ÉTHODOLOGIE M.ENSEIGNANTE,* FORMARIERfulltext.bdsp.ehesp.fr/Rsi/19/35.pdf · philosophique et...

6

Click here to load reader

Transcript of ÉTHODOLOGIE M.ENSEIGNANTE,* FORMARIERfulltext.bdsp.ehesp.fr/Rsi/19/35.pdf · philosophique et...

Page 1: ÉTHODOLOGIE M.ENSEIGNANTE,* FORMARIERfulltext.bdsp.ehesp.fr/Rsi/19/35.pdf · philosophique et scientifique de l’épistémologie ... L’épistémologie, science de la science difficile

MÉTHODOLOGIEM. FORMARIERENSEIGNANTE,* QUELQUES DONNÉES SIMPLES

SUR L’ÉPISTÉMOLOGIE

Le terme épistémologie trouve son sens dans sonétymologie.Constitué du mot grec epistêmê qui signifieconnaissance, savoiretdelogos : discours, l’épisté-mologie désigne une très ancienne forme deconnaissance, contemporaine de la pratique despremiers savants.et philosophes et qui pourrait sedéfinir comme la connaissance de la productiotvdela science.

Utilisé déjà par PLATON, mais tombé dans l’oublipendant des siècles, l’usage de ce mot n’est devenucourant qu’à partir du I 9e siècle dans le vocabulairede la philosophie.

Qu’entendons-nous par Epistémologie ?

Les définitions abondent et l’accord des philo-sophes et des scientifiques est loin d’être fait sur lasignification du terme. C’est en proposant plu-sieurs approches que l’on peut tenter de cernet lesens de l’épistémologie.

A. LALANDE définit l’épistémologie comme« la philosophie des sciences mais avec un sensplus précis, ce n’est pas proprement l’étude desméthodes scientifiques... c’est essentiellementl’étude critique des principes, des hypothèses etdes résultats des diverses sciences destinées à déter-miner leur origine logique, leur valeur et leurportée objective » (1).A. VIRIEUX-REYMOND propose aussi unaspect très philosophique de l’épistémologie.« Philosophie de la science, théorie de la connais-sance au sens plus général du mot : origine, natureet limites » (2).G. BACHELARD dans son livre « épistémolo-gie » se refuse à donner une définition lapidairetant le thème de la construction d’une sciencelui paraît infini. II exprime de façon claire quel’épistémologie sert à fonder une science, à luidonner ses bases, les recherches sont les pierres quiservent à son édification.« Fonder, échafauder, bâtir ne sont que des images.En ce qui concerne l’édifice de la science, on peutle bâtir sans le fonder, on peut aussi fonder sansbâtir... une modification dans les bases de la scienceentraîne un accroissement au sommet, plus oncreuse la science, plus elle s’élève » (3).

* Enseignante, Département Enseigncmcnt InRrmier Supé-rieur Lyon.

BACHELARD souligne que creuser la science,c’est-à-dire travailler son épistémologie est aussiutile que de bâtir, c’est-à-dire travailler soncontenu.H.A. SIMON fait la transition entre l’approchephilosophique et scientifique de l’épistémologiequ’il définit comme « l’interface de la philosophieet de la science » (4). L’interface est la limite com-mune ou la jonction entre deux systèmes.Pour SIMON l’épistémologie engloberait à la foisles règles de la construction d’une science(approche scientifique) et les questions philosophi-ques qui se posent lorsque l’on veut approfondir,bâtir une science (réinvestissement des connaissan-ces, finalité des savoirs etc.).E. MORINaborde l’épistémologie avec un regardde scientifique « l’épistémologie se voue à l’examencritique des conditions et méthodes de la connais-sance scientifique, elle examine la validité des for-mes d’explication, la pertinence des règles logiquesd’inférence, les conditions d’utilisation desconcepts et symboles.Bien que se refusant à examiner les résultats, c’est-à-dire les connaissances scientifiques en elles-mêmes, cette épistémologie se pose en tribunalextérieur: supérieur à la science, apte à l’assigneren cassauon pour violation des règles » (5).Pour résumer, nous ~&VO~S dire que l’épistémo-logie est la science qui a pour objet de permettre lacréation, l’émergence, l’élaboration, l’édificationd’une autre science.Elle est liée au devenir réel et à la progression d’unescience qui est son objet.« Elle a pour tâche de découvrir dans la pratiquescientifique elle-même, sans cesse affrontée à l’er-reur, les conditions auxquelles on peut tirer le vraiou le faux en passant d’une connaissance moinsvraie à une connaissance plus vraie » (6) BOUR-DIEU.L’épistémologie définit une science à un momentde son histoire. La science n’est jamais enferméedans un cadre qui la limite, car le propre d’unesciencec’est d’évoluer, dese développer, de bougersous l’effet des tensions, des problèmes, des échan-ges, des concepts, des recherches qui lui confèrentson dynamisme.

