

peu modifié, étayé par les théories des auteurs que nous avons pu étudier. Notre

question centrale était : En quoi les représentations professionnelles du métier de

soignant influencent la gestion de ses émotions et donc sa prise en charge des

patients ? A l’issue du temps de recherche conceptuelle, notre questionnement

s’oriente sur l’hypothèse d’une interrelation entre gestion émotionnelle et compétences

professionnelles. Nous voulons savoir si le travail émotionnel que mettent en œuvre les

soignants, participe au développement de leurs compétences et les rend plus

performants notamment en situation d’urgence.

2.4 Question de recherche

Ainsi notre question de recherche est :

La gestion des émotions chez l’infirmier peut-elle être considérée comme

une compétence professionnelle lors de la réalisation d’actes techniques en

situation d’urgence ?

Nous souhaitons montrer que la maîtrise des gestes techniques en situation

d’urgence vitale permet la normalisation de la gestion des émotions des soignants.

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

3. Protocole de recherche

Dans le cadre de notre formation, nous sommes amenés à réaliser un travail

d’initiation à la recherche.

Notre formation nous a permis d’effectuer des stages dans de nombreux

secteurs de soins, de l’EHPAD, au service des urgences en passant par la psychiatrie.

Nous avons pu observer différentes façons de prendre en charge l’urgence vitale en

fonction du lieu d’exercice. Nous souhaitons ainsi comprendre dans quelle mesure la

gestion des émotions chez l’infirmier peut être considérée comme une compétence

professionnelle, lors de la prise en charge d’une situation d’urgence de façon

spécifique, mais également lors de la prise en soin globale d’un patient. Nous avons

choisi de recueillir des données à travers l’observation de la prise en charge d’une

situation d’urgence vitale nécessitant la réalisation d’actes techniques. Nous voulons

vérifier l’hypothèse que le travail sur les émotions que mettent en œuvre les infirmiers

aguerris aux situations d’urgence impliquant des soins techniques, développe leur

capacité à prendre en charge ces situations difficiles. Cette gestion émotionnelle

pourrait favoriser selon nous la maîtrise des situations génératrices de stress et

améliorer l’adaptation du soignant au contexte. Selon nous, le soignant qui travaille sur

ses émotions, conserve ses capacités d’analyse et de synthèse, renforce sa confiance,

conforte son rôle propre et rassure le patient, peut exécuter avec précision et

discernement les prescriptions médicales.

Cette recherche présente pour nous un intérêt fondamental. En effet, nous

pensons que le travail émotionnel chez les soignants, à savoir prendre conscience de

ses émotions pour être capable de les mettre à distance ou de les adapter à la

situation, participe au développement de leurs compétences professionnelles, favorise

le mieux-être au travail, et de façon globale, contribue à l’amélioration de la qualité des

soins.

Nous avons choisi de mener cette recherche à travers l’exploitation de propos

recueillis auprès d’infirmiers ayant été confrontés à des situations d’urgence

nécessitant la réalisation de soins techniques.

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

3.1 Définition des mots-clefs de la question de recherche

Dans un premier temps, nous souhaitons expliciter les différents items de notre

question de recherche.

Nous contextualisons cette enquête par rapport à la situation d’urgence et

devons définir ce que nous entendons par situation d’urgence vitale. L’urgence vitale

est une situation non prévue, de survenue soudaine qui nécessite une réponse rapide

et peut mettre en cause le pronostic vital du patient. Les protocoles concernant la

conduite à tenir en situation d’urgence vitale sont spécifiques à chaque structure, mais

tout soignant doit être formé à la prise en charge de l’urgence et posséder l’attestation

de formation aux gestes et soins d’urgence (AFGSU). Cette situation d’urgence peut

être rencontrée à tout moment et dans toute structure médicale. Son caractère

imprévisible nécessite une prise de décision rapide et adaptée.

Concernant la compétence infirmière dans le cadre de l’urgence, le référentiel

de la profession infirmier identifie clairement le critère « pertinence des réactions en

situation d’urgence » inclus dans la compétence 2 : « Concevoir et conduire un projet

de soins infirmiers. ». Afin de valider ce critère, l’infirmier doit savoir repérer les

situations d’urgence et de crise, mettre en œuvre et savoir expliquer les mesures

d’urgence appropriées.

