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- 1 Olivier Artus Textes et Thologie de la Torah 2010-2011

LES TEXTES ET LA THEOLOGIE DE LA TORAHOlivier Artus 0. OUVERTURE 1 La Torah est un monument, et au dbut dun cours portant sur ce corpus, peut se poser la question de savoir comment laborder. Quelles portes dentre se donner pour comprendre de manire juste ce texte biblique ? Pour le dire autrement, comment faire cours dexgse aujourdhui ? Il y a une trentaine dannes, un cours dexgse du Pentateuque sattachait surtout faire comprendre lhistoire de la composition du texte : quels auteurs ? Quel milieu de production ? Quelles poques ? Quel contexte sociohistorique ? Et cest sans doute la perspective lgitime qui tait celle de mes prdcesseurs dans ce cours, le Pr Henri Cazelles, et le Pr Jacques Briend. En adoptant cette perspective, ils mettaient en uvre les prsupposs thologiques de la constitution dogmatique Dei Verbum qui, au n 12 dcrit ainsi le travail propre, spcifique de lexgse biblique : Pour vraiment dcouvrir ce que lauteur sacr a voulu affirmer par crit, on doit tenir un compte exact soit des manires natives de sentir, de parler ou de raconter courantes au temps de lhagiographe (auteur saint), soit de celles quon utilisait et l cette poque dans les rapports humains. Ainsi, il faut que linterprte cherche le sens que lhagiographe, en des circonstances dtermines, dans les conditions de son temps et ltat de sa culture, employant les genres littraires alors en usage, entendrait exprimer et a, de fait exprim. Autrement dit, la comprhension dun texte prsuppose la mise au jour de ses conditions historiques de production. Une telle affirmation semble dune certaine manire homogne avec la rflexion philosophique de Schleiermacher qui, au dbut du 19me sicle, insiste sur la ncessit pour le lecteur, de sidentifier lauteur pour comprendre un texte : Interprter,, crit Schleiermacher, est un art, dont les rgles ne peuvent tre labores qu partir dune formule positive. Celle- ci consiste en une reconstruction historique et intuitive, objective et subjective du discours tudi. 1 Cependant, lexgse catholique, et lexgse biblique en gnral, ont beaucoup volu dans les trente dernires annes, semblant prendre leurs distances avec une perspective purement gnalogique et historique, et semblant intgrer progressivement des questions1

Cf . sur ces questions A.M PELLETIER, Dge en ge les critures, Bruxelles, Lessius 2004

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synchroniques lanalyse et linterprtation des textes bibliques : quelle est la logique narrative dun texte, quelle est lhistoire raconte, et surtout, quelle place revient au lecteur dans linterprtation dun texte biblique ? Le lecteur isol, comme le lecteur membre dune communaut de lecture norme par la foi. 2 vrai dire le texte de Dei Verbum pose dj la question du lecteur de deux manires complmentaires : Dune part, linterprtation de lexgte se trouve soumise au jugement de lglise qui exerce le ministre et le mandat divinement reus de garder la parole de Dieu et de linterprter . Autrement dit, il existe une rgulation magistrielle, une rgulation par le lecteur magistre de linterprtation dite scientifique ou technique des textes bibliques. Dautre part, Dei Verbum suggre une autre piste, qui est celle de la lecture canonique : Puisque la Sainte Ecriture doit tre lue et interprte la lumire du mme Esprit qui la fait rdiger, il ne faut pas, pour dcouvrir exactement le sens des textes sacrs, porter une moindre attention au contenu et lunit de toute lcriture . Ici, Dei Verbum suggre, que lcriture interprte elle-mme lcriture, et que lexgse dun texte biblique doit se rendre attentive aux rinterprtations dont il est lobjet lintrieur mme du Canon. Une simple enqute de vocabulaire sur le mot hrwt (trah) peut mettre au jour de multiples enjeux de ltude. Ce sera notre porte dentre dans ce cours :

3 Que signifie le terme Torah ? " Pentateuque " est la dsignation grecque du corpus de livres rassembls dans la Bible hbraque sous le nom de Torah. Le mot grec signifie, 5 tuis, ou 5 rouleaux rangs dans des tuis. Si l'on consulte un dictionnaire hbraque - je prends par exemple le dictionnaire Hbreu-Franais de Philippe Reymond - au mot Torah, on trouve les premiers sens suivants : enseignement, directive, loi. Mais, la simple considration du contenu littraire des 5 livres dsigns dans la Bible hbraque par le terme Torah pose question : on y trouve en effet des textes extrmement divers corpus lgislatifs (code de l'alliance : Ex 20,2223,19 : loi de Saintet : Lv 17-26 ; code deutronomique : Dt 12-26 ; et ensembles narratifs

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considrables. Rcits et lois sont donc regroups sous la dsignation commune de "Torah". Une enqute concernant l'tymologie du mot Torah donne peu de rsultats : - drivation du substantif de la racine verbale yrh : jeter, lancer (au qal), do le sens driv montrer le chemin. - drivation du substantif de yrh non pas au qal, mais au hiphil : "jeter (jeter les sorts, pour connatre les intentions de la divinit (Ex 28,30 drivation du substantif de l'akkadien "tertu" qui drive de la racine verbale "waru" : donner des ordres, des instructions, envoyer un message. En Ex 18,16.20 , comme dans la littrature prophtique, en Is 1,10 ; 8,16 le substantif trh est utilis dans le contexte d'oracles ou de jugements ponctuels provenant de Dieu et transmis par un intermdiaire humain (lire Ex 18,16 ; Is 1,10 ) Selon ces textes, Torah dsigne une instruction particulire, limite, bien que des interptations plus rcentes y voient des allusions la torh dans son ensemble. = Dans les textes sacerdotaux du Lvitique, le terme trh - que l'on trouve dans des sections lgislatives - dsigne des prescriptions cultuelles : une prescription cultuelle particulire, comme c'est le cas en Lv 11,46 ; 12,7 ; 13,59, (en lire un), etc..., ou un ensemble plus complexe de prescriptions cultuelles (Lv 26,46). On voit donc ici le mot Torah utilis pour dsigner un corpus de lois. = La comprhension deutronomique du substantif trh est plus labore : en effet, l'ensemble du livre se prsente comme une collection de discours de Mose dont le premier est introduit par Dt 1,5 (qs). Or, le premier discours de Mose n'est pas lgislatif : il constitue une prsentation narrative de l'histoire d'Isral et de l'intervention dans l'histoire de Dieu en sa faveur. La Torah, selon le Deutronome, serait donc non seulement un ensemble de lois, mais un enseignement - enseignement de ce que Dieu a fait pour le peuple, enseignement de l'histoire du peuple avec Dieu. Les initiatives divines en faveur d'Isral appellent ainsi en rponse l'observation de la loi. En dfinitive, la Torah serait la mise en rapport des initiatives divines survenues en faveur du peuple dans son histoire, et de la rponse que ces initiatives appellent Les occurrences du terme trh dans la Bible hbraque : 220 occurrences, dont 44 dans le corpus prophtique, 22 dans le Deutronome, 44 dans l'ensemble form par Chroniques, Esdras et Nhmie. Ces chiffres sont des multiples de 22, ce qui pourrait traduire une intention rdactionnelle dlibre : en effet, le chiffre 22 correspond au nombre de lettres de l'alphabet hbraque, et le chiffre 10 en est un multiple vident.

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Les rfrences la Torah dans la bible hbraque : les compositeurs de la Bible hbraque ont mis en place un signal littraire pour que l'ensemble de cette Bible soit considre en rfrence la Torah. Ces rfrences la Torah sont prsentes en effet en des sites tout fait symboliques du corpus biblique : au dbut comme au terme du corpus prophtique (nebm), en Jos 1,7 et Ma 3,22, on njote une rfrence explicite la Torah de Mose. De mme au dbut (Ps 1,2) et au terme des ketbm- cf Ne 13,1 ; Esd 6,18 ; 2 Ch 25,4 La Torah apparat donc comme une clef hermneutique laquelle se rapportent l'ensemble des autres textes de la Bible hbraque. 4 Cette dernire remarque ouvre la ncessaire dimension canonique de la lecture. Dj

la lecture de Dt 1,5 montrait que seule la mise en perspective de lensemble du texte du Deutronome permettait de comprendre de manire juste lusage qui y est fait du mot trh. Plus largement, la trh apparat comme une clef dinterprtation de la Bible hbraque et ce corpus inaugural de la BH, ragit avec les textes qui lui font suite. Ce jeu canonique ne se limite pas la BH : les crits notestamentaires sont remplis de multiles allusions la Torah, invitant sans cesse le lecteur aller de lun lautre Testament. Prenons ici trois exemples classiques : Lc 24,13s. Le rcit concernant les disciples faisant route vers Emmas. Laffirmation des v. 26 et 27 est la suivante : il y a un rapport de ncessit (verbe ) entre la vie de Jsus et les crits de la Torah. Jsus explique ce qui le concerne dans Mose - cest-dire la Torah, et Lc 24,44 reprend la mme ide en dployant le concept, la catgorie daccomplissement (verbe ) : Jsus, par sa vie, ses paroles et ses uvres, accomplit la loi, la Torah de Mose (traduction grecque nomos) 1 Co 10 constitue un vritable midrash chrtien. Un midrash haggadique (verbes#rd, dgn)

qui relit les rcits du livre de lExode et en donne une interprtation chrtienne

la lumire de la ralit liturgique de lEucharistie. Troisime exemple, pris par Benot XVI, dans son ouvrage rcent Jsus de Nazareth2 Jn 6, le rcit de la multiplication des pains et le discours sur le pain de vie : la crise alimentaire prouve par la foule rappelle celle du peuple en marche. Lexgse du geste pos par Jsus vient en Jn 6,26s. et tablit un parallle explicite2

Cf. p. 187, 291.

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entre la tradition exodique et le don du pain de vie : Au dsert nos pres ont mang la manne, ainsi quil est crit : Il leur a donn manger un pain qui vient du ciel . Le parallle pos entre les deux rcits est le pralable une relecture christologique (Jn 6,35 ; 6,51 : Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Citons le commentaire du pape Benoit XVI dans son ouvrage Jesus von Nazareth (Freiburg, Basel, Wien 2007, p 187): La demande de pain, de pain pour aujourdhui voque galement la mmoire de la marche au dsert de 40 ans dIsral, durant laquelle le peuple vcut de la manne du pain que Dieu lui envoya du ciel. Chacun avait le droit den ramasser autant quil tait ncessaire pour la journe en cours. Ce nest que le 6me jour que lon avait le droit den ramasser pour deux jours, en prvision du Sabbat (Ex 16,16-22). La communaut des disciples, qui vit chaque jour du don de Dieu, renouvelle lexprience de la prgrination du peuple de Dieu, qui fut lui aussi nourri par Dieu dans le dsert.

