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UNIVERSITE DE LIEGE – UNIVERSITE DE PARIS 8 THESE DE DOCTORAT EN SCIENCES POLITIQUES PRESENTEE PAR ERIC TOUSSAINT Titre : Enjeux politiques de l’action de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement et du Fonds Monétaire International envers le tiers-monde Sous-titre : Analyse de l’influence des logiques financières mondiales impulsées par le FMI et la BIRD sur les pratiques politiques des pays en développement, suivie de propositions d’alternatives. Promoteurs : Jean Beaufays (Université de Liège) – Pierre Cours Salies (Université Paris 8) Mai 2004 Année académique 2003 – 2004

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UNIVERSITE DE LIEGE – UNIVERSITE DE PARIS 8

THESE DE DOCTORAT EN SCIENCES POLITIQUES

PRESENTEE PAR ERIC TOUSSAINT

Titre : Enjeux politiques de l’action de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement et

du Fonds Monétaire International envers le tiers-monde

Sous-titre : Analyse de l’influence des logiques financières mondiales impulsées par le

FMI et la BIRD sur les pratiques politiques des pays en développement, suivie de propositions d’alternatives.

Promoteurs : Jean Beaufays (Université de Liège) – Pierre Cours Salies (Université Paris 8)

Mai 2004

Année académique 2003 – 2004

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Introduction générale de la thèse 1. Structure La thèse est constituée de quatre parties. La première partie , composée de quatre chapitres, aborde les transformations du capitalisme mondial intervenues depuis 1979 de différents points de vue : l’évolution des conditions d’existence des populations de la planète (chapitre 1), l’évolution du capital vers une concentration accentuée menant à une situation d’oligopole (chapitre 2), l’évolution de la hiérarchie dans l’économie-monde en prenant en compte notamment les investissements à l’étranger et le commerce (chapitre 3), les étapes de la déréglementation financière et l’entrée en crise de la mondialisation financière (chapitre 4). Cette première partie permet de cerner le cadre d’ensemble dans lequel évoluent et interviennent la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et le Fonds monétaire international. Ces deux institutions seront au cœur de l’analyse de la deuxième partie. La deuxième partie , constituée de 18 chapitres, analyse sous différents angles la problématique de la dette, de l’ajustement structurel et des politiques développées par la BIRD et le Fonds monétaire international. De prime abord, sont analysées les crises de la dette de la Périphérie qui ont précédé la fondation de la BIRD et du FMI (chapitre 5). Ensuite, sont retracées les origines des deux institutions financières internationales et leur évolution jusqu’au début du XXIe siècle (chapitre 6). Les données actuelles de l’endettement du tiers-monde et de la Périphérie en général sont résumées au chapitre 7. Les chapitres 8 et 9 présentent comment la BIRD a envisagé la problématique du développement des origines à aujourd’hui. Les chapitres 10, 11, 12 et 13 montrent la dimension politique des actions de la BIRD et du FMI dans leur relation avec l’ONU, les Etats-Unis, les autres grandes puissances capitalistes et la Périphérie. Les chapitres 14, 15, 16, 17 et 18 dissèquent la crise de la dette initiée au début des années 1980 et les politiques d’ajustement structurel qui ont été développées depuis. Le chapitre 19 résume les traits principaux de l’OMC en relation avec les PED. Il met en exergue la logique commune qui domine l’action du FMI, de la BIRD et de l’OMC. Le chapitre 20 synthétise les symptômes de la crise de légitimité que traversent les institutions de Brettons Woods et observe les réactions de celles-ci ainsi que les termes du débat aux Etats-Unis. Les chapitres 21 et 22 concluent la deuxième partie de la thèse en envisageant les différentes formes de transferts de la Périphérie vers le Centre et le rôle de l’Aide publique au développement. La troisième partie est constituée de cinq études de cas. Est étudiée l’intervention de la BIRD et du FMI dans deux continents (Asie et Amérique latine) et trois pays (Indonésie, Rwanda et République démocratique du Congo). La quatrième et ultime partie propose des pistes alternatives aux politiques développées par la BIRD et le FMI à l’égard des PED. 2. Question centrale et sous-questions La question centrale à laquelle cette thèse répond est la suivante : quels sont les enjeux politiques de l’intervention de la BIRD et du FMI à l’égard des PED ? Pour répondre à cette question générale sont déclinées ci-après des sous-questions auxquelles l’auteur a apporté des réponses. Les réponses révèlent les mécanismes en action et permettent d’analyser très précisément le comportement des IFI, leur évolution et les enjeux politiques par rapport auxquels elles déterminent leurs choix. Voici un relevé des principales sous questions dans l’ordre de succession des 28 chapitres que comporte la thèse.

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2.1. Les questions abordées dans la première partie : Contexte des transformations du capitalisme mondial. Chapitre 1. Montée des inégalités et dégradation des conditions de vie dans un monde globalisé.. Quelle est l’évolution des conditions de vie des populations de la planète depuis la généralisation progressive des politiques néolibérales qui coïncide avec le début de la crise de la dette ? Le bilan globalement positif que tirent les IFI de l’évolution des vingt-cinq dernières années est-il justifié ? La BIRD mesure-t-elle de manière adéquate la pauvreté dans les PED ? Y a-t-il un lien entre l’évolution des conditions de vie des populations d’une région donnée du monde et l’application des politiques recommandées par les IFI ? Comment se déclinent les effets de la mondialisation néolibérale sur les classes sociales, sur les sexes et dans le domaine de l’environnement ? La fin du chapitre 1 renvoie à une question complémentaire : le fait qu’une personne comme Joseph Stiglitz qui a occupé une fonction clé dans l’establishment de la mondialisation adopte une posture résolument critique à l’égard des politiques conduites par le FMI et la BIRD a-t-il une importance historique ? Chapitre 2. La mondialisation du capital : croissance des transnationales. Chapitre 3. La mondialisation excluante : marginalisation de la Périphérie et renforcement de la Triade. Chapitre 4.. Mondialisation financière en crise.. Les questions abordées dans ces chapitres sont essentiellement les suivantes : Comment ont évolué les entreprises transnationales au cours du processus de mondialisation ? A quelle catégorie de pays la majorité des transnationales est-elle directement liée ? Comment évoluent les rapports Centre–Périphérie mesurés notamment en fonction de l’investissement étranger et du poids dans le commerce international (deux critères clés selon la BIRD et le FMI) ? Y a-t-il un lien entre les politiques de déréglementation financière recommandées par les IFI et l’éclatement de crises à répétition ? La crise du modèle des Etats-Unis concerne-t-elle le reste du monde ? 2.2. Les questions traitées dans la deuxième partie : La dette, l’ajustement structurel, les politiques du FMI et de la BIRD. Chapitre 5. Retour dans le passé : Les crises de la dette du début du 19e siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale.. Quelles sont les caractéristiques des crises de la dette qui ont touché les pays de la Périphérie du début du XIXe siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale ? Comment se sont-elles dénouées ? Y a-t-il eu des expériences de suspension de paiement ? Quelles ont été les réactions des grandes puissances créancières ? Chapitre 6. Le FMI et le Groupe de la Banque mondiale : des origines à nos jours. Quels étaient les enjeux politiques et économiques des débats qui ont présidé à la création du FMI et de la BIRD ? Quelles étaient leurs fonctions principales à l’origine et comment celles-ci ont-elles évolué ? Quels sont les rapports de force entre Centre et Périphérie au sein des IFI ? Quel est le poids particulier des Etats-Unis ? Quelles sont les relations entre le FMI et la BIRD ? Chapitre 7. Quelques caractéristiques des dettes des PED. Quelles sont les caractéristiques principales des dettes des PED ? Qui est prêteur net ? Les pays les plus industrialisés ou les PED ? Chapitre 8. La vision du développement reprise par la Banque. Chapitre 9. Banque mondiale : productivisme, priorité à l’exportation et à la croissance. Quels sont les modèles utilisés par la BIRD pour appréhender les problèmes du développement ? Comment ont influé, sur la BIRD, les choix du gouvernement des Etats-Unis dans l’immédiat après seconde guerre mondiale par rapport à la reconstruction de l’Europe ? Les prêts ou les dons sont-ils envisagés comme moyen d’influencer la politique des pays récipiendaires ? Comment la vision de la BIRD en terme de développement des PED l’a poussée à privilégier l’endettement et l’effort tourné vers les exportations ? Pourquoi l’endettement est-il défini comme condition du décollage économique ? L’inégalité dans la distribution des revenus est-elle considérée comme un facteur

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influençant le développement ? Quelles ont été les priorités de la BIRD en terme de projets à financer ? Quels ont été les effets de la révolution verte ? La croissance est-elle synonyme de développement humain ? La BIRD et le FMI ont-ils fini par mettre un bémol à la dimension productiviste de leur politique ? Chapitre 10. La BIRD, l’ONU et les revendications des PED. Dès leur création lors de la conférence monétaire et financière des Nations unies, la BIRD et le FMI faisaient partie de l’architecture onusienne en construction, comment pratiquement ont été instituées les relations entre les IFI et l’ONU ? La BIRD et le FMI sont-ils tenus de respecter les obligations énoncées dans la Charte des Nations unies, incluant l’obligation de respecter les droits humains ? Ou bien le respect de ceux-ci n’est-il qu’un acte de bonne volonté de leur part ? Pourquoi et comment l’Association internationale pour le développement (AID) a-t-elle été fondée ? Quels enjeux politiques ont pesé ? Comment la BIRD et le FMI se sont-ils positionnés face aux revendications des PED qui se sont exprimées au sein de l’ONU et à travers la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) ? Comment la CNUCED a-t-elle évolué ? Chapitre 11. Relations entre la Banque mondiale et les Etats-Unis. La BIRD est-elle une grande institution qui s’est progressivement affranchie de l’influence des Etats ? Nous avons vu, dans les chapitres qui précèdent, qu’à plusieurs reprises l’influence des Etats-Unis sur la BIRD a été déterminante, comment s’exerce cette influence ? A travers l’analyse d’exemples concrets, quelles conclusions tirer du rôle du gouvernement des Etats-Unis dans les choix opérés par la BIRD ? Quels sont les enjeux politiques ? Dans certains cas, y a-t-il convergence d’intérêt entre le gouvernement des Etats-Unis et d’autres grandes puissances ? A certaines périodes, des tensions se sont-elles exprimées entre la direction de la BIRD et les Etats-Unis ? Quel jugement porte le gouvernement des Etats-Unis sur la BIRD ? Y a-t-il des relations étroites entre le grand capital états-unien et la BIRD ? Chapitre 12. La BIRD sous la présidence de Robert McNamara. Robert McNamara a exercé le mandat de président de la BIRD pendant une longue période (1968-1981) juste avant que n’éclate la crise de la dette. Quel était le contexte politique international ? Quelles sont les caractéristiques politiques de cette présidence ? Chapitre 13. Poids du facteur politique dans les choix de la Banque mondiale et du FMI. En résumé, quel est le poids du facteur politique dans les choix de la BIRD et du FMI ? Comment la BIRD s’est-elle dotée d’instruments adéquats pour exercer une influence sur certains Etats ? Quels étaient les principaux critères politiques qui déterminaient les choix de la BIRD et du FMI à l’époque de la guerre froide ? Cinq pays sont envisagés. Chapitre 14. La crise de la dette du tiers-monde des années 1980-1990. Quelles sont les origines de la crise de la dette qui a éclaté au début de la décennie 1980 ? Quels étaient les différents protagonistes ? Quelles étaient leurs motivations ? Quels ont été les détonateurs de la crise ? Chapitre 15. Banque mondiale/ FMI et la crise de la dette. Au cours des décennies 60 et 70, la BIRD et le FMI étaient-ils conscients des dangers qu’entraînait l’endettement croissant des PED ? Quel était le raisonnement de la BIRD pour accroître l’endettement ? La BIRD a-t-elle une part de responsabilité dans l’éclatement de la crise ? Chapitre 16. Les programmes d'ajustement structurel définis par le FMI et la BM. Chapitre 17. Les deux phases de l’ajustement structurel. Chapitre 18. Approche des effets globaux des politiques d’ajustement structurel. Lorsque la crise a éclaté, comment la BIRD et le FMI se sont-ils comportés ? Comment est-on passé des politiques d’ajustement au Consensus de Washington ? Comment la BIRD et le FMI ont-ils renforcé leur collaboration ? Avec quel impact pour les pays endettés ? En quoi consiste l’ajustement structurel ? Quel impact humain ? Quel impact économique ? Quels sont les enjeux politiques de l’ajustement structurel notamment en ce qui concerne le rôle de l’Etat dans les PED ?

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Chapitre 19. Le FMI, la Banque mondiale et l’OMC : dette extérieure, règles commerciales et plans d’ajustement structurel. A plusieurs endroits de la dissertation a été mise en évidence la place centrale qu’occupent les politiques commerciales dans les mesures économiques recommandées par la BIRD et du FMI, quelles relations ces deux institutions entretiennent-elles avec l’OMC ? Y a-t-il une convergence entre leurs politiques ? Y a-t-il une cohérence d’ensemble ? Leurs politiques ont-elles un impact sur les droits de l’homme ? Chapitre 20. Banque mondiale / FMI : de la crise de la dette à la crise de légitimité. La gestion de la crise de la dette par les institutions de Bretton Woods a-t-elle provoqué un effet boomerang sur elles ? Peut-on parler de crise de légitimité ? La crise a-t-elle des répercussions sur les relations entre ces institutions et les Etats-Unis ? Chapitre 21. Les transferts de la Périphérie vers le Centre. Depuis l’éclatement de la crise de la dette, quel est l’ampleur du transfert financier lié au remboursement de la dette ? Comment expliquer que les classes dominantes des pays endettés acceptent ce transfert ? A ce stade de la thèse, on a abordé principalement le transfert financier lié à la dette ainsi que les facteurs politiques en jeu. Y a-t-il d’autres formes de transferts de la Périphérie vers le Centre ? Quels sont-ils ? Chapitre 22. APD et enjeux politiques. Quels sont les enjeux politiques de l’Aide publique au développement (APD) ? L’APD peut-elle constituer une source d’endettement ? 2.3. Les questions traitées dans la troisième partie : Etudes de cas. Chapitre 23. La crise du Sud Est asiatique. Quelles sont les causes de la crise qui a frappé le Sud Est asiatique en 1997-1998 ? Les IFI ont-elles une part de responsabilité ? Comment expliquer que l’Inde et le Pakistan ont relativement été épargnés par la crise ? Et la Chine ? Quelles politiques le FMI a-t-il fait appliquer après la crise ? Etait-ce bénéfique de refuser les services du FMI, comme les autorités malaises l’ont fait ? Quels ont été les effets des politiques préconisées par le FMI sur les salariés de la région ? Quel regard porter en perspective historique sur la marge de manœuvre dont ont bénéficié les autorités indonésiennes, thaïes, malaises et coréennes alliées des Etats-Unis dans le contexte de la guerre froide ? N’est-il pas pertinent de considérer qu’elles ont pu mener de fortes politiques de développement capitaliste assisté par l’Etat parce qu’elles occupaient une position stratégique face à l’ennemi socialiste ? L’implosion du bloc soviétique et le rapprochement de la Chine à l’égard des Etats-Unis n’ont-ils pas modifié les enjeux ? Et aujourd’hui les gouvernements de la région ne souhaitent-ils pas retrouver une plus grande marge de manœuvre ? Chapitre 24. La politique du FMI et de la BM à l’égard de l’Indonésie entre 1947 et 2003.. Quels enjeux économiques, stratégiques et politiques représentait l’Indonésie par rapport aux puissances étrangères qui ont dominé son existence au cours des derniers siècles (Pays-Bas, Japon, Etats-Unis, dans l’ordre chronologique) ? Quelle était la politique de Soekarno, le leader historique de l’indépendance et un des promoteurs du mouvement des non alignés lancé à Bandoeng en 1955 ? Quelle a été l’attitude de la BIRD, du FMI et des Etats-Unis ? Pourquoi ceux-ci ont-ils soutenu la dictature de Suharto dès le coup d’Etat qui l’a amené au pouvoir en 1965 jusqu’en 1998 ? A quel point ont-ils soutenu le régime ? Sont-ils impliqués indirectement dans des actes contre les droits humains, voire dans des crimes contre l’humanité ? On a vu dans le chapitre précédent le rôle des mesures recommandées par le FMI dans les facteurs qui ont entraîné la crise. Quelles mesures celui-ci a-t-il fait appliquer après l’éclatement de la crise ? Quelles en ont été les conséquences sociales et politiques ? Quelle est la situation en 2003 en terme de transfert sur la dette ? Que représente le remboursement de la dette publique dans le budget de l’Etat ?

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Chapitre 25. Le Rwanda : retour sur le génocide. Pourquoi les IFI ont-elles été les principaux bailleurs de fonds du Rwanda sous la dictature du général Habyarimana ? Pourquoi n’ont-elles arrêté leur soutien qu’au début de 1993 ? Les politiques des IFI appliquées au Rwanda en 1990 et par la suite ont-elles joué un rôle dans le drame rwandais ? Quelles étaient les principales puissances occidentales soutenant le régime d’Habyarimana ? Après le génocide et la chute du régime, quelle a été l’attitude des IFI? Pourquoi ne pas reconnaître la nature odieuse de la dette rwandaise ? Quelles puissances occidentales soutiennent le régime au pouvoir à Kigali depuis 1994 ? Chapitre 26. Le cas de la République démocratique du Congo : implications et responsabilités du FMI et de la BM dans son histoire. Pourquoi les IFI ont-elles soutenu financièrement le régime de Mobutu malgré les détournements massifs que le chef de l’Etat pratiquait au vu et au su de celles-ci ? Et les exactions du régime Mobutu à l’égard des droits humains ? Quels étaient les facteurs politiques, économiques et stratégiques en jeu ? La chute du mur de Berlin et l’implosion du bloc soviétique n’ont-elles pas modifié l’attitude des IFI à l’égard du régime de Mobutu au point de l’abandonner à son propre sort ? Quels étaient les enjeux des négociations entre le régime de Laurent-Désiré Kabila et les IFI ? Pourquoi celles-ci ont-elles capoté ? En quoi la situation a-t-elle changé après l’assassinat de L.-D. Kabila et l’accession de Joseph Kabila au pouvoir ? Un des buts de l’application à la RDC de l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE) n’est-il pas de transformer une partie des anciennes dettes odieuses de Mobutu en dettes légitimes ? Par ailleurs, cette initiative PPTE peut-elle fournir une solution à la RDC ? Chapitre 27. Amérique latine. Après 1982, quels ont été les effets de la décision des gouvernants latino-américains de se résigner à rembourser la dette ? A partir de 1993-1994, de nombreux commentateurs ont annoncé que la crise était résolue, qu’en était-il réellement ? Qui a profité de l’étatisation des dettes privées ? Dans quelle mesure le modèle de développement mis en œuvre par les classes dominantes locales a-t-il changé ? Qu’en est-il du transfert net sur la dette et du transfert financier net ? Un pays peut-il se développer sans une consolidation de son marché intérieur ? 2.4. Les questions traitées dans la quatrième partie : Perspectives. Chapitre 28. Pistes pour des alternatives Comment sortir du modèle économique néolibéral appliqué depuis les années 1980 ? A la base du modèle, on retrouve le recours systématique à l’endettement. Comment sortir d’une économie d’endettement ? Et pourquoi ? Ne faut-il pas partir de la satisfaction des droits humains ? Ne s’agit-il pas de mettre les politiques économiques au service des humains dans le respect de l’environnement ? Pourquoi faut-il mettre fin à l’hémorragie de ressources en annulant la dette publique externe des PED ? Quels sont les fondements juridiques de l’annulation de la dette ? Etant donné que l’annulation de la dette ne suffit pas, quelles autres mesures doivent être prises ? La participation citoyenne à la détermination des priorités, à l’élaboration et au choix des projets ne constituent-elles pas des conditions fondamentales de réussite ? De même, le contrôle populaire sur l’utilisation des moyens financiers et humains mis en œuvre, n’est-il pas essentiel ? Comment mettre en place un modèle de développement socialement juste et écologiquement soutenable sans retomber dans un cycle d’endettement ? Quelles sont les sources alternatives de financement non génératrices de dette ? La question de la redistribution de la richesse n’est-elle pas centrale ? Et puis, ne faut-il pas se poser la question : qui doit à qui ? Dans cette perspective, ne faut-il pas prendre en compte la demande de réparation émise notamment par des mouvements sociaux africains à la conférence des Nations unies à Durban en août 2001 ? En dehors du cadre international, quelles mesures peuvent être prises dans un cadre national par les autorités des PED pour mobiliser des ressources ? Dans un cadre international, quelles mesures peuvent être prises pour opérer un transfert du Centre vers la Périphérie ? Ne faut-il pas revoir de fond en comble l’aide publique au développement ? En fait, ne s’agit-il pas de substituer à une logique de développement déterminée par les créanciers (qui sont les « donateurs ») et entièrement influencée par les forces dominants le marché mondial, une logique de développement endogène et intégré ? Cela n’implique-t-il pas de favoriser les synergies Sud-Sud en faisant fonctionner à plein les complémentarités et en développant les économies d’échelle? Ne faut-il pas

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réintégrer dans le domaine public une série de secteurs et d’entreprises qui ont été privatisés ? Ne faut-il pas abandonner les politiques d’ajustement structurel ? Comment agir sur le commerce international ? Ne faut-il pas garantir le droit de circulation des personnes ? Quelle nouvelle discipline financière ? Comme il ne s’agit pas de renoncer complètement au recours à l’endettement, quelles mesures prudentielles et démocratiques mettre en place pour éviter de retomber dans les travers du passé ? Quelles mesures complémentaires faut-il mettre en place dans des domaines aussi différents que les rapports homme/femme, les dépenses militaires, le droit à l’emploi? Comment promouvoir les biens communs de l’humanité en les mettant en relation avec les droits humains ? Dans quel sens repenser l’architecture institutionnelle internationale ? Quel avenir pour le FMI, la BIRD et l’OMC ? Les réformer radicalement ou les remplacer ? Comment redéfinir les missions des institutions internationales chargées des politiques monétaires, financières et commerciales ? La clé de voûte de la nouvelle architecture mondiale ne devrait-elle pas être l’Organisation des Nations unies, elle-même réformée ? Considération finale Bien que ces questions, en général, ne soient pas formulées de manière explicite dans le corps même de la thèse, elles sont à la base de la démarche, tant dans la recherche que dans la rédaction finale. La présentation de celles-ci dans l’introduction a permis de présenter la cohérence de l’ensemble du travail ainsi que la progression dans la dissertation qui après s’être concentrée sur la compréhension du réel a abouti à la phase propositionnelle en terme d’alternative. Alternative qui, comme dans la République de Platon, comporte une dimension utopique1.

1 Utopique mais pas irréaliste. A tort l’utopie est trop souvent assimilée à un projet irréalisable et à une démarche qui ne part pas du réel.

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Remerciements Toute ma gratitude à l’égard de Denise Comanne, Sébastien Dibling, Damien Millet et Hugo Ruiz Diaz Balbuena. Mes remerciements aux nombreuses personnes qui m’ont soutenu dans ce projet.

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Introduction générale de la thèse 1. Structure La thèse est constituée de quatre parties. La première partie , composée de quatre chapitres, aborde les transformations du capitalisme mondial intervenues depuis 1979 de différents points de vue : l’évolution des conditions d’existence des populations de la planète (chapitre 1), l’évolution du capital vers une concentration accentuée menant à une situation d’oligopole (chapitre 2), l’évolution de la hiérarchie dans l’économie-monde en prenant en compte notamment les investissements à l’étranger et le commerce (chapitre 3), les étapes de la déréglementation financière et l’entrée en crise de la mondialisation financière (chapitre 4). Cette première partie permet de cerner le cadre d’ensemble dans lequel évoluent et interviennent la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et le Fonds monétaire international. Ces deux institutions seront au cœur de l’analyse de la deuxième partie. La deuxième partie , constituée de 18 chapitres, analyse sous différents angles la problématique de la dette, de l’ajustement structurel et des politiques développées par la BIRD et le Fonds monétaire international. De prime abord, sont analysées les crises de la dette de la Périphérie qui ont précédé la fondation de la BIRD et du FMI (chapitre 5). Ensuite, sont retracées les origines des deux institutions financières internationales et leur évolution jusqu’au début du XXIe siècle (chapitre 6). Les données actuelles de l’endettement du tiers-monde et de la Périphérie en général sont résumées au chapitre 7. Les chapitres 8 et 9 présentent comment la BIRD a envisagé la problématique du développement des origines à aujourd’hui. Les chapitres 10, 11, 12 et 13 montrent la dimension politique des actions de la BIRD et du FMI dans leur relation avec l’ONU, les Etats-Unis, les autres grandes puissances capitalistes et la Périphérie. Les chapitres 14, 15, 16, 17 et 18 dissèquent la crise de la dette initiée au début des années 1980 et les politiques d’ajustement structurel qui ont été développées depuis. Le chapitre 19 résume les traits principaux de l’OMC en relation avec les PED. Il met en exergue la logique commune qui domine l’action du FMI, de la BIRD et de l’OMC. Le chapitre 20 synthétise les symptômes de la crise de légitimité que traversent les institutions de Brettons Woods et observe les réactions de celles-ci ainsi que les termes du débat aux Etats-Unis. Les chapitres 21 et 22 concluent la deuxième partie de la thèse en envisageant les différentes formes de transferts de la Périphérie vers le Centre et le rôle de l’Aide publique au développement. La troisième partie est constituée de cinq études de cas. Est étudiée l’intervention de la BIRD et du FMI dans deux continents (Asie et Amérique latine) et trois pays (Indonésie, Rwanda et République démocratique du Congo). La quatrième et ultime partie propose des pistes alternatives aux politiques développées par la BIRD et le FMI à l’égard des PED. 2. Question centrale et sous-questions La question centrale à laquelle cette thèse répond est la suivante : quels sont les enjeux politiques de l’intervention de la BIRD et du FMI à l’égard des PED ? Pour répondre à cette question générale sont déclinées ci-après des sous-questions auxquelles l’auteur a apporté des réponses. Les réponses révèlent les mécanismes en action et permettent d’analyser très précisément le comportement des IFI, leur évolution et les enjeux politiques par rapport auxquels elles déterminent leurs choix. Voici un relevé des principales sous questions dans l’ordre de succession des 28 chapitres que comporte la thèse.

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2.1. Les questions abordées dans la première partie : Contexte des transformations du capitalisme mondial. Chapitre 1. Montée des inégalités et dégradation des conditions de vie dans un monde globalisé.. Quelle est l’évolution des conditions de vie des populations de la planète depuis la généralisation progressive des politiques néolibérales qui coïncide avec le début de la crise de la dette ? Le bilan globalement positif que tirent les IFI de l’évolution des vingt-cinq dernières années est-il justifié ? La BIRD mesure-t-elle de manière adéquate la pauvreté dans les PED ? Y a-t-il un lien entre l’évolution des conditions de vie des populations d’une région donnée du monde et l’application des politiques recommandées par les IFI ? Comment se déclinent les effets de la mondialisation néolibérale sur les classes sociales, sur les sexes et dans le domaine de l’environnement ? La fin du chapitre 1 renvoie à une question complémentaire : le fait qu’une personne comme Joseph Stiglitz qui a occupé une fonction clé dans l’establishment de la mondialisation adopte une posture résolument critique à l’égard des politiques conduites par le FMI et la BIRD a-t-il une importance historique ? Chapitre 2. La mondialisation du capital : croissance des transnationales. Chapitre 3. La mondialisation excluante : marginalisation de la Périphérie et renforcement de la Triade. Chapitre 4.. Mondialisation financière en crise.. Les questions abordées dans ces chapitres sont essentiellement les suivantes : Comment ont évolué les entreprises transnationales au cours du processus de mondialisation ? A quelle catégorie de pays la majorité des transnationales est-elle directement liée ? Comment évoluent les rapports Centre–Périphérie mesurés notamment en fonction de l’investissement étranger et du poids dans le commerce international (deux critères clés selon la BIRD et le FMI) ? Y a-t-il un lien entre les politiques de déréglementation financière recommandées par les IFI et l’éclatement de crises à répétition ? La crise du modèle des Etats-Unis concerne-t-elle le reste du monde ? 2.2. Les questions traitées dans la deuxième partie : La dette, l’ajustement structurel, les politiques du FMI et de la BIRD. Chapitre 5. Retour dans le passé : Les crises de la dette du début du 19e siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale.. Quelles sont les caractéristiques des crises de la dette qui ont touché les pays de la Périphérie du début du XIXe siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale ? Comment se sont-elles dénouées ? Y a-t-il eu des expériences de suspension de paiement ? Quelles ont été les réactions des grandes puissances créancières ? Chapitre 6. Le FMI et le Groupe de la Banque mondiale : des origines à nos jours. Quels étaient les enjeux politiques et économiques des débats qui ont présidé à la création du FMI et de la BIRD ? Quelles étaient leurs fonctions principales à l’origine et comment celles-ci ont-elles évolué ? Quels sont les rapports de force entre Centre et Périphérie au sein des IFI ? Quel est le poids particulier des Etats-Unis ? Quelles sont les relations entre le FMI et la BIRD ? Chapitre 7. Quelques caractéristiques des dettes des PED. Quelles sont les caractéristiques principales des dettes des PED ? Qui est prêteur net ? Les pays les plus industrialisés ou les PED ? Chapitre 8. La vision du développement reprise par la Banque. Chapitre 9. Banque mondiale : productivisme, priorité à l’exportation et à la croissance. Quels sont les modèles utilisés par la BIRD pour appréhender les problèmes du développement ? Comment ont influé, sur la BIRD, les choix du gouvernement des Etats-Unis dans l’immédiat après seconde guerre mondiale par rapport à la reconstruction de l’Europe ? Les prêts ou les dons sont-ils envisagés comme moyen d’influencer la politique des pays récipiendaires ? Comment la vision de la BIRD en terme de développement des PED l’a poussée à privilégier l’endettement et l’effort tourné vers les exportations ? Pourquoi l’endettement est-il défini comme condition du décollage économique ? L’inégalité dans la distribution des revenus est-elle considérée comme un facteur

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influençant le développement ? Quelles ont été les priorités de la BIRD en terme de projets à financer ? Quels ont été les effets de la révolution verte ? La croissance est-elle synonyme de développement humain ? La BIRD et le FMI ont-ils fini par mettre un bémol à la dimension productiviste de leur politique ? Chapitre 10. La BIRD, l’ONU et les revendications des PED. Dès leur création lors de la conférence monétaire et financière des Nations unies, la BIRD et le FMI faisaient partie de l’architecture onusienne en construction, comment pratiquement ont été instituées les relations entre les IFI et l’ONU ? La BIRD et le FMI sont-ils tenus de respecter les obligations énoncées dans la Charte des Nations unies, incluant l’obligation de respecter les droits humains ? Ou bien le respect de ceux-ci n’est-il qu’un acte de bonne volonté de leur part ? Pourquoi et comment l’Association internationale pour le développement (AID) a-t-elle été fondée ? Quels enjeux politiques ont pesé ? Comment la BIRD et le FMI se sont-ils positionnés face aux revendications des PED qui se sont exprimées au sein de l’ONU et à travers la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) ? Comment la CNUCED a-t-elle évolué ? Chapitre 11. Relations entre la Banque mondiale et les Etats-Unis. La BIRD est-elle une grande institution qui s’est progressivement affranchie de l’influence des Etats ? Nous avons vu, dans les chapitres qui précèdent, qu’à plusieurs reprises l’influence des Etats-Unis sur la BIRD a été déterminante, comment s’exerce cette influence ? A travers l’analyse d’exemples concrets, quelles conclusions tirer du rôle du gouvernement des Etats-Unis dans les choix opérés par la BIRD ? Quels sont les enjeux politiques ? Dans certains cas, y a-t-il convergence d’intérêt entre le gouvernement des Etats-Unis et d’autres grandes puissances ? A certaines périodes, des tensions se sont-elles exprimées entre la direction de la BIRD et les Etats-Unis ? Quel jugement porte le gouvernement des Etats-Unis sur la BIRD ? Y a-t-il des relations étroites entre le grand capital états-unien et la BIRD ? Chapitre 12. La BIRD sous la présidence de Robert McNamara. Robert McNamara a exercé le mandat de président de la BIRD pendant une longue période (1968-1981) juste avant que n’éclate la crise de la dette. Quel était le contexte politique international ? Quelles sont les caractéristiques politiques de cette présidence ? Chapitre 13. Poids du facteur politique dans les choix de la Banque mondiale et du FMI. En résumé, quel est le poids du facteur politique dans les choix de la BIRD et du FMI ? Comment la BIRD s’est-elle dotée d’instruments adéquats pour exercer une influence sur certains Etats ? Quels étaient les principaux critères politiques qui déterminaient les choix de la BIRD et du FMI à l’époque de la guerre froide ? Cinq pays sont envisagés. Chapitre 14. La crise de la dette du tiers-monde des années 1980-1990. Quelles sont les origines de la crise de la dette qui a éclaté au début de la décennie 1980 ? Quels étaient les différents protagonistes ? Quelles étaient leurs motivations ? Quels ont été les détonateurs de la crise ? Chapitre 15. Banque mondiale/ FMI et la crise de la dette. Au cours des décennies 60 et 70, la BIRD et le FMI étaient-ils conscients des dangers qu’entraînait l’endettement croissant des PED ? Quel était le raisonnement de la BIRD pour accroître l’endettement ? La BIRD a-t-elle une part de responsabilité dans l’éclatement de la crise ? Chapitre 16. Les programmes d'ajustement structurel définis par le FMI et la BM. Chapitre 17. Les deux phases de l’ajustement structurel. Chapitre 18. Approche des effets globaux des politiques d’ajustement structurel. Lorsque la crise a éclaté, comment la BIRD et le FMI se sont-ils comportés ? Comment est-on passé des politiques d’ajustement au Consensus de Washington ? Comment la BIRD et le FMI ont-ils renforcé leur collaboration ? Avec quel impact pour les pays endettés ? En quoi consiste l’ajustement structurel ? Quel impact humain ? Quel impact économique ? Quels sont les enjeux politiques de l’ajustement structurel notamment en ce qui concerne le rôle de l’Etat dans les PED ?

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Chapitre 19. Le FMI, la Banque mondiale et l’OMC : dette extérieure, règles commerciales et plans d’ajustement structurel. A plusieurs endroits de la dissertation a été mise en évidence la place centrale qu’occupent les politiques commerciales dans les mesures économiques recommandées par la BIRD et du FMI, quelles relations ces deux institutions entretiennent-elles avec l’OMC ? Y a-t-il une convergence entre leurs politiques ? Y a-t-il une cohérence d’ensemble ? Leurs politiques ont-elles un impact sur les droits de l’homme ? Chapitre 20. Banque mondiale / FMI : de la crise de la dette à la crise de légitimité. La gestion de la crise de la dette par les institutions de Bretton Woods a-t-elle provoqué un effet boomerang sur elles ? Peut-on parler de crise de légitimité ? La crise a-t-elle des répercussions sur les relations entre ces institutions et les Etats-Unis ? Chapitre 21. Les transferts de la Périphérie vers le Centre. Depuis l’éclatement de la crise de la dette, quel est l’ampleur du transfert financier lié au remboursement de la dette ? Comment expliquer que les classes dominantes des pays endettés acceptent ce transfert ? A ce stade de la thèse, on a abordé principalement le transfert financier lié à la dette ainsi que les facteurs politiques en jeu. Y a-t-il d’autres formes de transferts de la Périphérie vers le Centre ? Quels sont-ils ? Chapitre 22. APD et enjeux politiques. Quels sont les enjeux politiques de l’Aide publique au développement (APD) ? L’APD peut-elle constituer une source d’endettement ? 2.3. Les questions traitées dans la troisième partie : Etudes de cas. Chapitre 23. La crise du Sud Est asiatique. Quelles sont les causes de la crise qui a frappé le Sud Est asiatique en 1997-1998 ? Les IFI ont-elles une part de responsabilité ? Comment expliquer que l’Inde et le Pakistan ont relativement été épargnés par la crise ? Et la Chine ? Quelles politiques le FMI a-t-il fait appliquer après la crise ? Etait-ce bénéfique de refuser les services du FMI, comme les autorités malaises l’ont fait ? Quels ont été les effets des politiques préconisées par le FMI sur les salariés de la région ? Quel regard porter en perspective historique sur la marge de manœuvre dont ont bénéficié les autorités indonésiennes, thaïes, malaises et coréennes alliées des Etats-Unis dans le contexte de la guerre froide ? N’est-il pas pertinent de considérer qu’elles ont pu mener de fortes politiques de développement capitaliste assisté par l’Etat parce qu’elles occupaient une position stratégique face à l’ennemi socialiste ? L’implosion du bloc soviétique et le rapprochement de la Chine à l’égard des Etats-Unis n’ont-ils pas modifié les enjeux ? Et aujourd’hui les gouvernements de la région ne souhaitent-ils pas retrouver une plus grande marge de manœuvre ? Chapitre 24. La politique du FMI et de la BM à l’égard de l’Indonésie entre 1947 et 2003.. Quels enjeux économiques, stratégiques et politiques représentait l’Indonésie par rapport aux puissances étrangères qui ont dominé son existence au cours des derniers siècles (Pays-Bas, Japon, Etats-Unis, dans l’ordre chronologique) ? Quelle était la politique de Soekarno, le leader historique de l’indépendance et un des promoteurs du mouvement des non alignés lancé à Bandoeng en 1955 ? Quelle a été l’attitude de la BIRD, du FMI et des Etats-Unis ? Pourquoi ceux-ci ont-ils soutenu la dictature de Suharto dès le coup d’Etat qui l’a amené au pouvoir en 1965 jusqu’en 1998 ? A quel point ont-ils soutenu le régime ? Sont-ils impliqués indirectement dans des actes contre les droits humains, voire dans des crimes contre l’humanité ? On a vu dans le chapitre précédent le rôle des mesures recommandées par le FMI dans les facteurs qui ont entraîné la crise. Quelles mesures celui-ci a-t-il fait appliquer après l’éclatement de la crise ? Quelles en ont été les conséquences sociales et politiques ? Quelle est la situation en 2003 en terme de transfert sur la dette ? Que représente le remboursement de la dette publique dans le budget de l’Etat ?

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Chapitre 25. Le Rwanda : retour sur le génocide. Pourquoi les IFI ont-elles été les principaux bailleurs de fonds du Rwanda sous la dictature du général Habyarimana ? Pourquoi n’ont-elles arrêté leur soutien qu’au début de 1993 ? Les politiques des IFI appliquées au Rwanda en 1990 et par la suite ont-elles joué un rôle dans le drame rwandais ? Quelles étaient les principales puissances occidentales soutenant le régime d’Habyarimana ? Après le génocide et la chute du régime, quelle a été l’attitude des IFI? Pourquoi ne pas reconnaître la nature odieuse de la dette rwandaise ? Quelles puissances occidentales soutiennent le régime au pouvoir à Kigali depuis 1994 ? Chapitre 26. Le cas de la République démocratique du Congo : implications et responsabilités du FMI et de la BM dans son histoire. Pourquoi les IFI ont-elles soutenu financièrement le régime de Mobutu malgré les détournements massifs que le chef de l’Etat pratiquait au vu et au su de celles-ci ? Et les exactions du régime Mobutu à l’égard des droits humains ? Quels étaient les facteurs politiques, économiques et stratégiques en jeu ? La chute du mur de Berlin et l’implosion du bloc soviétique n’ont-elles pas modifié l’attitude des IFI à l’égard du régime de Mobutu au point de l’abandonner à son propre sort ? Quels étaient les enjeux des négociations entre le régime de Laurent-Désiré Kabila et les IFI ? Pourquoi celles-ci ont-elles capoté ? En quoi la situation a-t-elle changé après l’assassinat de L.-D. Kabila et l’accession de Joseph Kabila au pouvoir ? Un des buts de l’application à la RDC de l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE) n’est-il pas de transformer une partie des anciennes dettes odieuses de Mobutu en dettes légitimes ? Par ailleurs, cette initiative PPTE peut-elle fournir une solution à la RDC ? Chapitre 27. Amérique latine. Après 1982, quels ont été les effets de la décision des gouvernants latino-américains de se résigner à rembourser la dette ? A partir de 1993-1994, de nombreux commentateurs ont annoncé que la crise était résolue, qu’en était-il réellement ? Qui a profité de l’étatisation des dettes privées ? Dans quelle mesure le modèle de développement mis en œuvre par les classes dominantes locales a-t-il changé ? Qu’en est-il du transfert net sur la dette et du transfert financier net ? Un pays peut-il se développer sans une consolidation de son marché intérieur ? 2.4. Les questions traitées dans la quatrième partie : Perspectives. Chapitre 28. Pistes pour des alternatives Comment sortir du modèle économique néolibéral appliqué depuis les années 1980 ? A la base du modèle, on retrouve le recours systématique à l’endettement. Comment sortir d’une économie d’endettement ? Et pourquoi ? Ne faut-il pas partir de la satisfaction des droits humains ? Ne s’agit-il pas de mettre les politiques économiques au service des humains dans le respect de l’environnement ? Pourquoi faut-il mettre fin à l’hémorragie de ressources en annulant la dette publique externe des PED ? Quels sont les fondements juridiques de l’annulation de la dette ? Etant donné que l’annulation de la dette ne suffit pas, quelles autres mesures doivent être prises ? La participation citoyenne à la détermination des priorités, à l’élaboration et au choix des projets ne constituent-elles pas des conditions fondamentales de réussite ? De même, le contrôle populaire sur l’utilisation des moyens financiers et humains mis en œuvre, n’est-il pas essentiel ? Comment mettre en place un modèle de développement socialement juste et écologiquement soutenable sans retomber dans un cycle d’endettement ? Quelles sont les sources alternatives de financement non génératrices de dette ? La question de la redistribution de la richesse n’est-elle pas centrale ? Et puis, ne faut-il pas se poser la question : qui doit à qui ? Dans cette perspective, ne faut-il pas prendre en compte la demande de réparation émise notamment par des mouvements sociaux africains à la conférence des Nations unies à Durban en août 2001 ? En dehors du cadre international, quelles mesures peuvent être prises dans un cadre national par les autorités des PED pour mobiliser des ressources ? Dans un cadre international, quelles mesures peuvent être prises pour opérer un transfert du Centre vers la Périphérie ? Ne faut-il pas revoir de fond en comble l’aide publique au développement ? En fait, ne s’agit-il pas de substituer à une logique de développement déterminée par les créanciers (qui sont les « donateurs ») et entièrement influencée par les forces dominants le marché mondial, une logique de développement endogène et intégré ? Cela n’implique-t-il pas de favoriser les synergies Sud-Sud en faisant fonctionner à plein les complémentarités et en développant les économies d’échelle? Ne faut-il pas

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réintégrer dans le domaine public une série de secteurs et d’entreprises qui ont été privatisés ? Ne faut-il pas abandonner les politiques d’ajustement structurel ? Comment agir sur le commerce international ? Ne faut-il pas garantir le droit de circulation des personnes ? Quelle nouvelle discipline financière ? Comme il ne s’agit pas de renoncer complètement au recours à l’endettement, quelles mesures prudentielles et démocratiques mettre en place pour éviter de retomber dans les travers du passé ? Quelles mesures complémentaires faut-il mettre en place dans des domaines aussi différents que les rapports homme/femme, les dépenses militaires, le droit à l’emploi? Comment promouvoir les biens communs de l’humanité en les mettant en relation avec les droits humains ? Dans quel sens repenser l’architecture institutionnelle internationale ? Quel avenir pour le FMI, la BIRD et l’OMC ? Les réformer radicalement ou les remplacer ? Comment redéfinir les missions des institutions internationales chargées des politiques monétaires, financières et commerciales ? La clé de voûte de la nouvelle architecture mondiale ne devrait-elle pas être l’Organisation des Nations unies, elle-même réformée ? Considération finale Bien que ces questions, en général, ne soient pas formulées de manière explicite dans le corps même de la thèse, elles sont à la base de la démarche, tant dans la recherche que dans la rédaction finale. La présentation de celles-ci dans l’introduction a permis de présenter la cohérence de l’ensemble du travail ainsi que la progression dans la dissertation qui après s’être concentrée sur la compréhension du réel a abouti à la phase propositionnelle en terme d’alternative. Alternative qui, comme dans la République de Platon, comporte une dimension utopique1.

1 Utopique mais pas irréaliste. A tort l’utopie est trop souvent assimilée à un projet irréalisable et à une démarche qui ne part pas du réel.

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Remerciements Toute ma gratitude à l’égard de Denise Comanne, Sébastien Dibling, Damien Millet et Hugo Ruiz Diaz Balbuena. Mes remerciements aux nombreuses personnes qui m’ont soutenu dans ce projet.

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Abréviations

ADPIC Accords sur les droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce BAfD Banque africaine de développement BAD Banque asiatique de développement AGCS Accord général sur le commerce des services AID Association internationale de développement (groupe BM) AMGI Agence multilatérale de garantie des investissements (groupe BM) APD Aide publique au développement ATTAC Association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens BCE Banque centrale européenne BIRD Banque internationale pour la reconstruction et le développement (groupe BM) BM Banque mondiale BRI Banque des règlements internationaux CNUCED Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement CIRDI Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (groupe BM) DSRP Document de stratégie de réduction de la pauvreté DTS Droit de tirage spécial FAO Food and Agriculture Organization (Organisme de l’ONU pour l’Alimentation et l’Agriculture) FAS Facilité d’ajustement structurel FASR Facilité d’ajustement structurel renforcée FMI Fonds monétaire international FRPC Facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance GAO General Accounting Office IDH Indicateur de développement humain IPH Indicateur de la pauvreté humaine IFI Institutions financières internationales ISI Industrialisation par substitution d’importation LIBOR Taux interbancaire offert à Londres NEPAD Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (New Partnership for Africa’s

Development) OCDE Organisation de coopération et de développement économiques OGM Organisme génétiquement modifié OIT Organisation internationale du travail OMC Organisation mondiale du commerce OMS Organisation mondiale de la santé ONG Organisation non gouvernementale ONU Organisation des Nations unies OPEP Organisation des pays exportateurs de pétrole OUA Organisation de l’unité africaine, remplacée par l’Union africaine en 2002 PAS Plan d’ajustement structurel PED Pays en développement PIB Produit intérieur brut PMA Pays les moins avancés PNB Produit national brut PNUD Programme des Nations unies pour le développement PPTE Pays pauvre très endetté PVD Pays en voie de développement SFI Société financière internationale (groupe BM) UE Union européenne URSS Union des républiques socialistes soviétiques VAN Valeur actuelle nette

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Terminologie employée dans la thèse pour désigner les Pays en développement

1. Un vocabulaire qui n’est pas neutre 1 Les termes utilisés pour désigner les pays connaissant des problèmes de développement traduisent les divergences théoriques et politiques en matière d’analyse et de stratégie. Ces divergences portent généralement sur les contenus sociaux des concepts économiques : les catégories de l’économie sont souvent présentées comme reflétant des lois naturelles dans lesquelles les rapports sociaux et les rapports de forces ont peu de place. Ainsi, la conception du sous-développement comme étant un simple retard parfois imputé à des causes naturelles domine-t-elle.

1. Pays sous-développés : c’est le terme le plus ancien mais qui est peu à peu tombé en désuétude parce qu’il impliquait une référence aux pays développés, elle-même renvoyant à une idée de simple retard, et parce qu’il est vite apparu comme péjoratif. 2. Pays en voie de développement ou en développement : ces expressions sont moins péjoratives que la première mais elles s’inscrivent dans la même problématique de retard. De plus elles préjugent d’une amélioration de la situation qui n’est pas toujours vérifiée. 3. Pays les moins avancés : terme utilisé dans les classifications des instances internationales mais qui cumule tous les défauts précédents. 4. Tiers-monde : terme inventé par Alfred Sauvy2 en 1952 (par analogie avec le tiers-état) et qui a connu un grand succès au moment de la guerre froide pour nommer tous les pays affichant une volonté d’indépendance tant à l’égard des Etats-Unis que de l’URSS. Deux faits ont rendu l’utilisation du terme plus délicate bien que l’habitude ait subsisté : d’une part la disparition de l’URSS et du bloc autour de celle-ci et d’autre part l’hétérogénéité croissante des anciens pays du tiers-monde depuis qu’une partie d’entre eux ont connu un véritable développement économique, voire, pour quelques-uns, ont rejoint les pays développés. 5. Pays pauvres : terme qui met l’accent sur la caractéristique la plus importante dans le cas de beaucoup de pays mais qui a l’inconvénient d’occulter les inégalités criantes qui y existent. 6. Pays du Sud : terme commode pour stigmatiser la fracture avec les pays du Nord de la planète souvent développés et dominants mais qui a le double défaut de passer sous silence de nombreuses exceptions à cette classification géographique et de laisser croire à un fatalisme naturel. 7. Pays de la périphérie du capitalisme : terme appartenant aux problématiques structuraliste et marxiste ou marxisante mettant en évidence les phénomènes de domination à l’intérieur d’un capitalisme mondial dominé par le centre impérialiste. 8. Pays émergents : terme récent désignant les économies ayant amorcé un processus de développement indéniable qui les fait se détacher de l’ensemble autrefois plus homogène du tiers-monde, la Chine, l’Inde et le Brésil en étant les principaux exemples ; à ce terme est assez souvent substitué celui de « marchés émergents » et cette substitution traduit bien la vision néo-libérale d’un développement qui ne pourrait passer que par l’insertion dans la division internationale du travail imposée par la mondialisation financière. 9. Pays en transition : euphémisme pour désigner les pays de l’Est de l’Europe qui, après l’effondrement de l’URSS et l’éclatement du bloc soviétique, ont suivi un processus de restauration capitaliste. Avertissement: Dans la thèse sont utilisés comme des synonymes : tiers-monde, pays du Sud, Sud, Périphérie, pays en développement (PED). Les pays de l’ex-bloc soviétique sont rangés dans la Périphérie. Ces termes sont généralement utilisés par opposition à : Triade, (principaux) pays capitalistes industrialisés, pays du Nord, Nord, Centre, pays impérialistes, considérés comme des synonymes également.

1 Les précisions concernant les huit premiers termes sont reprises de ATTAC, 2004 (sous la coordination de J.M. Harribey), Le développement a-t-il un avenir? Pour une société solidaire et économe, Paris, Fayard. 2 Alfred Sauvy : “ Nous parlons volontiers des deux mondes en présence (le monde capitaliste et le monde socialiste. C’est moi qui précise), de leur guerre possible, de leur coexistence, etc., oubliant trop souvent qu’il en existe un troisième, le plus important, et en somme, le premier dans la chronologie. C’est l’ensemble de ceux que l’on appelle, en style Nations-Unies, les pays sous-développés. (…) Les pays sous-développés, le 3e monde, sont entrés dans une phase nouvelle (…). Car enfin ce Tiers Monde ignoré, exploité, méprisé comme le Tiers Etat, veut, lui aussi, être quelque chose ” in L’Observateur, 14 août 1952, n°118, p.14)

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Liste des 165 PED selon notre recensement Asie de l’Est et Pacifique Brunei, Cambodge, Chine, Corée du Nord, Corée du Sud, Fidji, Indonésie, Kiribati, Laos, Malaisie, Marshall (Iles), Micronésie (États fédéraux), Mongolie, Myanmar, Nauru, Palau, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Philippines, Salomon (Iles), Samoa, Singapour, Thaïlande, Timor Oriental, Tonga, Tuvalu, Vanuatu, Vietnam. Amérique latine et Caraïbes Antigua-et-Barbuda, Argentine, Bahamas, Barbade, Belize, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Cuba, Dominicaine (Rép.), Dominique, Équateur, Grenade, Guatemala, Guyana, Haïti, Honduras, Jamaïque, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, Ste-Lucie, St-Kitts-et-Nevis, St-Vincent et Grenadines, Salvador, Suriname, Trinité et Tobago, Uruguay, Venezuela. Moyen Orient et Afrique du Nord Algérie, Arabie Saoudite, Bahreïn, Chypre, Djibouti, Égypte, Émirats arabes unis, Irak, Iran, Israël, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Malte, Maroc, Oman, Qatar, Syrie, Tunisie, Turquie3, Yémen, Zones sous administration palestinienne. Asie du Sud Afghanistan, Bangladesh, Bhoutan, Inde, Maldives, Népal, Pakistan, Sri Lanka. Afrique subsaharienne Afrique du Sud, Angola, Bénin, Botswana, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Cap-Vert, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Érythrée, Éthiopie, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Kenya, Lesotho, Liberia, Madagascar, Malawi, Mali, Maurice, Mauritanie, Mozambique, Namibie, Niger, Nigeria, Ouganda, République démocratique du Congo (RDC), Rwanda, São Tomé et Principe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Swaziland, Tanzanie, Tchad, Togo, Zambie, Zimbabwe. Ex-bloc soviétique Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Bosnie Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Estonie, Géorgie, Hongrie, Kazakhstan, Kirghizie, Lettonie, Lituanie, Macédoine, Moldavie, Ouzbékistan, Pologne, Roumanie, Russie, Slovaquie, Slovénie, Tadjikistan, Tchèque (Rép.), Turkménistan, Ukraine, Yougoslavie. Triade Allemagne, Andorre, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Irlande, Islande, Italie, Japon, Liechtenstein, Luxembourg, Monaco, Norvège, Nouvelle Zélande, Pays-Bas, Portugal, Royaume Uni, Suède, Suisse. Liste des 42 pays pauvres très endettés Angola, Bénin, Bolivie, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Comores, Congo, Côte d'Ivoire, Éthiopie, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Guyana, Honduras, Kenya, Laos, Libéria, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Mozambique, Myanmar, Nicaragua, Niger, Ouganda, République Centrafricaine, République démocratique du Congo, Rwanda, Sao Tomé et Principe, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Tanzanie, Tchad, Togo, Vietnam, Yémen, Zambie. Liste des 27 PPTE ayant atteint le point de décision en mai 2004 Bénin, Bolivie, Burkina Faso, Cameroun, Éthiopie, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Guyana, Honduras, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Mozambique, Nicaragua, Niger, Ouganda, République démocratique du Congo (RDC), Rwanda, Sao Tomé et Principe, Sénégal, Sierra Leone, Tanzanie, Tchad, Zambie.

3 Contrairement à la Banque mondiale, nous avons incorporé la Turquie à la catégorie « Moyen-Orient et Afrique du Nord ». Toutes les données chiffrées que nous fournissons en tiennent compte.