Au sens plus large, le concept de compétence renvoie au domaine d’activité

d’un métier et à ses exigences propres. Selon Le Boterf (2002) : « la compétence d’un

professionnel se reconnaît à sa capacité à gérer efficacement un ensemble de

situations professionnelles. Pour cela, il devra savoir combiner et mobiliser plusieurs

compétences ou ressources. » (p.20).

3.2 Méthodologie

Notre objectif de recherche est de vérifier l’hypothèse selon laquelle le travail

sur les émotions que mettent en œuvre les infirmiers aguerris aux situations d’urgence,

développe leur capacité à prendre en charge ces situations difficiles. Nous voulons

vérifier cette hypothèse à travers la réalisation d’actes techniques réalisés en situation

d’urgence. Nous voulons connaître les stratégies mises en place par les soignants afin

de gérer les émotions lors de ces gestes, savoir si ces stratégies sont efficaces, si elles

permettent de réduire la tension, favorisent la réalisation de ces actes techniques et

améliorent la prise en charge globale.

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

3.2.1 Choix de la méthode

Nous souhaitons mener une étude qualitative au travers d’entretiens individuels

menés en face à face auprès d’un échantillon réduit, afin de comprendre en profondeur

les attitudes ou comportements. Idéalement, nous aurions envisagé une méthode

qualitative par le biais de grille d’observation. Or, la situation d’urgence relève de

l’imprévisible, et il nous est impossible de prévoir quand et où aura lieu la situation

d’urgence qui nécessitera la pose d’un cathéter veineux. Nous avons donc choisi de

réaliser des entretiens semi-directifs à posteriori, avec des infirmiers travaillant aux

urgences, mais également des infirmiers d’autres services, pouvant être confrontés à

la situation d’urgence.

3.2.2 Choix de la population, critères d’inclusion, critères d’exclusion

Cette étude doit apporter des données qualitatives que nous souhaiterions

comparer. L’enquête qualitative n’a aucune validité statistique : on ne cherche pas à

représenter statistiquement la population, mais à identifier l'ensemble des situations

possibles, donc nous avons choisi d’interroger un échantillon de vingts infirmiers dans

le respect de la règle du seuil de saturation. En effet, au-delà d’un certain nombre

d’entretiens, les propos des personnes interrogées se répètent, n’apportant plus de

données exploitables.

Nous souhaitons donc interroger des infirmiers du service des urgences

expérimentés, des infirmiers des urgences novices, et des infirmiers novices et

expérimentés de différents services hospitaliers dont l’activité nécessite la réalisation

de soins techniques. Par ailleurs, nous ne voulons pas que notre enquête soit biaisée

par la non pratique régulière de gestes techniques. Nous excluons donc les infirmiers

travaillant dans des services où les actes techniques sont une activité très réduite

(certains secteurs de psychiatrie, les établissements médico-sociaux type foyer

d’accueil médicalisé…)

Choix des terrains d’études :

Nous avons donc choisi de réaliser l’enquête dans les services d’urgences de

Carcassonne : CH de Carcassonne et Clinique Montréal. Nous avons également

décidé d’interroger les infirmiers des services suivants du CH de Carcassonne :

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- Pneumologie (deux IDE)

- Réanimation (deux IDE)

- Cardiologie (deux IDE)

- Gastro-entérologie (deux IDE)

- Médecine gériatrique (deux IDE)

- Neurologie (deux IDE)

- EHPAD (deux IDE)

Nous incluons également deux infirmiers d’un SSR.