5 Essayons de rsumer ces diffrentes observations : Dune part, les textes de la Torah ont t crits dans un contexte historique dtermin, avec une fonction prcise de rgulation de la foi de la communaut juive exilique et post-exilique, et la mise au jour de ce sens thologique du texte, au moment mme o il est compos, apparat ncessaire son interprtation dans la mesure o ces textes de la Torah reprsentent un moment historique de la rvlation que Dieu fait de lui-mme dans lhistoire dun peuple particulier Isral. Une fois clture, la trah devient une clef hermneutique des crits qui sont progressivement rassembls dans la Bible hbraque, tant dans le livret des prophtes que dans les crits sapientiaux (cf. Siracide par exemple) Enfin, en rgime chrtien, le Christ est le principe hermneutique ultime du canon des critures, et la relecture notestamentaire des textes de la Torah doit tre prise en considration pour leur interprtation thologique. Ainsi, lanalyse exgtique de la Torah, en contexte catholique, suppose un mouvement de va et vient entre le texte biblique, au moment de sa composition, et ses relectures ultrieures, au sein du Canon des critures. Cest ce geste exgtique que nous allons tenter de poser, loccasion de ce cours, partir dun texte du Nouveau Testament apparemment bref, mais dont tous les mots sont sous-

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tendus par une histoire textuelle et thologique riche et complexe. Ce texte du Nouveau Testament est la formule dinstitution de lEucharistie, particulirement le geste daction de grce sur la coupe, que je cite ici dans la version matthenne : Mt 26,27-28 : Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grce (), il la leur donna en disant : Buvez-en tous, car ceci est mon sang, de lAlliance, vers pour la multitude, pour le pardon des pchs .

Chaque mot de ces versets reprend et rinterprte un hritage thologique complexe : le verbe renvoie la pratique des sacrifices au Temple de Jrusalem, de mme que la mention du sang. Le contexte du dernier repas de Jsus renvoie la ralit pascale, le vocabulaire de lalliance est sous-tendu par les diffrentes comprhensions de cette ralit thologique dans lAncien Testament. Ce sont donc les mots et les expressions de la formule dinstitution de lEucharistie qui fourniront ce cours son plan, avec un projet particulier : parvenir une juste interprtation de la formule au terme dune dmarche exgtique qui, vous lavez compris, ne fait pas limpasse sur lapproche historique et critique du texte, mais nen fait pas non plus le dernier mot de linterprtation, interprtation qui est recherche dans une approche canonique du texte biblique. Cest ce terme qui va maintenant tre prcis dans un premier chapitre, aprs que la plan et la bibliographie de la premire partie du cours aient t prsents.

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BIBLIOGRAPHIE DE LA PREMIRE PARTIE

1. Exgse catholique, critique canonique ARTUS O. Dei Verbum. Lexgse catholique entre critique historique et renouveau des Sciences Bibliques, Gregorianum 2005 (86/1), p. 76-91 BARTHELEMY D., Dcouvrir lcriture, Pairs, Cerf, 2000, chapitre X, La critique canonique , p. 198-235. COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, Linterprtation de la Bible dans lglise, Documentation Catholique 91 ( 1994), p. 13-44 ou www.vatican.va COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, Bibbia e Morale, I radice Biblichi dell agire cristiano, Libreria editrice Vaticana, Roma 2008. (traduction franaise Bible et Morale, septembre 2009) RATZINGER J ; BENOIT XVI, Jsus de Nazareth, Paris, Flammarion, 2007 SANDERS J.A. Identit de la Bible. Torah et Canon, Paris, Cerf (LD 87), 1975 (dition amricaine Fortress Press, Philadelphia, 1972) WALL R.W. Canonical Criticism , Handbook to exegesis of the New Testament (S. PORTER, d.), Leiden, New York, Brill, 1997, p. 291-312 2. Introductions gnrales ARTUS O. Le Pentateuque, Cahier Evangile 106, Paris 1998 (nouveau cahier paratre 2011) GARCIA - LOPEZ F. El Pentateuco, Estella 2003 RMER Th et al.. (d). Introduction lAncien Testament, Genve 2004, p. 61-227 SKA J.L. Introduction la lecture du Pentateuque, Bruxelles 2000 ZENGER E. Einleitung in das Alte Testament, Stuttgart 52004, 60-187 3. Prsentation technique de l'histoire de la recherche : COLLECTIF Les dernires rdactions du Pentateuque, de lHexateuque et de lEnnateuque, (Th Rmer & K. Schmid, d.), BETL 203, Leuven, Peeters 2007. RMER Th. La formation du Pentateuque selon l'exgse historico-critique. Histoire du texte biblique 2. Les premires traditions de la Bible. C.A AMPHOUX et J. MARGAIN d. Lausanne 1996, 17-55

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RMER T. Le Pentateuque toujours en question : bilan et perspectives aprs un quart de sicle de dbat, Congress Volume Basel 2001 (A. Lemaire d.), Leiden, Boston 2002, p. 343374 RMER Th. ; PURY de A. Lhistoriographie deutronomiste. Histoire de la recherche et enjeux du dbat. , dans : Isral construit son histoire (A ; de Pury et al. d.), Genve 1996, p. 11-120 RMER Th, The So-called Deuteronomistic History, London, T & T Clark, 2005, 2007. 4. Thorie documentaire : G. Von RAD Thologie de l'Ancien Testament, Vol. 1, Genve 1967 H. CAZELLES Introduction la Bible, Tome 2, Introduction critique l'Ancien Testament 1973. 5. La composition du Pentateuque : ACHENBACH R. Die Vollendung der Tora, Wiesbaden 2003. COLLECTIF Abschied vom Jahwisten. Die Komposition des Hexateuch in der jngsten Diskussion, Berlin, New York 2002. COLLECTIF, Das Deuteronomium zwischen Pentateuch und Deuteronomistischem Geschichtswerk (E. Otto und R. Achenbach Hg.), Gttingen 2004 G.N. KNOPPERS & B.M. LEVINSON (ds.), The Pentateuch as Torah. New models for Understanding its Promulgation and Acceptance, Winona Lake, Indiana, Eisenbrauns 2007 NIHAN C. , From Priestly Torah to Pentateuch, Tbingen, Mohr Siebeck 2007. NIHAN C. The Torah as a fondamental document in Juda hand Samaria , The Pentateuch as Torah. New Models for Understanding its Promulgation and acceptance (G.N. KNOPPERS & B.M. LEVINSON, d.), Winona Lake, Indiana, Eisenbrauns, 2007, 187-223, ici 193-199 RMERTH.

SCHMID K, Les dernires Rdactions du Pentateuque, de lHexateuque et de

lEnnateuque 6. Aspects particuliers de la recherche actuelle : ACHENBACH R., The Pentateuch, the Prophets and the Torah in the Fifth and Fourth Centuries B.C.E. , dans : Juda and the Judeans in the Fourth Century B.C.E. (O. LIPSCHITS, G.N. KNOPPERS, R. ALBERTZ, ed.), Winona Lake, Indiana, Eisenbrauns 2007, 253-285.

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ARTUS O. Etudes sur le livre des Nombres, OBO 157, Fribourg, 1997. ARTUS O. Les lois du Pentateuque, Lectio Divina 200, Paris 2005 COLLECTIF Studies in the Book of Exodus (M. Vervenne d.), Leuven 1996 COLLECTIF Studies on the Book of Genesis (A. Wnin d.), Leuven 2001. N. LOHFINK Cahier Evangile 97, Paris 1996 ( Les traditions du Pentateuque autour de l'exil ). RMER TH. d. Leviticus and Numbers , BETL 215, Leuven 2008 7. Critique socio-historique ALBERTZ R. A History of Israelite religion in the Old Testament Period 2, 1994, London, pp 437-493 ALBERTZ A. Die Exilszeit. 6. Jahrhundert v. Chr., Stuttgart 2001 CRSEMANN F. Die Tora, Mnchen, 1992. KRATZ, R, G., The Second Temple of Jeb and of Jerusalem , dans : Juda hand the Judeans in the Persians Period, Winiona Lake, Indiana, Eisenbrauns, 2006, 247-264 LIPSCHITS O., Achaemenid Imperial Policy and the Status of Jerusalem dans : : Juda and the Judeans in the Persian Period (O. LIPSCHITS & M. OEMING, d.), Winona Lake, Indiana, Einsenbrauns, 2006, 19-52. (Achaemenid Policy). LIPSCHITS O., TAL O., The Settlement Archeology of the Province of Judah : A case Study , dans : Juda and the Judeans in the Fourth Century B.C.E. (O. LIPSCHITS, G.N. KNOPPERS & R. ALBERTZ, d.), Winona Lake, Indiana, Eisenbrauns, 2007, 33-52 (Province of Judah). LIPSCHITS O. , G.N. KNOPPERS, R. ALBERTZ ED . Juda and the Judeans in the Fourth Century Time (.), Winona Lake, Indiana, Eisenbrauns, 2007. LIVERANI M. , La Bible et linvention de lhistoire, Paris Bayard 2008 (ditions italiennes Oltre la Bibbia, Storia antica di Israele 2003 & 2007). SKA J.L., Persian Imperial Authorization : Some Question Marks , dans : The Theory of the Imperial Authorization of the Pentateuch, Atlanta, Scholars Press, 2001,161-182 USSISHKIN, D. The Borders and De Facto size of Jerusalem in the Persian Period , dans : Juda and the Judeans in the Persian Period (O. LIPSCHITS & M. OEMING, d.), Winona Lake, Indiana, Einsenbrauns, 2006, 147-166 8. Analyse narrative des textes ALETTI J.N. Lart de raconter Jsus-Christ, Paris 1989

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ALTER R. L'art du rcit biblique, Bruxelles 1999 (d. amricaine 1981). MARGUERAT D. Entrer dans le monde du rcit : une prsentation de l'analyse narrative Transversalits 59, 1996, 1-17 MARGUERAT D. Raconter Dieu : l'Evangile comme narration historique La narration (P. BHLER et J.F. HABERMACHER d.) Labor et Fides 1988, 83-106. MARGUERAT D. Entrer dans le monde du rcit , Transversalits 59 (1996), p.1-17 MARGUERAT D. Lexgse Biblique lheure du lecteur , La Bible en Rcits (D. MARGUERAT d.), Genve 2003, p. 13-40 MARGUERAT D. ; BOURQUIN Y. ? Pour lire les rcits Bibliques, Paris, Genve, 1998 9.Critique textuelle TOV E. Textual criticism of the Hebrew Bible, Minneapolis, Maastricht, 1992