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Classification des pays en développement en fonction de leur niveau d'endettement

Sévèrement endetté Sévèrement endetté Modérément endetté Modérément endetté Faiblement endetté Faiblement endettéRevenu faible Revenu moyen Revenu faible Revenu moyen Revenu faible Revenu moyen

Angola Argentine Bénin Bulgarie Arménie AlbanieBhoutan Belize Burkina Faso Chili Azerbaïdjan AlgérieBurundi Brésil Cambodge Colombie Bangladesh BiélorussieCentrafrique Dominique Cameroun Croatie Guinée Equatoriale BolivieTchad Equateur Erithrée Grenade Haïti Bosnie HerzégovineComores Estonie Gambie Honduras Inde BotswanaCongo (RD) Gabon Géorgie Hongrie Lesotho Cap-VertCongo (République) Guyana Ghana Kazakhstan Madagascar ChineCôte d'Ivoire Jamaïque Guinée Lituanie Mozambique Costa RicaEthiopie Jordanie Kenya Malaisie Iles Salomon République TchèqueGuinée-Bissau Latvia Malawi Maroc Tanzanie DjiboutiIndonésie Liban Mali Philippines Ouganda République DominicaineKirghizistan Panama Mauritanie Russie (Fédération) Ukraine EgypteLaos Pérou Moldavie Samoa Vietnam El SalvadorLiberia Serbie et Monténégro Népal Slovaquie (République) Yémen FidjiMyanmar Syrie Niger Sri Lanka GuatemalaNicaragua Turquie Pakistan St-Kitts-et-Nevis IranNigeria Uruguay Sénégal St-Lucie MacédoinePapouasie-Nouvelle Guinée Ouzbékistan St-Vincent et Grenadines MaldivesRwanda Zimbabwe Thaïlande MauritiusSão Tomé et Principe Tunisie MexiqueSierra Leone Turkménistan OmanSomalie ParaguaySoudan PologneTadjikistan RoumanieTogo SeychellesZambie Afrique du Sud

SwazilandTongaTrinité et TobagoVanuatuVenezuela

Critères de classification

REVENU

Sévèrement endetté Modérément endetté Faiblement endettéRevenu faible Revenu faible Revenu faible

Sévèrement endetté Modérément endetté Faiblement endettéRevenu moyen Revenu moyen Revenu moyen

VAN est la valeur actuelle nette du service de la detteX représente les exportations de biens et servicesPNB est le produit national brut

Source : World Bank, Global Development Finance, 2004, p.230

Revenu faible: PNB/hab est égal à 735$ ou moins

Revenu moyen: PNB/hab est compris entre 736$ et

9.075$

ENDETTEMENT

VAN / X est supérieur à 220% ou VAN / PNB

est supérieur à 80%

VAN / X est compris entre 220% et

132% ou VAN / PNB est compris

entre 80% et 48%

VAN / X est inférieur à 132% ou VAN / PNB est inférieur à

48%

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Classification en fonction du continent et du niveau de revenu

Amériques

Revenu faible* Angola Bénin Cambodge Afghanistan Azerbaïdjan Yémen HaïtiBurundi Burkina Faso Indonésie Bangladesh Géorgie NicaraguaComores Cameroun Corée du Nord Bhoutan KirghizistanCongo Centrafrique Laos Inde Moldavie

(Rép Dém) Tchad Mongolie Népal TadjikistanErithrée Congo (Rép) Myanmar Pakistan OusbékistanEthiopie Côte d'Ivoire Papouasie-Kenya Gambie Nouvelle-GuinéeLesotho Ghana Iles SalomonMadagascar Guinée Timor orientalMalawi équatoriale VietnamMozambique Guinée BissauRwanda LiberiaSomalie MaliSoudan MauritanieTanzanie NigerOuganda NigériaZambie São Tomé Zimbabwé et Principe

SénégalSierra LeoneTogo

Revenu moyen inférieur** Namibie Cap-Vert Chine Maldives Albanie Turquie Iran Algérie BolivieArfique du Sud Fidji Sri Lanka Arménie Iraq Djibouti BrésilSwaziland Kiribati Bélarusse Jordanie Egypte Colombie

Iles Marshall Bosnie et Syrie Maroc CubaMicronésie Herzégovine Zones Tunisie Rép. DominicainePhilippines Bulgarie sous administration EquateurSamoa Kazakhstan palestinienne El SalvadorThaïland Macédoine GuatemalaTonga Roumanie GuyanaVanuatu Russie (Féd) Honduras

Serbie et Jamaïque Monténégro ParaguayTurkménistan PérouUkraine St-Vincent et

GrenadinesSuriname

supérieur*** Botswana Gabon Malaisie Croatie Liban Libye ArgentineMauritius Tchèque Rep Oman BelizeMayotte Estonie Arabie Saoudite ChiliSeychelles Hongrie Costa Rica

Latvia DominiqueLituanie GrenadePologne MexiqueSlovaquie Panama

St-Kitts-et-NevisSt-LucieTrinité et TobagoUruguayVenezuela

* PNB/hab < $735** $735 < PNB/hab < $2935*** $2936 < PNB/hab < $9076

Afrique sub-saharienne Europe de l'Est et Asie

centraleGroupe de revenu Sous groupe

Afrique de l'Est et du Sud

Afrique de l'Ouest

Asie de l'Est et Pacifique

Asie du Sud

Moyen OrientAfrique du

Nord

Moyen Orient et Afrique du NordAsie

Europe et Asie centrale

Reste de l'Europe

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Amériques

Revenu élevé* OCDE Australie Autriche CanadaJapon Belgique Etats-UnisCorée du Sud DanemarkNouvelle Zélande Finlande

FranceAllemagneGrèceIslandeIrelandeItalieLuxembourgPays-BasNorvègePortugalEspagneSuèdeSuisseGrande Bretagne

Non-OCDE Brunei Slovénie Andore Bahreïn Malte Antigua-et-BarbudaPolynésie Française Chypre Israël ArubaHong Kong Lichtenchtein Koweït BahamasMacao Monaco Qatar BarbadeNouvelle Calédonie St Marin Emirats arabes unis BermudaSingapour Iles CaymanTaiwan Antilles néerlandaises

Porto Rico

* (PNB/hab > $9076)

Source : World Bank, Global Development Finance, 2004, p.230

Moyen OrientAfrique du

Nord

Moyen Orient et Afrique du Nord

Reste de l'Europe

AsieAfrique de l'Est

et du SudAfrique de

l'OuestAsie de l'Est et

PacifiqueAsie du

Sud

Afrique sub-saharienneEurope et Asie centrale

Europe de l'Est et Asie

centraleGroupe de revenu Sous groupe

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Table des matières INTRODUCTION…………………………………………………………………………...…i Remerciements……………………………………………………………………………..…vii Abréviations………………………………………………………………………………........1 Terminologie employée dans la thèse…………………………………………………………2 Liste des 165 PED……………………………………………………………………………..3 Classification des PED en fonction de leur niveau d’endettement………………………….…4 Classification en fonction du continent et du niveau de revenu……………………………......5 PARTIE 1. CONTEXTE DES TRANSFORMATIONS DU CAPITALISME MONDIAL .. 16 Chapitre 1 Montée des inégalités et dégradation des conditions de vie dans un monde globalisé ..... 17 1.1. Le cadre général....................................................................................................... 17 1.1.1. Chômage massif..........................................................................................................18 1.1.1.1. Pays capitalistes industrialisés...........................................................................................................18 1.1.1.2. Au sein de l'ex-bloc de l'Est ...............................................................................................................19 1.1.1.3. Dans le tiers-monde............................................................................................................................19 1.1.2. Inégalité accentuée dans la distribution des revenus et baisse des revenus des classes

populaires....................................................................................................................19 1.1.2.1. Au niveau mondial .............................................................................................................................19 1.1.2.2. Dans le tiers-monde............................................................................................................................22 1.1.2.3. Dans les pays de l’ex-bloc soviétique ...............................................................................................24 1.1.2.4. Dans les pays capitalistes les plus industrialisés ..............................................................................24 1.1.3. La dégradation des conditions de vie dans le monde vue par le PNUD, le PNUE, l’OMS

et l’UNICEF................................................................................................................26 1.1.3.1. Tiers-monde ........................................................................................................................................26 1.1.3.2. Ex-bloc soviétique..............................................................................................................................28 1.1.3.3. Pays les plus industrialisés.................................................................................................................28 1.1.4. Féminisation de la pauvreté et oppression des femmes.................................................30 1.1.5. Mondialisation de la crise écologique..........................................................................32 1.1.5.1. Pollution et épuisement des ressources .............................................................................................33 1.1.6. Conclusions.................................................................................................................35 Chapitre 2 La mondialisation du capital : croissance des transnationales ............................................ 40 2.1. Vague d’acquisitions / fusions d’entreprises et concentration du capital ............ 40 2.2. Situation d’oligopole ............................................................................................... 41 2.3. Evolution des transnationales : rôle accru des actifs financiers pour les

transnationales industrielles .................................................................................... 43 2.4. Les transnationales se mettent hors marché : le commerce intra-firme............... 44

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Chapitre 3 La mondialisation excluante marginalisation de la Périphérie et renforcement de la Triade ........................................... 45 3.1. Les investissements directs à l’étranger (IDE) ...................................................... 47 3.2 Les investissements intra-triadiques....................................................................... 49 3.3. Renforcement de la Triade...................................................................................... 50 3.4. Les quatre “ dragons ” d’Asie : l’exception ?........................................................ 51 3.5. Augmentation de la subordination de la majorité des pays du tiers-monde par

rapport aux centres impérialistes ............................................................................ 52 3.6. Les trois ensembles régionaux au sein de la Triade .............................................. 52 3.6.1. L'ensemble Etats-Unis / Canada/Mexique....................................................................52 3.6.2. Autour du Japon, s'est constitué un ensemble de l’Extrême-Orient...............................53 3.6.3. L'ensemble européen ...................................................................................................53 3.7. Recentrage sur la Triade.......................................................................................... 54 3.8. Commerce mondial : les échanges entre les pays industrialisés dominent.......... 55 Chapitre 4 Mondialisation financière en crise............................................................................................ 57 4.1. La financiarisation / déréglementation sur le plan d’ensemble ............................ 57 4.2. Les étapes de la déréglementation financière ........................................................ 60 4.3. Les principaux acteurs sur les marchés financiers ................................................ 60 4.4. Evolution des actifs financiers par type d’investisseur de 1980 à 1998 .............. 61 4.5. Crise du modèle de la « corporate governance »................................................... 62 4.6. La crise du modèle des Etats-Unis concerne-t-elle le reste du monde ?.............. 64 PARTIE 2. LA DETTE, L’AJUSTEMENT STRUCTUREL, LES POLITIQUES DU FMI ET DE LA BIRD.......................................................................... 66 Chapitre 5 Retour dans le passé : Les crises de la dette du début du 19e siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale ......................................................................................... 67 5.1. Les précédentes crises de la dette au XIXe siècle et au début du XXe siècle ....... 67 5.1.1. Périphérie et dépendance financière.............................................................................67 5.1.2. Dettes de l’Egypte .......................................................................................................68 5.1.3. Les crises de la dette extérieure de l’Amérique latine aux XIXe et XXe siècles..............69 5.1.3.1. Le Mexique 1914-1942 ou comment l’attitude ferme d’un pays endetté peut-être payante .........70 5.1.3.2. La crise de la dette de l’Amérique latine dans les années 1930......................................................71 5.1.3.3. Le non-paiement de leur dette extérieure par quatorze Etats latino-américains.............................72 5.1.3.4. Refus de payer la dette et décollage économique.............................................................................73 5.2. Attitude des Etats-Unis et des créanciers européens face à la suspension de

paiement de la dette ................................................................................................. 74 Chapitre 6 Le FMI et le Groupe de la Banque mondiale : des origines à nos jours ............................. 76 6.1. Bretton Woods : Naissance du FMI et de la Banque mondiale ............................ 76 6.1.1. Fonds monétaire international (FMI) ...........................................................................77 6.1.1.1. Objectifs du FMI ................................................................................................................................77

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6.1.1.2. Comment fonctionne le FMI ?...........................................................................................................79 6.1.1.3. Des déséquilibres manifestes dans le mécanisme de pondération des voix....................................81 6.1.1.4. Quand la crise frappe un de ses États membres, le premier intervenant est en général le FMI. ...83 6.1.1.5. Des critiques de Michel Aglieta et Sandra Moatti............................................................................84 6.1.2. Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) – Groupe

Banque mondiale.........................................................................................................85 6.1.2.1. Mode de gouvernement de la Banque...............................................................................................86 6.1.2.2. Débuts de la Banque mondiale : le Plan Marshall supplante la BIRD dans la tâche de

reconstruction......................................................................................................................................87 6.1.2.3. Présentation des cinq composantes du Groupe de la Banque mondiale .........................................88 6.1.3. Relations BM-FMI ......................................................................................................91 6.1.4. Genèse de l’ajustement structurel et du Consensus de Washington...............................92 Chapitre 7 Quelques caractéristiques des dettes des PED........................................................................ 93 7.1. Le rôle des institutions multilatérales..................................................................... 95 7.2. L'hémorragie de capitaux liés au remboursement de la dette ............................... 96 7.2.1. Les PED sont des prêteurs nets à l’égard des pays développés .....................................97 7.2.2. L'évolution récente des types de créances : la titrisation...............................................98 7.2.2.1. En quoi consiste la titrisation ?..........................................................................................................98 Chapitre 8 La vision du développement reprise par la Banque.............................................................101 8.1. Le modèle HOS (Heckscher – Ohlin – Samuelson)............................................102 8.2. Arthur Lewis et le modèle d’économie duale avec offre illimitée de main-

d’œuvre...................................................................................................................102 8.3. Les cinq étapes de la croissance économique selon Walt W. Rostow...............103 8.4. Le modèle Harrod – Domar ..................................................................................104 8.5. Insuffisance de l’épargne et nécessité de recourir au financement extérieur ....105 8.6. Le modèle à double déficit de Chenery et Strout ................................................107 8.7. Le contexte de l’après seconde guerre mondiale, le Plan Marshall et l’aide

bilatérale des Etats-Unis........................................................................................108 8.8. La volonté de pousser les PED à recourir à l’aide extérieure en tant que moyen

de les influencer.....................................................................................................109 8.9. Privilégier les exportations....................................................................................110 8.10. La question des inégalités dans la distribution des revenus................................111 Chapitre 9 Banque mondiale : productivisme, priorité à l’exportation et à la croissance ................113 9.1. La violence de la révolution verte ........................................................................113 9.2. Priorité aux cultures pour l’exportation, à l’élevage et à l’exploitation forestière .. ................................................................................................................................115 9.3. La frénésie des méga-projets énergétiques ..........................................................116 9.4. La foi aveugle dans la croissance et dans le modèle productiviste ....................116 9.5. Le cynisme poussé à l’extrême en interne à la Banque ......................................117 9.6. Le FMI fait preuve du même aveuglement dans la croissance...........................118 9.7. Un exemple emblématique de la poursuite du modèle productiviste: l’oléoduc

Tchad Cameroun....................................................................................................120 9.8. Epilogue .................................................................................................................121

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Chapitre 10 La BIRD, l’ONU et les revendications des PED...................................................................122 10.1. La Charte des Nations unies et les institutions spécialisées ...............................122 10.2. Les relations difficiles entre l’ONU, la BIRD et le FMI : retour sur le début des

relations ..................................................................................................................124 10.3. La création de la SFI et de l’AID .........................................................................126 10.4. CNUCED : de l’espoir du Nouvel Ordre Economique International au repli dans

le contexte de la crise de la dette et du néolibéralisme .......................................127 Chapitre 11 Relations entre la Banque mondiale et les Etats-Unis .........................................................131 11.1. Retour sur l’origine de la BIRD et l’influence des Etats-Unis ...........................133 11.2. Le président de la BIRD a toujours été un citoyen des Etats-Unis proposé par le

gouvernement des Etats-Unis ...............................................................................135 11.3. Le droit de veto des Etats-Unis à la BM ..............................................................135 11.4. L’influence des Etats-Unis sur la Banque dans des cas précis de pays .............136 11.4.1. Le Nicaragua et le Guatemala....................................................................................136 11.4.2. La Yougoslavie .........................................................................................................137 11.4.3. Le Chili.....................................................................................................................138 11.4.4. Le Vietnam ...............................................................................................................139 11.4.5. Conclusion concernant les cas précis de pays.............................................................139 11.5. L’influence des Etats-Unis en matière de prêts sectoriels ..................................140 11.6. Cas de convergence entre les Etats-Unis et d’autres puissances........................140 11.6.1. Le projet du barrage d’Assouan de Gamal Abdel Nasser en Egypte ...........................140 11.6.2. L’occupation et la reconstruction de l’Iraq.................................................................142 11.7. L’influence des Etats-Unis dans la naissance de l’AID ......................................143 11.8. Divergences entre la direction de la Banque mondiale et les Etats-Unis...........143 11.9. L’influence des Etats-Unis vue par l’Exécutif.....................................................145 11.10. Les bénéfices financiers que retirent les Etats-Unis de l’existence de la BM et de

leur influence sur elle ............................................................................................146 11.11. L’influence des milieux d’affaires et du grand capital sur la BIRD ..................146 Chapitre 12 La BIRD sous la présidence de Robert Robert McNamara ...............................................148 Chapitre 13 Poids du facteur politique dans les choix de la Banque mondiale et du FMI ..................153 13.1. Aspect politique et géopolitique...........................................................................153 13.2. Pouvoir d'intervention dans les économies nationales ........................................153 13.3. La politique de prêt de la Banque mondiale est influencée par des considérations

politiques et géostratégiques.................................................................................154 13.4. La partialité politique des IFI : exemples de soutien financier aux dictatures ..156 Chapitre 14 La crise de la dette du tiers-monde des années 1980-1990..................................................162 14.1. Années 1960 et 1970 : le gonflement de l’endettement......................................162

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14.1.1. Aux origines de la crise de la dette : naissance du marché des eurodollars..................163 14.1.2. Augmentation des prêts de la Banque mondiale .........................................................163 14.1.3. Recyclage des pétrodollars ........................................................................................163 14.1.4. La responsabilité des banquiers du Nord....................................................................164 14.1.5. Crise économique mondiale de 1974-1975 et poursuite de la politique des prêts ........164 14.2. Des prêts pour quoi faire ? ....................................................................................165 14.2.1. Enrichissement des gouvernants du Sud : corrupteurs du Nord et corrompus..............165 14.2.2. Un exemple de méga-projet énergétique : Le barrage d’Inga au Congo-Zaïre.............166 14.3. Le tournant d’octobre 1979...................................................................................167 14.4. L’éclatement de la crise de la dette du tiers-monde : l’étranglement financier.168 14.4.1. Les effets de la hausse des taux d’intérêt....................................................................168 14.4.2. La contraction des marchés d’exportation et la baisse des revenus qui en a découlé ont

provoqué un déficit commercial pour les pays du Sud................................................170 Chapitre 15 Banque mondiale/ FMI et la crise de la dette........................................................................172 15.1. De 1960 jusqu’à 1970, les signaux d’alerte n’ont pas manqué ..........................172 15.2. Le raisonnement tenu par la BM pour accroître l’endettement..........................175 15.3. Aveuglement de la BM .........................................................................................177 15.4. La responsabilité de la Banque.............................................................................178 15.4.1. Les projections de la Banque et du FMI après l’éclatement de la crise........................179 15.4.2. Prévisions erronées concernant les prix sur le marché mondial...................................180 15.5. Banque mondiale : instrument de pompage des ressources des pays du Sud....181 Chapitre 16 Les programmes d'ajustement structurel définis par le FMI et la BM............................182 Chapitre 17 Les deux phases de l’ajustement structurel ..........................................................................188 17.1. Première phase: la stabilisation économique à court terme................................188 17.1.1. Dévaluation et hausse des taux d’intérêt ....................................................................188 17.1.2. Austérité budgétaire ..................................................................................................189 17.1.3. Libéralisation des prix ...............................................................................................191 17.1.4. Fixation des prix des produits pétroliers et des services publics..................................191 17.1.5. Désindexation des salaires.........................................................................................192 17.2. Deuxième phase : l’ajustement structurel proprement dit ..................................192 17.2.1. Libéralisation du commerce.......................................................................................192 17.2.2. Libéralisation du système bancaire, indépendance de la banque centrale, abandon des

contrôles sur les mouvements de capitaux et sur les changes......................................193 17.2.3. Privatisation des entreprises publiques.......................................................................194 17.2.4. Réforme de la taxation...............................................................................................194 17.2.5. Privatisation de la terre..............................................................................................194 17.2.6. Marché du travail ......................................................................................................195 17.2.7. Syndicats...................................................................................................................195 17.2.8. Système de retraite ....................................................................................................196 17.2.9. Pauvreté et filets de sécurité sociale...........................................................................197 17.2.10. Good governance (Bonne gouvernance) ....................................................................197 17.3. La faisabilité des politiques d’austérité................................................................198

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Chapitre 18 Approche des effets globaux des politiques d’ajustement structurel................................203 18.1. Conséquences sociales des PAS...........................................................................203 18.1.1. Au niveau de l’enseignement.....................................................................................203 18.1.2. Au niveau de la santé.................................................................................................204 18.1.3. Coûts sociaux présentés comme des effets collatéraux...............................................205 18.2. Effets économiques des politiques d’ajustement.................................................205 18.3. Effets politiques.....................................................................................................206 18.4. Diminuer le rôle de l’Etat et supprimer tout projet national autocentré ............207 Chapitre 19 Le FMI, la Banque mondiale et l’OMC : dette extérieure, règles commerciales et plans d’ajustement structurel ............................................................................................................210 19.1. L’Organisation mondiale du commerce...............................................................210 19.1.1. L’OMC, de l’Accord de Marrakech (1994) à Doha (2001) et à Cancun ( 2003)..........210 19.1.2. La philosophie de l’OMC ..........................................................................................211 19.1.3. La déréglementation réglementée ..............................................................................212 19.1.4. Les Accords de l’OMC et la protection des Droits de l’homme..................................212 19.2. Dette et commerce : les liens étroits entre la BM, le FMI et l’OMC .................213 19.2.1. Le rôle convergent de chaque institution....................................................................213 19.2.2. Coopération entre les trois institutions dans le processus de libéralisation intégrale du

commerce..................................................................................................................216 19.2.3. Contenu et portée des accords de coopération............................................................216 19.3. Le FMI et la Banque mondiale : la libéralisation du commerce et la privatisation

en tant que logique des plans d’ajustement structurel.........................................218 Chapitre 20 Banque mondiale / FMI : de la crise de la dette à la crise de légitimité ...........................220 20.1. Rapport Wapenhans (1992) sur la BM.................................................................220 20.2. 1994-2001 : succession de crises..........................................................................220 20.3. A partir de 1996 : l’initiative pour la réduction des dettes des PPTE ................220 20.4. Tentative de reprendre l’offensive avec la stratégie de réduction de la pauvreté.... ................................................................................................................................222 20.5. Crise de légitimité sans précédent ........................................................................222 20.6. Débats au sein du pouvoir aux Etats-Unis sur l’avenir de la BM.......................223 Chapitre 21 Les transferts de la Périphérie vers le Centre.......................................................................226 21.1. Formes prises par le transfert de richesses...........................................................226 21.1.1. Remboursement de la dette........................................................................................226 21.1.2. Différence de taux d’intérêt entre Sud et Nord ...........................................................232 21.1.3. Dégradation des termes de l’échange.........................................................................234 21.1.4. Contrôle du commerce mondial par les sociétés transnationales du Nord ...................236 21.1.5. Rapatriement des bénéfices des sociétés transnationales implantées dans le tiers-monde 237 21.1.6. Privatisation des entreprises publiques du Sud ...........................................................238 21.1.7. Brevets, royalties, droits de propriété intellectuelle ....................................................239 21.1.9. Transfert des capitaux de la Périphérie vers le Centre ................................................244

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21.1.10. Transfert de “ cerveaux ” du Sud vers le Nord ...........................................................246 21.2. Pertes des économies du Sud dues au protectionnisme du Nord........................247 21.2.1. Protectionnisme du Nord à l’égard des produits du Sud .............................................247 21.2.2. Limitation du droit des citoyens du Sud à chercher du travail au Nord .......................247 21.3. Stagnation de l’APD et hausse des envois des migrants.....................................248 Chapitre 22 APD et enjeux politiques ..........................................................................................................251 PARTIE 3. ETUDE DE CAS....................................................................................................260 Chapitre 23 Etude de cas La crise du Sud Est asiatique ..................................................................................................261 23.1. Echec et mat pour les quatre « tigres » d’Asie ....................................................262 23.2. La crise boursière internationale de 1997 ............................................................264 23.3. Le FMI à propos des « tigres » asiatiques............................................................265 23.4. Le FMI et la crise coréenne ..................................................................................266 23.5. Quelles sont les causes de la crise coréenne ? .....................................................267 23.6. La Chine.................................................................................................................268 23.7. L’Inde et le Pakistan ont été relativement épargnés par la crise financière grâce à

leur protectionnisme..............................................................................................268 23.8. Le Japon et les Etats-Unis .....................................................................................269 23.9. La Malaisie.............................................................................................................269 23.10. L’ajustement structurel imposé par le FMI à la Corée, à la Thaïlande et à

l’Indonésie..............................................................................................................270 Chapitre 24 Etude de cas La politique du FMI et de la BM à l’égard de l’Indonésie entre 1947 et 2003 ................273 24.1. Contexte .................................................................................................................273 24.1.1. Une pièce capitale de l’échiquier asiatique.................................................................273 24.1.2. La colonie aux mille profits.......................................................................................274 24.2. IFI : des réticences à l’égard du président Soekarno à l’appui au dictateur

Suharto ...................................................................................................................275 24.2.1. L’ère Soekarno : l’affirmation de l’indépendance ......................................................275 24.2.2. Le coup d’Etat du 30 septembre 1965 ........................................................................277 24.2.3. L’ère Suharto : « l’Ordre Nouveau »..........................................................................277 24.3. Le régime Suharto soutenu puis lâché par la BM, le FMI et les Etats-Unis ......278 24.3.1. La corruption.............................................................................................................278 24.3.2. Le soutien des IFI à une oppression multiforme.........................................................280 24.3.2.1. Le Timor oriental..............................................................................................................................280 24.3.2.2. Le projet de transmigration..............................................................................................................281 24.4. La crise de 1997-1998 dans le sud-est asiatique..................................................283 24.5. La dette indonésienne aujourd'hui........................................................................284 24.5.1. Evolution du stock de la dette extérieure publique indonésienne................................285 24.5.2. Une hémorragie continue de capitaux........................................................................286

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Chapitre 25 Etude de cas Le Rwanda : retour sur le génocide........................................................................................287 25.1. Retour sur le génocide de 1994 ............................................................................287 25.2. Les politiques mises en œuvre par les institutions financières multilatérales ...287 25.3. Utilisation des prêts internationaux pour préparer le génocide ..........................288 25.4. La montée des contradictions sociales .................................................................289 25.5. Les créanciers du génocide ...................................................................................290 25.6. La situation après le génocide...............................................................................290 Chapitre 26 Etude de cas Le cas de la République démocratique du Congo : implications et responsabilités du FMI et de la BM dans son histoire..........................................................................................292 26.1. Un soutien solide au clan Mobutu........................................................................292 26.2. L’origine de l’endettement à l’époque du Zaïre ..................................................294 26.3. Kabila I : le bouleversement inachevé .................................................................296 26.4. Kabila II : la soumission enthousiaste..................................................................297 26.5. Le tour de passe-passe de l'initiative PPTE .........................................................298 Chapitre 27 Etude de cas Amérique latine .........................................................................................................................302 27.1. 1982-… : la quatrième crise de la dette latino-américaine .................................302 27.2. La politique des gouvernements latino-américains dans les années 1990.........303 27.3. Etatisation des dettes privées, privatisation des entreprises, dépression sur le

marché intérieur et dépendance accrue à l’égard du capital étranger.................304 27.4. 1994 – 2003 : Nouveau cycle de crises et de transferts nets négatifs pour

l’Amérique latine...................................................................................................306 PARTIE 4. PERSPECTIVES .....................................................................................................308 Chapitre 28 Pistes pour des alternatives......................................................................................................309 28.1. Briser le cycle infernal de la dette ........................................................................311 28.1.1. Fondements juridiques de l’annulation de la dette......................................................314 28.1.1.1. La "Dette odieuse"............................................................................................................................314 28.1.1.2. La “ force majeure ” et le “ changement fondamental de circonstances ”....................................318 28.1.1.3. L’état de nécessité ............................................................................................................................319 28.2. Des ressources supplémentaires pour financer le développement .....................319 28.2.1. Rétrocéder aux citoyennes et citoyens des PED ce qui leur a été dérobé.....................320 28.2.2. Nationalisation/socialisation des biens détenus par les régimes dictatoriaux dans leur

propre pays ...............................................................................................................321 28.2.3. Mettre à l’amende les capitalistes fraudeurs...............................................................322 28.2.4. Réforme monétaire redistributive ..............................................................................322 28.2.5. Dans un cadre international, mettre en place des taxes globales..................................322

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28.2.5.1. Taxe de type Tobin...........................................................................................................................322 28.2.5.2. Taxes sur les IDE, sur les bénéfices des transnationales et autres taxes globales........................323 28.2.6. Porter l’aide publique au développement (APD) à au moins 0,7% du PIB et en réformer

complètement l’esprit. Plutôt que d’APD, parlons de Fonds de réparations ................324 28.2.7. Instaurer un impôt exceptionnel sur le patrimoine des grosses fortunes......................324 28.3. Une nouvelle logique de développement.............................................................325 28.3.1. Mettre fin aux plans d’ajustement structurel ..............................................................326 28.3.2. Assurer le retour dans le domaine public des secteurs stratégiques qui ont été privatisés . .................................................................................................................................327 28.3.3. Adopter des modèles de développement partiellement autocentrés.............................327 28.3.4. Agir sur le commerce ................................................................................................327 28.3.5. Garantir aux personnes le droit de circulation et d’établissement................................328 28.4. Nouvelle discipline financière et démocratie.......................................................329 28.4.5. Contrôle démocratique de la politique d’endettement.................................................330 28.5. Mesures complémentaires indispensables ...........................................................330 28.6. Quel avenir pour le FMI, la Banque mondiale et l’OMC ? ................................332 CONCLUSIONS DE LA THESE..............................................................................................337 Bibliographie ...............................................................................................................................341 Dans cette thèse, sont employés indifféremment les termes Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), Banque mondiale (BM), groupe Banque mondiale.

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Partie 1

Contexte des transformations du capitalisme mondial

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Chapitre 1

Montée des inégalités et dégradation des conditions de vie

dans un monde globalisé

« Les nouvelles sont actuellement très encourageantes : la réalité suggère que l’inégalité mondiale se réduit ». Anne Krueger, ex-économiste en chef de la Banque mondiale (1982-1987) pendant le premier mandat présidentiel de R.

Reagan, première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international (FMI) depuis septembre 2001.

Extrait du discours prononcé le 18 juin 2003 à Saint-Pétersbourg. Selon la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI), les résultats de la mondialisation en cours sont globalement positifs et les conditions de vie ont tendance à s’améliorer à l’échelle de la planète, tant dans les pays à haut revenu que dans les autres. Le bilan réel est pourtant bien sombre. La dégradation des conditions de vie et l’inégalité croissante sont avérées à l’échelle planétaire. C’est ce qu’indique ce premier chapitre sur la base de données fournies principalement par des institutions spécialisées de l’ONU : le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et de développement), l’OMS (Organisation mondiale de la santé), l’UNICEF (Fonds des Nations unies pour l’enfance), le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’environnement). Le chapitre montre également que les critères utilisés par la Banque mondiale pour évaluer la pauvreté sont particulièrement discutables. Sans se départir des réserves exprimées plus haut, la constatation suivante peut être tirée des données diffusées par la Banque: les régions du monde qui ont appliqué le plus fermement les politiques recommandées par la Banque mondiale ont toutes connu une augmentation de la pauvreté absolue. Il s’agit de l’Amérique latine et de la Caraïbe, de l’Afrique subsaharienne et de l’ex-bloc soviétique. Ces trois grands ensembles ont été soumis chacun à au moins dix ans d’ajustement structurel continu et tous ont connu une augmentation du nombre d’indigents. Ce chapitre affirme aussi que l'équilibre écologique mondial est gravement menacé par le modèle économique actuel et que les femmes sont en première ligne pour subir les conséquences sociales les plus dramatiques. Le fait qu’une personne comme Joseph Stiglitz critique ouvertement l’orientation néolibérale combiné au développement du mouvement altermondialiste montre que l’humanité est une nouvelle fois à la croisée des chemins, à un moment décisif de l’histoire, comme dans l’entre deux guerres mondiales au siècle dernier.

1.1. Le cadre général

A partir de l’éclatement de la crise de la dette en 1982, l’influence déjà non négligeable de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international dans les pays en développement (PED) a

progressivement augmenté. La crise se prolongeant, le nombre de pays ayant adopté des politiques

proches de celles recommandées par la BM et le FMI s’est accru. La dégradation des conditions de vie d’une partie importante de la population dans un nombre

considérable de PED a-t-elle eu lieu en dépit de l’intervention de la Banque mondiale et du FMI ou au contraire est-elle liée à l’application des politiques recommandées par ces institutions ? Les pays qui

ont appliqué le plus activement les politiques de la BM et du FMI ont-il connu une réduction de la

pauvreté et des inégalités ? La réponse apportée dans ce chapitre est négative.

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D’ailleurs, en dehors des PED, les pays les plus industrialisés qui ont été le plus loin dans l’application

des politiques néolibérales ont vu également augmenter plus fortement chez eux la pauvreté et les inégalités. C’est ce que montre le chapitre en citant notamment les recherches du PNUD, qui a mis au

point un indice de la pauvreté humaine appliqué aux pays les plus industrialisés.

Depuis la crise de 1973 – 1975 (première récession mondiale après la seconde guerre mondiale),

suivie d’une deuxième récession mondiale en 1980 – 1982 et de l’éclatement de la crise de la dette des

PED à partir de 1982, le monde a connu d'importants bouleversements qui ont détérioré progressivement les conditions de vie de la majorité de la population de la planète : un chômage

massif s'est installé de manière durable, l'inégalité de la répartition des richesses s'est fortement accrue et les revenus des classes populaires ont peu progressé, voire baissé. Il faudrait y ajouter les effets

humains de la fermeture des frontières des pays les plus industrialisés aux flux migratoires, de

l’augmentation du recours à la violence lors des conflits, de la dégradation de l’environnement (effet de serre, pollution, déforestation massive…), de la déréglementation de la production alimentaire, de

la généralisation de la culture hollywoodienne. Les guerres à caractère impérial ont fait un retour

marquant au cours des premières années du troisième millénaire.

Au cours de la période 1945 – 1980, selon des rythmes et des degrés différents, les populations des pays actuellement rangés dans la catégorie PED avaient connu une progression des revenus monétaires

et des conditions de vie (généralisation de l’utilisation de médicaments réduisant la mortalité, larges

campagnes de vaccination, développement d’infrastructures sanitaires de base, augmentation de la scolarisation…). A partir de 1982, l’éclatement de la crise de la dette et la généralisation des politiques

d’ajustement (qui seront analysées en détail plus loin), exigées par la Banque mondiale et le FMI, ont

entraîné une dégradation des conditions de vie qui a d’abord affecté les pays d’Amérique latine et de la Caraïbe, d’Afrique et de l’ex-bloc soviétique, pour atteindre plus tard l’Asie (sauf la Chine où, selon

les autorités, le nombre absolu de pauvres aurait diminué de 200 millions). Chute de la croissance économique, explosion de la bulle spéculative boursière, effondrement du

mythe de la “nouvelle économie”, instabilité des changes, faillites retentissantes, crises économiques

et financières à répétition dans les pays de la Périphérie : plus de vingt ans de politique néolibérale aboutissent à un fiasco en terme de croissance et de stabilité. Le bilan humain et environnemental est

négatif, catastrophique sous plusieurs aspects. Si on y ajoute le retour à une forte augmentation des

dépenses en armement, le tableau général est inquiétant.

1.1.1. Chômage massif

1.1.1.1. Pays capitalistes industrialisés. En ne considérant que les pays qui faisaient déjà partie de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) en 1993, trente sept

millions de chômeurs étaient recensés officiellement en 1996, soit trois fois plus qu'au début des

années 1970, pour une population totale à croissance quasi nulle. Le taux moyen de chômage a plus que doublé, passant de 3,2% pour la période 1960-1973 à 7,3% pour 1980-1994.

Après une courte période (1998 – 2000) de reprise économique au cours de laquelle le chômage a

baissé, le début des années 2000 a été marqué par une très forte vague de licenciements massifs (deux

millions et demi de personnes licenciées aux Etats-Unis entre mars 2001 et mars 2003) qui a touché presque tous les secteurs d’activité et tous les pays.

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En réalité, les chiffres officiels sous-estiment systématiquement la gravité et l’ampleur du chômage car

ils ne prennent pas en compte plusieurs catégories de sans-emploi. La déréglementation du marché du travail a permis de passer d’un “chômage déclaré” à des formes de “chômage déguisé” en créant des

emplois mal rémunérés et peu productifs. 1.1.1.2. Au sein de l'ex-bloc de l'Est, le chômage a progressé fortement depuis le début des années

1990. Commentant la situation en Europe centrale, Catherine Samary relève que « l’ancien plein emploi planifié a été remplacé par un chômage structurel massif dépassant souvent les 20%, alors que, même dans les pays 'gagnants', les grandes entreprises, éléments moteurs de régions entières, n’ont pas été restructurées selon les nouveaux critères » 1.

1.1.1.3. Dans le tiers-monde, où les statistiques sous-estiment systématiquement la réalité du

chômage, le BIT considère qu'il manque au moins un milliard de postes de travail pour procurer une activité régulièrement rémunérée à chacun. L'application des plans d'ajustement structurel y a entraîné

une forte augmentation du chômage pour plusieurs raisons :

- la réduction massive des effectifs du secteur public ; - la dépression du marché intérieur qui entraîne de nombreuses faillites d'entreprises ;

- la politique du “tout à l'exportation” au niveau agricole qui supprime les cultures d'autosubsistance et accélère l'exode rural (départ vers les villes – et leurs bidonvilles – d’une masse

impressionnante de sans-emploi).

Selon le BIT, la crise du Sud-Est asiatique initiée en 1997 et son cortège de politiques d’ajustement

structurel ont entraîné la perte de 23 millions d’emplois dans la région en 1998-1999. Au Mexique, en

2001, suite à la récession qui a frappé les Etats-Unis, 500.000 emplois ont été supprimés ; en Argentine, c’est autant d’emplois qui ont été perdus au cours de l’année 2002.

1.1.2. Inégalité accentuée dans la distribution des revenus et baisse des revenus des classes populaires

1.1.2.1. Au niveau mondial, l'inégalité dans la distribution des revenus s'est fortement accentuée. Les revenus de ceux qui vivent d'un salaire, de ceux qui travaillent la terre, de ceux qui sont condamnés au

chômage, reculent très nettement. Par contre, ceux qui tirent leur revenu de la possession du capital

accaparent une part croissante des richesses produites. Le rapport d'inégalité dans la répartition des revenus a doublé en trente ans à l'échelle mondiale (entre 1960 et 1990). En 2001, les 5% les plus

riches de la planète gagnaient 114 fois plus que les 5% les plus pauvres2. Selon une étude de Cornia et Kiiski (2001) citée par le PNUD, « entre les années 1980 et la seconde moitié des années 1990, les inégalités se sont creusées dans 42 des 73 pays étudiés pour lesquels des données complètes et comparables sont disponibles. Seuls 6 des 33 pays en développement (hors économies en transition) de cet échantillon ont enregistré un recul des inégalités. À l’inverse, 17 ont constaté une aggravation.

1 SAMARY, Catherine, 2003. « Le coût social élevé du passage au capitalisme », L’Atlas du Monde diplomatique, hors série de Manière de Voir, janvier 2003, p.128-129. 2 PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, 2003, p. 39.

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En d’autres termes, à l’intérieur des frontières nationales, les moyens de production et les ressources sont de plus en plus détenus par un nombre réduit d’individus » 3. Les auteurs du Rapport 2003 du PNUD poursuivent en relevant le lien qui existe entre l’accroissement des inégalités et l’éclatement de la crise de la dette : « Dans beaucoup de ces pays, mais pas dans tous, les inégalités ont commencé à s’accentuer lors de la crise de la dette, au début des années 1980 (…). Depuis, elles n’ont cessé d’augmenter, en particulier dans la Communauté des États indépendants (CEI) et dans le sud-est de l’Europe. Et elles demeurent extrêmement fortes dans une grande partie de l’Amérique latine »4 (c’est moi qui souligne).

L’augmentation des revenus des dirigeants d’entreprise est tout à fait impressionnante. Selon Business Week, en 1981, les dix PDG les mieux payés aux Etats-Unis gagnaient entre 2,3 et 5,7 millions de dollars. Vingt ans plus tard, leurs revenus étaient compris entre 64 et 706 millions de dollars (d’après

Eric Léser dans Le Monde, 9 juillet 2002).

La différence entre revenus des PDG et des travailleurs au Nord est également abyssale. Selon le

Nouvel Observateur, “ le package versé en 2000 à l’ex-patron de General Electric, Jack Welch, était équivalent au salaire de 21.578 smicards ou 9.061 salariés moyens ” (Le Nouvel Observateur, n°1964, 2002). En 2002, du fait de la baisse de la Bourse, les plus hauts salaires des dirigeants n’ont pu se

maintenir à des niveaux aussi élevés. Selon le cabinet de conseil en ressources humaines Mercer et le Wall Street Journal, le patron le mieux payé était Jeffrey C. Bakabow, PDG de Tenet Healthcare, avec

une rémunération totale de plus de 116 millions de dollars. Pourtant, sur un échantillon de 350 grandes

sociétés, “ la rémunération directe totale (en valeur médiane) a progressé de 15% à 3,02 millions de dollars ” (Les Echos, 18/04/03).

En 1995, il fallait réunir les 358 personnes les plus riches de la planète pour arriver à la somme de 1.000 milliards de dollars de fortune cumulée. Ce chiffre publié par Forbes et largement divulgué par

le PNUD faisait alors la “ une ” des médias. Six ans plus tard, ce club très restreint s’était fortement réduit : de 358, ils étaient passés à 147. En effet, en 2001, les 147 personnes les plus riches de la

planète avaient, selon la liste établie en février 2002 par la revue Forbes, une fortune cumulée de

1.000 milliards de dollars, somme égale au revenu annuel total de près de 3 milliards d’habitants de la planète (la moitié de la population mondiale).

Qu’apprend-on encore de l’étude de la revue Forbes ? Sur un total de 497 milliardaires, 240 ont obtenu leur fortune par héritage. En 2001, le monde comptait 83 milliardaires de moins qu’en 2000 :

l’éclatement de la bulle boursière et l’effondrement de la “ nouvelle économie ” sont passés par là. Bill Gates, le patron de Microsoft, restait malgré cela l’homme le plus riche. La moitié des milliardaires de

la planète sont citoyens d’Amérique du Nord, deux sont chinois.

Au-delà des milliardaires, qu’en est-il des millionnaires ? La banque d’affaire Merrill Lynch et le

consultant en gestion de fortunes Cap Gemini Ernst and Young recensent les millionnaires en dollars à l’échelle planétaire. Depuis 1997, chaque année, ces deux entreprises publient un « Rapport mondial

sur la richesse» (World Wealth report) destiné aux plus riches à qui les deux sociétés proposent leurs

3 CORNIA, Giovanni Andrea et KIISHI, Sampsa. 2001. « Trends in Income Distribution in the Post World War II Period : Evidence and Interpretation », UNU/WIDER Discussion Paper 2001/89. Université des Nations unies, Institut mondial pour la recherche sur l’économie et le développement, Helsinski, in PNUD, 2003, p. 39. 4 PNUD. 2003. Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris.

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services. En 2002, il y avait 7,3 millions de millionnaires en dollars (un peu plus d’un millième de la population mondiale). Les actifs dont ils disposaient s’élevaient à 27.200 milliards de dollars5.

Les actifs dont dispose le millième (0,1%) le plus riche de la population mondiale représente environ

25 fois le revenu annuel de la moitié de la population mondiale (3 milliards d’habitants). Alors que la

situation économique de la majorité de la population stagnait ou se dégradait, les actifs des millionnaires de la planète progressaient de 18% en 1999, de 6% en 2000, de 3% en 2001 et de 3,6%

en 20026.

Ces millionnaires constituent la classe capitaliste “mondiale”. Celle-ci est composée d’une majorité de

riches résidents au Nord, mais les riches du Sud y occupent une place non négligeable. Les millionnaires d’Amérique latine détenaient en 2000, 2001 et 2002 environ 13% du total. Pourquoi les

données mentionnées plus haut ne font-elles jamais la "une" des journaux ? Pourquoi ne figurent-elles

pas en bonne place dans les rapports de la Banque mondiale ? L’absence d’information à ce propos ne vise-t-elle pas à brouiller les cartes ? Il est tellement plus aisé de mettre l’accent sur l’opposition entre

l’ensemble du Nord présenté comme entité homogène vivant dans le confort et l’ensemble du Sud

vivant chichement. Une telle présentation, cent fois répétée, permet d’occulter l’opposition de classe qui divise, d’une part, l’ensemble des capitalistes de la planète (ceux des pays les plus industrialisés

comme ceux des pays périphériques) qui vivent de leur fortune et, d’autre part, les hommes et les femmes qui dépendent essentiellement de leur force de travail (qu’ils soient salariés en cols blanc ou

bleu, paysans ou artisans, travailleurs en activité ou contraints à l’inactivité). Pour prendre en compte

la complexité des rapports sociaux à l’échelle planétaire, on ne peut se contenter de relever l’existence d’un fossé béant entre Nord et Sud (ou entre Centre et Périphérie). Il faut également analyser les

contradictions entre classes sociales ainsi que les rapports homme/femme (voir plus loin la partie sur

la féminisation de la pauvreté).

5 Pour calculer cette somme, Merrill Lynch et Cap Gemini retranchent de la fortune des millionnaires, les biens immobiliers qu’ils utilisent comme résidence (WWR 2003, p. 17). On pourrait imaginer un impôt exceptionnel de 50% sur les actifs dont ils disposent, ce qui procurerait 13.600 milliards dollars à la communauté internationale tout en laissant aux millionnaires la moitié de leur fortune et… un toit doré. Rappelons que selon le PNUD et UNICEF, il suffirait d'un total de 800 milliards de dollars pour assurer, au bout de dix ans, l’accès universel à l’eau potable, à des soins de santé de base, à l’enseignement primaire et à une alimentation suffisante. 6 Il est apparemment paradoxal de constater que les actifs des plus riches ont continué à croître en 2001 et 2002 alors que la capitalisation boursière baissait très fortement. En 2002, alors que la capitalisation boursière mondiale baissait de 16,9%, la valeur des actifs des millionnaires à l’échelle planétaire augmentait, comme on l’a vu plus haut, de 3,6%. Leur situation est bien différente des millions de salariés qui ont perdu leur principale source de revenu : leur emploi. Les millionnaires avisés ont une telle quantité d’actifs qu’ils peuvent les répartir dans différents domaines. Les pertes subies dans un secteur peuvent être compensées par des gains ailleurs. Un peu d’actions en Bourse, des titres de la dette publique et privée, des actifs immobiliers, des dépôts en liquide, des objets d’art, des collections de vin (le rapport WWR 2003 considère les collections de vin comme « une option d’investissement attractive » ; une sélection de crus réalisée par Fine Wine Management a connu un rendement de 97% supérieur à celui des actions dans la période 2000-2002 », p.13). Selon Merrill Lynch et Cap Gemini, les actifs des millionnaires se répartiraient de la manière suivante en 2002 : 30% de revenus fixes (titres de la dette) ; 25% en dépôts liquides ; 20 % en actions ; 15 % dans l’immobilier ; 10 % en investissements alternatifs (objets d’art, collections de vin…).

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1.1.2.2. Dans le tiers-monde, selon la Banque mondiale, en 2002, environ 1.200 millions d'individus

vivaient avec moins d'un dollar par jour, ce qui les situe en dessous du niveau de pauvreté absolue7. Que se passerait-il au niveau statistique si la Banque mondiale, qui fixe le seuil de pauvreté absolue à

un dollar par jour pour l’ensemble des pays en développement, modifiait ce seuil à la hausse en

l'adaptant au coût réel de la vie (de la survie, devrait-on dire dans ce cas) ? Si, par exemple, elle fixait ce seuil à deux, trois, voire quatre dollars par jour, on arriverait certainement à cerner de plus près la

réalité et on se rendrait compte que la majorité de la population du tiers-monde vit dans la plus grande

précarité et le dénuement. En effet, avec l'augmentation du prix des denrées et des services de base dans les pays du tiers-monde

et l’ex-bloc soviétique, trois, voire quatre dollars par jour ne suffisent même pas à se nourrir et se loger décemment – sans parler de l'accès à l'éducation, aux soins de santé, à la culture. En situant le seuil de

pauvreté absolue à un dollar, la Banque mondiale sous-estime le nombre réel de pauvres absolus.

Considérer, comme le fait la Banque mondiale, que la ligne de délimitation de la pauvreté absolue se

situe à 1 dollar par jour donne des résultats totalement différents de ceux obtenus en fixant la barre à 2

dollars par jour. Le tableau suivant donne une indication très claire : dans la plupart des cas, de minoritaires, les personnes vivant sous le seuil de pauvreté absolue deviennent majoritaires.

Tableau 1.1. Seuil de pauvreté absolue

Etude réalisée en 1 USD par jour 2 USD par jour

(En pourcentage de la population)

Inde 1999-2000 35 80

Indonésie 2000 7 55

Laos 1997-1998 26 73

Nigeria 1997 70 90

Pakistan 1998 13 66

Philippines 2000 15 46

Sénégal 1995 26 68

Tanzanie 1993 20 60

Vietnam 1998 18 64

Russie 2000 6 24

Ghana 1998 45 78

Egypte 2000 3 44

Chine 2000 16 47

Bangladesh 2000 36 83

Source: World Bank, World Development Indicators, 2003

Traiter la pauvreté comme un phénomène marginal s'inscrit dans une volonté de nier l'échec fracassant

des politiques d'ajustement structurel que la BM et le FMI imposent. La BM et le FMI n’identifient la pauvreté comme problème central que pour un nombre limité de

pays, parmi lesquels figurent les 49 pays les moins avancés (PMA). Mais, même dans ce cas, les

7 BANQUE MONDIALE, World Development Indicators, 2003.

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experts de ces deux institutions tendent, selon la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement), à sous-estimer l’ampleur de la pauvreté.

En juin 2002, dans un rapport sur la pauvreté dans les PMA, la CNUCED mettait directement en cause

les estimations fournies par la Banque mondiale. Selon la CNUCED, pour mesurer la pauvreté, la

Banque mondiale se contente d’un échantillon des populations locales sur lequel elle réalise des enquêtes. La mesure globale n’est qu’une extrapolation de ces études limitées. “ Ainsi, d’après la Banque mondiale, un Tanzanien disposait, en 1991, d’un revenu de 814 dollars par an. Or, selon la CNUCED, ce revenu n’atteignait pas les 300 dollars. De même, toujours selon la Banque mondiale, 41,7% de la population du Niger vivait avec moins de 1 dollar par jour en 1992. Pour cette même année, la CNUCED en compte plus de 75% ” (Vittorio de Filippis, Libération, 19 juin 2002). Selon la même étude, la pauvreté a doublé dans les PMA au cours des trente dernières années. Elle indique que

si on prend comme seuil de pauvreté la somme de 2 dollars par jour, 87,5% des habitants des PMA

africains vivent en dessous de ce seuil (Sixtine Léon-Dufour, Le Figaro, 19 juin 2002).

Le PNUD met en doute les critères de la Banque mondiale en matière d’évaluation de la pauvreté dans le monde

Les auteurs du Rapport 2003 du PNUD relèvent que les critères adoptés par la Banque mondiale ainsi que les résultats de ses enquêtes soulèvent de plus en plus d’interrogations : « La Banque mondiale a fixé le seuil d’extrême pauvreté à environ un dollar par jour (en parité de pouvoir d’achat – PPA8), partant de l’hypothèse (sur la base des seuils de pauvreté d’un échantillon de pays en développement) qu’après correction des écarts de coût de la vie, cette somme représente la dépense minimale moyenne par jour nécessaire pour survivre dans ces pays. Cette procédure est toutefois critiquée pour son imprécision, tant sur le plan conceptuel que méthodologique, pour l’analyse des différents minima de subsistance dans le monde en développement. (…) L’une des principales difficultés posées par le seuil d’un dollar par jour tient aux corrections des écarts de prix internationaux. À supposer que ce seuil reflète correctement le prix moyen d’un panier de consommation de subsistance dans les pays en développement (hypothèse de base), il faut ensuite convertir le prix de ce panier en monnaie nationale. La Banque mondiale utilise à cet effet des parités de pouvoir d’achat, c’est-à-dire des indices des prix qui permettent de comparer les prix d’une série de produits dans un pays à ceux en vigueur dans un autre. Le mode d’obtention des parités de pouvoir d’achat n’est toutefois pas totalement transparent. De surcroît, avec les parités de pouvoir d’achat, on ne peut définir des seuils de pauvreté précis, car bon nombre des prix retenus sont ceux de produits que ne consomment pas les pauvres (…). En outre, les conversions ne tiennent pas compte des écarts de prix considérables entre zones urbaines et rurales. Enfin, les pauvres doivent payer un prix unitaire plus élevé pour la plupart des biens et services, puisqu’ils n’ont pas les moyens de les acheter en gros. (…) Compte tenu de toutes ces lacunes, il convient de redoubler d’efforts à l’échelon national et international, afin d’améliorer les relevés de prix qui servent au calcul des parités de pouvoir d’achat (la Banque mondiale a pris des mesures en ce sens et devrait publier de nouveaux taux en 2005),

8 Selon le PNUD, les statistiques intégrant la notion de parité de pouvoir d’achat (PPA) prennent en compte un « taux de change destiné à neutraliser les différences de prix entre pays, afin de permettre les comparaisons internationales de la production et du revenu en termes réels. Avec un dollar exprimé en PPA (…), il est possible de se procurer la même quantité de biens et de services que s’il s’agissait d’un dollar des Etats-Unis dans le cadre de l’économie de ce pays ».

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d’harmoniser la conception et les méthodes de collecte pour les enquêtes sur les revenus et la consommation et de s’entendre sur des capacités locales minimales permettant de mesurer la pauvreté et pour lesquelles il est crucial de recueillir les réactions et les avis des pays et des communautés concernés » 9.

1.1.2.3. Dans les pays de l’ex-bloc soviétique. Selon le rapport du PNUD 2002, en Europe centrale, orientale et dans la Fédération de Russie, le revenu par habitant a reculé de 2,4% par an au cours de la

décennie 1990.

En Russie, les revenus réels des salariés étaient estimés en 1994 à 70% de leur niveau de 199110. Entre

les revenus des quinze millions les “ plus riches ” et des quinze millions les “ plus pauvres ”, l'écart qui était de 9,05 en 1993 est passé, un an plus tard, à 16.

Durant les années 90, la production industrielle y a baissé de 60% et le PIB de 54%, pendant que

l’espérance de vie diminuait de 4 ans. Pourtant, selon Forbes, la Russie compte aujourd'hui 36 milliardaires en dollars, dont la fortune

cumulée représente 24% du produit intérieur brut du pays.

Appauvries à la suite de l'ajustement structurel patronné par le FMI et la Banque mondiale, à quoi

s’ajoute le transfert massif de richesses vers l’étranger opéré par les nouveaux capitalistes locaux (les « oligarques »), les républiques de l'ex-Union soviétique sont placées par les institutions de Bretton

Woods dans la catégorie des pays en voie de développement, à côté des pays du tiers-monde à revenu

faible ou moyen11 (voir les rapports annuels de la BM depuis 1993). Ce déplacement de catégories ne résulte pas seulement d'un changement dans la façon de traiter les statistiques de revenu, il reflète

également la situation de l’après-guerre froide: les réformes orientées vers l'économie de marché ont

conduit à la “tiers-mondisation” de l'Europe de l'Est et de l'ex-URSS et à concentrer les revenus et le bien-être dans un petit nombre d'économies de marché “ développées ”.

1.1.2.4. Dans les pays capitalistes les plus industrialisés, le recul des revenus de la majorité de la

population est aussi indéniable. Les chiffres pour les Etats-Unis sont impressionnants12. Alors que les

revenus des ménages avaient progressé entre 1950 et 1978, la situation se modifie radicalement entre 1978 et 1993. La grande majorité des Américains voit ses revenus baisser tandis que les plus riches

engrangent une nouvelle hausse (cf. tableau 1.2.).

9 Idem, p.44. 10 PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, 2002. 11 Voir page 5 de la présente thèse. 12 Entre 1979 et 1997, aux Etats-Unis, le PIB réel par habitant a augmenté de 38%, mais le revenu d’une famille vivant avec le salaire médian ne s’est accru que de 9%. L’essentiel de la progression du revenu national a donc bénéficié aux très riches. Dans ce pays, le revenu du pourcent de familles les plus fortunées a ainsi fait un bond de 140%, soit trois fois plus que la moyenne. En 1979, le revenu du pourcent de familles américaines les plus riches était 10 fois plus élevé que celui de la famille médiane. En 1997, il était 23 fois supérieur. (PNUD 2002, encadré 1.2, p. 34). Selon une étude publiée en 2003 par un service de l’administration fiscale des Etats-Unis, l’Internal Revenue Service (IRS), en 2000, les revenus déclarés par les 400 contribuables les plus fortunés ont atteint 70 milliards de dollars, c’est quatre fois plus qu’en 1992. Leur part dans le total des revenus soumis à l’impôt a doublé entre 1992 et 2000. Le revenu minimum annuel d’un membre de ce club des 400 s’élevait en 2000 à 86,8 millions de dollars. Entre 1999 et 2000, alors que les revenus soumis à l’impôt de l’ensemble des contribuables des Etats-Unis progressaient de 1,8%, ceux des 400 les plus fortunés faisaient un saut de 14% (Etude citée par le Wall Street Journal, 26 juin 2003).

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Tableau 1.2. Evolution du revenu réel des ménages aux USA (en %)

Entre 1950 et 1978 : 20% les plus pauvres + 140% 2e tranche de 20% + 98% 3e tranche de 20% + 105% 4e tranche de 20% + 110% 20% les plus riches + 99% Entre 1978 et 1993 20% les plus pauvres - 19% 2e tranche de 20% - 8% 3e tranche de 20% - 4% 4e tranche de 20% + 5% 20% les plus riches +18%

Source: US News and World Report, 6 février 1995

Sous l'administration Reagan, les familles les plus riches (1% des ménages) ont accru leur revenu

annuel moyen de près de 50%. Selon Doug Henwood13, le 0,5% le plus riche des citoyens US détient davantage que 90% de la population des Etats-Unis. Dans les années 1990, la richesse aux Etats-Unis

a atteint le niveau d’hyperconcentration qui caractérisait les années 1920. En 1995, le pourcent des

ménages les plus riches – environ 2 millions d’adultes - détenait 42% des actions qui se trouvent aux mains d’individus et 56% des titres. Les 10% les plus riches en détenaient 90%. Grosso modo, si l'on

considère, en plus des actions et titres, les autres formes de patrimoine, le pourcent le plus riche détenait un quart de l’ensemble du capital ; les 10% les plus riches, la moitié.

A l’inverse, seuls 6% des Noirs et des hispanophones détenaient une action14.

Contrairement à une idée reçue, il n’est pas vrai que la majorité de la population des Etats-Unis détient des actions en Bourse. En 1990, seuls 21% de la population détenaient des actions, seuls 12% en

avaient vendu ou acheté au moins une fois pendant l’année, seuls 4% l’avaient fait cinq fois ou plus15.

Selon l’Office européen des statistiques, la part des salaires dans le PIB européen a diminué, passant

de 75,8% dans les années 1970 à 69,7% en 2000, alors que la part des profits augmentait d’autant. En clair, une part sans cesse croissante des richesses européennes est distribuée aux profits et pas aux

salaires16.

Tableau 1.3. Part des salaires dans le PIB

Région 1961-1970 1971-1980 1981-1990 1991-2000

Union européenne Etats-Unis

73,6%

69,8%

75,8%

70,0%

73,0%

68,7%

69,7%

67,3% Source : Eurostat

13 HENWOOD, Doug. 1997. Wall Street, Verso, London, New York, 1998, p.4 et 65. 14 Idem, p.67. 15 Ibid., p.68. 16 Pour l’analyse des inégalités en France, voir le très utile ouvrage d’Alain Bihr et Roland Pfefferkorn intitulé Déchiffrer les Inégalités (1999. Syros-La Découverte, Paris). Voir également L’économie des inégalités de Thomas Piketty (2001, Collection Repères, La Découverte, Paris).

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26

Entre 1980 et 1997, l’imposition des revenus du capital a diminué de 3% en France, pendant que l’imposition des revenus du travail a augmenté de 14% ; en Allemagne, les chiffres respectifs sont –

13% pour les impôts sur le capital et + 8% pour les impôts sur le travail (Guillaume Duval, in Alternatives économiques, numéro hors série, 2001).

1.1.3. La dégradation des conditions de vie dans le monde vue par le PNUD, le PNUE, l’OMS et l’UNICEF

“Au cours des quinze à vingt dernières années, plus de cent pays du tiers-monde ou de l’ex-bloc de l’Est ont souffert d’un effondrement de la croissance et de baisses de niveau de vie plus importantes et plus durables que tout ce qu’ont pu connaître les pays industrialisés lors de la grande crise des années 1930”17.

Dans Le Monde du 11 octobre 1996, l’administrateur du PNUD, James Gustave Speth, précisait : “En réalité, dans plus d’une centaine de pays, le revenu par habitant est aujourd’hui plus bas qu’il n’était il y a quinze ans (c’est-à-dire en 1980-1981 au début de la généralisation des politiques néo-libérales.

C'est moi qui ajoute). En clair, près de 1,6 milliard d’individus vivent plus mal qu’au début des années 80 ”. L’écart entre les 20% les plus pauvres et les 20% les plus riches de la planète est passé de 1 à 30 dans

les années 1960 à 1 à 80 aujourd’hui. Le Rapport 2003 du PNUD établit lui que « quelque 54 pays sont aujourd’hui plus pauvres qu’en 1990. Dans 21 pays, une proportion plus importante de la population souffre de la faim. Dans 14, les enfants sont plus nombreux aujourd’hui à mourir avant l’âge de cinq ans. Dans 12, les inscriptions dans l’enseignement primaire reculent. Dans 34, l’espérance de vie décline.

1.1.3.1. Tiers-monde L’équipe chargée d’élaborer l’édition 1997 du Rapport du PNUD a tenté de mesurer la misère dans le tiers-monde en allant au-delà d’une étude en fonction des revenus. Elle a établi un indicateur de la

pauvreté humaine (IPH) qui prend en considération d’autres critères que les revenus monétaires18.

Une fois cet indicateur défini, l’équipe du PNUD a établi une liste des pays du tiers-monde pour lesquels les données étaient suffisantes. En 2002, ils étaient au nombre de 88. Malgré une pauvreté

monétaire certaine, des pays arrivent à atténuer l’impact de la pauvreté par l’accès aux services qu’ils

rendent à la population. En tête des pays considérés se trouvent, dans l’ordre, l’Uruguay, le Costa Rica, le Chili et Cuba. Ces pays sont parvenus à réduire la pauvreté humaine jusqu’à un IPH inférieur

à 5%. En d’autres termes, grâce aux efforts de ces pays, moins de 5% de leur population y souffrent aujourd’hui de la pauvreté humaine. D’après ce classement, Cuba, malgré l’embargo imposé par les

Etats-Unis, occupe la quatrième place et remonte ainsi de quarante et une places dans la liste des pays

17 PNUD. 1997. Rapport mondial sur le développement humain, p.7. 18 Les critères utilisés sont les suivants: - le pourcentage d’individus risquant de décéder avant l’âge de quarante ans; - le pourcentage d’adultes analphabètes; - les services procurés par l’économie dans son ensemble. Pour déterminer la qualité de ceux-ci, trois éléments sont pris en compte : le pourcentage d’individus n’ayant pas accès à l’eau potable et aux services de santé, le pourcentage d’enfants de moins de cinq ans victimes de malnutrition (p.15).

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27

du tiers-monde classés selon un autre indicateur utilisé par le PNUD, l’indicateur de développement humain (IDH).

Environ 1,2 milliard de personnes vivent toujours avec l’équivalent de moins d’un dollar par jour et

2,8 milliards avec l’équivalent de moins de deux dollars par jour. Le nombre de très pauvres ne

diminue donc pas, et parmi eux, le nombre de femmes a augmenté d’une manière disproportionnée par rapport à celui des hommes (voir point 4).

En termes d’évolution, le rapport 2003 de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation

et l’agriculture) souligne que le nombre de sous-alimentés, qui avait eu tendance à diminuer dans la première moitié de la décennie 1990, s’est ensuite accru19 en raison de la libéralisation des échanges

agricoles internationaux et de la pénétration des capitaux dans l’agriculture. Ces mesures largement dictées par les pays les plus industrialisés et les institutions financières internationales ont en effet

conduit à la baisse des prix agricoles.

En 2002, selon l’ONUSIDA et l’OMS (Organisation mondiale de la santé), 42 millions de personnes

étaient atteintes du sida dans le monde, et 5 millions de nouvelles personnes étaient contaminées,

tandis que 3,1 millions en décédaient. En Afrique subsaharienne vivent 10% de la population mondiale et plus de 70% de toutes les personnes séropositives (près de 30 millions). On y enregistre trois quarts

des décès du sida (2,4 millions) et 90% des orphelins du sida y vivent. Le tiers-monde représente 95% des décès du sida. “ Dans quatre pays d'Afrique australe, la prévalence du VIH a grimpé à des niveaux inimaginables. Au Botswana, 38,8% de la population est contaminée, au Swaziland 33,4%, au Lesotho 31% et au Zimbabwe 33,7% ” (Le Figaro, 27 novembre 2002). Dans plusieurs pays d'Afrique australe, l'espérance de vie est passée sous la barre des 40 ans. En Amérique latine et dans la Caraïbe,

1,9 million de personnes étaient séropositives alors qu’en Asie, 7,2 millions d’individus avaient

contracté le sida, dont 1 million en Chine20.

Dans les pays à faible développement humain, les dépenses de santé et d'éducation sont passées de 2,0% du PIB pour la période 1986-90 à 1,8% en 1991-96. Les dépenses d'investissement dans ces

secteurs sont passées de 6,5% à 6,1% des dépenses publiques21.

Quatorze pays africains connaissent une pénurie d’eau (moins de 1.000 m³ d’eau disponibles par

personne et par an) ou un stress hydrique (entre 1.000 m³ et 1.700 m³ par personne et par an) ; en

2025, 11 autres pays d’Afrique seront dans cette situation (GEO-2, 1999).

Anna Tibaijuka, directrice de Habitat ONU, déclare dans le Rapport des Nations unies sur l’Habitat de 2003 qu’une personne sur trois dans le monde vivra dans un taudis d’ici 30 ans s’il n’y a pas de

contrôle des gouvernements sur la croissance urbaine qui est sans précédent. L’Afrique compte 20%

des habitants de taudis (le plus grand bidonville du monde compte 600.000 personnes dans le quartier de Kibera à Nairobi - Kenya), l’Amérique latine 14% (les 700 favelas de Rio de Janeiro – Brésil –

abritent un total d’un million de personnes) mais les pires conditions urbaines se situent en Asie où 550 millions de personnes vivent dans ces conditions inacceptables. Les 30 pays les plus riches

abritent 2% des habitants de taudis tandis que 80% de la population urbaine des 30 pays les moins

19 Rapport de la FAO cité par KEMPF, H. 2003. « La faim dans le monde augmente à nouveau, s’alarme la FAO », Le Monde, 27 novembre 2003. 20 ONUSIDA et OMS, rapport 2002. 21 PNUD. 1999. Rapport mondial sur le développement humain, p. 93.

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28

développés vivent dans des taudis. Or, dans les 30 prochaines années, la population urbaine des pays en développement va doubler pour atteindre les 4 milliards à raison de 70 millions par an. « Les taudis sont le résultat de politiques ratées, de la mauvaise gouvernance, de la corruption et d’un manque de volonté politique » souligne le rapport, et ses auteurs blâment la globalisation du laisser-faire et les

politiques économiques néolibérales imposées par les institutions internationales comme le FMI et

l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (The Guardian, 4 octobre 2003).

1.1.3.2. Ex-bloc soviétique

En ce qui concerne la Russie, selon Joseph Stiglitz, la situation s’est gravement détériorée : “ En 1989, seuls 2% des habitants de la Russie vivaient dans la pauvreté. Fin 1998, ce pourcentage était monté en flèche jusqu’à 23,8% si l’on prend comme seuil 2 dollars par jour. Plus de 40% de la population du pays vivaient avec moins de 4 dollars par jour, suivant une étude de la Banque mondiale. Les statistiques sur les enfants révélaient un problème encore plus grave. Plus de la moitié vivaient dans des familles pauvres ”22. Le démantèlement et l'affaiblissement des services assurés par l'Etat se traduisent par une dégradation de la situation dans la santé et l'éducation en général. Dans 7 pays sur 18, l'espérance de vie en 1995

était inférieure à celle de 1989, avec un recul de cinq années. En Lituanie, les inscriptions dans les

écoles maternelles, en chute libre, sont passées de 64% des enfants de 3 à 6 ans en 1989 à 36% en 1998. Pour la Russie, la chute est de 69 à 54%23. Les salaires ont reculé de 48% en Russie. La part du

revenu liée au salaire est passée de 74 à 55 % et celle des loyers et autres revenus incorporels a été pratiquement multipliée par quatre et demi progressant de 5 à 23%. Entre 1989 et 1996, l'espérance de

vie des hommes a diminué de plus de quatre ans pour se situer à 60 ans, soit deux années de moins que

la moyenne pour les pays en développement.

1.1.3.3. Pays les plus industrialisés

Dans les pays industrialisés, plus de 100 millions de personnes vivaient en 1996 en deçà du seuil de pauvreté absolue, défini comme correspondant à la moitié du revenu individuel médian disponible24.

L’indice de pauvreté humaine dans les pays industrialisés se concentre sur les mêmes aspects du

dénuement que l’IPH des pays en développement et envisage en outre une quatrième forme de manque : l’exclusion. Il utilise les variables suivantes : le pourcentage de personnes risquant de

décéder avant l’âge de soixante ans, le pourcentage d’illettrés, le pourcentage d’individus vivant en

dessous du seuil de pauvreté (correspondant à la demi médiane du revenu disponible des ménages) et le pourcentage de la population en situation de chômage de longue durée (c’est-à-dire depuis au moins

12 mois). Sur les 18 pays industrialisés pour lesquels l’IPH a été calculé, les pays les plus touchés par la

pauvreté sont les Etats-Unis (15,8%), l’Irlande (15%) et le Royaume-Uni (14,6%). En comparant

l’indice général de développement humain et l’indicateur de pauvreté pour 1998, les Etats-Unis passent de la 3e place à la 18e (c’est-à-dire la dernière), et le Royaume-Uni de la 10e place à la 16e25.

22 STIGLITZ, Joseph E. 2002, La Grande désillusion, Fayard, Paris, p.204. 23 PNUD. 1999. Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris, p.79. 24 PNUD. 1997. Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris, p.2. 25 PNUD. 2000. Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris, p.152.

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29

En 1999, l’Union européenne (376 millions d’habitants) comptait 65 millions de pauvres. D’après les données fournies par les Etats membres, 18% de la population vivaient en dessous d’un “ seuil de bas revenu ” représentant 60% du “ pouvoir d’achat standard ”. Le principal facteur d’exclusion et de paupérisation reste le chômage, mais, d’après l’Office statistique

européen Eurostat, 12% de ceux qui exercent un emploi vivent dans la pauvreté et 53% des plus

démunis appartiennent à des ménages ayant une activité professionnelle. En fait, estime la Commission européenne, “ entre 20% et 40% de la population sont à la limite du seuil de pauvreté ”

(Le Figaro, 12/09/2000).