3.2.3 Construction de l'outil de recherche

Notre outil de recherche a été construit en fonction des éléments que nous

souhaitions trouver. Afin de comprendre la nature de sa réalisation et les objectifs

définis, nous faisons un rapide récapitulatif de nos hypothèses de travail et des

interrogations qu’elles ont engendrées :

Aux vues des recherches effectuées sur le terrain et après étude des concepts

qui en ont découlés, nous pensons que les soignants des urgences confrontés de

façon régulière aux situations difficiles pouvant entrainer la mort du patient, apprennent

à travailler leurs émotions. Cette capacité leur permettrait d’améliorer la prise en

charge de l’urgence notamment quand il s’agit d’effectuer des actes techniques. Nous

voulons prouver qu’ils mettent en œuvre des stratégies spécifiques, nous voulons

connaître la nature de ces stratégies. Nous voulons comparer ces stratégies avec

celles que peuvent mettre en place les soignants qui travaillent dans des services

techniques, mais qui ne sont pas autant confrontés à la situation d’urgence pouvant

entrainer le décès. Nous voulons prouver que le travail émotionnel et l’intelligence

émotionnelle que développent les soignants des urgences sont une compétence

spécifique. L’intérêt pour nous de cette recherche est de parvenir à identifier les

attributs de cette compétence afin de pouvoir la rendre accessible à tous les soignants,

notamment par le biais de la formation professionnelle.

Notre outil de recherche aborde plusieurs questions regroupées en thème.

Le premier thème concerne les informations d’ordre général : le sexe, l’âge,

l’ancienneté dans la profession, le service dans lequel l’infirmier travaille, son

ancienneté au sein du service.

Le deuxième thème concerne la situation elle-même et la contextualise :

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

- Décrivez- moi la situation :

- Comment s’est déroulé la prise en charge ?

- Question de relance si non évoqué : avez-vous du effectuer des actes

techniques ? Lesquels ? Avez-vous rencontré des difficultés à les réaliser ? Si

oui, pourquoi ? Quels moyens avez-vous mis en œuvre pour les réaliser ?

- Qu’est-il arrivé au patient à l’issue de votre prise en charge ? :

Le troisième thème concerne les émotions ressenties pendant la situation :

- Comment vous êtes-vous senti dans cette situation ? :

- A quoi pensiez-vous sur le moment ? :

- Comment vous-êtes-vous senti une fois la prise en charge terminée ?

Le quatrième thème concerne la gestion des émotions :

- Comment avez-vous géré vos émotions ?

- Quels sont les moyens que vous avez pu mettre en place pour diminuer la

tension ressentie après cette prise en charge ?

Le cinquième thème concerne l’analyse à postériori de la situation

- Qu’est-ce que vous avez retenu de cette situation ?

- Comment feriez-vous les choses si cette situation se renouvelait ?

- De quels moyens (formation par exemple) auriez-vous besoin pour améliorer

votre prise en charge dans ce type de situation ?

- Qu’est-ce qui pourrait vous rassurer si vous rencontriez à nouveau une

situation similaire ?

3.2.4 Modalités de recueil de données

Nous recueillerons les données par le biais de l’enregistrement des entretiens.

Nous devrons donc recueillir en amont le consentement des personnes interrogées à

exploiter les données enregistrées et les diffuser.

3.2.5 Lieu et période de l’étude

Comme évoqué précédemment, l’étude se déroulera, pour des raisons

pratiques, à Carcassonne au sein d’un établissement public et de cliniques privées. La

période et la durée d’enquête n’ont pas d’importance majeure et ne devraient pas

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influer sur la nature des résultats obtenus. Nous l’estimons à deux mois et pourrions la

conduire à n’importe quel moment de l’année.

3.2.6 Le guide d’entretien

Nos entretiens se feront sur la base du volontariat. Ils nécessiteront l’accord de

la personne interrogée, la présentation du cadre de recherche au niveau déontologique

(anonymisation de l’enquête, respect du secret professionnel…) et juridique (référentiel

de formation de la profession infirmier, arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat

d’infirmier), et l’objectif de cette recherche. Voir annexe I.

3.2.7 Modalités de transcription des données

Nous utiliserons l’analyse du contenu selon Bardin. Elle propose une méthode

utilisable en psychologie, sociologie, par des praticiens ou chercheurs, quelles que

soient la spécialité ou la finalité. Rigoureuse et fiable, l’analyse du contenu est issue

des approches interprétatives plus ou moins intuitives et s'est enrichie des

développements de la linguistique et de l'informatique. L’analyse de contenu est une

des méthodologies qualitatives utilisées particulièrement dans les sciences sociales et

humaines depuis les années 1950. Elle consiste en un examen systématique et

méthodique de documents textuels ou visuels. Dans une analyse de contenu le

chercheur tente de minimiser les éventuels biais cognitifs et culturels en s’assurant de

l’objectivité de sa recherche.