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PREMIRE PARTIE1.PRATIQUER L EXGSE BIBLIQUE DANS LGLISE CATHOLIQUE 1.1 Lexgse catholique de Lon XIII nos jours 1.1.1 Naissance de la critique Nous savons bien quaprs lpoque patristique, le recours au texte original, en Hbreu ou en Grec se perd, au profit de la vulgate. Il faut attendre le tout dbut du 16me sicle pour voir de nouveau apparatre des tudes critiques sur le texte biblique. Le mouvement humaniste, marqu en France par Lefebvre dtaples (1460), qui dite successivement le Psautier quintuple travail de comparaison et de conciliation de diffrents manuscrits, dont le texte hbraque - , (1509), les lettres de Paul (1512) - commentaire sinspirant du grec et non plus de la vulgate et Ble par rasme, qui travaille une dition critique du Nouveau Testament, a pour souci de retrouver le sens originel du texte. La mthode drasme peut se rsumer un plaidoyer pour la grammaire : lcriture Sainte doit tre traite comme toute parole ou tout crit humain. Utilisant un vhicule humain, ce texte est la condition mme de son intelligibilit et a droit aux mmes gards que nimporte quel vhicule de la mmoire culturelle les classiques grecs et latins par exemple. La grammaire soccupe de choses moindres, mais sans lesquelles personne, ft-il le plus grand, ne peut aboutir. Elle agite des bagatelles, mais celles-ci agitent des choses srieuses. Et si lon proteste que la thologie est trop grande pour sen tenir aux lois de la grammaire et que tout le labeur de linterprtation dpend de linspiration du Saint-Esprit, cest vraiment donner aux thologiens une dignit nouvelle, si cest eux seulement quil est permis de parler barbare .3 Et nous savons bien que cette conviction dun ncessaire retour aux sources est assez dterminante dans lirruption et le dans succs de la Rforme. Ici cependant, il ne sagit encore que de critique textuelle donnant lieu de nouvelles ditions du texte biblique, qui se prte alors de nouvelles interprtations thologiques. Il faut attendre le 17me sicle, avec par exemple Richard Simon pour voir se dvelopper les linaments dune critique littraire qui va se rendre attentive aux questions poses par lhistoire de la composition du texte biblique. partir du dbut du 19me sicle, cette critique littraire va tre articule avec la critique historique. Et la question de lexgse, principalement en milieu protestant, partir de cette poque, va essentiellement porter sur lidentification des auteurs du texte, du moment3

Traduction G. BDOUELLE : Lefvre dtaples et lintelligence des critures, Geve 1976, p 81.

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et des circonstances historiques dans lesquelles ils ont crit, porter galement sur la dlimitation de leurs sources, et sur la reconstitution de lhistoire de la composition littraire (cf. philosophie hermneutqiue de Schleiermacher). Il y a donc un mouvement critique continu qui se dploie partir du dbut du 16me sicle, critique textuelle, littraire et enfin historique, critique dont les rsultats vont apparatre de plus en plus difficiles avec linterprtation traditionnelle des critures, en monde catholique. 1.1.2 Un conflit entre exgse critique et exgse catholique la fin du 19me sicle, en France, Alfred Loisy enseigne depuis 1882 lHbreu Biblique puis lexgse biblique linstitut Catholique de Paris. Il met en uvre une mthode critique de lecture des textes, qui le conduit contester les rgles de linterprtation des critures retenues au concile de Trente (session du 8 avril 1546, dcrets sur la rception des livres saints, sur ldition de la vulgate et la manire dinterprter la Sainte-criture : DZ 1501 : Le saint concile reoit et vnre avec le mme sentiment de pit et avec le mme respect tous les livres tant de lAncien que du Nouveau Testament, puisque Dieu est lauteur unique de lun et de lautre, ainsi que les traditions elle-mmes concernant aussi bien la foi que les murs, comme ou bien venant de la bouche du Christ ou dictes par lEspritSaint . Une telle proposition conduit la thse de l inerrance absolue de lcriture, conteste par Loisy. Linerrance, crit Loisy dans la revue Lenseignement Biblique quil a fonde en 1892, doit tre coordonne linfaillibilit de lglise qui linterprte . Autrement dit, le texte lui-mme se prte la critique interne. Linterprtation infaillible est seconde. En cette mme anne 1892, le suprieurs des Sulpiciens, Henri Icard, interdit aux sminaristes de frquenter les cours de labb Loisy4. La dfiance exprime par certains envers Loisy entrane la raction de Mgr dHulst, recteur de lInstitut Catholique de Paris, sous la forme dun article publi dans le revue Le Correspondant du 25 janvier 1893, et intitul La question Biblique 5. Mgr dHulst y tente, quoique ntant pas exgte, de faire le point sur la pratique de lexgse catholique en cette fin de 19me e sicle. Et pour ce faire, il distingue trois coles :

4

Pour une prsentation plus dtaille de ces pisodes, cf. M. GILBERT, Il a parl par les prophtes. Thmes et Figures bibliques, Bruxelles 1998, p. 29s.5

cf. note 2

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1. Une cole dite stricte , qui, malgr les donnes de la recherche rcente sur le Pentateuque6, sen tient linerrance de lcriture Sainte, y compris au plan historique. Les textes de la Gense, en particulier, doivent tre reus comme authentiques. 2. Un cole dite large , qui nattribue les qualificatifs dinerrant et dinfaillible quaux lments touchant la foi et les murs. 3. Enfin, une cole dite moyenne , dans laquelle lauteur se reconnat, mais qui, pour reprendre les mots de Maurice Gilbert na pas eu de consistance propre, et parat navoir t quune manire souple et prudente dentendre lcole large. 7 On voit bien en relisant ces propos et en se saisissant de ces catgories, que leur dfinition est assez lche. Tout se passe comme si le cadre pistmologique dans lequel se pose la question de la critique historique du texte biblique ntait pas pralablement dfini. Larticle de Mgr dHulst constitue en ralit une tentative pour soutenir dans la mesure du possible lenseignement de Loisy. Il ne parvient cependant pas le sauver. L abb Loisy est destitu de la chaire quil occupait lInstitut Catholique. Pour autant, le dbat de fond qui a conduit cette destitution nest pas rgl. Les donnes de la critique littraire des textes, mais aussi plus largement les progrs scientifiques semblent en effet apporter en cette fin du 19me sicle une contradiction chaque jour plus pertinente la thse de linerrance absolue du texte biblique. Par ailleurs, la critique interne du texte, sajoutent, en cette fin du 19me sicle, les donnes de plus en plus riches de la critique externe. Les recherches archologiques, les donnes pigraphiques fournissent des lments nouveaux permettant de situer le texte biblique dans son milieu et dans son contexte de production littraire. En 1872 est dcouvert et traduit le Rcit Babylonien du Dluge , en 1887, les lettres de Tell-el-Amarna sont mises au jour. Le Pre Lagrange fonde en 1890 lEcole Pratique des tudes Bibliques Jrusalem, et, ds janvier 1892 la Revue Biblique qui lui est lie. Le but de la nouvelle revue est dfini ainsi par son fondateur : Tout ce qui peut contribuer faire connatre la Bible : controverse, philologie des langues smitiques, archologie sacre, bibliographie, thologie scolastique et mystique de lcriture Sainte, histoire de lexgse, tout ce qui peut favoriser les tudes bibliques, doit trouver place dans la revue. 8 Ces objectifs de recherche dfinissent implicitement les tudes bibliques comme se situant la croise de deux dmarches critiques :

6 7

Le Pentateuque se trouve au cur de la querelle biblique catholique la fin du 19me sicle) M. GILBERT, op. cit., p. 31. 8 R.P. LAGRANGE, Revue Biblique, 1892 (1), p. 10.

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une critique interne qui tablit le texte partir des langues et manuscrits anciens et en permet lanalyse littraire, une critique externe qui situe le texte dans une histoire. Comment articuler les donnes nouvelles de la critique des textes bibliques avec la doctrine de linerrance absolue de lcriture, tenue par certains ? On voit, en tout cas que langle dapproche du texte biblique apparat essentiellement historique et critique, et que la dimension canonique du texte nest pas cite comme telle par les uns et les autres. Le dbat tourne auteur de la question de lhistoire. 1.1.3 Providentissimus Deus comme tentative de rsolution du conflit Cest pour rsoudre cette difficult thorique et cette question dogmatique, mais galement pour fournir des rfrences doctrinales qui permettent de clarifier le dbat qui anime en particulier les milieux universitaires catholiques franais que Lon XIII rdige et promulgue le 18 novembre 1893 lencyclique Providentissimus Deus Il est possible dorganiser la rflexion propose par ce texte autour de trois ples : 1. Les sources : le texte biblique lui-mme. 2. Les mthodes et les principes de linterprtation de la Sainte criture 3. Les rsultats des tudes exgtiques. Les sources Cest le texte de la Vulgate qui demeure la rfrence du travail des exgtes. Cependant lorsque quelque chose est exprim de manire ambigu dans ce texte, il est conseill par lencyclique de se reporter aux langues antrieures (DZ 3280). Plus loin, il est recommand aux professeurs dcriture Sainte, comme de Thologie de sinvestir dans ltude et la connaissance des langues anciennes dans lesquelles les livres canoniques ont t initialement crits par les auteurs sacrs (DZ 3286). Autrement dit, le recours classique la Vulgate, tenue pour authentique 9, selon lexpression du concile de Trente, ne doit pas entraver le ncessaire investissement des biblistes et des thologiens dans ltude des langues anciennes. Cette mention des thologiens nest pas innocente, puisque, recourant une expression reprise beaucoup plus tard dans la constitution Dei Verbum du Concile Vatican II, et emprunte, daprs Maurice Gilbert, au Pre Cornely qui lutilise la XIIIme congrgation gnrale de la compagnie de Jsus, en 1687, Lon XIII insiste sur le ncessaire

9

Cf. Concile de Trente, Dcret sur ldition de la Vulgate et la manire dinterprter la sainte criture, 4me session, 8 avril 1546, Enchiridion Biblicum n 61-63.

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enracinement scripturaire de la science thologique : Il est surtout extrmement dsirable et ncessaire que lusage de la divine criture influe sur toute la science thologique et en soit pour ainsi dire lme 10. Mthodes et principes de linterprtation de la sainte criture 1 Ltude dun texte biblique tend tout dabord dgager son sens littral. Le concept de sens littral demeure ici quelque peu imprcis. Lencyclique lexplicite en proposant une formule synonyme, le sens obvie 11. En tout cas, lexpression ne reoit pas une dfinition aussi claire que celle quen proposera Pie XII dans lencyclique Divino afflante spiritu 50 ans plus tard : pour Pie XII, la mise au jour du sens littral permet daccder la vritable pense des livres saints . Elle repose sur la connaissance des langues, du contexte, et elle doit tre articule avec les dclarations du Magistre de lglise ainsi quavec les interprtations donnes par les Pres de lglise. Pour Lon XIII, le sens littral est un sens premier qui appelle sa suite dautres sens qui servent, soit clairer les dogmes, soit mettre en relief les principes de la vie 12. Pour parvenir mettre au jour ces autres sens, linterprtation des Pres de lEglise est particulirement prcieuse, puisque ceux-ci ont la plus haute autorit chaque fois quils expliquent tous, dune seule manire, un texte de la Bible concernant la doctrine de la foi et des murs 13. Pour ce qui est de lexgte, il se trouve encourag dans son travail de mise au jour du sens littral du texte : Lexgte ne doit pas penser que la route lui est ferme, et quil ne peut pas, lorsquune juste cause existe, aller plus loin dans ses recherches et ses explications, pourvu quil suive religieusement le sage prcepte donn par Augustin de ne scarter en rien du sens littral 14 Ici, le texte de lencyclique pose donc plus de questions quil nen rsoud : il porte en effet en lui-mme une contradiction interne puisquil sagit la fois de mettre en uvre une tude critique textuelle littraire, et par voie de consquence, historique, et dans le mme temps de prendre en compte les rsultats de lectures patrologiques dont la priori

10 11 12 13 14

Cf. M. GILBERT, op. cit., p. 33-35. Cf. Providentissimus Deus, Enchiridion Biblicum n 112. Cf. Providentissimus Deus, Enchiridion Biblicum n 108. Cf. Providentissimus Deus, Enchiridion Biblicum n 114 ; DZ n 3284.. Cf. Providentissimus Deus, DZ n 3284.