Dans les 15 pays de l’Union européenne, environ 3 millions de personnes n’ont pas de logement permanent.

“ Les inégalités se sont accentuées dans la plupart des pays de l'OCDE dans les années 1980 et au début des années 1990. Sur 19 pays pris en compte, un seul affiche une légère amélioration. Les détériorations les plus importantes ont été enregistrées par la Suède, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Dans les années quatre-vingt, le nombre de familles vivant en dessous du seuil de pauvreté a augmenté de 60% au Royaume-Uni et de près de 40% aux Pays-Bas”26. Selon une enquête menée par quatre universitaires au Royaume-Uni, la proportion des foyers affectés

par le dénuement - relatif ou absolu - est passée de 14% en 1983 à 24% en 1999. Au total, 14,5 millions de Britanniques se trouvaient dans un état d’indigence plus ou moins grave en 1999. Un quart

de la population ne pouvait disposer d’au moins trois éléments de base pour une existence normale :

trois repas quotidiens, des vêtements en nombre suffisant et un logement raisonnablement chauffé (Le Figaro, 12/09/2000).

En 1971, les Etats-Unis comptaient 25 millions de pauvres, selon Robert McNamara, à l’époque président de la Banque mondiale27. En 1995, vingt-quatre ans plus tard, ce pays en comptait 11,4

millions de plus : 36,4 millions de pauvres, soit près de 14% de la population totale (in Poverty in the United States : 1995, Department of Commerce, Bureau of Census, 1996).

Aux Etats-Unis, en 2000, environ 17% des enfants, soit près de 12 millions, grandissaient dans des

foyers incapables de répondre à leurs besoins nutritionnels de base. Aux Etats-Unis toujours, un adulte sur cinq est illettré et 40 millions de personnes ne sont pas

couvertes par une assurance maladie28.

Selon des statistiques du Bureau du recensement, en 2001, donc un an après la publication des chiffres du PNUD, le nombre d’Américains sans assurance maladie a augmenté de 3,5% : 41,2 millions, soit

une personne sur sept (14,6% de la population). Les jeunes de 18 à 24 ans représentent la tranche d’âge la plus touchée : 28% (Le Figaro, 1/10/2002).

Dans ce pays, les crimes avec violence font deux millions de victimes chaque année29.

26 PNUD. 1999. Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris, p.36-37. 27 MCNAMARA, Robert S. 1973. Cien países, Dos mil millones de seres, Tecnos, Madrid, p.100 28 PNUD. 2000. Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris, p.8. 29 PNUD. 1997. Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris, p.34.

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30

1.1.4. Féminisation de la pauvreté et oppression des femmes

La féminisation de la pauvreté est évidente lorsqu’on sait que, selon le PNUD, les femmes représentent 70% des quelque 1.200 millions d’êtres humains reconnus comme vivant sous le seuil de

la pauvreté absolue. L’application des plans d’ajustement structurel et les effets des crises économiques périodiques

mettent les femmes encore plus en difficulté que les hommes. Jongler entre baisse des revenus et

hausse des prix est leur lot quotidien. Payer les médicaments, la nourriture, l’école est maintenant hors de portée pour une multitude de femmes et leurs enfants. Et lorsque la possibilité existe, le réflexe

patriarcal s’ajoute à la situation économique pour restreindre l’accès des petites filles, des jeunes filles

et des femmes aux droits élémentaires garantissant l’épanouissement, et donc l’émancipation. Le garçon ira à l’école tandis que la petite fille aidera à faire le ménage ou à procurer une ressource

supplémentaire à la famille. En Inde, 61% des Indiennes (de sept ans et plus) sont illettrées30. Au Népal, le nombre de jeunes filles qui deviennent aveugles des suites de la sous-alimentation représente

le double de celui des garçons. Dans le tiers-monde, en général, plus de la moitié des femmes souffre

d’anémie et, en Asie du Sud, la proportion monte à 78%31. A Harare, au Zimbabwe, le nombre de femmes mourant en couches a doublé en l’espace de deux ans à la suite de l’application d’un plan

d’ajustement structurel qui s’est traduit par une baisse d’un tiers des dépenses publiques de santé32.

Chaque année, plus de 500.000 femmes meurent de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement33.

Tableau 1.4. Risque, sur une vie, de décéder au cours d’une grossesse ou d’un accouchement

Afrique subsaharienne 1 sur 13 Asie du Sud 1 sur 54

Proche-Orient et Afrique du Nord 1 sur 55

Amérique latine et Caraïbe 1 sur 157 Asie de l’Est et Pacifique 1 sur 283

Europe centrale et orientale et CEI 1 sur 797 OCDE 1 sur 4 085

Source : UNICEF, in PNUD, Rapport 2002, p. 27.

La tendance du système capitaliste à réorganiser à son profit l’économie à l’échelle mondiale a des

répercussions directes sur les rapports entre les sexes. L’analyse des méthodes employées montre,

d’une part, que le système capitaliste se nourrit d’un système d’oppression préexistant, le patriarcat, et d’autre part, qu’il en accuse les traits. En effet, l’oppression des femmes est pour les capitalistes un

outil permettant de gérer l’ensemble de la force de travail et même de justifier leur politique en déplaçant la responsabilité du bien-être social de l’Etat et des institutions collectives vers “ l’intimité ”

de la famille.

Un exemple du renforcement de l’oppression : certains pourraient penser qu’en Inde, les formes de violence liées au sexe que sont les décès dus à la dot et les avortements de fœtus féminins ne sont que

des “survivances” d’une société “arriérée”. Les études des féministes indiennes aboutissent à des

30 Idem, p.55. 31 Ibid, p.31. 32 PNUD. 1995. Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris, p.44. 33 PNUD. 2002. Rapport mondial sur le développement humain ; Economica, Paris.

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31

résultats plus nuancés : le développement du capitalisme dans ce pays a conduit à l’extension et à l’exacerbation de ces formes de violence34.

Selon une étude divulguée par le PNUD en 1995, la contribution invisible des femmes, non traduite en valeur monétaire ou évaluée en fonction des salaires en vigueur, représentait 11.000 milliards de

dollars. Sans cette contribution non monétaire des femmes, il n’y aurait pas de “survie” possible à

moins de un ou deux dollars par jour. Il faut mettre ce chiffre en rapport avec celui de la production mondiale, estimée à 23.000 milliards de dollars (chiffre de 1994), pour avoir une idée de ce que

représente l’apport des femmes à l’humanité entière35.

Il n’existe encore aucun pays au monde, même parmi les plus avancés en ce domaine, où les revenus des femmes soient égaux aux revenus des hommes. Certains pays industrialisés reculent même

sérieusement dans la liste du développement humain si l’on considère cette donnée. Les carrières majoritairement occupées par des femmes sont dévalorisées (travail de la santé,

enseignement). Au niveau des revenus de remplacement (indemnités de chômage), les femmes en ont

été les premières exclues lors de l’application des plans d’austérité comme “cohabitantes” ou chômeuses de longue durée. On leur réserve des emplois dans le secteur formel où le salaire est très

inférieur, comme le travail en zones franches (au Mexique, dans ce secteur, les salaires des femmes se

sont effondrés de 80%, à seulement 57% de ceux des hommes) ou dans l’informel pour un salaire dérisoire, hors des réglementations “paralysantes” des Etats.

Dans le quotidien Le Monde du 02/08/2002, sous le titre “ Les Ecarts de revenus hommes-femmes se

creusent ”, on trouvait confirmation de ce qui est écrit plus haut : “ Les écarts de revenu entre les hommes et les femmes se creusent davantage, en cours de carrière, pour les nouvelles générations, en raison notamment de la féminisation du travail à temps partiel, indique une étude de l’Insee publiée mercredi 31 juillet. Ainsi les hommes ayant débuté entre 1991 et 1992 gagnent 21,9% de plus que les femmes, alors que ce différentiel est de 18% pour ceux ayant commencé à travailler entre 1976 et 1980. Ce résultat est en partie lié à la forte augmentation des emplois à temps partiel, occupés plus souvent et plus longtemps par les femmes.”

La réduction croissante de services comme les crèches, les garderies ou la privatisation d’autres

comme les maisons de repos pour personnes âgées multiplient les embûches rencontrées par la femme au travail. “L’égalité du travail” en négatif introduit le travail de nuit pour les femmes, ce qui n’est pas

acceptable en principe, ni vivable la plupart du temps, vu leur activité dans la sphère familiale.

Dans les pays en développement, le taux d’activité économique des femmes est toujours inférieur d’un tiers à celui des hommes et dans les pays de l’OCDE, les femmes consacrent les deux tiers de leur

temps à des activités non marchandes, soit près de deux fois plus que les hommes36.

Le travail de la terre est encore dans les pays en développement l’occupation principale. Les femmes y

apportent une forte contribution. Si le sort des paysans n’est guère enviable, celui des femmes « paysannes » l’est encore moins : “ L’augmentation des cultures d’exportation exigée par les plans d’ajustement structurels (PAS) et soutenue par des mesures incitatives a entraîné des changements, notamment dans la demande de main-d’œuvre et l’accès à la terre. Cette priorité renforcée accordée aux cultures d’exportation, amorcée avec le colonialisme, se répercute sur la distribution des revenus

34 Shah Trupti et Srinivasan Bina, in DUGGAN, Penny et DASHNER, Heather, sous la dir. 1994. « Les Femmes dans la nouvelle économie mondiale », Cahier d’étude et de recherche 22, IIRF, Amsterdam, p. 25-47. 35 PNUD. 1995. Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris, p.6. 36 PNUD. 2000. Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris, p.33.

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32

définie par la division du travail entre les sexes. Par ailleurs, elle pénalise les femmes dans la mesure où leur temps de travail se trouve très alourdi par leurs obligations sur les champs du mari ; elles n’ont que très difficilement, à la différence des hommes, accès au crédit qui leur permettrait, entre autres, d’acheter les intrants nécessaires à leurs propres cultures : elles ont un accès différencié aux salaires tirés des emplois agricoles. De plus, leurs obligations symétriques dans la production comme dans la reproduction (cultiver, transformer, préparer la nourriture, chercher de l’eau et les combustibles, élever les enfants, s’occuper des malades et des personnes âgées) les obligent à travailler nettement plus que les hommes (tous les budgets-temps en témoignent). Leurs revenus sont nettement plus faibles que ceux des hommes. Il se crée donc à l’intérieur du ménage une compétition préjudiciable entre cultures d’exportation et cultures de subsistance que renforce la différenciation entre les genres ”37.

D’une manière globale, le PNUD 2000 estime que “ pour tous les pays, l’indicateur sexospécifique de développement humain (ISDH) est inférieur à l’indicateur de développement humain (IDH). Cela signifie que, dès qu’il est corrigé du facteur sexospécifique, l’Indicateur de développement humain décline systématiquement et que l’on déplore donc des inégalités entre hommes et femmes dans toutes les sociétés. Si le développement humain était équitablement réparti entre les sexes, les valeurs de l’IDH et de l’ISDH seraient identiques ”38.

Signalons en outre que dans le monde, “ alors que les femmes représentent la moitié de l’électorat, elles n’occupent que 13% des sièges au parlement et 7% des postes au gouvernement ”39.

1.1.5. Mondialisation de la crise écologique 40

« Prenons cette inquiétude immémoriale qu’une croissance rapide va épuiser les ressources en combustible et que si cela se produit, la croissance sera stoppée net. Les réserves de pétrole sont plus importantes aujourd’hui qu’en 1950. (…) Nous n’avons pas non plus causé de dégât irréparable à l’environnement. Il est clair qu’après une phase initiale de dégradation, la croissance économique entraîne ensuite une phase d’amélioration ». Anne Krueger, ex-économiste en chef de la Banque mondiale (1982-1987) pendant le

premier mandat présidentiel de Ronald Reagan, première directrice générale adjointe

du Fonds monétaire international depuis septembre 2001. Extrait du discours prononcé le 18 juin 2003 à Saint-Pétersbourg.

« La pauvreté dans laquelle continue de vivre la majorité des habitants de la planète et la consommation excessive d’une minorité sont les deux principales causes de la dégradation de l’environnement. »

Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), GEO-2, 199941

37 UNICEF, 1986 in TREILLET, Stéphanie. 2002. L'Économie du développement, Nathan, Paris, p.94. 38 PNUD. 2000. Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris, p.153. 39 PNUD. 1997. Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris, p.33. 40 Les sources de ces paragraphes sont constituées principalement des rapports sur l’avenir de l’environnement mondial GEO-2 (1999) et GEO-3 (2002) du PNUE. Disponible sur Internet : www.unep.org/GEO/geo3. 41 PNUE, GEO-2, page xxix.

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33

1.1.5.1. Pollution et épuisement des ressources Le développement économique épuise bon nombre de ressources naturelles. Si on ne prend pas des

mesures adéquates, il y a un fort pourcentage de risque que les ressources d’origine fossile disparaissent dans quelques décennies sans que soit véritablement mis en œuvre un programme, autre

que nucléaire, s’orientant vers les énergies renouvelables.

Les ressources halieutiques sont menacées. Dans l’Atlantique Nord, les stocks de poissons au large de

la côte Est des Etats-Unis sont pratiquement épuisés. Les prises de poissons de l’Atlantique ont

diminué, passant de 2,5 millions de tonnes en 1971 à moins de 500.000 tonnes en 1994 (GEO-2).

L’eau, synonyme de vie, requiert maintenant toutes les attentions. La ressource en eau est globalement stable sur l’ensemble de la planète. Mais compte tenu des modèles de production industriels et

agricoles, de l’urbanisation et de l’augmentation de la population, la quantité d’eau disponible par

habitant va diminuer d’un tiers en moyenne dans les vingt prochaines années et vraisemblablement de moitié au milieu du siècle. Du fait de sa répartition inégale selon les régions, l’UNESCO estime que

de 2 milliards à 7 milliards de personnes souffriront de manque d’eau en 2050. Au problème de

pénurie s’ajoute celui de la détérioration de la qualité de l’eau (agriculture intensive, rejets des déchets industriels et ménagers). L’eau devient donc un enjeu stratégique car objet de convoitise des firmes

transnationales : le marché mondial de l’eau est évalué à hauteur de 800 à 1.000 milliards de dollars par an42.

Les forêts tropicales se réduisent peu à peu. Durant les années 1990, la perte nette de surfaces couvertes de forêts, à l’échelle mondiale, a été de 94 millions d’hectares environ (soit 2,4% de

l’ensemble des forêts) (GEO-3).

Près de 1 million d’hectares de forêt indonésienne ont été détruits par les incendies qui ont duré plusieurs mois à partir de septembre 1997. En 1996, ce sont 3 millions d’hectares de la forêt

mongolienne qui avaient brûlé (GEO-2). On verra plus loin que la Banque mondiale a soutenu de vastes programmes de colonisation de terres,

au Brésil et en Indonésie notamment, qui ont eu un impact très grave et durable en terme de

déforestation.

Sur la période 1990-1995, la déforestation dans les 33 pays africains classés parmi les pays pauvres et les plus endettés a été de 50% supérieure aux destructions de forêts dans les autres pays africains, et de

140% supérieure comparé au niveau moyen de déforestation dans le monde.

Dans le monde, 1,5 milliard d’êtres humains manquent de bois de chauffage. Le temps de travail annuel pour la recherche de bois de chauffage a quadruplé et atteint parfois 190 à 300 jours ouvrables

par an ; les femmes subissent les premières les conséquences de cette pénurie.

Il faut se garder cependant d’attribuer les déforestations aux seules populations pauvres. La part de déforestation due aux gouvernements (valeur des bois tropicaux) pour assurer une partie du

remboursement de la dette, ainsi que la part de déforestation due aux transnationales pour assurer leurs projets et leurs profits, sont certainement plus importantes.

42 ATTAC. 2004. HARRIBEY, Jean-Marie, sous la coordination de, Le développement a-t-il un avenir? Pour une société solidaire et économe, Fayard, Paris.

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34

La richesse de la biodiversité est elle-même compromise. La régression des habitats naturels constitue une grave menace pour la diversité biologique de la région Amérique latine et Caraïbe, qui compte

40% des espèces végétales et animales de la planète ; on estime que 1.244 espèces de vertébrés sont menacées d’extinction (GEO-2). Environ 24% (1.130) des espèces de mammifères et 12% (1.183) des

espèces d’oiseaux sont actuellement considérées comme menacées à l’échelle mondiale (GEO-3).

Les pays les plus industrialisés n’ont pas réussi à juguler la dégradation de l’environnement dans leurs

propres régions. Ils ont suivi un mode de développement qui remet en cause aujourd’hui l’équilibre

écologique de la planète. Dans les années 1990, les pays industriels ont produit par habitant 8 fois plus de gaz à effet de serre que les pays en développement.

Le réchauffement climatique dû au renforcement de l’effet de serre, lui-même lié au rejet de gaz des activités agricoles, industrielles et de transport43 entraîne l’élévation du niveau des océans, la

disparition de zones côtières (fortement peuplées dans certains pays du tiers-monde comme au

Bangladesh44), les perturbations des régimes de pluie et des courants océaniques, la désertification et la sécheresse, les inondations. La consommation d’énergie est très inégale : il y a un écart de 1 à 25 entre

la consommation des 2 milliards les plus pauvres et du 1,2 milliard le plus riche. Les scénarios

d’évolution envisageant la poursuite des tendances passées conduiraient à un accroissement de la consommation mondiale de 150%. A ce compte, les ressources de pétrole seront épuisées et les

déchets nucléaires seront multipliés par 17.

Les pays pauvres concentrent les traits les plus visibles de la crise écologique. Ils subissent

directement les dégradations environnementales les plus fortes (destruction des forêts tropicales, extractions minières et pétrolières, pollution de l’eau, extinction des espèces…). L’environnement y

est agressé par l'exploitation directe des richesses naturelles pour les marchés mondiaux, avec des prix

de vente qui n’intègrent jamais les coûts environnementaux, mais aussi par l’exportation des déchets du monde industriel45, stimulée par la recherche effrénée de capitaux dans le but de rembourser la

dette. Les peuples de ces pays sont incontestablement les plus vulnérables face à l’accroissement des risques

environnementaux et notamment face à la multiplication des événements météorologiques extrêmes

provoqués par les changements climatiques. Ils supportent une part disproportionnée des effets des catastrophes « naturelles », des conflits, des sécheresses ou de la pollution sans disposer des moyens

de s’en prémunir.

Depuis 1991, deux tiers des victimes de catastrophes vivaient dans des “pays à faible niveau de développement humain ” (GEO-3).

43 “Actuellement, environ 8 milliards de tonnes de CO2 par an sont rejetés dans l’atmosphère, soit huit fois plus qu’il ne faudrait pour simplement stabiliser les concentrations dans l’atmosphère », in ATTAC. 2004. HARRIBEY, Jean-Marie, sous la coordination de, Le développement a-t-il un avenir? Pour une société solidaire et économe, Fayard, Paris. 44 Pour ne prendre qu’un exemple, les conséquences sur la production agricole sont dramatiques. La Banque mondiale, pour le long terme, prévoit qu’un tiers des rizières du Bangladesh pourrait être noyé par la montée des océans. 45 Depuis 1980, la production de déchets par habitant de l’Europe occidentale a augmenté de 35 %; bien que le recyclage soit plus fréquent, 66 % des déchets sont encore mis en décharge.

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1.1.6. Conclusions Au cours de la période 1945 – 1980, selon des rythmes et des degrés différents, les populations des

pays actuellement rangés dans la catégorie PED ont connu une progression des revenus monétaires et des conditions de vie. A partir de 1982, l’éclatement de la crise de la dette et la généralisation des

politiques d’ajustement (qui seront analysées en détails plus loin) ont entraîné une dégradation des

conditions de vie qui a d’abord affecté les pays d’Amérique latine et de la Caraïbe, d’Afrique et de l’ex-bloc soviétique, pour atteindre plus tard l’Asie (sauf la Chine). Comme mentionné plus haut, il

n’est pas facile d’évaluer de manière rigoureuse l’évolution de la pauvreté, d’autant que le seul critère

du pouvoir d’achat est totalement insuffisant (voir dans ce chapitre la dimension du genre, l’indice de pauvreté humaine…). Néanmoins, de nombreuses recherches visant à évaluer l’évolution récente des

conditions de vie humaine aboutissent au constat suivant : le nombre absolu de personnes vivant dans des conditions infra humaines ou pour le moins très précaires a augmenté dans la plupart des régions

de la planète qui ont été soumises aux politiques d’ajustement structurel.

La Banque mondiale tente de présenter une version enjolivée de la réalité. Elle explique dans

différents documents que le nombre de pauvres « absolus » (ceux qui survivent avec moins d’un dollar

par jour - en parités de pouvoir d'achat) a baissé sur le plan mondial d’environ 100 millions à la fin des années 1990. Pour justifier cela, elle s’appuie sur les données fournies par les autorités chinoises qui

affirment que le nombre de Chinois vivant sous le seuil de pauvreté absolue a baissé d’environ 200 millions. La Banque mondiale admet que le nombre de pauvres absolus (ou indigents) a augmenté

entre 1990 et 1999 d’environ cent millions au total en Afrique subsaharienne (74 millions d’indigents

supplémentaires), en Amérique latine (9 millions supplémentaires) et dans l’ex-Bloc soviétique (20 millions supplémentaires) mais elle affirme que le solde est globalement positif puisque la réduction

du nombre de pauvres absolus en Chine a atteint environ 200 millions46. Elle affirme également que le

nombre d’indigents a baissé en Inde.

Cette version de la Banque appelle plusieurs observations. Primo, comme indiqué plus haut, le critère de un dollar par jour est contestable et contesté.

Secundo, des études de la CNUCED ont démontré récemment que les chiffres fournis par la Banque

mondiale concernant l’Afrique étaient nettement inférieurs à la réalité (voir plus haut). Tertio, il est très difficile de vérifier les données fournies par la Chine alors que celles-ci constituent en

quelque sorte le joker de la Banque mondiale : sans les 200 millions de pauvres en moins en Chine, la Banque mondiale serait obligée de reconnaître qu’en chiffres absolus le nombre d’indigents a

augmenté à l’échelle de la planète.

Quarto, en ce qui concerne l’ex-bloc soviétique, alors que la Banque mondiale affirme que le nombre d’indigents est passé de 6 millions en 1990 à 24 millions en 1999, ce qui représente une augmentation

de 400%47, le PNUD considère qu’il est plus approprié de faire les comptes autrement en adoptant

comme critère 2 dollars par jour48. Selon le PNUD49, le nombre d’indigents est passé de 31 millions à

46 Banque mondiale. 2003. World Development Indicators, p.5, ainsi que PNUD. 2003. Rapport mondial sur le développement humain. 47 Banque mondiale. 2003. World Development Indicators, p.5. 48 PNUD. 2003. Rapport mondial sur le développement humain, tableau 2.3., p. 39. 49 Qui se base sur la Banque mondiale, World Development Indicators, édition 2003, p. 5.

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97 millions dans l’ex-bloc soviétique entre 1990 et 1999 : cela fait une différence de 73 millions en 1999.

Quinto, les chiffres fournis par la Banque mondiale pour l’Afrique du Nord et le Proche-Orient apparaissent comme dénués de fondement. Selon la Banque, seuls 2% de la population de cette région

vivraient avec moins d’un dollar par jour. En chiffres absolus, la Banque mondiale considère que le

nombre d’indigents était de 5 millions en 1990 et de 6 millions en 1999. Cela semble très éloigné de la réalité. Le Maroc (29 millions d’habitants), l’Algérie (31millions), l’Egypte (65 millions), l’Iraq (25

millions), pour ne prendre que quelques pays de la région, auraient ensemble moins de 6 millions

d’indigents…

Les chiffres avancés par la Banque sont sujets à caution. La mission qu’elle déclare mettre au-dessus de toutes les autres, « réduire la pauvreté dans le monde », l’amènerait à solliciter, voire à enjoliver les

chiffres afin que ceux-ci plaident continuellement en sa faveur.

On peut tirer une deuxième conclusion sur la base des chiffres fournis par la Banque.

Sans se départir des réserves exprimées plus haut, la constatation suivante peut être tirée des données

diffusées: les régions du monde qui ont appliqué le plus fermement les politiques recommandées par la Banque mondiale ont toutes connu une augmentation de la pauvreté absolue. Il s’agit de l’Amérique

latine et de la Caraïbe, de l’Afrique subsaharienne et de l’ex-bloc soviétique. Ces trois grands ensembles ont été soumis chacun à au moins dix ans d’ajustement structurel continu et tous ont connu

une augmentation du nombre d’indigents.

Par contre, les deux pays les plus peuplés de la planète, la Chine et l’Inde qui, selon la Banque mondiale et le FMI, ne sont pas encore pleinement entrés dans la libéralisation des échanges, ont

connu, selon la Banque mondiale, une réduction significative du nombre d’indigents. Je souligne :

c’est la Banque qui l’affirme. Et effectivement, ni la Chine ni l’Inde n’ont signé d’accord avec la Banque mondiale et le FMI en termes d’ajustement structurel. La Chine maintient l’inconvertibilité de

sa monnaie, contrôle les investissements et les mouvements de capitaux, rechigne à se lancer dans un vaste mouvement de privatisation, maintient une politique protectionniste. L’Inde est allée beaucoup

plus loin dans la direction de la Banque mondiale mais pas encore assez selon les dires de celle-ci.

N’est-il pas raisonnable de se poser la question suivante : si les autorités indiennes et chinoises avaient décidé de suivre plus rigoureusement les recommandations de la Banque et du FMI, ce qui est arrivé

aux autres pays (les « bons élèves » des institutions de Bretton Woods) en termes d’augmentation du

nombre d’indigents ne se serait-il pas reproduit dans leur pays ? Plus loin, l’analyse des effets des politiques d’ajustement structurel donnera des éléments de réponse.

Troisième conclusion : la montée des inégalités et la croissance du nombre de pauvres dans un grand

nombre de pays, tant au Nord qu’au Sud de la planète, ne sont pas des phénomènes naturels. Ils sont

attribuables aux politiques appliquées à l’échelle planétaire depuis le dernier quart du XXe siècle.

L'intervention politique active des gouvernements de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, puis de l'ensemble des gouvernements qui ont décidé de suivre leurs traces, a visé à démanteler en tout ou en

partie une série de mécanismes de régulation et de compromis social issus de l’après seconde guerre

mondiale. Ce vaste chantier de démolition est toujours en cours. Il combine déréglementation et mise en place de nouvelles règles. Si l’on y regarde bien, il est raisonnable d’affirmer qu’un pays du tiers-

monde a constitué dans l’hémisphère sud un laboratoire dans lequel a été mis en pratique, d’une

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manière particulièrement violente et cruelle, le projet néolibéral : c’est, à partir du 11 septembre 1973, le Chili de la dictature du général Augusto Pinochet50.

A l’échelle planétaire, cette intervention politique a été menée au nom de quatre objectifs principaux :

la libéralisation (des mouvements de capitaux sur le plan international, l'ouverture des marchés

nationaux à la concurrence internationale), la privatisation (des entreprises et services publics), la déréglementation (des relations du travail, la mise en cause des mécanismes de protection sociale), la

compétitivité (celle-ci ne peut être préservée ou améliorée qu'à condition que les trois premiers

objectifs soient atteints ou en passe de l'être).

Le discours qui justifiait cette intervention politique est ainsi résumé par Riccardo Petrella, du Groupe de Lisbonne : “ Quels que soient le secteur visé (en expansion ou en déclin, de pointe ou non), la taille, la force ou le niveau de développement du pays, l'argument a toujours été le même : la privatisation est urgente si l'on veut accroître la compétitivité d'un secteur industriel, d'une société ou d'une économie qui se mondialise; il faut également libéraliser tous les marchés afin que l'industrie locale et les entreprises œuvrant à l'échelle de la planète deviennent plus compétitives sur les marchés mondiaux; et enfin, il importe de déréglementer les secteurs industriels et les marchés pour accélérer le processus de privatisation et partant, augmenter la compétitivité des entreprises locales ainsi que celle de l'économie nationale (ou régionale) ”. Et Petrella d'ajouter : “ Comme ces pressions se sont exercées dans la plupart des domaines et, phénomène nouveau, dans presque tous les pays, tout le monde essaie aujourd'hui de se concurrencer et d'être compétitif partout, et ce, aux quatre coins du globe. Dans ces conditions, l'avènement quasi universel du capitalisme compétitif en tant que système normatif ne doit pas nous surprendre. Le réveil risque cependant d'être brutal.”51.

Au cours de la période 1980 – 2000, les promoteurs de la mondialisation néolibérale sont allés de succès en succès. Chaque crise a été surmontée : la récession mondiale du début des années 1980, le

krach boursier de 1987, la récession de 1991 – 1992. L’aire de domination du capital s’est considérablement étendue avec l’implosion du bloc soviétique à la fin de la décennie 1980. Les

couches dominantes au pouvoir pendant l’ère soviétique ont embrassé la restauration capitaliste,

baptisée pudiquement “transition vers l’économie de marché” et se sont félicitées des politiques recommandées par le FMI et la Banque mondiale. Grâce à la crise de la dette des pays du tiers-monde

et aux politiques d’ajustement structurel qui ont suivi, les grandes puissances capitalistes

industrialisées ont pu renforcer leur emprise sur les économies de la Périphérie, tout en imposant des sacrifices sans fin aux peuples qui y vivent. A quelques rares exceptions près, les gouvernements et les

classes dominantes de ces pays ont salué les bienfaits de la mondialisation et ont appliqué souvent docilement les politiques dictées par le FMI, la Banque mondiale et l’OMC. Des transferts massifs de

richesses produites par les peuples de la Périphérie (tiers-monde et ex-bloc soviétique) ont été opérés

50 Michel Beaud et Gilles Dostaler écrivent à ce propos : « En 1977, Milton Friedman publie un ouvrage intitulé Contre Galbraith, issu de conférences prononcées en Grande-Bretagne. Dans l’une de celles-ci, il propose à la Grande-Bretagne, pour sortir de ses maux, une thérapie de choc s’inspirant en partie de celle qui a été mise en œuvre au Chili. C’est effectivement une thérapie de choc, appuyée en particulier sur le monétarisme friedmanien, et prévoyant entre autre un large volet de privatisation et de déréglementation, ainsi qu’une remise en question des prérogatives syndicales, que le gouvernement de Mme Thatcher met en œuvre à partir de 1979. » BEAUD, Michel et DOSTALER, Gilles. 1995. La Pensée économique depuis Keynes, Seuil, 1996, p. 188. Par ailleurs, le Chili, sous la dictature d’Augusto Pinochet, a reçu le soutien financier de la Banque mondiale tandis que le gouvernement démocratique du président élu Salvador Allende s’était vu retirer l’appui de celle-ci. 51 PETRELLA, Riccardo. 1995. Limites à la compétitivité, Labor, Bruxelles, p. 77-78.

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en faveur des détenteurs de capitaux des pays les plus industrialisés, les capitalistes de la Périphérie prélevant leur commission au passage. Chaque crise qui a frappé un ou plusieurs pays de la Périphérie

(il y en eut plusieurs dizaines) s’est dénouée en faveur de la poursuite de la soumission au modèle dominant, notamment par le biais de l’ajustement structurel.

En résumé, l’offensive néolibérale est allée constamment de l’avant, tant au Centre (où l’on réussissait

à forger de nouveaux concepts ronflants tels que “nouvelle économie” et à parler “d’effet richesse généralisé” au moment où la fracture sociale ne faisait que grandir) qu’à la Périphérie (où la plupart

des pays ont été soumis à une cure d’ajustement très stricte par le FMI et les “marchés”).

Depuis 1994 – 1995, la situation a commencé à se dégrader pour les promoteurs de cette

mondialisation néolibérale. Au niveau des citoyens, tant dans les pays du Centre que ceux de la Périphérie, les actes de résistance – qui n’avaient d’ailleurs jamais cessé – se sont multipliés et ont pris

une vigueur inattendue.

Un nouveau mouvement, certes hétéroclite, a progressivement pris forme. Antimondialisation ou altermondialisation ? Pour la réforme ou l’abolition de la Banque mondiale et du FMI ? Pour une

annulation conditionnelle ou inconditionnelle des dettes ? Pour un capitalisme régulé ou pour la mise

en place d’un autre système ? Le mouvement mondial de résistance à la mondialisation capitaliste néolibérale est traversé par des débats autour de ces questions – et c’est très bien ainsi.

La puissance de mobilisation du mouvement augmente et la faculté de définir des alternatives de progrès social progresse.

Mais, du point de vue des gouvernants et des classes dominantes qui veulent approfondir l’offensive néolibérale, le problème fondamental ne se limite pas à l’existence de ce mouvement qui

affirme qu’une autre mondialisation est possible. Les promoteurs de la mondialisation néolibérale

estiment que le mouvement anti ou altermondialiste n’est pas (encore) en mesure de faire obstacle durablement à l’offensive en cours. Pour eux, le problème majeur est interne. Plusieurs facteurs

inhérents au système constituent un danger certain : une nouvelle crise économique internationale a éclaté au début de l’année 2001. Effondrement de la “nouvelle économie” en 2001, chute du taux de

profit entre 1997 et fin 200152, faillites retentissantes, crise boursière, instabilité monétaire accentuée,

surendettement des entreprises et des ménages… La mondialisation néolibérale victorieuse depuis vingt ans traverse certainement pour la première fois une très forte période de turbulences dont elle ne

sortira sûrement pas indemne.

“ Aujourd’hui, la mondialisation, ça ne marche pas. Ca ne marche pas pour les pauvres du monde. Ca ne marche pas pour l’environnement. Ca ne marche pas pour la stabilité de l’économie mondiale. La transition du communisme à l’économie de marché a été si mal gérée que partout, sauf en Chine, au Vietnam et dans quelques rares pays d’Europe de l’Est, la pauvreté est montée en flèche et les revenus se sont effondrés. (…) Le problème n’est pas la mondialisation. C’est la façon dont elle a été gérée. En particulier par les institutions économiques internationales, le FMI, la Banque mondiale et l’OMC, qui contribuent à fixer les règles du jeu. Elles l’ont fait trop souvent en fonction des intérêts des pays industrialisés avancés – et d’intérêts privés en leur sein – et non de ceux du monde en développement ”53.

52 Selon la Banque mondiale, le taux de profit a progressé à nouveau en 2002. GDF 2003, p. 20. 53 STIGLITZ, Joseph E. 2002, La Grande désillusion, Fayard, Paris, p. 279.

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“ Aujourd’hui, le système capitaliste est à la croisée des chemins, exactement comme pendant la Grande Crise. Dans les années trente, il a été sauvé par Keynes qui a conçu des politiques susceptibles de créer des emplois et de venir en aide aux victimes de l’effondrement de l’économie mondiale. A présent, des millions de gens attendent de voir s’il est possible ou non de réformer la mondialisation pour que ses bénéfices soient partagés”54. L’auteur des lignes qui précèdent – ce n’est pas anodin – est un ancien vice-président de la Banque

mondiale. Joseph Stiglitz a pris nettement ses distances avec le cours néolibéral actuel et propose, dans

la foulée de J. M. Keynes, une autre politique. John Maynard Keynes, fonctionnaire britannique, avait quitté avec éclat la délégation de Sa Majesté

lors des négociations du Traité de Versailles. Dans les années qui suivirent, il engagea un combat résolu pour réformer le capitalisme et le sauver. Il le fit avec un succès certain. Ses propositions,

souvent résumées dans les termes d' "Etat Providence", influencèrent profondément le New Deal du

président Roosevelt. John Maynard. Keynes fut en 1944 un des acteurs principaux de la conférence de Bretton Woods au cours de laquelle la création du FMI et de la Banque mondiale fut décidée.

Joseph Stiglitz est un économiste keynésien, haut fonctionnaire états-unien retourné depuis le début de

l’année 2000 à sa chaire universitaire, ex-conseiller de l’ancien président des Etats-Unis William Clinton (il présida le Conseil des Experts économiques du Président Clinton puis devint économiste en

chef et vice-président de la Banque mondiale en 1997, poste qu’il quitta en novembre 1999, incité à la démission par Lawrence Summers, secrétaire d’Etat au Trésor de l’administration Clinton). A partir de

2000 surtout, il s’est mis à dénoncer avec fougue la politique néolibérale du Trésor des Etats-Unis, du

FMI (selon lui, largement aux ordres du Trésor et des grands groupes capitalistes) et a proposé lui aussi de sauver le capitalisme. Il a multiplié interviews, conférences et a publié deux livres « La

grande désillusion » et « Quand le capitalisme perd la tête », qui constituent de véritables pavés dans

la mare du néolibéralisme. Il se réfère clairement au projet de Keynes. Ce que dit et écrit Joseph Stiglitz a déjà été répété de nombreuses fois depuis 1980. Le fait nouveau en cette période historique,

c’est qu’une personne ayant occupé la place de président du Conseil des Experts économiques du Président des Etats-Unis, puis d’économiste en chef de la Banque mondiale, ayant reçu après sa

démission le prix Nobel d’économie, fasse un diagnostic terrifiant des politiques appliquées depuis

vingt ans par les gouvernements des principaux pays industrialisés, par le FMI, la Banque mondiale et l’OMC, par les gouvernements des pays dits en développement et ceux de l’ex-bloc soviétique. Il le

fait de manière radicale et il sait que sa dénonciation entre en écho avec un mécontentement

grandissant aux quatre coins de la planète. Il sait qu’il ne prêche pas dans le désert. Il est oiseux de spéculer sur l’avenir de Jospeh Stiglitz. Par contre, il n’est pas inutile de constater avec lui que

l’humanité est une nouvelle fois à la croisée des chemins, à un moment décisif de l’histoire, comme dans l’entre deux guerres mondiales au siècle dernier.

54 Idem, p. 319.

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Chapitre 2

La mondialisation du capital : croissance des transnationales Ce chapitre a pour objectif d’étudier l’implication des transnationales dans le processus de mondialisation / globalisation. Les entreprises transnationales ont contribué largement à alimenter cette intégration et cela leur a permis d’augmenter considérablement leur poids dans les échanges, la production et l’économie dans son ensemble. Les transnationales sont dans leur écrasante majorité originaires de la Triade. La concentration donne lieu à la formation d’oligopoles. Elles se sont adaptées à ce nouvel environnement par une financiarisation accrue de leurs actifs et contournent sciemment les règles du commerce par leurs échanges intra-firmes.

Dans le cadre de l'onde longue d'expansion lente qui a débuté dans les années 1970, d'importants changements sont intervenus au niveau de la structuration de l'économie internationale. Ils ont amené

nombre d'économistes à parler de “ mondialisation ” et de “ globalisation ”.

Les sociétés transnationales jouent un rôle important dans ce processus. Elles ont augmenté leur poids, tant dans la production que dans les échanges1.

Elles contrôlent 70% du commerce mondial et 75% des investissements directs à l'étranger (IDE - voir lexique). On estime qu’un tiers environ du commerce mondial de biens et services correspond à des

échanges intra-firmes entre filiales des transnationales. L’édition 2002 du rapport sur l’investissement

dans le monde de la CNUCED recense 65.000 transnationales, possédant 850.000 filiales2. En 2001, les filiales étrangères employaient quelque 54 millions de salariés, contre 24 millions en 1990. Parmi

ces dizaines de milliers d’entreprises, 500 comptent réellement et, parmi celles-ci, 100 ont une taille

tout à fait impressionnante et dominent le reste. En 2000, les 100 premières sociétés transnationales non financières (le groupe Vodafone, General Electric et la société Exxon Mobil occupant les trois

premiers rangs) réalisaient plus de la moitié du chiffre d’affaires total et employaient plus de la moitié de l’effectif des filiales étrangères3. Leur chiffre d’affaires dépasse largement le produit intérieur brut

de nombreux pays de la planète.

2.1. Vague d’acquisitions / fusions d’entreprises et concentration du capital Au cours de la décennie 1990, on a assisté à une vague importante de rachats (acquisitions) et de fusions d'entreprises sur le plan mondial. Dans les PED, cette vague a été facilitée par la mise en

pratique des recommandations de la Banque mondiale, du FMI : privatisations massives, suppression

du contrôle qu'exerçaient les gouvernements sur les acquisitions d'entreprises nationales par des capitaux étrangers, suppression des mesures de contrôle sur les mouvements de capitaux, suppression

du contrôle des changes, abandon des nationalisations... La nécessité dans laquelle se trouvaient les gouvernements endettés des PED de trouver des recettes nouvelles afin de faire face au

remboursement de la dette a constitué une puissante force motrice des privatisations. Le même 1 ADDA, Jacques. 1996. La Mondialisation de l’économie, 1 et 2, La Découverte, « Repères », Paris, 2000 ; CNUCED. 1994. World Investment Report : Transnational Corporations, Employment and the Workplace, Nations Unies. CNUCED ;1997. Rapport sur l’investissement dans le monde, New York et Genève ; CNUCED/UNCTAD. 2002. World Investment Report, Genève ; CNUCED/UNCTAD. 2000a. World Investment Report 2000. Cross-border Mergers and Acquisitions and Development, New York et Genève, Nations Unies ; ANDREFF, Wladimir. 1982. Les Multinationales hors la crise, Le Sycomore, Paris ; ANDREFF, Wladimir. 1996. Les Multinationales globales, La Découverte, « Repères », Paris. 2 CNUCED/UNCTAD. 2002. World Investment Report, Genève. 3 Idem, p.2.

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phénomène s’est déroulé dans les pays les plus industrialisés où les gouvernements confrontés au poids énorme de la dette publique ont cherché des rentrées nouvelles en privatisant des entreprises

publiques. Cette vague d'acquisitions/fusions est mesurable par la progression rapide des investissements directs à l’étranger.

Le volume annuel de ces flux d’investissements internationaux a été multiplié par six en dix ans

passant de 200 milliards en 1990 à plus de 1.200 milliards de dollars en 2000. L'écrasante majorité de ces investissements a servi aux rachats et/ou aux fusions d'entreprises. Ils n’ont pas principalement

servi à augmenter la production. Ils ont permis un changement de propriété des entreprises entraînant

une plus grande concentration du capital sur une base internationale et favorisant les firmes des principaux pays de la Triade.

La valeur des fusions a atteint près de 700 milliards de dollars en 1999. Les six fusions les plus

importantes ont coûté 238 milliards de dollars, soit plus que l’ensemble de la dette extérieure de

l’Afrique subsaharienne ou l’équivalent de la dette extérieure du Brésil.

La crise qui a éclaté aux Etats-Unis en 2001 et son effet de contagion internationale ont brusquement

réduit les flux d’investissement à partir de 2001 – 2002 : ils ont diminué de 56% en 2001 par rapport à 2000 et au cours des années 2002 et 2003, le reflux s’est poursuivi. La chute généralisée des cotations

boursières a réduit fortement les énormes liquidités dont les entreprises doivent disposer pour effectuer des opérations de rachat. Rétrospectivement, les spécialistes de l’OCDE reconnaissent que l’énorme

boom des fusions/acquisitions en 1999 – 2000 était lié à la bulle boursière en pleine expansion.

2.2. Situation d’oligopole Dans un grand nombre de secteurs économiques, une poignée d'entreprises transnationales contrôle la majeure partie de la production (c'est ce qu'on appelle une situation d'oligopole). Ce phénomène qui

existait avant les années 1980 s'est sensiblement accentué depuis.

Les auteurs du Rapport 1999 du PNUD posent la question : “ Combien détenaient les 10 premiers groupes mondiaux dans chaque secteur en 1998 ? ”. Ils répondent : “ Quelque 32% du secteur des semences commerciales, sur un total de 23 milliards de dollars ; 35% du secteur pharmaceutique, sur un total de 297 milliards de dollars ; 60% de la médecine vétérinaire, sur un total de 17 milliards de dollars ; près de 70% du marché des ordinateurs, sur un total de 334 milliards de dollars ; 85% du secteur des pesticides, sur un total de 31 milliards et plus de 86% du secteur des télécommunications, sur un total de 262 milliards de dollars. La conclusion est claire : la privatisation n'entraîne pas automatiquement la concurrence”4.

Le phénomène de la concentration dans un cadre mondialisé touche également le secteur des banques, de la grande distribution (chaînes de grands magasins), du tourisme, des moyens d'information.

En 1995, les cinq principaux pays capitalistes (Etats-Unis, Japon, France, Allemagne et Royaume-Uni)

se partageaient 168 des 200 plus grandes entreprises transnationales5. Ces 168 entreprises réalisaient

4 PNUD. 1999. Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris, p.67. 5 CLAIRMONT, Frédéric F. 1997. « Ces Deux cents sociétés qui contrôlent le monde », Le Monde diplomatique, avril 1997.

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42

85,9% du chiffre d'affaires global des 200 plus grandes. En 1998, les cinq pays mentionnés en contrôlaient 170 qui réalisaient 86,5% du chiffre d'affaires global des 200 plus grandes6.

Le tiers-monde était quasi absent d'un tel classement : seuls la Chine, le Brésil, le Venezuela, le Mexique et la Corée du Sud y figuraient en 1995, d'ailleurs modestement, avec une transnationale

chacun pour les quatre premiers et six pour la Corée. Celle-ci, en pleine expansion dans la première

moitié des années 1990, avait conquis une place significative dans la division internationale du travail et ses transnationales rivalisaient dans leur domaine avec celles des principaux pays industrialisés

même si elles ne représentaient en tout que 2,3% du chiffre d’affaires des 200 plus grandes. Les dix

transnationales du tiers-monde ne représentaient ensemble que 3,3% du chiffre d'affaires global des 200 plus grandes. En 1998, un an après l’éclatement de la crise du Sud-Est asiatique, il n’y avait plus

que 3 entreprises coréennes au lieu de 6, et leur poids était passé de 2,3% à 1,1%. Dans les années qui ont suivi, les transnationales coréennes ont été restructurées et les principales transnationales des pays

industrialisés en ont acquis des pans entiers. L’opinion suivante que nous avions exprimée dans la

première édition française de La Bourse ou la Vie parue en 1998, a été confirmée : « Les principales transnationales des pays industrialisés verraient d’un bon œil le démantèlement de certains groupes industriels coréens organisés en chaebols. Il n’est donc pas exclu que certaines transnationales coréennes soient redimensionnées et perdent des places dans le hit parade des 200 principales transnationales »7. En 2003, dans les 200 principales transnationales ne figurait plus qu’une entreprise

coréenne (Samsung) et, parmi les cinquante transnationales les plus importantes (rangées d’après leur capitalisation boursière), on n’en trouvait aucune ayant son siège dans un pays de la Périphérie ; toutes

appartenaient aux pays de la Triade (33 nord-américaines, 2 japonaises et 15 européennes -

Allemagne, Grande-Bretagne, France, Pays-Bas, Italie, Finlande et Suisse).

Le renforcement de la domination des entreprises transnationales de la Triade s’est accéléré à la faveur

des multiples fusions/absorptions des années 1999, 2000 et 2001. De nombreuses firmes des pays de la Périphérie ont été entièrement rachetées ou vendues par appartements à des firmes des pays de la

Triade. Le supplément que le Financial Times a consacré le 10 mai 2002 aux 500 principales firmes de la planète donnait une image claire des rapports de forces mondiaux entre les entreprises des pays de la

Triade et celles du reste du monde d’une part, à l’intérieur de la Triade d’autre part. Près de 90% des

500 principales entreprises avaient leur siège dans la Triade (48% aux Etats-Unis, 30% en Europe occidentale et 10% au Japon). La puissance des entreprises des Etats-Unis est impressionnante : sur les

10 premières firmes de la liste du Financial Times, 9 étaient états-uniennes ; sur les 25 premières,

72% ; sur les 50 principales, 70% ; sur les 100 principales : 57%… Un an plus tard, reprenant le même type de classement, le Financial Times pouvait constater que les firmes basées aux Etats-Unis avaient

maintenu leur position (Financial Times, 28 mai 2003). Si on envisage ces entreprises par secteur, en 2003, 6 des 10 principales banques avaient leur siège aux

Etats-Unis (contre 5 sur 10 en 2002); idem pour 6 des 10 principales firmes pharmaceutiques et de

biotechnologie (statu quo par rapport à 2002) ; idem pour 3 des 10 principales firmes de télécommunication (contre 4 sur 10 en 2002); 4 des 10 principales firmes pétrolières (idem en 2002) ;

7 des 10 principales firmes de software informatique (contre 9 sur 10 en 2002) ; 8 des 10 principales firmes de distribution – chaînes de magasins (contre 9 sur 10 en 2002). En 2003, 8 entreprises

6 CLAIRMONT, Frédéric F. 1999. « Ces firmes géantes qui se jouent des Etats », Le Monde Diplomatique, Décembre 1999. 7 TOUSSAINT, Eric. 1998. La Bourse ou la Vie. La Finance contre les Peuples. Coédition Luc Pire-Bruxelles/CADTM-Bruxelles/CETIM-Genève/Syllepse-Paris, p.52.

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43

d’informatique hardware sur 10 avaient leur siège aux Etats-Unis et 5 sur 10 dans le domaine des assurances.

2.3. Evolution des transnationales : rôle accru des actifs financiers pour les transnationales industrielles Pour comprendre la façon dont les firmes transnationales se sont adaptées au nouveau paysage financier

mondial, il paraît indispensable de prendre en compte l’importance croissante de leur engagement dans

des opérations financières qui peuvent être fort éloignées de leur vocation essentiellement industrielle à l’origine. De nombreuses firmes traditionnellement actives dans la production fonctionnent comme des

groupes financiers qui assurent des choix permanents en fonction de la rentabilité des capitaux engagés

dans leurs différentes activités et filiales. On peut dès lors parler de groupes financiers à dominante industrielle.

Dans ce contexte, même les plus grands groupes industriels voient dans leurs activités de production

une forme parmi d'autres de mise en valeur de leur capital. Le qualificatif de global, désormais utilisé

pour caractériser la stratégie de ces groupes multinationaux, prend ainsi deux sens complémentaires. Il désigne, d'une part, le fait que leur horizon est devenu immédiatement planétaire (quoique concentré

essentiellement dans la Triade Etats-Unis / Europe / Japon). Il signifie aussi que leur stratégie est

toujours plus clairement fondée sur une valorisation d'actifs, au moins autant financiers qu'industriels.

Y a-t-il un effet d'éviction des investissements productifs provoqué par la montée en force des actifs financiers détenus par les entreprises ? La réponse est probablement positive.

Les dimensions financières du mouvement du capital se sont développées de manière impressionnante. Cela crée des tensions entre ceux qui, dans l'entreprise, dépendent des activités industrielles et ceux

pour lesquels le critère fondamental est le “ tableau de bord ” indiquant chaque trimestre les dividendes qui vont être versés aux actionnaires.

Dans les comptes des groupes, les revenus tirés de la mise en valeur des différents types de capitaux s'additionnent pour former le profit, qui résulte ainsi d'une mise en valeur globale du capital. Mais, dès

qu'on se place à l'échelle de la reproduction d'ensemble du capital, il en va autrement. Les revenus

financiers issus des diverses formes de placement du capital-argent constituent des prélèvements sur la plus-value issue de la production8.

Le crédit octroyé par le banquier et l'argent collecté lors de l'émission d'actions et d'obligations peuvent

sans doute être considérés comme des auxiliaires de l'accumulation car ils permettent au cycle du

capital productif de se déployer sans être entravé par de trop fortes contraintes financières. Mais ils sont, par essence, porteurs de conflit lorsqu'il s'agit de partager le surplus de valeur qui a été créé dans

le processus de production entre le profit retenu par l'entreprise et destiné à être réinvesti, d'une part, et

la rémunération du capital prêté (intérêt) ou investi en titres de propriété (dividendes), d'autre part.

8 SERFATI, Claude. 1996. « Le Rôle actif des groupes à dominante industrielle dans la financiarisation de l’économie », dans F. Chesnais. 1996. La Mondialisation financière ; HUSSON, Michel. 1996. Misère du capital, Une critique du néo-libéralisme, Syros, coll. “Pour débattre”, Paris.

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44

2.4. Les transnationales se mettent hors marché : le commerce intra-firme Au moins un tiers des échanges qui ont lieu dans le monde se fait à l'intérieur des sociétés transnationales.

Il en découle que les statistiques sur le commerce mondial qui se fondent sur les échanges entre pays

ne sont pas en mesure de refléter la réalité des échanges sur le plan de la planète.

Alors que les transnationales proclament leur adhésion à la religion du marché qui implique une situation de concurrence systématique, elles se soustraient à cette concurrence dès qu'elles le peuvent.

Elles ne laissent pas au marché le soin de fixer les prix des produits qu'elles utilisent. Elles organisent

les échanges entre leurs différents sièges selon une logique qui n'a rien à voir avec le principe du libre-échange qu'elles professent. “ Fais ce que je te dis de faire, pas ce que je fais ”.

Ce qui est remarquable, c'est que ceux qui tentent de justifier cette pratique invoquent les “ imperfections ” ou les “ défaillances ” du marché. Un de ceux-ci, Mark Casson9 cite les obstacles

que les transnationales évitent en se mettant hors marché : l'absence de contact entre l'acheteur et le vendeur, l'ignorance des désirs réciproques, l'absence d'accord sur le prix, l'absence de confiance dans

l'adéquation des marchandises aux spécificités fixées au départ, l'existence de tarifs douaniers, de taxes

sur les gains nés de la transaction, de contrôles des prix, l'absence de confiance dans la restitution en cas de non-paiement10…

Mark Casson a-t-il pensé que cela pouvait constituer une critique générale à l’égard du “ tout au marché ” ?

9 CASSON, Mark C. 1982. "Transaction costs and the theory of multinational enterprise", dans RUGMAN, Alan M. (ed.), New Theories of the Multinational Enterprise. London: Croom Helm, p. 10-28. Réimprimé dans BUCKLEY Peter J. et CASSON, Mark C. 1985. The Economic Theory of the Multinational Enterprise, London: Macmillan, p.20-38.). 10 CHESNAIS, François. coord. 1996. La Mondialisation financière, Alternatives économiques, Syros, Paris.

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45

Chapitre 3

La mondialisation excluante :

marginalisation de la Périphérie et renforcement de la Triade Alors que la mondialisation entraîne un accroissement considérable des flux de capitaux entre pays, le tiers-monde occupe une place de plus en plus restreinte dans ces échanges. Les mouvements de capitaux restent essentiellement localisés sur trois ensembles régionaux au sein de la Triade. Toutefois un montant suffisant, bien que relativement faible, a permis d’endetter les PED et d’augmenter leur degré de subordination à l’égard des pays les plus industrialisés par l’intermédiaire des Institutions financières internationales. Les pays du Centre commercent principalement entre eux. Ceux de la Périphérie commercent avec ceux du Centre et rarement entre eux.

La part des pays de la Périphérie dans les flux mondiaux de capitaux privés a fortement diminué dans

les dernières années du 20e siècle. C’est un démenti à “la théorie néoclassique de la croissance qui postule que le capital disponible dans les pays où le revenu par habitant est élevé, doit immanquablement se diriger vers les pays où le revenu par tête est plus faible parce que la productivité du capital y est plus forte” (Y. Mamou, in Le Monde, 10/04/2001).

Les pays de la Périphérie où vivent plus de 85% de la population mondiale n’attiraient pendant la

période la plus favorable (1990-1997) de l’ère néolibérale 1980 -… qu’une part marginale - environ 15% - de l’ensemble des capitaux qui se déplaçaient d’un point à l’autre de la planète. Et parmi les 187

pays rangés par l’OCDE dans la catégorie des pays en développement, une petite dizaine recevait plus

de la moitié de cette maigre somme. Entre 1997 et 2000, la part de la Périphérie dans les flux de capitaux privés a fondu de moitié passant d’environ 15% à 7,5%1.

Graphique 3.1. Répartition de la population mondiale en 2001

Répartition de la population mondiale en 2001

Triade14%

Périphérie86%

Source : World Bank, WDI 2003

1 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2001. Global Development Finance, Washington, p.VIII.

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46

Graphique 3.2. Répartition des flux de capitaux privés

85%

15%

92,5%

7,5%

0%

50%

100%

1990-1997 2000

Répartition des flux de capitaux privés

Triade Périphérie

Source : World Bank, GDF 2001. Les flux internationaux de capitaux privés qui se dirigent vers la Périphérie sont rangés en quatre

grandes catégories par la Banque mondiale : 1) les investissements directs à l’étrangers (IDE) – ils

représentent le principal flux de capitaux, 2) les investissements de portefeuille en actions, 3) les titres et obligations de dette émis par des entreprises privées ou des entités publiques des pays de la

Périphérie, 4) les prêts bancaires internationaux. Le reste est marginal. Dans le tableau 3.1.,

“Investissements de portefeuille” et “Titres de la dette” sont regroupés sous la rubrique “Marchés financiers”. Tableau 3.1. Composition des flux privés vers les PED

(en pourcentage du total)

Type de flux 1973-1981 1990-1997

Prêts bancaires Marchés financiers IDE

63,9% 3,8% 16,8%

11,7% 31,6% 50,3%

Source : Banque mondiale (GDF 2001) Pendant la période 1990-1997, les IDE représentaient environ 50% des flux, les investissements de

portefeuille 16%, les titres de la dette 15% et les prêts bancaires 12%2.

Fin des années 1990 – début des années 2000, les prêts bancaires ont très fortement baissé (on vient même de voir que les flux bancaires étaient devenus négatifs). Les autres flux privés provenant de la

finance internationale ont fait de même. Pour preuve : les émissions de titres de la dette ont baissé de

moitié entre 1997 et 2002 ; les investissements de portefeuille ont été réduits de deux tiers ; le flux d’IDE a également baissé, certes dans une proportion moindre que les deux flux précédents. La baisse

touchant l’IDE était de l’ordre de 15% entre 1997 et 2002 (moins 20% entre 1999 et 2002).

Il est piquant de remarquer que la Banque mondiale, le FMI et l’OCDE mentionnent très rarement un

autre flux privé qui se dirige vers les pays de la Périphérie : il s’agit des envois de fonds que réalisent

2 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2000. Global Development Finance, Washington, p.126.

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47

les travailleurs migrants installés dans les pays industrialisés vers leurs familles vivant dans les PED. En 2002, ces envois (remittances en anglais ; remesas en espagnol) ont représenté 80 milliards de

dollars alors que la même année, le flux net de prêts bancaires aux pays en développement était négatif (c’est-à-dire que les montants prêtés étaient inférieurs aux montants remboursés). En effet, les banques

ont prêté 17 milliards de dollars aux PED et ceux-ci leur ont remboursé (capital + intérêt) 35 milliards

de dollars. Ce sont littéralement les PED qui ont financé les banques des pays créanciers, celles-ci ont retiré des PED 18 milliards de dollars de plus que ce qu’elles leur ont prêté3.

Les envois des migrants sont des dons et atteignent directement les populations concernées alors que

les prêts bancaires alourdissent la dette extérieure et ne bénéficient généralement pas à la population.

Les institutions financières internationales qui ont, pendant des années, systématiquement ignoré l’importance des envois des migrants dans les flux privés, ont commencé à opérer un virage radical en

la matière. Le rapport Global Development Finance 2003 (publié en avril 2003) mettait l’accent sur

l’importance des envois des migrants (qui ont augmenté de 33% entre 1998 et 2002). Avant de dire tout haut que ces envois étaient très importants, la Banque mondiale avait déjà lancé des programmes

dans certains pays d’Amérique latine et d’Asie visant à intervenir dans la gestion de ces fonds. Tout

comme elle avait découvert la capacité de gestion des femmes des PED dans le courant des années 1980, la Banque mondiale qui a un grand sens de l’opportunité, est en train de s’intéresser très

activement aux travailleurs migrants et à leurs familles.

A noter par ailleurs qu’entre 1990 et 2002, les envois de fonds par les migrants ont toujours été bien

supérieurs au flux d’aide publique au développement (APD) qui entre dans les PED. En 2002, les envois des migrants (80 milliards) ont représenté plus de deux fois l’APD nette (36,7 milliards de

dollars en 20024). Cette somme est d’ailleurs également supérieure au total de l’APD (dons + prêts

concessionnels + assistance technique + allégement de dette) qui s’est élevé à 57 milliards de dollars en 2002. Dans la rhétorique des IFI et des gouvernements, on appelle “ donateurs ” le FMI, la BM et

les pays créanciers et on ignore superbement les migrants quand on ne les renvoie pas purement et simplement par charters dans leur pays d’origine.

3.1. Les investissements directs à l’étranger (IDE)

La part de la Périphérie dans le stock mondial d’investissements directs à l‘étranger (IDE) n’a cessé de diminuer entre 1960 et 1990. En 1960, elle était d’un tiers ; en 1980, d’un quart ; en 1990, elle est

tombée à un cinquième. Si on adopte une perspective historique à l’échelle de l’ensemble du 20e

siècle, le déclin est encore plus frappant. En 1913, tout comme en 1938, ce que l’on a appelé plus tard le tiers-monde recevait deux tiers des IDE5.

3 Les chiffres concernant de l’année 2002 proviennent de World Bank, GDF 2003. Dans l’édition 2004 du GDF, le montant des envois des migrants est revu à la hausse pour l’année 2002. Il passe de 80 milliards de dollars à 88 milliards. Toujours selon le GDF 2004, les envois des migrants se sont élevés à 93 milliards de dollars pour l’année 2003. 4 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance, Washington, p.201. 5 ADDA, Jacques. 1996. La mondialisation de l'économie. 1, La Découverte, « Repères », Paris, 2001, p.83.

Page 63: Thèse EricT VersionDéf 11juin

48

Graphique 3.3. Répartition des stocks d’IDE

33%

67% 67%

33%

75%

25%

80%

20%

0%

50%

100%

1913-1938 1960 1980 1990

Répartition des stocks d'IDE

Triade Périphérie

Source : Jacques Adda, 2001, t. 1, p. 83 Si l’on s’intéresse maintenant aux flux d’IDE, la part de la Périphérie s’est considérablement réduite

passant de 38% à 17% entre 1995 et 2000.

Graphique 3.4. Répartition des flux d’IDE

62%

38%

83%

17%

0%

50%

100%

1995 2000

Répartition des flux d'IDE

Triade Périphérie

Source : World Bank, GDF, 2001

Si on prend en considération la répartition des IDE entre les 187 pays de la Périphérie, on constate que chaque année, cinq à huit pays en reçoivent plus de 50%.

Prenons l’année 1998, les IDE vers les PED se sont élevés à 177 milliards de dollars. La Chine

(45.460 millions), le Brésil (28.718 millions), le Mexique (10.238 millions) et la Thaïlande (6.969) en ont plus de la moitié (91.385 millions). Entre 1990 et 2000, les principaux pays récipiendaires d’IDE

ont été : la Chine, le Mexique, le Brésil, l’Argentine, la Thaïlande, la Corée du Sud, la Malaisie,

Hongkong, Singapour… En tout, seuls une vingtaine de pays (dont 3 ou 4 de l’ex-bloc de l’Est) ont reçu plus de 80% des IDE qui se sont dirigés vers la Périphérie au cours des années 1990. Chine mise

à part, une grande partie de ces flux est attirée par de bonnes affaires à réaliser en profitant des vastes programmes de privatisation et d’ouverture au capital étranger développés dans le cadre de

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49

l’ajustement structurel (en 1998-2000, cela a été particulièrement le cas de l’Argentine, du Brésil et des pays du sud-est asiatique). Le Mexique et le Chili ont été des précurseurs à ce niveau : la vague

des privatisations massives a commencé dans la première moitié des années 1990. Avec la crise qui a éclaté en Argentine en décembre 2001, les flux d’IDE (ainsi que les autres flux : prêts bancaires,

investissements de portefeuille, prêts du FMI et de la BM) se sont arrêtés net. L’effet de contagion n’a

pas tardé et les flux d’IDE vers le Brésil et l’Uruguay ont chuté très fortement en 2002. Quant au Mexique, il a encore reçu un important flux en 2001-2002 car deux de ses principales banques

(Bancomer et Banamex) ont été acquises par des firmes de la Triade (en 2001, la banque Citigroup des

Etats-Unis s'est offert Banamex et en 2002, la Banque Bilbao Viscaya Argenteria a gagné le contrôle total de Bancomer), mais le flux risque de se tarir également à moins que le gouvernement néolibéral

ne vende l’entreprise pétrolière publique Pemex. Tandis qu’une poignée de pays reçoit l’essentiel de l’IDE, “ pour 100 pays, l’IDE est en moyenne inférieur à 100 millions de dollars par an depuis 1990 ”6. Les 49 pays les moins avancés (PMA) ne reçoivent ensemble en moyenne que 0,5% de

l’IDE.

