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    DROIT JUDICIAIRE PRIVEQUESTIONS SPECIALES DE DROIT JUDICIAIRE PRIVE

    TOME I

    Hakim BOULARBAH

    Avec la collaboration de Vronique PIREet de Xavier TATON

    1reanne du grade de Master en Droit

    2medition 2010-2011

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    OUVRAGES ET ETUDES GENERAUX CITES SOUS LE SEUL NOM DE LEUR(S)

    AUTEUR(S)

    H. BOULARBAH (ed.), Le nouveau droit de lexpertise judiciaire en

    pratique, Bruxelles, Larcier, 2007, cit comme H. BOULARBAH, Expertise judiciaire.

    H.BOULARBAHet J-F.VAN DROOGHENBROECK (ed.), Les dfenses en droit

    judiciaire, Bruxelles, Larcier, 2010.

    C. CAMBIER, Droit judiciaire civil, Tome II - Comptence, Bruxelles,

    Larcier, 1981, cit comme C. CAMBIER, Comptence.

    M. CASTERMANS, Gerechtelijk recht : algemene beginselen, bevoegdheid

    en burgerlijke rechtspleging, Gand, Academia Press, 2004, cit comme M.

    CASTERMANS, Gerechtelijk recht.

    G. DE LEVAL, Elments de procdure civile, 2me dition, Bruxelles,

    Larcier, 2005, cit comme G. DE LEVAL, Elments.

    G. DE LEVAL, Institutions judiciaires, 2medition, Lige, Facult de Droit,

    1993, cit comme G. DE LEVAL, Institutions.

    J. ENGLEBERT(ed.), Le procs civil acclr ?, Bruxelles, Larcier, 2007,

    cit comme J. ENGLEBERT, Procs civil acclr ?

    A. FETTWEIS, Manuel de procdure civile, 2me dition, Fac. Dr. Lige,

    1987, cit comme A. FETTWEIS, Manuel.

    A. FETTWEIS, Prcis de droit judiciaire, Tome II - La comptence,

    Bruxelles, Larcier, 1971, cit comme A. FETTWEIS, La comptence.

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    E. GUTTet A.-M.STRANART-THILLY, Examen de jurisprudence (1965

    1970) - Droit judiciaire priv , R.C.J.B., 1973, pp. 91-229 et R.C.J.B., 1974, pp. 91-186, cits comme E. GUTTet A.-M.STRANART-THILLY, Examen .

    E. GUTT et J. LINSMEAU, Examen de jurisprudence (1971 1978) -

    Droit judiciaire priv , R.C.J.B., 1980, pp. 417 et s.; R.C.J.B., 1982, pp. 219 et s. et

    R.C.J.B., 1983, pp. 63 et s., cits comme E. GUTTet J. LINSMEAU, Examen .

    J. LAENENS, K. BROECK et D. SCHEERS, Handboek Gerechtelijk recht,Anvers, Intersentia, 2004, cit comme J. LAENENS, Handboek.

    J. LAENENS, Overzicht van rechtspraak - De bevoegdheid (1979-

    1992) , T.P.R., 1993, pp. 1479 et s., et T.P.R., 2002, pp. 1497 et s. cit comme J.

    LAENENS, Examen .

    J. VAN COMPERNOLLE et G. CLOSSET-MARCHAL, Examen de

    jurisprudence (1985 1996) Droit judiciaire priv , R.C.J.B., 1997, pp. 495-625,

    R.C.J.B., 1999, pp. 59-186 et J. VAN COMPERNOLLE,G.CLOSSET-MARCHAL, J.-F. VAN

    DROOGHENBROECK, A. DECROSet O. MIGNOLET, Examen de jurisprudence (1991

    2001) Droit judiciaire priv , R.C.J.B., 2002, pp. 437 et s. et pp. 653 et s., cits

    comme J. VAN COMPERNOLLEE.A., Examen .

    G. CLOSSET-MARCHAL, J.-F. VAN DROOGHENBROECK, A. DECROS et S.

    UHLIG, Examen de jurisprudence (1991 2001) Droit judiciaire priv , R.C.J.B.,

    2006, pp. 83 et s., pp. 271 et s. et pp. 619 et s., cits comme G. CLOSSET-MARCHAL

    E.A., Examen .

    G. CLOSSET-MARCHAL et J.-F. VAN DROOGHENBROECK, Les voies de

    recours en droit judiciaire priv, Bruylant, Bruxelles, 2009.

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    AVERTISSEMENT

    Le prsent syllabus constitue le support crit des cours de Droit judiciaire priv et

    Questions spciales de droit judiciaire priv enseigns en premire anne de la

    Matrise en Droit.

    Les passages en caractres plus petits sont rservs au cours de Questions

    spciales de droit judiciaire.

    Le prsent syllabus doit tre utilement complt par les notes prises lors du coursoral propre chacun des enseignements ainsi que par la lecture et lutilisation du

    Code judiciaire.

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    INTRODUCTION : OBJET, SOURCES ET PRINCIPES DU DROIT

    JUDICIAIRE PRIVE

    CHAPITRE I - LOBJET : LE DROIT JUDICIAIRE PRIVE

    1. Le droit judiciaire priv ne comporte pas seulement la procdure au sens

    strict du terme.

    Il comprend ltude des principes gnraux de la procdure, de l'organisation

    judiciaire, de la comptence, de la procdure, des voies conservatoires, des voies

    d'excution, du rglement collectif de dettes ainsi que la matire de l'arbitrage et de la

    mdiation.

    On trouvera donc, dans le droit judiciaire priv, certains aspects qui ont trait

    l'administration de la justice en droit belge, et plus particulirement la procdure,

    celle-ci tant la forme dans laquelle on doit intenter les demandes en justice,

    dfendre, intervenir, instruire, juger, se pourvoir contre les jugements et les

    excuter1.

    Le droit judiciaire priv dpasse donc largement la notion de procdure,

    particulirement lorsque celle-ci est entendue dans son sens assez pjoratif de

    chicane .

    CHAPITRE II - LE CODE JUDICIAIRE

    2. Le Code judiciaire a t promulgu par la loi du 10 octobre 1967 et ses travaux

    prparatoires, extrmement intressants, ont fait l'objet d'un supplment la

    Pasinomie.

    1POTHIER, Trait de procdure civile, d. 1848, n 1, T. 10.

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    Ce Code est trs homogne, grce au fait qu'il a t adopt lissue dun rapport sur

    la Rforme judiciaire tabli par un Commissaire royal spcialement nomm cet

    effet, le Btonnier VAN REEPINGHEN, galement professeur de droit judiciaire lUniversit Catholique de Louvain, et ensuite, aprs le dcs de celui-ci au cours des

    travaux, le procureur gnral mrite Ernest KRINGS, alors avocat gnral prs la

    Cour de cassation et professeur de droit judiciaire lULB, aids par de nombreux

    collaborateurs de qualit.

    Le Code judiciaire fut relativement peu modifi depuis 1967, bien que des

    amliorations aient t frquemment proposes, notamment pour tenter dersoudre l'arrir judiciaire ou que de nouvelles matires, par exemple l'astreinte,

    soient venues s'ajouter la lgislation de base.

    La dernire rforme dampleur fut constitue par la loi du 3 aot 1992, entre en

    vigueur le 1er janvier 19932, qui a modifi de faon importante plusieurs parties du

    Code judiciaire sans toutefois que l'on puisse parler de vritable refonte du droit

    judiciaire, terme utilis lors du remplacement, en 1967, du Code de procdure civile

    par le Code judiciaire. De nouvelles rformes plus ponctuelles sont encore

    intervenues en 2007 avec lintroduction de la rptibilit des frais et honoraires

    davocat (loi du 21 avril 2007), la lutte contre larrir judiciaire (loi du 26 avril 2007) et

    la modification des rgles relatives lexpertise judiciaire (loi du 15 mai 2007)3.

    3. Le Code judiciaire comporte sept parties :

    1. Les principes gnraux.

    2. L'organisation judiciaire (organes du pouvoir judiciaire, fonctions judiciaires,

    barreau, huissiers de justice, ).

    2 Voy. sur le bilan de cette rforme aprs dix ans dapplication, Dix ans dapplication de la loi du 3 aot2002, M. STORMEet P. TAELMAN(eds), Bruges, La Charte, 2004.

    3 Les lois de 2007 sur la rptibilit et sur lexpertise ont elles -mmes donn lieu des modificationsponctuelles (parfois qualifies de lois de rparation ), respectivement en date du 22 dcembre 2008et 21 janvier 2010 ( rptibilit ) et du 30 dcembre 2009 ( expertise ).

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    3. La comptence (c'est--dire le pouvoir du juge de connatre la cause qui lui est

    dfre).

    4. La procdure civile (assistance judiciaire, instance, voies de recours, ).

    Cette mme partie comporte galement les procdures particulires qui ne

    sont gnralement pas enseignes dans le cadre du cours de droit judiciaire

    priv, certaines ressortissant la matire du droit judiciaire notarial (vente

    d'immeubles, partages et licitations, etc...) ou du droit de la famille et des

    personnes (demandes en divorce et sparation de corps), ou encore desprocdures trs particulires qui n'ont pu tre insres dans un texte plus

    gnral.

    5. Les saisies conservatoires, les voies d'excution et le rglement collectif de

    dettes.

    6. L'arbitrage.

    7. La mdiation4.

    4. Pour rappel, le Code judiciaire est le droit commun de la procdure. Cela signifie

    que sauf drogation expresse dans une procdure particulire, le Code judiciaire est

    applicable tous les litiges, quelle que soit la matire concerne (article 2 du Code

    judiciaire)5.

    Les rgles du Code judiciaire ne trouvent pas non plus sappliquer lorsque les

    principes de droit qui rgissent la procdure en cause sont incompatibles avec

    lapplication de ces rgles.

    4 Voy. P. VAN LEYNSEELEet F. VAN DE PUTTE, La mdiation dans le Code judiciaire , J.T., 2005, pp.

    297 et s.5 Voy. A.KOHL, Le Code judiciaire, droit commun de la procdure , Ann. Fac. Dr. Lige, 1975, pp.401 et s.

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    Cest ainsi que pendant trs longtemps, la Cour de cassation a dcid que les rgles

    du Code judiciaire relatives au caractre contradictoire de lexpertise en matire civile

    (art. 962 et s.) ne sappliquaient pas en matire pnale en raison des principes de

    droit rgissant la procdure pnale6. Cette jurisprudence a t remise en cause tout

    dabord par la Cour constitutionnelle7 et, plus rcemment, par la Cour europenne

    des droits de lhomme8. La Cour de cassation a elle-mme opr un timide

    revirement pour les expertises menes devant la juridiction pnale de jugement

    appele statuer sur les intrts civils, dans un arrt du 8 fvrier 20009.

    CHAPITRE III - LES PRINCIPES

    SECTION I - INTRODUCTION

    5. Il existe dans le monde divers systmes judiciaires en matire de procdure

    civile et l'on rappelera ici brivement les caractristiques essentielles du systme

    belge.