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mthodologique, nous lavons vu, repose sur une apprhension canonique du texte biblique. Providentissimus Deus ne rsoud pas la tension que nous venons de dcrire.

2 Le principe de linerrance scripturaire : Il est tout fait interdit ou de restreindre linspiration seulement certaines parties de la sainte criture, ou de concder que lcrivain sacr lui-mme sest tromp, puisque linspiration divine, de sa nature, non seulement exclut toute erreur, mais lexclut et la repousse aussi ncessairement que ncessairement aucune erreur ne peut avoir pour auteur Dieu, la vrit suprme . Les commentateurs du texte biblique se trouvent ici mis en garde contre la tentation de dfinir un canon dans le canon , ou encore dtablir une hirarchie dautorit entre les diffrents textes : le texte de lencyclique prend en effet position en rfutant les thses dfendues par ce que Mgr dHulst avait nomm l cole large : Il peut se faire que la signification vritable dun passage demeure ambigu il serait absolument funeste soit de restreindre linspiration uniquement certaines parties de la sainte criture, soit daccorder que lauteur sest tromp. On ne peut en effet admettre la conception de ceux qui se dbarrassent de ces difficults en nhsitant pas accorder que linspiration divine stend aux questions de foi et de murs, mais pas plus loin. 15 Autrement dit, cest lensemble des livres de lAncien et du Nouveau Testament qui sont inspirs et ont ultimement Dieu pour auteur. Ce principe de linerrance scripturaire porterait en lui-mme les germes dun conflit avec les donnes des sciences de la nature si lencyclique nen fournissait pas des clefs dinterprtation. Or, Providentissimus Deus prend prcisment soin de mettre fin toute tentative de concordisme avec les sciences de la nature : Il ny a pas de vritable dsaccord entre le thologien et le savant, du moment que ceux-ci se maintiennent dans leurs limites. 16 Ainsi, lEsprit de Dieu qui parlait aux crivains sacrs na pas voulu apprendre aux hommes des choses sans utilit pour leur salut. Autrement dit, le texte biblique est marqu par la manire de parler propre au temps des crivains sacrs, comme il est marqu par leur vision du monde17, mais son objet spcifique est ordonn la rvlation du salut de lhomme.

15 16 17

Cf. Providentissimus Deus, DZ n 3291. Cf. Providentissimus Deus, DZ n 3287. Cf. Providentissimus Deus, DZ n 3288-3289.

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3 La doctrine catholique, telle quest est reue de lautorit de lEglise, est la norme suprme de linterprtation de lcriture sainte.18 Rsultats des tudes exgtiques Ayant ainsi dfini le rapport des exgtes et des thologiens aux sources bibliques, ayant pris position sur les mthodes, les principes et les rsultats de lexgse catholique, lencyclique Providentissimus Deus constitue-t-elle une rupture, un tournant dans la perception de la question biblique par lglise catholique ? La rponse cette question est plutt ngative. Les annes qui suivent vont en effet montrer que lEglise catholique prouve toujours des difficults aborder sereinement la question critique en matire exgtique. Il faudra attendre la synthse reprsente par lencyclique Divino afflante Spiritu pour que soit prcise la place spcifique de la recherche biblique dans la rflexion dogmatique de lglise. Cependant, Providentissimus Deus pose les premires pierres dune telle synthse en maintenant simultanment quatre principes : Premier principe : lexgse biblique a pour objet un canon des critures qui comme canon, a une autorit incontestable dans chacun de ses livres. Les rsultats de la critique ne doivent pas conduire estimer errones ou ngligeables certaines parties du canon. Deuxime principe : Lapproche critique des textes, reposant sur des tudes linguistiques, philologiques et historiques est lgitime. Elle ressortit au champ de comptences naturel de lexgte. Troisime principe : le texte biblique na pas pour objet propre lexpos scientifique dune vision du monde. Il est ordonn la rvlation dun salut . Il ny a donc pas de concurrence ni de conflit de comptences entre les sciences naturelles et lexgse biblique. Quatrime principe : les donnes de lexgse biblique doivent tre articules avec les affirmations de la tradition catholique, et avec linterprtation des Pres de lglise. Lapport spcifique de Providentissimus Deus est de tenir simultanment ces quatre principes, sans encore parvenir cependant les articuler totalement. Dans la tension qui existe entre certains de ces principes sont prsents en germe les vnments qui marquent lexgse catholique entre 1893 et 1914 : dune part un dploiement sans prcdent des tudes bibliques, dautre part une difficult croissante articuler les donnes de la tradition catholique et les donnes de lexgse critique.

18

Cf. Providentissimus Deus, DZ n 3283.

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1.1.4 Divino Afflante Spiritu et Dei Verbum : la prise en compte de la question historique et la raffirmation de lunit de lcriture Cinquante annes aprs Providentissimus Deus, lencyclique Divino Afflante Spiritu prend acte de lexistence de lexgse critique, et propose des pistes qui permettent den honorer les rsultats proprement historiques : le recours la catgorie de genre littraire permet daffirmer que les diffrents textes bibliques ne constituent pas des sources quivalentes pour le travail de lhistorien : Lexgte doit donc sefforcer avec le plus grand soin, sans rien ngliger des lumires fournies par les recherches modernes, de discerner quels furent le caractre particulier de lcrivain sacr et ses conditions de vie, lpoque laquelle il a vcu, les sources crites ou orales quil a employes, enfin sa manire dcrire 19. Lorsque certains se plaisent objecter que les auteurs sacrs se sont carts de la vrit historique ou quils ont rapport quelque chose avec peu dexactitude, on constate quil sagit seulement de manires de parler ou de raconter habituelles aux Anciens 20. Ceux () qui sadonnent aux tudes bibliques doivent () ne rien ngliger de ce quont apport de nouveau larchologie, lhistoire de lAntiquit et la science des littratures anciennes, et qui est mme de mieux connatre la mentalit des crivains anciens, leur manire de raisonner, de raconter et dcrire, leur genre et leur technique 21. La critique littraire consiste donc en une hermneutique de lcriture du texte biblique, visant en prciser les circonstances et les conditions socio-historiques de production, mais visant galement mettre au jour lintention et la personnalit de ses auteurs. Quelle articulation lencyclique contribue-t-elle mettre en place entre les donnes de lanalyse exgtique des textes bibliques et le dogme catholique ? Celle-ci apparat clairement lorsque le texte aborde le rle respectif des professeurs dcriture Sainte et des Professeurs de Thologie : Que les exgtes () ne se contentent pas (...) dexposer ce qui regarde lhistoire, larchologie, la philologie et les autres sciences semblables (). Quils exposent surtout quelle est la doctrine thologique de chacun des textes en matire de foi et de murs, en sorte que leurs explications (...) aideront les professeurs de thologie exposer et prouver

19 20 21

Divino Afflante Spiritu , DZ n 3829. Divino Afflante Spiritu , DZ n 3830. Divino Afflante Spiritu , DZ n 3831.

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les dogmes de la foi 22. Lexgse est donc ici envisage comme une science autonome ayant pour objet la manifestation du sens du texte et de sa thologie, tels que ses diffrents auteurs les ont dtermins dans des circonstances historiques singulires. La lecture thologique et lactualisation relvent de la thologie dogmatique qui intgre les rsultats de lexgse biblique, qui ont valeur de preuves . Au plan pistmologique apparat donc un net clivage entre deux ples : celui de lcriture et celui de la lecture des textes bibliques. lexgte revient la tche dune hermneutique de lcriture, au dogmaticien, celle dune hermneutique de la lecture. Cette approche de larticulation entre exgse et thologie est reprise et dveloppe par la constitution Dei Verbum : Il appartient aux exgtes de sefforcer () de pntrer et dexposer plus profondment le sens de la Sainte criture, afin que par leurs tudes en quelque sorte prparatoires, mrisse le jugement de lglise 23. Lexgse biblique a donc la charge de manifester le sens du texte, en tenant compte des donnes de la critique historique. Lexgte soumet au jugement de lglise linterprtation quil propose de lcriture (cf. n 12). Quant au thologien, il appuie son tude sur la parole de Dieu crite, insparable de la sainte Tradition 24, comme sur un fondement permanent (cf n 24). Dei Verbum utilise le vocabulaire de la solidarit pour dcrire les liens entre sainte Tradition, sainte criture et magistre de glise25. Le texte conciliaire insiste donc sur la ncessaire rgulation de linterprtation des critures par la Tradition et par le Magistre de lglise, et, simultanment, sur le fondement permanent que doit reprsenter lcriture pour tout travail thologique. Dei Verbum semble inviter lexgte mettre en uvre avant tout un travail critique, textuel, littraire et historique, ordonn la mise au jour du sens du texte, tel que lont dtermin les crivains bibliques. Cest dans un temps second que les rsultats de ce travail doivent tre articuls avec ceux rsultant dune approche canonique de lcriture : Puisque la sainte criture doit tre lue et interprte la lumire du mme Esprit qui la fit rdiger, il ne faut pas, pour

22 23 24 25

Divino Afflante Spiritu , DZ n 3826. Constitution dogmatique Dei Verbum, n 12. Constitution dogmatique Dei Verbum, n 23.

Cf. Constitution dogmatique Dei Verbum, n 10 : Pater igitur Sacram Traditionem, Sacram Scripturam et Ecclesiae Magisterium, iuxta sapientissimum Dei consilium, ita inter se connecti et consociari ut unum sine aliis non consistat .