Parmi les arguments en faveur des politiques attractives à l’égard des IDE, on trouve généralement

celui de l’afflux de devises fortes. Pourtant dans le rapport 2003 de la Banque mondiale, Global Development Finance, les auteurs montrent que les résultats sont mitigés. Ils donnent l’exemple du

rachat en 1999 de l’entreprise pétrolière argentine YPF par la transnationale espagnole Repsol. Au moment du rachat, on s’était vanté d’un afflux de capitaux pour un montant de 15,5 milliards de

dollars alors qu’en réalité, selon la Banque, l’entrée nette s’est limitée à 4,6 milliards de dollars. En

effet, 10,9 milliards de dollars ont été versés par Repsol à des actionnaires étrangers de YPF qui ont exporté leurs capitaux immédiatement vers d’autres cieux7.

3.2 Les investissements intra-triadiques Inversement, la part des pays de la Triade dans l’IDE s’est considérablement accrue à la fin du 20e siècle.

En 2000, plus de 80% de l’IDE mondial a été investi au sein de la Triade. La majeure partie des IDE

est une affaire entre entreprises de la Triade à l’intérieur d’un espace géographique limité. Pour l’essentiel, il s’agit d’opérations de fusions / acquisitions entre entreprises pour augmenter leur

domination sur un secteur du marché et pour atteindre une taille telle qu’il devient difficile pour

d’autres entreprises de les acquérir. Les conséquences : réduction d’emplois (sauf exception rarissime), augmentation du degré de concentration, renforcement du contrôle de secteurs entiers du

marché par quelques entreprises, ralentissement de l’innovation… Le gonflement de la bulle boursière dans la deuxième moitié des années 1990 a apporté aux

entreprises dont la cotation en bourse grimpait, d’énormes possibilités d’emprunt. Elles en ont profité

et elles se sont endettées pour acheter d’autres entreprises. Elles ont également utilisé l’argent emprunté pour acheter en bourse leurs propres actions de manière à maintenir leur cours à un niveau

élevé. Cela n’a pas empêché la baisse des cours en 2001. A la fin de cette année-là, la baisse a pris des allures d’effondrement et le mouvement d’érosion a continué à un rythme soutenu en 2002-2003.

Beaucoup d’entreprises se sont retrouvées toutes nues. Leur cotation boursière s’est écrasée, leur

possibilité d’emprunt s’est réduite à néant et elles ont éprouvé d’énormes difficultés à rembourser

6 PNUD. 1999. Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris, p.31. 7 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance, Washington, p.101.

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50

leurs créanciers. Pour trouver des liquidités afin de payer leurs dettes, elles se sont mises à vendre des entreprises qu’elles avaient achetées quelque temps auparavant. Dans la mesure où elles étaient aux

abois, elles ont souvent dû revendre à bas prix ce qu’elles avaient acquis au prix fort au moment de l’euphorie boursière. Les pertes se sont accumulées. Plusieurs faillites retentissantes ont suivi.

Dans les dernières années, les Etats-Unis ont été systématiquement les principaux bénéficiaires de l’IDE.

Entre 1998 et 2000, à eux seuls, les Etats-Unis ont reçu annuellement plus d’IDE que l’ensemble des

pays de la Périphérie. Un record a été atteint en 2000 quand les flux d’IDE vers la principale puissance de la planète ont représenté une somme trois fois plus importante que l’ensemble des IDE ayant pris la

direction de la Périphérie. La crise économique qui a éclaté aux Etats-Unis en 2001-2002 a modifié la situation. Les Etats-Unis

étaient subitement devenus moins attractifs. Les effets négatifs de ce retournement risquent de peser

lourdement sur l’avenir de leur économie. Si les autorités états-uniennes optent pour un dollar faible afin de favoriser les exportations et qu’elles maintiennent une politique de taux d’intérêt très faible, les

Etats-Unis attireront beaucoup moins de capitaux étrangers.

Revenons à la fin des années 1990. Les transnationales US ont procédé à des fusions/acquisitions en Europe occidentale, surtout, et au Japon mais, globalement, les Etats-Unis ont reçu beaucoup plus

d’IDE qu’ils n’en ont réalisés à l’extérieur. Certaines grandes firmes transnationales européennes ont augmenté leur poids à l’intérieur de la

première puissance mondiale.

Les transnationales des différents pays de l'Union européenne se sont d’abord lancées dans des fusions / acquisitions à l'intérieur de ce qui est devenu le Marché unique et, ensuite, en Amérique du

Nord et au Japon. A partir de 1998, les firmes européennes se sont tournées de plus en plus vers la

fusions / acquisitions d’entreprises aux Etats-Unis. Les transnationales de l’UE réalisent plus d’IDE dans les deux autres pôles de la Triade qu’elles n’en reçoivent d’eux. Il faut ajouter que les

transnationales allemandes se sont aussi lancées dans l'achat d'entreprises de l'ex-bloc soviétique (à partir de 1989-1990), surtout dans leur voisinage immédiat.

Les transnationales japonaises ont beaucoup investi en Amérique du Nord, en Europe et dans leur zone

d'influence asiatique jusqu’au début des années 1990. Depuis l’éclatement de la crise au Japon, elles ont largement réduit leurs opérations d’investissement à l’extérieur8. Le Japon exporte beaucoup plus

d’IDE qu’il n’en reçoit (toujours en 1998, il n’a “ reçu ” que 3 milliards d’IDE de l’extérieur).

Néanmoins, d’année en année, l’IDE qui entre au Japon augmente et prend là aussi la forme de fusions / acquisitions. C’est ainsi que Nissan, le constructeur japonais d’automobiles, est passé sous le

contrôle du constructeur français Renault (qui s’est empressé de supprimer 20.000 postes de travail). Un autre constructeur japonais, Mitsubishi, est passé sous le contrôle de DaimlerChrysler,

transnationale germano/nord-américaine. Du jamais vu au Japon.

3.3. Renforcement de la Triade Du point de vue de la place qu'occupent les différentes parties du monde dans le commerce mondial, on constate un processus de renforcement du poids relatif de la Triade et de marginalisation de la

majeure partie du tiers-monde et de l’ex-bloc de l’Est.

8 Les sorties d’IDE du Japon sont tombées de 35 milliards de dollars en 1988 à 24 milliards en 1998 - OECD Statistics 2000, p. 57.

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51

Le tableau 3.2. donne une idée non équivoque de la tendance générale. Tableau 3.2. Répartition des exportations mondiales entre Triade et Périphérie

Exportations mondiales 1985 1998 1999 Triade 63,8 66,7 68,1 Périphérie 36,2 32,3 31,9 Dont les PMA 1,5 0,5 0,5 Dont ex-bloc de l’Est 5,0 4,3 2,0

Sources: CNUCED 2000 ; FMI, World Economic Outlook, octobre 2000 ; calculs de l'auteur 3.4. Les quatre “ dragons ” d’Asie : l’exception ?

Au sein du tiers-monde, seuls quelques pays ont réussi à émerger. C'est incontestablement le cas de la

Corée du Sud et, dans une moindre mesure, de Taïwan. Ces deux pays sont presque entrés dans le club étroit des pays développés. Ils l’ont fait par une voie qui n’a rien à voir avec les recettes préconisées

par le FMI et la Banque mondiale9 : protectionnisme systématique, rôle très actif de l’Etat, réforme

agraire radicale. Mais depuis la crise de 1997-1998, la Corée du Sud a basculé dans une situation de dépendance renforcée à laquelle elle n’était pas préparée. Des pans entiers de l’appareil industriel sud-

coréen ont été acquis à vil prix par des transnationales nord-américaines, européennes ou japonaises.

Hongkong et Singapour occupent une place à part : ces deux villes sont des centres principalement

financiers. Hongkong a été rendu à la Chine populaire et son avenir économique lui est désormais lié. La Corée du Sud, Taïwan, Hongkong et Singapour, en 1996, ont réalisé plus de 50% du total des

exportations de l'ensemble de la Périphérie - ex-bloc de l’Est compris10. Quant aux quelques autres pays du tiers-monde qui semblaient connaître un décollage certain (le

Mexique, le Brésil, l’Argentine, le Chili, la Thaïlande, l’Indonésie, les Philippines), la Banque

mondiale et le FMI les citaient en exemple jusqu’à ce que ces pays connaissent une crise majeure. Ces pays sont fragilisés à la fois par leur endettement extérieur, par le déficit structurel de leurs échanges,

par le caractère volatil des flux financiers, par les privatisations et par l’abandon de mécanismes

protectionnistes.

La Malaisie se trouve dans une situation plus favorable que les pays mentionnés plus haut dans la mesure où, en 1997-1998, ses autorités ont refusé tout accord avec le FMI et ont imposé des mesures

de contrôle sur les capitaux. Ce choix a été couronné de succès (voir plus loin dans la thèse l’étude de

cas sur le Sud-Est asiatique). La Chine est également dans une situation plus enviable que les autres dans la mesure où sa monnaie est inconvertible et son marché intérieur, fortement protégé. Son entrée

dans l’OMC (rendue effective en novembre 2001 lors de la conférence de l’OMC à Doha - Qatar) est

lourde de conséquences. Le coût risque d’en être terrible pour une grande partie de sa population.

9 COUTROT, Thomas et HUSSON, Michel. 1993. Les Destins du Tiers Monde, Nathan, Circa, p.125-130 ; UGARTECHE, Oscar. 1997. El Falso dilema, Nueva Sociedad, Caracas, p.71-86 ; STIGLITZ, Joseph E. 2002, La Grande désillusion, Fayard, Paris. 10 WORLD BANK, Global Economic Prospects, 1998-1999, p.198-199.

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3.5. Augmentation de la subordination de la majorité des pays du tiers-monde par rapport aux centres impérialistes

Il faut bien sûr éviter une présentation simpliste de l'évolution en cours. Il n'y a pas de largage général du tiers-monde par la Triade. Plusieurs pays du tiers-monde se sont dotés d'une base industrielle

relativement solide qui ne va pas disparaître brutalement, mais il est remarquable de constater qu'avec

les privatisations et les autres mesures néo-libérales, les transnationales des pays capitalistes développés ont acquis dans ces pays une liberté de manœuvre sans précédent.

La crise de l’endettement extérieur de ces pays a permis aux institutions financières multilatérales (Banque mondiale et Fonds Monétaire International) et aux gouvernements des principaux pays industrialisés de dicter un ensemble de mesures consignées dans les programmes d’ajustement structurel (PAS) - voir les chapitres consacrés à cette question -. Des secteurs économiques stratégiques, du point de vue du développement de ces pays, sont “ offerts ” aux transnationales. Tant et si bien qu'on peut parler d'une involution, d'un retour vers une dépendance / subordination accentuée de pays du tiers-monde qui avaient tenté, non sans certains succès, un début de développement autonome. C'est le cas du Mexique, de l'Inde, de l'Algérie, du Brésil, de l’Argentine...

Les pays comme l'Indonésie, la Thaïlande, les Philippines, qui sont souvent présentés comme les “ tigres ” asiatiques suivant la piste des quatre “ dragons ” (Corée, Taïwan, Hongkong et Singapour),

ont connu certes une croissance économique, mais elle était très largement dépendante des

transnationales, de leurs exportations à bas prix et de l’endettement extérieur. Ces pays ont essentiellement un rôle de pourvoyeur de main-d'œuvre à bon marché; ils ne sont pas promis à jouer

un rôle autonome comme celui de la Corée du Sud.

Quant à la majeure partie de l'Afrique, de l'Amérique centrale et des Caraïbes, ainsi que d'une bonne

partie de l'Amérique du Sud et de l'Asie du Sud, la marginalisation est évidente.

3.6. Les trois ensembles régionaux au sein de la Triade A chaque pôle de la Triade se constituent des ensembles régionaux.

3.6.1. L'ensemble Etats-Unis / Canada/Mexique (institué par le Traité de Libre Commerce entré en

vigueur le 1er janvier 1994) est clairement dominé par les Etats-Unis qui, par ailleurs, ont réussi dans la

même période à rétablir leur suprématie politico-militaire sur le plan mondial. Cela s’est combiné à un redressement économique de longue durée (1992-2000). Le dollar est toujours le moyen d'échange

international privilégié et la principale monnaie de réserve. Le billet vert représente un peu plus de 60% des réserves de l'ensemble des banques centrales. Cela a permis aux Etats-Unis de reporter sur les

autres une partie de leur dette publique et de leur déficit commercial. Les investissements à l’étranger

(IDE) ont afflué vers les Etats-Unis entre 1997 et 2000. Cela a réduit le déficit de leur balance des paiements.

La situation a commencé à se retourner à partir de 2001-2002 : la chute de la croissance aux Etats-

Unis combinée à d’autres facteurs internes a fortement réduit les entrées de capitaux étrangers et diminué le pouvoir d’attraction des Etats-Unis. Dans cet ensemble, le Mexique reste cependant le

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maillon le plus faible. La crise économique de fin 1994 a accru fortement sa subordination aux Etats-Unis. Cette situation est symbolisée par le fait que les revenus pétroliers mexicains ont été, en 1995,

mis en gage pour le paiement de la dette extérieure. Un juge des Etats-Unis avait alors le pouvoir de bloquer sur un compte bancaire les revenus pétroliers du Mexique si celui-ci n'arrivait pas à payer le

service de sa dette. La dépendance du Mexique à l’égard de ses relations commerciales avec les Etats-

Unis a augmenté au cours des années 1990 : la part du voisin du Nord dans le commerce extérieur mexicain est passée de 75% en 1993 à 81% en 2000 (celle de l’Union européenne passant de 12% à

8%).

Au-delà, le continent américain, du cercle polaire arctique à la Terre de feu, demeure le champ d’action privilégié des firmes des Etats-Unis, dont la position dominante sur les marchés de

l’ensemble de l’Amérique latine (exception faite de Cuba) ne semble pas en mesure d’être contestée. L’ALCA (ZLEA - Zone de Libre Echange des Amériques) constitue une nouvelle initiative des Etats-

Unis pour assurer une meilleure domination sur l’ensemble des Amériques.

3.6.2. Autour du Japon, s'est constitué un ensemble de l’Extrême-Orient. Certains auteurs parlent

d'un ensemble Asie-Pacifique ou Asie-Océanie en mettant en évidence les liens étroits qu'entretiennent

l'Australie et la Nouvelle-Zélande avec le pôle japonais11. Quoi qu’il en soit, cet ensemble de l’Extrême-Orient a le Japon pour centre et, comme moteurs

auxiliaires principaux, la Corée du Sud et Taïwan, suivis de pays pourvoyeurs de main-d'œuvre à bon marché : Indonésie, Philippines, Thaïlande. Si on y inclut la Chine, avec 27% des exportations

industrielles mondiales en 1998, mais seulement 18% des importations, l’Extrême-Orient pèse

désormais davantage que l’Amérique du Nord, Mexique inclus, dans le commerce mondial12. Malgré ses succès, cet ensemble régional a montré une grande fragilité à partir de la crise ouverte en 1997. La

dépression profonde que traverse le Japon l’a empêché d’être offensif dans la mise au point d’un plan

de stabilisation. Des entreprises des Etats-Unis et d’Europe ont marqué des points à l’occasion des privatisations massives en Corée et chez les “ tigres ” ; elles ont aussi réalisé des acquisitions/fusions

au Japon.

3.6.3. L'ensemble européen est fort différent. Il s'agit d'un conglomérat d'Etats-nations qui se sont

dotés d'une monnaie unique et d'une structure supra-nationale qui remplit les fonctions élémentaires habituellement imparties aux Etats. Les autres pôles de la Triade sont organisés de manière

hiérarchisée autour d'un Etat-nation (les Etats-Unis, d'une part, et le Japon, d'autre part) constituant

encore la base d'appui des principales sociétés transnationales qui y sont nées. L'Europe est aussi plus ouverte à la concurrence extérieure que les deux autres pôles de la Triade mais

elle est de plus en plus présente sur les marchés tiers. L’Europe a réussi une percée remarquable sur le marché des Etats-Unis : entre 1980 et 1999, les exportations européennes vers les Etats-Unis ont été

multipliées par 4,4 (contre 2,4 pour les importations) dégageant un solde commercial favorable à

l’Europe. L’Union européenne est le principal exportateur mondial. En 2000, l’UE réalisait - sans compter le commerce entre les membres de l’UE - 18,5% des exportations et 18,3% des importations

mondiales, tout en représentant 24,93% du PNB mondial ; les Etats-Unis réalisaient 14,6% des exportations et 24,1% des importations mondiales, tout en représentant 31,23% du PNB mondial ; le

Japon, de son côté, réalisait 9,9% des exportations et 7,2% des importations, tout en représentant

15,37% du PNB mondial.

11 Voir LAFAY, Gérard. 1996. Comprendre la mondialisation, Economica. 12 ADDA, Jacques. 1996. La mondialisation de l'économie. 1, La Découverte, « Repères », Paris, 2001.

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L’UE mène une politique économique et commerciale agressive à l’égard de ce qu’elle considère

comme sa périphérie naturelle, à savoir la Méditerranée, les pays d'Europe Centrale et Orientale (PECO) - dont plusieurs intègrent l’UE à partir de 2004 - et les 70 pays de la zone Afrique - Caraïbe -

Pacifique (ACP), tous anciennes colonies des puissances européennes concernées par les accords de

Lomé13 remplacés par ceux de Cotonou en 2000. Au cours de la décennie 1990, la part des ACP dans le commerce de l’UE est passée de 8 à 2,8% alors que doublait celle des PECO (passant de 7 à 14%).

Au sein de l’UE, l’Allemagne, deuxième exportateur mondial après les Etats-Unis et avant le Japon,

assurait à elle seule, en 2000, près de 30% des exportations des Quinze et affichait une balance très largement positive de 66 milliards d’euros, dont 21 milliards avec les Etats-Unis, 13 avec la Grande

Bretagne et 11 avec la France.

Le passage à la monnaie unique en janvier 2002 à l’échelle de 12 des 15 pays de l’UE a constitué un

succès pour ses promoteurs. En 2000-2001, l’économie européenne s’est comportée relativement mieux que ces concurrentes japonaise et nord-américaine. La faiblesse de l’euro par rapport au dollar

et au yen y a fortement contribué car elle a favorisé les exportations européennes sur les marchés des

tiers. La politique du dollar faible pratiquée par les autorités de Washington à partir de 2002 retourne la situation.

Les prochaines étapes pour cet ensemble européen sont l’adoption de l’euro par la Grande Bretagne et l’élargissement de l’UE des « Quinze » à dix membres supplémentaires en 2004.

3.7. Recentrage sur la Triade

Tant l'évolution des flux de capitaux que celle de la production et du commerce au niveau mondial indiquent un recentrage vers la Triade. Nous avons analysé plus haut dans ce chapitre l’évolution

défavorable de la part occupée par la Périphérie dans les stocks et les flux d’IDE, dans les prêts

bancaires internationaux et dans les émissions de titres/obligations au niveau mondial. Le recul est impressionnant.

Il faut également mentionner l’évolution négative des revenus d’exportation des PED. Les prix des

produits de base exportés par les pays de la Périphérie vers le marché mondial (pétrole mis à part) ont chuté de 30% entre 1997 et 200014. Les pays du tiers-monde et de l'ex-bloc soviétique qui sont les plus

éloignés des pôles de la Triade ont tendance à être marginalisés. Quand des transnationales décident de la localisation des investissements productifs, elles préfèrent s’installer dans une des zones d'influence

de la Triade : au Mexique plutôt qu'en Equateur ou au Costa Rica ; en République tchèque ou en

Hongrie plutôt qu'en Russie ou en Roumanie ; en Turquie ou en Tunisie plutôt qu'en Afrique subsaharienne ; à Taïwan ou en Chine plutôt qu'au Pakistan. Le coût salarial n'est pas en général le

critère dominant. La proximité, d'une part, et l'existence d'une possibilité de débouché sur le marché

intérieur du pays en question, d'autre part, sont de loin plus importantes dans la majorité des cas. Si un pays combine deux des trois facteurs ou les trois, c'est lui qui aura la préférence. Cette préférence n'est

pas nécessairement un cadeau ; elle peut signifier une plus grande dépendance. C'est le cas du Mexique qui a reçu une grande part de l'investissement direct à l’étranger (IDE) des firmes US, mais

essentiellement dans des usines d'assemblage dont 90% des intrants viennent du voisin du Nord15.

13 Commission européenne, 1997; CLONG, 1997. 14 MONDIALE / WORLD BANK. Global Development Finance, 2002, Washington. 15 TOUSSAINT, Eric. 1994. « Mexico : le poids des dettes dans les transformations économiques », 2 p., dans Banque mondiale/FMI: ça suffit! I, CADTM-GRESEA, 12, 1994, p.109.

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Un pays comme le Brésil continue à recevoir un flux d'investissements étrangers mais ils se concentrent essentiellement dans le triangle Sao Paulo/Rio de Janeiro/Belo Horizonte où vivent plus

de quarante millions d'habitants dont une partie dispose d’un revenu suffisant pour avoir accès aux biens de consommation durables et constitue donc un débouché. Le reste compte très peu.

3.8. Commerce mondial : les échanges entre les pays industrialisés dominent Non seulement les pays les plus industrialisés se paient la part du lion du commerce mondial (les 23 pays les plus industrialisés réalisaient 68% des exportations mondiales en 1999 – pour une population

inférieure à 15% de la population mondiale) mais ils échangent surtout entre eux : plus des deux tiers

de leurs échanges s’effectuent entre eux. Le phénomène s’est amplifié ces dernières années : d’une part, les pays industrialisés pèsent encore plus qu’avant dans le commerce mondial ; d’autre part, leurs

échanges internationaux se déroulent surtout entre pays européens ou entre ceux-ci et les Etats-Unis et

le Japon.

Comme le note J. C. Kroll, depuis 1980, “les échanges se développent prioritairement entre les pays développés et concernent de plus en plus de biens similaires. Cela contredit formellement la théorie standard qui conclut au contraire au développement d’échanges de produits différents entre pays à dotation de facteurs différents”16. Fait anecdotique qui indique l’absurde de la situation : en 1999, la Grande-Bretagne a exporté 111 millions de litres de lait et 47 millions de kilos de beurre.

Simultanément, elle a importé 173 millions de litres de lait et 49 millions de kilos de beurre17.

L’ensemble des pays de la Périphérie pesait moins d’un tiers dans le commerce mondial en 2000.

Dans une perspective historique, il s’agit d’une régression. En effet, les pays de la Périphérie réalisaient 36% des exportations mondiales en 1938, 41% en 1948, 37% en 196318. En 2000, leur part

dans le commerce mondial était tombée à 32%.

Si l’on examine les grandes régions de la Périphérie, la part de l’Amérique latine a été réduite de deux tiers entre 1950 et 1999. Elle est passée de 12,5% en 1950 à 4,5% en 1999. La part de l’Afrique

subsaharienne a subi la même réduction en proportion. Les exportations de l’Afrique subsaharienne

qui représentaient environ 5% des exportations mondiales en 1950 n’en représentaient plus que 1,7% en 1999 (si on retire l’Afrique du Sud, elles tombaient à 1,1%). L’ex-bloc autour de l’Union soviétique

représentait 5% des exportations mondiales en 1948, 12% en 1963, 10% en 1971, 5% en 1985 et 4,3% en 1999. Seule la part de l’Asie (y compris la Chine) a augmenté passant d’environ 12% en 1950 à

15,4% en 1996.

Il convient évidemment de préciser que la contribution de chaque partie du monde au commerce

mondial est évaluée à partir du prix exprimé en dollars. Comme on le verra plus loin, alors que les

volumes exportés par l’Afrique ont augmenté, leur valeur en dollar a baissé. Cette évolution traduit bien la dégradation des rapports de force entre pays de la Périphérie (une partie de l’Asie mise à part)

et pays capitalistes les plus industrialisés (dégradation dont les débuts remontent à 1980-82). Ces

16 KROLL, Jean-Christophe. 2001. « Les Limites du cadre des négociations à l’OMC : pour une régulation institutionnelle efficace des marchés agricoles »,, Séminaire franco-japonais ENA-PG « France-Japon: quelle agriculture? Quelle politique agricole et alimentaire pour demain? », 19-20 février 2001, p.3. 17 FOCUS ON THE GLOBAL SOUTH. 2000. The Transfer of Wealth. Debt and the making of a Global South, Bangkok, octobre 2000, Salverla, p.59. 18 ROSTOW cité par BEAUD, Michel. 1980. Histoire du capitalisme de 1500 à 2000, Seuil, Paris, 2000, p.288.

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derniers ont réussi à imposer aux pays de la Périphérie une dégradation des termes de l’échange. On verra que la crise de la dette qui a éclaté en 1982 a permis aux pays les plus industrialisés d’imposer

une réduction des prix des produits exportés par les pays de la Périphérie (cette réduction a commencé en 1981-82 - y compris pour le pétrole - et a fait suite à une période de hausse des prix au cours des

années 1970).

Alors que les pays les plus industrialisés commercent surtout entre eux, les pays de la Périphérie – à

quelques rares exceptions près - le font peu ou très peu. Si on prend l’ensemble de la Périphérie

comme un tout, les échanges entre pays de cette partie du monde ne représentent que moins d’un tiers de leurs échanges, le reste est constitué d’échanges vis-à-vis des pays les plus industrialisés.

Un cas extrême : le Congo-Brazzaville. La part des échanges de ce pays avec les pays qui utilisent comme lui le CFA19, ne représente que 1,5% de ses échanges internationaux. La majeure partie de ses

échanges est réalisée avec quelques pays européens, en premier lieu, la France, son ex-métropole

coloniale. Le Mali est le pays de la zone CFA qui échange le plus avec ses collègues ; néanmoins, cela ne représente que 23,3% de ses échanges20.

Les échanges entre pays asiatiques de l’Est et du Sud-Est sont par contre beaucoup plus importants; ils

représentent près de 50% de leurs échanges internationaux. Les pays du Cône Sud de l’Amérique latine (dotés d’un marché commun, le Mercosur) connaissent

aussi un niveau relativement élevé de commerce entre eux. A l’extrémité nord de l’Amérique latine, le Mexique est de plus en plus dépendant de ses échanges avec les Etats-Unis (et le Canada).

19 15 pays africains ont en commun le franc CFA : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Guinée Equatoriale, Gabon, Mali, Niger, République centrafricaine, Sénégal, Tchad, Togo. 20 UNCTAD. 2001. Trade and Development Report 2001, Nations Unies, New York et Genève, p.123.

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Chapitre 4

Mondialisation financière en crise Les politiques des gouvernements du Centre et des institutions financières internationales ainsi que les décisions des groupes multinationaux ont poussé systématiquement à la dérégulation financière dont on commence à mesurer les effets. Depuis trente ans, la croissance des marchés financiers s'est nourrie, pour partie, des profits que les grands groupes industriels n'ont pas réinvestis dans la production. Les spéculations sur les taux de change des monnaies, les achats de titres de la dette, les manipulations sur les stocks de matières premières et de produits agricoles, les opérations sur les produits dérivés ont occupé une place sans cesse croissante. Les gouvernements et les institutions financières internationales ont tout fait pour favoriser la levée de toutes les barrières légales à la circulation internationale des capitaux. La déréglementation financière s’est faite en trois phases : 1) décloisonnement complet du marché des changes; 2) décloisonnement du marché obligataire; 3) décloisonnement du marché des actions. Depuis la crise asiatique de 1997-1998, le rythme d’éclatement des crises s’est fortement accéléré et elles ont fini par toucher le cœur des économies des pays de la Triade. Pourtant jusqu’ici, les gouvernements de la Triade et les institutions financières internationales qu’ils contrôlent se sont bien gardés de restaurer des mesures de contrôle sur les capitaux. Les acteurs sur les marchés financiers qui ont le plus de poids sont quelques dizaines de fonds de pension privés, principalement américains et britanniques, les sociétés d’investissements collectifs, les grandes compagnies d’assurances et les grandes banques transnationales. On appelle ces acteurs les “ investisseurs institutionnels ”. Ces acteurs financiers ont en quelque sorte institué la « corporate governance » qui est censée valoriser au mieux les intérêts des actionnaires. Mais, ce qui a été présenté comme une nouvelle économie s’est terminé par un lamentable fiasco du point de vue capitaliste et par un drame social pour les salariés. Des faillites monumentales et des scandales à répétition ont mis en lumière des pratiques délictueuses systématiques.

4.1. La financiarisation / déréglementation sur le plan d’ensemble

Depuis trente ans, la croissance des marchés financiers s'est nourrie, pour partie, des profits que les grands groupes industriels n'ont pas réinvestis dans la production. Les années 1980-1990 et les

ponctions importantes sur la valeur créée dans le processus de production indiquent qu'on est à

l'opposé des vœux “ d'euthanasie douce ” du rentier exprimés par Keynes (Keynes, 1936). La force de travail et le cycle productif sont de plus en plus mis en mouvement pour satisfaire les exigences du

capital porteur d'intérêt.

“ Le monde est dangereux, globalisé et sans contrôle des changes ”, laissait échapper, après la crise

mexicaine de décembre 1994, Michel Camdessus, alors directeur général du FMI (Eco-Soir/ Le Soir, 17 février 1995).

Mais le FMI a poussé lui-même à une déréglementation généralisée des mouvements de capitaux,

notamment par la suppression du contrôle des changes. “ Nous sommes un peu comme un pilote d'avion qui sait qu'il va s'écraser mais dont l'ordinateur ne veut pas lui rendre les commandes.

L'ordinateur suit ses propres lois, c'est cela le marché ”, déclarait dans les colonnes du Monde, le 5

avril 1995, Roland Leuschel, responsable à cette époque de la stratégie de placement de la Banque Bruxelles Lambert.

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A plusieurs reprises, en 1998-1999, le président de la Réserve fédérale des Etats-Unis, Alan Greenspan, a mis en cause “ l’exubérance des marchés ”.

Les politiques des principaux gouvernements, des institutions financières internationales - FMI,

Banque mondiale, Banque des Règlements Internationaux - auxquelles ils dictent, dans leurs grandes

lignes, la politique à suivre (ce qui n’exclut pas une certaine marge de manœuvre de celles-ci par rapport aux premiers), ainsi que les décisions des groupes multinationaux ont poussé

systématiquement à la dérégulation financière dont on commence à mesurer les effets.

Les marchés des changes sont le compartiment du marché financier global qui a enregistré la plus forte

croissance. Entre 1970 et 1999, le volume des transactions a été multiplié par plus de cent (passant d’un peu plus de 10 milliards à 1.500 milliards par jour). Or la fonction principale des marchés des

changes est supposée être de faciliter le règlement des échanges commerciaux.

Cependant, le montant des transactions liées aux échanges de marchandises ne représentait même pas 5% du montant des transactions quotidiennes sur les marchés des changes.

Le tableau suivant compare le volume quotidien des opérations de change au volume annuel des

exportations mondiales de marchandises. En 1979, il fallait l’équivalent de 200 journées d’activité sur les marchés de change pour atteindre le volume annuel des exportations mondiales (200 journées

ouvrables sur les marchés de changes, cela représente presque une année calendrier). En 2001, cinq journées d’activité sur les marchés de change suffisaient à atteindre le volume annuel des exportations

mondiales de marchandises.

Tableau 4.1. Montant quotidien des transactions financières et montant annuel des exportations mondiales (en milliards de dollars)

Année Montant quotidien des transactions financières

Montant annuel des exportations mondiales

1979 75 1.546 1984 150 1.800 1986 300 1.998 1990 500 3.429 1994 1.200 4.269 1998 1.800 5.142 2001 1.250 6.155

Source : calculs de l’auteur à partir de la BRI et de la Banque mondiale.

“ Parce que ce sont eux qui traitent les milliards et les milliards de dollars de capitaux qui transitent d'un pays à l'autre chaque jour, les marchés financiers sont devenus à la fois le gendarme, le juge et le jury de l'économie mondiale, ce qui ne laisse pas d'être inquiétant, étant donné leur propension à voir les événements et les politiques à travers les verres déformants de la peur et de la cupidité ”

(Financial Times, 30 septembre 1994). Il faut bien sûr aller plus loin que des formules journalistiques comme celles du Financial Times. Mais

que cela soit écrit dans “ le ” quotidien financier britannique garant de l’orthodoxie néo-libérale

indique que les gouvernants des principaux pays capitalistes (le G7 ou le G10), les institutions financières privées, suivies par les transnationales à vocation industrielle principale, le FMI, la Bm, la

BRI, l’OMC ont joué dans une certaine mesure aux apprentis sorciers. D'où l'image du pilote d'avion à qui l'ordinateur ne veut pas rendre les commandes.

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La suraccumulation de capitaux est accompagnée d'une surproduction réelle ou potentielle (capacité

excédentaire de production) de marchandises. Cela amène une partie croissante des capitaux couramment accumulés à partir des profits nouveaux à ne pas s'investir dans la production. Ces

capitaux additionnels se sont précipités sur les actions jusqu’en 2000, ont apporté les liquidités

nécessaires pour alimenter d’énormes opérations d'acquisition / fusion jusqu’en 2001 et sur l'immobilier jusqu’au moment où ces lignes sont écrites (mai 2004). Il faut ajouter qu’en fin 2003 –

début 2004, après un reflux de plusieurs années, on constate un regain net pour les titres de la dette

publique externe émis par les PED qui ont accès au marché financier. Depuis quelques années, les spéculations sur les taux de change des monnaies, les achats de titres de la dette, les manipulations sur

les stocks de matières premières et de produits agricoles, les opérations sur les produits dérivés (voir lexique et encadré) ont occupé une place sans cesse croissante.

Les gouvernements et les institutions financières internationales ont tout fait pour favoriser la levée de toutes les barrières légales à la circulation internationale des capitaux. Depuis la deuxième moitié des

années 1990, ils ont commencé à s'inquiéter des proportions prises par les mouvements spéculatifs qui

avaient provoqué une grande instabilité monétaire (crise du Système Monétaire Européen en 1992), avaient abouti à des faillites de grosses institutions financières (la faillite en 1995 de la Barings

britannique et de la Cosmo japonaise) ou avaient plongé dans la crise des pays entiers (Mexique 1994-1995). Cependant, ils ont refusé d'adopter des mesures de contrôle des mouvements de capitaux. La

Banque des règlements internationaux (BRI) l'a redit dans son rapport de juin 1995, tout comme l'ont

répété les sept chefs d'Etats des pays les plus industrialisés réunis à Halifax en juin 1995, ainsi que le couple FMI / Bm réuni à Washington fin avril 1997. On pouvait lire, dans Les Echos du 30 avril 1997,

ce titre parfaitement contradictoire : “ Le Comité intérimaire du FMI, sa plus haute instance dirigeante, a donné le feu vert lundi soir à Washington pour que le FMI favorise et encadre la libéralisation des mouvements de capitaux, y compris dans les pays en développement ” (c'est moi qui

souligne). On apprend plus loin dans l’article que l’instance dirigeante du FMI a recommandé un amendement aux statuts du Fonds pour y inclure comme objectif spécifique la suppression des

entraves aux mouvements de capitaux. Le G24, qui regroupe tant des pays du tiers-monde que des

pays industrialisés (non membres du G10), s’est inquiété, à cette occasion, des risques d’une libéralisation trop rapide qui l’amènerait à lever le contrôle des changes et les barrières à

l’investissement, alors que ces mesures subsistaient encore, par exemple en Corée du Sud et, dans une

certaine mesure, au Chili. En ce qui concerne la Corée, les mesures dictées par le FMI et acceptées par les autorités coréennes en décembre 1997, ont impliqué la suppression de ce contrôle. Pour ce qui est

du Chili, sa législation qui décourageait les entrées de capitaux pour une durée inférieure à un an1 a été abandonnée en octobre 1998... Provoquant la colère du FMI et du G7, la Malaisie a, quant à elle,

imposé un contrôle des changes et des mouvements de capitaux en septembre 1998. Le résultat positif

incontestable de celui-ci, bien qu’occulté par la presse internationale et par le FMI, a démontré que même un pays de taille moyenne (25 millions d’habitants) est en mesure de réduire efficacement les

dégâts provoqués par des attaques spéculatives dont il est l’objet.

Depuis la crise asiatique de 1997-1998, le rythme d’éclatement des crises s’est fortement accéléré

(Russie 1998 ; Brésil 1998-1999 ; Argentine - Turquie 2000-2002 ; Brésil 2002…) et elles ont fini par

1 Voir l’article de Carlos OMINAMI, ministre de l’Economie au Chili de 1990 à 1994, in URRIOLA, Rafael, coord. 1996. La Globalizacion de los desajustes, Nueva Sociedad, Caracas, p. 41-48.

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toucher le cœur des économies des pays de la Triade (Etats-Unis 2001-… ; Japon et UE). Pourtant jusqu’ici, les gouvernements de la Triade et les institutions financières internationales qu’ils contrôlent

se sont bien gardés de restaurer des mesures de contrôle sur les capitaux. Revenons maintenant sur les étapes qui ont marqué la déréglementation néolibérale.

4.2. Les étapes de la déréglementation financière Jusqu’à la fin des années 1970, les systèmes financiers et monétaires étaient cloisonnés nationalement.

Néanmoins, il faut noter l’importance que revêt la naissance du marché des eurodollars dans les années 1960, d’autant que celui-ci jouera un rôle clé dans la préparation de la crise de la dette du tiers-

monde2. Le deuxième moment de l’internationalisation financière s’opère après août 1971, quand le président

Nixon met fin au système de Bretton Woods en supprimant la convertibilité du dollar en or. Cela a

entraîné la création des taux de change flexibles qui ont décloisonné largement les marchés de change3.

A partir de 1979, les mesures prises par les autorités politiques des principaux pays industrialisés ont

progressivement mis un terme au contrôle des mouvements de capitaux avec l’étranger. Elles ont

libéralisé, autrement dit, elles ont décloisonné vers l’extérieur les systèmes financiers nationaux.

Cela s’est fait en trois phases : 1) décloisonnement complet du marché des changes ; 2)

décloisonnement du marché obligataire ; 3) décloisonnement du marché des actions (1986).

Au cours des années 1980, toutes les formes de contrôle administratif des taux d’intérêt, du crédit et des mouvements de capitaux ont été progressivement abolies. Les principaux dirigeants des pays les

plus industrialisés ont pris cette option. Cela a entraîné une retraite en ordre dispersé des Etats devant

la puissance de la dynamique d’intégration financière. Les Etats ont, les uns après les autres, abdiqué devant la puissance de la masse énorme de capitaux circulant dans le monde et ils se sont résignés à

composer avec cette réalité qu’ils avaient contribué à créer. Ils se sont lancés dans une compétition

renouvelée pour attirer les capitaux chez eux et, pour ce faire, ils ont renoncé à la majeure partie de leurs prélèvements fiscaux sur les revenus du capital. 4.3. Les principaux acteurs sur les marchés financiers

Mais au fait, qui sont les acteurs sur les marchés financiers ?

Ceux qui ont le plus de poids sont quelques dizaines de fonds de pension privés, principalement

américains et britanniques, les sociétés d’investissements collectifs (les Mutual Funds et les organismes de placement collectif en valeurs mobilières - OPCVM -, fonds d’investissement de type

2 ADDA, Jacques. 1996. La Mondialisation de l’économie, La Découverte, « Repères », Paris, 2000, p.94 ; CHESNAIS, François. coord. 1996. La Mondialisation financière, Alternatives économiques, Syros, Paris, p.24 ; DUMENIL, Gérard et LEVY, Dominique. 2000. Crise et Sortie de crise. Ordre et désordres néolibéraux, Presses Universitaires de France, Paris ; NOREL, Philippe et SAINT-ALARY, Eric. 1988. L’Endettement du tiers-monde, Alternatives économiques, Syros, 1992, p.41. 3 de BRUNHOFF in CHESNAIS, François. coord. 1996. La Mondialisation financière, Alternatives économiques, Syros, Paris.

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SICAV), les grandes compagnies d’assurances et les grandes banques transnationales. On appelle ces acteurs les “ investisseurs institutionnels ”, les “ zinzins ” disent les chroniqueurs financiers

francophones branchés. Il faut y ajouter quelques dizaines de grandes entreprises industrielles transnationales.

En fait, ils ne sont pas nombreux.

Un service d'étude du FMI a mené une enquête pour découvrir quels avaient été les principaux acteurs

des attaques contre le Système monétaire européen durant l'été 1992. Le nombre d'intervenants est assez restreint : trente à cinquante banques (et une poignée de maisons de courtage de titres). Elles

tiennent le marché des devises clés. Pendant la crise de 1992, 43% des transactions à Londres et 40% des transactions à New York étaient réalisées par les dix plus grandes banques de ces deux places

financières. Les résultats de cette enquête n'ont pas fait l'objet de conférences de presse... François

Chesnais déclare : “ les 300 milliards de dollars que la Banque de France et la Bundesbank coalisées ont engagés pour tenter de préserver le Système monétaire européen à l’été 1992 ont pesé peu face aux montants que ceux qui sont décidés à faire changer les parités pour encaisser de gros gains sont en mesure de mobiliser ”4.

A côté de la spéculation sur les marchés des changes, s'est développée une autre activité : les produits dérivés. La faillite de la Barings au printemps 1995 a attiré l'attention du public sur ce type d'activités

qui, bien qu'elles soient nommées produits, n'ont rien à voir avec la production. Elles sont purement

spéculatives. 4.4. Evolution des actifs financiers par type d’investisseur de 1980 à 1998 Parmi les acteurs principaux des marchés financiers, on compte les fonds de pension privés. Leurs

actifs financiers s'élevaient à 3.806 milliards de dollars en 1993. En 1999, ils s’élevaient à 10.017

milliards. Il leur suffit de se coaliser et de miser 5% de leurs actifs dans une action concertée contre une monnaie forte pour avoir les moyens de réussir.

4 CHESNAIS, François. 1994. La Mondialisation du capital, Syros, « Alternatives économiques », Paris, p.245.

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62

Graphique 4.1. Evolution des actifs financiers par type d’investisseur de 1980 à 1998 (en milliards de dollars)

Fonds dePension

Mutuals fundsAssurances

Autres (dontBanques)

1980

1990

1998

10017

9283

8183

32533806

2638

4940

2296

859

118 519390

Evolution des actifs financiers par type d'investisseur de 1980 à 1998 (en milliards de dollars)

Sources : Merieux et Marchand (1996), OECD statistics (2000), calculs de l’auteur

Les fonds de pension et autres institutionnels ne se désintéressent pas de l’industrie. Une partie

significative de leurs avoirs financiers gigantesques est détenue sous forme de paquets d’actions. L’importance de ceux-ci varie, mais ils sont en général suffisants pour influencer de manière

déterminante la politique économique et les stratégies des groupes industriels en question.

Bref, ils ont un tel poids dans l'actionnariat de l’écrasante majorité des transnationales (via l'achat des actions en bourse) qu'ils sont en mesure de peser sur les orientations de celles-ci.

Les “ zinzins ” exigent des dividendes trimestriels qui assurent un rendement très élevé : 12 à 15%.

C’était du moins le cas au cours de la décennie 1990 et jusqu’à l’éclatement de la bulle boursière à

partir de 2001. L’approfondissement de la crise en 2001-2002 a contraint les “ zinzins ” à abaisser leurs exigences. La peur du retrait de ces fonds de pension ou d'autres zinzins, de son actionnariat (et

la chute de la cotation en bourse que cela entraînerait) peut conduire un groupe industriel à être moins

offensif dans l'investissement productif au profit de la recherche de résultats à court terme.

4.5. Crise du modèle de la « corporate governance »

A la fin de la décennie 1990, jusqu’en 2001, le fonctionnement du capitalisme aux Etats-Unis était

érigé en modèle5. Le président des Etats-Unis et le président de la Réserve fédérale n’hésitaient pas à

5 Rappelons qu’à la fin des années 1980, c’est le Japon et l’Allemagne qui étaient considérés comme des modèles à suivre. Quelques années plus tard, le Japon sombra dans une crise profonde dont il n’était pas encore sorti fin 2003. Quant à l’Allemagne, bien qu’en meilleure posture que le Japon, elle n’a pas fini de digérer sa réunification débutée en 1991. Rappelons également qu’entre 1993 et mi-1997, le modèle était constitué par la Corée du Sud, la Thaïlande et la Malaisie, frappées ensuite par la crise. En résumé, les modèles fonctionnent un peu comme la mode, elle peut faire fureur mais elle est généralement de courte durée.

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parler du “ génie ” des Etats-Unis. En Europe, la plupart des journalistes et des gouvernements leur emboîtaient le pas.

Ce modèle s’est étendu progressivement à la gestion des entreprises transnationales “ européennes ” (Vivendi, Vodafone, Arcelor, Parmalat, Ahold,…) avec les encouragements des gouvernements –

toutes couleurs politiques confondues – et de la Commission européenne. Les critiques entendues le

plus couramment disaient qu’il fallait aller plus vite dans l’application du modèle. En France, le gouvernement Jospin, dit de la gauche plurielle, a fait adopter par l’Assemblée nationale le 2 mai 2001

une loi sur les “ nouvelles régulations économiques ” qui était directement inspirée du modèle d’outre-

Atlantique encore en vogue à cette époque.

Loin de voir le caractère non reproductible et artificiel de la croissance soutenue aux Etats-Unis entre 1995 et 2000 (la bulle boursière en cours de formation, l’inflation du crédit et l’énorme afflux de

capitaux européens et japonais aux Etats-Unis), les candidats imitateurs ailleurs dans le monde étaient

obnubilés par le “ corporate governance ”, le “ gouvernement d’entreprise ”, qui est censé valoriser au mieux les intérêts des actionnaires devenus en majorité des “ zinzins ” (investisseurs institutionnels :

fonds de pension, assurances, banques d’affaires). En adoptant le “ gouvernement d’entreprise ”, ils

voulaient résoudre la contradiction entre les intérêts des actionnaires et ceux des managers. En effet, selon les partisans du “ gouvernement d’entreprise ”, les managers cherchent à privilégier leur pouvoir

et leur rémunération en profitant des informations privilégiées dont ils disposent en raison de leur fonction dans l’entreprise. Le “ gouvernement d’entreprise ” a spécialement pour objectif de les en

empêcher. Il vise à réduire les “ asymétries d’information ” entre managers et actionnaires. Il s’agit

d’obliger les managers à fournir régulièrement des informations aux actionnaires via des rapports trimestriels. Le “ gouvernement d’entreprise ” vise à inciter les managers à gérer l’entreprise dans

l’intérêt des actionnaires en mettant tout en œuvre pour augmenter la valeur des actions.

Afin d’atteindre cet objectif, la rémunération des managers est (en principe) fonction des résultats de l’entreprise. L’une des principales techniques utilisées est le système des stock-options, mode de

rémunération des dirigeants et des cadres de l’entreprise qui consiste à leur donner la possibilité (“ option d’achat ”) d’acquérir des actions de l’entreprise à un prix inférieur au cours de la Bourse et

de les revendre dans le futur lorsque leur cours aura augmenté. Les stock-options inciteraient donc les

dirigeants et les cadres supérieurs de l’entreprise à prendre des décisions conformes à l’intérêt des actionnaires : obtenir une augmentation de la valeur des actions en Bourse et des dividendes

croissants.

Ce qui a été présenté comme un nouveau capitalisme s’est terminé par un lamentable fiasco du point de vue capitaliste et par un drame social pour les salariés. A partir de 2001-2002, des faillites

monumentales et des scandales à répétition mettant en lumière des pratiques délictueuses systématiques ont ravivé le souvenir de la fin des années 1920 et de la crise des années 1930.

Cette succession de scandales en 2001-2002 a été précédée par le développement d’une bulle boursière à l’échelle internationale de 1998 à 2000 (en particulier en Amérique du Nord et en Europe): le cours

des actions en Bourse a grimpé en flèche, le volume de la capitalisation boursière s’est enflé de manière impressionnante.

La bulle en expansion a provoqué une croissance significative des opérations de fusion / acquisition

(sans véritable viabilité) et une vague d’investissements massifs (notamment dans les télécommunications et l’informatique) sans aucun rapport avec les possibilités réelles d’écoulement

des produits. La bulle cachait un phénomène tout à fait inquiétant pour les capitalistes : une chute

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importante du taux de profit des entreprises à partir de 1997-19986. Dans l’euphorie des marchés exubérants, les “ zinzins ” n’ont pas voulu voir le caractère tout à fait spéculatif et disproportionné de

l’augmentation de la valeur boursière d’entreprises dont certaines ne faisaient pas de bénéfices (c’était le cas de nombreuses “ start-up ”).

Dans leur course à l’augmentation des cotations en Bourse, les managers ont endetté très fortement les entreprises. Cet endettement des entreprises permettait d’acquérir d’autres entreprises du même

secteur (un des objectifs des acquisitions est d’atteindre la plus grande taille possible afin d’éviter

d’être achetée par d’autres). L’endettement poursuivait un deuxième objectif : les entreprises s’endettaient pour acheter leurs

propres actions en Bourse afin d’en maintenir le cours. A la Bourse de Paris, en 2002, 273 sociétés ont entrepris de racheter leurs propres actions, pour un montant total supérieur à 11 milliards d’euros. La

méthode est donc fort répandue. Par exemple, en cinq ans, Danone a racheté 31 millions de ses

actions, soit près de 20% de son capital, pour un montant de 4 milliards d'euros. L’endettement des entreprises des Etats-Unis a progressé de manière phénoménale à la fin des années

1990 (celui des ménages également, ce qui a permis de soutenir un niveau de consommation fort

élevé). L’exubérance boursière, l’endettement massif des entreprises et leur frénésie de rachats et de fusion, le niveau élevé d’investissement dans certains secteurs (pour augmenter les capacités de

production), la propension des ménages à augmenter leur consommation en recourant de plus en plus au crédit, tout cela a produit ce qu’on a appelé un “ effet richesse ”. De nombreux commentateurs

laudateurs du capitalisme mythifiaient le tout en parlant de “ nouvelle économie ”.

Lorsque les signes de l’implosion de la bulle boursière sont apparus et que les cours se sont mis à

baisser (à partir du second semestre 2000), les dirigeants d’entreprises ont truqué leurs comptes7 afin

de présenter des simulacres de bénéfices et de convaincre ainsi “ les marchés ” de continuer à acheter leurs actions. Ils ont encore augmenté l’endettement de “ leur ” entreprise afin d’acheter encore plus

d’actions pour en soutenir le cours. Certaines entreprises ont gonflé avec tout et n’importe quoi leurs

chiffres d’affaires pour faire croire que leur croissance se poursuivait.

Les autorités des Etats-Unis ont espéré que la Bourse reprendrait un cours à la hausse. C’est un autre scénario qui s’est produit : la descente aux enfers des cours boursiers à l’échelle planétaire a mis à nu

nombre d’entreprises des Etats-Unis (et d’ailleurs) qui avaient enjolivé leurs comptes. Entre mars 2000

et novembre 2002, avec la décrue des cours boursiers et le dégonflement partiel de la bulle boursière, on a vu partir en fumée plus de 15.000 milliards de dollars à l’échelle mondiale dont environ 7.000

milliards aux Etats-Unis.

4.6. La crise du modèle des Etats-Unis concerne-t-elle le reste du monde ? L’ensemble des entreprises capitalistes de la Triade et des marchés émergents a évolué, certes avec des

spécificités, dans le même sens qu’aux Etats-Unis. En 2003, les scandales Ahold (Pays-Bas), Parmalat (Italie) ont montré que l’Europe ne faisait pas exception. Les institutions privées bancaires et

financières (ainsi que les assurances) de la planète sont en mauvaise posture, elles ont adopté des

6 BRENNER, Robert. 2002. The Boom and The Buble: The US in the World Economy, Verso, London. 7 Voir TOUSSAINT, Eric. 2004. La Finance contre les peuples. La Bourse ou la Vie, CADTM-Bruxelles/CETIM-Genève/Syllepse-Paris, chapitre 5, pour l’analyse des tenants et aboutissants du scandale Enron.

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pratiques de plus en plus aventureuses. Les grands groupes industriels ont tous connu une financiarisation prononcée et sont eux-mêmes très vulnérables.

Le mécanisme de plusieurs bombes à retardement est en marche à l’échelle de toutes les économies de la planète. Citons parmi ces bombes : le surendettement des entreprises et des ménages, le marché des

dérivés (qui, selon l’expression du milliardaire Warren Buffet, sont des “ armes financières de

destruction massive ”), la bulle de la spéculation immobilière (qui est la plus explosive aux Etats-Unis et en Grande Bretagne), la crise des sociétés d’assurance et celle des fonds de pension, la bombe de la

dette des PED qui sera analysée dans la deuxième partie de la thèse.

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Partie 2.

La dette, l’ajustement structurel, les politiques du FMI et de la BIRD

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67

Chapitre 5

Retour dans le passé :

Les crises de la dette du début du 19e siècle

jusqu’à la seconde guerre mondiale

Au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle, des Etats capitalistes de la Périphérie se sont lancés

dans une vague impressionnante d’emprunts qui visait à doter les pays concernés d’infrastructures et de moyens de communication modernes (chemins de fer, télégraphe, infrastructures portuaires

modernes…), voire dans quelques cas limités à mettre en place des fabriques d’Etat. Les emprunts prenaient principalement la forme de titres de la dette émis par des Etats de la Périphérie sur les

marchés financiers d’Europe par l’intermédiaire de grandes banques européennes. Le recours à

l’emprunt extérieur s’est révélé contre-productif pour les pays concernés notamment parce qu’ils avaient été contractés à des conditions très favorables aux créanciers, principalement les banques

européennes chargées de l’émission des titres. Les cessations de paiement ont été nombreuses et ont

donné lieu à des représailles de la part des pays créanciers qui sont allés jusqu’à l’intervention armée pour obtenir le remboursement. L’arme de l’endettement a été utilisée comme moyen de pression et de

subordination des pays endettés. Comme le relevait Rosa Luxembourg, contemporaine des évènements : « Ces emprunts sont indispensables à l’émancipation des jeunes Etats capitalistes ascendants et en même temps, ils constituent le moyen le plus sûr pour les vieux pays capitalistes de tenir les jeunes pays en tutelle, de contrôler leurs finances et d’exercer une pression sur leur politique étrangère, douanière et commerciale »1. Comme l’indique la succession des crises en Amérique latine,

il y a un lien entre les crises économiques qui éclatent au Centre et les crises de la dette qui éclatent à

la Périphérie. Au niveau de ce continent, à la différence des crises de paiement du XIXe siècle, la crise de la dette des années 1930 a débouché sur une issue favorable aux pays endettés qui avaient suspendu

le paiement. La crise mondiale des années 1930 et la cessation de paiement de la dette extérieure par plusieurs puissances européennes endettées à l’égard des Etats-Unis ont constitué des circonstances

favorables aux pays endettés d’Amérique latine. Les puissances du Centre n’étaient pas en position de

force pour prendre des mesures de représailles. Par ailleurs, la suspension de paiement de la dette mexicaine entre 1914 et 1942 est brièvement analysée car elle montre qu’un pays endetté peut

affronter ses créanciers et obtenir gain de cause.

5.1. Les précédentes crises de la dette au XIXe siècle et au début du XXe siècle 5.1.1. Périphérie et dépendance financière L’utilisation de la dette extérieure comme arme de domination a joué un rôle fondamental dans la

politique des principales puissances capitalistes à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle à l’égard de quelques puissances de second ordre qui auraient pu prétendre accéder au rôle de puissances

capitalistes. L’empire russe, l’empire ottoman et la Chine ont fait appel aux capitaux internationaux pour accentuer leur développement capitaliste. Ces Etats se sont fortement endettés sous forme

1 LUXEMBOURG, Rosa. 1969. L’accumulation du capital, Maspero, Paris, Vol. II, p. 89.

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d’émission de bons publics d’emprunt sur les marchés financiers des principales puissances industrielles.

Dans le cas de l’empire ottoman, de l’Egypte et de la Chine, les difficultés rencontrées pour rembourser les dettes contractées les ont mis progressivement sous tutelle étrangère. Des caisses de la

dette sont créées, gérées par des fonctionnaires européens. Ces derniers ont la haute main sur les

ressources de l’Etat afin que celui-ci remplisse ses engagements internationaux. La perte de leur souveraineté financière conduit l’empire ottoman et la Chine à négocier le remboursement de leurs

dettes contre des concessions d’installations portuaires, des lignes de chemin de fer ou des enclaves

commerciales. La Russie, menacée du même sort, empruntera une autre voie à la suite de la révolution de 1917, en répudiant toutes les dettes extérieures contractées par la dictature tsariste2.

A la différence de la Chine, des empires ottoman et russe, le Japon n’a eu recours à l’endettement

extérieur que de manière marginale et constitue, pour sa part, l’unique exemple de développement

capitaliste réussi à la fin du XIXe siècle par un pays de la “semi-périphérie”. Le Japon connaîtra en effet un authentique développement capitaliste autonome à la suite d’une révolution bourgeoise (1868)

qui a, entre autres, empêché la pénétration financière de l’Occident sur son territoire tout en

supprimant sur place les entraves à la circulation des capitaux autochtones. Avant la fin du XIXe siècle, le Japon passa d’une autarcie séculaire à une expansion impérialiste vigoureuse. Entendons-nous bien :

par cette constatation, je ne cherche par à prétendre que l’absence d’endettement extérieur est “le” facteur qui a permis au Japon de faire le saut vers un développement capitaliste réussi. D’autres

facteurs qu’il serait trop long d’énumérer ici ont été déterminants3.

5.1.2. Dettes de l’Egypte L’Egypte, bien qu’encore sous tutelle ottomane, entame au cours de la première moitié du XIXe siècle un vaste effort de modernisation. George Corm résume l’enjeu de la manière suivante : « C’est évidemment en Egypte que Mohammed Ali fera l’œuvre la plus marquante en créant des manufactures d’Etat, jetant ainsi les bases d’un capitalisme d’Etat qui ne manque pas de rappeler l’expérience japonaise du Meiji »4. Cet effort d’industrialisation de l’Egypte s’accomplit tout au long de la

première moitié du XIXe siècle sans recours à l’endettement extérieur ; ce sont les ressources internes qui sont mobilisées. A partir de la seconde moitié du siècle, l’Egypte adopte sous la pression de la

Grande Bretagne le libre-échange et démantèle des monopoles d’Etat.

C’est, d’après George Corm, le début de la fin. L’ère des dettes égyptiennes commence (1854) : la modernisation de l’Egypte sera abandonnée aux puissances occidentales, aux banquiers européens et

aux entrepreneurs peu scrupuleux. Vingt-cinq ans plus tard (vers 1880), la souveraineté égyptienne est aliénée et en 1882, l’Egypte est occupée par l’Angleterre.

Entre-temps, la crise de la dette a frappé l’Egypte comme de nombreuses nations endettées aux quatre

coins de la planète. En 1876, année où l’Egypte entre en état de cessation de paiements, la dette égyptienne atteignait 68,5 millions de livres sterling (contre 3 millions en 1863). Les dettes extérieures

avaient été multipliées par 23 alors que les revenus augmentaient de 5 fois seulement. Le service de la

dette absorbait deux tiers des revenus de l’Etat et 50% des revenus d’exportation.

2 ADDA, Jacques. 1996. La Mondialisation de l’économie, tome 1, p.57-58. 3 Voir notamment ANDERSON, Perry. « L’Etat absolutiste. Ses origines et ses voies », t. 2, p.261-289 sur le passage du féodalisme au capitalisme au Japon. 4 Georges Corm. 1982. « L’endettement des pays en voie de développement : origine et mécanisme » in SANCHEZ ARNAU, J.-C. coord. 1982. Dette et développement (mécanismes et conséquences de l’endettement du Tiers-monde), Editions PUBLISUD, Paris, p.39.

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Comme l’indique le tableau ci-dessous, les conditions appliquées aux emprunts égyptiens étaient très favorables aux créanciers (détenteurs des titres et banques émettrices). Dans ces conditions, la crise de

paiement était (quasi) inévitable.

Tableau 5.1. Dette consolidée de l’Egypte de 1862 à 1876 (en milliers de livres sterling)

Emprunt de

Capital nominal

Taux d’émission

Produit réel Intérêt nominal

Intérêt Réel

Fin d’amortissement

Annuité

1862 3 293 83% 2 500 7% 9% 1892 265 1864 5 704 93% 4 864 7% 8,2% 1879 620 1865 3 387 90% 2 750 7% 8,6% 1881 368 1866 3 000 92% 2 640 7% 8% 1874 710 1867 2 080 90% 1 700 9% 11% 1881 258 1868 11 890 75% 7 193 7% 11,4% 1898 953 1870 7 143 75% 5 000 7% 10% 1890 669 1873 32 000 70% 19 974 7% 11% 1903 2 566 68 497 46 621 6 409

Source : J. Ducruet, Les Capitaux Européens au Proche-Orient, Puf, Paris, 1964, p. 26 A la suite de la cessation de paiement de 1876, les créanciers imposèrent une commission de la dette publique qui exerça de fait une tutelle étrangère sur l’économie et les finances égyptiennes. En 1882,

la Grande Bretagne prenait le contrôle du pays. Rosa Luxembourg conclut : « L’économie égyptienne a été engloutie dans une très large mesure par le capital européen. D’immenses étendues de terres, des forces de travail considérables et une masse de produits transférés à l’Etat sous forme d’impôts ont été finalement transformés en capital européen et accumulés »5. 5.1.3. Les crises de la dette extérieure de l’Amérique latine aux XIXe et XXe siècles

Depuis leur indépendance dans les années 1820, les pays d’Amérique latine ont connu quatre crises de la dette.

La première s’est déclarée en 1826, coïncidant avec le processus d’indépendance, et s’est prolongée

jusqu’à la moitié du XIXe siècle. La seconde a débuté en 1876 et s’est terminée dans les premières années du XXe siècle. Pour le

Venezuela, qui a refusé de rembourser sa dette, elle a finalement abouti à une véritable épreuve de

force avec les impérialismes nord-américain, allemand, britannique et français. Ceux-ci envoyèrent en 1902 une flotte militaire multilatérale qui bloqua le port de Caracas pour obtenir, par la politique de la

canonnière, l’engagement vénézuélien de reprendre le remboursement des dettes. Le Venezuela n’a fini de payer cette dette qu’en 19436.

La troisième a commencé en 1931 et s’est achevée à la fin des années 1940. Caractérisée par

l’expérience mexicaine de non paiement de 1914 à 1942, elle sera analysée dans ce chapitre. La quatrième a éclaté en 1982 et est toujours en cours.