    Ces caractristiques sont en grande partie influences par les exigences du procs

    quitable et, en particulier, par l'article 6, 1er, de la Convention europenne de

    sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales (CEDH) qui

    possde un effet direct en droit interne et qui dispose que toute personne a droit

    ce que sa cause soit entendue quitablement, publiquement et dans un dlai

    raisonnable, par un tribunal indpendant et impartial, tabli par la loi, qui dcidera soit

    des contestations sur ses droits et obligations de caractre civil, soit du bien-fond de

    toute accusation en matire pnale dirige contre elle.

    6. On rappelle quil rsulte de la jurisprudence de la Cour europenne des droits

    de lhomme que cette disposition garantit non seulement le droit daccs concret et

    6Cass., 24 juin 1998, Pas., I, n332; Cass., 24 novembre 1998, Pas., I, n490.7

    C.A., 30 avril 1997, n24/97. Comp. avec C.A., 24 juin 1998, n74/98 et C.A., 13 janvier 1999, n1/99.8 CEDH, 2 juin 2005, Cottin c. Belgique.9 Cass., 8 fvrier 2000, Pas., I, n100.

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    effectif un tribunal10, ce qui implique labsence dobstacles financiers ou juridiques

    entravant cet accs mais galement le droit un juge indpendant et impartial11.

    Larticle 6, 1er, de la CEDH offre encore un certain nombre de garanties

    procdurales: la publicit de la procdure12, le dlai raisonnable dans le traitement

    dune cause13, la motivation des dcisions de justice14, lgalit des armes et le

    respect du contradictoire15.

    Enfin, larticle 6, 1er, de la CEDH garantit galement le droit lexcution de la

    dcision judiciaire

    16

    .

    SECTION II - PUBLICITE DES AUDIENCES

    7. La publicit des audiences est un principe garanti la fois par la Constitution

    belge (articles 148 et 149), sous la rserve de quelques cas de huis clos, et par

    larticle 6, 1er

    , de la CEDH.

    Le but de cette mesure est videmment d'entraver l'arbitraire en permettant aux

    parties et l'opinion de suivre la marche du procs et de contrler l'activit des cours

    et des tribunaux.

    En application de ce principe, l'article 757 du Code judiciaire prvoit que les

    plaidoyers, rapports et jugements sont publics.

    10CEDH, 21 fvrier 1975, Golder/Royaume Uni, srie A, n18, 36.11CEDH, 1eroctobre 1982, Piersack/Belgique, srie A, n53, 30.12CEDH, 23 juin 1981 et 10 fvrier 1983, Le Compte/Belgique, srie A, nns 43 et 58.13CEDH, 28 juin 1978, Knig/RFA, srie A, n27.14

    CEDH,19 avril 1994, Van den Hurk/Pays-Bas.15CEDH, 27 octobre 1993, Dombo Beheer/Pays-Bas.16CEDH, 19 mars 1997, Hornsby/Grce, R.T.D.Civ., 1997, p. 1009.

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    On en excepte les mesures relevant de l'instruction de l'affaire, telles que les

    enqutes, les expertises et l'interrogatoire des parties, sauf lorsque l'instruction est

    faite l'audience.

    Y chappent galement les causes dont la loi prescrit l'instruction en chambre du

    conseil, par exemple parce qu'elles ont trait l'intimit de la vie familiale.

    SECTION III - LE PRINCIPE DISPOSITIF

    Sous-Section I - Notion

    8. Selon le principe dispositif, le procs civil est la chose des parties . Comme

    le soulignent les travaux prparatoires du Code, la direction du procs par les

    parties est un postulat de notre droit judiciaire.

    Cela signifie qu'il revient au demandeur de libeller dans l'acte introductif d'instance

    ses prtentions et l'expos des faits sur lesquels il les fonde ainsi que la partie contrelaquelle il dirige sa demande.

    A son tour, le dfendeur prend attitude. Sauf s'il s'incline, il opposera des exceptions,

    des fins de non-recevoir ou des dfenses au fond, chacune des parties appuyant les

    dveloppements juridiques de sa thse sur les faits qui, son estime, la justifient.

    Chaque partie apportera ainsi la preuve des faits qu'elle allgue.

    En cours d'instance, les parties pourront, sous rserve de l'ordre public, transiger ou

    se dsister. Elles pourront galement, sous la mme rserve, conclure des accords

    sur certains points de droit ou de fait par lesquels elles lieront le juge17.

    Ce sont donc les parties qui fixent le cadre du litige (parties, objet et cause) qu'elles

    soumettent au juge. Les contours du procs et de leur contestation leur sont

    17 Cass., 2 juin 2005, Pas., I, 1167.

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    abandonns de sorte que le juge ne peut, en rgle, mettre doffice des tiers la

    cause (article 811 du Code judiciaire), statuer sur des choses non demandes (on

    dirait alors qu'il statue ultra petita), ou en se fondant sur des faits non invoquspar une partie et ce, mme si la loi qui accorde un droit l'une des parties est d'ordre

    public18.

    En d'autres termes, si, comme nous le verrons, le rle du juge dans linstruction et la

    direction de linstance n'est pas passif, il lui est toutefois interdit de susciter des

    contestations qu'il n'est pas venu l'esprit des parties d'lever ou de dvelopper. A

    cet gard, le contenu du principe dispositif dpend notamment de la dfinition qui estretenue pour les notions dobjet et de cause de la demande. Or, ces notions ont

    donn lieu une importante controverse, qui sera examine ci-dessous.

    Compte tenu du rle de plus en plus actif du juge dans le droulement du procs, il

    est plus exact aujourdhui de dfinir le principe dispositif comme signifiant que le

    litige est la chose des parties . Le procs et sa direction chappent par contre de

    plus en plus la seule disposition des parties.

    Sous-Section II - Exceptions

    9. Le principe dispositif connat cependant des exceptions. Dans certains cas, le

    juge pourra doffice 1 appeler la cause des tiers, 2 modifier lobjet de la demande

    ou encore 3 se fonder sur dautres faits que ceux invoqus par les parties.

    1 En ce qui concerne la possibilit pour le juge dappeler doffice la cause des tiers

    au litige, il faut notamment signaler l'article 331decies, alina 2, du Code civil qui, en

    matire de filiation, droge l'article 811 du Code judiciaire (lequel interdit la mise en

    cause de tiers par une dcision que prendrait d'office le juge), et donne ce dernier

    la facult d'ordonner mme d'office que soient appels la cause tous les

    intresss auxquels il estime que la dcision doit tre rendue commune.

    18 Cass., 13 avril 1972, Pas., I, 747.

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    Relevons par ailleurs que dans un important arrt du 3 avril 2006 (C.04.0079.N et

    C.04.0080.N), la Cour de cassation a dcid que le juge ne viole pas le principe

    dispositif ou larticle 811 du Code judiciaire lorsquil ordonne la rouverture des

    dbats afin dattirer lattention dune partie sur la possibilit ou lintrt de mettre la

    cause un tiers.

    2 Dans certains cas exceptionnels, le juge peut galement modifier lobjet de la

    demande et accorder plus au demandeur que ce que ce dernier a sollicit. Ainsi,

    larticle 6, 3, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail prvoit que le juge

    qui statue sur les droits de la victime ou des ayants droit, vrifie doffice si lesdispositions de la prsente loi sont observes. Il peut notamment suppler la

    demande de la victime lorsquil considre celle-ci comme insuffisante19. Lorsquune

    partie demande la condamnation de lautre une astreinte en cas dinexcution de la

    condamnation principale prononce par le juge, ce dernier peut galement fixer une

    astreinte dun montant suprieur celui suggr par la partie demanderesse20.

    3 Enfin, il est admis que le juge puisse galement se fonder sur des faits qui, bien

    que non invoqus par les parties, sont notoires ou constituent des rgles

    dexprience commune21.

    SECTION IV - PROCEDURE ACCUSATOIRE

    10. La procdure civile en droit belge est en grande partie accusatoire . Ce sonten effet les parties qui doivent prendre linitiative dintroduire le procs et des

    diffrentes dmarches procdurales qui jalonnent celui-ci.

    19 Cass., 21 octobre 1996, Pas., I, n391.20Cass., 22 avril 1993, Pas., I, 384.21 Voy. par ex. Cass., 28 juin 1971, Pas., I, 1063 : Il est dexprience notoire que la pluie diminuefortement le pouvoir dadhrence dune chausse asphalte ou encore Cass., 21 octobre 1988,Pas., 1989, I, 196 : est de commune renomme la distance entre deux communes belges . Par

    contre, de manire plus surprenante, Cass., 14 novembre 2002, Pas., I, 2175 : en relevant que latexture des parois latrales (d'un pneu) est plus tendre que celle de la bande de roulement, les jugesd'appel se sont fonds sur une donne de l'exprience commune .

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    Lorsque c'est un magistratassis ou deboutqu'il appartient de prendre l'initiative

    du procs et des diffrentes tapes de son droulement, on qualifie la procdure

    dinquisitoire . La procdure pnale belge revt globalement ce caractre.

    En dautres termes, le principe dispositif gouverne le fond du litige (parties, objet et

    cause) et le principe accusatoire caractrise lintroduction et le droulement de la

    procdure civile.

    Comme on la dj indiqu, le Code judiciaire a cependant renforc les pouvoirs du

    juge dans certains domaines, notamment en ce qui concerne l'administration de lapreuve (il a le pouvoir dordonner doffice certaines mesures dinstruction destines

    apporter la preuve de faits ou dactes contests), ou encore en lui permettant de

    prendre un certain nombre de mesures dans la conduite de linstance, qui ne

    constituent pas proprement parler des actes de juridiction, mais qui ont

    incontestablement une incidence sur le cours du procs (par exemple, dcider qu'une

    affaire sera remise et non pas renvoye au rle).

    Il faut donc considrer que, mme si globalement, la procdure civile demeure de

    type accusatoire , elle a progressivement intgr certains aspects inquisitoires

    en ce sens que le juge ne joue plus un rle passif dans le droulement et linstruction

    du procs.

    Cette tendance a encore t renforce par deux lois rcentes qui ont

    considrablement renforc le rle actif du juge dans linstruction du litige. La loi du 26

    avril 2007 modifiant le Code judiciaire en vue de lutter contre larrir judiciaire

    permet ainsi au juge de fixer, mme dautorit, des dlais pour l change de

    conclusions et une date daudience ds laudience dintroduction ou dans les six

    semaines de celle-ci (art. 747 C. jud.). La loi du 15 mai 2007 modifiant le Code

    judiciaire en ce qui concerne lexpertise confre au juge des pouvoirs tendus en ce

    qui concerne la surveillance et le contrle des expertises judiciaires (art. 972 et s. C.

    jud.).