L’épistémologie est donc toujours historique.

On appelle coupure ou rupture épistémologique,le moment où une science se constitue en coupantavec sa « préhistoire ». En général, il ne s’agit pasd’un changement brutal, mais du processus quipermet l’émergence d’une nouvelle naissancescientifique avec sa double contrainte : démonstra-tion, expérimentation.

Page 2: ÉTHODOLOGIE M.ENSEIGNANTE,* FORMARIERfulltext.bdsp.ehesp.fr/Rsi/19/35.pdf · philosophique et scientifique de l’épistémologie ... L’épistémologie, science de la science difficile

Comme exemple récent nous pouvons citer I’avè-nement de la fécondation artificielle, l’utilisationde la psychanalyse comme moyen thérapeutique.

Quelques repères historiques

Peuvent nous aider à comprendre l’évolution del’épistémologie :Avec PLATON (428 av. J.C.) l’épistémologieétait essentiellement philosophique et elle est restéependant longtemps liée au discours des philo-sophes.

DESCARTES (discours SUI la méthode 1637) aété un des premiers à dire qu’il faut faire éclaterl’épistémologie hors de la philosophie pour la met-tre au service de la science.Le vrai tournant ne sera amorcé qu’en 1794.1800par VHEWELL qui associe la science à la genèsede sa production. Il s’intéresse à la façon dont unescience s’élabore à partir « d’utopies » ou à partirde problèmes pratiques.

A. COMTE (I 8 j o) montre la relation très étroite,l’intimité qui existe entre l’expérience qui est unprocessus d’objectivation et la raison de l’expé-rience qui en est sa justification.

A. LALANDE (1948) reprend l’idée A.COMTE et fait une distinction entre raison consti-tuante et raison constituée.La raison constituante, représente la réflexion dansson mécanisme constructeur (épistémologie) ; laraison constituée, représente l’ensemble des théo-ries et concepts que notre raison élabore pourexpliquer la réalité concrète et vécue (science).

BACHELARD (début de son oeuvre 1928 écritjusqu’en 19> I) pose les bases véritables de l’épisté-mologie scientitïque moderne. Il en situe les limiteset les contours. « Nous croyons que la constructiond’un appareil objectif va de soi, nous ne voyonspas toujours la somme des précautions techniquesque réclame le montage de l’appareil le plussimple » (7). L’œuvre de BACHELARD fait datedans l’histoire de la connaissance scientifique.

Plus proche de nous et dans un courant modernisteE. MORIN (1986) recentre l’épistémologie dansune dynamique récursive contemporaine de cha-que science.« L’épistémologie n’est pas le centre de vérité, elledoit tourner autour du problème de la vérité enpassant de perspective en perspective et espérons-le, de vérités partielles en vérités partielles » (8).Les travaux de PIAGET (1960) occupent uneplace à part dans l’histoire de l’épistémologie. Il a

QUELQUES DONNÉES SIMPLESSUR L’tiPISTfiMOLOGIE

particulièrement développé l’épistémologie géné-tique qui se rattache au courant philosophique.« Elle recherche essennellement à étudier la signiiï-cation des connaissances, des structures opératoi-res en recourant d’une part, à leur histoire et à leurfonctionnement actuel dans une science détermi-née, d’autre part à leur formation en psycho-généti~que ou à leurs relations avec les structuresmentales » (9).Avec PIAGET, l’épistémologie n’est plus seule-ment le repérage des mécanismes de constructiond’une science, mais il se propose de saisir la connais-sance dans son accroissement, et d’identifier lesfacteurs qui sont la source de cet accroissement.Pourquoi certaines sciences progressent et d’autrespas ?