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dcouvrir exactement le sens des textes sacrs, porter une moindre attention au contenu et lunit de toute lcriture, eu gard la tradition vivante de toute lglise et lanalogie de la foi. Il appartient aux exgtes de sefforcer , suivant ces rgles ( OA : la rgle critique et la rgle canonique ), de pntrer et dexposer plus profondment le sens de la Sainte criture, afin que, par leurs tudes en quelque sorte prparatoires, mrisse le jugement de lglise (DV 12). Si les deux approches historique et canonique sont voques comme complmentaires et indissociables par le texte de Dei Verbum, on voit pour autant que les modalits de leur articulation napparat pas clairement dans le texte de la constitution conciliaire. 1.1.5 De la critique des sources lattention porte au texte final : un nouveau tournant de la recherche exgtique Les tudes concernant le Pentateuque constituent un excellent reflet des volutions de lexgse biblique et des questions pistmologiques sous-tendant sa mise en uvre : la complexit du texte du Pentateuque rend invitable la question critique : critique des sources, des formes, critique historique. En mme temps, le texte porte la marque dune clture qui en fait une Torah destine tre lue et commente comme un tout. Si la thorie documentaire, propose avec de nombreuses variantes pour rendre compte de lhistoire de la composition du Pentateuque de la fin du 19me sicle au 3me quart du 20me sicle a t remise en cause, cest parce que lapproche du texte biblique sest dplac dun a priori purement diachronique et historique vers une perspective cherchant honorer la cohrence du texte final, canonique. Parmi de multiples auteurs qui se sont rendus sensibles aux limites de l'exgse historico-critique classique, R. Rendtorff26 a sans doute jou un rle dcisif. Il remarque tout d'abord combien l'analyse diachronique classique lude le problme pos par les csures narratives des textes bibliques. La thorie documentaire croit pouvoir reconstituer au sein du ttrateuque des documents yahviste, lohiste, sacerdotal. Mais comment prend-elle en compte la rupture narrative qui existe entre Gn 11 et Gn 12, ou encore entre Gn 50 et Ex 1 ? En se concentrant exclusivement sur la dlimitation des diffrentes strates du texte, l'analyse diachronique des textes a perdu de vue le texte biblique canonique, dans son tat dfinitif. R. Rendtorff est ainsi conduit remettre en cause la thorie documentaire classique, et proposer26

cf. R. RENDTORFF, Das berlieferungsgeschichtliche Problem des Pentateuch, Berlin 1977.

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une nouvelle thorie compositionnelle : la " thorie des grandes units littraires . Une remarque synchronique a ainsi dbouch sur des modifications dans la formulation d'une hypothse diachronique. Comment rsumer les principales consquences de la crise du Pentateuque sur la pratique de l'analyse historico-critique des textes ? Trois points mritent d'tre souligns. 1. Une attention plus grande la cohrence narrative des strates dlimites : la mthode historico-critique, pousse au bout de sa logique, peut conduire dlimiter dans le texte biblique des sections de plus en plus fragmentaires, perdant ainsi de vue la cohrence des grands ensembles littraires, ou encore recourant de multiples conjectures pour reconstituer des documents hypothtiques. Ainsi, mme si la simple lecture de traditions anciennes manifeste souvent qu'elles sont elles-mmes le rsultat de la fusion de diverses traditions qui les ont prcdes, il faut reconnatre l'incapacit des techniques habituelles de la critique littraire remonter au-del d'une certaine limite : lorsque l'analyse diachronique d'un texte ne permet plus de mettre au jour des units littraires cohrentes, mais conduit la diffrenciation de simples fragments, elle n'est plus en mesure de dboucher sur des conclusions historiques ou thologiques fiables. L'analyse historico-critique touche ici ses limites. 2. L'impossibilit de mettre au jour les phases les plus anciennes de la composition du texte biblique et de reconstituer les traditions orales : les limites techniques de l'exgse historicocritique et l'absence de points d'appui extra-bibliques (textes du Proche-Orient ancien, donnes archologiques) pour corroborer la datation des textes, conduisent renoncer reconstituer de manire exhaustive l'histoire de la composition des textes. Pour ce qui concerne le Pentateuque, il semble par exemple illusoire de vouloir remonter au-del du VIIIe sicle avant notre re27. 3. Surtout, un intrt nouveau pour les phases les plus tardives de la composition du texte : si l'tude historico-critique doit renoncer reconstituer de manire exhaustive les phases les plus anciennes de l'histoire des traditions, elle peut en revanche rendre compte des dernires tapes de la composition du texte. C'est le cas des tudes rcentes concernant le Pentateuque qui ont concentr leur attention sur les dbats thologiques de la priode post-exilique, dbats dont le texte final du Pentateuque porte la trace. Il est ainsi apparu clairement que ce ne sont pas les traditions les plus anciennes qui dterminent la figure du27

C'est la position adopte rcemment par E. ZENGER dans son " Introduction " l'Ancien Testament : cf. E. ZENGER, Einleitung in das Alte Testament, Stuttgart 1995, 46-75.

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texte final. Le texte canonique intgre certes d'anciennes traditions, mais il en reprsente une libre rinterprtation : le matriau littraire des traditions anciennes est ainsi mis au service des intrts thologiques et historiques des auteurs les plus rcents. Les traditions sacerdotales du Pentateuque, qui utilisent en les rinterprtant les traditions narratives prexiliques, illustrent bien cette perspective. Au fond, les nouvelles donnes de lexgse conduisent modifier la perception du rapport criture/tradition lintrieur mme du texte biblique : le texte le plus ancien nest plus forcment le plus vrai

1.1.6 Rsum et synthse 1 La perspective exgtique qui sous-tend lexgse catholique avant la crise de la fin du

19me sicle, est une perspective canonique, dans le sens o le canon des critures est peru comme lexpression dune rvlation et dune thologie cohrentes, unifies, et dans la mesure o son autorit, en chacune de ses parties est communment accepte. 2 En posant la question du rapport du texte lhistoire, et en questionnant lauthenticit historique de nombreuses pricopes, la dmarche critique semble dans un premier temps remettre en cause lautorit de lcriture Sainte elle-mme. Elle conduit donc une premire raction de refus ou de raidissement, avant que la rflexion magistrielle ne propose, en plusieurs tapes, des tentatives darticulation entre dmarche critique et acquis de la Tradition. 3 Si la constitution Dei Verbum honore la dimension critique de la dmarche exgtique, elle nen raffirme pas moins la ncessaire dimension canonique, sans pour autant proposer des solutions pratiques articulant, au plan pistmologique et technique, les deux approches. 4 Lexgse catholique aprs la crise des 19me et 20me sicle ne peut plus, en se posant la question des modalits et des voies dune critique canonique du texte biblique, ignorer la question de lhistoire. Le simple retour une approche de type patristique allgorique ou typologique serait une forme de dni de la question critique affronte puis assume par lglise. Il sagit donc aujourdhui de proposer, frais nouveaux, une approche canonique qui, non seulement nignore pas la dimension critique de ltude des textes, mais en honore les rsultats.

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1.2 La naissance ou la renaissance de la critique canonique 1.2.1 J.A. Sanders Critique canonique Pour Sanders, la critique canonique porte son attention sur la question des origines et de la fonction du canon des critures. Autrement dit, avant datteindre sa forme dfinitive, le canon passe par plusieurs phases dans sa constitution, et il importe de se rendre attentif non seulement au texte final, mais galement toutes les tapes intermdiaires qui, chacune, correspondent un canon dans le canon . Le canon, dans les diffrentes tapes de sa constitution, crit Sanders, constitue un miroir o se reflte lidentit des communauts croyantes des diffrentes poques. Ainsi, alors que lhistoire des traditions va se proccuper exclusivement de la question historique, histoire littraire et question de lauteur ou des auteurs, la critique canonique va se concentrer sur la question de la fonction communautaire et de lautorit des traditions bibliques, ce questionnement tant, de soi, beaucoup plus thologique : - Pourquoi certaines traditions ont-elles t retenues et rinterprtes ? - Quest-ce qui a prsid un processus de slection des traditions ? Par exemple, dans une priode de crise, pourraient ntre retenus que les textes qui fournissent ce qui est ncessaire une communaut pour survivre et maintenir son identit. Un certain nombre de textes, au sein des communauts croyantes ont sans doute eu une dure de vie brve , ntant pas retenus par les gnrations ultrieures. - Quel type didentit communautaire les traditions bibliques vhiculent-elles ? Telles sont les questions de dpart de la critique canonique mise en uvre par Sanders. Lauteur dveloppe ces intuitions dans un ouvrage plus rcent Canon and Community. A guide to canonical criticism.28 Il y insiste sur le fait que la critique canonique a pour objet dintrt un processus canonique. Au cours de ce processus, les communauts slectionnent un certain nombre de valeurs dans lesquelles elles se reconnaissent, et la rptition de ces thmes ou de ces valeurs, de gnration en gnration en fait des traditions.

28

J.A. Sanders, Philadelphia, Fortress Press, 1984.

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Le canon des critures, dans sa priode de constitution, apparat donc la fois adaptable et stable. La rptition des traditions (stabilit) en effet ne va pas sans slection et sans rinterprtation (adaptabilit). Donc, nous le comprenons, pour Sanders, la critique canonique ne sintresse pas exclusivement au moment de la formation du texte final. Toutes les tapes prcdentes sont concernes. Ainsi, la critique canonique na pas dintrt exclusif pour un hypothtique rdacteur final (OA : distinguer diteur rdacteur / tudes qui postulent un rdacteur final. Celui-ci nexiste pas). Un canon pluraliste Pour le dire autrement, la critique canonique, daprs Sanders, clbre la pluralit de la Bible, et en particulier sa pluralit diachronique. Elle ne cherche en aucun cas reconstruire une unit artificielle. Elle met cependant au jour un certain nombre daxes fdrateurs du texte biblique, axes quelle dcrit comme des processus diachroniques dinterprtation - par exemple : - La Bible est une littrature tendant au monothisme - Elle met en uvre une hermneutique thocentrique - Elle manifeste un parti pris pour le pauvre et le faible - Elle adapte ses propres perspectives les textes provenant de la sagesse internationale. Le lecteur remarquera nanmoins le caractre assez peu prcis, et finalement assez banal de telles dfinitions. 1.2.2 B. Childs La finale de ldition franaise de Torah et Canon intgre la rponse de lauteur certaines ractions critiques, parmi lesquelles il faut avant tout mentionner celle de Childs. La critique de Childs porte sur la dlimitation de canons lintrieur mme du canon scripturaire (p. 156s.). Pour cet auteur, une telle dmarche risque dempcher daccepter lautorit scripturaire, pour lglise daujourdhui, du canon hbraque dans la forme o il nous est donn. Autrement dit, Childs rcuse une dmarche qui conduit restituer le processus selon lequel le canon juif a t finalement dlimit. Childs sintresse la thologie dfinitive de la dernire forme de lAncien Testament, et, plus largement, de la Bible tout entire. La

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Bible, comme telle, constitue la rgle de foi du Christianisme, crit Childs. Ainsi le texte biblique est considrer comme norma normans, et non comme norma normata, ainsi quil apparat dans la perspective de Sanders29. Ainsi la critique canonique, selon Childs, se comprend comme ltude de linteraction qui existe entre les croyants et la rgle crite de la foi lcriture sainte. 1.2.3 Tentative dvaluation. Childs Il est clair que lattention de Childs la dynamique narrative du texte canonique dEx 14 constitue une grande nouveaut mthodologique en 1974. Pour autant, limiter lapproche canonique la forme finale du texte rend pour une part lauteur prisonnier dun moment trs particulier de llaboration textuelle celui de la clture de la Torah. En amont, la rflexion religieuse dIsral, sa mise en perspective historique sont occultes. En aval, le lecteur peroit mal le lien entre les diffrentes traditions dinterprtation qui sont cites. Cependant, en citant ces traditions, Childs largit les perspectives de lexgse biblique, qui ne se plus cantonne dsormais une hermneutique de lcriture du texte cest--dire la mise au jour de ses conditions de production. Lhistoire de linterprtation a dsormais droit de cit dans la discipline exgtique. Sanders La dmarche de Sanders se concentre davantage sur le ple de lhermneutique de lcriture. Cependant, sa critique canonique permet de ne pas limiter lexgse au seul problme de lhistoire du texte biblique. En posant la question de lidentit dune communaut, et des procdures hermneutiques quelle met en uvre, lapproche de Sanders est plus thologique et politique que celle de la mthode historico-critique classique. Par ailleurs, elle donne au terme canonique une profondeur diachronique que lui refuse Childs. Une tentative de synthse entre les deux auteurs est propose par R.W Wall, dans le cadre du manuel dintroduction lexgse du Nouveau Testament publi en 1997 par Porter30. Lauteur distingue trois tapes dans la critique canonique : - la mise au jour du contexte canonique, qui cherche prciser le rle dun crit dans un ensemble canonique - la mise au jour du contenu canonique, sintressant la forme finale dun texte biblique29 30

Cf. B. CHILDS, Introduction to the Old Testament as Scripture, Philadelphia, Fortress Press, 1979.

cf. R.W. WALL, Canonical Criticism , Handbook to exegesis of the New Testament (S. PORTER, d.), Leiden, New York, Brill, 1997, p. 291-312.