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    11. Relevons quune importante drogation au caractre accusatoire de la

    procdure civile, et qui a donn lieu diverses controverses, tait la possibilit pour

    le tribunal de commerce de prononcer d'office la faillite d'un commerant (article 442ancien du Code de commerce). En effet, au contraire des procdures ordinaires o le

    tribunal doit tre saisi par l'une ou l'autre des parties pour pouvoir statuer, il pouvait ici

    exercer un pouvoir d'office, en l'absence de tout acte de saisine.

    La loi du 8 aot 1997 sur les faillites a abrog cette disposition. La loi sur le concordat

    judiciaire du 17 juillet 1997 avait cependant rintroduit quatre hypothses dans

    lesquelles le tribunal de commerce pouvait prononcer doffice la faillite en cas dchecdu concordat. Dans ces quatre cas, le tribunal pouvait toujours prendre lui-mme

    linitiative de prononcer la faillite sans que personne ne doive la requrir. Le tribunal

    de commerce pouvait ainsi, lorsquil rejetait la demande en concordat, se saisir

    doffice de la question de la faillite alors mme que laction qui avait entran sa

    saisine ne visait pas la faillite mais uniquement le concordat judiciaire22.

    La loi du 31 janvier 2009 relative la continuit des entreprises a supprim la

    possibilit dune faillite doffice. Lorsque la continuit de tout ou partie de lactivit ne

    peut plus tre assure au regard de lobjectif de la procdure, le tribunal peut, sur

    requte du dbiteur ou sur citation du ministre public ou de tout intress dirige

    contre le dbiteur, ordonner la fin anticipe de la procdure (article 41, 1er, alina

    2). Le tribunal peut prononcer par le mme jugement la faillite du dbiteur ou,

    sagissant dune socit, la liquidation judiciaire, lorsque la citation tend galement

    cette fin et que les conditions en sont runies (article 41, 1 er, alina 3). Le

    dbiteur est donc partie au jugement prononant la fin anticipe de la procdure et la

    faillite.

    Dans certaines autres matires particulires, la loi prvoit galement la possibilit

    pour le juge de se saisir doffice dune demande. Ainsi, selon larticle 488bis-B, 1er,

    alina 2, le juge de paix peut, lorsquil est saisi dune demande tendant provoquer

    une mesure de protection relative la personne dun malade mental (L. 26 juin 1990,

    22Voy. sur cette question, Ph. GERARD, J. WINDEYet M. GREGOIRE, Le concordat judiciaire et la faillite,Bruxelles, Larcier, 1997, p. 104, n96.

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    art. 5, 1er), doffice envisager de dsigner un administrateur provisoire charg de

    grer les biens de cette personne.

    SECTION V - PROCEDURE ECRITE ET ORALE

    12. La procdure est, en Belgique, la fois crite (citation, requte, conclusions) et

    orale (audience et plaidoiries).

    Le Code permet de renoncer aux plaidoiries et de recourir de commun accord la

    seule procdure crite (article 755 du Code judiciaire).

    Il faut observer que dans la pratique, en procdure civile, l'crit est de rigueur, sous

    rserve de la procdure en dbats succincts (applicable pour les affaires qui ne

    prsentent aucune complexit) o les conclusions peuvent tre orales (article 735,

    1er

    du Code judiciaire).

    En effet, il arrive trs souvent qu'un certain laps de temps s'coule entre le moment

    o il a t plaid dans une affaire et le moment o le jugement sera rendu. Dans son

    dlibr, c'est donc essentiellement aux pices crites de la procdure et notamment

    aux conclusions ainsi quaux pices produites par les parties que le magistrat aura

    gard.

    SECTION VI - LES DROITS DE LA DEFENSE - LE PRINCIPE DU

    CONTRADICTOIRE

    13. En droit priv, les droits de la dfense englobent le droit la libre contradiction.

    Cela signifie qu'une partie ne peut tre correctement juge sans avoir t entendue

    ou mise en mesure d'tre entendue, et sans avoir connu exactement la demande deson adversaire, ses moyens et ses pices.

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    Le lgislateur a rig en principe fondamental le respect de ces rgles, chaque partie

    devant recevoir ainsi communication de tous les documents invoqus, et devantdisposer du temps ncessaire pour y rpondre (articles 736 et 740 du Code

    judiciaire). Tous mmoires, notes ou pices non communiqus la partie adverse

    sont carts doffice des dbats.

    Dans le mme ordre d'ide, les parties doivent sous la surveillance du juge,

    collaborer dans l'administration de la preuve et apporter au dbat l'ensemble des

    lments utiles pour que la cause soit instruite de manire complte et correcte. Encas de non-collaboration dune partie ladministration de la preuve, le juge peut, la

    demande dune partie ou doffice, ordonner une ou plusieurs des mesures

    dinstructions prvues aux articles 871 et suivants du Code judiciaire.

    Le juge lui-mme est tenu de respecter ces principes. En effet, une partie doit aussi

    pouvoir prsenter ses observations lorsque le juge soulve d'office une rgle de droit

    que les parties navaient pas invoque devant lui (article 774, alina 2 du Code

    judiciaire), ou modifie doffice la qualification juridique des faits23. Dans de telles

    circonstances, le juge est oblig dordonner la rouverture des dbats au sujet de la

    rgle ou de la qualification quil a souleves. Dans le mme sens, les mesures

    d'instruction dcides d'office doivent tre excutes contradictoirement.

    Le cas chant, le magistrat devra rouvrir les dbats s'il envisage d'appliquer une ou

    plusieurs rgles juridiques dont les parties n'ont pas dbattu devant lui.

    23 Si larticle 774, alina 2, du Code judiciaire nnonce la rgle quen matire de rejet de la demandesur la base dune exception non invoque par les parties, le principe du contradictoire imposedtendre cette rgle toute hypothse dans laquelle une rgle de droit est souleve doffice par le

    juge. Voy. J. KIRKPATRICK, Un principe gnral du droit plus fort que la loi : le respect du droit dedfense en cas de dcision judiciaire fonde sur un moyen pris doffice, in Imperat Lex - Liberamicorum Pierre Marchal, Bruxelles, Larcier, 2003, pp. 281 et s.

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    SECTION VII - LE DROIT A UN JUGEMENT DANS UN DELAI RAISONNABLE ET

    LARRIERE JUDICIAIRE

    14. Un des problmes importants de la justice belge demeure celui de l'arrir

    judiciaire, mme si, selon certains, celui-ci semblerait lheure actuelle tre

    essentiellement localis devant les juridictions de larrondissement judiciaire de

    Bruxelles et devant certaines cours dappel .

    Il y a arrir judiciaire au sens strict du terme ds qu'il n'est pas possible d'obtenir

    une dcision dans un dlai raisonnable pour des affaires en tat d'tre juges.

    Il ne faut pas confondre l'arrir judiciaire avec le retard dans la mise en tat des

    causes. Il y a retard dans la mise en tat des causes ds qu'il n'est pas possible de

    contraindre un plaideur ngligent ou dloyal de prendre ses conclusions dans un

    dlai raisonnable. De tels retards sont aujourdhui en principe inconcevables compte

    tenu des rgles prvues dans le Code judiciaire, sauf accord des deux plaideurs pour

    ne pas mettre leur affaire en tat dtre juge.

    L'arrir judiciaire est d principalement des cadres insuffisants, une organisation

    matrielle des cours et tribunaux souvent dsute, une comprhension souvent

    goste de certaines dispositions librales de la loi de 1967 et enfin une application

    stricte de la loi du 15 juin 1935 sur lemploi des langues en matire judiciaire qui

    compromet le recrutement de magistrats Bruxelles.

    On peut citer, titre d'exemple, que la dure moyenne d'un procs civil en premier

    degr est de l'ordre de 12 mois, et que devant certaines cours d'appel le dlai de

    fixation d'une cause en tat d'tre plaide peut atteindre plus de deux ans (plus de

    quatre ans devant la cour d'appel de Bruxelles).

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    Cette situation est en contradiction flagrante avec larticle 6, 1er, de la CEDH qui

    garantit, comme on la vu, le droit ce que la cause soit juge dans un dlai

    raisonnable. Elle a dailleurs rcemment entran la condamnation de lEtat belge24

    .

    15. Depuis plusieurs annes, certaines mesures lgislatives ont t adoptes pour

    tenter de lutter contre l'arrir judiciaire mais elles ne paraissent pas encore porter

    leurs fruits dans les grands arrondissements judiciaires ou ressorts de cours dappel

    comme Bruxelles ou Anvers25.

    La loi du 26 avril 2007, dj cite, constitue la dernire mesure adopte afin de luttercontre larrir judiciaire. Malgr son intitul, cette loi acclre essentiellement le

    processus de mise en tat des causes, en prvoyant la fixation automatique, sauf

    accord contraire exprs de toutes les parties, dun calendrier dchange de

    conclusions et dune date daudience ds le dbut du procs. Elle ne contient aucune

    mesure concrte afin de rduire la priode qui stend entre la fin de la mise en tat

    de la cause et la date daudience.

    SECTION VIII - INTERDICTION DU DENI DE JUSTICE

    16. Il y a dni de justice lorsque le juge refuse de juger, sous quelque prtexte que ce

    soit, mme du silence, de l'obscurit ou de l'insuffisance de la loi (article 5 du Code

    judiciaire).

    Le juge qui commet un dni de justice est celui qui s'abstient de juger et est pour cela

    civilement (dommages et intrts) et disciplinairement punissable. Ne commet pas un

    dni de justice le juge qui rend un jugement inexact ou mauvais ou celui qui rend un

    jugement dincomptence ou dirrecevabilit de la demande. Si le juge ne peut

    24 Voy. Civ. Bruxelles, 6 novembre 2001, R.G.D.C., 2002, p. 15, note H. VUYE et K. STANGHERLIN, LEtat belge responsable de larrir judiciaire... et pourquoi (pas)? ; Bruxelles, 4 juillet 2002,

    J.L.M.B., 2002, p. 1184 ; Cass., 28 septembre 2006, J.L.M.B., 2006, p. 1548, notes J. W ILDEMEERSCHet M. UYTTENDAELE.25 Sur tout ceci, voy. X., Larrir judiciaire nest pas une fatalit, Bruxelles, Bruylant, 2004.

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    dcouvrir dans la loi aucune solution au litige qui lui est soumis, il lui appartient de

    statuer selon la solution qui lui parat la plus quitable, mais il doit ncessairement se

    prononcer.

    On considre que cette obligation est une contre-partie au quasi monopole (on

    excepte l'arbitrage) que possde l'Etat en matire judiciaire.

    Il faut en effet souligner que le rle primordial du juge est de mettre fin un litige, de

    dire le droit l'occasion d'une contestation.

    Cette acception du mot justice ne recouvre pas ncessairement la vertu du mme

    nom, sentiment d'quit que l'on porte au fond de soi-mme.

    Dans le mme ordre d'ide, la chose juge est considre comme tant la vrit,

    mme si cette vrit judiciaire ne concide pas avec la vrit objective.

    On notera encore que la rgle rappele par l'adage de minimis non curat praetor

    ne constitue pas une rgle de droit positif belge. Il y aurait en effet dni de justice si

    le juge refusait de trancher un litige dont il trouverait que les intrts sont trop peu

    importants.