OBJECTIFSDE L’ÉPISTÉMOLOGIE

- L’épistémologie donne une place à la connais-sance scientifique. Elle la situe par rapport à d’au-tres formes de connaissance ou de pratique.- Elle justifie l’émergence d’une science, elledétïnit aussi des limites à la connaissance scientifi-que qui ne saurait tout connaître, tout démontrer.- L’épistémologie fait prendre conscience qu’iln’y a pas de science en général, mais des systèmesde connaissance spécifiques en évolution, appro-priés à leur objet. Ces multiples disciplines ne sontpas indépendantes les unes des autres, mais ellespeuvent avoir des liens, des similitudes tout enétant relativement autonomes.- L’épisrémologiepermetlacréation etl’élabora-tion de moyens et de méthodes scientifiques tou-jours très liés au contenu et à la nature de la scienceelle-même.Le repérage des mécanismes (méthodes) opératoi-res qui ont contribué à construire une science,permet des transpositions d’une science à l’autre.A. COMTE développe la sociologie en transpo-Sant certaines méthodes de la physique pour étudierla société. Par l’épistémologie, il légitime letransfert de cette méthode.Claude BERNARD fonde la physiologie moderneen soumettant la matière, vivante aux mémes pro-cédés d’analyse chimique que la matière inerte, illégitime ses conceptions sur le plan épistémologi-que. .« DESCARTES, LAVOISIER nous ontappris que la matière et ses lois ne diffèrent pasdans les corps vivants et les corps bruts. Ils nous

Recherche en dos infirmiers No 19 - Décembre 1989

Page 3: ÉTHODOLOGIE M.ENSEIGNANTE,* FORMARIERfulltext.bdsp.ehesp.fr/Rsi/19/35.pdf · philosophique et scientifique de l’épistémologie ... L’épistémologie, science de la science difficile

ont montré qu’il n’y a a” monde qu’une seulemécanique, celle de la physique, “ne seule chimiecommune à tous les êtres de la nature.

Il n’y a donc’pas deux ordres de science. Toutescience digne de ce nom est celle qui, connaissantles lois précises des phénomènes, les prédit sûre-ment et les maîtrise quand ils sont à sa portée »(14.

- L’épistémologie interroge la science en ce sensqu’elle s’intéresse au contexte de sa découverte, desa production, de sa justification, de sa reproducti-bilité, de l’élaboration de loi, de théorie, de généra-lisation.Elle interroge aussi bien les concepts, les méthodes,les outils, que les résultats. En ce sens, nous pou-vons dire que son objectif est d’être la science dessciences.Aura-t-on besoin d’une épistémologie de l’épisté-mologie, c’est “ne aporie classique.

- L’épistémologie doit aussi interroger les condi-tions non scientifiques de la science, c’est-à-dire saproduction sociale, sa répercussion éthique, philo-sophique, son réinvestissement et son utilisationfuture.

LES DIFFICULTÉSDE L’ÉPISTÉMOLOGIE

- Le plus difficile d’après BACHELARD pour“ne science, est de prendre en compte la réalitécontextuelle à partir de laquelle le chercheur peutaprès ses travaux, déduire des généralisations, lois,théories. II est nécessaire d’avoir “ne vision globaledu domaine où se fait la recherche avant d’avoir“ne vision électique.- Une autre difficulté souvent énoncée par lesépistémologues est l’objectivité de la science,« L’objectivité rationnelle, l’objectivité techniqueet l’objectivité sociale sont fortement 1iées:Si l’onoublie un seul de ces caractères de la culture scienti-fique moderne, on entre dans le domaine de l’uto-pic. Une philosophie des sciences qui ne veut pasêtre utopique doit essayer de formuler “ne synthèsede ces trois caractères » (I I).L’épistémologie, science de la science difficile d’ac-cès pour les néophytes pose le problème de savulgarisation.