Les origines de ces crises et les moments où elles éclatent sont intimement liés au rythme de l’économie mondiale et principalement, des pays les plus industrialisés. Chaque crise de la dette a été

précédée d’une phase de surchauffe de l’économie des pays les plus industrialisés du Centre au cours

5 LUXEMBOURG, Rosa. Idem, Vol. II, p. 104. 6 MEDINA, Pablo et al. 1996. « ABC de la deuda externa », p. 21-22, p. 37, p. 50.

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de laquelle il y a eu surabondance de capitaux dont une partie a été recyclée vers les économies de la Périphérie. Les phases préparatoires à l’éclatement de la crise, pendant lesquelles la dette augmente

fortement, correspondent chaque fois à la fin d’un cycle long expansif des pays les plus industrialisés. La crise est généralement provoquée par une récession ou un krach frappant la ou les principales

économies industrialisées.

De même, il y a un lien entre l’éclatement et le développement de ces quatre crises et les ondes longues du capitalisme. Les ondes longues du développement capitaliste depuis le début du XIXe

siècle ont été analysées par plusieurs auteurs, parmi lesquels Ernest Mandel qui a fourni un apport

substantiel, notamment au niveau de l’incidence du facteur politique sur le déroulement et le dénouement des ondes longues, apport qui reste à compléter7.

Après un krach financier de la Bourse de Londres en décembre 1825, la première crise moderne de

surproduction de marchandises (1826) ouvre la voie à une onde longue d’expansion lente (1826-1847)

et à la première crise de la dette de l’Amérique latine (qui débute au cours de la décennie 1820). La deuxième crise éclate en 1873 suite à un krach boursier à Vienne suivi d’un autre à New York. S'en

suit la longue dépression des économies industrialisées de 1873 à 1893 et la crise de la dette de

l’Amérique latine de la décennie 1870. Suite à la crise de Wall Street en 1929, la dépression des années 1930 de l’économie mondiale

débouche sur la crise de la dette de l’Amérique latine qui éclate au même moment mais qui débouche sur un autre scénario que les précédentes crises. En effet, à la suite notamment de la décision de non-

paiement de la dette par quatorze pays du continent, cette crise de la dette débouche sur une expansion

de ceux-ci en contradiction avec la crise des pays du Centre. La quatrième crise en 1982 a été provoquée par l’effet combiné de la deuxième récession économique

mondiale (1980-1982) d’après guerre et de la hausse des taux d’intérêt décidée par la Réserve fédérale

des Etats-Unis en 1979. Elle relie l’onde longue d’expansion lente qui débute en 1973-1974 et la crise actuelle de la dette d’Amérique latine (et plus largement du tiers-monde).

Les trois premières crises ont duré de 15 à 30 ans. La quatrième crise est encore en cours. Elles ont concerné l’ensemble des Etats indépendants de l’Amérique latine et de la Caraïbe quasiment sans

exception.

Au cours de ces crises, les suspensions de paiement ont été fréquentes. Entre 1826 et 1850, lors de la

première crise, presque tous les pays ont suspendu leur paiement. En 1876, onze pays d’Amérique

latine étaient en cessation de paiement. Dans les années 1930, onze pays du continent ont décrété un moratoire. Entre 1982 et 2002, le Mexique, la Bolivie, le Pérou, l’Equateur, le Brésil, l’Argentine,

Cuba ont suspendu le remboursement à un moment ou à un autre, pour une période de plusieurs mois. La suspension est un acte qui permet aux pays débiteurs de réunir les conditions favorables à la reprise

ultérieure des paiements après avoir renégocié avec leurs créanciers.

5.1.3.1. Le Mexique 1914-1942 ou comment l’attitude ferme d’un pays endetté peut-être payante En 1914, en pleine révolution, notamment sous la conduite d’Emiliano Zapata et de Pancho Villa, le

Mexique a suspendu totalement le paiement de sa dette extérieure. Il était le principal pays endetté du continent à l’égard de son voisin du Nord. Entre 1914 et 1942, le Mexique n’a remboursé que des

sommes tout à fait symboliques avec pour seule fin de calmer le jeu. De longues négociations entre le 7 MANDEL, Ernest. 1978. Long waves of capitalist development, The Marxist interpretation, Based on the Marshall Lectures given at the University of Cambridge.

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71

Mexique et un consortium de créanciers dirigé par un des directeurs de la banque états-unienne JP Morgan ont été menées entre 1922 et 1942 (vingt ans !). Entre temps, en 1938, le Mexique, sous le

président Cardenas, avait nationalisé sans indemnisation l’industrie pétrolière qui était aux mains des entreprises nord-américaines. Cette mesure bénéfique pour la population mexicaine avait évidemment

soulevé les protestations des créanciers. Au bout du compte, la ténacité du Mexique a payé : en 1942,

les créanciers renoncèrent à plus de 90% de la valeur de leurs créances et acceptèrent des indemnités légères pour les entreprises qui leur avaient été soustraites8…

5.1.3.2. La crise de la dette de l’Amérique latine dans les années 1930

La crise de la dette des années 1930 qui a éclaté en 1931 est précédée d’une période au cours de laquelle les Etats-Unis renforcent de manière très importante leur présence économique et financière

en particulier en Amérique centrale, dans la Caraïbe et dans plusieurs pays andins. Jusque là, les financiers européens dominaient. Les Etats-Unis qui, depuis 1898, exerçaient un protectorat de fait sur

Cuba et Puerto Rico, sont de plus intervenus directement sur le plan militaire au Panama, à Saint-

Domingue, en Haïti et au Nicaragua. Par ailleurs, au cours des années 1920, les autorités nord-américaines ont administré elles-mêmes les douanes et, dans certains cas, l’administration des impôts

dans sept pays : Haïti, Pérou, Saint-Domingue, Nicaragua, Bolivie, Equateur et Honduras. La décade

des années 1920 a vu les autorités latino-américaines procéder à de nombreux emprunts qui étaient régulièrement remboursés.

Entendu par une commission du Congrès des Etats-Unis qui siégea dans les années 1930, M. Dennis,

employé par la société financière Seligman Brothers de New York, expose sous un éclairage très

intéressant les flux financiers entre l’Europe, l’Amérique latine et les Etats-Unis : “Après la guerre (de 1914-1918, NDA), l’Angleterre, la France et d’autres pays européens devaient payer de très volumineuses quantités de produits importés des Etats-Unis. Où pouvaient-ils trouver les dollars dont ils avaient besoin ? Ils les obtinrent principalement en Amérique latine et dans d’autres contrées où ils avaient investi des capitaux. Ils utilisaient les bénéfices qu’ils rapatriaient de l’étranger pour payer aux Etats-Unis les produits qu’ils en importaient en grande quantité. De même, ils utilisaient ces bénéfices rapatriés pour payer leurs dettes de guerre (voir fin de ce chapitre, NDA). Nous autres (les

sociétés financières des Etats-Unis, NDA), nous prêtions à l’Amérique latine ce qui permettait aux Européens de se procurer les dollars dont ils avaient besoin pour nous rembourser. C’était un mouvement triangulaire”9. En 1931, la crise éclate après une décennie d’importants flux de prêts étrangers vers l’Amérique latine,

provenant principalement des Etats-Unis. Ceux-ci se sont substitués à la Grande-Bretagne après la

première guerre mondiale comme principal exportateur de capitaux vers ce continent. La Grande-Bretagne a maintenu une présence importante dans l’endettement de certains pays, tels l’Argentine et

le Brésil, mais les Etats-Unis ont dominé dans le reste du continent. L’Allemagne qui, avec la Grande-

Bretagne, avait représenté le principal créancier en Amérique latine jusqu’au début du XXe siècle, s’est trouvée dans une situation financière plus difficile à cause des réparations de guerre qu’elle a dû

assumer après la première guerre mondiale.

8 Pour une analyse détaillée, lire MARICHAL, Carlos. 1989. A century of debt crises en Latin America, 1820-1930, Princeton University Press, 1989 ; MARICHAL, Carlos. 1988. Historia de la deuda externa de America latina, La deuda externa : el manejo coactivo en la politica financiera mexicana, 1885 – 1995. 9 Cité par MARICHAL, Carlos. 1989, Idem, p. 189.

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La dette de l’Amérique latine était constituée de titres et de bons émis sur les marchés financiers des

métropoles capitalistes (comme dans les années 1990, et à la différence des années 1970 et 1980 où la dette était principalement constituée par des prêts bancaires). Plusieurs facteurs expliquent la

croissance de l’offre de prêts en provenance d’Europe et des Etats-Unis après la première guerre

mondiale : la confiance dont bénéficiaient les classes dominantes latino-américaines inspirées par une philosophie positiviste de progrès; les espoirs mis dans un développement du continent; la mise en

exploitation de grandes quantités de terres pour l’exportation principalement de produits alimentaires;

le développement d’une infrastructure significative au niveau des ports, des lignes de chemin de fer, de production d’énergie électrique; les progrès des transports intercontinentaux permettant une meilleure

intégration au marché mondial. Dans les trois principales économies du continent - Brésil, Argentine, Mexique -, l’investissement a

présenté un grand dynamisme dans la décennie 1920, financé qu’il était par des émissions de titres

bien cotés aux Etats-Unis et en Europe. Ces pays accumulèrent d’énormes dettes mais tous, qu’ils soient créanciers, débiteurs ou opérateurs sur les marchés financiers, étaient persuadés que les

exportations croîtraient de manière permanente, ce qui devait permettre à la fois le paiement du service

de la dette et une croissance soutenue. C’est le même raisonnement qui a prévalu dans les années 1970.

Notons qu’en 1914, la moitié des exportations de biens industriels allait des centres impérialistes vers

les pays producteurs et exportateurs d’aliments et de matières premières. La situation a

fondamentalement changé au moins à partir des années 1970. A la fin du XXe siècle, la majeure partie des exportations des pays impérialistes est réalisée entre eux. A la veille de la première guerre

mondiale (1914-1918), la moitié des exportations de la Périphérie allait seulement vers quatre pays du

Centre : Grande-Bretagne, Allemagne, France et Belgique. La proportion passe à 70% si on y ajoute l’Italie, le Japon, les Etats-Unis et l’Autriche-Hongrie.

En 1928, les flux se réduisent substantiellement devant la saturation des marchés financiers par les

titres latino-américains. Juste après le krach boursier de 1929, les émissions de ces titres prirent fin. Le

tarissement des flux plaça les pays de ce continent dans l’incapacité de faire face à leurs obligations de remboursement.

5.1.3.3. Le non-paiement de leur dette extérieure par quatorze Etats latino-américains Dès le 1er janvier 1931, le gouvernement bolivien annonça qu’il cesserait de payer sa dette. Il fut suivi

par une série d’autres pays10. En 1932, douze pays avaient suspendu totalement ou partiellement le

paiement de leurs dettes ; en 1935, ils étaient quatorze. La décision de ne pas payer s’est basée notamment sur la chute des prix des produits exportés11 et sur

l’arrêt des flux provenant des pays impérialistes, comme on vient de le voir.

Le contraste avec la situation qui allait se présenter cinquante ans plus tard est frappant : un tiers des pays latino-américains ont stoppé de manière unilatérale le paiement de leurs dettes dans les années

1930. La décision de mettre fin au paiement de la dette extérieure a été bénéfique. La plupart des pays

10 MARICHAL, Carlos. 1989. A century of debt crises en Latin America, 1989 ; VILAS, Carlos. 1993. Crisis de la Deuda de América latina ; UGARTECHE, Oscar. 1997. El Falso dilema, p. 117. 11 FISHLOW, Albert. 1986. « Lessons from the past: Capital markets during the 19th Century and the Enterwar Period ».

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qui mirent fin au paiement de leurs dettes ont connu une réactivation économique dans les années 1930 malgré l’arrêt des prêts extérieurs. Le rétablissement du système de commerce multilatéral après

la seconde guerre mondiale ne déboucha pas sur la réactivation des marchés de capitaux privés pour l’endettement des pays latino-américains. A Bretton Woods, en 1944, des canaux alternatifs furent mis

en place : crédits et prêts gouvernementaux (multilatéraux aussi) se substituèrent aux marchés

financiers. Et ce n’est que vingt ans plus tard, dans les années 1960, que les banques privées du Centre prirent part activement aux prêts.

Les pays latino-américains prirent leur distance pour une période avec le système financier

international parce qu’ils étaient convaincus qu’il y avait peu de chances que puisse redémarrer un flux financier en leur faveur, y compris pour ceux qui n’avaient pas répudié leurs dettes. Les difficultés

financières internes aux Etats-Unis renforçaient cette conviction. La guerre qui éclata plus tard entre les principaux pays impérialistes (1940-1945) changea leurs priorités. Les principaux créanciers

(Grande-Bretagne et Etats-Unis) n’eurent pas la volonté de créer un cartel pour recouvrer leurs dettes.

Certains pays qui ont dénoncé leurs dettes auraient pu maintenir leurs paiements, mais ils ont

considéré que le coût social intérieur aurait été très élevé. La suspension des paiements permit aux

pays qui prirent cette décision de garder d’importantes ressources financières afin de mettre en pratique des politiques expansives. S’ils avaient au contraire décidé de maintenir les remboursements,

ils n’auraient certainement pas pu instaurer des politiques de contrôle de change et n’auraient pas été en mesure d’imposer des barrières protectionnistes à l’égard de certains produits du Nord. Ces

mesures permirent un développement réel par la réalisation d’un processus d’“industrialisation par

substitution d’importation ” (ISI). Les pays produisirent sur place une grande partie des produits qu’ils importaient antérieurement du Nord.

S’ils n’avaient pas cessé le paiement de la dette extérieure, ils n’auraient pas pu mettre en œuvre avec

la même ampleur les grands programmes de travaux publics, deuxième instrument fondamental de la réactivation économique. Il est intéressant de signaler que ces décisions furent prises par des régimes

de caractères fort différents. Comme le fait remarquer Carlos Vilas, il ne faudrait pas pour autant présenter ces décisions convergentes comme faisant partie d’une stratégie préconçue. Ce n’est que

plus tard, notamment avec la mise en place de la Commission économique des Nations unies pour

l’Amérique latine, que les politiques d’industrialisation par substitutions d’importation (ISI) firent partie d’une vision stratégique (abandon du schéma de l’industrialisation tirée par les exportations au

profit de l’ISI)12.

5.1.3.4. Refus de payer la dette et décollage économique

Il convient de se poser la question suivante : dans quelle mesure le succès de la relance économique

est-il dû à la répudiation de la dette ? Une étude de David Félix13 compare l’évolution suivie entre 1929 et 1939 par cinq pays qui ont

répudié complètement leurs dettes (Brésil, Colombie, Chili, Mexique et Pérou) à celle de l’Argentine,

qui procéda seulement à une annulation partielle. Cette étude indique que l’arrêt total du remboursement de leurs dettes a permis aux cinq pays de réaliser des performances économiques

meilleures que l’Argentine. Que l’annulation de la dette ait été totale ou partielle, elle permit de toute façon la relance de la

production des pays concernés. 12 VILAS, Carlos. 1993. Idem, p. 11. 13 FÉLIX, David. 1987. « Alternative Outcomes of the Latin American Debt Crisis : Lessons from the Past ».

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Le taux de croissance du produit national brut du Brésil, de la Colombie et du Mexique entre 1929 et 1939 fut supérieur à celui des Etats-Unis, de la France et du Canada. Après 1932, le taux de croissance

de la production industrielle du Mexique, de la Colombie et du Chili dépassa celui de l’Argentine. A la fin de la seconde guerre mondiale, les pays qui avaient arrêté le paiement de leur dette extérieure

entrèrent en négociation avec les pays impérialistes et obtinrent de substantielles réductions de celle-ci

ainsi que des facilités de paiement. En ce qui concerne l’Argentine, son attitude ne fut pas récompensée par les pays impérialistes. Au

Nord, le principal partenaire économique de l’Argentine était la Grande-Bretagne. Celle-ci s’était

endettée auprès de l’Argentine car elle importait des produits argentins essentiels pour soutenir son effort de guerre14. Après la seconde guerre mondiale, la Grande-Bretagne, avec le soutien des Etats-

Unis, appliqua à l’égard de son créancier, l’Etat argentin, des mesures qui lui permirent de ne payer qu’une partie marginale de sa dette15.

5.2. Attitude des Etats-Unis et des créanciers européens face à la suspension de paiement de la dette Les Etats-Unis et les créanciers européens tolérèrent la décision unilatérale de la part de ces quatorze

pays d’Amérique latine de ne pas payer leur dette extérieure. Il faut dire qu’à partir de 1934 plusieurs

gouvernements européens mirent fin, eux aussi, au remboursement de la dette qu’ils avaient contractée à l’égard des Etats-Unis au cours de la première guerre mondiale.

La crise initiée en 1929 avait été d’une telle ampleur qu’elle avait progressivement étranglé les

trésoreries publiques des pays européens. Cela avait commencé par l’Allemagne. Celle-ci avait été

soumise dans le cadre du Traité de Versailles à des conditions draconiennes par les vainqueurs. Les sommes qu’elle était condamnée à payer sous forme de réparation aux vainqueurs étaient énormes.

Prise à la gorge par les effets de la crise de 1929, l’Allemagne demanda que sa dette soit renégociée.

Une conférence internationale se réunit à Lausanne en 1932 (c’est à cette occasion que fut créée la Banque des règlements internationaux) et décida de réduire de manière drastique le montant dû par

l’Allemagne à ses créanciers européens. De 31 milliards de dollars, le montant à payer fut réduit à 1 milliard de dollars. Les créanciers prirent cette décision afin de tenter d’éviter la multiplication des

faillites des banques allemandes (et autrichiennes) dont l’onde de choc menaçait l’ensemble du

système financier des autres pays les plus industrialisés. La situation économique ne s’améliora pas et les pays européens vainqueurs de la première guerre

mondiale, eux aussi en difficulté, suspendirent leur paiement à l’égard des Etats-Unis qui étaient

pourtant leurs alliés (leurs dettes de guerre à l’égard de ceux-ci s’élevaient à 10 milliards de dollars). Les tensions montèrent entre alliés européens et nord-américains et le 4 juin 1934, la Grande-

Bretagne, très vite suivie par la France, la Belgique et l’Italie, annonça qu’elle suspendait tous les remboursements futurs à l’égard des Etats-Unis.

Les gouvernements d’Amérique latine qui avaient suspendu leurs remboursements à partir de 1931

tant à l’égard des créanciers nord-américains qu’européens n’avaient pas attendu que les Européens suspendent les paiements à l’égard des Etats-Unis. Leur tâche fut facilitée par les divisions internes qui

surgirent dans le camp des Etats créanciers du Nord à partir de 1932.

14 VILAS, Carlos. 1993. Ibid., p. 11. 15 Voir le détail in OLMOS, Alejandro. 1990. Todo lo que usted quiso saber sobre la deuda externa y siempre le ocultaron, p. 42-45.

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Le déroulement de la crise de la dette des années 1930 contraste de manière évidente avec la gestion

de la crise de la dette des années 1980. Le gouvernement des Etats-Unis décida d’empêcher à tout prix la répétition de l’expérience des années 1930. L’administration Reagan, appuyée par les autres

membres du G7, intervint de manière offensive en multipliant les initiatives à la suite de la crise

mexicaine de 1982. Les dirigeants des Etats-Unis lancèrent successivement les plans Baker et Brady. Ils avaient tiré la conclusion que leur attitude des années 1930 avait permis à plusieurs pays

appartenant traditionnellement à leur aire d’influence de s’assurer une certaine autonomie économique

et politique. Ils voulaient éviter que cela se reproduise. Cette fois-ci, les Etats-Unis refusèrent des périodes prolongées de suspension de paiement et traitèrent au cas par cas avec les pays débiteurs. Les

gouvernements des pays endettés furent incapables de faire front malgré les appels lancés en ce sens en 1985 par le gouvernement de Cuba. En adoptant une attitude de subordonnés disciplinés (ce fut le

cas par exemple des gouvernements mexicain et argentin16) ou de résistants inconséquents (ce fut le

cas des gouvernements brésilien et péruvien), ils contribuèrent au renforcement du leadership des Etats-Unis et furent responsables d’un transfert massif de richesses du Sud du continent vers le Nord.

Au passage, ils prélevaient (et prélèvent encore) une part non négligeable.

16 Dans le cas argentin, je me réfère à l’attitude de bon élève du FMI adoptée par les autorités de Buenos Aires dans les années 1980 et 1990. Elles ont changé d’attitude à partir de décembre 2001 suite à un soulèvement populaire en suspendant de manière prolongée le remboursement de la dette publique externe à l’égard des créanciers privés.

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76

Chapitre 6

Le FMI et le Groupe de la Banque mondiale : des origines à nos jours

6.1. Bretton Woods : Naissance du FMI et de la Banque mondiale1

Le 1er juillet 1944, à l’inauguration de la Conférence monétaire et financière des Nations unies, connue

sous le nom de conférence de Bretton Woods2, devant les représentants de 44 pays, le discours d'ouverture de Henry Morgenthau, secrétaire au Trésor des Etats-Unis et président de la conférence

donna le ton de la réunion et, en fait, en incarna l'esprit. Il envisageait “ la création d'une économie mondiale dynamique dans laquelle les peuples de chaque nation seront en mesure de réaliser leurs potentialités dans la paix et de jouir toujours davantage des fruits du progrès matériel sur une Terre bénie par des richesses naturelles infinies ». Il mit l'accent sur “ l'axiome économique élémentaire que la prospérité n'a pas de limite fixe. Elle n'est pas une substance finie qu'on puisse diminuer en la divisant ”. Et il conclut ainsi : “ La chance qui s'offre à nous, a été achetée dans le sang. Faisons-lui honneur en montrant notre foi dans un avenir commun ”3. Ce discours consensuel dissimulait les âpres discussions qui se déroulaient depuis des mois entre les délégations britannique (Lord J.M. Keynes en premier lieu) et américaine (H. Morgenthau et Harry

White). Le débat entre Nord-américains et Britanniques avait été lancé dès avant l’entrée en guerre des

Etats-Unis. Winston Churchill avait déclaré au président Roosevelt : “ Je pense que vous souhaitez abolir l’Empire britannique. (...) Tous vos dires le confirment. Malgré cela, nous savons que vous êtes notre seul espoir. Et vous savez que nous le savons. Sans l’Amérique, l’Empire britannique ne pourra pas tenir bon ”4. Les Etats-Unis réalisèrent leur objectif et les positions que J.M. Keynes défendit à Bretton Woods, bien que louées officiellement, furent marginalisées par H. Morgenthau.

La rédaction des statuts du Fonds Monétaire International occupa presque exclusivement les premières

semaines de réunion. Ses dispositions étaient également en discussion depuis des mois. L’objectif

premier des Etats-Unis était concentré sur la mise sur pied d’un système garantissant la stabilité financière de l’après-guerre : plus jamais de dévaluations concurrentielles, de restriction des échanges,

de quotas d’importation et tout autre dispositif étouffant le commerce. Les Etats-Unis voulaient le

libre-échange sans discrimination à l’égard de leurs produits - demande incontournable dans le sens où ils étaient alors le seul pays du Nord à disposer d’un excédent considérable de biens et de services. Ils

recherchaient ensuite un climat favorable à leurs investissements dans les économies étrangères et

1 Cette partie consacrée à la conférence de Bretton Woods est basée principalement sur: 1) MASON Edward S. et ASHER, Robert E. 1973. The World Bank since Bretton Woods, The Brookings Institution, Washington, D.C., chapitre 1, p.11-35; 2) KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 1: History, Brookings Institution Press, Washington, D.C., chapitre 2, p.57-84; 3) GEORGE, Susan et SABELLI, Fabrizio. 1994. Crédits sans Frontières, col. Essais, La Découverte, Paris, chapitre 1, p.28-45 ; 4) RICH, Bruce. 1994. Mortgaging the Earth, Earthscan, London, chapitre 3, p.49-80 ; 5) AGLIETTA, Michel, et MOATTI, Sandra. 2000. Le FMI. De l'ordre monétaire aux désordres financiers, Ed. Economica, Paris, chapitre 1, p.8-31 ; 6) Catherine Gwin, “U.S. relations with the World Bank, 1945-1992”, in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p.195-200. 2 La localité de Bretton Woods est située dans les montagnes du New Hampshire. La conférence internationale dura trois semaines. Cette rencontre internationale mise sur pied par le Président Franklin D. Roosevelt avait pour objectif d'établir les règles d'un nouvel ordre économique international pour l'après-guerre. 3 Cité par RICH, Bruce. 1994. Mortgaging the earth, p.54-55. 4 Cité par GEORGE, Susan et SABELLI, Fabrizio. 1994. Crédits sans Frontières, p.31.

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enfin, le libre accès aux matières premières, accès limité précédemment par les empires coloniaux européens et japonais. Il était donc indispensable à leurs yeux d'organiser le système financier mondial

pour que leur économie puisse disposer de partenaires commerciaux fiables et croître sans encombre.

La création du FMI mobilisait donc toutes les énergies dans le but de faciliter un commerce mondial

libre. C’était l’Américain Harry White5 qui dirigeait les négociations avec son concitoyen Henri Morgenthau. Par contre, au départ de la conférence, il était à peine question d’une banque, pourtant

chargée d’une mission précise, technique et limitée dans le temps : la reconstruction d’après guerre de

l’Europe mais guère davantage. Le mot « développement » en particulier n’avait pas été prononcé lors de la séance inaugurale et ce n’est que dans les travaux de la commission menée par Keynes que la

formule fut associée à l’objectif de reconstruction. Keynes, en effet, prévoyait que, si la reconstruction était la principale occupation de la banque projetée, « dès que possible, et de plus en plus au fil du temps, elle devra remplir le devoir de développer les ressources et la capacité productive du monde, en accordant une attention particulière aux pays moins développés, d’améliorer partout le niveau de vie et les conditions de travail, de rendre les ressources du monde plus pleinement disponibles pour toute l’humanité »6.

Pratiquement, la conférence mit en place un mécanisme appelant tous les Etats à régler selon leurs

moyens une souscription au capital de la Banque, en or ou en devises convertibles en or. Ces souscriptions serviraient à leur tour de garantie pour les émissions obligataires auxquelles il serait

procédé sur les marchés financiers. Ces émissions fourniraient la majeure partie des capitaux à prêter

et les obligations seraient de premier ordre, des investissements cotés AAA, car les investisseurs les trouveraient crédibles et profitables. Keynes en attendait une gestion irréprochable : « Le produit de ces émissions ne sera employé que pour des motifs approuvés et de manière appropriée, après validation d’experts et de techniciens, de sorte que nous aurons contre le gaspillage et les dépenses abusives des garde-fous qui ont manqué pour nombre de ces prêts impayés consentis entre les deux guerres »7.

6.1.1. Fonds monétaire international (FMI) 6.1.1.1. Objectifs du FMI Né lors de la conférence de Bretton Woods, le FMI a été mis en place officiellement le 27 décembre 1945 après 29 ratifications. Il est avant tout une institution monétaire intergouvernementale basée sur

la coopération internationale. En tant que tel, le FMI est une organisation internationale à part entière.

Au départ, le FMI était une institution chargée de défendre le nouveau système de changes fixes. La décision unilatérale du gouvernement des Etats-Unis de déclarer l’inconvertibilité du dollar en or en

août 1971 a profondément changé la mission du FMI sans que ses statuts n'aient été modifiés en

conséquence.

5 Harry White avait rédigé dès 1942 à la demande du Trésor des Etats-Unis une proposition de nouvelle architecture financière et monétaire internationale (voir AGLIETTA et MOATTI, Le FMI. De l'ordre monétaire aux désordres financiers, p.10 à 24). 6 Cité par GEORGE Susan et SABELLI Fabrizio, Idem, p.39. 7 Cité par GEORGE Susan et SABELLI Fabrizio, Ibid., p.40.

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78

Les missions du FMI sont soigneusement définies dans ses statuts : « i) promouvoir la coopération monétaire internationale au moyen d’une institution permanente fournissant un mécanisme de consultation et de collaboration en ce qui concerne les problèmes monétaires internationaux ; ii) faciliter l’expansion et l’accroissement harmonieux du commerce international et contribuer ainsi à l’instauration et au maintien de niveaux élevés d’emploi et de revenu réel8 et au développement des ressources productives de tous les États membres, objectifs premiers de la politique économique ; iii) promouvoir la stabilité des changes, maintenir entre les États membres des régimes de change ordonnés et éviter les dépréciations concurrentielles des changes ; iv) aider à établir un système multilatéral de règlement des transactions courantes entre les États membres et à éliminer les restrictions de change qui entravent le développement du commerce mondial ; v) donner confiance aux États membres en mettant les ressources générales du Fonds temporairement à leur disposition moyennant des garanties adéquates, leur fournissant ainsi la possibilité de corriger les déséquilibres de leurs balances des paiements sans recourir à des mesures préjudiciables à la prospérité nationale ou internationale ; vi) conformément à ce qui précède, abréger la durée et réduire l’ampleur des déséquilibres des balances des paiements des États membres. » De manière générale, le FMI est chargé d'assurer la stabilité du système monétaire et financier international, c’est-à-dire, le système international de paiements et de change des monnaies nationales qui rend possible le commerce entre les pays. Le FMI est censé prévenir les crises mais aussi contribuer à leur résolution lorsqu'elles arrivent. Une nouvelle mission a été attribuée de fait au FMI depuis l’éclatement de la crise de la dette en 1982, il s’agit de gérer la crise de la dette et de contribuer à la réduction la pauvreté dans le monde. De ce point de vue, cela place le FMI sur le même terrain que le groupe de la Banque mondiale et des banques de développement régionales (Banque interaméricaine de développement, Banque africaine de développement et Banque asiatique de développement). Pour atteindre ses objectifs, le FMI exerce trois activités principales : surveillance, assistance technique9 et prêts. Notre analyse du bilan est sévère. Les consultations annuelles avec les pays membres et les recommandations de ses experts n’ont pas permis au FMI de prévoir et d’éviter les crises majeures de ces dernières années. Selon certains de ses détracteurs10, les politiques dictées par le FMI les ont même aggravées. Fin 2003, 87 pays bénéficiaient au titre de l’aide financière de prêts octroyés par le FMI, pour un montant de 107 milliards de dollars. Les conditions qui accompagnent systématiquement ces prêts reflètent l’étendue du contrôle que cherche à exercer le FMI sur les gouvernements des PED.

8 Souligné par l’auteur. Ce point est très important pour l'analyse du rôle du FMI, tant officiel qu'officieux. 9 L’assistance technique, elle porte sur les finances publiques, la politique monétaire et les statistiques. 10 Rien qu’aux Etats-Unis, parmi les économistes très critiques à l’égard du FMI, on peut citer : J. Stiglitz, J. Sachs, Allan Meltzer, Jeremy Bullow, la commission Meltzer en tant que telle, Paul Krugman,… En France : l'ex-député Yves Tavernier, rapporteur de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale française sur les activités et le contrôle du FMI et de la Banque mondiale en 2000 et 2001. Sans parler des experts de l’ONU chargés d’analyser les politiques du FMI pour la sous-commission des droits de l’homme (voir plus loin les chapitres sur l’ajustement structurel).

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Le FMI accorde aussi un appui financier par le biais de son mécanisme de prêt concessionnel - la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC) - et par l'allégement de la dette dans le cadre de l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (Initiative PPTE). 6.1.1.2. Comment fonctionne le FMI ?

En 2004, 184 pays en étaient membres, le Timor oriental étant le dernier en date (adhésion en mai

2002). Chacun de ces pays nomme un gouverneur pour le représenter, en général le ministre des Finances ou le gouverneur de la Banque centrale. Ils se réunissent au sein du conseil des gouverneurs,

instance souveraine du FMI, qui siège une fois par an (à l’automne) à l’occasion de l’Assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale. Ce conseil est chargé de prendre les décisions importantes

comme l’admission des nouveaux pays ou la préparation du budget.

Parmi ces gouverneurs, 24 siègent au Comité monétaire et financier international (CMFI). Cet organe

directeur se réunit deux fois par an (au printemps et à l’automne) et est chargé de conseiller le FMI sur

le fonctionnement du système monétaire international.

Pour la gestion quotidienne des missions, le conseil des gouverneurs délègue son pouvoir au conseil d’administration composé de 24 membres dont les activités sont guidées par le CMFI. Chacun des huit

pays suivants a le privilège de pouvoir nommer un administrateur : les États-Unis, le Japon,

l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite, la Chine et la Russie. Les seize autres sont nommés par des groupes de pays. Ce conseil d’administration, presque exclusivement masculin, se

réunit en principe au moins trois fois par semaine.

Le conseil d’administration élit un directeur général pour cinq ans. A l’encontre des principes

démocratiques, une règle tacite veut que ce poste soit réservé à un Européen. Après le Français Michel Camdessus, en poste de 1987 à 2000, et l’Allemand Horst Köhler, de 2000 à 2004, c’est l’Espagnol

Rodrigo Rato qui occupe le sommet de l’organigramme. Il gère une équipe de 2.690 hauts

fonctionnaires issus de 141 pays, basés à Washington pour la plupart. Depuis les années 1960, une fonction de directeur général adjoint a été créée et le « numéro deux » du FMI est toujours un

représentant des États-Unis. En réalité, il a une influence prépondérante. Lors de la crise asiatique en

1997-1998, Stanley Fischer, qui occupait ce poste, a pris les devants par rapport à Michel Camdessus à plusieurs reprises. Dans la crise argentine de 2001-2002, Anne Krueger, qui l’a remplacé après avoir

été nommée par George W. Bush et son secrétaire d’État au Trésor Paul O’Neill, a joué un rôle beaucoup plus actif que Horst Köhler. Cela a été également le cas dans la négociation cruciale sur la

question de la mise en place d’un mécanisme de restructuration de la dette souveraine des Etats en

2002-2003.

Depuis 1969, le FMI possède une unité de compte qui lui est propre et qui règle ses activités

financières avec les pays membres : le Droit de tirage spécial (DTS). Égal à 1 dollar à l’origine, il est maintenant évalué quotidiennement à partir d’un panier de monnaies fortes (le dollar pour 45%, le yen

pour 15%, l’euro pour 29% et la livre sterling pour 11%). A la mi-mai 2004, 1 DTS valait environ 1,43 $. Le montant total des ressources du FMI s’élevait à 213 milliards de DTS (environ 316

milliards de dollars).

Tout pays qui devient membre du FMI se doit de verser un droit d’entrée appelé « quote-part ». De ce

fait, il devient actionnaire du FMI puisqu’il contribue à son capital. Cette quote-part n’est pas libre :

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80

elle est calculée en fonction de l’importance économique et géopolitique du pays. Elle doit être versée pour 25% en DTS ou dans une des devises le composant (ou en or avant 1978) et les 75% restants

dans la monnaie locale du pays. Ainsi, le FMI est un très important détenteur d’or, car de nombreux pays ont payé leur cotisation au FMI avec ce métal précieux. En 2002, les réserves du FMI en métal

jaune s’élevaient à 103 millions d’once (3.217 tonnes), estimées à plus de 41 milliards de dollars. Si

ces réserves n’interviennent pas dans les prêts du FMI, en revanche, elles lui confèrent une stabilité et une stature essentielle aux yeux des acteurs financiers internationaux.

En février 2004, les ressources du FMI se répartissaient en l’équivalent de 174 milliards de dollars inutilisables pour les prêts (or, monnaies faibles) et 151 milliards de dollars utilisables (essentiellement

les monnaies des pays de la Triade), dont 33 milliards de dollars déjà engagés et 118 milliards de dollars disponibles.

Ces cotisations des États permettent au FMI de se constituer des réserves qui seront prêtées aux pays en déficit temporaire. Ces prêts sont conditionnés par la signature d’un accord dictant les mesures que

le pays doit prendre pour recevoir l’argent attendu : ce sont les programmes d’ajustement structurel.

Cet argent est mis à disposition par tranches, après vérification que les mesures exigées sont bien mises en œuvre.

En règle générale, un pays en difficulté peut emprunter au FMI annuellement jusqu’à 100% de sa

quote-part et en tout jusqu’à 300%, sauf procédure d’urgence. Le prêt est à court terme et le pays est

censé rembourser le FMI dès que sa situation financière s’est améliorée. Au cours des dernières années, plusieurs pays ont remboursé de manière anticipée le prêt du FMI de manière à s’émanciper

des conditions fixées par lui. C’est le cas de la Corée du Sud et de la Thaïlande après la crise qui les a

frappées en 1997-1998.

Le taux d’intérêt du DTS permet de calculer le taux d’intérêt des financements du FMI accordés aux pays membres. En mai 2004, le taux d’intérêt auquel les pays en difficultés empruntaient au FMI était

de 2,69%. Dans le même temps, le FMI rémunérait les pays riches pour les sommes qu’ils lui prêtent à

un taux de 1,59%. La différence permet au FMI de financer son fonctionnement au jour le jour.

Mais au-delà, la quote-part d’un pays détermine largement l’influence qu’il aura (ou n’aura pas…) au

sein du FMI. A partir de cette quote-part, un savant calcul permet de déterminer le nombre de droits de vote de chaque pays : il correspond à 250 voix plus une voix pour 100.000 DTS de quote-part. Ce

système est plus proche d’une entreprise que d’une institution intergouvernementale normale. Mais il diffère également d’une société anonyme cotée en bourse : alors qu’un actionnaire classique peut

décider d’acheter de nouvelles actions en Bourse pour augmenter son influence dans l’assemblée

générale des actionnaires, un pays ne peut pas décider d’accroître sa quote-part au FMI pour peser plus lourdement au sein de cette institution. La seule possibilité de changement dans la répartition des

quotes-parts est la révision pratiquée tous les cinq ans par le FMI lui-même, et pour laquelle nous allons voir que les États-Unis disposent d’une minorité de blocage.

Page 96: Thèse EricT VersionDéf 11juin

81

6.1.1.3. Des déséquilibres manifestes dans le mécanisme de pondération des voix Le conseil d’administration du FMI accorde une place prépondérante aux États-Unis (plus de 17% de

droits de vote), suivis par le Japon, l’Allemagne, le groupe emmené par la Belgique, puis la France et le Royaume-Uni. À titre de comparaison, le groupe emmené par la Guinée équatoriale, qui regroupe

24 pays d’Afrique noire (francophones et lusophones), possède moins de 1,5% des droits de vote. La

Chine ne détient que 2,95% des droits de vote alors que l’Arabie saoudite en détient 3,23%. Ce dernier exemple montre que le poids relatif en droits de vote est dans certains cas lié prioritairement à des

facteurs politiques et géostratégiques. L’Arabie saoudite est un allié traditionnel des Etats-Unis,

occupe une place géostratégique et dispose d’une des plus grandes réserves de pétrole connues. Tableau 6.1. Répartition des droits de vote entre les 24 administrateurs du FMI en mai 2004 Pays % Groupe présidé par % Groupe présidé par % Etats-Unis 17,14 Belgique 5,15 Indonésie 3,18 Japon 6,15 Pays-Bas 4,86 Égypte 2,95 Allemagne 6,01 Espagne 4,29 Suisse 2,62 France 4,96 Italie 4,19 Brésil 2,47 Royaume-Uni 4,96 Canada 3,72 Inde 2,40 Arabie saoudite 3,23 Norvège 3,52 Iran 2,38 Chine 2,95 Australie 3,34 Chili 2,00 Russie 2,75 Nigeria 3,01 Guinée équatoriale 1,42 Source : FMI [La somme donne 99.97 et non 100, car la Somalie n’a pas pris part à l'élection des administrateurs.]

Les déséquilibres sont manifestes et les pays de la Triade parviennent sans mal à réunir la majorité des droits de vote et ont donc toute facilité pour orienter les décisions du FMI.

Graphique 6.1. Droits de vote de quelques administrateurs du FMI (avril 2004)

17,14

6,15 6,015,15 4,96 4,96 4,86

1,42

0

9

18

Etats-Unis Japon Allemagne Belgique (10

pays)

France Royaume-Uni Pays-Bas (12

pays)

Guinée éq,

(24 paysd'Afrique)

Droits de vote de quelques administrateurs du FMI en avril 2004

Source : FMI

Page 97: Thèse EricT VersionDéf 11juin

82

Graphique 6.2. Droits de vote de quelques administrateurs au FMI (avril 2004)

Droits de vote de quelques administrateurs au FMI (avril 2004)

Etats-Unis

Japon

Belgique (gr)Autres

Canada (gr) Italie (gr)

Espagne (gr)

Royaume-UniFrance

Pays-Bas (gr)

Allemagne

Source : FMI [(gr) signifie que l’administrateur préside un groupe de pays] Leur pouvoir est disproportionné si on le compare à celui des PED dont les droits de vote sont réduits

eu égard à la taille des populations qu’ils représentent.

Tableau 6.2. Comparaison entre la population et sa représentation au sein du FMI

Pays ou groupe Population en 2001

(en millions) Droits de vote au FMI

(%) Chine 1.285 2,95 Inde 1.033 2,40 Etats-Unis 288 17,14 Russie 145 2,75 Groupe présidé par le Gabon 195 1,42 Japon 127 6,14 France 60 4,96 Arabie saoudite 23 3,23

Source : FMI ; PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 2003 Cette répartition déséquilibrée des droits de vote est complétée par le fait que les États-Unis sont

parvenus à convaincre leurs partenaires qu’une majorité de 85% était requise pour toutes les décisions importantes engageant l’avenir du FMI, comme la révision des statuts, l’allocation et l’annulation de

DTS, l’augmentation ou la réduction du nombre d’administrateurs à élire, les décisions d’effectuer

certaines opérations ou transactions sur l’or, la détermination de l’évaluation du DTS, la modification des quotes-parts, la suspension temporaire de certaines dispositions ou des opérations et transactions

sur DTS, etc. Les États-Unis étant le seul pays à détenir plus de 15% des droits de vote, cela leur

confère d’office une minorité de blocage pour tout changement d’envergure au FMI. Au fil des ans, les réajustements des droits de vote ont vu l’émergence de nouvelles nations. Mais si les États-Unis ont

accepté de revoir leur part à la baisse, ils ont pris soin de la maintenir au-dessus de la barre des 15%.

Page 98: Thèse EricT VersionDéf 11juin

83

Tableau 6.3. Évolution des droits de vote au FMI de 1945 à 2000

Pays 1945 1981 2000 Pays industrialisés, dont : 67,5 60,0 63,7 Etats-Unis 32,0 20,0 17,7 Japon - 4,0 6,3 Allemagne - 5,1 6,2 France 5,9 4,6 5,1 Royaume-Uni 15,3 7,0 5,1 Pays pétroliers, dont : 1,4 9,3 7,0 Arabie saoudite - 3,5 3,3 PED, dont : 31,1 30,7 29,3 Russie - - 2,8 Chine11 7,2 3,0 2,2 Inde12 5,0 2,8 2,0 Brésil 2,0 1,6 1,4 Source : Yves Tavernier, Rapport de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale française sur les activités et le contrôle du FMI et de la Banque mondiale, 2000

6.1.1.4. Quand la crise frappe un de ses États membres, le premier intervenant est en général le FMI.

Pris dans la spirale de la dette, les PED n’ont bien souvent d’autre recours que de s’endetter de

nouveau pour rembourser. Les prêteurs éventuels demandent au FMI d’intervenir pour garantir la poursuite des remboursements. Celui-ci accepte à condition que le pays concerné s’engage à suivre la

politique économique qu’il lui dicte : ce sont les fameuses conditionnalités du FMI, détaillées dans les

plans d’ajustement structurel (PAS). La politique économique de l’État débiteur passe sous contrôle du FMI et de ses experts. Une nouvelle forme de colonisation s’installe car la dette crée à elle seule les

conditions d’une nouvelle dépendance.

En cas de crise aiguë (comme au Mexique en 1982 et en 1994, en Asie du Sud-Est en 1997, en Russie

et au Brésil en 1998, en Turquie en 2000, en Argentine en 2001-2002, au Brésil en 2002, etc.), le FMI mobilise des sommes considérables pour éviter la banqueroute des créanciers des pays endettés. Par

exemple, 105 milliards de dollars prêtés par le FMI et le G7 aux pays d’Asie du Sud-Est en 1997 (où

la crise, accentuée par les mesures imposées par le FMI, a mis au chômage 24 millions de personnes) ; 31 milliards de dollars prêtés par le FMI pour la Turquie entre fin 1999 et 2002 (la Turquie, allié

géostratégique des États-Unis, proche du pétrole et du gaz de l’Asie centrale, voisin de l’Irak et de l’Iran, est ainsi devenue en août 2002, le plus gros débiteur du FMI) ; plus de 21 milliards de dollars à

l’Argentine en 2001 ; 30 milliards de dollars pour le Brésil pour 2002-2003-2004 (pour éviter la

contagion de la crise argentine et pour influencer l’orientation du président élu en octobre 2002. Voir l’étude de cas sur le Brésil). Cependant, ces milliards injectés ne servent jamais à accorder des

subventions aux produits de base pour aider les populations les plus pauvres ni à créer des emplois ou

11 A noter que les droits de vote de la Chine ont diminué par rapport au moment de la création du FMI. Cela confirme l’importance du facteur politique et géostratégique. A l’issue de la seconde guerre mondiale, la Chine était alliée aux Etats-Unis et occupait une place géostratégique entre le Japon (puissance de l’axe et à la tête d’un empire) et l’Union soviétique (allié dont les Etats-Unis et la Grande Bretagne se méfiaient). Le changement de régime en Chine en 1949 l’a placé dans le camp des ennemis dans le cadre de la guerre froide. 12 Le poids de l’Inde a également diminué. A la conférence de Bretton Woods, elle faisait partie de l’Empire britannique. L’orientation prise par Nehru (et Gandhi) avec l’indépendance de l’Inde à partir de 1947 a modifié les données.

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à protéger les producteurs locaux : le FMI impose de rembourser d’urgence les créanciers. Ce sont souvent d’ailleurs des créanciers privés qui ont réalisé des opérations spéculatives dans les pays

concernés puis s’en sont retirés de manière brutale en provoquant ou en aggravant la crise. Pire, quand des organismes privés sont en cessation de paiement, le FMI et la Banque mondiale imposent souvent

aux États de prendre la dette à leur charge, ce qui revient à la faire payer par les contribuables… Les

sommes prêtées augmentent alors la dette du pays concerné et le quittent immédiatement puisqu’elles sont transférées aux créanciers du Nord. Comme le FMI a pris l’habitude de remplir ce rôle, les

créanciers n’hésitent pas à prendre des risques de plus en plus élevés dans leurs opérations financières,

en sachant qu’en cas de défaut de paiement, le FMI sera là pour les renflouer, en tant que prêteur en dernier ressort. La contrepartie est un alourdissement important de la dette extérieure du PED en

question. Nous reviendrons sur ce sujet dans le chapitre sur l’ajustement et au travers des études de cas.

La conditionnalité s’est attachée au fonctionnement des prêts du FMI depuis les années 1950 mais ce n’est pas avant 1968 que des directives formelles ont été élaborées. Jusqu’au début des années 1980, la

conditionnalité était essentiellement axée sur les politiques macroéconomiques. Par la suite, la

complexité des critères de réalisation attachés aux crédits du FMI a pris une ampleur considérable. En cas de problème, le FMI suggère que le gouvernement du pays endetté a lui-même proposé cette

politique et que, lui, FMI, s’est contenté de l’accompagner. 6.1.1.5. Des critiques de Michel Aglieta et Sandra Moatti Dans leur ouvrage intitulé Le FMI : de l’ordre monétaire aux désordres financiers, Michel Aglieta et

Sandra Moatti exprime plusieurs critiques à l’égard de l’orientation du FMI et de ses principaux

actionnaires que nous reprenons à notre compte :

Un club dans le club : « En 1962, les pays riches du groupe des 10 signaient la conclusion des Accords généraux d’emprunt (AGE) par lequel ils s’engageaient à prêter leur monnaie au Fonds s’il en avait besoin pour financer les tirages de l’un d’entre eux. Cette négociation s’est déroulée largement en dehors des circuits habituels du Fonds, même si le Conseil d’administration les a approuvés. Cet organe intergouvernemental restreint est en contradiction avec l’organisation tendanciellement universelle que prétend être le FMI. Depuis lors, le G10 a pris l’habitude de se réunir conjointement avec les administrateurs du Fonds et les ministres des pays du G10, celle de se concerter à la veille de la réunion annuelle du FMI »13. Un exemple de dérogation courante du FMI à ses propres statuts : « L’article VI précise qu’aucun Etat membre ne peut faire usage des ressources générales du Fonds pour faire face à des sorties de capitaux importantes ou prolongées. Le Fonds peut inviter un Etat membre à prendre les mesures de contrôle propres à empêcher un tel emploi de ses ressources générales. Si l’Etat membre ne prend pas les mesures de contrôle appropriées, le Fonds peut le déclarer irrecevable à utiliser les ressources du Fonds. L’utilisation des ressources du Fonds dans les crises financières de la fin des années 1990 a de quoi surprendre au regard de cet article, toujours en vigueur »14. « Cet article VI démontre également que le FMI n’a pas les caractéristiques pour devenir le prêteur en dernier ressort. Il n’a pas vocation à réguler la liquidité par des actions à très court terme mais à

13 AGLIETTA, Michel, et MOATTI, Sandra. 2000. Le FMI. De l'ordre monétaire aux désordres financiers, p.46-47. 14 AGLIETTA et MOATTI, Idem, p.26.

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favoriser des ajustements durables de balance des paiements. C’est cependant de cette fonction qu’il a été chargé (et accepté d’assumer, NDA) au cours des vingt dernières années »15. « Les principaux actionnaires du FMI ne le chargent plus tant d’une responsabilité dans la gestion du système monétaire international, sur la base de règles de change mutuellement acceptées, qu’ils ne lui confèrent un mandat implicite de gestionnaire de crises et de garant de la discipline des pays endettés. (…) Comment une institution de coopération monétaire entre gouvernements, conçue pour veiller à la stabilité du système de changes dans un contexte de mouvements de capitaux limités, s’est-elle adaptée à un rôle de tuteur des pays en développement dans un système financier de plus en plus intégré et sous la menace croissante d’un risque systémique ? En s’instaurant guide de l’ajustement16. Au moment où les grands pays industrialisés se dérobent à toute influence véritable du FMI, ils lui délèguent un rôle central dans le suivi des pays en développement »17. « Dans les années 1970, la part du Fonds dans le financement des PVD a régressé jusqu’à ne représenter qu’à peine 3% à la fin de la décennie : les emprunteurs préféraient alors se soustraire aux règles de conditionnalité édictées par le Fonds et s’adresser aux banques commerciales. Dans ces conditions, le Fonds n’était guère en mesure d’imposer une discipline aux Etats emprunteurs. Il n’avait pas davantage de prise sur l’environnement global. Les termes de l’échange des pays en développement non pétroliers s’étaient dégradés constamment depuis 1978 et, à partir de 1980, l’inversion de la hiérarchie entre taux d’intérêt réel et taux de croissance, aggrave leurs déficits courants. Ainsi, c’est l’appréciation du dollar et la montée en flèche des taux d’intérêt américains en 1980-81, dues au défaut complet de coopération monétaire internationale, qui ont précipité la hausse fatale de la dette. Le FMI n’avait donc pas rempli le rôle qui lui avait été dévolu »18.

« Le statut de créancier privilégié des institutions financières internationales, et en particulier du FMI, est un élément fondamental. Les créances de ces institutions sont considérées comme non rééchelonnables, et à plus forte raison, non effaçables. Les créanciers bilatéraux du Club de Paris acceptent cette hiérarchie, même si leurs engagements supplémentaires et leurs efforts de rééchelonnement permettent aux pays débiteurs d’honorer leurs paiements au FMI, car la protection des ressources du Fonds est une garantie pour la préservation de leurs propres engagements. Les liens entre Club de Paris et FMI tiennent donc largement au fait que les membres de l’un sont les principaux actionnaires de l’autre, d’où une forte convergence d’intérêts »19.

6.1.2. Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) – Groupe Banque mondiale

Née le même jour que le FMI, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement était une institution sans précédent. Sa structure fondamentale, telle qu'élaborée dans les Articles de sa

charte, est restée inchangée. Aujourd'hui, elle emploie environ 10.000 personnes, dont grosso modo 7.000 sont basées à Washington.

15 AGLIETTA et MOATTI, Ibid., p.188. 16 AGLIETTA et MOATTI, Ibid., p.67-68. 17 AGLIETTA et MOATTI, Ibid., p.69. 18 AGLIETTA et MOATTI, Ibid., p.63-64. 19 AGLIETTA et MOATTI, Ibid., p.66.

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Les buts principaux de la Banque étaient de “ porter assistance à la reconstruction et au développement des territoires des nations membres en facilitant l'investissement de capital dans un but productif ” et

“ de promouvoir une croissance équilibrée du commerce international à longue échéance ” (Art. I).

Il s’agissait également selon l’article 1 d’améliorer, sur le territoire des Etats membres, la productivité,

le niveau de vie et la condition des travailleurs (Art. I).

6.1.2.1. Mode de gouvernement de la Banque

En principe, la plus haute instance de la Banque est le Conseil des Gouverneurs, chaque pays étant

représenté par un gouverneur. Les gouverneurs de la Banque sont habituellement les ministres des Finances ou les présidents des banques centrales des nations respectives.

Théoriquement, les gouverneurs choisissent le président de la Banque mais, en pratique, le président a toujours été un citoyen des Etats-Unis choisi par le gouvernement des Etats-Unis, habituellement par

le ministère des Finances (Treasury Department). Globalement, le fonctionnement de la Banque mondiale est proche de celui du FMI. La répartition des droits de vote à la BIRD y diffère sensiblement.

Tableau 6.4. Répartition des droits de vote entre les administrateurs de la Banque mondiale en mai 2004

Pays % Groupe présidé par % Groupe présidé par % Etats-Unis 16,39 Autriche 4,80 Thaïlande 2,54 Japon 7,87 Pays-Bas 4,46 Koweït 2,72 Allemagne 4,49 Venezuela 4,50 Suisse 3,04 France 4,30 Italie 3,50 Brésil 3,59 Royaume-Uni 4,30 Canada 3,85 Inde 3,40 Arabie saoudite 2,78 Islande 3,34 Pakistan 3,37 Chine 2,78 Australie 3,45 Argentine 2,32 Russie 2,78 Ouganda 3,41 Guinée-Bissau 1,99 Source : Banque mondiale [La Somalie n’a pas pris part à l'élection.]

En 2004, les neuf pays industrialisés les plus riches contrôlaient plus de 50% des voix. En revanche,

quarante-cinq pays africains ne disposent ensemble que de 5,40% des votes et de deux directeurs exécutifs sur vingt-quatre.

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Graphique 6.3. Droits de vote de quelques administrateurs à la BIRD (avril 2004)

Droits de vote de quelques administrateurs à la BIRD (avril 2004)

Etats-Unis

Japon

Autriche (gr)

Autres

Italie (gr)

Canada (gr)

Royaume-Uni

FrancePays-Bas (gr)

Allemagne

Source : Banque mondiale ; (gr) signifie que l’administrateur préside un groupe de pays.

Les directeurs exécutifs résidant à Washington, se rencontrent fréquemment (au moins une fois par

semaine) et doivent approuver chaque prêt et le principal de la politique de la Banque. Les décisions

courantes requièrent une majorité simple des votes mais toute action pour changer les articles de la charte constitutive ainsi que pour modifier la répartition des droits de vote requiert l'approbation d'au

moins trois cinquièmes des membres et de 85% du total des actions de vote. Cela signifie que les Etats-Unis avec 16,39% de voix ont un droit de veto sur tout changement de statut et de répartition des

droits de vote, bref sur toute réforme des institutions de Bretton Woods20.

6.1.2.2. Débuts de la Banque mondiale : le Plan Marshall supplante la BIRD dans la tâche de reconstruction

Destinée par J.M. Keynes dans son aspect “ Reconstruction ” à être l’institution en mesure de prêter des capitaux aux pays qui avaient été “ dévastés par la guerre pour leur permettre de relever leurs économies ruinées et de remplacer les moyens de production perdus ou détruits ”, on s'attendait à ce que les activités de la Banque, au début, se concentrent sur la reconstruction européenne et que sa

fonction la plus importante soit de garantir les investissements privés. On pensait que les prêts directs

seraient, au mieux, une activité secondaire. Mais la Banque, par la volonté des Etats-Unis, n’a en fait pratiquement pas participé à la

reconstruction de l’Europe d’après-guerre. C’est le plan Marshall, mis sur pied par les Etats-Unis

seuls, qui a rempli ce rôle. La Banque a destiné seulement quatre prêts à la reconstruction pour un total de 497 millions de dollars tandis que le plan Marshall a transféré environ 13 milliards de dollars. En

tant qu'agence de reconstruction, la Banque n’a donc pas été véritablement active. Ce dont l'Europe, partiellement détruite par la guerre, avait besoin, ce n'était pas de prêts porteurs d'intérêts pour des

projets spécifiques qui demandaient une longue préparation, mais l’octroi rapide de dons et de prêts

concédés à intérêt très bas ou nul : ils devaient être utilisés pour soutenir la balance des paiements et aussi pour des importations de produits de base dont elle avait désespérément besoin.

20 La définition de la majorité requise a été modifiée dans les années 1980 à cause de l’évolution du nombre et du poids des nouveaux membres, de façon à garantir aux Etats-Unis un droit de veto quelle que soit l’évolution de l’institution. Lors de la fondation de la Banque mondiale, la majorité requise était de 80%, les Etats-Unis disposaient de 37,20 % des voix. A partir de 1989, lorsque le quota des Etats-Unis est passé en dessous de 20%, la majorité a été portée à 85%.

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88

6.1.2.3. Présentation des cinq composantes du Groupe de la Banque mondiale La Banque Mondiale en tant qu'institution internationale, est un conglomérat d'institutions et

d'organisations internationales. En tant que telle, elle comprend cinq organisations : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l'Association internationale de

développement (AID), le Centre international de règlement de différends relatifs aux investissements

(CIRDI), la Société financière internationale (SFI) et l'Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI). Ce conglomérat est connu sous le nom de Groupe de la Banque Mondiale

qui possède des antennes locales dans 67 pays.

a) La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) Au départ, son action était dirigée à la fois vers les pays industrialisés et vers les pays en

développement. Aujourd’hui, son action est principalement orientée sur les PED (en ce compris les pays en transition vers un économie de marché). La Banque possède un capital apporté par les pays

membres et surtout emprunte sur les marchés internationaux de capitaux. La Banque finance des

projets sectoriels, publics ou privés, à destination des pays du tiers-monde et de l’ex-bloc soviétique qui forment ensemble les pays en développement.

La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (42 membres en 1947, année du

début de ses activités ; 184 membres en 2003) octroie des prêts concernant de grands secteurs d’activité (agriculture et énergie), essentiellement aux pays à revenus intermédiaires.

Types de prêts accordés par la BIRD :

1) Les prêts-projets: prêts classiques pour des centrales thermiques, le secteur pétrolier, les industries

forestières, les projets agricoles, barrages, routes, distribution et assainissement de l’eau, etc. 2) Les prêts d’ajustement sectoriel qui s’adressent à un secteur entier d’une économie nationale:

énergie, agriculture, industrie, etc. 3) Les prêts à des institutions qui servent à orienter les politiques de certains organismes institutions

vers le commerce extérieur et à favoriser l’investissement étranger dans le pays. Ils financent aussi la

privatisation des entreprises et des services publics. 4) Les prêts d’ajustement structurel.

5) Les prêts pour lutter contre la pauvreté.

6) Les prêts pour la réduction de l’encours et du service de la dette.

Pour les prêts qu’elle octroie, la Banque ne prélève pas tellement sur son capital propre ; elle les finance par l’émission d’obligations, ces obligations pouvant être considérées comme un placement

particulièrement sûr puisqu’elles sont garanties par tous les Etats fondateurs, jusqu’à concurrence de

100% de leurs quotes-parts respectives.

b) L’Association internationale pour le développement (AID)

L’Association internationale pour le développement (AID, ou IDA selon son appellation anglophone,

164 membres en 2003), fondée en 1960, s’est spécialisée dans l’octroi à très long terme (35 à 40 ans, dont 10 de grâce) de prêts à taux d’intérêt nuls ou très faibles à destination des pays les moins avancés

(PMA).

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89

Les interventions de la BIRD se font au taux du marché, ce qui est avantageux pour des pays qui n’ont

pas encore un accès facile aux financements privés, mais trop cher pour les pays les plus pauvres. Pour mener à bien sa mission de financement du développement, le groupe de la Banque mondiale s’est

donc doté d’un instrument de financement concessionnel réservé aux pays les plus pauvres qui n’ont

pas accès aux marchés de capitaux.

Les prêts octroyés par la Banque Mondiale restant inaccessibles aux pays les plus pauvres,

l'Association Internationale pour le Développement, en tant que filiale de la BIRD, octroie des crédits à bas taux d’intérêt ou sans intérêt pouvant aller jusqu'à une durée de 40 ans avec différé possible sur

10 ans. En raison de ces conditions, l'AID ne peut mobiliser que des fonds publics, c'est-à-dire, des fonds provenant des donations volontaires. Cependant, les restrictions budgétaires et le refus de

contribuer au fonds de l'AID de la part des pays développés limitent considérablement les crédits

destinés aux pays les plus pauvres. La mission principale de l'AID est d’aider les PED les plus pauvres à réduire la pauvreté. A cet égard, elle octroie des prêts et des dons. Suivant l’article I de ses statuts,

l’AID doit promouvoir le développement, la croissance de la productivité et le relèvement du niveau

de vie dans les pays pauvres. En tant qu’institution reliée à la BIRD, elle participe activement à la mise en place des politiques décidées par celle-ci. Son action est centrée sur le développement et

l'expansion du secteur privé. Les apports de l’AID ciblent donc les pays très pauvres. Les pays très pauvres sont ceux dont le

produit national brut par habitant est inférieur à 865 dollars par an (en dollars de 1994). L’autre critère

est celui de la performance dans la mise en œuvre des politiques internes. Ces politiques se référent à la gestion économique, aux politiques structurelles et à la gestion du secteur public. Le troisième

critère se réfère aux politiques de réduction de la pauvreté.

Mais c’est avant tout la performance dans l’application des politiques qui garantira qu’un pays déterminé reçoit les prêts ou les dons. L'AID et la BIRD partagent le même personnel, et les projets

financés par l'AID doivent satisfaire aux mêmes critères que les projets aidés par la BIRD. Ainsi, c’est la Banque mondiale qui chaque année fait une évaluation de la mise en œuvre des politiques

concernant les prêts et dons reçus de l’AID. La surveillance de la mise en œuvre des politiques

nationales est également à la charge de la Banque mondiale, à travers son Département d’opérations. Le président de la BIRD est ex officio Président de l’AID.

En vue, notamment, de distribuer le nombre de voix au sein des organes de gestion stratégique de l’AID, les membres sont répartis en deux groupes. Les membres de la première partie effectuent leurs

versements en monnaies convertibles librement utilisables et échangeables par l’association dans le cadre de ses activités. Il s’agit principalement des grands pays industriels auxquels s’ajoutent l’Afrique

du Sud, la Russie, les Emirats arabes unis et le Koweit. Les membres de la deuxième partie versent

10% de leur souscription initiale en monnaies librement convertibles et les 90% restant, ainsi que toutes autres souscriptions et contributions, dans leur propre monnaie ou dans des monnaies librement

convertibles. Les ressources versées par ces pays sont utilisables uniquement, nonobstant un accord entre le pays et l’AID, pour financer des projets localisés sur le territoire de ces membres.