    SECTION IX - LES JUGES NE PEUVENT PRONONCER PAR VOIE DE

    DISPOSITION GENERALE

    17.Larticle 6 du Code judiciaire prvoit que les juges ne peuvent prononcer par voie

    de disposition gnrale et rglementaire sur les causes qui leur sont soumises.

    Cela implique que les juges doivent trancher au cas par cas les litiges qui leur sont

    soumis. Ils ne peuvent prendre des dispositions gnrales et rglementaires et le

    prcdent judiciaire na pas de force contraignante pourlavenir.

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    Ce principe interdit notamment que le juge puisse fonder sa dcision sur la

    jurisprudence, ft-elle celle de la Cour de cassation, sans indiquer les raisons pour

    lesquelles il sy rallie et attribue ainsi cette jurisprudence une porte gnrale etrglementaire26.

    26Cass., 12 avril 1994, Pas., I, 360; Cass., 24 juin 1998, Pas., I, n337.

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    PREMIRE PARTIECONCEPTS GNRAUX

    CHAPITRE I - LACTION EN JUSTICE

    SECTION I - DEFINITION ET MODALITES DEXERCICE

    Sous-Section I - Dfinition et distinction

    18.La notion d'action en justice est controverse, et c'est sans doute la raison pour

    laquelle le lgislateur n'a pas voulu, dans le Code, en noncer la thorie.

    Dans la conception moderne, l'action en justice est le pouvoir lgal de soumettre une

    prtention un juge pour l'obliger l'entendre et dire si cette prtention est bien ou

    mal fonde en droit.

    Pour le dfendeur, l'action est le droit de contester la recevabilit ou le fondement de

    cette prtention.

    19.On a frquemment le sentiment que le droit et l'action se confondent, mais cette

    conception n'est pas exacte dans la mesure o, notamment en droit priv, il existe un

    contentieux objectif (actions non fondes sur un droit subjectif) : procdure

    d'interdiction, pourvoi dans l'intrt de la loi, action possessoire, etc..., tandis qu'il

    existe galement des droits dmunis d'actions (notamment les obligations naturelleslorsqu'elles n'ont pas t converties).

    Il ne faut pas non plus confondre l'action et la demande : cette dernire est l'exercice,

    la mise en oeuvre de la premire, par la partie qui saisit le juge d'une prtention.

    L'action est la facult de saisir la justice; la demande est le fait de la saisir, c'est

    l'action effectivement exerce. La distinction est, nous le verrons, importante

    notamment en ce qui concerne les conditions dexistence et dexercice du droitdaction.

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    Sous-Section II - Un droit susceptible dun usage abusif ou

    fautif

    A. - Principe et critres

    20.L'accs la justice est libre, mais l'abus du droit d'agir, comme celui du droit de

    se dfendre (demande ou dfense tmraire ou vexatoire) ou celui de pratiquer saisie

    conservatoire ou excution, est prohib.

    Dans un important arrt du 31 octobre 2003, la Cour de cassation a confirm quune

    procdure peut revtir un caractre vexatoire non seulement lorsquune partie est

    anime de lintention de nuire une autre mais aussi lorsquelle exerce son droi t

    dagir en justice dune manire qui excde manifestement les limites de lexercice

    normal de ce droit par une personne prudente et diligente27.

    B. - Sanctions

    21. Labus du droit daction en justice est normalement rpar par des dommages et

    intrts au profit de la partie qui a subi un dommage rparable par suite de la faute

    commise par son adversaire. Depuis lentre en vigueur, le 1erjanvier 2008, de la loi

    du 21 avril 2007 sur la rptibilit des frais et honoraires davocat, ce prjudice doit

    tre distinct des frais de dfense qui sont dj indemniss par lindemnit de

    procdure (art. 1022 C. jud.).

    Depuis la loi du 26 avril 2007, larticle 780bisdu Code judiciaire prvoit que la partie

    qui utilise la procdure des fins manifestement dilatoires ou abusives peut tre

    condamne une amende de 15 euros 2500 euros sans prjudice des dommages

    et intrts seraient rclams.

    27 Cass., 31 octobre 2003, J.T., 2004, p. 135, note J.-F. VAN DROOGHENBROECK, Labus procdural,

    une tape dcisive . Voy. g. G. CLOSSET-MARCHAL, Les droits de la dfense et les voies derecours , in Les perversions du droit de la dfense, Bruxelles, Kluwer-Bruylant, 2000, pp. 46 et s.

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    Cette amende qui peut le cas chant tre prononce doffice par le juge est

    recouvre par ladministration des domainesau profit de lEtat.

    SECTION II - RECEVABILITE DE LACTION

    22.La recevabilit d'une action est constitue par l'ensemble des conditions exiges

    pour que la juridiction comptente puisse statuer sur le fond de la cause.

    En ayant l'esprit la distinction opre ci-dessus entre l'action et la demande, on peut

    dire que les principales conditions de recevabilit de l'action sont l'intrt et la qualit

    comme lnoncel'article 17 du Code judiciaire qui dispose que l'action ne peut tre

    admise si le demandeur n'a pas qualit et intrt pour la former.

    Dautres obstacles lgaux peuvent galement entraner lextinction ou la suppression du droit dagir, on

    pense spcialement lautorit de chose juge ainsi quaux dlais de prescription, prfix ou de

    forclusion. On les examinera ultrieurement avec ltude des moyens de dfense que peut opposer le

    dfendeur lencontre de laction forme contre lui par le demandeur.

    Sous-Section I - Lintrt

    A. - Dfinition et moment auquel lintrt sapprcie

    23. L'intrt est le rsultat, l'avantage, matriel ou moral, effectif et non thorique,

    que recherche le demandeur en soumettant au juge la prtention dont il souhaite

    entendre reconnatre le bien-fond.

    Lintrt agir sapprcie au jour au moment o la demande est introduite28.

    Toutefois, si une partie perd son intrt agir en cours dinstance, la demande

    devient dpourvue dobjet.

    28 Cass., 24 avril 2003, Pas., I, 854.

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    B. - L'intrt doit prsenter certaines caractristiques

    24. L'avantage recherch doit tre effectif et non thorique. Le droit que le juge dit etapplique doit avoir une incidence concrte sur la situation des parties. En d'autres

    termes, l'action qui tend seulement obtenir une sorte de consultation juridique est

    irrecevable29. Mais l'intrt ne cesse pas d'tre effectif par le fait qu'il est moral et n'a

    pas d'incidence sur le patrimoine : qu'il s'agisse de dfendre sa rputation ou de faire

    trancher une contestation ayant trait au statut personnel, l'action est recevable.

    Sauf abus de droit, le caractre infime de l'intrt allgu n'entrane pas

    l'irrecevabilit de l'action, et c'est tort que l'on se rfrerait la maxime de minimis

    non curat praetor.

    25. L'intrt doit tre licite30, c'est--dire conforme l'ordre public et aux bonnes

    moeurs. Celui qui poursuit le maintien dune situation contraire lordre public na

    partant pas un intrt licite31. Par contre, le simple fait que lobjet de la demande

    puissepar ailleurssusciter des questions dordre fiscal ou urbanistique ne conduit

    pas lirrecevabilit de laction ds lors que celle-ci ne vise pas uniquement le

    maitien dune situation contraire lordre public32.

    26.Il doit tre direct et personnel33, ou encore propre au demandeur, cest--dire

    que le rsultat de laction doit profiter au demandeur lui-mme et plus

    particulirement son patrimoine, son honneur ou sa rputation34. En dautres

    termes, larticle 17 du Code judiciaire prohibe laction exerce uniquement dans

    lintrt dautrui et qui ne profite en aucune faon au demandeur.

    29Pour des exemples, voy. E. GUTTet J. LINSMEAU, Examen , R.C.J.B., 1981, p. 423, n 7.30 Cass., 7 octobre 2003, Pas., I, 1562.31 Ibidem. A propos dune hypothse dans laquelle le demandeur sollicitait de pouvoir conserver unevilla construite en violation de la lgislation en matire durbanisme.32 Voy. par ex. Cass., 2 mars 2006, C.05.0061.N, www.cass.be, propos dune action en paiement deprestations effectues dans le contrat dun contrat dentreprise sans quune facture ait t mise par ledemandeur ou encore Cass., 2 avril 1998, Pas., I, 431 propos du paiement dune indemnit

    dassurance pour lincendie dune caravane construite sans permis de btir.33 Cass., 4 avril 2005, Pas., I, 757.34 Cass., 19 septembre 1996, Pas., I, 830.

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    Cette exigence suscite spcialement des difficults et des contestations sagissant

    des personnes morales qui seront examines ci-aprs.

    27.L'article 18 du Code judiciaire dispose encore que l'intrt doit tre n et actuel au

    moment de lintroduction de laction. Cela signifie qu'un intrt purement ventuel ne

    suffit pas pour qu'une action soit recevable. Toutefois, il nest pas requis quau

    moment de lintroduction de laction, le demandeur ait dj subi un dommage ou ait

    pay une indemnit un tiers35.

    L'alina 2 de larticle 18prvoit cependant que l'action peut tre admise lorsqu'ellea t intente, mme titre dclaratoire, en vue de prvenir la violation d'un droit

    gravement menac.

    Le texte est trs prudent puisque, si le Code autorise le recours la justice titre

    prventif (ou ad futurum ) ou simplement dclaratoire, c'est la condition que le

    pril soit certain. Il faut plus particulirement que deux conditions soient runies:

    a) Le demandeur doit tablir l'existence d'une menace grave et srieuse au point de

    crer un trouble prcis36; il faut en dautres termes que le droit ou lexercice du droit

    apparaisse srieusement contest ou menac, quil y ait une prtention immdiate et

    actuelle faisant prsager ou annonant dune manire suffisamment probable et

    srieuse la mise en pril dun droit ou la ralisation dun dommage37 ;

    35 Cass., 29 fvrier 1996, Pas., I, 224. En lespce, le demandeur qui avait fait transporter par ledfendeur des marchandises pour le compte dun client demandait des dommages et intrts audfendeur pour linexcution fautive de la convention les liant. Les juges dappel avaient dclarlaction irrecevable au motif que le demandeur pourtant tenu vis--vis de ses propres clients nedmontrait pas avoir subi effectivement un dommage ou effectivement pay une indemnit.36

    Ainsi, ne justifie pas dun intrt n et actuel obtenir une mesure, le demandeur qui fait tat dunprjudice ventuel susceptible de provenir dune dcision administrative future dont la teneur esttotalement inconnue au moment o le juge statue (Bruxelles, 1erfvrier 2007, J.L.M.B., 2007, p. 881).De mme, nest pas recevable laction purement dclaratoire quun commerant introduit afin de

    demander au juge de dire pour droit que la publicit quil entend raliser est lgale (Bruxelles, 13octobre 1995, J.T., 1996, p. 27).37 Lige, 15 juillet 2004, J.T., 2004, p. 892.