L’épistémologue doit simplifier les phénomènesd’assimilation de la science selon lesquels unenotion d’abord réservée aux seuls érudits devientle bien commun.

Exemple :-DESCARTES simplifie l’algèbre par lesméthodes d’algorithme. Cette discipline avantDESCARTES était inaccessible a” non mathéma-ticien.

- Une autre difficulté qu’il faut souligner est defaire passer pour science de simples expériences.Où se situent les limites d’une ~Science et d’unenon-science ?

Le râle de vigilance de l’épistémologie oblige lesépistémologues à améliorer de façon constante leniveau des théories et leur exigence scientifique.

Le domaine des sciences humaines est particulière-ment vulnérable à cet égard.

LA CONSTRUCTIOND’UNE SCIENCE

On ne peut a.” XY siècle parler de la constructiond’une science sans l’appuyer sur la modélisation.

Dans le vocabulaire scientifique un modèle estentendu comme l’instrument de production etd’exposition des connaissances.

La modélisation

Nous pouvons lui attribuer le sens de « théorie »mais, la modélisation et la théorisation sont deuxconcepts différents.Nous parlons de théorie quand nous sommesconvaincus du pouvoir explicatif et généralisabledes résultats produits par la recherche, « mais, sinous nous interrogeons sur la forme, I’intelligibi-lité, la communication de nos raisonnements. nousparlerons plus volontiers de modèle x (I z) J.k LEMOIGNE.

La notion de modèle est dynamique et évolutive,elle est plus souvent utilisée en sciences humainesactuellement, que le concept de théorie.

Pour les modélisateurs, le monde est pers” commeun grand champ d’interactions multiples où toutest action, rien n’est passif. Il est peut-être éclairépar la psychologie, l’anthropologie, la chimie, laphysiologie etc. et c’est à partir de ce champ dyna-mique que nous parlons de modélisation.

Comment se construit un modèle

Chacun d’entre nous a ses propres représentations,forgées par sa culture, son développement cognitif,ses affects etc.

Chacun d’entre nous se représente le monde à safaçon.

a Pour se représenter un arbre, on est forcé de sereprésenter le cadre sur lequel il se détache » P.VALERY.Nous inventons notre vision du monde qui engen-dre des conceptions et des points de vue différents.Si nous voulons trouver un terrain d’entente, sortirdes débats d’idées, nous devons passer par l’étape

Page 4: ÉTHODOLOGIE M.ENSEIGNANTE,* FORMARIERfulltext.bdsp.ehesp.fr/Rsi/19/35.pdf · philosophique et scientifique de l’épistémologie ... L’épistémologie, science de la science difficile

de la modélisation scientifique. processus opéra-teur de connaissance, basé &r ;rk représent&ioncollective. « Le modélisatcur a un rôle’-capital,critique, décisif. Il doit disposer d’une méthodequi lui permette de concevoir la multiplicité despoints de vue puis de passer d’un point de vue àl’autre. Il doit disposer de concepts théoriquesqui, au lieu de fermer et d’isoler les entités luipermettent de circuler productivement... il abesoin aussi d’une méthode qui lui permette depasser d’un point de vue à l’autre,... une méthodepour accéder au méta-point de vue sur les diverspoints de vue y compris le sien, inscrit et kracinédans une société » E. MORIN (I 3).

D’où vient la connaissance ?

Est-elle pour nous une éxplication objective deseffets que nous percevons en allant jusqu’à ladécouverte de leurs causes par l’analyse ? Ou est-elle une construction cognitive, élaborée à partirdes représentations modélisées ?Chacun de ces deux paradigmes, celui de la décou-verte et celui de l’invention correspond à un cou-rant de pensée actuel.- Le courant positiviste qui est celui de l’analyse,de la méthode est représenté par des auteurs commePIAGET, SIMON, MORIN.