Cette méthode d’analyse des différentes formes de communication est un

instrument d'investigation applicable à des messages de natures très différentes :

diffusions de masse ou échanges interpersonnels, entretiens cliniques ou matériaux

d'enquête, observations ethnologiques ou documents historiques, tests psychologiques

ou textes littéraires. Selon Bardin, toute parole - orale ou écrite, spontanée ou suscitée

- peut être soumise à l'analyse de contenu. Une analyse de contenu nécessite une

sélection de documents textuels, visuels ou sonores. Pour être réalisée, elle nécessite

une sélection de documents, entretiens infirmiers pour notre part, en accord avec une

question de recherche préalablement déterminée.

Pour réaliser cette analyse, nous procéderons à la classification des entretiens

infirmiers en créant différentes catégories d’infirmiers en fonction de leur lieu

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d’exercice, et de leur expérience dans le métier, afin de faire ressortir les déterminants

des entretiens réalisés.

3.2.8. Critique de la méthode utilisée

La majorité des contraintes, quant à la récupération d’informations fiables et

exploitables, s’expliquent par le caractère rétrospectif de l’étude. En effet, les

informations récoltées seront issues d’entretiens basés sur les souvenirs des soignants

et de la représentation qu’ils se sont faite de leur intervention, souvenirs pouvant être

biaisés par une analyse répétée des causes et des conséquences de la situation

potentiellement traumatisante. De plus, la nature de la pathologie et de l’intervention

peut être un facteur influençant. En effet, les causes cardio-vasculaires diffèrent des

causes traumatologiques ne serait-ce que par la présence de sang, par exemple.

Enfin, la survie ou le décès du patient ne dépendent pas du seul accomplissement

d’actes techniques mais d’un ensemble de facteurs complexes, alors que la

représentation finale que les infirmiers auront de leurs actions risque d’être influencée

par le devenir du patient.

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Conclusion

La profession infirmière, en perpétuelle évolution depuis deux siècles dans les

pays occidentaux, avec le développement des sciences infirmières visant à prodiguer

des soins de qualité et la généralisation de la recherche infirmière en complémentarité

des connaissances et savoirs professionnels déjà acquis, tend à se détacher du seul et

unique savoir médical. S’appuyant sur les sciences de l’éducation, la psychologie, la

sociologie ou bien encore la philosophie humaniste, la profession s’est construit son

propre paradigme dont émergent de nombreux concepts qui conduisent à

l’amélioration de la prise en charge globale du patient et à une meilleure

reconnaissance de la profession.

L’humain, doué de raison et de sentiments, doit se construire tant

professionnellement que socialement pour s’épanouir au quotidien. Dans une société

de plus en plus exigeante où l’à-peu-près n’a pas de place, qui repose sur des règles,

des devoirs, des droits et des lois, le professionnel doit être prêt à affronter les défis de

demain et devenir expert dans son domaine d’application. Au travail,

l’accomplissement de gestes mécaniques seuls, sans réflexion ni projection du soi, ne

peut lui permettre d’atteindre cet objectif. L’infirmier, qui se verrait cantonné au simple

rôle d’exécutant de la sphère médicale, ne peut dispenser des soins de qualité dont le

champ se limiterait aux seules connaissances physiopathologiques, tout comme le

patient a besoin d’être écouté et compris afin de ne pas être relégué au statut d’objet

de soins. Cela fait presque 40 ans que l'infirmier s'est vu reconnaître un rôle propre,

autonome, le transposant du simple auxiliaire du médecin en un véritable professionnel

de santé. Cela passe certes par l’acquisition de connaissances, mais aussi par un

travail intrinsèque qui doit être mené afin de construire une posture professionnelle

responsable et adaptée.