Les ressources apportées représentent 90% du total de l’AID. Fournies « gratuitement » puisqu’elles sont assimilables à des subventions à l’investissement financées par les budgets nationaux, elles

peuvent être utilisées pour des crédits sans intérêt aux membres les plus pauvres. Par ailleurs, la BIRD

peut doter l’AID de ressources (subventions) prélevées sur ses bénéfices. En raison de l’extension de

Page 105: Thèse EricT VersionDéf 11juin

90

sa couverture géographique, d’une prise de conscience accrue de l’urgence de besoins non satisfaits et des modalités de remboursement de ses crédits, l’Association a dû, à plusieurs reprises, faire appel aux

Etats membres en vue d’accroître ses ressources. Elle a ainsi organisé, depuis 1960, plusieurs sessions de reconstitution des ressources.

c) La Société financière internationale (SFI)

La Société financière internationale (SFI) est la filiale de la Banque qui a en charge le financement d’entreprises ou d’institutions privées du tiers-monde. Les statuts officiels de la Société financière

internationale ont été préparés par la BIRD en 1955. Elle a été officiellement créée durant l’été 1956.

Après la création de la BIRD, plusieurs responsables avaient plaidé en faveur de la création d’une nouvelle entité complémentaire de celle de la Banque. Il s'agissait d'une institution adjointe à la

Banque et qui serait chargée de promouvoir l’investissement privé dans les pays pauvres. Vers la fin des années 40, le président de la Banque mondiale, Eugène R. Black, et son vice-président, un ancien

banquier et directeur de General Foods Corporation, Robert L. Garner, précisèrent considérablement

cette idée. Convaincus de l’importance du rôle de l’entreprise privée, ce dernier et, notamment, son adjoint, Richard Demuth, collaborèrent à la formulation d’une idée consistant à créer une institution

affiliée à la Banque mondiale, pour éviter à cette dernière de prêter directement ses ressources au

secteur privé. Cette idée a été reprise, pour la première fois de manière officielle, dans le rapport publié en mars 1951 par un conseil consultatif sur la politique de développement des États-Unis

présidé par Nelson Rockefeller. Le conseil y proposait en effet un ensemble de mesures qui devaient considérablement renforcer l’action de la Banque en favorisant l’expansion d’entreprises privées.

La SFI s'efforce de promouvoir l'investissement du secteur privé notamment : a. en finançant la réalisation de projets du secteur privé dans des pays en développement;

b. en aidant des sociétés privées de pays en développement à mobiliser des fonds sur les marchés des

capitaux internationaux; c. en fournissant des conseils et une assistance techniques aux entreprises et aux gouvernements.

d) Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) Crée en 1966, l'objet du CIRDI - Article 1 (2) - est d'offrir des moyens de conciliation et d'arbitrage

pour régler les différends relatifs aux investissements opposant des Etats contractants à des

ressortissants d'autres Etats contractants. En termes plus simples, il s'agit d'un Tribunal arbitral international agissant en cas de différend entre un investisseur privé d'un Etat partie et l'Etat du siège

dudit investissement. La compétence du Centre (article 25) s'étend aux différends d'ordre juridique entre un Etat contractant (ou telle collectivité publique ou tel organisme dépendant de lui qu'il désigne

au Centre) et le ressortissant d'un autre Etat contractant qui sont en relation directe avec un

investissement. Le Centre est en général désigné comme étant compétent en matière des différends dans le cadre des

accords bilatéraux sur les investissements. C'est ainsi que presque 900 traités bilatéraux sur la

promotion et la protection des investissements nomment explicitement le Centre comme instance de règlement des différends entre un investisseur privé d'une partie contractante, d’une part, et l'Etat du

siège des investissements en question, d’autre part. La sentence arbitrale du Centre est obligatoire et ne peut être l'objet d'aucun appel ou autre recours

(article 53).

Page 106: Thèse EricT VersionDéf 11juin

91

Le CIRDI est membre du Groupe de la Banque Mondiale, mais en tant qu'institution il est une organisation internationale autonome dont l'action est de compléter le cadre de la Banque. Tous les

membres du CIRDI sont également membres de la Banque. Le Président de la BIRD participe de plein droit au conseil d'administration du CIRDI.

Le recours au CIRDI pour une conciliation ou un arbitrage est totalement volontaire. Mais une fois les parties engagées, aucune ne peut renoncer unilatéralement à l’arbitrage du CIRDI. A partir du moment

où le CIRDI a pris une décision, tous les pays signataires de la convention, même s’ils ne sont pas en

cause dans le différend, doivent reconnaître et appliquer la décision. Depuis 1978, le champ des compétences du CIRDI s’est élargi : un ensemble de règles lui permet d’intervenir dans des cas qui ne

relèvent pas du champ de la convention. Il peut ainsi intervenir dans des procédures d’arbitrage lors de différends mettant en cause un Etat ou un investisseur d’un Etat non signataire de la convention ; il

peut aussi être sollicité pour réaliser des constats.

Jusqu’au milieu des années 1980, les différends traités par le CIRDI provenaient d’accords conclus

lors de contrats d’investissement. Depuis lors, il s’agit de plus en plus d’accords conclus lors de traités

bilatéraux (ABI – accords bilatéraux d’investissements) ou multilatéraux. On constate une forte progression de ces traités depuis une dizaine d’années (de l’ordre de 1.300). De ce fait, les cas soumis

au CIRDI concernent maintenant davantage des événements comme des guerres civiles et des problèmes d’expropriation que des contrats d’investissement.

En complément du règlement des différends, le CIRDI mène une activité de recherche, de conseil et de diffusion des informations concernant l’arbitrage international.

Hormis le CIRDI, les principaux acteurs dans l’arbitrage international sont la Commission des Nations unies pour le droit du commerce international (CNUDCI), la Chambre de commerce international

(CCI), l’American Arbitration Association (AAA) et l’International Bar Association (IBA).

e) L’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI)

Elle a été créée en 1988 en tant que membre du Groupe de la Banque Mondiale. Sa mission est de

promouvoir l'investissement étranger direct en offrant, en tant qu’institution internationale, des garanties aux investisseurs privés et aux bailleurs de fonds, également privés. Elle vise également à ce

que les PED réalisent des réformes en vue d'attirer l'investissement privé, tout en agissant en faveur du développement économique.

6.1.3. Relations BM-FMI

Il y a une différence importante entre le FMI et la BM dans la manière de financer leurs activités. Le Fonds est une institution coopérative, pourvue d’un fonds commun de devises dans lequel il peut

puiser pour octroyer des aides temporaires au titre de la balance des paiements, à l’appui de règles

mutuellement acceptées. Au contraire, la Banque est un intermédiaire financier, elle lève des emprunts sur les marchés des capitaux pour financer des projets d’investissement sur le long terme. Malgré

qu’elles soient nées en même temps et qu’elles professent grosso modo une même idéologie et une même ligne de conduite, les conditions qui régissent la coopération du FMI et de la BM ont dû être

Page 107: Thèse EricT VersionDéf 11juin

92

définies dans un « concordat »21 en 1989 afin d’assurer une coopération plus efficace dans les domaines où leurs responsabilités se recoupent. Pour limiter les contradictions entre leurs

recommandations (comme ce fut le cas en Argentine en 1988, la Banque ayant accordé son soutien à des conditions que le Fonds ne jugeait pas satisfaisantes), un partage général des responsabilités a été

défini en 1989. Le terme « concordat » n’est pas anodin : il indique que les tensions et contradictions

entre elles étaient de taille. Il a été convenu que le Fonds examinerait prioritairement les aspects globaux des politiques macroéconomiques, notamment en ce qui concerne le budget, les prix, la

monnaie, le crédit, les taux d’intérêt et les taux de change. La Banque en revanche se concentrerait sur

les stratégies de développement, les projets et les aspects sectoriels. Cette répartition nécessite une collaboration qui revêt diverses formes mais la concurrence entre les deux administrations reste

intense. Cette concurrence institutionnelle se double de différences de culture d’entreprise.

Dans l’ajustement structurel qui les rapproche, la répartition des rôles ne se fait pas sans heurts. Les

deux institutions n’ont pas la même approche de leurs relations avec les pays. La Banque mondiale considère qu’elle est plus proche du terrain que le FMI. La Banque a de nombreuses représentations

permanentes sur les différents continents tandis que le FMI en a très peu. Avec un personnel nettement

moins nombreux, il préfère envoyer des missions de courte durée dans les pays qui font appel à ses services. 6.1.4. Genèse de l’ajustement structurel et du Consensus de Washington22

Le FMI a fait appliquer dès les années 1960 les éléments clé de ce qu’on appellera plus tard, l’ajustement structurel et, trente ans plus tard, le Consensus de Washington.

La BM est intervenue dans le même sens surtout à partir de 1979, année où pour la première fois, un

président de la BM initie les prêts d’ajustement structurel. Avec l’explosion de la crise de la dette, les deux institutions de Bretton Woods font appliquer ce qu’on

appellera dorénavant les plans d’ajustement structurel. Néanmoins, elles le font sans se concerter systématiquement. A plusieurs reprises, elles se mettent mutuellement des bâtons dans les roues (voir

au point 6.1.4. le cas de l’Argentine en 1988 et le concordat de 1989).

Le Consensus de Washington naît en 1990 dans le prolongement du concordat de 1989 quand, sous la conduite du Trésor américain, les deux institutions de Bretton Woods se mettent d’accord sur une

même définition de l’ajustement structurel et sur un modus operandi pour éviter les contradictions

entre elles. Bien que cet accord n’ait pas supprimé totalement leurs désaccords ponctuels et leur compétition traditionnelle, cela a indubitablement renforcé les moyens d’imposer des politiques

conformes aux intérêts des créanciers en général, des Etats-Unis en particulier.

21 KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p. 503-510. 22 Ce point sera développé dans les chapitres sur l’ajustement structurel.

Page 108: Thèse EricT VersionDéf 11juin

93

Chapitre 7

Quelques caractéristiques des dettes des PED La dette totale d’un pays se décompose en dette intérieure (contractée auprès d’un créancier intérieur

au pays, par exemple une banque locale) et dette extérieure (contractée auprès d’un créancier

extérieur). La dette extérieure des PED se répartit en dette extérieure publique et dette extérieure privée. La première est contractée par les pouvoirs publics – État, collectivités locales et autres

organismes publics – ou par des organismes privés dont la dette est garantie par l’État. Cette dette extérieure publique est également appelée dette souveraine. La dette extérieure privée est contractée

par des organismes privés, par exemple la filiale d’une multinationale du Nord implantée dans un

PED, et n’est pas garantie par l’État. La dette extérieure publique se décompose en trois parts selon la nature des créanciers : la part multilatérale quand le créancier est une institution multilatérale comme le FMI ou la Banque mondiale, la part bilatérale quand le créancier est un autre État, la part privée quand le créancier est

une institution privée comme une banque ou quand elle provient des marchés financiers.

Selon les données fournies par la Banque mondiale en 2004, la dette extérieure des pays en développement (tiers-monde + ex-bloc de l’Est) s’élevait fin 2003 à environ 2.430 milliards de dollars.

Dette intérieure (le créancier est à l’intérieur du PED)

Dette extérieure (le créancier est à l’extérieur du PED)

Dette extérieure publique ou Dette souveraine

(l’emprunteur est l’État ou un organisme privé dont l’État garantit la dette)

Dette extérieure privée (l’emprunteur est un

organisme privé dont l’État ne garantit pas la dette)

Part privée (le créancier est un

organisme privé extérieur)

Part multilatérale (le créancier est une

institution multilatérale comme le FMI)

Part bilatérale (le créancier est un

autre État)

Dette totale d’un PED

Page 109: Thèse EricT VersionDéf 11juin

94

Les principaux chiffres sont regroupés ci-dessous du point de vue des créanciers :

et du point de vue des débiteurs :

Il est important de noter la différence existant entre la structure de la dette des pays les plus pauvres

(dans le tableau nous avons repris les 42 pays pauvres très endettés dont la liste a été établie par les institutions de Bretton Woods) et celle des PED à revenu intermédiaires (voir la liste en début de

thèse).

Tableau 7.1. Composition du stock de la dette extérieure des PPTE et PED à revenu intermédiaire

Part multilatérale Part bilatérale Part privée Pays à revenus intermédiaires 14% 17% 69% PPTE 44% 43% 13%

Source : Banque mondiale, GDF 2004.

Dette extérieure

2.430 milliards de dollars

Part multilatérale (due aux IFI)

480 milliards de

dollars

Part bilatérale (due à des États)

430 milliards de

dollars

Part privée (due au privé)

1.520 milliards de

dollars

Dette extérieure

2.430 milliards de dollars

Dette extérieure publique (due ou garantie par les pouvoirs publics)

1.530 milliards de dollars

(63 %)

Dette extérieure privée (due par les entreprises privées)

900 milliards de dollars

(37 %)

Page 110: Thèse EricT VersionDéf 11juin

95

Entre 1980, année où débute la crise, et 2003, la dette extérieure des PED a été multipliée par plus de 4

(passant d’environ 550 à 2430 milliards).

Si on compare la dette extérieure des PED à la somme des dettes sur le plan mondial, on s’aperçoit que

la première ne représente qu’une partie marginale de l’endettement global. En 2002, la part de la dette publique extérieure totale des PED dans l’ensemble des dettes privées et publiques sur le plan mondial

(environ 60 000 milliards de dollars) était inférieure à 3%. Si on prend en compte les dettes externes

publique et privée des PED, soit 2 400 milliards de dollars, elles représentent moins de 5% des dettes mondiales1.

7.1. Le rôle des institutions multilatérales La part multilatérale de la dette des PED se partage entre le FMI, le Groupe Banque mondiale, les Banques régionales de développement (BID : Banque interaméricaine de développement ; BAD :

Banque asiatique de développement ; BAfD : Banque africaine de développement) et d'autres institutions (par exemple, des banques islamiques). La répartition en 2003 était la suivante :

Tableau 7.2. Stock de la dette des PED détenu par les institutions multilatérales

(En milliards de dollars) FMI 108 BIRD 109 AID 113 BID 51 BAD 29 BAfD 25 Autres 47 Total 482

Source : Banque mondiale, GDF 2004 ; sites Internet des banques régionales de développement.

1 Nota Bene : La somme des dettes privées et publiques aux Etats-Unis représente environ 30.000 milliards de dollars (dette publique : environ 7.400 ; dette des ménages : environ 8.200 ; dettes des entreprises privées : environ 14.400), soit plus de dix fois la dette extérieure (privée + publique) totale des PED. Les dettes internes des pays les plus industrialisés sont bien plus volumineuses que leurs dettes externes. Cela vaut la peine de jeter un regard sur l’ensemble de leur dette publique (qu’elle soit interne ou externe). En 2002, la dette publique des Etats-Unis (environ 7 400 milliards de dollars) représentait à elle seule plus de quatre fois et demi la dette publique extérieure totale des PED. Celle du Japon (environ 7.200 milliards de dollars) représentait aussi plus de quatre fois et demi cette somme. On peut également comparer la dette publique du Japon à la dette publique externe de l’ensemble des PED d’Asie et du Pacifique. La dette publique des 12 Etats membres de l’UE formant ensemble la zone euro s‘élevait à environ 5.000 milliards de dollars en 2002, soit plus de trois fois la dette publique extérieure totale des PED. Source : Calculs de l’auteur sur la base de Eurostat ; de la Réserve fédérale des Etats-Unis et de la BRI.

Page 111: Thèse EricT VersionDéf 11juin

96

Les proportions sont donc les suivantes :

Graphique 7.1. Répartition de la part multilatérale de la dette extérieure des PED

Répartition de la part multilatérale de la dette extérieure des PED

FMI22%

BIRD23%

AID23%

BID11%

BAD6%

BAfD5%

Autres10%

Source : Banque mondiale, GDF 2004 ; sites Internet des banques régionales de développement.

7.2. L'hémorragie de capitaux liés au remboursement de la dette

Pour quantifier l'hémorragie de capitaux pour les PED liée au remboursement de la dette, la notion

adéquate est le transfert net sur la dette. Il représente la différence entre le service de la dette (remboursements annuels – intérêts plus principal – aux pays industrialisés) et les sommes reçues sous

formes de prêts pendant la même période. Il est donc positif quand le pays ou le continent concerné reçoit plus que ce qu’il rembourse au titre de la dette. Il est négatif si les sommes remboursées sont

supérieures aux sommes qui entrent dans le pays. Les chiffres sont sans appel. Entre 1998 et 2003, ce

transfert net s'élève à -540 milliards de dollars, soit une moyenne de -90 milliards par an.

Graphique 7.2. Transfert net sur la dette entre 1998 et 2003

Source : BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2004. Global Development Finance, Washington.

-53

-101

-132 -119

-89

-51

-150

-100

-50

0

1998 1999 2000 2001 2002 2003

Transfert net sur la dette entre 1998 et 2003 (en milliards de dollars)

Page 112: Thèse EricT VersionDéf 11juin

97

7.2.1. Les PED sont des prêteurs nets à l’égard des pays développés Chaque année, la Banque publie en avril, à la veille de la réunion conjointe de la Banque mondiale et

du FMI à Washington (dite réunion de printemps), un rapport (uniquement en anglais) intitulé Global Development Finance qui fait le point sur l’évolution de la dette. Dans le rapport 2003, on peut lire à la page 13 : « Developing countries, in aggregate, were net lenders to developed countries » qu’on

peut traduire par « Les pays en développement, dans l’ensemble, sont des prêteurs nets à l’égard des pays développés »2.

Mon collègue Damien Millet et moi avons établi le tableau suivant qui indique que le montant total des dépôts des résidents des PED dans les banques des pays développés dépasse les créances que ces

mêmes banques détiennent sur ceux-ci.

Graphique 7.3. Comparaison entre les dépôts des PED dans les banques des pays les plus industrialisés et les dettes des PED à leur égard

1460

700

310230

8030

410

12050 30

430

160 180 130

0

800

1600

PED Amérique latine

et Caraïbe

Afrique

subsaharienne

Moyen Orient et

Afrique du Nord

Asie du Sud Asie de l'Est et

du Pacifique

Ex-bloc

soviétique

Comparaison par région entre les dépôts des PED dans les banques des pays les plus industrialisés et les dettes des PED à leur égard

Dépôt de fonds provenant des PED dans les banques des pays riches Dette envers ces banques

Calculs de Damien Millet et de l’auteur sur la base des données de la BRI sur son site Internet www.bis.org

Le montant des dépôts des résidents des PED dans les banques des pays développés est fourni par les

statistiques trimestrielles de la Banque des règlements internationaux (BRI). Ces dépôts sont répertoriés comme des dettes de ces mêmes banques à l’égard des PED.

2 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2004. Global Development Finance, Washington, p.13. A la page 51 du même rapport, on peut lire « As of March 2002, deposits from emerging markets in BIS-area banks far exceeded their borrowings» que l’on peut traduire par : « En mars 2002, les dépôts des marchés émergents dans les banques de la zone BRI dépassent de loin leurs emprunts ».

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98

7.2.2. L'évolution récente des types de créances : la titrisation

Le phénomène de la titrisation de la dette constitue un aspect significatif du lien entre l’évolution de la crise de la dette des PED et d’autres facettes de la mondialisation.

Cette titrisation concerne une grande partie de la dette publique des pays de l’OCDE et de la dette tant extérieure qu’intérieure des pays du tiers-monde (du moins ceux qui ont encore accès aux marchés

financiers internationaux). Elle est un des traits fondamentaux de la mondialisation.

7.2.2.1. En quoi consiste la titrisation ? Cette notion décrit la prépondérance nouvelle des émissions de titres (obligations internationales

classiques émises pour le compte d’un emprunteur étranger sur la place financière et dans la monnaie

du pays prêteur, euro-obligations libellées dans une monnaie différente de celle de la place où elles sont émises, actions internationales) dans l’activité des marchés. A quoi s’ajoute la transformation

d’anciennes créances bancaires en titres négociables, technique qui a permis aux banques d’accélérer leur désengagement à l’égard des PED après l’irruption de la crise de la dette.

La caractéristique principale de cette logique de titrisation est la diffusion du risque qu’elle permet.

Diffusion numérique tout d’abord, puisque le risque de défaut des emprunteurs cesse d’être concentré sur un petit nombre de banques transnationales en relation étroite les unes avec les autres. Diffusion

qualitative ensuite, puisque chacune des composantes du risque afférent à un titre particulier peut

donner lieu à la création d’instruments spécifiques de protection négociable sur un marché : contrats à terme pour se prémunir du risque de change, contrats de taux d’intérêt pour faire face au risque de

variation des taux, marchés d’option négociables, etc. La progression de cette titrisation a été impressionnante. Entre 1980 et 2002, le volume des titres a été

multiplié par dix passant d’environ 3.100 milliards à plus de 30.000 milliards de dollars. Les grands opérateurs financiers investissent une part croissante de leurs actifs dans les titres de la dette

publique des Etats des grands pays industrialisés comme dans ceux des pays du tiers-monde qui ont atteint un certain niveau de développement industriel et qui sont les principaux pays endettés en chiffres

absolus.

Néanmoins, l’ensemble des émissions de titres internationaux réalisées par des autorités publiques et

des entreprises privées de la Périphérie ne représente qu’une part marginale de l’ensemble des

émissions de titres à l’échelle : moins de 10%. Ce pourcentage s’est réduit de moitié entre 1997 et 1999, passant de 10% à environ 4%3.

3 CNUCED. 2000c. Rapport sur le commerce et le développement 2000, p. 48.

Page 114: Thèse EricT VersionDéf 11juin

99

Graphique 7.4. Comparaison entre la part des dettes à long terme garanties publiquement ayant été contractées sous forme de titres de la dette (bons d’emprunt) et la part contractée auprès des banques commerciales (en %)

0

5

10

15

20

25

30

35

1980 1990 2002

Comparaison entre la part des dettes à long terme garanties publiquement ayant été contractées sous forme de titres de la dette (bons d’emprunt) et la part contractée auprès

des banques commerciales (en %)

Titres de la dette Banques commerciales

Source : BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance, Washington Le phénomène est encore plus manifeste si l’on regarde les huit PED dont la dette extérieure dépasse

100 milliards de dollars. Pour l’ensemble de ces huit pays, la part des créances à long terme garanties

publiquement ayant été contractées envers les marchés financiers sous formes de titres de la dette (bons d’emprunt) est d’environ 40%, contre environ 12% envers les banques commerciales.

Graphique 7.5. Comparaison entre la part des dettes contractées sous forme de titres de la dette et la part des dettes sous formes de prêts des banques commerciales pour les 8 PED les plus endettés en 2001 (en %)

0

10

20

30

40

50

60

70

80

Brésil Chine Mexique Russie Argentine Indonésie Turquie Corée duSud

Ensemble

Comparaison entre la part des dettes contractées sous forme de titres et la part des dettes sous formes de prêts des banques commerciales pour les 8 PED les plus endettés en 2001 (en %)

Titres de la dette Banques

SOURCE: BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance, Washington.

Page 115: Thèse EricT VersionDéf 11juin

100

Il est fondamental de noter que les chiffres précédents ne concernent que la dette à long terme. En

effet, la dette à court terme est très largement due aux banques commerciales. Si maintenant on prend

en considération l’ensemble des dettes dues par l’ensemble des PED à l’égard de créanciers privés, tant à long terme qu’à court terme, soit environ 1.520 milliards de dollars, la répartition entre crédits

bancaires et titres de la dette est modifiée : environ 520 milliards de dollars sont constitués de titres, le reste (1.000 milliards) est dû aux banques et aux autres créanciers privés.

Page 116: Thèse EricT VersionDéf 11juin

101

Chapitre 8

La vision du développement reprise par la Banque Ce chapitre permet d’analyser une série de modèles utilisés par la BIRD pour déterminer les politiques à suivre dans les PED. Nous envisagerons également les liens entre la politique adoptée par les Etats-Unis dans le cadre du Plan Marshall et certaines similitudes avec sa politique d’aide bilatérale à l’égard des PED. Au cours des dix premières années de son existence, la BIRD ne produit que très peu de réflexions concernant le type de politique économique à soutenir à l’égard des pays en développement. Plusieurs

raisons l'expliquent : 1) cela ne fait pas encore partie des priorités de la BIRD. En 1957, la majorité

des prêts de la BIRD (52,7%) est encore octroyée aux pays industrialisés1 ; 2) la matrice théorique des économistes et des dirigeants de la BIRD est d’inspiration néoclassique. La théorie néoclassique

n’attribue pas de place spécifique aux PED2 ; 3) la BIRD ne s’est pas encore dotée d’un instrument

spécifique pour octroyer des prêts à bas taux d’intérêt aux pays en développement. Cela ne se fera qu’en 1960 avec la création de l’Association internationale de développement (AID).

Comme l’écrivent Nicholas Stern3 et son collègue Francisco Ferreira, cela n’empêcha pas la Banque

d’avoir de solides convictions et de les exprimer. C’est ainsi qu’en 1949, la Banque critiqua un rapport

de la commission des Nations unies pour l’emploi et l’économie qui plaidait pour un investissement public dans l’industrie lourde des PED. La BIRD déclara que les pouvoirs publics des PED avaient

assez à faire avec la fourniture de bonnes infrastructures, et qu’ils devaient laisser la responsabilité de l’industrie lourde à l’initiative privée locale et étrangère4.

Selon les historiens de la BIRD, Mason et Asher, l’orientation de la Banque partait du postulat selon

lequel les secteurs public et privé devaient jouer des rôles différents. Le secteur public devait assurer le développement planifié d’une infrastructure adéquate: chemins de fer, route, centrales électriques,

installations portuaires et moyens de communication en général. Au secteur privé revenaient

l’agriculture, l’industrie, le commerce et les services personnels et financiers, car dans tous ces domaines l’initiative privée était plus performante que le secteur public5.

Ce qui est frappant dans la littérature d’inspiration néoclassique des années 1950 aux années 1970,

c’est la place occupée par la planification de la croissance et du développement (tant dans les

1 “The period during which the Bank held firm views on the nature of the development process but did little reach into it extended roughly up to the late 1950s, and coincided with a phase in Bank lending in which most lending was still made to developed countries (by 1957, 52,7% of financing still went to such countries”, Nicholas Stern et Francisco Ferreira. 1997. « The World Bank as «intellectual actor » » in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p.533. 2 « Les instruments de l’analyse néoclassique s’appliquent de manière générale, sans spécificité aucune, aux questions que pose le sous-développement. Le sous-développement ou le blocage du développement ne fait pas l’objet d’une analyse systématique dans la théorie néoclassique », Azoulay, Gérard. 2002. Les théories du développement, Presses Universitaires de Rennes, p.38. 3 Nicholas Stern devint économiste en chef de la Banque après le départ de Joseph Stiglitz en 2000 et le resta jusqu'en octobre 2003. 4 STERN Nicholas et FERREIRA Francisco. 1997. « The World Bank as «intellectual actor » » in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p.533 5 MASON , Edward S. et ASHER, Robert E. 1973. The World Bank since Bretton Woods, The Brookings Institution, Washington, D.C., p.458-459.

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économies industrialisées que dans les PED). C’est un thème qui a été progressivement évacué à partir des années 1980. La présence de la planification renvoyait à plusieurs éléments : 1) la volonté de

planification (le planisme) avait émergé au cours de la dépression prolongée des années 1930 (voir infra le chapitre sur l’idéologie néolibérale) ; 2) on était dans la période qu’on appellera plus tard les

trente glorieuses, caractérisée par une croissance économique soutenue qu’il s’agissait de diriger et de

planifier; 3) il était nécessaire de finaliser la reconstruction de l’Europe et du Japon ; 4) les succès avérés ou présumés de la planification soviétique exerçaient incontestablement un pouvoir d’attraction

réel, y compris sur les ennemis jurés du « bloc communiste ».

Une autre préoccupation fortement présente à la même époque et qui a été également évacuée à partir des années 1980 fut le choix fait par une série de pays d’Amérique latine de recourir à la substitution

d’importation et la possibilité (perçue comme un danger par la majorité des dirigeants des pays les plus industrialisés) que d’autres pays nouvellement indépendants s’engagent dans la même voie.

Nous allons passer en revue plusieurs apports d’économistes extérieurs à la Banque ou qui en ont fait partie et dont les productions ont exercé une influence sur celle-ci. Parmi les influences majeures, on

peut citer celles exercées par les analyses d’Arthur Lewis, de Walt W. Rostow et ses collègues Max

Millikan et Paul Rosenstein-Rodan, de Roy Harrod et Evsey Domar, de Simon Kuznets, de Paul Samuelson, d’Hollis Chenery et de son collègue Alan Strout, de Bela Balassa, de Jagdish Bhagwati,

d’Anne Krueger, de Robert Lucas, de Stanley Fisher, de Joseph Stiglitz… Les uns sont d’inspiration néoclassique, c’est la majorité. Les autres sont d’inspiration keynésienne, c’est le cas de Roy Harrod et

Evsey Domar. 8.1. Le modèle HOS (Heckscher – Ohlin – Samuelson)

La théorie des avantages comparatifs de Ricardo a été renforcée dans les années 1930 par l’analyse des

économistes suédois Heckscher et Ohlin, à laquelle s’est associé plus tard Samuelson (la synthèse produite par ce dernier est connue comme le modèle HOS). Le modèle HOS parle de « dotation en facteurs de production » (ces

facteurs sont : travail, terre et capital) et déclare que tout pays a intérêt à se spécialiser dans la production et

l’exportation de biens qui utilisent le plus intensément le facteur de production le plus abondant dans le pays –

qui est aussi celui dont le prix est le plus bas. Grâce au libre-échange, l’égalisation de la rémunération des facteurs dans tous les pays pratiquant entre eux le libre-échange se réalisera (le facteur abondant – exporté -

devient plus rare et donc se renchérit ; le facteur rare - importé – augmente et donc son prix diminue). La

spécialisation établira une allocation optimale de facteurs sur un marché mondial devenu homogène. Dans cette

optique la recherche de l’intégration maximale au marché mondial serait pour toutes les économies un pari gagnant et un jeu à somme positive pour tous les partenaires commerciaux. Différentes recherches effectuées

plus tard notamment par Paul Krugman6 pour vérifier la pertinence du modèle HOS ont démontré que celui

n’était pas confirmé par la réalité.

8.2. Arthur Lewis et le modèle d’économie duale avec offre illimitée de main-d’œuvre Dans un article de 19547, Arthur Lewis analyse une « économie duale » composée d’un secteur

capitaliste et d’un secteur traditionnel. Le premier inclut les activités manufacturières et minières ainsi

6 Le constat de la prédominance des échanges entre économies ayant des dotations de facteurs similaires (échanges de produits similaires entre les économies les plus industrialisées) est réalisé par les travaux de P. Krugman et E. Helpman durant les années 1980. 7 Lewis, W. A.1954. « Economic Development with Unlimited Supplies of Labour », Manchester School of Economics and Social Studies, vol. 22,mai 1954, pp. 139-19. A remarquer que son hypothèse de base est

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que l’agriculture commerciale : il est orienté vers le profit, lequel est consacré au financement de l’investissement. Le second secteur comprend l’agriculture paysanne et les activités informelles

urbaines et est orienté vers l’autosubsistance. Du fait du sous-emploi rural, de l’exode vers les villes et de la croissance démographique, il est source d’une «offre illimitée de main-d’œuvre ». Lewis affirme

que la combinaison d’une offre massive de main-d’œuvre bon marché et d’un secteur capitaliste

réinvestissant ses profits peut assurer durablement des taux élevés de profits et de croissance8. Par ailleurs, dans cet article de 1954, Lewis aborde les termes de l’échange entre PED et pays

industrialisés. La haute productivité agricole des seconds et la faible productivité des premiers

expliquent le caractère défavorable des termes de l’échange pour les PED. Nous reprenons ici une présentation par Stéphanie Treillet des critiques adressées au modèle dualiste de Lewis : « Ce schéma a fait l’objet de controverses. Il a été critiqué en particulier par les théoriciens structuralistes comme par ceux du courant de la dépendance ; ceux-ci prennent en effet en compte l’existence d’un dualisme mais en fournissent une analyse différente : d’une part son origine ne réside pas uniquement dans les différences sectorielles de productivité, mais dans une articulation fonctionnelle – et non une juxtaposition – entre le secteur dit « archaïque » et le secteur moderne ; d’autre part, ce dualisme ne se résorbe pas spontanément par le jeu du marché, mais au contraire se reproduit, faisant partie intégrante du processus de sous-développement. D’une façon générale, le schéma dualiste a été considéré comme trop simplificateur et faisant abstraction de la complexité structurelle des sociétés sous-développées : on peut noter en particulier que le dualisme traverse aussi bien le secteur agricole (avec de grandes exploitations intensives en capital et en technologie côtoyant un secteur traditionnel) que le secteur secondaire. Enfin, l’analogie avec le processus de constitution du secteur industriel en Europe trouve ses limites dans la mesure où si des forces d’expulsion du secteur rural sont bien présentes dans les sociétés du tiers-monde, les forces d’attraction du secteur moderne sont absentes : la plupart des migrants ne trouvent pas d’emploi dans le secteur formel, qu’il soit industriel ou tertiaire, mais vont grossir les rangs du secteur informel urbain ; cette migration ne contribue pas à stimuler une révolution agricole qui conduirait à une augmentation de la productivité dans ce secteur »9.

8.3. Les cinq étapes de la croissance économique selon Walt W. Rostow En 1960, Walt W. Rostow10 a recensé cinq étapes du développement dans son livre Les étapes de la croissance économique, un manifeste non-communiste11. Pour lui, toutes les sociétés peuvent être rangées dans une de ces cinq catégories et elles doivent suivre cet itinéraire.

d’inspiration néoclassique puisqu’elle postule l’équilibre des marchés (rémunération du travail à sa productivité marginale). 8 En affirmant que l’existence d’une offre abondante de main-d’œuvre est une condition favorable à l’accumulation du capital industriel, Arthur Lewis réhabilitait, sans que ce soit nécessairement son intention, la thèse correspondante de Ricardo et de Marx. Par ailleurs, selon Lewis, il ne saurait être question d’une reconstitution durable de l’armée de réserve industrielle après la disparition des secteurs précapitalistes. Marx se serait trompé en prédisant pour la société entière le remplacement du « travail vivant » par du « travail mort » au cours de l’accumulation du capital. 9 TREILLET, Stéphanie. 2002. L'Économie du développement, Nathan, Paris, p.50-51. 10 Walt. W. Rostow est un économiste influent mais il a été également un conseiller politique de tout premier plan, il est devenu conseiller de Robert McNamara pendant la guerre du Vietnam. On trouve sur la toile certaines des notes qu’il a remises à McNamara et qui portent sur la stratégie politico-militaire à suivre à l’égard des Nord-Vietnamiens et de leurs alliés en 1964. Une note intitulée « Dispositif militaire et signaux politiques » datant du 16 novembre 1964 est particulièrement intéressante car elle dénote une maîtrise de l’art de la guerre et de la négociation assez impressionnante (www.mtholyoke.edu/acad/intrel/pentagon3/doc232.htm). Il est important de le signaler dans le cadre d'une thèse qui pointe les enjeux politiques de l’intervention du FMI et de la Banque

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La première étape est la société traditionnelle caractérisée par la prédominance de l’activité agricole. Le progrès technique est nul, il n’y a quasiment pas de croissance du produit et les mentalités

n’envisagent pas de changement. Ensuite, l’étape préalable au décollage voit naître le développement des échanges et des techniques,

une évolution des mentalités qui rompt avec le fatalisme et une augmentation du taux d’épargne. C’est

en fait l’évolution des sociétés européennes du XVe au début du XVIIIe siècle. La troisième étape est le décollage (take-off), étape cruciale correspondant à un saut qualitatif, avec

l’augmentation significative des taux d’épargne et d’investissement et le passage à une croissance

cumulative12. La quatrième étape est qualifiée de « marche vers la maturité » : le progrès technique s’impose dans

toutes les activités et la production se diversifie. Enfin, l’ère de la consommation de masse coïncide avec la cinquième et dernière étape13.

Selon Walt W. Rostow, au stade du décollage, l’apport de capitaux extérieurs (sous forme

d’investissements étrangers ou de crédit) est indispensable. On peut reprocher au modèle de Rostow son schématisme caricatural. Il présente le stade de

développement atteint par les Etats-Unis de l’après seconde guerre mondiale à la fois comme l’objectif

à atteindre et le modèle à reproduire. De même, il considère le mode de décollage de l’Angleterre où se sont succédé révolution agricole et révolution industrielle comme devant se reproduire ailleurs. Ce

n’est pas tenir compte de l’histoire concrète traversée par les autres pays. Rien ne prouve que chaque pays devra passer par les cinq étapes décrites.

8.4. Le modèle Harrod – Domar

Dans les années 1940, l’économiste britannique Roy Harrod et son homologue du MIT, Evsey Domar, ont mis au point un modèle afin de résoudre le problème du chômage dans les pays capitalistes

avancés. Mais le modèle Harrod-Domar14 a largement servi, dans les pays en développement, comme

méthode simple pour étudier les rapports entre la croissance et les besoins en capitaux15.

mondiale dans les pays de la Périphérie. Il faut donc prendre en considération l’économie notamment sous l’aspect des motivations (leviers) politiques. 11 ROSTOW, Walt W. 1960. Les Etapes de la croissance économique : un manifeste non communiste, Le Seuil, Paris, 1970. 12 A noter que selon W.W. Rostow, l’Argentine avait déjà atteint la phase du décollage avant 1914. 13 Toujours selon W.W. Rostow, les Etats-Unis ont atteint définitivement l’étape de la consommation de masse juste après la seconde guerre mondiale suivis dans les années 1959 par l’Europe occidentale et le Japon. Quant à l’URSS, elle est techniquement prête à l’atteindre mais elle devra passer par un ajustement préalable. 14 HARROD, Roy F. « An Essay in Dynamic Theory », dans Economic Journal, 1939, p.14-33; et DOMAR, Evsey. “Capital Expansion, Rate of Growth and Employment”, dans Econometra , 1946, p.137-142; et “Expansion and Employment”, dans American Economic review 37, 1947, p.34-35. 15 Jean-Marie Harribey fait remarquer opportunément qu’il faut distinguer les modèles qui s'inscrivent dans la démarche néoclassique et ceux d'inspiration keynésienne comme celui d'Harrod-Domar : “Le but de ce dernier modèle et donc sa conclusion est de montrer que la croissance est fondamentalement instable (contrairement à ce que voulait montrer Solow). Parce que, dans la mesure où le coefficient de capital est supposé stable dans le temps (hypothèse d'ailleurs peu convaincante), la croissance de l'investissement suppose alors d'introduire de la main d'oeuvre supplémentaire parallèlement aux nouveaux équipements. Or rien n'assure que la croissance démographique suive les aléas de l'économie. Je pense donc que l'utilisation d'un tel modèle pour les pays en développement laisse de côté cet aspect pour se concentrer sur la nécessité de l'épargne. Mais dans une perspective keynésienne, cette épargne n'est pas le préalable à la décision d'investissement. Chez Keynes l'investissement engendre un supplément de revenu qui se répartit en supplément de consommation et supplément d'épargne venant équilibrer le supplément d'investissement réalisé.” Source : Communication de Jean-Marie Harribey à l’auteur de la thèse.

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Nous reprenons ci-après le résumé qu’en donne Gérard Azoulay : « La contrainte principale est dans ce cas le manque de capital. Le stock de capital constitue un goulot d’étranglement qu’il convient de lever grâce à un effort d’investissement dont le modèle pourra déterminer aisément le niveau. La valeur du taux d’épargne est donc ici une variable centrale de la croissance. (…) Harrod introduit dans son raisonnement un taux de croissance souhaité, fondé sur deux variables : le taux d’épargne et le taux marginal du ratio capital/produit. Le taux d’épargne représente le pourcentage du revenu que les ménages et les firmes entendent soustraire à la consommation durant une certaine période et qui peut être disponible pour la formation de capital. Le ratio capital/produit représente la valeur du capital nécessaire à une certaine production divisée par cette production. C’est un ratio stock/flux. (…) L’une des implications majeures du modèle de Harrod-Domar a été de considérer que l’accroissement de l’investissement devenait la condition du développement. Cette approche très simple permettait ainsi au planificateur, une fois un objectif de croissance fixé, de déterminer aisément le taux d’épargne nécessaire. Ainsi, si un gouvernement se fixe pour objectif sur une période donnée de tenir un taux de croissance de 6%, et si le ratio capital/produit est de 3, alors le taux d’investissement doit atteindre 18%. En l’absence d’un tel taux dans l’économie nationale, il convient d’élever le taux initial d’épargne par des mesures de politique économique. Dans toute la période où le taux d’épargne domestique n’atteint pas le niveau souhaité, alors la différence doit être comblée par le recours à l’épargne étrangère, l’aide extérieure »16.

8.5. Insuffisance de l’épargne et nécessité de recourir au financement extérieur Selon l’approche néoclassique, l'épargne est préalable à l’investissement et est insuffisante dans les

PED. Dès lors la pénurie d’épargne est un facteur explicatif fondamental du blocage du développement. Un apport de financement extérieur est nécessaire. Paul Samuelson, dans

Economics17, se base sur l’histoire de l’endettement des Etats-Unis aux XIXe et XXe siècles pour

déterminer quatre étapes différentes menant à la prospérité : nation endettée jeune et emprunteuse (de la guerre révolutionnaire -1776- à la guerre civile -1865-) ; nation endettée mûre (1873 à 1914) ;

nouvelle nation créancière (première guerre mondiale à la seconde) ; nation créancière mûre (années

1960). L’économiste Cheryl Payer18 considère que Samuelson et ses émules ont plaqué sur la centaine de pays qui ont constitué le tiers-monde après la seconde guerre mondiale, le modèle de

développement économique des Etats-Unis de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale comme si l’expérience des Etats-Unis était purement et simplement imitable par tous ces

pays.

En ce qui concerne la nécessité d’avoir recours à l’apport de capitaux étrangers (sous forme d’emprunts et d’investissements étrangers), un des associés de Walt W. Rostow, Paul Rosenstein-

Rodan, emploie la formule suivante : « Les capitaux étrangers renforceront la formation du capital national, c'est-à-dire qu’ils seront entièrement investis ; l’investissement entraînera une augmentation de la production. La fonction principale de l’entrée de capitaux étrangers est d’aider la formation du

16 AZOULAY, Gérard. 2002. Les théories du développement, Du rattrapage des retards à l’explosion des inégalités, Presses universitaires de Rennes, Rennes, pp.77-80. 17 SAMUELSON, Paul. 1976. Economics, 10e édition, McGraw Hill, New York, p. 660-661. 18 PAYER, Cheryl. 1991. Lent and Lost. Foreign Credit and Third World Development, Zed Books, London, p.33-34.

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capital national à atteindre un taux… qui pourra être maintenu sans aide extérieure supplémentaire »19 (c'est moi qui traduis).

Dans cet article, Paul Rosenstein-Rodan fait des prédictions concernant la date à laquelle une série de

pays arriveront à la croissance auto-soutenue, c’est-à-dire, pour reprendre la définition qu’en donne

Rostow dans Les étapes du développement, à une étape où l’aide n’est plus nécessaire et où peut continuer l’apport extérieur sous la forme d’investissements étrangers. La Colombie atteindrait ce

stade en 1965, l’Argentine et le Mexique l’atteindraient entre 1965 et 1975, l’Inde au début des années

1970, le Pakistan, trois ou quatre ans après l’Inde, les Philippines, après 1975, la Yougoslavie en 1966.

A noter que cette définition de la croissance auto-soutenue était communément utilisée par la Banque mondiale. Voici la définition qu’en donne Dragoslav Avramoviæ en 1964 quand il était directeur du

département économique : « On définit la croissance auto-soutenue comme impliquant un taux de croissance des revenus de l’ordre de 5% l'an financé par des fonds générés à l’intérieur des frontières ainsi que par des capitaux étrangers qui entrent dans le pays parce qu’ils le souhaitent »20 (c'est moi

qui traduis). L’application du modèle Harrod – Domar débouche dans certains cas sur une imposture pseudo-

scientifique basée sur des équations mathématiques qui visent à donner une légitimité et une crédibilité à la volonté de faire dépendre les PED du recours au financement extérieur. En voici un exemple : elle

a été formulée très sérieusement par Max Millikan et Walt Whitman Rostow en 1957 : « Par exemple, si le taux initial d’investissement domestique dans un pays représente 5% du revenu national, si les capitaux étrangers arrivent à un taux constant équivalent à un tiers du niveau initial de l’investissement domestique, si 25% de tout revenu supplémentaire sont épargnés et réinvestis, si le ratio capital/produit est de 3 et si le taux d’intérêt de la dette extérieure et les dividendes rapatriés sont équivalents à 6% par an, le pays sera en état de se passer de l’emprunt net extérieur après quatorze ans et il pourra maintenir un taux de croissance de 3% sur la base de ses propres revenus »21 (c'est moi qui traduis et qui souligne).

19 « Foreign capital will be a pure addition to domestic capital formation, i.e. it will all be invested; the investment will be productive or ‘businesslike’ and result in increased production. The main function of foreign capital inflow is to increase the rate of domestic capital formation up to a level… which could then be maintained without any further aid” ROSENSTEIN-RODAN, Paul. (1961). ‘International Aid for Underdeveloped Countries’, Review of Economics and Statistics, Vol.43, p.107. 20 “Self-sustained growth is defined to mean a rate of income increase of, say, 5% p.a. financed out of domestically generated funds and out of foreign capital which flows into the country because it wants to do so” AVRAMOVIÆ, Dragoslav et a. 1964. Economic Growth and External Debt, Johns Hopkins Press for the IBRD, Baltimore, p.193. 21 “For example, if the initial rate of domestic investment in a country is 5 per cent of national income, if foreign capital is supplied at a constant rate equal to one-third the initial level of domestic investment, if 25 per cent of all additions to income are saved and reinvested, if the capital-output ratio is 3 and if interest and dividend service on foreign loans and private investment are paid at the rate of 6 per cent per year, the country will be able to discontinue net foreign borrowing after fourteen years and sustain a 3 per cent rate of growth out of its own resources” MILLIKAN, Max et ROSTOW, Walt Whitman. 1957. A proposal : Keys to An Effective Foreign Policy, Harper, New York, p. 158.

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8.6. Le modèle à double déficit de Chenery et Strout Au milieu des années 1960, l’économiste Hollis Chenery, qui allait devenir quelques années plus tard

économiste en chef et vice-président de la BIRD22, élabore avec son collègue Alan Strout un nouveau

modèle appelé « modèle à double déficit »23. Chenery et Strout mettent en avant deux contraintes : une insuffisance d’épargne intérieure d’abord et une insuffisance de devises ensuite. Charles Oman et

Ganeshan Wignarja résument le modèle Chenery – Strout de la manière suivante : « Par essence, les hypothèses du modèle à double déficit sont que : tandis que dans les tout premiers stades de la croissance industrielle, une épargne insuffisante peut constituer la contrainte principale sur le taux de formation du capital domestique, une fois que l’industrialisation est bien en route, la contrainte principale peut ne plus être l’épargne domestique en elle-même, mais la disponibilité en devises requise pour importer des biens d’équipement, des biens intermédiaires et peut-être même des matières premières utilisées comme inputs industriels. Le déficit en devises peut ainsi surpasser le déficit d’épargne comme la principale contrainte de développement »24. Le modèle Chenery – Strout, comme le modèle Harrod – Domar, est très mathématisé. C’était dans

l’air du temps et il avait l’avantage pour ses partisans de donner une crédibilité et une apparence de

rigueur scientifique à une politique qui vise principalement à inciter les PED à recourir massivement à l’emprunt extérieur ainsi qu’aux investissements étrangers. Plusieurs critiques ont été adressées à

l’époque au modèle. Nous citerons celle de Keith Griffin et de Jean Luc Enos, qui affirment que le

recours à des apports extérieurs va limiter l’épargne locale : « Aussi longtemps que le coût de l’aide (par exemple, le taux d’intérêt sur les prêts extérieurs) est inférieur à l'accroissement marginal du capital et de la production, un pays aura intérêt à emprunter autant que possible et à substituer les emprunts étrangers à l’épargne domestique. En d’autres mots, étant donné un objectif à atteindre en termes de taux de croissance dans un pays en développement, l’aide extérieure va permettre davantage de consommation et limitera l’épargne domestique à la différence entre l’investissement souhaité et le montant d’aide extérieure disponible. Dès lors, les fondements des modèles du type Chenery-Strout sont faibles dans la mesure où l’on s’attendrait en théorie à trouver une relation inverse entre l’aide extérieure et l’épargne domestique »25 (c’est moi qui traduis).

22 Hollis Chenery est devenu, en 1970, conseiller du président de la BIRD, Robert McNamara. Ensuite, en 1972, le poste de vice-président lié à celui d’économiste en chef a été créé pour Hollis Chenery par Robert McNamara. Par la suite, c’est entré dans la tradition. Chenery a exercé les fonctions d’économiste en chef et de vice-président de la BIRD de 1972 à 1982. Chenery est jusqu’à aujourd’hui l’économiste qui est resté le plus longtemps au poste d’économiste en chef, les prédécesseurs et les successeurs sont restés en poste entre 3 et 6 ans selon les cas. Source: STERN Nicholas et FERREIRA Francisco. 1997. « The World Bank as 'intellectual actor' » in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p.538. 23 CHENERY Hollis B. et STROUT Alan. 1966. “Foreign Assistance and Economic Development”, American Economic Review, n°56, p.680-733. 24 OMAN Charles et WIGNARJA Ganeshan. 1991. The Postwar Evolution of Development Thinking, OCDE, cité par TREILLET, Stéphanie. 2002. L'Économie du développement, Nathan, Paris, p.53. 25 “Yet as long as the cost of aid (e.g. the rate of interest on foreign loans) is less than the incremental output-capital ratio, it will ‘pay’ a country to borrow as much as possible and substitute foreign for domestic savings. In other words, given a target rate of growth in the developing country, foreign aid will permit higher consumption, and domestic savings will simply be a residual, that is, the difference between desired investment and the amount of foreign aid available. Thus the foundations of models of the Chenery-Strout type are weak, since one would expect, on theoretical grounds, to find an inverse association between foreign aid and domestic

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8.7. Le contexte de l’après seconde guerre mondiale, le Plan Marshall et l’aide bilatérale des Etats-Unis Les différents modèles auxquels la BIRD a recours des années 1950 à la fin des années 1970 et l’usage qu’elle en fait est à mettre en rapport avec le contexte international de l’époque et avec la politique

extérieure des Etats-Unis. Il faut également tenir compte des leçons que tirent les autorités des Etats-

Unis des erreurs commises dans les années 1930.

Cela demande de faire un retour en arrière sur la cessation de paiement de la dette décidée en 1932 par

la Grande Bretagne, la France, la Belgique et l’Italie à l’égard des Etats-Unis26. John Maynard Keynes avait commenté avec un certain sarcasme l’attitude des Etats-Unis à l’époque :

« Le reste du monde leur doit de l’argent. Ils refusent de se faire rembourser en nature ; ils refusent de se faire rembourser en titres ; ils ont déjà reçu tout l’or disponible. Le casse-tête dans lequel ils ont plongé le reste du monde n’admet qu’une seule solution : on va devoir se débrouiller sans leurs exportations »27 (c’est moi qui traduis et souligne). La préoccupation du gouvernement des Etats-Unis à l’issue de la seconde guerre mondiale était de

maintenir le plein emploi atteint grâce à l’effort colossal de guerre. Il voulait également garantir un

surplus commercial dans leurs relations avec le reste du monde. Or les principaux pays industrialisés susceptibles d’importer les marchandises des Etats-Unis étaient littéralement sans le sou. Les autorités

des Etats-Unis voulaient éviter que les pays qui seraient aidés dans leur effort de reconstruction ne remboursent l’aide reçue en nature. En effet, elles étaient persuadées que des remboursements en

nature constitueraient une concurrence des produits européens à l’égard de la production nationale aux

Etats-Unis28. La solution fut trouvée : plutôt que de prêter massivement de l’argent aux Européens (via la BIRD), il convenait de mettre en place le Plan Marshall, qui consistait à fournir de l’aide sous forme

de dons. Les dollars reçus par les Européens seraient utilisés par ceux-ci pour acheter des biens et des

services fournis par les Etats-Unis, ce qui garantirait un débouché pour les exportations américaines et, en conséquence, le plein emploi. Une fois la reconstruction réalisée, les Européens non endettés

seraient progressivement en mesure de payer la facture de leurs importations en provenance des Etats-Unis.

Avant d’en arriver à la décision de fournir des dons via le Plan Marshall, des économistes des Etats-Unis avaient fait des simulations concernant la faisabilité d’une politique de prêts. Ils en avaient déduit

que pour que cette formule soit praticable, il aurait fallu prêter le capital et l’intérêt (qui sert à

rembourser le capital emprunté à intérêt) à la fois. Nous n’avons malheureusement pas ici la place

savings” GRIFFIN, Keith B. et ENOS, Jean Luc. 1970. ‘Foreign Assistance : Objectives and consequences’, Economic Development and Cultural Change, n°18, p.319-20. 26 Nous avons abordé cet épisode au chapitre intitulé : « Les crises de la dette du début du 19e siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale ». 27 “The rest of the world owes them money. They will not take payement in goods; they will not take it in bonds ; they have already all the gold there is. The puzzle which they have set to the rest of the world admits logically of only one solution, namely, that some way must be found of doing without their exports”. John Maynard KEYNES, Collected Writings, Vol XXI, Macmillan, Londres, cité par PAYER, Cheryl. 1991. Lent and Lost. Foreign Credit and Third World Development, Zed Books, London, p.20. 28 « Repayment in the form of imports has been traditionally opposed in this country on the ground that it causes competition for domestic producers and contributes to unemployment” Randolph E. Paul. 1947. Taxation for Prosperity, Bobbs-Merrill, Indianapolis, cité par PAYER, Cheryl. 1991. Idem., p.20.

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pour résumer cette discussion au cours de laquelle un des deux auteurs du modèle Harrod – Domar29 est intervenu, ce qui indique que les auteurs de modèles qui paraissent abstraits sont bel et bien partie

prenante d’un débat ayant des incidences très concrètes30. Les autorités des Etats-Unis conclurent pour leur compte qu’il valait mieux procéder par don.

Ce qui fut fait par les Etats-Unis à l’égard des pays les plus industrialisés détruits par la guerre via le Plan Marshall fut réalisé d’une manière similaire, certes pour des montants bien plus faibles, à l’égard

d’une série de PED alliés des Etats-Unis, via l’aide bilatérale, sans passer par la Banque mondiale.

C’est particulièrement le cas de la Corée du Sud et de Taïwan qui, à partir des années 1950, reçurent, tenant compte de la taille de leur économie, une aide tout à fait considérable, qui fut l’un des

ingrédients de leur succès. A l’égard de la plupart des autres PED considérés comme amis, les Etats-Unis réalisèrent une politique de prêts à bas taux d’intérêt (soft loans) remboursables en monnaie

locale. Cela était favorable aux pays emprunteurs31. Cette politique fut modifiée à partir de 1961 : les

prêts à bas taux d’intérêts étaient maintenus mais devaient être remboursés par les pays emprunteurs par des devises fortes.

8.8. La volonté de pousser les PED à recourir à l’aide extérieure en tant que moyen de les influencer La politique d’aide bilatérale et celle de la BIRD sont directement reliées aux objectifs politiques que

les Etats-Unis poursuivent en matière d’affaires extérieures.

Selon Hollis Chenery: « L’objectif principal de l’aide extérieure tout comme d’autres instruments de politique étrangère, est de produire à l’échelle mondiale le type d’environnement politique et économique dans lequel les Etats-Unis peuvent poursuivre au mieux leurs propres buts sociaux »32

(c’est moi qui traduis).

Dans un livre intitulé Les Nations émergentes: leur croissance et les Etats-Unis, Max Millikan33 et

Donald Blackmer, tous deux collègues de Walt W. Rostow, décrivent clairement en 1961 certains objectifs de la politique extérieure des Etats-Unis: « Il est dans l’intérêt des Etats-Unis de voir émerger du processus de transition des nations dotées de certaines caractéristiques. Premièrement, elles doivent être capables de maintenir leur indépendance, spécialement à l’égard des pouvoirs hostiles ou potentiellement hostiles à l’égard des Etats-Unis. (…) Quatrièmement, elles doivent accepter le principe d’une société ouverte dont les membres sont invités à échanger des idées, des

29 Voir PAYER, Cheryl. 1991. Ibid ; p.20-22. 30 Dans son intervention, Domar proposa d’introduire un changement dans l’équation consistant à augmenter le taux de croissance des montants prêtés proportionnellement aux taux d’intérêt portant sur les prêts en question Voir PAYER, Cheryl. 1991. Ibid ; p.22. 31 Elle eut comme effet annexe de doter les Etats-Unis de réserves en monnaies non convertibles qu’ils utiliseront au début des années 1960 à l’égard de l’Association internationale pour le Développement (voir chapitre 10). 32 “The main objective of foreign assistance, as of many other tools of foreign policy, is to produce the kind of political and economic environment in the world in which the United States can best pursue its own social goals” H. B. Chenery. 1964. ‘Objectives and criteria of Foreign Assistance’, in The United States and the Developing Economies, ed. G. Ranis, W.W. Norton, New York, p.81. 33 Max Millikan qui a été membre de l’Office of Strategic Services (OSS) puis de la Central Intelligence Agency (CIA) qui lui a succédé, était directeur du CENIS (Center for International Affairs at the Massachusetts Institute for Technology), directement relié au Département d’Etat.

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marchandises, des valeurs et des expériences avec le reste du monde ; cela implique que leurs gouvernements doivent être disposés à s'impliquer dans des dispositions de contrôle social, politique et économique nécessaires au fonctionnement d’une communauté internationale interdépendante »34 (c’est moi qui traduis). Plus loin dans le livre, ils indiquent explicitement en quoi l’aide est utilisée comme levier pour orienter la politique des pays aidés :

« Pour que l’aide en capitaux atteigne une puissance de levier optimale dans le but de persuader les pays sous-développés de suivre une voie compatible avec les intérêts des Etats-Unis et du monde libre les montants offerts doivent être suffisamment importants et les conditions suffisamment souples pour persuader le pays récipiendaire que le jeu en vaut la chandelle. Cela signifie que nous devons investir des ressources substantiellement plus importantes qu’auparavant dans nos programmes de développement économique »35 (c’est moi qui traduis et souligne). Nous verrons plus loin que le volume de la dette des PED a augmenté à un rythme croissant au cours

des années 1960 et 1970, notamment comme conséquence d’une politique délibérée des Etats-Unis,

des autres gouvernements des pays les plus industrialisés ainsi que des institutions de Bretton Woods.

8.9. Privilégier les exportations Chenery et Strout avaient affirmé dans la principale contribution où ils avançaient leur modèle que le

recours à la substitution d’importation constituait un moyen admissible afin de réduire le déficit en devises36. Ils ont abandonné cette position par la suite à un moment où le maintien des politiques de

substitution d’importation pratiquées par certains PED devenait un des principaux thèmes des critiques adressées par la BIRD, le FMI, l’OCDE et les gouvernements des principaux pays industrialisés.

C’est ainsi que d’autres travaux d’économistes plus ou moins directement associés à la BIRD s’attachent à mesurer les taux effectifs de protection des économies et les biais qui en résultent en

termes d’utilisation des ressources productives et de rentabilité des investissements. Ils préconisent

une réorientation des stratégies en direction des exportations, un abandon des tarifs protectionnistes, et, d’une façon générale, une politique davantage fondée sur les mécanismes de marché pour la

fixation des prix. Bela Balassa, Jagdish Bhagwati et Anne Krueger37 systématisent cette approche et

34 “It is in the interest of the United States to see emerging from the transition process nations with certain characteristics. First, they must be able to maintain their independence, especially of powers hostile or potentially hostile to the United States… Fourth, they must accept the principle of an open society whose members are encouraged to exchange ideas, goods, values, and experiences with the rest of the world ; this implies as well that their governments must be willing to cooperate in the measures of international economic, political and social control necessary to the functioning of an interdependent world community”. Max MILLIKAN et Donald BLACKMER, ed. 1961. The Emerging Nations: Their Growth and United States Policy, Little, Brown and Company, Boston, pp. x-xi. 35 “For capital assistance to have the maximum leverage in persuading the underdeveloped countries to follow a course consistent with American and free-world interests the amounts offered must be large enough and the terms flexible enough to persuade the recipient that the game is worth the effort. This means that we must invest substantially larger resources in our economic development programs than we have done in our past”. Idem, p.118-119. 36 CHENERY Hollis B. et STROUT Alan. 1966. “Foreign Assistance and Economic Development”, American Economic Review, n°56, p.682, 697-700. 37 Bela BALASSA. 1971. Development Strategies in Some Developing Countries: A Comparative Study, John Hopkins University Press for the World Bank, Baltimore; Jagdish BHAGWATI. 1978. Anatomy and

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leurs analyses marqueront l’évolution des institutions internationales et constitueront le socle théorique des mesures d’ouverture commerciale préconisées durant les décennies 1980 et 1990. Anne

Krueger38 écrit : « (…) Un régime de promotion d’exportations peut libérer l’économie du pays du joug du sous-emploi keynésien car, contrairement au régime de substitution d’importation, il peut disposer d’une demande effective virtuellement infinie pour ses produits sur les marchés internationaux, et donc, il peut toujours se rapprocher du plein emploi, à moins qu’il y ait une récession mondiale. Une petite économie orientée vers l’exportation sera capable de vendre n’importe quelle quantité de biens qu’elle produit ; autrement dit, la capacité d’offre du pays sera la seule contrainte »39.

8.10. La question des inégalités dans la distribution des revenus

A partir de 1973, la question de l’inégalité de la répartition des revenus dans les PED comme élément

influant sur les possibilités de développement commence à être étudiée par la BIRD. L’équipe économique dirigée par Hollis Chenery y consacre une énergie certaine. Le livre majeur consacré par

la BIRD à ce sujet est coordonné par Chenery lui-même et s’intitule Redistribution et Croissance40, il paraît en 1974. Chenery est conscient que le type de croissance induite par la politique de prêt de la

Banque est générateur d’une croissance des inégalités. La préoccupation de la BIRD a été exprimée à

plusieurs reprises de manière très nette par McNamara : si on ne réduit pas les inégalités, si on ne réduit pas la pauvreté, on assistera à des explosions sociales à répétition et celles-ci porteront préjudice

aux intérêts du monde libre, dont le leadership est assuré par les Etats-Unis.

Chenery ne partageait pas le point de vue émis par Simon Kuznets41 au cours des années 1950 selon

lequel, après une phase d’augmentation des inégalités lors du décollage économique, celles-ci se résorberaient d’elles-mêmes dans un deuxième temps. Les études empiriques réalisées par la BIRD ont

infirmé les affirmations de Kuznets.

Néanmoins, après le départ de Chenery en 1982 et son remplacement par Anne Krueger, la BIRD

abandonnera complètement la préoccupation relative à l’augmentation ou au maintien des inégalités.

Anne Krueger (nous le verrons plus loin) n’hésitant pas à reprendre à son compte la courbe de Kuznets, en faisant de la montée des inégalités une condition du démarrage de la croissance au motif

que l’épargne des riches est susceptible de nourrir les investissements.