- Le courant consrructiviste qui est celui de lamodélisation est basé sur les travaux de P.V A L E R Y , B A C H E L A R D , D U B O R S T , L EMOIGNE.

La modélisation doit rendre compte de la« complexité essentielle » (BACHELARD) detoute réalité sans la trahir.Développée sous l’angle systémique elle est perti-nente dans de nombreux domaines, entre autrecelui des sciences humaines.La construction de la modélisation repose sur desaxiomes (*) qui vont servir de base à une sciencedynamique.J.C. LE MOIGNE (12) qui a particulièrementtravaillé sur la science des systèmes, développeplusieurs axiomes sur lesquels repose toute scienceconstruite.Toute connaissance résulte d’un projet. II n’y apas de connaissance évidente. A la base il y atoujours la volonté de découvrir. « Il n’est deconnaissance que représentation construite,intentionnelle » PIAGET (13).~Connaître c’est d’abord la conjonctipn d’un sys-terne qui observe sur un système observé: On nepeut connaître qu’à partir d’une réalité.La connaissance est action. « Nous ne connais-sons pas les choses, nous ne connaissons que lesactes ». Paul VALERY.

(*) Axiome : vérité indémontrable pais évidente par qui- La modélisation sert alors de référent à chacun desconque en comprend le sens (dictionnaire Robert). soignants.

Nous ne pouvons pas parler d’un objet qu’en lesituant par rapport à quelque chose, dans quelquechose, en.regard de sa finalité.

La connaissance est réflexion. «Je ne séparejamais l’idée d’un temple de celle de sonédification ». Paul VALERY. II n’y a pas deconnaissance sans une réflexion qui lui donne unsens, la connaissance en elle-même n’existe pas.La connaissance a un caractère d’irréversibilité.« Tout S’écoule, tu ne baigneras jamais deux foisdans laméme eau du fleuve ». HERACLITE.Le changement s’impose dès sa parution, aucuneréalité ne se reproduit. La connaissance est unedurée périssable.

La connaissance est mémorisation. C’est sur lamémorisation que repose la connaissance, c’est àpartir de notre mémoire que nous construisons nosreprésentations de la réalité.

Exemple : Pour illustrer la modélisation et sonutilité, je développerai un exemple. Toute organi-sation est basée SUI une philosophie, plus ou moinsexplicite, qui détermine sa politique d’action : ren-dement pour certaines usines, qualité de servicepour des entreprises de vente etc. Les services desoins, systèmes organisés, n’échappent pas à cetterègle, ils reposent tous sur une conception de soins.Celle-ci émane d’une modélisation élaborée à partirdes représentations individuelles de l’équipe soi-gnante, sorte de consensus collectif qui va donnerun sens à chaque acte réalisé par les soignants.Si la modélisation n’existe pas, chaque soignantforgera, sa propre conception de soins en fonctionde ses représentations personnelles. Ainsi, vis-à-visd’un même patient qui souffre, en suivant lesmêmes prescriptions médicales, une infirmière peusensible à la douleur calmera moins un patientqu’une infirmière très sensible.

Conception du scmicc

1Organisation des sains

Dans cette situation, la modélisation consisterait àadopter, avec le prescripteur et l’équipe soignante,une philosophie commune débouchant sur desactes similaires, étroitement adaptés à la demandedu patient.

Recherche en soins infirmiers N” 19 . Décembre 1989

Page 5: ÉTHODOLOGIE M.ENSEIGNANTE,* FORMARIERfulltext.bdsp.ehesp.fr/Rsi/19/35.pdf · philosophique et scientifique de l’épistémologie ... L’épistémologie, science de la science difficile

L’ÉPISTÉMOLOGIEDE LA SCIENCE HUMAINE

La rupture épistémologique

Si nous remontons à la pratique des femmes soi-gnantes, nous pouvons constater que les soinss’exercent depuis toujours. De plus en plus sophis-tiqués et techniques depuis 21 ans les soins infir-micrs n’en restent pas moins empiriques, ils« s’appuient essentiellement surl’expérienceetnonsur des données scientifiques et rationnelles » (**).