L’appropriation des savoirs infirmiers, requiert un apprentissage théorique des

concepts élaborés à ce jour mais aussi, et surtout, la recherche de l’amélioration des

pratiques soignantes. Cela passe par une analyse complexe de l’ensemble des

secteurs de la profession et des actes réalisés au sein de ces secteurs. Cette analyse

doit être réalisée au travers de la recherche infirmière, afin de promouvoir la pratique

infirmière fondée sur des résultats probant (Evidence Based Nursing). Les EBN se

définissent comme "l’utilisation consciente, explicite et judicieuse des meilleures

données actuelles de la recherche clinique dans la prise en charge personnalisée de

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Guillaume LEFORT, Laurence ZAMMIT - Institut de Formation en Soins Infirmiers du C.H de Carcassonne - 3° année

chaque patient »2. Ces recherches doivent permettre d’apporter une crédibilité à la

profession, d’assurer la progression des pratiques infirmières et de démontrer le coût

effectif des soins infirmiers. Soigner en se basant sur des connaissances issues des

résultats de recherche nécessite d’abord que ces connaissances existent, que la

recherche ait donc permis de les développer. Lors de la réalisation de ce travail de

recherche, nous avons essayé de toujours nous appuyer sur ce modèle en gardant

pour objectif d’apporter au lecteur et à la profession infirmière, un intérêt réel quant à la

nature des recherches et des constats réalisés.

Compte tenu de la nature de nos constats, nous pouvons émettre des

hypothèses sur les limites de la capacité du soignant, et de l’homme au sens large, à

pouvoir gérer ses émotions. Le travail de recherche n’a pas pu être mené mais nous

pouvons malgré tout nous poser des questions sur les capacités de chacun à s’adapter

à son vécu émotionnel. Sartre (1946) a dit : « L’homme n’est rien d’autre que son

projet, il n’existe que dans la mesure où il se réalise ». Cela nous amène à penser que

la réalisation de soi passe par un épanouissement personnel. Peut-on envisager pour

autant qu’un soignant moins émotif, moins envahi par son environnement, serait un

meilleur soignant ? Existe-t-il finalement un profil type d’infirmier, qui serait capable

d’exercer dans certains secteurs de la profession, tels que le service des urgences,

sans avoir à effectuer un travail préalable sur ses émotions ?

De nombreuses sociétés spécialisées dans la formation professionnelle

proposent aujourd’hui une gamme assez large de formations dans le domaine de la

gestion des émotions, avec notamment des présentations de contenu au titre choc :

« Gérer et utiliser ses émotions pour être plus efficace », « Gestion des émotions et

performance » … Il existe même un cycle master Psycho-santé des émotions dont

l’objectif pédagogique est :

Mettre à jour ses connaissances conceptuelles dans ces approches, bien comprendre

les processus émotionnels qui y sont développés et faire l’apprentissage d’un certain nombre

d’outils pratiques d’aide et d’accompagnement aideront les différents professionnels à enrichir

leur palette d’intervention et à mieux adapter leurs stratégies de prise en charge des émotions. 3

2 G. Ingersoll, (2000). Evidence-base based nursing : What it is and what it isn t. Nursing Outlook, 48(4),

151-152.

3 Psycho-Santé des émotions http://www.symbiofi.com/fr/formation/master-gestion-des-

emotions#tab-1 [En ligne], page consultée le 11 mai 2016

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A ce jour, la gestion de ses émotions n’est pas identifiée, dans les référentiels

et textes officiels de la profession infirmière, comme une compétence à part entière.

Nous sommes convaincus, de par nos simples expériences personnelles durant ces

trois années de formation, de l’intérêt d’un travail de réflexion sur le sujet. Nous

pouvons donc nous interroger sur le devenir de cette problématique. Les obligations

professionnelles en constante évolution, et les besoins croissants des patients

impliquent une exigence de plus importante en plus quant à la qualité des soins

dispensés, dans un contexte socio-économique qui impose au soignant de savoir

s’adapter constamment à son environnement, et donc de savoir gérer ses émotions.

.