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    b) La dcision prventive ou dclaratoire doit avoir une utilit concrte, clarifier la

    situation, mettre un terme la menace qui a justifi l'action, faire reconnatre

    l'existence ou l'inexistence d'un droit.

    Les cas classiques d'actions prventives sont ceux o le juge des rfrs

    ordonne une enqute ad futurum s'il est constant que tout retard apport

    l'audition du tmoin doit faire craindre que le tmoignage ne puisse plus tre recueilli

    ultrieurement (article 584, alina 4 du Code judiciaire), la demande de vrification

    d'criture et le faux civil qui peuvent tre introduits titre principal (articles 883 et 895

    du Code judiciaire), enfin, l'hypothse o le juge est saisi d'une demande principaleayant pour seul objet la dsignation d'un expert charg de procder des

    constatations ou de donner un avis d'ordre technique (article 962 du Code

    judiciaire)38.

    Mais les actions prventives sont galement admises en matire de prvention des

    dommages lis notamment latteinte la vie prive. Ainsi, le demandeur peut-il faire

    interdire prventivement la diffusion dune mission de tlvision qui serait de

    nature porter atteinte, sans ncessit, l'honneur, la rputation et la vie prive

    de la personne vise par la communication au public d'informations inexactes, non

    vrifies ou manquant d'objectivit 39.

    En matire de pratiques du commerce, on admet galement laction en cessation

    prventive en vue de faire cesser une pratique qui na pas encore eu lieu mais dont le

    caractre imminent est certain.

    A ct des actions prventives, on peut galement distinguer les actions

    dclaratoires, cest--dire celles par lesquelles le demandeur sollicite une dclaration

    38Est prmature la demande adresse au juge des rfrs de commettre un expert charg d'valuerles incidences de travaux lorsqu'elle intervient un moment o le dprissement des preuves n'estpas craindre et o la procdure relative ce permis est toujours en cours en sorte que pourrait

    intervenir une dcision de refus ou d'octroi sous des conditions garantissant le respect des droits desriverains (Lige, 15 juillet 2004, J.T., 2004, p. 892).39Cass., 2 juin 2006, J.L.M.B., 2006, p. 1403 ; Civ. Lige (rf.) 14 avril 2004, J.L.M.B., 2004, p. 788.

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    ngative ou positive de la part du juge qui est destine clarifier la situation et viter

    ainsi la ralisation dun prjudice ou dinconvnients imminents.

    En matire dexcution, la jurisprudence admet ainsi que le crancier dont lactualit

    ou lefficacit du titre excutoire est conteste puisse agir titre dclaratoire devant le

    juge des saisies avant que toute procdure d'excution force n'ait t initie ou

    encore pour faire liquider une astreinte dont la dbition ferait lobjet de

    contestations40.

    Par contre, la jurisprudence refuse quune demande de dclaration de conformitdune pratique une lgislation dtermine soit soumise titre prventif au juge des

    cessations41.

    C. - L'intrt des personnes morales

    28.Les personnes morales sont celles qui sont revtues de la personnalit juridique

    (A.S.B.L., S.A., S.P.R.L., ...).

    Les personnes morales de droit public et de droit priv sont mises sur le mme pied

    que les personnes physiques, et peuvent agir en justice, quand elles y ont un intrt

    personnel et direct.

    La jurisprudence a eu connatre diverses reprises de la possibilit pour une

    association dment constitue d'obtenir rparation du prjudice caus l'ensemblede ses membres ou son but associatif.

    On songe, par exemple, divers procs o des organismes, comme la Ligue des

    droits de l'homme, ont voulu se constituer agir en justice afin de dfendre leur objet

    40Arr. Lige, 22 avril 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1485.41Prs. Comm. Bruxelles, 9 dcembre 2004, R.A.B.G., 2005, p. 966, et la note I. BUELENSqui propose

    de reconnatre la possibilit dune action dclaratoire ngative lorsquil existe une menace srieuse decontestation de la pratique concerne; Bruxelles, 13 octobre 1995, J.T., 1996, p. 27 ; Ann. Prat.Comm.& Conc., 1996, p. 96, note A. PUTTEMANS.

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    28

    social quil sagisse de critiquer la lgalit dun acte ou obtenir la rparation dun

    dommage caus par la commission dun acte contraire leur objet social.

    Dans l'tat actuel de la lgislation, pareille action n'est pas recevable, l'intrt gnral

    n'tant pas l'intrt exig par l'article 17 du Code judiciaire. La jurisprudence de la

    Cour de cassation, trs controverse, est constante sur ce point. Selon la Cour de

    cassation, l'intrt personnel d'une personne morale, dont celle-ci doit justifier pour

    exercer une action en justice, ne comprend que ce qui concerne l'existence de cette

    personne, ses biens patrimoniaux et ses droits moraux, spcialement son honneur et

    sa rputation

    42

    . La jurisprudence de la Cour de cassation statue ainsi l'inverse decelles du Conseil d'Etat et de la Cour constitutionnelle, qui admettent depuis de

    nombreuses annes la recevabilit des recours en annulation introduits par des

    associations se prvalant pour agir d'une atteinte porte par l'acte incrimin aux

    intrts collectifs dont elles assument statutairement la dfense.

    29. On constate nanmoins une volution lgale et jurisprudentielle lente mais

    favorable ce type d'action43.

    Ainsi, des dispositions lgislatives permettent des groupements constitus d'agir en

    justice pour veiller la dfense d'intrts collectifs (par ex. loi du 14 juillet 1991 sur

    les pratiques du commerce : l'action en cessation est ouverte aux associations

    jouissant de la personnalit juridique ayant pour objet la dfense des intrts des

    consommateurs; loi du 30 juillet 1981 tendant rprimer certains actes inspirs par

    le racisme et la xnophobie : elle donne le droit d'ester en justice tout tablissement

    d'utilit publique ou toute association jouissant de la personnalit juridique depuis

    au moins cinq ans la date des faits lorsqu'un prjudice est port aux fins statutaires

    qu'ils se sont donns pour mission de poursuivre; loi du 12 janvier 1993 crant un

    droit daction en matire denvironnement qui confre le droit dagir aux associations

    sans but lucratif et aux tablissements dutilit publique, dote de la pe rsonnalit

    42 Cass., 19 novembre 1982, Pas., 1983, I, 338.43 Pour un expos de synthse, voy. G. CLOSSET-MARCHAL, Vers une reconnaissance

    jurisprudentielle de laction dintrt collectif, J.T., 1999, pp. 441 et s. et Laction dintrt collectifau regard de la jurisprudence de la Cour de cassation , in Les actions collectives devant lesdiffrentes juridictions, CUP, volume 47, mai 2001, pp. 7 et s.

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    juridique depuis trois au moins, dont lactivit relle concerne lintrt collectif de

    lenvironnement quils visent protger; ...).

    Dautre part, certaines dcisions se fondant sur des dispositions de conventions

    internationales liant la Belgique (spcialement, la Convention europenne des droits

    de lhomme) ont cart larticle 17 du Code judiciaire en permettant des

    associations dagir en justice pour la dfense de leur objet statutaire44.

    D. - L'intrt des associations de fait

    30.Les associations de fait sont des groupements d'individus unis par un ou

    plusieurs buts communs mais qui n'empruntent pas l'une des formes prvues par la

    loi pour jouir de la personnalit juridique.

    Par exemple, un comit de quartier peut vouloir bnficier de la personnalit

    juridique (notamment, justement, pour pouvoir ester en justice) et se constituera alors

    en A.S.B.L.

    Ce mme comit peut n'en rien faire (car, l'inverse, on ne pourra ester contre lui : il

    faudra attraire la cause tous ses membres individuellement).

    Lorsqu'une association de fait, dpourvue de la personnalit juridique, veut intenter

    une action en justice, l'action doit tre intente la requte de tous ses membres,

    mais ceux-ci ont le loisir de se faire reprsenter par un mandataire. La rgle nul neplaide par procureur (exprime par l'article 702 du Code judiciaire lorsqu'il impose,

    peine de nullit, d'indiquer dans l'acte introductif d'instance les nom, prnom et

    domicile du demandeur ) signifie simplement que les parties sont obliges d'indiquer

    dans les actes de procdure qui les concernent leur identit ct de celle du

    mandataire et, le cas chant, d'tablir le mandat. Ce qui signifie que le mandataire

    44 Voy. par exemple, Mons, 15 dcembre 1997, J.L.M.B., 1998, p. 685; Civ. Tournai, (rf.), 16dcembre 1998, J.T., 1999, p. 451.

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    ad litem doit fournir le nom de son mandant et le cas chant de tous ses

    mandants.

    Le droit positif connat toutefois des exceptions la rgle gnrale : les ordres

    professionnels organiss par la loi peuvent ester en justice pour la dfense de la

    profession, et les organisations reprsentatives de travailleurs, quoique ne disposant

    pas de la personnalit juridique, ont galement accs aux tribunaux dans certaines

    matires relevant du droit collectif du travail (par exemple en matire dlections

    sociales).

    Sous-Section II - La qualit

    A. - Notion

    31.La qualit est traditionnellement dfinie comme le titre juridique en vertu duquel

    une personne est investie du pouvoir de soumettre son litige une juridiction.

    L'exigence de la qualit dans le chef du demandeur emporte un corollaire dans lechef du dfendeur, l'action doit tre forme contre celui qui a qualit pour y rpondre.

    B. - La qualit, titre en vertu duquel une personne dispose du droit dagir en

    justice

    32.La qualit, titre juridique en vertu duquel une personne est investie du pouvoir de

    soumettre son litige une juridiction, se confond frquemment avec l'intrtpersonnel et direct agir lorsque l'action tend la reconnaissance d'un droit subjectif

    et qu'elle est exerce par le titulaire de ce droit qui, de ce fait, a qualit pour agir.

    La partie au procs qui prtend tre titulaire du droit subjectif a lintrt et la qualit

    pour introduire une action en justice, mme si ce droit est contest. Lexamen ou la

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    porte du droit subjectif invoqu par le demandeur relve non pas de la recevabilit

    mais du bien-fond de la demande45.

    Cependant, la qualit revt une dimension particulire dans les actions dites attitres,

    cest--dire celles pour lesquelles lintrt agir ne suffit pas, seules certaines

    personnes tant habilites agir. Cest ainsi par exemple que seuls les poux

    peuvent agir en divorce, que seules certaines personnes disposent de laction en

    dsaveu de paternit (article 318 du Code civil), que les grand-parents ne peuvent

    agir en vue de se voir accorder le droit lhbergement, celui-ci tant un attribut de

    lautorit parentale

    46

    ou encore que seules les personnes protges par une rgleimprative peuvent agir en nullit relative dun acte accompli en mconnaissance de

    celle-ci.

    Cest la raison pour laquelle on a plus rcemment dfini la qualit comme le titre

    juridique en vertu duquel une personne agit en justice cest--dire le lien de droit

    existant entre elle - sujet actif ou passif de laction - et lobjet de la demande, le droit

    subjectif quelle allgueou conteste.