Or actuellement, nous sommes en train de vivreen France, comme dans beaucoup d’autres paysune rupture épistémologique.

Les soins infirmiers changent de fondement. Lesintïrmières, à partir de leur pratique (leur pré-histoire) élaborent petit à petit une science et, enmême temps qu’elles bâtissent et développent soncontenu, elles repèrent la manière dont leurssavoirs se structurent, elles recherchent dans quel-les conditions ils peuvent être considérés commevalables, elles créent leurs propres outils concep-tuels, en un mot, eles travaillent à l’épistémologiede la science infirmière. Celle-ci ne surgit pas dunéant, elle apparaît comme une pratique qui rem-place sans cesse des représentations que nous nousétions données antérieurement ou transmises partradition.Une science ne peut gommer ses origines, c’est àpartir des concepts existants, déjà sélectionnés parla pratique quotidienne que la recherche prend unsens pour justifier, prouver, approfondir, permet-tre de comprendre, rationaliser, améliorer I’effïca-cité, la qualité.

Dans un courant de pensée scientifique, la ruptureépistémologique s’opère dans un esprit de ques-tionnement. Une réalité familière échappe aucontrôle de son acteur puisque « ça va de soi )).Aussi, il ne s’interroge que rarement à son propos.Or, c’est cette interrogation permanente, ce« doute permanent » dont parle BACHELARDquipermetdepasserdel’empirismeauscientifique.Exemple : si nous considérons le concept« prévention d’escarres », nous pouvons remar-quer que sous ce vocable les inftrmières mettentdes pratiques, des savoir-faire différents, appris,forgés par l’expérience ou en usage dans l’endroitoù elles travaillent. Mais, si nous prenons ce termescientifiquement, il signifie que chaque infirmière,pour chaque patient, avec un outil approprié, éva-lue méthodiquement les risques qu’il présente àconstituer des escarres et qu’elle mette en place dessoins spécifiquement adaptés, reconnus efficacespour ce patient, avec une économie de moyen(temps de l’infirmière, matériel) et un coût humaina minima pour le pauent.

(““1 Définition du Dictionnaire Robert

Le savoir scientifique est bien une constructionde l’esprit, fondé en confrontation avec la réalités’élaborant en rupture par rapport aux évidencesanciennes. II apparaît comme une nouvelle manièrede questionner et d’appréhender le monde et saréalité en résonance avec les conditions culturelles,économiques, sociales et les idées de valeur del’époque.

LA CONSTRUCTIONDE LA SCIENCE INFIRMIÈRE

A quelques exceptions près (exemple : l’éthique)tous les thèmes de soins infirmiers peuvent êtreapprochés par la recherche. Les infirmières ontprouvé depuis de longues années qu’elles saventfaire de la recherche et améliorer la qualité deleurs soins et, un grand nombre d’équipes ou dechercheurs solitaires, travaillent sur des thèmes etdans des directions qui leur sont propres. Scientifi-quement reconnues valables, ces recherches ne fontpas avancer le corpus scientifique de la connais-sance infirmière.

Trois obstaclesmajeursnesontpasprisencompte :- Une recherche concerne toujours, c’est soncaractère et sa natute, un sujet très pointu limité,cerné ; ce qui signifie que les résultats obtenus parune recherche isolée sont difficilement réinvestis-sables dans la pratique quotidienne. Il faut uncertain nombre de travaux pour cerner un thèmeet faire évoluer les soins dans une trajectoire scien-tifique. L’atomisation des recherches qui entraîneleur inefficacité est généré par l’absence de politi-que concertée, l’absence de cohésion profession-nelle, la méconnaissance de la recherche scientifi-que.- Très lié au phénomène d’atomisation, il fautnoter que notre profession en France ne comptepas d’unité de recherche. Le cursus universitairen’ayant pas de troisième cycle, celui où une disci-pline a pour mission de produire de la connais-sance, le regroupement des recherches autour d’unchercheur n’existe pas. C’est au niveau d’un troi-sième cycle (DEA, Doctorat) que les chercheurspeuvent s’intéresser non seulement à la connais-sance produite, mais aussi à son épistémologie :Dans quelle direction travailler ? Comment rendredes recherches complém~ntaircs ? Comment bâtirdes outils pour faire de la recherche plus facilementetc.~ Le troisième obstacle important est l’absencede diffusion de la recherche et de centralisationdes travaux réalisés, aussi bien en France qu’àl’étranger. Aucun centre de documentation ne peutoffrir à l’heure actuelle un thésaurus de recherchesinfknières complets. De tradition orale, la profes-sion d’infirmière lit peu et écrit peu. La circulationdes connaissances en dehors des écoles de base etde cadres est’presque inexistante.