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- enfin la mise en uvre du mutual criticism : la canon est alors peru comme la somme des tentatives successives pour adapter un enseignement ancien une ralit contemporaine. Il se noue ainsi des conversations intracanoniques entre diffrentes traditions. Les conflits et les divergences historiques que refltent ces conversations ne doivent pas tre rsolus. Ces conversations internes au canon montre que les nouvelles interprtations ne sont jamais des synthses de ce qui prcde, mais mergent, neuf, dun contexte particulier, de mme que le fait notre interprtation contemporaine. 1.2.4 Lintgration de la dimension canonique des tudes exgtiques par le document de 1993 de la Commission Biblique Pontificale Premier lment de la rflexion du document : lunit de la Tradition forme par la Bible : chaque texte particulier doit tre rfr ce tout : Bien quelles se diffrencient de la mthode historico-critique par une plus grande attention lunit interne des textes tudis, les mthodes littraires que nous venons de prsenter demeurent insuffisantes pour linterprtation de la Bible, car elles considrent chaque crit isolment. Or la Bible ne se prsente pas comme un assemblage de textes dpourvus de relations entre eux, mais comme un ensemble de tmoignages dune mme grande Tradition. Pour correspondre pleinement lobjet de son tude, lexgse biblique doit tenir compte de ce fait. Telle est la perspective adopte par plusieurs approches qui dveloppent actuellement. Les approches proposes par le texte de la commission qui cherchent honorer cette perspective sont de trois ordres: 1 La mention des recherches de critique canonique (cf. supra Sanders et Childs) : Constatant que la mthode historico-critique prouve parfois des difficults atteindre, dans ses conclusions, le niveau thologique, lapproche "canonique", ne aux tats-Unis il y a une vingtaine dannes, entend mener bien une tche thologique dinterprtation, en partant du cadre explicite de la foi : la Bible dans son ensemble. Pour ce faire, elle interprte chaque texte biblique la lumire du Canon des critures, cest--dire de la Bible en tant que reue comme norme de foi par une communaut de croyants. Elle cherche situer chaque texte lintrieur de lunique dessein de Dieu, dans le but daboutir une actualisation de lcriture pour notre temps. Elle ne prtend pas se substituer la mthode historico-critique, mais elle souhaite la complter.

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valuation propose par le texte de la commission Lapproche canonique ragit avec raison contre la valorisation exagre de ce qui est suppos tre originel et primitif, comme si cela seul tait authentique. Lcriture inspire est bien lcriture telle que lglise la reconnue comme rgle de sa foi. On peut insister, ce propos, soit sur la forme finale dans laquelle se trouve actuellement chacun des livres, soit sur lensemble quils constituent comme Canon. Un livre ne devient biblique qu la lumire du Canon tout entier. La communaut croyante est effectivement le contexte adquat pour linterprtation des textes canoniques. La foi et lEsprit Saint y enrichissent lexgse ; lautorit ecclsiale, qui sexerce au service de la communaut, doit veiller ce que linterprtation reste fidle la grande Tradition qui a produit les textes (cf. Dei Verbum, 10) Lapproche canonique se trouve aux prises avec plus dun problme, surtout lorsquelle cherche dfinir le "processus canonique". A partir de quand peut-on dire quun texte est canonique ? Il semble admissible de le dire ds que la communaut attribue un texte une autorit normative, mme avant la fixation dfinitive de ce texte. On peut parler dune hermneutique "canonique" ds lors que la rptition des traditions, qui seffectue en tenant compte des aspects nouveaux de la situation (religieuse, culturelle, thologique), maintient lidentit du message. Mais une question se pose : le processus dinterprtation qui a conduit la formation du Canon doit-il tre reconnu comme rgle dinterprtation de lcriture jusqu nos jours ? Le texte de la commission porte ici son intrt sur le processus de constitution du canon, et tire implicitement la leon de lvolution de lexgse historico-critique dans les annes 1970 : les strates les plus anciennes du texte biblique napparaissent plus dterminantes dans sa comprhension, comme dans son interprtation. 2 Le recours la notion de sens plnier Relativement rcente, lappellation de "sens plnier" suscite des discussions. On dfinit le sens plnier comme un sens plus profond du texte, voulu par Dieu, mais non clairement exprim par lauteur humain. On en dcouvre lexistence dans un texte biblique, lorsquon

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tudie celui-ci la lumire dautres textes bibliques qui lutilisent ou dans son rapport avec le dveloppement interne de la rvlation. Il sagit donc ou bien de la signification quun auteur biblique attribue un texte biblique qui lui est antrieur, lorsquil le reprend dans un contexte qui lui confre un sens littral nouveau, ou bien de la signification quune tradition doctrinale authentique ou une dfinition conciliaire donne un texte de la Bible. Par exemple, le contexte de Mt 1,23 donne un sens plnier loracle dIs 7,14 sur la almah qui concevra, en utilisant la traduction de la Septante (parthenos) : "La vierge concevra". Lenseignement patristique et conciliaire sur la Trinit exprime le sens plnier de lenseignement du Nouveau Testament sur Dieu le Pre, le Fils et lEsprit. La dfinition du pch originel par le Concile de Trente fournit le sens plnier de lenseignement de Paul en Rm 5,12-21 au sujet des consquences du pch dAdam pour lhumanit. Mais lorsque manque un contrle de ce genre - par un texte biblique explicite ou par une tradition doctrinale authentique, - le recours un prtendu sens plnier pourrait conduire des interprtations subjectives dpourvues de toute validit. En dfinitive, on pourrait considrer le "sens plnier" comme une autre faon de dsigner le sens spirituel dun texte biblique, dans le cas o le sens spirituel se distingue du sens littral. Son fondement est le fait que lEsprit Saint, auteur principal de la Bible, peut guider lauteur humain dans le choix de ses expressions de telle faon que celles-ci expriment une vrit dont il ne peroit pas toute la profondeur. Celle-ci est plus compltement rvle dans la suite des temps, grce, dune part, des ralisations divines ultrieures qui manifestent mieux la porte des textes et grce aussi, dautre part, linsertion des textes dans le canon des critures. Ainsi est constitu un nouveau contexte, qui fait apparatre des potentialits de sens que le contexte primitif laissait dans lobscurit. On voit que, par la notion de sens plnier, le texte de la commission biblique propose une piste darticulation entre criture et Tradition, articulation dont le texte de Dei Verbum ne prcisait pas les modalits. Le prsuppos mthodologique dune telle notion est que le processus de relectures interne lcriture Sainte ne diffre pas dans son principe des relectures postrieures la clture du canon mme si, par, ailleurs, elle sinterroge sur le fait de savoir si le processus dinterprtation interne lcriture vaut comme rgle dinterprtation pour aujourdhui. Une chose est de constater la continuit du processus de rinterprtations successives avant et aprs la clture et la dfinition du canon, une autre chose est de considrer

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aujourdhui comme normative pour hermneutique biblique, lhermneutique interne lcriture. Pour autant, la dynamique de rinterprtations successives interne lcriture Sainte, et laquelle lapproche de Sanders se rendait particulirement attentive, constitue le point de dpart incontestable dun processus constant de rinterprtations traditionnelles dans lequel sexprime la continuit historique et se dfinit lidentit diachronique et synchronique de lglise qui a la charge dinterprter lcriture. Ce constat exgtique et historique rend compte de lintrt port par le texte de la commission biblique au processus de relectures interne lcriture : 3 Les relectures internes lEcriture Ce qui contribue donner la Bible son unit interne, unique en son genre, cest le fait que les crits bibliques postrieurs sappuient souvent sur les crits antrieurs. Ils y font allusion, en proposent des relectures qui dveloppent de nouveaux aspects de sens, parfois trs diffrents du sens primitif, ou encore ils sy rfrent explicitement, soit pour en approfondir la signification, soit pour en affirmer laccomplissement. Cest ainsi que lhritage dune terre, promis par Dieu Abraham pour sa descendance (Gn 15,7.18), devient lentre dans le sanctuaire de Dieu (Ex 15,17), une participation au repos de Dieu (Ps 132,7-8) rserve aux vrais croyants (Ps 95,8-11 ; He 3,7-4,11) et, finalement, lentre dans le sanctuaire cleste (He 6,12.18-20), "hritage ternel" (He 9,15). Loracle du prophte Natan, qui promet David une "maison", cest--dire une succession dynastique, "stable pour toujours" (2 S 7,12-16), est rappel de nombreuses reprises (2 S 23,5 ; 1 R 2,4 ;3,6 ; 1 Ch 17,11-14), spcialement dans les temps de dtresse (Ps 89,20-38), non sans variations significatives, et il est prolong par dautres oracles (Ps 2,78 ;110,1.4 ; Am 9,11 ; Is 7,13-14 ; Jr 23,5-6 ; etc.), dont certains annoncent le retour du rgne de David lui-mme (Os 3,5 ; Jr 30,9 ; Ez 34,24 ;37,24-25 ; cf Mc 11,10). Le rgne promis devient universel (Ps 2,8 ; Dn 2,35.44 ;7,14 ; cf Mt 28,18). Il ralise en plnitude la vocation de lhomme (Gn 1,28 ; Ps 8,6-9 ; Sg 9,2-3 ;10,2). Etc Autrement dit, lintrieur mme du texte biblique peuvent tre mis au jour des axes selon lesquels une tradition donne lieu des rinterprtations successives : lattention au texte

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final ne doit pas occulter lextrme diversit diachronique des thologies attestes par le texte canonique, ni le jeu diachronique de lintertextualit.