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Documents

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- Décret n° 93-345 du 15 mars 1993 relatif aux actes professionnels et à

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Dictionnaires

- Vocabulaire de la psychanalyse. LAPLANCHE, J. PONTALIS, J.B. Paris : PUF,

11° édition 1992

- Dictionnaire des concepts philosophiques. BLAY, M. Larousse, CNRS Editions,

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Sites internet

- Trésors de la langue française informatisés : www.atilf.atilf.fr

- Larousse.fr, encyclopédie et dictionnaires gratuits en ligne : www.larousse.fr

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Annexe

ANNEXE I : Guide d’entretien

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ANNEXE I - GUIDE D’ENTRETIEN

INTRODUCATION-PRESENTATION

Dans le cadre de notre formation en soins infirmiers, nous sommes amenés à

réaliser un travail d’initiation à la recherche au travers de l’élaboration d’un travail de fin

d’étude. Notre hypothèse de recherche est que le travail sur les émotions que mettent

en œuvre les infirmiers aguerris aux situations d’urgence, développe leur capacité à

prendre en charge ces situations difficiles.

Nous voulons comprendre comment les infirmiers gèrent leurs émotions lorsqu’ils sont

confrontés à une situation d’urgence vitale.

Nous souhaitons donc recueillir votre témoignage au travers d’un entretien qui sera

enregistré et exploité de façon totalement anonyme, dans le respect des règles

déontologiques et éthiques liées à la profession.

THEME 1

Informations d’ordre général

Sexe, âge, ancienneté dans la profession, le service dans lequel l’infirmier travaille,

son ancienneté au sein du service.

THEME 2 : CONTEXTUALISATION DE LA SITUATION

- Décrivez- moi la situation.

- Comment s’est déroulé la prise en charge ?

Questions de relance si non abordé :

- Avez-vous du effectuer des actes techniques ?

- Lesquels ?

- Avez-vous rencontré des difficultés à les réaliser ?

- Si oui, pourquoi ?

- Quels moyens avez-vous mis en œuvre pour les réaliser ?

- Qu’est-il arrivé au patient à l’issue de votre prise en charge ?

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THEME 3 : EMOTIONS RESSENTIES SUR LE MOMENT

- Comment vous êtes-vous senti dans cette situation ?

- A quoi pensiez-vous sur le moment ?

- Comment vous-êtes-vous senti une fois la prise en charge terminée ?

THEME 4 : GESTION DES EMOTIONS

- Comment avez-vous géré vos émotions ?

- Quels sont les moyens que vous avez pu mettre en place pour diminuer la

tension ressentie après cette prise en charge ?

THEME 5 : ANALYSE DE LA SITUATION A POSTERIORI

- Qu’est-ce que vous avez retenu de cette situation ?

- Comment feriez-vous les choses si cette situation se renouvelait ?

- De quels moyens (formation par exemple) auriez-vous besoin pour améliorer

votre prise en charge dans ce type de situation ?

- Qu’est-ce qui pourrait vous rassurer si vous rencontriez une situation similaire ?

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ABSTRACT

The management of emotions, a new nursing skill ?

In emergency ward, it is observed that there are a significant number of sudden

death shortly after admission, despite optimum medical care. However, it appears that

organization of the emergency ward is not affected, nurses occult this difficult moment,

they continue to take care of other patients, and they don’t seem to be affected by

negative emotion.

Therefore, the question is how nurses implement an appropriate emotional

process facing sudden death. In view of the professional field, two interviews of twenty

minutes with experienced nurses, and three short interviews with young nurses from

emergency ward, revealed how places of practice and the representations nurses have

of them, affect emotional experiences of nurses when they are faced with difficult care

conditions leading to sudden death. Assumptions were made on a connection between

emotional management and professional skill.

This research is based on the emotional work implemented by nurses. It would

be interesting to investigate how this reflexive process contributes to the development

of their professional skills and increases their performance, particularly in emergency

situation. Emergency technical care could be a good situation to focalise on. It could

prove through a qualitative survey, how the ability of caregivers to manage their

emotions in emergency, could affect the quality of their work. If emotional work

contributes to develop professional skills and promotes the well-being at work, it could

contribute also to improve the quality of care.