Page 6: ÉTHODOLOGIE M.ENSEIGNANTE,* FORMARIERfulltext.bdsp.ehesp.fr/Rsi/19/35.pdf · philosophique et scientifique de l’épistémologie ... L’épistémologie, science de la science difficile

Il faut cependant noter que de plus en plus d’intïr-mières poursuivent des études universitaires depremier et deuxième cycle ou, la sensibilisation àla recherche est marquée. La formation continuedéveloppe des sessions d’initiation à la recherche,mais, là encore les travaux entrepris par les équipesrestent très morcelés, rarement publiés 0 nonrépertoriés.

CONCLUSION

L’épistémologie, loin d’être une dimension rébar-bative de la science est au contraire une ~wertwesur ce que J.L. LEMOIGNE appelle « une quêtede l’identification des possibles ».La science n’est pas seulement une formalisationdu nécessaire, elle est aussi et avant tout créative.

Les infirmières dans leur pratique quotidiennesont-elles préparées à sortir d’une normalisationintellectuelle pour élargir leur champ de représen-tation à cette « quête des possibles ? ».

L’activité scientifique nous demande créativité etrigueur pour formuler nos projets de développe-ment scientifique et choisir nos priorités. Elle nousinvite à une démarche féconde, stimulante quinous amène à poser un autre regard su les soinsinfirmiers pour en faire des soins créatifs et nonplus normatifs, actuels et non plus traditionnels,novarion personnalisée et non plus emprunt ina-dapté. La première étape de ce cheminement estsans conteste épidémiologique.

BIBLIOGRAPHIE

I LALANDE (A.). - Vocabufaire technique etcritiquede laphiloJophie, Paris, PUF, I l’édition,‘972.

2. VIRIEUX-REYMOND. - L’Epirtémologie,PUF, Coll. SU~., Paris, 1966, p. 12.

3. BACHELARD (G.). - Epistémologie, texteschoisis, Paris, PUF, 4’ édition, 1987, p. I 3).

4. SIMON (H.A.). - La rcience des yvrtèmei,Science de Partifi&/ (traduction Française J.L.LEMOIGNE), Paris, Ed. EPI, 1974, p. 92.

1. MORIN (E.). - La méthode. La nature de fanature, Tome 3, Paris, Seuil, 1977, p. 13.

6 . B O U R D I E U (P.), C H A M B O R E D O N(J.C.), PASSERON (J.C.). - Le métier deSociologue, Paris, Mouton, 1968, p. 27.

7. BACHELARD (G.). -Le nouvel ei,britscienti-fique, PUF, Ed. Quadrige, 16~ édition, Paris,1984, P. ‘rj.MORIN (E.). - La méthode., La connaissancede la connaissance, Tome 1, Seuil, Paris, 1986,P. 24.V I R I E U X - R E Y M O N D ( A . ) . - 0). cit.,p. 123.CLARKE (R.). - Claude Bernardet la Médecineexpérimentale, Seghers, Paris, 1975, p. 47.

BACHELARD. - Op. cit., p. 145.LE MOIGNE (J.L.). - La théorie du système@néral. Théorie de la modéhtion, Ed. PUF,Paris, 1977. p. 74.MORIN (E.). - La méthode. La nafrrre de fanattrre, Tome I, Paris, Seuil, 1977, p. 179.PIAGET (J.). -Logique et connaimnce scientifi-que, Encyclopédie Pléiade, N.R.F., Paris, 1968,P. 92.