Synthse En se posant la question dune approche canonique de lEcriture, le document de 1993 dpasse la perspective de Childs, comme celle de Sanders, qui conduisent lune et lautre une hermneutique de lcriture, dont est prise en compte la dimension canonique, cest-dire le processus conduisant par tapes successives la clture du texte biblique. Le Document de 1993 pose la question canonique partir dobservations textuelles qui conduisent des prises de position thologiques : il ny a pas csure nette entre le processus de relecture interne au canon des critures, et le processus de relectures secondaires la dfinition des textes canoniques. En cela est affirme la continuit entre criture et Tradition. 1.2.5 Proposition dune dfinition de linterprtation canonique: Linterprtation canonique du texte biblique recouvre lensemble des oprations consistant mettre en relation diffrents textes au sein dun corpus donn : ce corpus peut tre limit (un livre du Pentateuque, le Pentateuque tout entier), ou plus large lensemble de lAncien Testament, la Bible dans son ensemble. La mise en relation de ces textes seffectue partir de critres littraires ressortissant une hermneutique de lcriture - paralllisme de structure, identit de thmes, liens smantiques, juxtaposition des pricopes dans le texte biblique, etc - mais galement une hermneutique de la lecture . Ainsi comprise, la lecture canonique dun texte donn conduit des conclusions diachroniques et synchroniques : - Conclusions diachroniques : elles concernent la situation spcifique dun texte dans lhistoire de la composition du corpus, le moment socio-historique spcifique dont ce texte se fait lcho, resitu dans le processus socio-historique dont le corpus est le reflet. La dimension diachronique de la lecture canonique peut par ailleurs permettre la mise en vidence de constantes , de points dattention du texte biblique qui transcendent les poques et les situations socio-historiques singulires. - Conclusions synchroniques : il sagit ici de mettre au jour l effet de sens produit par la mise en relation de diffrents textes au sein dun corpus donn, textes parallles ou apparents par leur objet ou par leur forme littraire, mais galement textes apparaissant divergents ou contradictoires. Cette dimension synchronique de linterprtation canonique des textes

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bibliques se situe au carrefour entre hermneutique de lcriture et hermneutique de la lecture. - Hermneutique de lcriture : les auteurs dun texte biblique peuvent en effet avoir dlibrment pens sa composition en le mettant en relation avec dautres pricopes. Cest ici lauteur qui invite le lecteur construire un rseau signifiant lintrieur du canon des critures. La mise en relation dune pricope avec un rseau de textes en modifie linterprtation : cest ce que lon nomme le phnomne de compression canonique Cette stratgie des auteurs, qui travaillent mettre en relation diffrents crits dun mme canon ne reprsente que lune des faces de la dimension synchronique de la lecture canonique des textes bibliques. En effet, le lecteur lui-mme peut galement construire canoniquement le texte en proposant des lments fdrateurs qui en organisent la lecture. Cest bien par exemple la perspective de P. Ricoeur et A. Lacocque dans leur ouvrage Penser la Bible . Ici, lexgte ne sen tient pas aux concepts proposs par le texte biblique, il forge lui-mme des concepts nouveaux qui lui paraissent faciliter la comprhension du texte apprhend dans sa dimension canonique Cest galement la perspective de la Liturgie, qui propose un rseau de lecture de textes, en orientant linterprtation. Lexemple de la veille pascale est particulirement clairant pour comprendre le travail dhermneutique de la lecture induit par la liturgie (Gn 1 Ex 14/15 Rm 6 rcits de rsurrection.. clbration de lEucharistie).

1.3 Larticulation de la critique canonique et des autres mthodes. Lattention lexgse intrabiblique. Comment articuler la perspective canonique que nous venons de mettre en place, et le recours une mthode historique et critique que nous envisageons galement. Rendons la parole au pape Benot XVI pour aborder cette question : Lexgse canonique la lecture des diffrents textes de la Bible dans leur ensemble est une dimension essentielle de linterprtation, qui nest pas en contradiction avec la mthode historico-critique, mais la prolonge organiquement et la transforme en thologie proprement dite . Autrement dit, le sens dun texte ne trouve son accomplissement quavec les relectures

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qui en sont effectus pour ce qui concerne la Torah, lintrieur mme de la Torah puis dans le judasme tardif, dans le Nouveau testament( et enfin dans la tradition chrtienne). Pour illustrer ce propos, je voudrais montrer la complexit de ce phnomne de relectures et de rinterprtations internes lAncien Testament, et entre les deux Testaments, laide dun exemple, qui touche indirectement la Torah : celui du livre de Ruth : (voir article dans polycopi de textes).

La gnalogie qui vient clturer le livre dit la ncessit dune lecture canonique de louvrage : la hesed de Ruth la qualifie pour appartenir au peuple, et pour tre, implicitement31, intgre dans la ligne des anctres de David. La gnalogie de Rt 4,18-22 subvertit et contredit ouvertement la loi de Dt 23,4. La force de cette contestation est encore plus grande si le livre de Ruth se situe dans la position quil occupe dans la Septante, en amont des livres de Samuel et du rcit de linstauration du rgne de David, spar du Deutronome par les seuls livres de Josu et des Juges. Dans le texte massortique de la Bible hbraque, le livre de Ruth, mis distance de ce contexte narratif dnonciation, perd quelque peu sa force de contradiction. Ce constat pourrait constituer un indice invitant considrer lordonnancement des livres bibliques dans la Septante, et la situation canonique quy occupe le livre de Ruth, comme le reflet du contexte narratif originel de sa composition32. Ruth et le Nouveau Testament Ruth est lune des quatre femmes cites par la gnalogie qui ouvre lvangile selon Matthieu (Mt 1,5). La mise au jour de la figure de Ruth telle que le livre qui porte son nom la dploie contribue apprhender les enjeux et la signification de sa prsence dans cette gnalogie : par sa personne et par son comportement, la figure de Ruth symbolise une interprtation ouverte et actualisante de la loi juive. Moabite, elle adhre la loi, ce qui souligne la porte universelle de la Torah. Lvangile de Matthieu se prsente, entre autres, comme une hermneutique christologique de la Torah : en Mt 5-7 Jsus apparat comme

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Les personnages fminins ninterviennent pas dans la gnalogie de Rt 4,18-22. Selon le trait Baba Bathra 14b du Talmud de Babylone, le livre de Rut occupe une position canonique diffrente : en tte des crits, avant le livre des Psaumes. Un tel ordonnancement privilgie galement le lien entre le livre de Ruth et la figure de David, qui est attribue traditionnellement le Psautier (cf. I. Fischer, Rut, p. 100).

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lhermneute de la Torah, qui en ouvre le sens, le dploie, ou pour reprendre lexpression de Benot XVI sy substitue en laccomplissant. La rfrence la figure de Ruth ds le prambule de lvangile annonce dune certaine manire au lecteur ce qui sy joue : la libert dont cette figure biblique trangre fait preuve vis--vis de la Loi prfigure la libert de Jsus le Galilen. De la mme manire que Ruth constitue une figure intermdiaire entre la Torah et le Nouveau Testament, et quune trajectoire peut tre dessine entre les lois concernant les trangers, le lvirat et le rachat dans la Torah, le livre de Ruth et la gnalogie de Matthieu, de la mme manire nous chercherons mettre au jour la fcondit des textes et des thmes thologiques de la Torah, leur Wirkungsgeschichte .

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Excursus : quelques Donnes historiques sur des priodes-clef : 1. La charnire entre 8me et 7me sicles avant n.e. : la pousse de lAssyrie 1.1La situation politique la fin des annes 730 (la date du dbut de la guerre syro-ephramite est difficile prciser 737 ou 735), la pression assyrienne devient telle que Damas (dont le roi est Raon) et Isral (dont le roi est lusurpateur Peqah 737-732, succdant Peqahya, fils de lusurpateur Menahem) se coalisent pour faire face cette grande puissance. Selon les traditions bibliques, ils nobtiennent pas lappui de Juda, do une campagne pralable contre Jrusalem et son roi Achaz (2 R 16,5-6; Is 7,1). Cette situation aurait conduit Achaz demander lappui assyrien, ce qui conduit Juda tomber pour prs dune sicle dans lorbite assyrienne. (2 R 16,7-10), ce qui nest pas sans consquences religieuses, selon le second livre des Rois (2 R 16,10-18). Juda apparat dans une liste de tributaires de Tiglat-Phalazar III, en Assyrie en 729 : Je reus le tribut . De Mitinti dAsqaluna (Ashqelon), de Yauhazu (Achaz) de Ya udu (Juda), de Qaushmalaka dUdumu (Edom) de Hanunu de Hazatu (Gaza), de lor, de largent, de ltain, du fer, du plomb, des vtements passementerie multicolore et de lin, vtements de leur pays, de la pourpre rouge 33

Laide assyrienne conduit la ruine de Damas (732), et la rduction dIsral son territoire samarien, la population galilenne tant lobjet dune premire dportation (13520 personnes daprs les archives de Tiglat Phalazar III). Trois provinces assyriennes sont cres : Dor sur la cte, Megiddo, et Galaad. Ose est souverain en Isral de 732 724 (cf. 2 R 17,1-6). Payant dabord tribut lAssyrie, il se rebelle ensuite contre elle et contre son souverain Salmanasar V. La tentation est celle dun renversement dalliances au profit de lgypte. La taille du royaume dIsral ne lui permet en effet en aucun cas dtre autosuffisant politiquement et militairement. Larrestation du roi prcde le sige de Samarie, dfinitivement conquise par Sargon II en 720 (cf. annales assyriennes). Samarie est dtruite, comme en tmoigne la strate VI de fouilles du tel (la strate VII correspond la reconstruction assyrienne). La politique assyrienne consiste dtruire les villes vassales rebelles et sen emparer, mais galement reconstruire une province assyrienne, dont le peuplement passe par la dportation de la population des autres provinces.

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Traduction M. J. SEUX.

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Il y a un brassage de populations dont le but est lassimilation politique, culturelle et religieuse34: Des gens des quatre parties du monde, de langue trangre et de dialectes incomprhensibles, habitants des montagnes et des plaines, tous sujets de la Lumire des dieux et Seigneur de tout, je les transportai, sur lordre dAssour mon Seigneur, et par la puissance de mon sceptre. Je les fis devenir une seule langue et les installai l. Comme scribes et surveillants, je leur assignai des Assyriens, capables de leur enseigner la crainte de Dieu et du roi.