    C. - La qualit, pouvoir en vertu duquel une personne forme une demande en

    justice

    33. Ds lors que lon admet que le droit dagir en justice est distinct du droit

    substantiel en litige, il faut admettre la possibilit dune non-concidence entre les

    titulaires de lun et de lautre.

    Tel est notamment le cas lorsque l'action est exerce par un reprsentant, que celui-

    ci soit impos par la loi (le tuteur d'un mineur) ou dsign par la justice (le curateur

    d'une faillite) ou encore qu'il s'agisse d'un mandataire librement dsign par le

    titulaire du droit47.

    45 Voy. not. Cass., 26 fvrier 2004, Pas., I, 335; Cass., 2 avril 2004, Pas., I, 573; Cass., 11 fvrier

    2005, Pas., I, 350.46 Voy. not. Mons, 10 janvier 1991, J.L.M.B., 1992, p. 249, obs.47 Lorsque l'action est exerce par un mandataire, ce dernier ne peut se prsenter comme agissant en

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    L'action est galement parfois exerce par le crancier, autoris par la loi agir en

    lieu et place de son dbiteur, dans les conditions de l'article 1166 du Code civil.

    Dans ces cas, le reprsentant ou celui qui agit au nom et pour le compte dautrui doit

    justifier de sa qualit, cest--dire de lexistence et de ltendue de son pouvoir dagir

    pour le compte dautrui. On aperoit immdiatement que la qualit revt ici un

    contenu diffrent. Elle nest plus une condition dexistence du droit daction (qui existe

    dans le chef de la personne au nom de laquelle on agit) mais une condition de la

    mise en oeuvre de ce droit par lintroduction dune demande en justice. En dautrestermes, la qualit est la comptence ou le pouvoir de former une demande en justice.

    Elle nest plus une condition de laction mais une condition de recevabilit de la

    demande en justice.

    Sous-Section III - La capacit

    34.La question de savoir si la capacit est une condition de recevabilit de l'actionest discute en doctrine et en jurisprudence.

    Il chet de prciser que la capacit est la norme, et dans les cas d'incapacit, un

    systme de reprsentation est gnralement organis48.

    35.Suivant certains auteurs et tribunaux, la condition de capacit serait exige de la

    manire la plus absolue pour agir en justice. La sanction dcoulant du dfaut decapacit - ainsi que les conditions dans lesquelles elle peut tre prononce - sont

    cependant plus discutes. Lincapable qui agit en justice se voit-il en effet opposer

    son nom personnel, mais est au contraire tenu de rvler l'identit de son mandant. Il sagit delapplication de ladage Nul ne plaide par procureur lgalement consacr par larticle 702, 1, duCode judiciaire qui exige, peine de nullit, que lexploit de citation indique les nom, prnom etdomicile du demandeur. On prcise cet gard que lorsque le titulaire du droit est une personnemorale, la dcision d'agir relve de son organe comptent qui, la diffrence des mandatairesclassiques, incarne vritablement la personne morale.48

    Cest ainsi notamment que larticle 567 du Code judiciaire dispose que le tribunal saisi dunedemande peut nommer un tuteur ou un administrateur lgal ad hoc pour remplacer dans linstancele tuteur ou ladministrateur lgal absent ou empch.

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    une fin de non-recevoir ou une exception dilatoire jusqu ce que ses reprsentants

    lgaux interviennent linstance ? Lincapable peut-il par ailleurs agir en justice seul

    dans les cas dabsolue ncessit, en rfr, titre conservatoire ou lorsquil est en

    conflit avec ses reprsentants lgaux? Ces questions sont loin dtre rsolues.

    36.Aussi, suivant une autre partie de la doctrine, la capacit n'est pas considre

    comme une condition distincte de recevabilit de l'action.

    La capacit ne constitue en effet pas une condition dexistence du droit daction mais

    uniquement une condition de mise en oeuvre de ce droit, par son exercice concret,cest--dire lintroduction dune demande en justice49. Or, si la capacit sidentifie

    laptitude ou au pouvoir dagir, elle recoupe en tous points la condition de qualit

    conue comme le pouvoir de former une demande en justice et perd tout contenu

    propre.

    49

    La Cour de cassation a ainsi dcid que lintroduction dune demande en justice requiert, en tantquacte juridique valable, la volont dobtenir des effets juridiques (Cass., 5 fvrier 1998, Pas., I,180).

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    CHAPITRE II - LA DEMANDE

    SECTION III - DEFINITION DE LA DEMANDE EN JUSTICE

    37. La demande en justice est l'action exerce, soumise la justice par l'un des

    modes d'introduction de l'instance ou par des conclusions. Laction en justice

    constitue un droit subjectif qui est mis en oeuvre, actualis, par la demande en

    justice, acte de procdure qui saisit effectivement le juge et formule la prtention

    juridique dont ce dernier a connatre. Laction en justice est la facult de saisir la

    justice, la demande est le fait de la saisir.

    Bien que les notions soient frquemment confondues dans la pratique, il convient ds

    lors de clairement distinguer, pour la suite de lexpos, laction de la demande en

    justice.

    SECTION IV - LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DE LA DEMANDE EN JUSTICE

    38.La demande en justice suppose un ou des sujet(s) actifs et un ou des sujet(s)

    passif(s) : les parties, par opposition aux tiers, qui peuvent, le cas chant, devenir

    parties au procs, dans les cas d'intervention volontaire ou force50. La demande

    prsente galement comme caractristiques de possder un objet et une cause.

    Relevons enfin que la demande doit en outre tre porte devant le juge comptentpour en connatre.

    50 A ct des catgories des parties et des tiers , il existe une troisime catgorie, qui est

    celle des personnes convoques ou entendues . Le rgime qui est applicable cette catgorieintermdiaire, fait lobjet de nombreuses hsitations. Voy. H. BOULARBAH, Requte unilatrale etinversion du contentieux, Larcier, Bruxelles, 2010, pp. 74 115.

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    Sous-Section I - L'objet de la demande

    39.L'objet de la demande est la prtention de celui qui l'introduit, ce quil rclame, cequ'il souhaite voir dcider et consacrer par le juge, par exemple, le paiement d'une

    somme d'argent, la rsolution d'un contrat, le divorce, etc.... Cest en quelque sorte la

    matrialisation, la concrtisation ou encore le prolongement de lintrt agir. Il sagit

    de l'avantage moral, social ou conomique qui est concrtement recherch et postul

    par le demandeur.

    40.Le juge doit qualifier juridiquement cet objet si les parties ne l'ont pas fait ou le

    requalifier si elles ont propos une qualification inexacte en recherchant la volont

    relle de la partie demanderesse. Ce que recherche cette partie, cest en effet un

    rsultat concret et non une qualification juridique.

    La Cour de cassation a expressment consacr cette solution dans un arrt du 23

    octobre 2006 en matire de paiement de rmunration51. Oprant un revirement par

    rapport sa jurisprudence antrieure52, la Cour a considr que lorsquun travailleur

    introduit une action contractuelle en paiement de rmunrations impayes, le juge

    peut requalifier cette demande en action extracontractuelle en paiement de

    dommages-intrts pour dlit de non-paiement de rmunrations, et ce afin de faire

    bnficier le demandeur de la prescription de 5 ans de larticle 26 du titre prliminaire

    du code de procdure pnale, plutt que dappliquer la prescription dun ande larticle

    15 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail.

    Toutefois, sauf lorsquil y est autoris expressment par un texte lgal 53, il est interdit

    au juge de statuer infra ouultra petita(article 1138, 2 et 3, du Code judiciaire). Il ne

    peut modifier l'objet de la demande soit en l'amplifiant, soit en substituant une

    51J.L.M.B., 2007, p. 698.

    52Cass., 13 juin 1994, J.T.T., 1994, p. 406 ; Cass., 19 juin 2000,Arr. Cass., 2000, p. 1145.53

    On songe notamment larticle 780bisdu Code judiciaire (amende civile pour abus de procdure)ou la libert dans la fixation du montant de lastreinte ds lors que le principe de celle -ci a tdemand par une des parties.

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    prtention une autre, soit encore en rduisant lobjet de la demande qui nest pas

    contest par le dfendeur54.

    Ainsi violerait-il le principe dispositif en octroyant un avantage non sollicit par l'une

    des parties (et ce quand bien mme la matire serait dordre public). De mme, une

    partie ne peut tre condamne au profit d'une autre qui n'a rien demand contre elle.

    Cest sur cette base quun arrt de la Cour de cassation du 8 fvrier 2001 a considr

    quun juge ne pouvait pas requalifier une demande dannulation dun contrat en

    demande de rsolution de ce contrat

    55

    . Certains auteurs considrent que la Cour decassation devrait prochainement abandonner cette jurisprudence, la suite de larrt

    prcit du 23 octobre 2006.

    41. L'objet doit tre possible. A dfaut d'objet, ou si celui-ci cesse d'exister, la

    demande est irrecevable dfaut d'intrt.

    L'objet de la demande ne peut bien entendu tre contraire l'ordre public ou aux

    bonnes moeurs, conformment l'article 6 du Code civil.

    42.Lobjet de la demande peut tendre des mesures provisoires, cest--dire des

    mesures pralables destines soit instruire la demande, soit rgler provisoirement

    la situation des parties (article 19, alina 2, du Code judiciaire). Le juge peut donc

    prendre, sans lier le juge du fond, les mesures ncessaires pour diminuer les

    inconvnients qui rsulteraient de la longueur de la procdure. La comptence en

    matire provisoire est attribue aux prsidents des tribunaux sigeant en rfr ou

    sur requte unilatrale (articles 584 et 1280 du Code judiciaire) ou au juge du fond

    lui-mme, en vertu de l'article 19, alina 2, du Code judiciaire.

    43.La demande peut galement comporter un objet subsidiaire, soit celui qui n'est

    postul qu' titre de position de repli, pour le cas o lobjet de la demande prsent

    titre principal serait rejet. Ainsi, le demandeur peut solliciter titre principal la

    54Cass., 31 mars 2006, C.04.0257.F.,www.cass.be;Cass., 28 avril 1992, Pas., I, 761.55Cass., 8 fvrier 2001, R.G.D.C., 2002, p. 446.

    http://www.cass.be/http://www.cass.be/http://www.cass.be/http://www.cass.be/
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    rsolution d'un contrat et titre subsidiaire des dommages intrts pour mauvaise

    excution de celui-ci.

    Dans un arrt du 8 janvier 2004, la Cour de cassation a prcis que le demandeur

    qui, en application dune disposition prvoyant cette procdure, a rgulirement

    introduit sa cause par la voie dune requte contradictoire peut introduire une

    demande subsidiaire par la mme voie, mme si, introduite titre principal, cette

    dernire demande devait ltre par voie de citation56.