Les modèles qui ont influencé la vision de la BIRD aboutissent logiquement à une forte dépendance des PED à l’égard des apports extérieurs de capitaux, notamment sous la forme de prêt, avec l’illusion d’atteindre un niveau de développement auto-soutenu. Nous analyserons,

Consequences of Exchange Control Regime, Ballinger for the National Bureau of Economic Research, Cambridge; Anne KRUEGER. 1978. Foreign Trade Regimes and Economic Development: Liberalization Attempts and Consequences, National Bureau of Economic Research, New York. 38 Anne Krueger est devenue économiste en chef et vice-présidente de la BIRD en 1982 (quand Chenery a été remercié par le président Ronald Reagan, qui a fait rentrer à la BIRD les partisans de son orientation néolibérale) et l’est restée jusque 1987. 39 KRUEGER, Anne. 1978. Trade and Development : export promotion vs Import substitution, cité par TREILLET, Stéphanie. 2002. L'Économie du développement, Nathan, Paris, p.37. 40 CHENERY Hollis B. et al. 1974. Redistribution with Growth, Oxford University Press for the World Bank and the Institute of Development Studies, London. 41 KUZNETS Simon. 1955. « Economic Growth and Income Inequality », American Economic Review, n°49, mars 1955, p.1-28.

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dans le chapitre sur les origines de la crise de la dette qui a éclaté au début des années 1980, dans quel enchaînement la BIRD a contribué à enfermer les PED endettés. Nous poursuivrons ensuite l’analyse sur la période postérieure à l’éclatement de la dette dans le cadre des chapitres consacrés à l’ajustement structurel. Dans le chapitre suivant sera abordée la problématique de la croissance présentée comme synonyme de développement.

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Chapitre 9

Banque mondiale : productivisme, priorité à l’exportation et à la croissance

En matière de développement, la Banque mondiale est intervenue avec un fort contenu productiviste et a donné la priorité à l’exportation : révolution verte, grands barrages, grandes centrales thermiques, remplacement de cultures vivrières par des cultures d’exportation… La révolution verte des années 1960 qui visait officiellement à augmenter la production agricole des pays du Sud pour satisfaire les besoins alimentaires des populations locales a eu des conséquences désastreuses sur l’environnement et a augmenté progressivement la dépendance des pays qui l’appliquent à l’égard des transnationales de l’agro-industrie. Le choix de privilégier des cultures d’exportation s’est fait au détriment des cultures vivrières, élément clé de la sécurité alimentaire des populations. La construction de grands barrages, de grandes centrales thermiques, de voies gigantesques de communication terrestre (e. a. la route transamazonienne) a été réalisée sans prendre en compte l’impact environnemental et, à maintes reprises, a porté atteinte aux droits et aux conditions de vie des populations, en particulier les peuples indigènes. La Banque mondiale et le FMI ne se sont jamais départis d’une sorte de foi dans la croissance économique. La croissance est la condition sine qua non du développement. Le développement est

synonyme de croissance. Cette position engendre des perspectives écologiques peu réalistes : pour les institutions financières internationales, les ressources que recèle la planète semblent être infinies et l’environnement semble être capable de supporter tous les outrages des procédés industriels utilisés dans le cadre de modèles productivistes. La Banque, comme le FMI, affirme que la réduction de la pauvreté résultera mécaniquement de la croissance (et du libre-échange). Certains auteurs démontrent au contraire que la croissance peut être appauvrissante.

9.1. La violence de la révolution verte

Des gouvernements nationaux et des institutions de la communauté internationale (à noter le rôle actif joué par la Fondation Ford) ont créé des laboratoires aux Philippines (pour l'Asie) et au Mexique (pour

l'Amérique latine) dont l'objectif était de rechercher et de sélectionner des variétés de céréales à

rendement élevé. Ces variétés devaient permettre d'assurer les besoins alimentaires des populations de ces pays sous le prétexte que, vu la croissance démographique, les cultures traditionnelles n'étaient pas

en mesure de faire face à la demande. D'où le terme : “ révolution verte ”.

Cette “révolution” n’a pas été faite par la population, elle lui a été imposée. En Inde, l'occasion en a

été fournie par une sécheresse en 1965. Les graphiques de la production agricole indienne indiquaient un accroissement continu de la production alimentaire, sauf en 1965 où une petite diminution signalait

cette sécheresse. L’Inde demanda une aide alimentaire limitée aux Etats-Unis. Mais le fait fut exploité

pour imposer un ensemble de techniques non durables au sens écologique. Les transnationales de l’agrobusiness étaient prêtes à promouvoir une agriculture d’exportation “chimique” et intensive. La

Banque mondiale prétendit avoir sauvé l’Inde de la famine. Ce qui est faux : l’Inde, si elle n’exportait pas de production agricole, réalisait une production de cultures vivrières suffisante pour assurer la

sécurité alimentaire de sa population. A ce sujet, il est intéressant de noter que la grande famine du

Bengale en 1943 (entre deux et trois millions de morts) était due non pas à un manque de nourriture

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mais à une hausse du prix des denrées alimentaires, elle-même due à l’effort de guerre et à la spéculation sur les stocks.

La biologiste et écoféministe indienne Vandana Shiva1 dénonce la “révolution verte” comme le processus qui a bouleversé l’équilibre séculaire du pays. Pour elle, il est faux de prétendre que les

structures traditionnelles étaient et sont toujours incapables de résoudre le problème de la demande

alimentaire. Elle soutient avec des arguments étayés que le véritable problème posé en Inde comme dans les autres pays du tiers-monde est le problème de la répartition de la terre et de la redistribution

de la richesse.

La “ révolution verte ” est, en fait, l’outil qui a été utilisé par les transnationales de l’agro-chimie pour résoudre ce problème, à leur profit, par la technologie et la science, sans réaliser de réforme agraire.

Vandana Shiva explique qu'avec le développement de la “ révolution verte ”, les structures communautaires traditionnelles en milieu rural sont devenues dépendantes d'une technologie qu'elles

ne contrôlent pas et qu'elles n'ont pas produite. Par contre, cette “ révolution ” ouvrait une voie royale

à la stratégie des transnationales.

Les semences que les industries agro-alimentaires des pays du Nord, et principalement des Etats-Unis,

ont imposées à des pays comme l'Inde, si elles ont donné dans le court terme des résultats de rendement importants, se sont révélées au cours du temps désastreuses à plusieurs niveaux.

Tout d'abord, elles nécessitent l'achat de plus en plus important d'intrants : engrais chimiques, pesticides, herbicides, etc.

Ensuite, si on comptabilise leur coût, les performances ne sont pas meilleures que celles procurées à

l’aide des semences sélectionnées et améliorées de manière traditionnelle, au contraire. Par contre, la dépendance instaurée est évidente (dépendance face à la mécanisation, aux fertilisants, aux herbicides,

le tout fourni par les industries du Nord).

En outre, la “ révolution verte ” a engendré d'autres conséquences néfastes : elle s'est réalisée au détriment des biens communaux (pâturages, forêts...). Elle a provoqué un très grand appauvrissement

de la biodiversité, une augmentation des maladies des plantes (les plantes traditionnelles étaient plus résistantes), un appauvrissement des sols (les cultures intensives ont épuisé les terres en certains

micro-éléments). Elle exige une irrigation beaucoup plus importante que les cultures traditionnelles

(dans des régions où le risque de sécheresse existe) et l'utilisation massive des intrants a provoqué la salinisation d'immenses territoires. En conséquence, l'équilibre écologique est rompu de manière

irrémédiable par l'intensification de ces monocultures. Avant la “ révolution verte ”, la Fondation Ford

affirmait qu'au Punjab, il y avait sous-utilisation des terres. En réalité, les paysans exploitaient celles-ci d'une manière équilibrée qui évitait l'épuisement du sol. Après le désastre de la “ révolution verte ”,

la Fondation Ford et la Banque mondiale ont fini par découvrir les vertus des fertilisants organiques... Trop tard.

Vandana Shiva replace cet épisode dans un contexte historique qui démontre le contenu réel de ces mesures : la spoliation, l'exploitation de la paysannerie au profit du commerce et de l'industrie des

pays du Centre. Au XVIIIe siècle, l'agriculture indienne était florissante. Jusqu’en 1750, l'exploitant, sur 1 000 unités produites, en conservait 700. Sur les unités restantes, 50 seulement quittaient le

village et 250 unités restaient dans le village pour le fonctionnement de la communauté.

Au XIXe siècle, après 50 ans de colonisation anglaise, les proportions étaient complètement bouleversées. Le paysan devait, sur 1 000 unités, en céder 600 dont 590 allaient directement à

1 SHIVA, Vandana. 1991. The Violence of the green revolution, Third World Network, Malaisia, 1993, 264 p.

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l'autorité centrale, l'Angleterre. Malgré le versement de la récolte en taxes, malgré la mainmise sur tout surproduit, on laissait encore à cette époque environ 40% de sa récolte au paysan pour qu'il puisse

produire l'année suivante. La révolution verte est allée plus loin. Son objectif réel était de limiter la contagion de la révolution

chinoise. La révolution verte a instauré l'endettement, et donc la dépendance des paysans. Pour

produire 1 000 unités, les paysans sont obligés de s'endetter à l'échelle de 3 000 unités. Ils doivent emprunter pour les achats de semences (chaque année), d'engrais, de pesticides, d'herbicides, pour

l'achat de tracteurs (qu'il faut très souvent abandonner faute de pièces de rechange), etc. Leur

production ne leur permet que rarement de rembourser ces emprunts. Après deux saisons, ils revendent la terre aux banques, aux grands propriétaires terriens et ils vont grossir les populations des bidonvilles

urbains.

9.2. Priorité aux cultures pour l’exportation, à l’élevage et à l’exploitation forestière Tout au long de l’existence de la Banque, celle-ci a contribué de manière puissante à renforcer les

activités agricoles destinées à l’exportation. Remplacement partiel de cultures vivrières en Thaïlande et en Malaisie par le caoutchouc, en Afrique de l’Ouest par le coton, dans le Sud du Brésil par le soya,

au Sénégal par l’arachide, en Côte d’Ivoire par le cacao… Des pays traditionnellement autosuffisants

en céréales et en légumes sont devenus progressivement des importateurs nets de ces produits, ce qui a entraîné la perte de la sécurité et de la souveraineté alimentaires. La volonté délibérée du

gouvernement des Etats-Unis de mettre fin à la sécurité alimentaire des PED a été exprimée de

manière crue par John Block, secrétaire des Etats-Unis à l’agriculture en 1986 au moment des négociations de l’Uruguay Round dans le cadre du Gatt : « L’idée selon laquelle les pays en développement devraient se nourrir eux-mêmes est anachronique, elle provient d’une ère révolue. Les pays en développement peuvent parfaitement assurer leur sécurité alimentaire en important des produits agricoles des Etats-Unis, qui sont la plupart du temps les moins coûteux »2.

Le renforcement des activités d’exportation est allé de pair avec la dépossession des petits propriétaires de terre (ce qui a créé ou augmenté la masse des paysans sans terre et l’exode des

campagnes vers les villes), le développement de grandes entreprises agricoles d’exportation

(plantations). Dans certains pays, les projets soutenus par la Banque mondiale ont impliqué une colonisation de surfaces forestières pour y développer l’agriculture d’exportation (plusieurs Etats de

l’Amazonie brésilienne, Thaïlande, Malaisie, Indonésie…). Conséquences : déforestation, déplacements de population, rupture de l’équilibre écologique, diminution de la biodiversité,

dégradation des conditions de vie des populations vivant de la forêt (notamment les indigènes). La

Banque mondiale a également soutenu systématiquement des projets d’exploitation forestière pour l’exportation (Brésil, Congo, Côte d’Ivoire, Indonésie…) impliquant souvent un véritable pillage des

ressources forestières qui s’ajoutait aux effets négatifs mentionnés plus haut.

Autre projet chéri par la Banque : le développement de l’élevage dans de grandes exploitations. Là

aussi, cela impliquait la déforestation. En général, l’impact environnemental et social des projets soutenus par la Banque n’était pas pris en compte par celle-ci3.

2 BELLO, Walden. 2002. Deglobalization. Ideas for a new world economy, p.53. 3 Pour une analyse systématique de ces projets, voir RICH, Bruce. 1994. Mortgaging the earth.

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9.3. La frénésie des méga-projets énergétiques La liste des grands barrages et des centrales thermiques qui ont reçu le soutien de la Banque mondiale est impressionnante. La part que ces grands travaux représentent dans la dette extérieure publique

actuelle de beaucoup de pays endettés est loin d’être marginale : le seul barrage d'Inga représente 25 %

de la dette extérieure de l'ex-Zaïre. Quant aux dégâts environnementaux et aux dommages causés aux populations, on n’a pas encore fini d’en faire la liste et d’en évaluer toute la portée négative. A

l’échelle planétaire, ce sont plusieurs dizaines de millions de personnes qui ont été déplacées de force, souvent sans indemnisation ou si peu. Depuis la fin des années 1980, certains projets ont dû être

abandonnés ou, du moins, la Banque a dû en retirer son soutien (barrages sur la Narmada en Inde, par

exemple). C’est le résultat de l’action de différents acteurs qui ont forcé la Banque à faire machine arrière dans certains dossiers : la conscience de l’ampleur des dégâts causés et la capacité de

mobilisation des populations concernées à laquelle s’ajoute la solidarité d’une série de mouvements

citoyens des pays les plus industrialisés. La Banque n’a pas pour autant renoncé aux grands projets d’infrastructure (voir supra l’exemple de l’oléoduc Tchad - Cameroun).

9.4. La foi aveugle dans la croissance et dans le modèle productiviste

La Banque mondiale ne s’est jamais départie d’une sorte de foi dans la croissance économique. La croissance est la condition sine qua non du développement. Le développement est synonyme de

croissance. Barber Conable, président de la Banque de 1986 à 1991, déclarait en 1987 : “ Une vérité première, c’est que le développement ne peut être arrêté, on ne peut que l’orienter ”4. Au tableau de

bord de la Banque et du FMI, c’est comme s’il n’y avait que deux voyants : celui qui indique le taux

de croissance (mesuré par le taux de croissance du Produit Intérieur Brut) et celui du remboursement de la dette5. Les ressources que recèle la planète semblent être infinies et l’environnement semble être

capable de supporter tous les outrages des procédés industriels utilisés dans le cadre de modèles

productivistes. Tous les problèmes environnementaux rencontreront leur solution grâce au progrès technique.

Lawrence Summers, économiste en chef et vice-président de la Banque de 1991 à 1996 et, par la suite

secrétaire d’Etat au Trésor pendant la présidence de William Clinton, déclarait en 1991 : « Il n’y a pas de (…) limites à la capacité d’absorption de la planète susceptibles de nous bloquer dans un avenir prévisible. Le risque d’une apocalypse due au réchauffement du climat ou à tout autre cause est inexistant. L’idée que le monde court à sa perte est profondément fausse. L’idée que nous devrions imposer des limites à la croissance à cause de limites naturelles est une erreur profonde ; c’est en outre une idée dont le coût social serait stupéfiant si jamais elle était appliquée »6.

4 Cité par Bruce RICH, Idem, p.199. 5 En mars 2000, à l’université de Prague, à l’occasion d’un débat public où j’étais opposé à Matt Carlson, vice-président de la Banque mondiale, chargé des relations avec la société civile, celui-ci m’avait répondu que je ne devais pas m’en faire à propos de la situation du Mozambique car celui-ci enregistrait un taux de croissance exceptionnel de son PIB. J’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de vérifier à quel point les représentants de la Banque mondiale et du FMI s’accrochent à cette approche même dans des cas où il est de notoriété publique que la croissance économique coexiste avec la dégradation ou une stagnation des conditions d’existence d’une majorité de la population. 6 Lawrence Summers, enregistré lors de la conférence de Bangkok de 1991, au cours d’une interview avec Kirsten Garrett, « Background Briefing », Australian Broadcasting Company, second programme.

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9.5. Le cynisme poussé à l’extrême en interne à la Banque

Cela vaut la peine de faire référence ici à une controverse qui a éclaté fin 1991 lorsque l’hebdomadaire britannique The Economist publia de larges extraits d’une note interne à la Banque rédigée Lawrence

Summers le 13 décembre 1991. Cette note était destinée à six collègues de la direction de la Banque et

n’aurait peut-être jamais été connue du public si un vent favorable ne l’avait pas fait parvenir à Greenpeace qui s’est empressé de la diffuser largement. Mais c’est la publication de la note par The Economist qui déclencha le scandale car la direction de la Banque fut amenée à réagir. Voici quelques extraits de la note de Lawrence Summers :

« Entre vous et moi, la Banque mondiale ne devrait-elle pas encourager davantage le transfert des industries sales vers les PMA [pays les moins avancés] ? (…) La mesure des coûts de la pollution préjudiciable à la santé se fonde sur le manque à gagner dû à l’augmentation des maladies et de la mortalité. De ce point de vue, une quantité donnée de pollution préjudiciable à la santé devrait être attribuée au pays au coût le plus bas, c’est-à-dire celui dont les salaires sont les plus bas. La logique économique selon laquelle on devrait se débarrasser des déchets toxiques dans les pays aux salaires les plus bas est à mon sens impeccable, et nous devons l’accepter »7. Summers poursuit : « J’ai toujours pensé que les pays sous-peuplés d’Afrique sont considérablement sous-pollués, la qualité de leur air est sans doute largement « sous-valorisée » par rapport à celle de Los Angeles ou de Mexico »8. Et plus loin : « L’inquiétude [à propos des agents toxiques] sera de toute évidence beaucoup plus élevée dans un pays où les gens vivent assez longtemps pour attraper le cancer que dans un pays où la mortalité infantile est de 200 pour 1000 à cinq ans »9.

La polémique dura plusieurs mois, le quotidien londonien Financial Times, dans son édition du 10 février 1992, publia de longs extraits de la note sous le titre « Préservez la planète des économistes »10. La direction de la Banque fit savoir que le contenu de la note ne représentait pas l’opinion de la

Banque. De son côté, Lawrence Summers, reprocha à The Economist d’avoir publié une note interne.

Ce à quoi l’hebdomadaire répondit que s’il n’avait pas publié la note, la Banque n’aurait pas fait connaître son opinion.

Sur le fond, Lawrence Summers maintint une position productiviste sans faille. Dans une lettre adressée à l’hebdomadaire britannique, publiée le 30 mai 1992, il écrit qu’à son avis,

même en parlant du scénario le plus pessimiste, « le réchauffement du climat réduira la croissance de moins de 0,1% par an pendant les deux cents prochaines années (…). Brandir le spectre de nos petits-enfants appauvris si nous n’affrontons pas les problèmes globaux d’environnement est pure démagogie ». Il ajoutait : « L’argument selon lequel nos obligations morales à l’égard des générations futures exigent un traitement spécial des investissements environnementaux est stupide »11.

Significatif de l’ampleur du scandale causé par le cynisme de l’économiste en chef de la Banque, dans le livre commandité par la Banque pour retracer son premier demi-siècle d’existence, Nicholas Stern

(futur économiste en chef de la Banque) écrivit : « L’engagement de la Banque dans le domaine de l’environnement a été mis en doute par certains comme résultat de la publication fin 1991 par le

7 Summers cité par GEORGE, Susan et SABELLI, Fabrizio. 1994. Crédits sans Frontières, p.117. 8 Summers cité par GEORGE, Susan et SABELLI, Fabrizio. Idem, p.117. 9 Summers cité par GEORGE, Susan et SABELLI, Fabrizio. Ibid., p.119. 10 Voir RICH Bruce, Ibid., p.248. 11 « Summers on Sustainable Growth », lettre de Lawrence Summers à The Economist, 30 mai 1992.

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magazine The Economist d’extraits d’une note de service interne écrite par Lawrence Summers, alors économiste en chef. La note de service interne suggérait la possibilité que les questions d’environnement étaient surestimées en ce qui concerne les pays en développement, ces pays pourraient réduire leurs coûts marginaux en commerçant ou en tolérant les substances polluantes. Bien que la Banque ait pris ses distances vigoureusement par rapport à ces remarques, la confiance dans son sérieux en matière d’environnement était ébranlée » 12 (c'est moi qui traduis).

9.6. Le FMI fait preuve du même aveuglement dans la croissance

Selon la logique des IFI, les Cassandre qui prétendent que certaines ressources (tels les combustibles

fossiles) n’existent qu’en quantité limitée seront contredits par les faits. Les réserves de pétrole ou de gaz sont colossales et on n’en connaît qu’une partie négligeable. Pas plus tard qu’en 2003, Anne

Krueger, économiste en chef et vice-présidente de la Banque mondiale de 1982 à 1987 et directrice

générale adjointe du FMI à partir de 2001, expliquait le 18 juin 2003 à Saint-Pétersbourg à l’occasion du 7e Forum économique international, que les réserves de pétrole sont plus importantes aujourd’hui

qu’en 1950, qu’aucun dommage irréparable n’a été causé à l’environnement de la planète13. Selon elle, plus on avancera dans le temps, plus on trouvera de réserves de pétrole, de même que, après une phase

normale de dégradation de l’environnement, la situation s’améliorera selon des lois objectives de

l’économie. En effet, toujours selon elle, à partir du moment où la croissance permet à un pays d’atteindre le seuil critique de 5 000 dollars de PIB par habitant, la société commence à faire les

dépenses nécessaires à la réduction de la pollution. « Nous n’avons pas non plus causé de dégât irréparable à l’environnement. Il est clair qu’après une phase initiale de dégradation, la croissance économique entraîne ensuite une phase d’amélioration. Le point critique auquel les gens se mettent à choisir d’investir dans la prévention de la pollution et le nettoyage de zones polluées se situe à environ 5 000 dollars de PIB par habitant » (c'est moi qui traduis).

La Banque, comme le FMI, affirme que la réduction de la pauvreté résultera mécaniquement de la croissance (et du libre-échange comme nous le verrons plus loin). Le Rapport sur le Développement dans le monde de 1980 publié par la Banque déclare : « avec la poursuite d’une croissance lente, des millions de personnes dans les pays en développement vont devenir progressivement plus pauvres ; avec une croissance accélérée, un peu près tout le monde profitera d’une augmentation de son revenu réel » 14 (c'est moi qui traduis).

12 “The Bank’s commitment to environmental issues was questioned by some as a result of a leak to the Economist magazine, in late 1991, of extracts from an internal memorandum of Lawrence Summers, then chief economist. The memorandum suggested the possibility that environmental issues were being overemphasized in relation to developing countries, and that those countries might actually have lower marginal costs in dealing with or tolerating pollutants. Although the Bank had to distance itself vigorously from these remarks, faith in its seriousness about environmental matters was shaken” in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2: Perspectives, p.566. 13 « Prenons cette inquiétude immémoriale qu’une croissance rapide va épuiser les ressources en combustible et que si cela se produit, la croissance sera stoppée net. Les réserves de pétrole sont plus importantes aujourd’hui qu’en 1950. A l’époque, on estimait que les réserves mondiales de pétrole seraient épuisées en 1970. Cela ne s’est pas produit. Aujourd’hui, les réserves connues peuvent durer 40 ans au taux actuel de consommation. Il ne fait pas de doute que quand nous arriverons à 2040, la recherche et le développement auront produit de nouvelles avancées dans la production et l’utilisation de l’énergie » (c'est moi qui traduis). Anne Krueger, extraits du discours prononcé le 18 juin 2003 à Saint-Pétersbourg. Accessible sur le site Internet du FMI www.imf.org. 14 ‘with a continuation of slow growth, millions of people in many developing countries will become progressively poorer ; with faster growth, almost everybody in the world will enjoy some increase in real income”. World Bank,

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Nous avons analysé seize discours prononcés entre mars 2002 et mars 2004 par Anne Krueger, en tant que première directrice générale adjointe du FMI. Tous mettent l’accent sur la croissance comme

moyen de réduire la pauvreté. Dans un discours prononcé le 31 mars 2004 à Washington, Anne Krueger ne s’arrête pas là, elle ajoute que la croissance est générée dans les PED en dégageant un

surplus budgétaire qui permet de rembourser la dette. L’enchaînement est le suivant : le fait de dégager

un surplus budgétaire pour rembourser la dette est une précondition de la croissance qui est elle-même le meilleur moyen de réduire la pauvreté : « L’évidence économique est écrasante : un cadre économique stable incluant un surplus primaire permettant de rembourser la dette est la condition préalable d’une croissance rapide et soutenue ; celle-ci à son tour est le meilleur moyen de réduire la pauvreté »15.

La vacuité de cette idéologie productiviste a été démontrée notamment par François Perroux qui assure

que la croissance peut être appauvrissante.

« Il est remarquable que l’analyse du concept même de croissance, tel qu’il a été défini, utilisé théoriquement et formalisé au cours des trente dernières années, révèle son insuffisance radicale pour fonder une politique économique à l’égard des pays en développement ou pratiquée par eux. L’aspect des phénomènes qu’il retient et isole par construction est, à lui seul, impropre à définir une stratégie à l’usage des pays riches et, a fortiori, des pays pauvres. ‘La croissance pour quoi’ ?, ‘En vue de quoi ’ ?, ‘La croissance, bienfaisante sous quelles conditions ’ ?, ‘La croissance pour qui’ ? Pour certains membres de la communauté internationale, ou pour tous ? Comment répondre pertinemment si l’on traite d’agrégats supposés homogènes par construction ? Ces questions sont à la base des revendications des pays en développement, mais il faut bien comprendre qu’elles s’imposent à quiconque est préoccupé de modèles opérationnels et de politique concrète. Dans l’univers des objets, des choses, ces curiosités introduisent l’être humain, l’individu, l’agent (actor), non pas seulement le producteur ou le consommateur, esclave du marché et soumis au système général des prix, mais bien les individus et leurs groupes capables de changer leur environnement par leurs activités intentionnelles et organisées. Actuellement, personne n’ignore que la croissance peut être appauvrissante si, par exemple, elle entraîne destruction ou détérioration des ressources naturelles. On sait qu’elle ne prend pas en compte la détérioration ou la destruction éventuelle des hommes puisqu’elle ignore tout ce qu’on doit mettre sous l’expression imagée : amortissement humain. […] Prendre en considération le développement, c’est faire comprendre le risque de la croissance sans développement. Il se réalise manifestement quand, dans les pays en développement, l’animation économique se cantonne autour des implantations de firmes étrangères ou de grands travaux sans s’irradier dans l’ensemble. […] »16.

World Development Report, Washington, 1980, p. 38 cité in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2: Perspectives, p.550. 15 « The economic evidence is overwhelming – a stable macroeconomic framework, including a primary surplus consistent with debt service obligations, is an essential prerequisite for sustained, rapid grwth ; and this in turn is the best way of reducing poverty »www.imf.org/external/np/speeches/2004/033104.htm. 16 François Perroux, Pour une philosophie du nouveau développement, Paris, Aubier, 1981.

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9.7. Un exemple emblématique de la poursuite du modèle productiviste: l’oléoduc Tchad Cameroun

Il s'agit d'un projet qui sert directement les intérêts des transnationales pétrolières et des Etats-Unis. Les travaux ont commencé en 2000 et se sont terminés fin 2003. Le consortium soutenu et financé

partiellement par la Banque mondiale est dirigé par ExxonMobil Corp (Etats-Unis) et comprend en

plus ChevronTexaco (Etats-Unis) et Petronas (Malaisie). Il s’agit d’amener du pétrole brut grâce à un oléoduc de plus de 1 000 km du Tchad vers l’océan Atlantique via le Cameroun. Sur la côte

camerounaise, le brut est transbordé sur des bateaux tanker pour être acheminé vers les lieux de

raffinage dans les pays industrialisés. Ce projet fait partie de la nouvelle stratégie des Etats-Unis de diversifier ses zones

d’approvisionnement en pétrole en renforçant notamment la place relative de certains pays africains (Nigeria, Angola, Guinée Equatoriale, Tchad…). Il s’agit d’un de ces innombrables projets

d’extraction de matières premières sans transformation sur place. Le projet génère une quantité

minime d’emplois permanents (quelques centaines) dans les deux pays concernés bien qu’il représente au départ un investissement de 3,5 milliards de dollars. Tout le matériel et tout le personnel qualifié

sont étrangers à la région. Au Cameroun, l’oléoduc traverse ou jouxte des zones forestières fragiles où

vivent des dizaines de communautés pygmées. Les indemnités consenties aux populations affectées ont été dérisoires (voir Los Angeles Times, 17 juin 2003).

Ce projet est soutenu avec enthousiasme par les autorités tchadiennes et camerounaises car le contrat prévoit que, sur une période de 30 ans, le Tchad (où se trouve le champ pétrolier) recevra 2,5 milliards

de dollars et le Cameroun, 500 millions. La Banque mondiale et le gouvernement des Etats-Unis

mènent une campagne active de propagande sur les bienfaits supposés du projet. Localement, les autorités tchadiennes et camerounaises font de même. La presse internationale n’est pas en reste. Voici

un morceau de prose qui l’illustre. Sous le titre « Dans la guerre contre la pauvreté, l’oléoduc du

Tchad joue un rôle surprenant : pour libérer des richesses enfouies, l’Etat renonce à contrôler ses dépenses en liquide », le quotidien financier The Wall Street Journal (WSJ) écrivait en première page

de son édition du 26 juin 2003 : « Dans un autre désert s’élève la poussière d’un autre projet fondateur d’état. Les énormes camions et équipements de forage déployés par le consortium dirigé par Exxon-Mobil rugissent à travers sable et maquis de Kome (Tchad) où ils sont affectés à l’un des plus importants investissements privés en Afrique sub-saharienne (3,5 milliards) ». En lisant le WSJ, on se croit revenu au temps de Livingstone et de Stanley : « Le brut coule sur 663 miles par un oléoduc qui se glisse sous des fleuves infestés d’hippos, des savanes brûlées par le soleil, la forêt vierge et les terrains de chasse des Pygmées Bakola, avant d’aller se déverser dans des cuves géantes arrimées dans la houle atlantique au large des côtes camerounaises. C’est là la partie la plus simple”. Ensuite vient le couplet humanitaire: « L’itinéraire suivi par l’argent du pétrole tchadien est plus aventureux. Pour la première fois, un pays a accepté de renoncer à son contrôle sur la façon dont est dépensé l’argent gagné sur ses réserves de pétrole. Les bénéfices de la vente du pétrole des trois premiers champs d’exploitation tchadiens (dont on prévoit qu’ils dépasseront les 100 millions de dollars par an, soit presque le double des rentrées fiscales du pays) passeront eux par un pipeline financier conçu par la Banque mondiale et d’autres organismes extérieurs et contrôlé par un comité tchadien qui rassemble des personnalités chrétiennes et musulmanes ainsi que d’autres dirigeants locaux. Leur rôle est de s’assurer que l’argent est bien dépensé pour des projets de développement comme des écoles, des dispensaires et des routes au lieu de disparaître dans des comptes secrets à

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l’étranger (comme cela s’est produit au Nigeria) ou de servir à alimenter des guerres civiles (comme en Angola ou au Soudan) ». La dimension stratégique n’est pas absente : “S’il réussit, le projet (…) pourrait fournir un modèle montrant comment transnationales, associations d’entraide et Etats peuvent collaborer pour exploiter les richesses minérales de l’Iraq ou d’autres pays”. L’intérêt des Etats-Unis n’est pas oublié : “Pour les Etats-Unis, le projet tchadien représente une importante source de pétrole à côté du Moyen Orient et donc, par l’intermédiaire d’Exxon, une autre façon de s’installer en Afrique ”. Enfin, le couplet sur la lutte contre la pauvreté: « Le projet pourrait aussi ouvrir un nouveau front essentiel dans la lutte contre la pauvreté qui nourrit la haine sur laquelle fleurit le terrorisme ».

Ce que le WSJ ne relève pas, c’est qu’en 2000, la Banque mondiale a dû suspendre momentanément l’envoi de fonds car le dictateur tchadien Idriss Déby avait utilisé les premiers millions de dollars pour

acheter des armes afin de renforcer son régime. En 2003, Idriss Déby a démis le président du comité

de pilotage chargé de contrôler la bonne utilisation des fonds. De toute manière, l’ensemble du schéma monté par la Banque mondiale et les transnationales pétrolières est à remettre en cause : extraction des

ressources sans transformation sur place, abandon de contrôle sur des ressources stratégiques, dégâts

environnementaux et sociaux considérables, soutien à des régimes antidémocratiques et corrompus…

9.8. Epilogue En 2000, la Banque mondiale a commandité une étude indépendante sur l’impact des projets qu’elle

soutenait dans le secteur des industries extractives17. La question principale que la Banque posait était en substance la suivante : dans quelle mesure l’investissement que réalise le Groupe de la Banque

mondiale dans les industries extractives contribue-t-il à avancer vers un développement durable ? Question subsidiaire : Quel doit être dans le futur le rôle de la Banque mondiale dans ce domaine ?

Fin 2003, le rapport de la commission indépendante recommandait notamment à la Banque de « supprimer peu à peu son soutien à de nouveaux investissements dans le secteur du pétrole et des mines de charbon »18, et, en substance, de demander le consentement préalable aux résidents de

l’endroit où la Banque compte réaliser un investissement après les avoir informer de la nature du projet19. La direction de la Banque ne cache pas les difficultés générées par de telles recommandations.

Au moment où ces lignes sont écrites, sa décision n’est pas encore connue mais il est probable qu’elle ne suivra pas les recommandations mentionnées plus haut.

17 L’information contenue dans ce qui suit provient d’une note interne de la Banque intitulée « Status note on the extractive industries review », datée du 9 mars 2004, que m’a fait parvenir aimablement Monsieur Joseph K. Ingram, représentant spécial du Groupe de la Banque mondiale auprès des Nations unies et de l’OMC à Genève. On trouve sur la toile Internet des informations relatives au rapport de la commission indépendante ainsi que sur les activités de la Banque dans le secteur des industries extractives : http://www2.ifc.org/ogmc/index.htm. Le rapport est accessible en anglais sur : www.eireview.org. 18 “phase out its support for new investments in the oil and coal sectors”, extrait de « Status note on the extractive industries review », datée du 9 mars 2004, p.2. 19 “adopt un rule requirring ‘prior informed consent’ by local residents as a precondition for investments”, extrait de « Status note on the extractive industries review », datée du 9 mars 2004, p.2.

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Chapitre 10

La BIRD, l’ONU et les revendications des PED La BIRD et le FMI sont des institutions spécialisées de l’ONU, en principe comparables à l’Organisation Internationale du Travail ou à la FAO. A ce titre, elles sont censées collaborer étroitement avec les organes des Nations unies et les autres institutions spécialisées à la poursuite des objectifs figurant dans la Charte et dans la déclaration universelle des droits humains. La BIRD et le FMI ont tenté dès le début de se soustraire largement aux obligations auxquelles sont tenues les organisations membres du système des Nations unies. En ce qui concerne la BIRD, bien que sa mission d’aide au développement eut dû l’amener à rechercher un rapprochement avec l’ONU, ses dirigeants ont agi avec succès afin de mettre la BIRD hors de portée de celle-ci. La BIRD et le FMI ont joué un rôle actif dans la guerre froide et plus tard dans la réaction des dirigeants des pays les plus industrialisés face à la montée en puissance des PED qui revendiquaient un Nouvel Ordre Economique International. Les gouvernants des pays capitalistes les plus industrialisés en s’appuyant sur la BIRD qu’ils contrôlaient ont réussi à empêcher les pays en développement d’obtenir la création dans le cadre de l’ONU d’une institution spécialisée dans le financement du développement. En effet, l’Association internationale pour le développement voulue par les Etats-Unis a été fondée en tant que branche spécifique de la BIRD. De leur côté, malgré ce déboire, les pays en développement ont réussi progressivement à partir de la seconde moitié des années 1950 à constituer un front (le mouvement des non-alignés) et à imprimer leur marque aux résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU. Ils ont obtenu la création de la CNUCED mais celle-ci a vu ses compétences limitées systématiquement suite à l’intervention des gouvernements des pays les plus industrialisés qui l’ont perçue comme une grave menace. Alors que la CNUCED aurait pu jouer un rôle clé au niveau du commerce mondial, c’est dans un cadre plus informel et plus ancien, celui du GATT, que les négociations et discussions fondamentales sur le commerce se poursuivirent et aboutirent en pleine période néolibérale à la fondation en 1995 de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Dans un chapitre ultérieur, nous verrons que la BIRD, le FMI et l’OMC ont renforcé leur collaboration et leur influence sur les PED en réduisant l’espace d’intervention de l’ONU.

10.1. La Charte des Nations unies et les institutions spécialisées

Selon l'article 57 paragraphe 1 de la Charte des Nations unies, les diverses institutions spécialisées créées par accords intergouvernementaux et pourvues, aux termes de leurs statuts, d'attributions

internationales étendues dans les domaines économique, social, de la culture intellectuelle et de

l'éducation, de la santé publique et autres domaines connexes sont reliées à l'Organisation à travers le Conseil économique et social de l'ONU (CES, mieux connu sous l’abréviation anglaise ECOSOC).

L'article 62 paragraphe 1 dispose ce qui suit : "Le Conseil économique et social peut faire ou provoquer des études et des rapports sur des questions internationales dans les domaines économique, social, de la culture intellectuelle et de l'éducation, de la santé publique et autres domaines connexes et peut adresser des recommandations sur toutes ces questions à l'Assemblée générale, aux Membres de l'Organisation et aux institutions spécialisées intéressées".

C'est l'ONU qui, par le biais des organes compétents, en ce cas, le CES (article 60), fait des

recommandations en vue de coordonner les programmes et activités des institutions spécialisées (article 58). A cet effet, le CES dispose des pouvoirs qui lui sont attribués aux termes du Chapitre X de

la Charte. C'est cependant l'Assemblée générale qui dispose des pouvoirs nécessaires, le CES agissant sous son autorité.

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Nous allons voir que, d'un point de vue historique et contrairement à ce qu'ils affirment, le FMI et la BIRD sont des institutions spécialisées des Nations Unies. En tant qu'institutions spécialisées, elles

sont liées par la Charte des Nations unies. Le système onusien est basé sur la coopération internationale, et notamment sur la Coopération économique et sociale internationale .

Selon l'article 55, en vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer

entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, les Nations unies agiront, parmi d'autres, en

faveur :

a. du relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l'ordre économique et social; b. de la solution des problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes, et la coopération internationale dans les domaines de la culture intellectuelle et de l'éducation; c. du respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.

En outre, les Nations unies poursuivent certains buts qui peuvent être résumés comme suit: 1. Maintenir la paix et la sécurité internationales;

2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes;

3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre

économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue

ou de religion (Article 1).

Tout le système des Nations unies est fondé sur les principes suivants : 1. égalité souveraine de tous ses Membres.

2. les Membres doivent remplir de bonne foi les obligations qu'ils ont assumées aux termes de la Charte.

Il est donc inévitable de se poser la question suivante : la BIRD et le FMI sont-ils tenus de respecter les obligations énoncées dans la Charte des Nations unies, incluant l'obligation de respecter les droits

humains?

Malgré l’évolution qualitative du droit international dans ce dernier domaine, il a été souligné dans un rapport récent présenté à la Commission des droits de l’homme de l’ONU, que le FMI « …considère toujours que son mandat ne comprend pas le respect des droits de l’homme… »1. Cela impliquerait que selon son droit positif (les statuts du FMI) dans la mise en œuvre des politiques économiques et

financières, les responsables, en tant que fonctionnaires internationaux, ne sont pas tenus prima facie

de prendre en compte le respect des droits humains.

A cela s’ajoute le fait que, traditionnellement, ces institutions, en particulier la BIRD, utilisent l’argument de « non politisation » de leurs activités. Cela signifie-t-il que les règles régissant la

protection des droits de l’homme ne leur sont pas applicables ou que leur inclusion dans leurs

politiques n’est qu’un acte de bonne volonté, c’est-à-dire, non contraignant? La réponse est négative.

1 ONU-CDH, Droits économiques, sociaux et culturels, Droits de l’homme et extrême pauvreté, Rapport établi par l’experte indépendante Anne-Marie Lizin, E/CN.4/2004/43, 23 février 2004, § 48.

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En tant qu'institution spécialisée des Nations unies, la Banque mondiale est soumise, d'une part, aux règles qui y sont énoncées et d'autre part, au droit coutumier, dont les droits humains font

indiscutablement partie.

La Cour internationale de justice l'a bien rappelé dans l'affaire de Barcelone Traction et dans celle du

Timor Oriental2 : les statuts de la Banque mondiale sont entièrement traversés par les obligations découlant du droit coutumier, en particulier par les obligations de respecter les règles dites erga omnes et jus cogens. Plus encore, en tant qu'organisation internationale, elle est entièrement soumise au droit

international. En tant que sujet de droit, elle a des droits et des obligations. S’il est exact qu'en tant qu’institutions spécialisées de l’ONU, la BIRD et le FMI en sont fonctionnellement indépendants, il

leur appartient cependant de respecter les droits humains et le droit coutumier en général. Cette obligation ne s’applique pas uniquement aux Etats, mais encore à tous les sujets et organes de la

société internationale.

Les IFI sont donc tenues de respecter les droits de l'Homme dans l'élaboration et la mise en œuvre de leurs politiques : aucun sujet de droit international ne peut se soustraire à ces obligations en invoquant

l’absence de mandat explicite ou l’argument de la « non politisation », ou encore moins une

interprétation restrictive des droits économiques, sociaux et culturels comme étant des éléments moins contraignants que les droits civils et politiques.

Ce dernier aspect a été bien souligné par Eric David qui affirme, en ce qui concerne le droit applicable aux IFI, ce qui suit : « …les droits plus spécifiquement concernés par une situation de dégradation économique et sociale sont les droits économiques, sociaux et culturels. Une telle situation menace en effet la jouissance de ces droits par des catégories plus ou moins larges de la population. Il n'est d'ailleurs pas exagéré de dire que les situations d'extrême pauvreté aboutissent à une violation d'à peu près tous les droits économiques, sociaux et culturels… »3. L’auteur précité continue « … si les droits affectés par les PAS sont a priori les droits économiques et sociaux, il peut arriver que par ricochet, l'atteinte à ces droits entraîne aussi une violation des droits civils et politiques des personnes concernées »4.

10.2. Les relations difficiles entre l’ONU, la BIRD et le FMI : retour sur le début des relations

En mars 1946, lors de la première réunion des gouverneurs de la BM et du FMI, le président d’ECOSOC remit une lettre à la direction de la Banque lui demandant d’établir des mécanismes de

liaison avec son organisation. La Banque reporta la discussion à la réunion des directeurs exécutifs qui

devait se tenir en mai 1946. En réalité, il y avait tellement peu d’empressement de la part de la Banque à établir une relation de collaboration avec les Nations unies en général et ECOSOC en particulier,

qu’il fallut attendre novembre 1947 pour arriver à un accord entre les parties concernées. Selon Mason et Asher, historiens officiels de la Banque, les négociations ne furent pas particulièrement cordiales5.

La première lettre d’ECOSOC n’ayant pas reçu de réponse, une deuxième fut envoyée à laquelle les

2 CIJ, Recueil, 1970 et CIJ, Recueil, 1996 3 DAVID E, « Conclusions de l’atelier juridique: les institutions financières internationales et le droit international », Les institutions financières internationales et le droit international, ULB, Bruylant, Bruxelles, 1999, § 2. 4 Idem, § 4. 5 MASON Edward S. et ASHER, Robert E. 1973. The World Bank since Bretton Woods, The Brookings Institution, Washington, D.C., p.55.

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125

directeurs exécutifs de la Banque répondirent qu’une rencontre, selon eux, était prématurée. Entre temps, les Nations unies avaient déjà conclu des accords de collaboration avec l’Organisation

internationale du travail, l’UNESCO et la FAO.

En juillet 1946, au cours d’une troisième tentative, le secrétaire de l’ONU proposa à la Banque et au

FMI d’entamer les négociations en septembre 1946. Les dirigeants du FMI et de la Banque se réunirent et décidèrent qu’il n’était pas opportun de tenir une telle réunion. Mason et Asher

commentent ces manœuvres dilatoires de la manière suivante : « La Banque craignait très fort qu’en devenant une agence spécialisée de l’ONU, elle soit soumise à un contrôle ou à une influence politique indésirable et que cela fasse du tort à sa notation (credit rating) à Wall Street… »6.

Finalement, la Banque adopta un projet à soumettre à la discussion avec les Nations unies qui, selon les termes des historiens de la Banque, était plus une déclaration d’indépendance qu’une déclaration de

collaboration. Elle donna lieu à une journée de discussion au quartier général de l’ONU au cours de

laquelle le président de la Banque, John J. McCloy, accepta de mettre un peu d’eau dans son vin.

Bien qu’accepté par le comité de négociation d’ECOSOC, l’accord intervenu souleva un tollé dans

ECOSOC et à l’Assemblée générale. Lors de la session de 1947 d’ECOSOC, le représentant de l’Union soviétique qualifia le projet d’accord de violation flagrante d’au moins quatre articles de la

Charte de l’ONU. Plus gênant pour les responsables de la Banque et, derrière eux, les Etats-Unis, fut l’attaque lancée par le représentant de la Norvège (pays d’où provenait le secrétaire général de l’ONU,

Trygve Lie) qui déclara que la Norvège ne pouvait accepter que de tels privilèges soient accordés à la

Banque et au Fonds car cela minerait l’autorité des Nations unies. Le représentant des Etats-Unis intervint pour dire que rien ne minerait plus les Nations unies qu’une incapacité à se mettre d’accord

avec la Banque et le Fonds. Finalement, ECOSOC adopta (majorité contre opposition : 13 pour, 3

contre et 2 abstentions) le projet qui fut ratifié en septembre 1947 par le conseil des gouverneurs de la Banque (le gouverneur représentant la Yougoslavie s’abstenant). L’accord fut approuvé par

l’Assemblée générale des Nations unies en novembre 1947.

Cet accord ratifie le statut d’organisation spécialisée de l’ONU mais, à la demande de la Banque, lui

permet de fonctionner comme une «organisation internationale indépendante». Dans le même sens, il autorise la Banque à juger elle-même quelles sont les informations utiles à communiquer à ECOSOC,

ce qui est de fait une dérogation à l’article 17 alinéa 3 et à l’article 64 de la Charte des Nations unies

(l’article 64 autorise ECOSOC à obtenir des rapports réguliers de la part des agences spécialisées). Il y a aussi de fait une dérogation à l’article 70 qui prévoit une représentation réciproque à chaque

délibération, la Banque et le Fonds se réservant le droit de n’inviter des représentants des Nations unies qu’à la réunion du conseil des gouverneurs. Dans leur jugement, les historiens de la Banque

déclarent que cet accord était insatisfaisant aux yeux du secrétariat des Nations unies mais qu’il avait

dû se résigner à l’accepter. Ils ajoutent que « le président de la Banque McCloy ne pouvait pas être classé comme un admirateur des Nations unies et Garner (vice-président de la Banque, NDA) était considéré comme anti-ONU »7.

6 Idem, p.56. 7 Ibid., p.59.

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10.3. La création de la SFI et de l’AID8

Dès le début des activités de la Banque, les gouvernements des pays en développement, à commencer

par ceux d’Amérique latine suivis ensuite par l’Inde, critiquèrent le fait qu’il n’existait pas de facilités équivalentes au plan Marshall limité à l’Europe et au Japon. En effet, les prêts de la BM étaient

accordés au taux d’intérêt du marché tandis que les prêts octroyés dans le cadre du plan Marshall l’étaient soit sans intérêt soit à des taux d’intérêt inférieurs à ceux du marché.

Dès 1949, un économiste indien proposa la création d’une nouvelle organisation internationale dans le

cadre de l’ONU. Il proposait de l’appeler « Administration des Nations unies pour le développement économique ». Quelques années plus tard, l’idée émergea à nouveau au sein d’ECOSOC et le

SUNFED (Special United Nations Fund for Economic Development) fut mis en place. De 1950 à

1960, trois pays menèrent systématiquement campagne dans l’ONU afin de donner corps et puis de renforcer le SUNFED : il s’agit du Chili, de l’Inde et de la Yougoslavie. Le gouvernement des Etats-

Unis et ceux des autres grandes puissances capitalistes industrielles ne voulaient pas entendre parler d’un fonds spécial contrôlé par l’ONU et séparé de la Banque mondiale.

Parmi les raisons qui poussaient les PED à exiger la mise en place d’une agence spécialisée de l’ONU

pour financer leur développement, figurait la question du droit de vote en son sein. Ils voulaient une agence de l’ONU de manière à garantir l’application de la règle « un pays, une voix » par opposition à

la règle de type censitaire appliquée à la Banque. C’est pour la même raison que les Etats-Unis et les

autres puissances s’opposaient frontalement à la proposition.

Selon les historiens officiels de la Banque, Mason et Asher et plus tard, Catherine Gwin, les Etats-Unis lancèrent en 1954 une contre proposition qui fut mise en pratique dès 1956 par la Banque avec la

création de la Société financière internationale (SFI), destinée à accorder des prêts aux entreprises

privées des PED9. La création de la SFI ne régla pas le contentieux et la campagne des PED en faveur du SUNFED redoubla et ils obtinrent en 1958 l’établissement du Fonds spécial des Nations unies

(United Nations Special Fund) habilité à financer les pré-investissements dans les PED.

En conséquence, le gouvernement des Etats-Unis proposa la création de l’Association internationale pour le développement (AID). Il voulait faire d’une pierre deux coups : d’une part, empêcher les

Nations unies de doter leur Fonds spécial en en faisant un véritable SUNFED, capable de répondre aux besoins des PED, et d’autre part, trouver un moyen d’utiliser les réserves en monnaies des PED que le

Trésor états-unien avait accumulées depuis 1954 grâce à la vente de ses surplus agricoles dans le cadre

de la loi 48010. Plusieurs auteurs s’accordent à considérer que c’est le sénateur Mike Monroney de l’Oklahoma qui lança le premier l’idée en soumettant une résolution au Sénat qui proposait

l’établissement de l’AID en coopération avec la BIRD et proposait que les réserves en monnaies non

convertibles soient versées à cette agence afin d’accorder des prêts à long terme et à bas taux d’intérêt, remboursables eux-mêmes en monnaie locale. Dans une interview réalisée plus tard, le président de la

Banque Eugène Black déclara : « L’AID était vraiment une bonne idée pour compenser le désir d’un SUNFED »11 (c’est moi qui traduis). Il vaut la peine ici de citer Mason et Asher qui déclarent : « En

8 Cette partie de la thèse est écrite sur la base de Art van de Laar, The World Bank and the Poor (Boston, The Hague and London, Martinus Nijhoff Publishing, 1980, p. 56-59; Mason and Asher, Since Bretton Woods, pp. 380-419 ; Catherine Gwin, “U.S. relations with the World Bank, 1945-1992”, in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, pp.205-209; RICH, Bruce. 1994. Mortgaging the earth, Earthscan, London, p.77. 9 MASON et ASHER, p.384-385 ; Catherine GWIN, p.206 ; AART VAN DE LAAR, p.57. 10 AART VAN DE LAAR, p.57; Catherine GWIN, p.206 ; MASON et ASHER, p.386-387. 11 “IDA was really an idea to offset the urge for SUNFED”, MASON et ASHER, p.386.

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tant qu’organisation internationale affiliée à la Banque mondiale, l’AID était une fiction sophistiquée. Appelée « association » et dotée de statuts, de fonctionnaires, de membres de gouvernements à profusion et de tous les signes extérieurs des autres agences internationales, elle était simplement un fonds administré par la Banque mondiale »12 (c’est moi qui traduis).

10.4. CNUCED : de l’espoir du Nouvel Ordre Economique International au repli dans le contexte de la crise de la dette et du néolibéralisme La CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), créée en 1964 dans la foulée de la nouvelle vague d'indépendances et sous la pression des gouvernements du Sud

pour favoriser l'émergence d'un nouvel ordre économique international13, a constitué la première

institution spécialisée de l’ONU où s’est posé de manière critique et volontariste le problème de l’inégalité entre les nations dans le monde sur la base d’un rapport Nord/Sud. En effet, cette institution

onusienne avait la particularité d’être constituée de groupes de pays. A l’origine, elle en comptait quatre : le groupe A (Afrique, Asie et Yougoslavie) ; le groupe B (les pays capitalistes développés) ; le

groupe C (Amérique latine et Caraïbe) ; le groupe D (le bloc soviétique européen). Par la suite, les

groupes A et C ont fusionné et ont constitué le “ groupe des 77 ” (ils étaient au départ 77 pays). Le groupe B s’est auto-dissout en 1991 et du groupe D, il ne reste plus rien. Aujourd’hui, le Groupe des

77 compte un peu plus de 130 membres (il s’est réuni à La Havane en avril 2000) mais il a perdu

beaucoup de sa force14.

Le premier directeur de la CNUCED, l’Argentin Raùl Prebisch, avait déjà acquis une longue expérience au sein de la Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine (CEPAL)

qu’il avait rejointe dès 1949. Il avait contribué à élaborer une politique de développement qui irritait

profondément les pays capitalistes du Centre et, en fait, heurtait carrément leurs intérêts. Elle ne mettait pourtant pas en avant un ample programme de réformes sociales qui aurait favorisé la

redistribution de la richesse dans les sociétés périphériques en faveur des couches populaires et au détriment des capitalistes tant de la Périphérie que du Centre. Néanmoins, la politique recommandée

par la CEPAL et par Raùl Prebisch heurtait les intérêts des pays capitalistes du Centre car elle

favorisait, entre autres, la naissance d’industries dans la Périphérie sous le contrôle des gouvernements des pays périphériques ; elle visait à substituer aux importations en provenance des pays les plus

industrialisés des productions industrielles locales selon le modèle de l’Industrialisation par

Substitution d’Importation (ISI).

La CNUCED allait poursuivre cette démarche en offrant un cadre unitaire institutionnel aux gouvernements des pays de la Périphérie. La CNUCED allait contribuer à renforcer la position des

gouvernements qui exigeaient un Nouvel Ordre Economique International (NOEI) en mettant en avant

de nouvelles politiques commerciales permettant aux pays de la Périphérie de bâtir leur propre avenir.

12 “As an international organization affiliated with the World Bank, IDA is an elaborate fiction. Called an « association » and possessed of Articles of Agreement, officers, governmental members galore, and all the trappings of other international agencies, it is as yet simply a fund administered by the World Bank.” MASON et ASHER, p.380-381. 13 Pour une mise en perspective de l’évolution de la CNUCED, voir THERIEN, Jean-Philippe. 1990. Une Voix du Sud : le discours de la Cnuced, L’Harmattan, Paris. Voir également Bello, “UNCTAD : Time to lead, Time to challenge the WTO ” in BELLO, Walden. 2000a. Why reform of the WTO is the wrong agenda. Four essays on four institutions: WTO, UNCTAD, IMF and the World Bank, Focus on the Global South, Bangkok, 61 p. 14 Site Internet du G77 : www.g77.org.

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Un moment de tension maximum entre gouvernements du Centre et de la Périphérie fut atteint en 1974 lorsque l’Assemblée générale de l’ONU tint une session extraordinaire sur le thème du NOEI à l’issue

de laquelle elle adopta un plan d’action. Sur sa lancée, le 14 décembre 1974, l’Assemblée générale de l’ONU adopta la “ Charte des droits et devoirs économiques des Etats ” qui concrétisait le NOEI. La

charte fut approuvée par une écrasante majorité : 120 voix pour, 6 contre et 10 abstentions. Les six

voix contre (Etats-Unis, Grande-Bretagne, République Fédérale d’Allemagne, Belgique, Luxembourg et Danemark) et les dix abstentions (France, Japon, Italie, Canada, Pays-Bas, Autriche, Norvège,

Israël, Irlande et Espagne) provenaient toutes de pays capitalistes du Centre auxquels s’ajoutait Israël.

L’article 2 du texte adopté affirmait le droit des Etats à nationaliser les propriétés et les ressources naturelles jusque là en possession d’investisseurs étrangers et proposait la création de cartels de

producteurs de matières premières. On mesure trente ans plus tard à quel point ce vote à l’ONU a pu provoquer le ressentiment des gouvernants des pays les plus industrialisés. Ils n’avaient pas été

habitués à un tel traitement. Leur fureur était d’autant plus grande que l’OPEP venait un an plus tôt

d’imposer grâce à une action concertée une très forte augmentation du prix du pétrole. C’était également l’époque où d’importantes nationalisations d’entreprises pétrolières et autres avaient été

effectivement mises en œuvre par des gouvernements de la Périphérie.

L’explosion de la crise de la dette en 1982 allait permettre aux gouvernements des pays les plus

industrialisés et aux transnationales dont ils défendaient les intérêts de prendre leur revanche.

C’est dans ce contexte historique qu’il faut situer la courbe rentrante de la CNUCED à partir de 1983.

Sa direction fut remise au pas sous la pression des gouvernements des pays du Centre qui poussaient dans cette direction depuis des années. L’OCDE (dont le siège était à Paris), qui les rassemblait, était

un des lieux institutionnels où s’affirmait explicitement l’opposition radicale au NOEI. Les rencontres

informelles entre chefs d’Etat et de gouvernement du G5 (initiées en 1975 entre les Etats-Unis, le Japon, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France) s’élargissant par la suite au Canada et à l’Italie

sous la forme du G7 allaient constituer un autre lieu où se préparaient la reprise en main de la situation internationale ainsi que la mise au pas de l’ONU et de la CNUCED. La BIRD, entièrement dominée

par le gouvernement des Etats-Unis, jouait également un rôle fondamental dans le retour de manivelle.

Alors que la CNUCED aurait pu jouer un rôle clé au niveau du commerce mondial, c’est dans un cadre plus informel et plus ancien, celui du GATT, que les négociations et discussions fondamentales sur le

commerce se poursuivirent et aboutirent en pleine ère néolibérale, une douzaine d’années plus tard, à

la fondation en 1995 de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce).

L'abandon d'une politique de développement relativement autonome par les pays du tiers-monde et par les pays de l'ex-bloc soviétique sous le double impact de la crise de l'endettement extérieur et de la

crise de leur modèle de développement, d'une part, la croissance du pouvoir des transnationales et le

type de politique imposée par le FMI et la BIRD, d'autre part, ont amené la plupart de ces pays à se livrer bataille afin d'attirer chacun davantage d'investissements directs de la part des transnationales. Ils se sont également livrés bataille, sous la conduite des deux institutions précitées, rejointes plus tard par l’OMC, en réorientant leur production vers le “tout à l'exportation”.

En comparant les rapports de la CNUCED du début des années 1990 aux documents qu’elle produisit entre 1964 et le début des années 1980, on mesure l’ampleur de la courbe rentrante qu’elle a opérée.

C’est comme si la CNUCED s'était mise au service des transnationales et de la politique du “tout à

l'exportation” en rédigeant des rapports pour expliquer aux gouvernements du Sud comment attirer les

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investissements et comment se concurrencer entre eux. On peut résumer le message du rapport de la CNUCED pour l'année 1993 par “Hors des transnationales : point de salut !”15.

Le tournant s’est donc accentué au début des années 1990 mais par la suite, on note, au fil des crises à

répétition, une politique de zigzags : certains rapports de la CNUCED épousent, certes avec un bémol,

le credo néolibéral, d’autres penchent vers un retour aux sources. C’est ainsi que dans son rapport de 1995 sur le commerce et le développement, la CNUCED propose

un impôt exceptionnel sur la fortune et une taxation des transferts financiers internationaux dans

l'esprit des propositions de James Tobin. Mais dans le rapport le commerce et le développement de 1997, la CNUCED adopte une tonalité néo-libérale. Son secrétaire général, M. Rubens Ricupero,

déclare : “Les gouvernements doivent encourager les politiques libérales en matière d’investissement et de commerce ainsi qu’une culture de la concurrence, afin de maximiser le potentiel de leurs économies” (CNUCED, communiqué de presse du 21 septembre 1997).

Lorsque la crise a éclaté dans le Sud-Est asiatique en 1997, la CNUCED a adopté un ton critique de

plus en plus ferme à l’égard des politiques dictées par le G7, la BM et le FMI. Dans l’Aperçu général

du Rapport 2001 sur le Commerce et le Développement, on peut lire sous la signature de Rubens Ricupero: “ Depuis un certain temps, le secrétariat de la CNUCED met en garde contre les excès de la libéralisation financière, qui créent un monde où l’instabilité est systémique et les crises récurrentes. (…) Les marchés peuvent se tromper et ils se trompent, aussi bien dans les pays en développement que dans les pays développés ”. Plus loin, le Secrétaire général de la CNUCED défend

une optique qui le rapproche de la démarche originelle de cette institution : “Les propositions relatives à de nouvelles institutions internationales expressément conçues pour réguler et stabiliser les flux de capitaux internationaux ont été immédiatement et sommairement rejetées par des critiques qui n’ont voulu y voir que l’œuvre d’originaux dénués de tout sens politique et de compétences techniques ”. La critique de l’intervention du FMI et de la BM dans les crises se fait précise : “ Ces plans… transfèrent le fardeau de la crise sur les contribuables dans les pays débiteurs ”. Rubens Ricupero propose qu’en cas de crise, les pays endettés recourent à l’arrêt provisoire des paiements : “ Depuis un certain temps déjà, le secrétariat de la CNUCED préconise un gel temporaire des remboursements de la dette dans les situations de crise pour empêcher un accaparement d’actifs par les créanciers ”16.

Le Rapport 2002 sur le Commerce et le Développement met l’accent sur les limites de l’apparent

succès des nouveaux pays industrialisés en indiquant que la majorité d’entre eux ne parvient pas réellement à augmenter sa part dans la production requérant une haute qualification17.

Dès l’introduction de l’Aperçu général du Rapport 2002, la CNUCED semble à nouveau retourner aux sources : « Dans l’allocution qu’il a prononcée en mars 1964 à la première session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, Raúl Prebish, premier Secrétaire général de la CNUCED, a invité les pays industrialisés à ne pas sous-estimer le problème fondamental auquel les pays en développement se trouvaient confrontés dans le système existant. (…) Raúl Prebisch avait compris que le fait de recommander “le libre jeu des forces du marché” entre partenaires inégaux ne

15 Voir DECORNOY, Jacques. 1993. « Hors des multinationales: point de salut ! », Le Monde diplomatique, septembre 1993. 16 CNUCED, Rapport sur le Commerce et le Développement 2001, Aperçu général. 17 Idem, p.7 et 8.

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pourrait que pénaliser les exportateurs pauvres de produits de base tout en avantageant le noyau riche des pays industrialisés »18. Cette évolution contradictoire de la CNUCED renvoie au repli opéré par les gouvernements des pays

de la Périphérie à partir de la dernière partie des années 1970, à la complicité de la plupart d’entre eux

avec les tenants de l’offensive néolibérale. Pour comprendre le regain d’esprit critique dont la CNUCED fait parfois preuve depuis la crise asiatique, il faut faire intervenir l’impasse fondamentale

dans laquelle se trouvent les gouvernements de la Périphérie qui acceptent systématiquement les règles

du jeu fixées par le G7, le trio FMI/BM/OMC et les transnationales. Face à cette impasse, la politique nationaliste d’un gouvernement comme celui de la Malaisie offre une sorte d’alternative (certes, très

limitée). Ce gouvernement a démontré en 1998 qu’il était possible de mieux s’en sortir que les autres en établissant un contrôle des changes et des mouvements de capitaux. Fondamentalement, l’avenir de

la CNUCED va dépendre des stratégies qu’adopteront les gouvernements de la Périphérie notamment

sous la pression des mobilisations populaires dans leur pays.