La politique assyrienne consiste faire de la Samarie une province dempire, et den dporter la classe dirigeante35, tandis que la pression politico-militaire continue sexercer sur le sud. Il convient cependant de ne pas surestimer la politique de dportation des Assyriens : les fouilles effectues dans la valle de Yizrel montrent une continuit dmographique, ; de mme dans les zones rurales entourant Samarie. Le dveloppement du royaume de Juda, li la personne dEzkias (716-687) conduit une intervention prventive assyrienne, non dcisive dans son rsultat mais conduisant la prise de Lakish. Jrusalem en revanche nest pas dtruite, mais continue payer le tribut tout au long du rgne de Manass (687-642). Cette soumission est le corollaire de la victoire de Sennacherib, magnifie dans les annales assyriennes : Comme Ezekias le Juden ne se soumettait pas mon joug, je mis le sige devant 4 de ses places fortes, forteresses et devant un nombre important de villages. Je les conquis en construisant des rampes en terre, attaques de troupes pied, brches dans les murs. Jen fis sortir 200150 personnes, jeunes et vieux, hommes et femmes, chevaux, mulets, nes, chameaux, petit et gros btail innombrabl. Lui, je le fis prisonnier Jrusalem, sa rsidence royale, comme un oiseau en cage. Je lentourai afin de pouvoir men prendre ceux qui passaient la porte de la ville. Ses villes que je pris, je les donnai ) Mitinti roi dAshdod, Padi roi dEqron, Sillibel, roi de gaza. Je rduisis son pays et augmentai son tribut.

Le texte est bien sr exagr dans ses donnes chiffres, mais larchologie montre les traces de la dvastation de Juda la fin du 8me sicle. 2 R 18,14.17 se fait lcho de la prsence de Sennachrib Lakhish, dont un bas-relief de Ninive dpeint la prise. Les fouilles de Lakhish partir de 1930 ont mis en vidence la rampe de terre construite pour le sige par

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A. FUCHS, Die Inschriften Sargons II aus Khorsabad, Gttingen 1993, p. 293. 2 R 17,6 se fait lcho de cette politique de tranfert de population.

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les Assyriens. Les fouilles montrent que la ville fut brle. Des centaines de ttes de flches furent retrouves lintrieur. 1.2 Les donnes archologiques Les rsultats de la campagne de Tiglat Phalazar III sont reprables dans de nombreux sites archologiques : la ville isralite dHaor est par exemple totalement dtruite et brle. Dautres villes portent la trace dune roccupation assyrienne, comme Megiddo. Les fouilles montrent la fois des traces dincendie36 dans les quartiers dhabitation, mais un respect des magasins militaires qui sont rutiliss. Des signes de reconstruction sont galement retrouvs sur le site : palais de style assyrien, blocs dhabitation rectangulaires. Megiddo devient la capitale dune nouvelle province assyrienne. Comme nous lavons dit plus haut, la rupture reprsente par la victoire assyrienne nest pas totale : il y a une continuit doccupation dans de nombreux sites de la plaine de Yizrel comme de la campagne samarienne. Concernant Juda, les donnes archologiques correspondant au 9me et au dbut du 8me sicle montrent un faible taux doccupation, un faible niveau de dveloppement culturel. la fin du 8me sicle, Jrusalem connat une expansion brutale, dont le corollaire est la construction dun nouveau mur sous Ezkias. On trouve une allusion sa construction en Is 22,10. la mme poque, un nouveau systme dapprovisionnement en eau est tabli : le tunnel dEzkias permettant de faire arriver lintrieur de la cit les eaux de la seule source prenne. Une inscription trouve dans le tunnel en dcrit lachvement: lorsque le tunnel fut tabli. Voici comment il fut coup . Lorsque. Chaque homme vers soncompagnon, et lorsquil restait encore trois coudes couper, on entendit la voix dun homme appelant son compagnon, car il y avait un dcalage dans le rocher. Lorsque le tunnel fut achev, les carriers enlevrent le rocher, chacun en direction de son compagnon, et leau coula depuis la source, jusquau rservoir, sur 1200 coudes. Et la hauteur de roche au-dessus de la tte des ouvriers tait de 100 coudes. 37

Tous ces lments sont le corollaire dune urbanisation rapide : certains parlent ici dun facteur 15 dans laugmentation de la population. De la mme manire, Lakish, dans la Shephelah connat un dveloppement important. Finkelstein propose le chiffre de 120000 pour la population de Juda, au dbut du 7me sicle ( comparer aux 350000 dIsral au36 37

Cf. I. FINKELSTEIN & N.A. SILBERMAN, The Bible Unearthed, p. 215s. cf. galement 2 R 20,20.

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sommet de son expansion). La croissance urbaine va de pair avec le dveloppement de la culture : sceaux, ostraca renvoyant une administration royale, usage de la pierre dans des btiments administratifs, etc Les tombes sont galement plus sophistiques, creuses dans le roc. La chute de Samarie renforce le rle de Judah, de mme que la tutelle assyrienne intgre ce territoire dans de nouveaux rseaux commerciaux. Sur le plan conomique, larchologie montre les traces dune certaine prosprit de Juda au 7me sicle, sous domination assyrienne. La concentration dtablissements agricoles autour de Jrusalem augmente au 7me sicle, du fait peut-tre de larrive de rfugis de la Shephelah, perdue dans la guerre de 701. Une organisation centralise de lagriculture de Juda, sous contrle royal pourrait avoir t mise en place : de nombreuses jarres de stockage de lhuile dolive ont t trouves, marques dun sceau royal avec linscription Klml. Trois noms de villes apparaissent : Socoh, Ziph, Hbron et x ces dcouvertes pourraient indiquer lexistence dun contrle royal du commerce agricole. Eqron, dans la Shephelah a t identifi comme un centre important pour la fabrication de lhuile des olives de Juda. Ceci signifie que la production de Juda est prise dans un rseau commercial dpendant de la puissance assyrienne.

2. Chute de lAssyrie, domination Babylonienne, et crise dbouchant sur lexil. 2.1 La situation internationale aux 7me et 6me sicle avant n.e. 2.1.1 LAssyrie et Babylone La documentation concernant lempire nobabylonien (626-539) est plus lacunaire que celle concernant lempire assyrien. Babylone connat une longue priode de dcadence dans la premire moiti du premier millnaire. Lexistence de groupes rivaux empche la naissance dun pouvoir fort. Le groupe le plus important est celui des akkadiens , lointains descendants du premier empire babylonien, habitant les centres culturels du Nord-Ouest du pays (Babylone, Borsippa, Kutha, Dilbat, Sippar). Le Groupe tribal des chaldens est dorigine aramenne. Ce groupe reprsente une opposition militaire importante au pouvoir assyrien. Un groupe des nomades aramens se situe la frontire orientale.

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Les dsaccords interbabyloniens permettent lAssyrie de soumettre la Babylonie vers 730, et de lincorporer lempire assyrien. Le territoire babylonien demeure cependant une zone de dsordre politique : aprs la mort de Sargon II en 705, les Babyloniens sadjoignent les Elamites dans une guerre contre lAssyrie qui se termine par un dsastre : Sennakerib prend Babylone le 9 Kislew 689 aprs 15 mois de sige et dtruit la ville, et son temple, en dporte la population, dtruit la statue de Mardouk. Cet pisode provoque une rsistance antiassyrienne, unifiant les diffrents groupes babyloniens38. Aprs Sennacherib, Asarhaddon mne une politique de rconciliation (681-669), dbutant par la reconstruction de Babylone. Ces annes marquent le retour de la statue de Mardouk Babylone, sans en autoriser le culte. Assurbanibal, le successeur dAsarhaddon, envoie son frre an Shamash-ShumaUkin comme roi de Babylone, o le culte de Mardouk est rintroduit. En 652-648 Shamash-Shuma-Ukin prend la tte dune nouvelle rvolte de Babylone contre lAssyrie. Les Chaldens, Aramens et Akkadiens de Babylone sunissent contre lAssyrie. Babylone, assige par lAssyrie en 650, est reprise en 648. Mais finalement, cette guerre civile conduit non seulement la fin de lempire assyrien, mais lmergence dune identit nobabylonienne. Lmergence dune entit politique nobabylonienne seffectue sous la modalit dune opposition antiassyrienne Assurbanipal meurt en 630. Un certain vide de pouvoir sinstalle en Assyrie (rivalit entre les deux fils dAssurbanipal). Nabopolassar, Cheikh Chalden devient le porteur des esprances babyloniennes dans un combat de libration contre lAssyrie. Ce nest quen 616 quil pntre sur le territoire assyrien. Il choue devant Qablinu, o les troupes gyptiennes sont venues en renfort. Il prend finalement les villes de Tarbitsu et Assur en 614. Ninive est finalement prise en 612. La question se pose de la raison de ces succs militaires : les Assyriens reoivent-ils sur leur terre un peuple-frre en la personne des Babyloniens. Les inscriptions de Nabopolassar relient la victoire sur lAssyrie un commandement des dieux Marduk et Nabu39.

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Lhostilit Sennacherib est telle que la chronique babylonienne omet de mentionner son rgne de 8 ans sur Babylone : Chronique 1,III,28. 39 Inscriptions de Nabopolassar, 1, I, 23-41 ; 3 II,1-4.

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Une autre prsentation historiographique de la victoire de Babylone la prsente comme consquence du pillage du temple de Babylone, dont le contenu fut transport Ninive40. Aprs la chute de Ninive, les Assyriens se replient Harran, en Syrie du Nord (dtruite en 610). Des combats perdurent de 612 605. Les Assyriens sont encore soutenus par les gyptiens. Nabuchodonosor, prince hritier, dfait les troupes gyptiennes Karkemish (605), et les radique de la rgion. Les Babyloniens laissent aux Mdes (tribu ouest-iranienne qui prcdemment stait associe lAssyrie dans ses campagnes antibabyloniennes) le cur de lAssyrie et le Nord du pays avec Harran. Babylone, il ny a pas de succession dynastique. Cest le consensus des chefs du royaume qui conduit lacclamation du souverain. Nabuchodonosor (605-562) rgne 43 ans sur Babylone. Son but politique est de rcuprer son profit les territoires et linfluence assyriennes. 2.1.2 La politique extrieure de Nabuchodonosor Cest une politique de conqute : tout dabord dans le Nord (Syrie-Phnicie, mais aussi Palestine, avec la prise dAsquelon en 604, Sidon en 603). Les diffrentes rgions conquises se rendent gnralement sans combat et apportent tribut, comme galement Juda sous Yoyaqim (2 R 24,1). Un affrontement avec Nko II la frontire gyptienne en 601 se termine sans vainqueur, ce qui marque une limite la sphre dinfluence de Babylone. Ceci conduit une tentative de renversement dalliances de la part du roi de Juda, et une raction immdiate de Nabuchodonosor, cherchant conserver lintgrit de lhritage assyrien (campagne de 598/597). 2.1.3 La chute de Juda La chronique babylonienne nous fait connatre les vnements dun point de vue babylonien : Yoyaqin, roi de Juda, qui vient de succder son pre Yoyaqim est emmen comme prisonnier de guerre. Il est remplac par Sdcias, install et contrl par le pouvoir babylonien. En revanche, lexil dune part dterminante de la population de Juda nest pas mentionne de manire spcifique par la chronique babylonienne. Aprs la scurisation de Juda, Nabuchodonosor se tourne