    Sous-Section II - La cause de la demande

    A. - Introduction

    44. La notion de cause de la demande a pendant longtemps t l'une des plus

    controverses du droit judiciaire. Elle a oppos la doctrine, pratiquement unanime, et

    la jurisprudence de la Cour de cassation soutenue par certains auteurs. Si lon

    saccordait sur le fait que la cause constitue le fondement de la demande, la naturede ce fondement (factuel, juridique, ...) restait prement discute.

    45.Suivant une certaine interprtation de la jurisprudence de la Cour de cassation,

    celle-ci aurait traditionnellement dfini la cause de la demande en justice comme

    tant son fondement juridique ou son titre juridique57. Ds lors, le juge saisi d'une

    action ne pourrait modifier d'office les dispositions lgales invoques lappui de la

    demande mme si les dispositions lgales quil souhaiterait leur substituer sont

    d'ordre public. Trs concrtement, le juge saisi dune demande dindemnisation

    fonde sur larticle 1382 du Code civil ne pourrait faire droit cette demande sur la

    base dune autre disposition comme larticle 1384, alina 3, du mme Code.

    56 Cass., 8 janvier 2004, R.A.B.G., 2004, p. 621, note B. MAES; R.W., 2004-05, p. 64, note J.

    LAENENS; J.J.P., 2004, p. 388, note S. MOSSELMANS.57 Cass., 4 mars 1972, Pas., I, 806, concl. du Procureur gnral W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH;Cass., 20 mars 1980, Pas., I, 887, concl. de l'avocat gnral E. KRINGS.

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    46. La doctrine estime par contre que la cause de la demande est constitue de

    l'ensemble des faits allgus pour obtenir que le juge, appliquant la norme juridique

    adquate, prononce la condamnation sollicite aprs avoir dclar la demanderecevable et fonde. Dans cette conception, la cause de la demande est le complexe

    de faits gnrateurs de droit invoqus par le demandeur l'appui de sa prtention. Le

    choix et l'application de la norme juridique relvent de l'office du juge, le rle des

    parties tant d'allguer et de prouver les faits qui tablissent l'existence du droit

    revendiqu travers la prtention. Dans le cadre de cette ventuelle requalification

    des faits, le juge doit bien entendu respecter le principe de la contradiction des dbats

    en invitant les parties sexprimer sur la requalification envisage.

    Cette thse est notamment fonde sur la considration, consacre par la Cour de

    cassation, que la partie qui s'adresse au juge n'est tenue ni de qualifier en droit les

    faits qu'elle allgue ni d'indiquer les normes juridiques que le juge doit appliquer pour

    dire la demande recevable et fonde58.

    B. - Solution de la controverse

    47. Dans des arrts rcents, la Cour de cassation a dfinitivement abandonn la

    conception de la cause comme tant le fondement juridique de la demande et a

    considr que celle-ci est compos de lensemble des faits et actes, mme non

    juridiquement qualifis, invoqus par le demandeur lappui de ses prtentions.

    Ainsi, dans un arrt du 14 avril 2005

    59

    , la Cour a considr que le juge est tenu detrancher le litige conformment la rgle de droit qui lui est applicable. Il a

    lobligation, en respectant les droits de la dfense, de relever doffice les moyens de

    droit dont lapplication est commande par les faits spcialement invoqus par les

    parties au soutien de leurs prtentions. Le juge qui, sans rechercher si, sur la base

    des faits spcialement invoqus lappui de la demande, la responsabilit

    contractuelle du dfendeur nest pas engage, dcide de ne pouvoir examiner la

    58

    Cass., 24 novembre 1978, Pas., 1979, I, 372.59 Cass., 14 avril 2005, J.T., 2005, p. 659, note J. VAN COMPERNOLLE, La cause de la demande : uneclarification dcisive .

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    demande sur cette base au seul motif que seule la responsabilit quasi dlictuelle de

    la partie dfenderesse est invoque par la partie demanderesse, ne justifie pas

    lgalement sa dcision.

    Sous-Section III - Les parties ou sujets de la demande

    48.La demande comporte en principe un ou plusieurs sujet(s) actif(s), le(s)

    demandeur(s) et un ou plusieurs sujet(s) passif(s), le(s) dfendeur(s), qui constituent

    les parties linstance.

    Lon peut ainsi opposer les parties aux tiers la p rocdure, qui ne sont pas parties

    la cause. La notion de tiers la procdure est importante plusieurs gards,

    notamment pour dterminer ltendue de lautorit de la chose juge, quelles

    personnes peuvent tre appeles ou agir en intervention ou encore qui sont les

    titulaires de la tierce opposition, voie de recours rserve aux tiers.

    Classiquement, on considre que sont seules parties la cause, la partiedemanderesse, la partie dfenderesse60 ainsi que les parties intervenantes,

    volontaires ou forces6162. Le tiers est celui qui na pas t prsent au procs ou qui

    60 Mme si elle ne dispose pas de la personnalit juridique ds lors quelle est condamne par lepremier juge, Cass., 13 septembre 1991, Pas., 1992, I, 33.61 Voy. Cass., 18 mai 1998, Pas., I, 617 ( propos des parties en degr dappel) et en doctrine, K.BROECKX, Gehoord worden is nog niet meteen partij worden , note sous Civ. Bruges, 27 juin 1997,J.J.P., 1999, p. 397-399 ; E. KRINGS, conclusions prcdant Cass., 23 mars 1990, Arr. Cass., 1989-1990, n 442.62

    Comp. en droit franais, F. BUSSY, La notion de partie linstance en procdure civile, D., 2003,pp. 1376-1379 ; Ph. THRY, R.T.D.civ., 2003, pp. 627-630 ; C. LEFORT, Le tiers dans le nouveauCode de procdure civile , in Liber amicorum en lhonneur de Raymond Martin, Bruxelles-Paris,Bruylant-LGDJ, 2004, pp. 153 et s. Le droit franais comprend notamment une importante distinctionentre les intervenants principaux (art. 329 NCPC) et les intervenants accessoires (art. 330 NCPC) auxtermes de laquelle seuls les premiers sont de vraies parties la cause bnficiant de tous les attributsattachs cette qualit, notamment en ce qui concerne les voies de recours (voy. F. BUSSY, op. cit., p.1377, n10-11 et p. 1378, n21 ; Ph. THRY, R.T.D.Civ., 2003, p. 629 ; C. LEFORT, op. cit., pp. 172 et s.,ns 25-32). Le droit belge ne fait pas de diffrence, sur le plan de lattribution de la qualit de partie, ence qui concerne lintervention agressive ( celle qui tend au prononc dune condamnation) etlintervention simplement conservatoire ( celle qui tend la sauvegarde des intrts delintervenant ou de lune des parties en cause) [art. 15, alina 2, C. jud.]. Cette distinction prsentetoutefois un intrt en ce qui concerne la recevabilit de la demande et son autonomie ou sa

    dpendance par rapport la demande principale (voy. G. CLOSSET-MARCHAL, Demande principale etdemande incidente : dpendance ou autonomie? , in Le procs au pluriel, Bruxelles, Kluwer-Bruylant,1997, pp. 36 et s., ns 16-29, spc. n24 et 26).

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    ny a pas t reprsent, par mandataire ou autrement63. Le tiers doit tre demeur

    compltement tranger la cause, cest--dire quil ne peut avoir t partie au litige

    quelque titre que ce soit ft-ce comme intervenant volontaire ou forc64

    .

    49. On prcise encore que lorsque la demande est introduite, dans les cas

    expressment autoriss par la loi, par requte unilatrale, la procdure ne comprend

    quune seule partie, le demandeur65. Mme si la demande est dirige contre une

    personne dtermine, celle-ci, qui nest pas appele comparatre, demeure un tiers

    la procdure et dispose par consquent pour attaquer la dcision rendue de la voie

    de recours extraordinaire que constitue la tierce opposition.

    SECTION V - LES DIFFERENTES CATEGORIES DE DEMANDES EN JUSTICE

    Sous-Section I - Distinctions

    50.Les articles 12 16 du Code judiciaire rgissent la classification des demandes

    en justice.

    On classe d'une part, la demande principale ou introductive d'instance, celle qui ouvre

    le procs (article 12, alina 2, du Code judiciaire), cest--dire la demande initiale qui

    saisit le juge et, d'autre part, les demandes incidentes qui sont toutes les demandes

    formes en cours de procdure (article 13 du Code judiciaire). Ces dernires ont pour

    objet soit de modifier la demande originaire ou dintroduire de nouvelles demandes

    entre parties, soit de faire entrer dans la cause des personnes qui ny ont pas t

    appeles.

    63 G. VAN DER MEERSCH, conclusions avant Cass., 24 janvier 1974, Pas.,I, 547.64 Cass., 24 janvier 1974, Pas., I, 544, concl. G. VAN DER MEERSCH. Voy. aussi Cass., 20 janvier1977, Pas., I, 545; Cass., 1er mars 1993, Pas., I, 228; Lige, 5 janvier 1990, Pas., 1990, II, 138;Anvers, 18 janvier 1990, Pas., 1990, II, 144; Civ. Huy, 24 mars 1994, J. dr. jeun., 1994, n 136, p. 45.65

    Dans le cadre dune procdure sur requte unilatrale, sont seules considrer comme partiescelles qui ont introduit la requte et celles qui ont form intervention volontaire (Bruxelles, 10 fvrier1997, J.L.M.B., 1997, p. 300).

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    L'introduction de demandes incidentes peut entraner des drogations aux rgles

    applicables en matire de comptence et de ressort (articles 563, 564, 618, 620 et

    621 du Code judiciaire).

    Sur le plan de la procdure, la demande introductive d'instance requiert en principe

    un exploit d'huissier (article 700 du Code judiciaire). La demande incidente peut tre

    introduite par conclusions (articles 809, 1, et 813 du Code judiciaire) chaque fois

    qu'elle est forme entre parties dj prsentes au procs.

    Sous-Section II - La modification ou lextension par le

    demandeur de la demande originaire

    A. - La demande additionnelle

    1 Dfinition

    51.Les demandes additionnelles sont celles qui constituent le prolongement

    immdiat de la demande introductive d'instance, qui la compltent par une

    rclamation accessoire ou qui l'tendent pour tenir compte des faits survenus depuis

    la citation tout en constituant une consquence de ceux qui y ont t invoqus 66. Il

    sagit des demandes prprogrammes ou encore des demandes virtuellement

    comprises dans la demande originaire67.

    La demande additionnelle porte donc sur des rclamations qui sont implicitement

    comprises dans les termes de l'acte introductif d'instance et ce mme si le fait sur

    lequel elle est fonde se produit au cours de l'instance elle-mme. On peut par

    exemple citer l'chance de nouveaux termes de loyers, darrrages ou dintrts, qui

    n'taient pas encore dus au moment de l'introduction de l'instance.

    66

    Mons, 26 janvier 1988, Pas., II, 106.67A cet gard, la citation en justice interrompt la prescription pour la demande quelle introduit et pourcelles qui y sont virtuellement comprises (Cass., 24 avril 1992, Pas., I, 745).

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    2 Conditions de recevabilit

    52.L'article 808 du Code judiciaire autorise les demandes additionnelles en tout tatde cause jusqu la clture des dbats, mme par dfaut et en degr d'appel (par

    application de larticle 1042 du Code judiciaire). Mme dfaillant, le dfendeur doit

    savoir que le montant de la demande additionnelle s'ajoutera celui de la demande

    initiale et c'est pourquoi elle est recevable en tout tat de cause.

    3 Forme de la demande additionnelle

    53.Conformment larticle 809 du Code judiciaire, la demande additionnelle est

    introduite par voie de conclusions.

    B. - La demande nouvelle

    1 Dfinition

    54. La demande nouvelle est celle par laquelle le demandeur originaire68tend ou

    modifie lobjet ou la cause de sa demande tout en ne modifiant toutefois pas

    compltement la cause de celle-ci. La demande nouvelle doit, en effet, tre fonde

    sur un acte ou un fait invoqu dans lacte introductif dinstance.

    Ainsi, une demande d'excution d'un contrat peut-elle tre transforme en une

    demande de rsolution de celui-ci.

    Linvocation de nouveaux moyens ou darguments supplmentaires ou encore la

    seule modification du fondement juridique de la demande originaire sans

    modification de lobjet de la demande ne constitue pas en principe lintroduction

    68

    Larticle 807 du Code judiciaire suit le demandeur originaire jusqu la fin de la procdure, mmesil revt entre-temps la qualit de partie appelante ou intime (concl. av. gn. THIJSavant Cass., 29novembre 2002, Pas., I, 2303) ou encore de partie cite sur opposition.

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    dune demande nouvelle69. La rclamation de dommages et intrts pour faute

    contractuelle peut galement tre modifie en une mme rclamation fonde sur

    l'article 1382 du Code civil, sans respecter les conditions de larticle 807 du Codejudiciaire.

    Le mcanisme de la demande nouvelle ne peut cependant tre utilis que pour

    modifier lobjet ou, partiellement, la cause de la demande originaire et non pour

    formaliser une demande contre une partie la cause en une autre qualit70.

    2 Conditions de recevabilit

    55.En vertu de larticle 807 du Code judiciaire, la demande nouvelle est autorise

    moyennant deux conditions.

    a) La demande nouvelle doit tre fonde sur un fait ou un acte invoqu dans la

    citation ou dans la requte.

    Lorsque la demande modifie ou largie repose sur les mmes faits que ceux

    invoqus dans la citation, il nest pas exig que le demandeur ait dj dduit, dans la

    citation originaire, une consquence de ces faits en ce qui concerne le bien fond de

    la demande71.

    La Cour de cassation a prcis diverses reprises que le texte n'impose pas que la

    demande nouvelle soit fonde exclusivement sur un fait invoqu dans l'acteintroductif d'instance72. Elle peut galement tenir compte de faits non invoqus dans

    69G. DE LEVAL, Elments de procdure civile,op. cit., p. 44, n25. Voy., dans ce sens, mais proposdune demande originaire non juridiquement qualifie, Cass., 8 septembre 1986, Pas., 1987, I, 28.Adde.en matire de contentieux fiscal, Civ. Hasselt, 23 juin 2003, F.J.F., 2003, p. 993 ; Les moyensnouveaux ne modifient pas la demande , Fiscologue, 2004, n932, pp. 1-2 et G. DE LEVAL et J.F. VANDROOGHENBROECK, Principe dispositif et droit judiciaire fiscal , R.G.C.F., 2004, p. 13, n7.70

    Cass., 26 octobre 1995, Pas., I, 947.71Cass., 28 avril 1994,Pas., I, 418.72Cass., 11 mai 1990, Pas., I, 1047.

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    l'acte introductif d'instance mais qui sont survenus ou qui ont t dcouverts

    postrieurement et qui exercent une influence sur le litige73.

    Mis part le rappel de ces quelques lignes directrices qui se dgagent de la

    jurisprudence de la Cour de cassation, il est particulirement dlicat de prciser de

    manire abstraite quand la demande nouvelle est fonde, ft-ce en partie, sur un acte

    ou un fait invoqu dans lacte introductif dinstance74. La Cour de cassation oscille

    manifestement entre deux tendances. Selon la premire, extensive75, un lien, mme

    trs lche, entre un fait ou un acte invoqu dans la citation et lobjet de la demande

    modifie ou tendue parat suffire76

    . Par contre, et cest manifestement le courantmajoritaire, une interprtation plus stricte conduit rejeter lextension ou la

    modification de la demande qui ne prsente aucun lien direct avec un fait ou un acte

    invoqu dans la citation mais ne sy rattache que de manire trs loigne 77. Tout est

    donc en la matire question de cas despce et les pronostics savrent toujours

    risqus78.

    73 Cass., 4 octobre 1982, Pas., 1983, I, 158. En revanche, lextension de la demande en vue

    dobtenir des dommages et intrts relatifs un accident ultrieur, tranger un premier accident, nestpas fonde sur un acte invoqu dans la citation faite sur la base dun contrat dassurance en vertu delaquelle des dommages et intrts relatifs au premier accident sont demands (Cass., 8 janvier1998, Pas., I, 48). Cest dans cette mesure quon peut parler de demande nouvelle par changement decause. Voy. toutefois, Cass., 6 juin 2005, Pas., I, 1212, qui considre que nest pas recevable lademande nouvelle en indemnisation fonde notamment sur la non-excution par lautre partie dunedcision judiciaire prcdemment rendue, au cours de la mme instance, par la cour dappel. 74 Une tude de S. MOSSELMANSpublie dans le Rapport annuel de la Cour de cassation 2002contientun tableau qui rsume de manire schmatique et chronologique la jurisprudence (trs contraste) dela Cour.75 G. DE LEVAL, Elments de procdure civile, op. cit., pp. 43-44, note (109).76Ainsi dans son arrt du 19 dcembre 2003 (Pas., I, 2059), la Cour admet que les juges dappel aientdclar recevable la demande tendant lannulation dun commandement pralable saisie-excution

    immobilire non vis par lopposition du saisi (laquelle visait un autre commandement) ds lors que ces commandements et saisie sont la suite d'une application conteste de l'astreinte et sont doncvirtuellement viss dans l'exploit d'opposition . Voy. g., Cass., 11 mars 2004, Pas., I, 424, qui admetla recevabilit dune demande nouvelle fonde sur le dfaut de conformit du produit vendu ds lorsque la citation invoquait linsuffisance de linformation figurant sur ltiquette contenant le modedemploi dudit produit.77 Par exemple, la Cour de cassation a censur larrt qui a dclar recevable une demande nouvelleen paiement des frais dassainissement dun terrain expropri, au motif quelle se fonde sur le fait delexpropriation laquelle elle est intimement lie, lorsque la demande principale en rvision duneindemnit dexpropriation provisoire alloue repose dans la citation sur la contestation de lvaluationdu bien expropri (Cass., 19 avril 2002, Pas., I, 939). De mme, nest pas recevable la demandenouvelle en indemnisation forme par un fonctionnaire vinc en raison dune dsignation fautive dunconcurrent, annule par le Conseil dEtat postrieurement la citation, dans laquelle le demandeur

    dduisait la faute de lEtat belge de deux autres dsignations prcdemment annules (Cass., 26 mars2004,Pas., I, 518).78 J. LAENENS,K.BROECKX, D. SCHEERS,Handboek, p. 440, n940. Tout lart de lavocat qui introduit

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    b) La demande nouvelle doit tre introduite par conclusions un moment o la

    procdure est contradictoire79

    .

    Elle ne peut donc tre introduite lorsque la partie adverse fait dfaut. Il s'agit de

    respecter les droits de la dfense du dfendeur dfaillant.

    3 La demande nouvelle en degr dappel

    56. Il rsulte de la combinaison des articles 807 et 1042 du Code judiciaire que lademande nouvelle est recevable en degr d'appel80.

    Dans deux importants arrts du 29 novembre 200281, la Cour de cassation a lev toute ambigut sur

    le rgime de la demande nouvelle forme pour la premire fois en degr dappel. Celle -ci nest pas

    soumise dautres conditions (supplmentaires ou restrictives) que celles nonces par larticle 807

    du Code judiciaire. Il nest notamment pas requis que lextension ou la modification de la demande

    lgard de la partie contre laquelle la demande originaire a t dirige ait t porte devant le premier

    juge82ou soit implicitement (ou virtuellement) contenue dans la demande originaire.

    4 Nature de larticle 807 du Code judiciaire - Consquences

    une demande nouvelle ou du juge qui entend laccueillir sera donc de motiver de manireparticulirement soigneuse le lien qui peut exister entre celle-ci et un fait ou un acte invoqu dans lacitation.79Cest la raison pour laquelle il est traditionnellement enseign que la demande nouvelle nest pasrecevable en cas de procdure sur requte unilatrale.80Cass., 4 mars 1988, Pas., I, 804.81 Cass., 29 novembre 2002, Pas., I, 2297, et, Pas., I, 2301, avec les conclusions de lavocat gnraldlgu THIJS. Voy. g. Cass., 16 dcembre 2004, R.A.B.G., 2005, p. 820, note R. VERBEKE. Lesarrts du 29 novembre 2002 clarifient ainsi lambigut qui pouvait rsulter des arrts des 9 mars 1972(Pas., I, 639), 24 novembre 1972 (Pas., 1973, I, 293) et 2 dcembre 1982 (Pas., 1983, I, 412) quiavaient pu tre interprts comme exigeant que la demande tendue ou modifie en degr dappel aitdj t introduite devant le premier juge. Tel ntait cependant pas le cas. Ces arrts condamnaienten ralit plus la cration dune nouvelle relation procdurale au sens des articles 811 -814 du Code

    judiciaire que la modification de la relation procdurale entre parties originaires au sens des articles807-810 du Code judiciaire (concl. prcites de lavocat gnral THIJS, Pas., 2002, I, 2304).82 Voy. g. Cass., 11 fvrier 2005, R.W., 2004-2005, p. 1619.

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    57.Larticle 807 du Code judiciaire nest pas dordre public83de sorte que la violation

    de cette disposition ne peut tre invoque pour la premire fois devant la Cour de

    cassation84

    et que les parties peuvent dun commun accord convenir dtendre leursdemandes au-del des limites prvues par cette disposition.

    5 Forme de la demande nouvelle

    58.Conformment larticle 809 du Code judiciaire, la demande nouvelle est

    introduite par voie de conclusions.

    Sous-Section III - Lintroduction par le dfendeur dune

    demande contre le demandeur : la demande

    reconventionnelle

    A. - Dfinition

    59.La demande reconventionnelle est la demande incidente qui mane du dfendeur

    quel quil soit85 (originaire, sur intervention, voire mme sur reconvention) contre un

    demandeur (originaire, sur reconvention ou sur intervention) et qui tend faire

    prononcer une condamnation charge du demandeur (article 14 du Code

    judiciaire).

    B. - Conditions de recevabilit

    60. En premire instance, la demande reconventionnelle nest assortie da