18 Ibid., p.1 et 2.

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Chapitre 11

Relations entre la Banque mondiale et les Etats-Unis La Banque mondiale est fermement sous le contrôle du gouvernement des Etats-Unis. Dès sa conception, d’ailleurs, le rôle qu'il y joue est déterminant. Ainsi, depuis son origine et jusqu’à aujourd’hui, le président de la Banque mondiale est un citoyen des Etats-Unis proposé par le gouvernement et les Etats-Unis sont les seuls à disposer d’un droit de veto à la BM. Ce chapitre présente les cas de cinq pays afin d’illustrer l’influence des Etats-Unis dans les choix opérés par la Banque : le Nicaragua, la Guatemala, la Yougoslavie, le Chili et le Vietnam. La direction de la BIRD justifie l’octroi de prêts par des raisons purement économiques mais en réalité, la politique d’octroi des prêts est déterminée par l’intervention du gouvernement des Etats-Unis auprès de la Banque sur la base d’objectifs principalement politiques. Au niveau économique, les Etats-Unis ont systématiquement usé de leur influence pour tenter de convaincre la Banque de ne pas octroyer de prêts pour faciliter la production de marchandises qui entreraient en compétition avec celles produites par les Etats-Unis. A plusieurs reprises, les intérêts des Etats-Unis ont coïncidé avec ceux d’autres puissances, l’attitude adoptée par la Banque étant la résultante de concertations étroites entre les Etats-Unis, la ou les autres puissances concernées et la Banque. Deux exemples dans ce chapitre : celui de l’attitude de la Banque concernant le projet de construction du barrage d’Assouan sous le régime de Gamal Abdel Nasser et celui de l’Iraq depuis l’occupation de son territoire par les troupes des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de leurs alliés en mars 2003. S’il y a parfois des divergences entre le gouvernement des Etats-Unis et la direction de la Banque, notamment en raison de rivalités partidaires, l’exécutif et les milieux d’affaires nord-américains se félicitent ouvertement de l’influence qu’ils exercent au sein de l’institution et des bénéfices qu’ils en retirent.

L’idée selon laquelle le Groupe de la Banque mondiale serait devenu une énorme bureaucratie qui se

serait progressivement affranchie de l’influence des Etats ne correspond pas à la réalité. Cette conception bien que non dénuée de tout fondement est erronée. Elle est notamment exprimée par

l’environnementaliste nord américain Bruce Rich dans son livre pénétrant sur la Banque mondiale1. En

réalité, le Groupe de la Banque mondiale est fermement sous le contrôle du gouvernement des Etats-Unis. Celui-ci négocie avec les gouvernements d’autres grandes puissances capitalistes la politique à

suivre ensemble au sein du Groupe de la Banque mondiale. Néanmoins, il lui arrive régulièrement de ne pas prendre la peine de réaliser les efforts nécessaires pour arriver à un consensus avec ses

principaux partenaires (depuis la fin des années 1950, il s’agit du Japon, de l’Allemagne, de la Grande

Bretagne et de la France) et d’imposer ses vues directement à la Banque. Il lui est arrivé aussi d’entrer dans une relation tendue avec le président de la Banque ou/et avec sa direction au sens large. Il faut

également tenir compte de l’intervention, plus ou moins active selon les époques, du Congrès des

Etats-Unis. A plusieurs reprises, l’exécutif des Etats-Unis a dû négocier avec le Congrès l’attitude à

1 « But the only fully consistent hypothesis to reconcile the discordant elements of the Bank’s actions, performance, and stated goals was that of a bureaucracy that had become an end in itself, driven by an institutional culture of expansion and a will to power for its own sake. » « Mais la seule hypothèse pleinement cohérente pour réconcilier les éléments discordants des actions de la Banque, de ses performances et de ses buts était celle d’une bureaucratie devenue une fin en soi, conduite par une culture institutionnelle d’expansion et une volonté de pouvoir pour le pouvoir » (c’est moi qui traduis). in RICH, Bruce. 1994. Mortgaging the earth, Earthscan, London, p.103.

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avoir à l’égard de la Banque et de ses activités2. La Banque mondiale bien que soumise de manière systématique à l’exercice de l’influence des Etats-Unis ne dispose pas moins d’une certaine

autonomie, c’est là que se niche l’espace pour une logique propre qui entre parfois en conflit avec les intérêts immédiats du gouvernement des Etats-Unis.

« Au long de l’histoire de la BIRD, les Etats-Unis ont été l’actionnaire principal et le pays membre le plus influent. Le soutien des Etats-Unis à la Banque, les pressions qu’ils ont exercées sur elle, les critiques qu’ils ont exprimées à son égard ont joué un rôle central au cours de sa croissance, dans l’évolution de ses politiques, de ses programmes et de ses pratiques »3 (c’est moi qui traduis). C’est par ces phrases que commence le chapitre sur les relations entre les Etats-Unis et la Banque mondiale

de 1945 à 1992 publié dans le livre officiel commandité par la Banque mondiale pour retracer ses 50 premières années d’existence4.

D’autres extraits du même texte reproduits ci-après se passent de commentaires tant ils sont explicites :

«La direction de la Banque passe plus de temps à rencontrer et à consulter les Etats-Unis afin de répondre à leurs attentes qu’avec tout autre pays membre. Même si cette interaction intense n’a guère changé au cours des années, la manière dont les Etats-Unis mobilisent les autres pays membres afin qu’ils soutiennent leurs vues a, elle, changé considérablement. Initialement, l’influence des Etats-Unis était tellement prédominante que leurs positions et celles de la direction de la banque étaient indissociables »5 (c’est moi qui traduis).

« Les Etats-Unis ont considéré toutes les organisations multilatérales y compris la BM comme des instruments de leur politique étrangère, à utiliser pour atteindre leurs objectifs propres»6. « Les Etats-Unis ont souvent été contrariés par le processus de construction du consensus sur lequel repose la coopération multilatérale»7. « Le souci de contenir le communisme et le changement dans la puissance relative des Etats-Unis dans le monde expliquent en grande partie l’évolution des relations entre les Etats-Unis et la Banque mondiale au cours des 50 dernières années»8.

2 C’est une situation unique dans le monde. Aucun autre parlement n’a exercé un rôle aussi actif que celui des Etats-Unis en ce qui concerne le Groupe de la Banque mondiale (et le FMI). 3 “Throughout the history of the International Bank for Reconstruction and Development (the World bank), the United States has been the largest shareholder and most influential member country. U.S. support for, pressure on, and criticisms of the Bank have been central to its growth and the evolution of its policies, programs, and practices.”,Voir Catherine Gwin, “U.S. relations with the World Bank, 1945-1992”, in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p.195. 4 KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 1 et 2, 1275 p et 766 p. 5 « And the top management of the Bank spends much more time meeting with, consulting, and responding to the United States than it does with any other member country. Although this intense interaction has changed little over the years, the way the United States mobilizes other member countries in support of its views has change considerably. Initially, it was so predominant that its positions and the decision of the board were virtually indistinguishable”, Catherine Gwin, in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p.248. 6 “The United States has viewed all multilateral organizations, including the World Bank, as instruments of foreign policy to be used of specific U.S. aims and objectives”, Idem, p.195. 7 “The United States is often impatient with the processes of consensus building on which multilateral cooperation rests.”, Ibid., p.195.

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« La crise de la dette dans le Sud et la chute du communisme en Europe de l’Est ont produit un intérêt renouvelé des Etats-Unis à l’égard de la Banque mondiale»9.

11.1. Retour sur l’origine de la BIRD et l’influence des Etats-Unis « A la différence du FMI qui est le résultat d’une négociation intense entre les Etats-Unis et la Grande Bretagne, la Banque est largement la création des Etats-Unis. Le rôle des Etats-Unis a été reconnu par John Maynard Keynes dans ses paroles d’introduction à la conférence de Bretton Woods …»10. « Le résultat, c’est une influence puissante et durable des Etats-Unis sur tous les aspects de la Banque que ce soit sa structure, son orientation politique générale et la façon d’octroyer les prêts. »11 (c’est moi qui traduis).

Parmi les sujets qui divisaient les participants à la conférence de Bretton Woods, figurait la

localisation du siège de la Banque et du FMI. Le Trésor américain voulait qu'il soit établi à Washington, à portée de son influence, tandis que plusieurs délégations étrangères auraient préféré

New York de manière à établir une distance par rapport au gouvernement des Etats-Unis, d’une part, et à les rapprocher du siège futur des Nations unies, d’autre part. J.M. Keynes avait explicitement

demandé qu’on maintienne la Banque et le FMI à l’écart du Congrès des Etats-Unis et, ajoutait-il, de

l’influence des ambassades ; il fallait choisir New York pour siège. Le secrétaire d’Etat au Trésor, Henri Morgenthau, avait rétorqué qu’il fallait déplacer le centre du monde de Londres et de Wall

Street vers le Trésor des Etats-Unis. L’argumentation de Morgenthau était habile à l’égard des autres

délégations dans la mesure où à l’issue de la seconde guerre mondiale, l’empire britannique bien que chancelant était encore intact ; d’où, la volonté de ne pas placer le siège des nouvelles institutions

financières à Londres et à coté de la première place financière, la City de Londres. La deuxième partie de l’argument est aussi habile dans la mesure où Wall Street à New York était synonyme de la

domination du monde des affaires qui avaient produit la catastrophe de 1929.

Mais au-delà de l’habilité de l’argument, il est clair que sur le fond, Morgenthau voulait effectivement, comme il le déclare, placer le centre des nouvelles institutions financières à portée du Trésor. Mais ce

qu’il ne disait pas explicitement, car cela aurait réduit la force de son argument, c’est qu’il souhaitait

un lien étroit de la direction de la Banque avec le monde des affaires nord-américain. Sur les huit présidents de la BM, six, y compris le premier, provenaient directement du monde des affaires (voir la

fin de ce chapitre).

Revenons au débat entre Keynes et Morgenthau à propos de la BIRD. Pour éviter une trop forte

influence du gouvernement des Etats-Unis sur le comité de direction de la Banque, Keynes proposait que ses membres (les directeurs exécutifs) partagent leur activité entre leur pays d’origine et le siège

8 “A preoccupation with containing communism, and the change in the relative U.S. power in the world explain much of the evolution in U.S. relations with the World Bank over the past fifty years.”, Ibid., p.196. 9 “The debt crisis in the south and the collapse of communism in eastern Europe led to renewed U.S. interest in the Bank.”, Ibid., p.196. 10 “In contrast to the Fund, which the outcome intense negotiation between the United States and Britain, the Bank was largest an American creation. The U.S. role was acknowledged by John Maynard Keynes in his opening remarks at the Bretton Woods Conference”, Ibid., p.196. 11 “The result was a strong and endurcing American imprint on all aspects of the Bank, including its structure, general policy direction, and form of lending.”, Ibid., p.197.

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de la BIRD : il proposait donc qu’ils travaillent à temps partiel12. La proposition du Trésor a prévalu : les directeurs exécutifs sont résidents permanents à Washington et le siège des deux institutions est à

cinq minutes à pied de la Maison blanche.

Lors du vote au Congrès américain sur la participation des Etats-Unis à la Banque mondiale et au FMI,

s’est dégagée une majorité écrasante (345 contre 18 à la Chambre des représentants ; 61 contre 16 au Sénat), ce qui est assez inhabituel. C’est à comparer à la division, voire l’opposition, du Congrès

concernant la participation des Etats-Unis à l’Organisation Internationale du Commerce en 1947. Face

au danger de voir la ratification de la charte de La Havane rejetée par une majorité du Congrès, ou approuvée par une faible majorité, l’exécutif des Etats-Unis avait décidé de ne pas soumettre cette

question au vote. Philippe Vincent dit : « La Charte de la Havane n’entra cependant jamais en vigueur. Les Etats-Unis ne la ratifièrent jamais, en raison des nombreuses oppositions rencontrées au sein du Congrès. (…) Une organisation internationale du commerce sans participation des Etats-Unis, première puissance commerciale mondiale, n’avait plus aucun sens. Suite au rejet américain, les autres pays signataires abandonnèrent tout à tour l’idée de ratifier la Charte »13.

Comme déjà indiqué antérieurement, alors que la Banque avait été conçue principalement pour la reconstruction des pays dévastés par la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis préférèrent lancer

seuls le plan Marshall car ainsi ils contrôlaient totalement la marche des opérations et parce qu’ils pouvaient de la sorte recourir à des dons (voir chapitre 8).

Bien qu’elle ait joué un rôle somme toute marginal en termes de reconstruction, la Banque a

néanmoins octroyé certains prêts, à commencer par le premier de son histoire : 250 millions de dollars à la France en mai 194714. Selon la contribution de Catherine Gwin, le gouvernement des Etats-Unis

voulait que la Banque octroie un prêt à la France à condition que le Parti Communiste Français (PCF)

soit mis hors du gouvernement. Le département d’Etat a fait une démarche explicite et formelle en ce sens. Le PCF a été poussé hors de la coalition gouvernementale et, dans les heures qui suivirent, le

représentant de la Banque mondiale annonçait que le prêt de 250 millions de dollars était octroyé. Ce fait indique l’influence directe exercée par l’exécutif des Etats-Unis sur la Banque et les choix

politiques qui présidaient à cette intervention. Dans la même étude, l’auteur indique qu’en 1947, les

Etats-Unis sont intervenus avec succès pour empêcher l’octroi d’un prêt à la Pologne et à la Tchécoslovaquie car les gouvernements de ces pays comportaient des communistes15.

Dès son entrée en activité, la politique de la Banque mondiale est déterminée par le contexte de la guerre froide et l’orientation des Etats-Unis dans ce cadre.

12 RICH, Bruce. 1994. Mortgaging the earth, p.64 ; MASON Edward S. et ASHER, Robert E. 1973. The World Bank since Bretton Woods, p.30. 13 VINCENT, Philippe. 1998. “L’évolution du traitement des pays en développement au sein du GATT et de l’Organisation mondiale du commerce”, p.5-6. 14 C’est le premier et le plus volumineux prêt au cours des 50 années d’existence (voir KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 1: History, Brookings Institution Press, Washington, D.C., p.1218). 15 Voir Catherine Gwin, p.253-254. A noter que la Pologne se retire de la Banque mondiale le 14 mars 1950 et la Tchécoslovaquie, le 31 décembre 1954. L’Union soviétique qui était présente au début de la conférence de Bretton Woods, n’a pas participé à la mise en place du système.

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11.2. Le président de la BIRD a toujours été un citoyen des Etats-Unis proposé par le gouvernement des Etats-Unis Depuis son origine et jusqu’à aujourd’hui, le président de la Banque mondiale est un citoyen des Etats-

Unis proposé par le gouvernement. Les membres du Conseil des Gouverneurs se contentent de ratifier le candidat présenté par les Etats-Unis. Il s’agit d’un privilège et cela ne figure pas dans les statuts de

la Banque. Bien que le statut le permette, à aucun moment, jusqu’ici, un gouverneur de la BIRD ne

s’est aventuré – en tous cas, publiquement16 - à proposer un candidat d’un autre pays ou même un candidat états-unien autre que celui sélectionné par le gouvernement17.

11.3. Le droit de veto des Etats-Unis à la BM

De l’origine à nos jours, les Etats-Unis sont les seuls à disposer d’un droit de veto à la BM. A la création de celle-ci, les Etats-Unis disposaient de 35,07% des droits de vote18 ; à la dernière

modification des droits de vote, intervenue en 2002, ils disposent de 16,41%. A l'origine, en 1947

(année d’entrée en activité de la Banque), la majorité requise pour modifier les statuts était de 80% (détenus par au moins 60% des pays membres), ce qui donnait aux Etats-Unis un droit de veto puisqu'à

ce moment-là, ils disposaient de 37,20% des droits de vote. La vague d'indépendances des pays du Sud a accru le nombre de pays membres du Groupe de la Banque mondiale, diluant progressivement le

poids en voix des Etats-Unis. Mais ils ont pris soin de préserver leur droit de veto : en 1966, ils ne

disposaient plus que de 25,50% des droits de vote mais ce pourcentage était encore suffisant à cet effet.

Quand en 1987, cela ne fut plus tenable pour eux, la majorité qualifiée a été modifiée de façon très

opportune pour eux. En effet, cette année-là, le Japon19 a négocié avec les Etats-Unis une augmentation significative de ses droits de vote le plaçant comme le deuxième pays en importance

devant l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Afin de concéder cette augmentation à son allié japonais, les Etats-Unis ont accepté une réduction de leurs droits de vote à condition que la majorité requise soit

portée à 85%. De cette manière, tout en satisfaisant la demande du Japon, les Etats-Unis maintenaient

leur droit de veto.

« Les Etats-Unis sont aussi le membre dominant dans la direction de la Banque. Pas seulement parce qu’ils en sont le principal actionnaire. Formellement, la plupart des décisions de la Banque y compris celles se rapportant au niveau des prêts et à l’octroi de ceux-ci, requièrent une majorité simple. » Ce

qui veut dire que les Etats-Unis pourraient être mis en minorité. Mais l’auteur continue : « Les décisions sont souvent cependant préparées entre les Etats-Unis et la direction de la Banque avant même qu’ils arrivent au Conseil d’administration ou entre les membres du Conseil avant qu’ils soient appelés à voter. Et la majorité des décisions sont prises au consensus. Dès lors, c’est le poids de son

16 Aucune des sources que nous avons consultées ne mentionne l’existence d’un débat interne au Conseil des gouverneurs au cours duquel un candidat différent de celui du gouvernement aurait été proposé. 17 Les Etats-Unis tiennent tellement à cette tradition que lorsque le candidat qu'il souhaite proposer n'est pas de nationalité américaine, comme ce fut le cas pour James Wolfensohn d'origine australienne, ils le naturalisent citoyen des Etats-Unis avant de lui attribuer le poste de président de la Banque mondiale en 1996. 18 Le deuxième pays en pourcentage de droits de vote était la Grande-Bretagne avec 14,52%. 19 Le Japon avait rejoint la BM en 1952 en même temps que la République fédérale d’Allemagne.

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influence plus que l’exercice de son vote qui donne aux Etats-Unis un pouvoir effectif sur la direction »20 (c’est moi qui traduis).

11.4. L’influence des Etats-Unis sur la Banque dans des cas précis de pays

Nous allons présenter les cas de 5 pays afin d’illustrer l’influence des Etats-Unis dans les choix opérés par la Banque. Pour ce faire, nous nous sommes basés uniquement sur les deux livres commandités par

la Banque mondiale pour retracer sa propre histoire21. Nous avons recoupé les informations fournies par ces livres avec d’autres sources, généralement critiques de la Banque. Le choix n’a pas été facile

dans la mesure où nous disposons d’une profusion d’exemples. En fait, selon les deux livres

mentionnés plus haut, les cas où l’avis du gouvernement des Etats-Unis n’a pas prévalu, se comptent sur les doigts des deux mains.

11.4.1. Le Nicaragua et le Guatemala

L’Amérique centrale est considérée par le gouvernement des Etats-Unis comme faisant partie de sa zone d’influence exclusive. La politique adoptée par la BIRD en termes de prêts à l’égard des pays de

la région est directement influencée par le choix politique du gouvernement des Etats-Unis. Le cas du Nicaragua et du Guatemala au cours des années 1950 est tout à fait clair. Nous reprenons ici un

passage : « Un des principaux pays emprunteurs du point de vue du nombre de prêts était le Nicaragua, un pays d’un million d’habitants contrôlé par la famille Somoza22. ‘Washington et les Somoza considéraient leur relation mutuelle comme profitable. Les Etats-Unis soutenaient les Somoza et les Somoza soutenaient les Etats-Unis lors des votes aux Nations unies ou dans les organismes régionaux. Somoza a offert le territoire nicaraguayen comme base d’entraînement et de départ des forces cubaines en exil qui ont abouti à un désastre à la Baie des Cochons en 1961’23. Entre 1951 et 1956, le Nicaragua a reçu neuf prêts de la Banque mondiale et un en 1960. Une base militaire américaine a été établie en 1953 d’où a été lancée l’opération de la Central Intelligence Agency (CIA) qui a permis le renversement du président guatémaltèque Jacobo Arbenz qui avait légalisé le Parti communiste et qui menaçait d’exproprier les avoirs de la United Fruit Company. Le Guatemala lui-même qui avait une population trois fois supérieure à celle du Nicaragua, et bien qu’il ait été un des premiers pays à recevoir une mission d’études de la Banque (publiée en 1951), a dû attendre 1955 pour recevoir son premier prêt après le renversement de son régime ‘communiste’ »24 (c’est moi qui traduis).

20 “The United States is also the dominant member of the Bank’s board – but only in part it is lead shareholder. Formally, most Bank decisions, including those affecting lending levels and loan allocations, require a simple majority vote of the board. (...) Decisions are, however, often worked out between the United States and Bank management before they ever get to the board, or among members of the board before they get to a vote. And most board decisions are taken by consensus. It is the weight of its voice, therefore, more than the exercise of its vote that gives the United States effective power on the board.”,Catherine Gwin, in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, volume 2, p.244. 21 MASON Edward S. et ASHER, Robert E. 1973. The World Bank since Bretton Woods, The Brookings Institution, Washington, D.C., 915 p. et KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century. 22 La famille Somoza a dirigé le Nicaragua de 1935, année où elle est placée au pouvoir par une intervention militaire des Etas-Unis, à 1979 lorsqu'une insurrection populaire entraîne la chute du dictateur Anastasio Somoza et sa fuite au Paraguay dont le chef d’Etat est également un dictateur, Alfredo Stroessner. 23 LAKE, Anthony, 1989. Somoza Falling, Houghton Mifflin, 1989, p. 18. 24 KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, volume 1, p.103.

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Après la chute de Somoza en 1979, les Etats-Unis ont tenté par différents moyens politiques,

économiques et militaires de déstabiliser puis renverser le nouveau régime sandiniste. Cela a fait l’objet d’un recours devant la Cour Internationale de Justice de La Haye contre les Etats-Unis. Celle-ci

a rendu un jugement en 1986 par lequel elle condamnait les Etats-Unis pour la violation des

obligations imposées par le droit international, en particulier, l’interdiction de l’utilisation de la force (article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies) et l’interdiction d’attenter contre la souveraineté d’un

autre Etat25.

Concernant l’attitude la Banque à l’égard du régime sandiniste au cours des années 198026 et l’influence qu’a exercée sur elle le gouvernement des Etats-Unis, nous citons ici un extrait de l’étude

de Catherine Gwin : « Le Nicaragua des années 1980 constitue un exemple plus récent démontrant que le refus de prêter de la Banque coïncide clairement avec la politique des Etats-Unis. La raison invoquée pour la suspension des prêts était l’accumulation d’arriérés. Néanmoins, en septembre 1984, le gouvernement nicaraguayen a formellement proposé une solution au problème des arriérés »27 (c’est moi qui traduis). Catherine Gwin explique ensuite les propositions concrètes formulées par le

Nicaragua et elle explique que bien que ces propositions étaient recevables, aucun effort n’a été fait

par la banque pour aider le régime sandiniste. Elle indique que cela contraste avec la souplesse adoptée par la Banque à l’égard d’autres régimes qui eux étaient les alliés des Etats-Unis.

11.4.2. La Yougoslavie Afin de renforcer la distance prise par le régime du maréchal Tito à l’égard de l’Union soviétique, le

gouvernement des Etats-Unis a poussé la Banque à accorder un prêt à la Yougoslavie à la fin des

années 1940. Comme le montre la citation ci-après, le gouvernement des Etats-Unis préférait aider la Yougoslavie de Tito via la Banque plutôt que d’octroyer une aide bilatérale directe car il craignait

d’être critiqué au sein du Congrès par les nombreux parlementaires qui s’opposaient au soutien à un

régime communiste28 : « La Banque a prêté à la Yougoslavie juste après sa rupture avec le bloc soviétique en 1948. George Kennan29 a recommandé ‘un soutien discret et non ostentatoire’ de la part de l’Ouest craignant la réaction russe et conscient que le Congrès ne voudrait pas appuyer un pays communiste. La BIRD était un véhicule approprié pour jouer un tel rôle et une mission partit pour Belgrade l’année suivante »30 (c’est moi qui traduis). Le président de la Banque Eugène R. Black

voyagea en personne pour négocier directement avec le maréchal Tito.

25 CIJ, Affaire des activités militaires et para-militaires au Nicaragua et contre celui-ci, Arrêt du 27 juin 1986. Suite à cette sentence, les Etats-Unis ont annoncé officiellement qu’ils ne reconnaissaient plus la compétence de la CIJ. 26 Voir également le chapitre 13. 27 Catherine Gwin, in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, volume 2, p. 258. 28 Nous verrons plus loin qu’à plusieurs reprises, l’exécutif a usé de son influence directe sur la Banque pour contourner l’opposition possible du Congrès ou en tous cas, pour éviter un débat qui ne lui paraissait pas opportun. 29 George Kennan représentait le Département d’Etat. 30 KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, volume 1, p.103.

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11.4.3. Le Chili

Suite à l’élection de Salvador Allende en 1969 et à la mise en place du gouvernement d’Unité populaire, la Banque, sous pression des Etats-Unis, a suspendu ses prêts au Chili entre 1970 et 197331.

Le cas du Chili montre qu’il peut y avoir contradiction entre le jugement de la Banque et la position du gouvernement des Etats-Unis, celui-ci obtenant finalement qu’elle modifie sa position. Bien que la

direction de la Banque considérait que le Chili remplissait les conditions pour recevoir des prêts, le

gouvernement des Etats-Unis a obtenu qu’aucun prêt ne soit accordé au gouvernement de Salvador Allende. Catherine Gwin résume de la manière suivante ce cas emblématique : « Les Etats-Unis ont mis sous pression la Banque afin qu’elle ne prête pas au gouvernement d’Allende après la nationalisation des mines du cuivre chiliennes. Malgré la pression, la Banque envoya une mission à Santiago (ayant déterminé que le Chili adoptait une attitude conforme aux règles de la Banque qui prévoient que pour qu’un prêt soit octroyé après une nationalisation, des procédures en vue de l’indemnisation soient en cours). Robert McNamara rencontra ensuite Allende pour indiquer que la Banque était disposée à faire de nouveau prêts à condition que le gouvernement soit disposé à réformer l’économie. Mais la Banque et le régime d’Allende n’ont pas pu se mettre d’accord sur les termes d’un nouveau prêt. Tout au long de la période du régime Allende, le Chili n’a pas reçu de prêts. Juste après l’assassinat d’Allende en 1973, après un coup qui porta au pouvoir la dictature militaire du général Pinochet, la Banque renoua avec les prêts, fournissant un crédit de 15 ans pour le développement des mines de cuivre. (…) La suspension des prêts en 1970-73 a été citée dans le rapport du Trésor pour l’année 1982 comme un exemple significatif de l’exercice fructueux de l’influence des Etats-Unis sur la Banque. Et bien que la Banque ait donné son accord de principe pour un nouveau prêt en juin 1973, les propositions de prêt n’ont pas été prises en considération par le comité de direction tant que n’avait pas eu lieu le coup de septembre qui porta le général Pinochet au pouvoir »32 (c’est moi qui traduis).

A noter pour compléter l’information que, dans les archives de la Banque mondiale, se trouve un

document où le gouvernement chilien, à l’occasion de la réunion annuelle de la banque de septembre 1972, proteste contre la suspension des prêts et indique que des projets élaborés avaient été soumis à la

Banque33. Plusieurs documents de travail internes de la Banque reviennent de manière critique sur la politique de

la Banque envers le Chili sous Allende et sous Pinochet.

Quelques années plus tard, alors que les atrocités commises par le régime d’Augusto Pinochet

provoquaient de vives protestations aux Etats-Unis, y compris dans le Congrès, le gouvernement des Etats-Unis a demandé à la Banque de reporter une discussion sur l’octroi d’un prêt au Chili de manière

à éviter l’opposition du Congrès. Cette demande a été rejetée par le Président de la Banque, Barber

Conable, dans une lettre adressée à James Baker, vice-secrétaire du Trésor, le 29 octobre 1986. Il est raisonnable de penser que la demande exprimée par le gouvernement des Etats-Unis n’était qu’une

concession de façade à l’égard de l’opinion publique de manière à apparaître sensible aux

préoccupations démocratiques exprimées, sachant que, dans une répartition des rôles, le président de la

31 Voir également le chapitre 13. 32 Catherine Gwin, in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, volume 2, op. cit., p.256-57. 33 International Bank for Reconstruction and development, Summary Proceedings of the 1972 Annual Meetings of the Boards of Governors (Washington, 1972), p.55.

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Banque allait maintenir le cap politique voulu par le gouvernement. A plusieurs reprises, le gouvernement des Etats-Unis a demandé à la direction de la Banque de répéter ce scénario.

11.4.4. Le Vietnam Des années 1960 jusqu’à la fin de la guerre du Vietnam en 1975, les Etats-Unis ont poussé avec succès

la Banque via sa branche AID (Association Internationale pour le Développement) à octroyer de

manière régulière des prêts au régime sud-vietnamien allié des Etats-Unis. Après la fin de la guerre, la Banque mondiale envoya deux missions d’étude successives qui conclurent que les autorités

vietnamiennes, bien que ne menant pas une politique économique tout à fait satisfaisante,

remplissaient les conditions pour recevoir des prêts concessionnels. Shahid Husain, directeur de la mission de la Banque, précisait que les performances économiques du Vietnam communiste n’étaient

pas inférieures à celles du Bangladesh ou du Pakistan eux-mêmes aidés par la Banque. Malgré cela, la direction de la Banque, sous pression des Etats-Unis, suspendit les prêts au Vietnam et son président,

Robert McNamara, affirma dans l’hebdomadaire Newsweek (20 août 1979) que la suspension avait été

déterminée sur la base du rapport négatif de la mission. Cette affirmation est factuellement fausse, comme le souligne Catherine Gwin : « Les conclusions de la mission, à la différence de ce que McNamara a dit publiquement dans Newsweek, étaient qu’il n’y avait pas de fondement solide pour stopper les prêts au Vietnam »34 (c’est moi qui traduis).

11.4.5. Conclusion concernant les cas précis de pays35

La direction de la BIRD justifie l’octroi ou non de prêts par des raisons purement économiques. Nous avons montré qu’en réalité, la politique d’octroi des prêts était déterminée par l’intervention du

gouvernement des Etats-Unis auprès de la Banque sur la base d’objectifs principalement politiques.

Cela ne veut pas dire que les objectifs économiques n’ont pas d’importance mais ils sont subordonnés ou complémentaires à des choix politiques et stratégiques. Catherine Gwin, qui défend le bilan

globalement positif de l’influence des Etats-Unis sur la Banque mondiale, du point de vue des Etats-Unis, adopte une démarche rigoureuse où elle ne cache pas les aspects contradictoires de la politique

tant des Etats-Unis que de la direction de la Banque. A ce titre, la remarque suivante prend un relief

particulièrement intéressant : « Certes, il n'est pas impératif de mettre en cause l'évaluation faite par la Banque quant à la situation économique du Chili d'Allende, du Vietnam ou du Nicaragua sous les Sandinistes, mais il est quand même intéressant de remarquer que des jugements tout aussi négatifs auraient pu être portés à l'égard du Nicaragua de Somoza, des Philippines sous Marcos ou du Zaïre de Mobutu, autant de régimes qui étaient des alliés importants des Etats-Unis dans le contexte de la guerre froide » 36.

34 “The mission’s contention, in contrast to what McNamara said publicly in Newsweek, was that on substantive grounds there was no basis for stopping all lending to Vietnam”, Catherine Gwin, in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, volume 2, p.258. 35 Nous revenons sur le sujet au chapitre 13. 36 « Although one need not dispute the Bank’s economic policy assessments of Allende’s Chile, Vietnam, and Nicaragua under the Sandinistas, it is worth nothing that equally harsh assessments could have been made, but were not, of Somoza’s Nicaragua, Marcos’s Philippines, and Mobutu’s Zaire, regimes that were all important cold war allies of the United States» Catherine Gwin, Idem, p.258.

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11.5. L’influence des Etats-Unis en matière de prêts sectoriels

A partir des années 1970, les Etats-Unis ont systématiquement usé de leur influence pour tenter de convaincre la Banque de ne pas octroyer de prêts pour faciliter la production de marchandises qui

entreraient en compétition avec celles produites par les Etats-Unis. C’est ainsi que les Etats-Unis se

sont opposés régulièrement à la production d’huile de palme37, des agrumes et du sucre. Les Etats-Unis ont obtenu de la Banque qu’elle limite ses prêts en 1987 pour l’industrie sidérurgique en Inde et

au Pakistan. En 1985, les Etats-Unis se sont opposés avec succès à un projet d’investissement de la part de la Société financière internationale (SFI - groupe Banque mondiale) dans la sidérurgie au

Brésil et plus tard à un prêt de la Banque pour soutenir la restructuration du secteur sidérurgique du

Mexique. Ils ont aussi menacé d’utiliser leur droit de veto pour un prêt à la Chine pour sa sidérurgie dans les années 1980. Ils ont bloqué également un prêt de la SFI à une compagnie minière pour

l’extraction de minerais de fer au Brésil. Ils ont fait de même contre un investissement de la SFI dans

l’industrie du cuivre au Chili. Les Etats-Unis ont également influencé activement la banque dans sa politique à l’égard du secteur

pétrolier. Le gouvernement nord-américain est favorable à des prêts pour favoriser le forage pétrolier mais pas pour le raffinage. Cela se passe de commentaires.

11.6. Cas de convergence entre les Etats-Unis et d’autres puissances A plusieurs reprises, les intérêts des Etats-Unis ont coïncidé avec ceux d’autres puissances, l’attitude adoptée par la Banque étant la résultante de concertations étroites entre les Etats-Unis, la ou les autres

puissances concernées et la Banque. Deux exemples : celui de l’attitude de la Banque concernant le

projet de construction du barrage d’Assouan sous le régime de Gamal Abdel Nasser et celui de l’Iraq depuis l’occupation de son territoire par les troupes des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de leurs

alliés en mars 2003.

11.6.1. Le projet du barrage d’Assouan de Gamal Abdel Nasser en Egypte Le projet de construction du barrage d’Assouan sur le Nil précède l’accession du colonel Nasser au

pouvoir en 1952. Il prit une forme définitive au cours de l’année 1952 et, en janvier 1953, le ministre des Finances égyptien écrivit à Eugène Black, président de la BIRD, pour lui proposer de cofinancer

ce gigantesque projet. Bien que cette réalisation d’infrastructure corresponde aux priorités de la

Banque, la direction était réticente à s’engager pleinement dans la mesure où la Grande-Bretagne, à ce moment-là deuxième puissance en droits de vote au sein du conseil des gouverneurs, considérait le

régime des militaires progressistes comme une menace pour ses intérêts stratégiques. En effet, les militaires égyptiens au pouvoir remettaient en cause l’occupation du canal de Suez par les troupes

britanniques. Le président Eugène Black en personne visita l’Egypte, discuta le projet ; la Banque

envoya des ingénieurs, etc. Le projet prévoyait un barrage dont la capacité de 130 milliards de mètres cube aurait été quatre fois supérieure aux plus grands barrages artificiels déjà existants. L’ampleur des

travaux offrait d’énormes perspectives aux entreprises de construction internationales.

Les négociations entre l’Egypte et la Grande-Bretagne pour le départ des troupes britanniques avaient abouti à un accord, ce qui diminua les réticences de la Grande-Bretagne et les pressions qu’elle

37 Les différents exemples concernant les prêts sectoriels proviennent de Catherine Gwin, Ibid. p.223-224 et 259-263.

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exerçait sur la direction de la Banque pour ne pas octroyer les prêts. Dès lors, les gouvernements nord-américain et britannique donnèrent le feu vert à la direction de la Banque pour les négociations mais

ils fixèrent des restrictions en divisant la réalisation du projet en deux phases : le financement de la première phase était garanti alors que le financement de la deuxième phase dépendrait de l’évolution

politique des autorités égyptiennes. Bien sûr, cela n’était pas explicité dans les accords mais c’est ainsi

que le gouvernement égyptien l’interpréta. Les Egyptiens voulaient faire démarrer les travaux en juillet 1957, ce qui impliquait de signer le contrat en juillet 1956. En conséquence, ils demandaient à la

Banque de confirmer le plus rapidement possible l’octroi du financement.

En décembre 1955, la réunion des directeurs exécutifs de la Banque donna le feu vert à Eugène Black

pour aller plus loin dans la négociation avec les Egyptiens sur la base des conditions définies par les gouvernements nord-américain et britannique. Les Egyptiens accueillirent froidement les conditions de

la Banque. Entre temps, les autorités britanniques avaient appris que les Egyptiens avaient signé un

accord commercial avec l’Union soviétique en vue d’échanger du coton contre des fournitures d’armes. De plus, les Soviétiques offraient de participer au financement du barrage38. Les historiens

Mason et Asher commentent l’entrée en scène de l’Union soviétique de la manière suivante : « Ces manœuvres avaient augmenté le désir des puissances occidentales d’être associées elles-mêmes au barrage »39 (c’est moi qui traduis). Eugène Black, avant de se rendre au Caire afin de finaliser l’accord

avec les Egyptiens, eut des contacts approfondis avec le gouvernement des Etats-Unis qui confirma son feu vert. En chemin pour Le Caire, il eut également un contact approfondi à Londres avec le

Premier ministre britannique. Après dix jours de négociations au Caire, un point fondamental de

désaccord subsistait : les Egyptiens n’acceptaient pas les conditions fixées par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. A son retour à Washington, Eugène Black proposa de poursuivre la négociation car

il voulait aboutir à un accord. Par contre, du côté de Washington et surtout de Londres, les réticences

grandissaient suite à l’orientation nationaliste arabe du régime égyptien. L’opposition des Britanniques grandit encore lorsque le roi de Jordanie renvoya le 1er mars 1956 tout le commandement britannique

de la région. Eugène Black se retrouva dès lors de plus en plus isolé mais les gouvernements le laissèrent poursuivre les négociations, laissant entendre qu’elles pouvaient aboutir alors qu’il apparaît

aux historiens de la Banque que leur décision de refus était déjà prise.

Début juillet 1956, grâce à sa volonté de négociation, Eugène Black obtint de Gamal Abdel Nasser, le

Premier ministre, qu’il déclare accepter les conditions fixées par les puissances occidentales.

Néanmoins quand l’ambassadeur de l’Egypte fit savoir officiellement le 19 juillet 1956 que l’Egypte acceptait, on lui répondit que le gouvernement des Etats-Unis, dans les circonstances présentes,

décidait de ne pas participer au financement du barrage d’Assouan. Le 20 juillet, le Parlement britannique était informé que gouvernement britannique se retirait du projet. Mason et Asher précisent

que le Département d’Etat n’a communiqué à la Banque sa décision de se retirer du projet qu’une

heure environ avant que la communication officielle soit faite à l’ambassadeur égyptien. Ils ajoutent que dans cette communication, les Etats-Unis se retranchaient derrière un jugement négatif de la

Banque justifié par des raisons économiques. Alors que la version imprimée de ce texte circulait déjà

38 Selon Mason et Asher, il ne semble pas que le Premier ministre Nasser ait voulu activement le soutien des Soviétiques pour le financement du barrage avant qu’il n’ait constaté le retrait des offres des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Après ce retrait, il s’est écoulé dix-sept mois avant que ne soit signé un accord avec les Soviétiques pour financer la première phase de construction du barrage. (MASON Edward S. et ASHER, Robert E. 1973. The World Bank since Bretton Woods, The Brookings Institution, Washington, D.C., p.642). 39 Mason et Asher, Idem, p.636.

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dans les chancelleries, le vice-président de la Banque obtint du gouvernement américain qu’il retire cet argument du texte qui serait communiqué à la presse.

Cette anecdote est significative car elle montre qu’en certaines circonstances, le gouvernement des Etats-Unis traite à la légère les dirigeants de la Banque.

Pour revenir aux conséquences politiques fondamentales, nous recourons à nouveau au jugement de Mason et Asher : « La suite dramatique est connue. Le 26 juillet 1956, le Premier ministre Nasser annonce que le gouvernement nationalisait et prenait le contrôle des opérations de la Compagnie du Canal de Suez. Le 29 octobre, après une série d’incidents de frontière, les troupes israéliennes envahissaient l’Egypte, et le 2 décembre, commençait l’action militaire franco-britannique contre l’Egypte, soi-disant avec pour objectif de protéger la zone du canal mais, aux yeux de beaucoup d’observateurs, en réalité, pour le renversement du Premier ministre Nasser »40 (c'est moi qui traduis).

L’affaire du barrage d’Assouan montre que le gouvernement des Etats-Unis peut joindre ses efforts à

un autre gouvernement pour exercer une influence sur les décisions de la Banque mondiale quand leurs intérêts coïncident. Elle montre là encore que les Etats-Unis peuvent se retrancher derrière un

soi-disant refus de la Banque pour aller à l’encontre d’un projet tout en faisant porter à celle-ci le

chapeau de l’échec.

Dans un nombre de cas limité, le gouvernement des Etats-Unis a laissé d’autres puissances tirer avantage de leurs moyens d’influence sur la Banque. Cela s’est passé lorsque des intérêts stratégiques

des Etats-Unis n’étaient pas concernés dans les cas en question. C’est ainsi que la France a pu user de

son influence sur la Banque pour l’amener à adopter une politique conforme aux intérêts « français », par exemple, en ce qui concerne la Côte d’ivoire.

11.6.2. L’occupation et la reconstruction de l’Iraq L’intervention militaire contre l’Iraq de Saddam Hussein, suivie de l’occupation de son territoire, s’est faite sans l’accord de l’ONU et contre l’opinion de plusieurs grandes puissances dont la France,

l’Allemagne, la Russie et la Chine. Les Etats-Unis qui ont pris la tête de la coalition qui a lancé

l’attaque contre l’Iraq bénéficiaient de l’appui actif de trois autres membres du G7, la Grande-Bretagne, le Japon et l’Italie, et de puissances moyennes telles que l’Espagne et l’Australie. Dès le

mois d’avril 2003, les Etats-Unis ont pris l’initiative de négocier au G7 et dans le cadre du Club de Paris une réduction substantielle de dettes contractées par le régime de Saddam Hussein. Il s’agissait

d’alléger le fardeau de cette dette afin que le nouvel Iraq, allié des Etats-Unis, soit en mesure d’en

contracter de nouvelles et de les rembourser. Complémentairement à cette démarche que nous avons analysée ailleurs41, le gouvernement des Etats-Unis a mis sous pression la Banque mondiale et le FMI

afin que ces deux institutions fassent des prêts aux nouvelles autorités iraquiennes qui sont directement sous leur contrôle via l’administrateur civil de l’Iraq, le citoyen états-unien Paul Bremer. Au travers de

plusieurs déclarations réalisées entre la fin mars et la fin mai 2003, il est apparu clairement que tant le

président de la BM que le directeur du FMI étaient très réticents. Les conditions préalables à l’octroi de prêts ne sont pas réunies. Quels étaient les problèmes ?

40 MASSON et ASHER, Ibid, p. 641. 41 TOUSSAINT, Eric. 2004. La Finance contre les peuples. La Bourse ou la Vie, CADTM-Bruxelles/CETIM-Genève/Syllepse-Paris, p. 435-451.

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1°) L’Iraq n’avait pas à sa tête des autorités dont la légitimité était reconnue, d’autant qu’elles n’exerçaient pas réellement de souveraineté vu le rôle joué par Paul Bremer et les autorités

d’occupation. 2°) En principe, la BM et le FMI respectent la règle suivante : ils n’accordent pas de nouveaux prêts à

un pays qui est en défaut de paiement pour sa dette souveraine. La pression exercée par les Etats-Unis,

tant sur la BM et le FMI que sur les puissances opposées à la guerre, a progressivement levé les obstacles dans la mesure où le Conseil de sécurité lors de sa réunion du 22 mai 2003 a confié aux

Etats-Unis et à leurs alliés la gestion du pétrole iraquien et a levé l’embargo contre l’Iraq. Le Conseil

de sécurité ne reconnaissait pas la guerre mais reconnaissait le fait accompli de l’occupation. Les Etats-Unis et leurs alliés ont obtenu de la BM et du FMI qu’ils participent activement à la conférence

des donateurs pour la reconstruction de l’Iraq tenue à Madrid le 23 octobre 2003. Le cas de l’Iraq montre que les Etats-Unis peuvent constituer une alliance pour déterminer l’orientation de la Banque

et du FMI malgré la réticence de leurs dirigeants principaux, James Wolfensohn et Horst Kölher42.

11.7. L’influence des Etats-Unis dans la naissance de l’AID L’Agence internationale pour le Développement est née en 1960 comme réponse des Etats-Unis à la

demande persistante formulée par de nombreux gouvernements des PED de voir l’ONU instituer un

fonds spécial de financement concessionnel consacré au développement43. Nous reviendrons sur les circonstances de la naissance de l’AID et comment les Etats-Unis ont joué de leur influence sur la

BIRD pour la créer.

11.8. Divergences entre la direction de la Banque mondiale et les Etats-Unis Au début des années 1970, des divergences sont apparues entre l’exécutif des Etats-Unis et la direction

de la Banque. Cela s’explique simplement. Robert McNamara, président de la BM depuis 1968, était

directement en phase avec les démocrates : il était entré en politique grâce au président John F. Kennedy qui l’avait appelé à ses côtés comme conseiller en 1961 ; il avait poursuivi sa carrière sous

un second président démocrate Lyndon B. Johnson (en tant que secrétaire d’Etat à la Défense) dont l’administration l’avait fait désigner comme président de la BM à partir de 1968. En 1969,

changement de situation avec l’accession à la présidence du républicain Richard Nixon alors que le

mandat de Robert McNamara est toujours en cours. Des escarmouches entre l’administration Nixon et la direction de la Banque se déroulent au cours de l’année 1971. L’exécutif enjoignit au directeur

exécutif représentant les Etats-Unis de voter contre un prêt que la Banque avait décidé d’accorder au

Guyana. En 1972, il s’agit de renouveler le mandat de Robert McNamara (un mandat dure cinq ans) ou de le remplacer. Les républicains étaient favorables en principe à la désignation d’un de leurs

collègues au poste mais finalement, l’exécutif reconduit Robert McNamara sans enthousiasme. Il semble que le ou les remplaçants potentiels envisagés par les républicains n’avaient pas la stature

42 Horst Kölher a démissionné de son poste le 4 mars 2004 afin d’être en position d’accepter le mandat de président de l’Allemagne que lui proposait l’opposition social-chrétienne allemande. Une fois dégagé de ses responsabilités au FMI, il a fait des déclarations dans lesquelles il critiquait l’occupation américaine de l’Iraq. Rodrigo Rato qui a été désigné le 4 mai 2004 par le Conseil des gouverneurs pour lui succéder était jusqu’en mars 2004 ministre des Finances et de l’Economie dans le gouvernement de José Maria Aznar, fidèle allié des Etats-Unis et amphitryon de la conférence des donateurs d’octobre 2003. 43 Art van de Laar, The World Bank and the Poor (Boston, The Hague and London, Martinus Nijhoff Publishing, 1980, p.56-59; Mason and Asher, Since Bretton Woods, p.380-419 ; Catherine Gwin, op. cit. p.205-209).

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suffisante et que certains pays européens envisagèrent d’avancer leur propre candidat si Robert McNamara n’était pas reconduit.

Au cours de son second mandat, les tensions augmentèrent fortement. C’est ainsi que le gouvernement

contrecarra une initiative dans laquelle Robert McNamara s’était fortement engagé : il avait négocié

avec les pays membres de l’OPEP la constitution d’un nouveau fonds de financement du développement alimenté par les pétrodollars. Le gouvernement, qui voulait casser le cartel constitué

par l’OPEP, tua dans l’œuf cette initiative. Au cours de cet épisode de tension, c’est le secrétaire

d’Etat Henry Kissinger qui mena l’offensive contre Robert McNamara. Comme alternative à la création d’un fonds spécial alimenté par l’OPEP, Henry Kissinger proposa d’augmenter les fonds

disponibles pour la Société financière internationale et la BIRD44. Les relations entre Robert McNamara et l’exécutif s’améliorèrent substantiellement avec l’accession d’un nouveau président

démocrate à la Maison blanche, le président Jimmy Carter. Au point que Robert MacNamara fut invité

à participer aux réunions du Conseil de sécurité nationale pour discuter de l’augmentation des moyens financiers destinés à l’AID.

La fin du mandat de Robert McNamara fut assez mouvementée à cause de l’accession à la présidence d’un nouveau président républicain en janvier 1981, Ronald Reagan. Ronald Reagan et les

républicains avaient mené campagne en faveur d’un changement radical dans la politique extérieure des Etats-Unis avec des conséquences immédiates pour la BM. Ronald Reagan proposait de réduire

fortement l’aide multilatérale, et donc l’apport des Etats-Unis à l’AID au profit de l’aide bilatérale en

augmentant notamment fortement l’assistance militaire.

Significative de l’état d’esprit du camp de Ronald Reagan, la proposition de loi que fit en janvier 1981

David Stockman, directeur du Bureau de la Gestion et du Budget (Office of Management and Budget) dont l’adoption aurait signifié l’arrêt des contributions des E-U à l’AID et aux Nations Unies, et

l’augmentation des dépenses d’assistance militaire. David Stockman résume en 1986 de la manière suivante le sens de sa proposition présentée conjointement avec le parlementaire Phil Gramm au

Congrès en janvier 1981 : «Le plan de budget déposé par Gramm et Stockman avait proposé de fortes réductions dans l’aide économique étrangère sur une base principielle purement idéologique. Gramm et moi, nous croyions que les organes de l’aide internationale et du soi disant développement du Tiers-monde … étaient infestés d’erreurs socialistes. La bureaucratie de l’aide internationale amenait les pays du Tiers-monde vers le bourbier de l’inefficacité auto-imposée en les enterrant sous des montagnes de dettes qu’ils ne seraient jamais en état de payer »45 (c'est moi qui traduis).

La situation s’améliora nettement avec la désignation d’un nouveau président à la Banque.

L’administration choisit A. W. Clausen, jusque là président de la Bank of America. Il entra en fonction

le 1er juillet 1981. Firent leur entrée dans le staff de la Banque plusieurs néolibéraux durs dont Anne Krueger qui fut engagée le 10 mai 1982 en tant qu’économiste en chef et vice présidente de la BM. En

44 Ces faits sont relatés par Catherine GWIN, Ibid, p.213. 45 “The Gramm-Stockman budget plan had called for deep cuts in foreign economic aid on the basis of pure ideological principle. Both Gramm and I believed that the organs of international aid and so-called Third World development…were infested with socialist error. The international aid bureaucracy was turning Third World countries into quagmires of self-imposed inefficiency and burying them beneath mountainous external debts they would never be able to pay” David A. Stockman, The Triumph of Politics : How the Reagan Revolution Failed, Harper and Row, 1986, pp. 116-19 (cité par Catherine Gwin, Ibid, p.229).

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lisant plus loin la lettre du président Reagan au leader républicain du congrès, on aura la preuve du changement d’attitude favorable de l’exécutif à l’égard de la Banque.

11.9. L’influence des Etats-Unis vue par l’Exécutif

Un rapport du Trésor des Etats-Unis datant de 1982 se félicite de la prééminence des Etats-Unis au sein des institutions financières multilatérales : “ Si la structure et la mission de la Banque mondiale sont aussi étroitement liées au marché, c’est essentiellement grâce à l’influence des Etats-Unis (…). C’est nous également qui en avons fait une entité structurée fonctionnant au scrutin qualifié, dirigée par un conseil de haut niveau favorable aux Etats-Unis et administrée par un personnel compétent. En tant que membre fondateur et actionnaire principal de la BM, les Etats-Unis jouissent du droit unique de disposer d’un siège permanent au CA de la Banque (…) D’autres partenaires importants – direction, donateurs et bénéficiaires de premier ordre – ont reconnu que les Etats-Unis ont un poids prépondérant auprès des banques (de développement multilatéral). L’expérience leur a appris que nous disposons de leviers financiers et politiques susceptibles d’infléchir les objectifs politiques des banques et que nous sommes prêts à nous en servir”46. Walden Bello relève dans un autre passage de ce document du Trésor que “ les Etats-Unis ont pu imposer leur façon de voir dans douze cas sur les quatorze qui ont suscité des débats au sein de la BM – qu’il s’agisse de bloquer le statut d’observateur accordé à l’OLP ou de mettre un terme aux aides fournies par la BM au Vietnam et à l’Afghanistan ”47.

Une partie d’un autre rapport du Trésor datant de la même année est également consacrée à la Banque

mondiale et aux autres banques de développement : « Dans l’ensemble, les politiques et programmes de la Banque mondiale ont été conformes aux intérêts des Etats-Unis. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le choix des pays aidés et en matière de problèmes politiques sensibles. Le caractère international de la Banque, sa structure d’entreprise, la force de son équipe de gestion, et la structure de la répartition des votes au sein de la Banque a assuré une large coïncidence entre ses politiques et pratiques et les objectifs politiques et économiques à long terme des Etats-Unis »48 (c'est moi qui traduis). Ailleurs dans le même rapport, on lit : « En promouvant le développement économique et social dans le Tiers-monde, en encourageant des politiques économiques orientées vers le marché et en préservant une réputation d’impartialité et de compétence, les banques multilatérales de développement encouragent les PED à participer plus fortement à un système international basé sur la libéralisation du commerce et des flux de capitaux. (…) Cela représente des opportunités croissantes pour les exportations les investissements et la finance des Etats-Unis»49 (c'est moi qui

traduis).

Dans une lettre du président Ronald Reagan à Robert Michel, leader républicain à la Chambre des Représentants lui demandant de soutenir l’accroissement du capital de la Banque mondiale en 1988,

on trouve une liste très utile de pays à moyen revenu qui constituent les alliés stratégiques des Etats-

Unis et qui sont appuyés par la Banque. Voici un extrait de cette lettre: « La Banque consacre la plus grande majorité de ses moyens au soutien des projets d’investissement spécifiques dans les PED à

46 Department of the Treasury, Assessment of US participation in the multilateral Development Banks in the 1980s, Washington DC, 1982, chapitre 3, cité par Walden Bello, 2002, Deglobalization. Ideas for a new world economy, Zedbooks, London - New York, p.59-60. 47 BELLO, Walden. 2002. Deglobalization. Ideas for a new world economy, Zedbooks, London - New York, p.60. 48 Department of the Treasury, United States Participation in Multilateral Development Banks, 1982, p.59. (cité par Catherine Gwin, ibid, p.270). 49 Department of the Treasury, United States Participation in Multilateral Development Banks, 1982, pp.48, 52 (cité par Catherine Gwin, Ibid, p.271).

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moyen revenu. Ce sont principalement des pays (tels les Philippines, l’Egypte, le Pakistan, la Turquie, le Maroc, la Tunisie, le Mexique, l’Argentine, l’Indonésie et le Brésil) qui sont importants stratégiquement et économiquement pour les Etats-Unis »50 (c'est moi qui traduis).

11.10. Les bénéfices financiers que retirent les Etats-Unis de l’existence de la BM et de leur influence sur elle

Catherine Gwin51 réalise une estimation de ce qu’a rapporté, aux Etats-Unis, la Banque et ses activités entre 1947 et 1992. Il faut distinguer d’abord deux apports : primo, les revenus perçus par les citoyens

des Etats-Unis détenteurs de bons émis par la Banque (selon elle, cela représente, pour la période

mentionnée, 20,2 milliards de dollars) ; secundo, les dépenses de fonctionnement de la Banque sur le territoire des Etats-Unis (cela représente 11 milliards de dollars pour la même période). Ensuite, écrit-

elle, il faut surtout prendre en compte l’effet de levier de l’investissement des Etats-Unis dans la BIRD et dans l’AID. Depuis la création de la BIRD, les Etats-Unis auraient fait, en tout et pour tout, une

dépense minime : 1,85 milliard de dollars alors que la BIRD a octroyé des prêts pour un montant total

de 218,21 milliards de dollars (c’est le centuple). Ces prêts ont généré d’importantes commandes pour les entreprises des Etats-Unis. Catherine Gwin ne fournit pas d’estimation concernant le montant des

commandes (ce que dans le jargon de la Banque, on appelle le flow-back). Dans le cas de l’AID, les

Etats-Unis ont dépensé une somme plus importante que pour la BIRD : 18 milliards de dollars pour financer les prêts de l’AID qui se sont élevés à 71 milliards.

11.11. L’influence des milieux d’affaires et du grand capital sur la BIRD Le fait que la BIRD se procure depuis le début de son existence l’essentiel de ses moyens financiers en émettant des titres la maintient dans un rapport permanent et privilégié avec les grands organismes

financiers privés des Etats-Unis. Ceux-ci sont parmi les principaux acquéreurs des titres de la Banque et ils exercent une influence.

Le lien entre les milieux d’affaires, le grand capital des Etats-Unis, et la BIRD est également

immédiatement perceptible quand on se penche sur les origines de huit citoyens américains qui se sont succédés à la tête de la Banque jusqu’à nos jours.

Eugene Mayer, le premier président n’a tenu que huit mois, il était l’éditeur du Washington Post et

ancien de Lazard Frères. Le second, John J. McCloy, était un grand avocat de Wall Street et a été désigné par la suite Commissaire en chef des alliés en Allemagne puis chairman de la Chase

Manhattan Bank. Le troisième Eugene R. Black, devint Conseiller spécial du président Lyndon B. Johnson. Le quatrième, George D. Woods était un ancien dirigeant d’une banque d’investissement.

Robert S. McNamara avait été PDG de la Ford Motor Company puis Secrétaire d’Etat à la Défense

sous Kennedy et Johnson. Son successeur, Alden W. Clausen, était président de la Bank of America (une des principales banques des Etats-Unis très fortement engagées dans la crise de la dette du tiers-

monde), qu’il réintégra à son départ de la BM. En 1986, lui succède B. Cornable, ancien membre républicain du Congrès. Puis Lewis T. Preston arrive en 1991, ancien chairman du Comité exécutif de

la banque JP Morgan. James D. Wolfensohn, président depuis 1996 était banquier à Wall Street chez

Salomon Brothers. En résumé, généralement, un lien étroit a relié le pouvoir politique US, le milieu

50 Letter from President Ronald Reagan to representative Robert Michel, 10 juin 1988, p.1. (cité par Catherine Gwin, Ibid, p.271). 51 Catherine Gwin, Ibid, p.271-272.

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des affaires (ou si l’on veut, le noyau dur de la classe capitaliste états-unienne) et la présidence de la Banque.

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Chapitre 12

La BIRD sous la présidence de Robert Robert McNamara

“ L’unique limitation des activités de la Banque mondiale serait la capacité des pays membres d’utiliser notre assistance de manière efficace et de rembourser nos prêts dans les termes et les conditions que nous déterminerions ”. Robert McNamara, 19681 “ La Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement est un organisme qui réalise des investissements ayant pour objectif le développement, ce n’est ni une institution philanthropique, ni un organisme de bien-être social ”. Robert McNamara, 19692

C’est au cours des décennies 1960 et surtout 1970 que l’activité de la Banque se développe. De 1968 à

1981, sous la conduite de Robert McNamara, la Banque mondiale se lance dans une frénésie de prêts.

Robert McNamara fit clairement comprendre que la carrière d’un chargé de prêts était directement liée à l’épaisseur de son portefeuille de projets.

Nicholas Stern et Francisco Ferreira3 expliquent qu’à la Banque, la pression pour prêter de plus en plus

a été très marquée dans les années 1970, ils ajoutent que les gestionnaires étaient considérés comme brillants dans la mesure où les prêts dont ils étaient responsables étaient approuvés. Procéder à des

évaluations minutieuses était considéré comme une perte de temps.

Plus grand était le projet, plus il avait de chances de recevoir un financement de la Banque,

commentent Susan George et Fabrizio Sabelli4 ainsi que Bruce Rich5. Cette approche quantitative et la pression exercée sur les collaborateurs de la Banque pour qu’ils conçoivent et vendent des projets

coûteux aux gouvernements clients, poussèrent ceux-ci à s’endetter de manière excessive.

Pendant les vingt premières années de son existence, la Banque (BIRD et AID) n’avait prêté au total

que 10,7 milliards de dollars. Au cours du premier quinquennat de Robert McNamara, de 1968 à 1973, les prêts augmentèrent de manière quasi exponentielle : la Banque entreprit des projets pour un

montant de 13,4 milliards de dollars6.

Robert McNamara avait une foi presque obsessionnelle dans la quantification et dans des méthodes de

gouvernement valables universellement et aptes à résoudre tous les problèmes. “ Diriger n'importe quelle branche d'organisation est la même chose, que ce soit la Ford Motor Company, l'Eglise catholique ou le ministère de la Défense ” observait-il au début des années 1960. “ Une fois qu'on atteint une certaine échelle, tous les problèmes se ressemblent ”. “ Le ‘management’ déclara-t-il en

1 MCNAMARA, Robert S. 1973. Cien países, Dos mil millones de seres, Tecnos, Madrid, p.21. 2 MCNAMARA, Robert S. 1973. Idem, p.155. 3 STERN Nicholas et FERREIRA. Francisco 1997. « The World Bank as «intellectual actor » » in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p.569. 4 GEORGE, Susan et SABELLI, Fabrizio. 1994. Crédits sans Frontières, La Découverte, Paris, p.46-67. 5 RICH, Bruce. 1994. Mortgaging th earth, Earthscan, London, chap 4 p.81-106. 6 GEORGE, Susan et SABELLI, Fabrizio. 1994. Idem, p. 52 ; MCNAMARA, Robert S. 1973. Ibid., p.22, 24, 26, 144, 150, 153, 157, 160.

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1967, est la clé au moyen de laquelle le changement social, économique et politique, en fait le changement dans toutes les directions, est diffusé à travers la société. ” Robert McNamara se conçoit comme “ planificateur du développement ”7. Selon lui, la BM assume un

rôle “ d’avant-garde ”8 dans l’aide au développement en planifiant celui-ci. L’instrument que constitue

la planification est central dans la démarche : - il s’agit d’établir des méthodes plus efficaces de “ planification de la famille et de l’administration publique chargée du programme de contrôle de la population ”9 ; 10

- la révolution verte initiée au milieu de la décennie 1960 doit être mieux planifiée dans tous ses aspects11 ;

- la planification de grands travaux publics permet de donner du travail à ceux qui n’en ont pas et de développer les infrastructures12.

La Banque devait aussi préparer des plans gigantesques de prêts de cinq ans aux pays, expliqués dans les Country programming papers (c’est-à-dire les dossiers de programmation pour les pays). Ces

dossiers fixaient des objectifs et des priorités pour toute l'activité de prêt de la Banque à une nation

donnée, basés sur le travail des “ missions économiques dans les pays ” et sur les rapports qui s'ensuivaient. Ces rapports économiques et les dossiers venaient prendre place parmi les documents les

plus confidentiels et les mieux gardés de la Banque, mis à part les mémorandums internes. Dans certains cas, même les ministres d'un pays ne pouvaient avoir accès à ces plans gigantesques ce qui,

dans les pays les plus petits et les plus pauvres, fut considéré comme une mise sous tutelle

internationale de leur destin économique.

Le point de vue de Robert McNamara a grandement amplifié les tendances qui existaient déjà dans la

Banque, tendances qui renforçaient la croissance de son pouvoir institutionnel propre alors qu'elles ignoraient la réalité sociale complexe et diverse des nations “ en voie de développement ”. Des

objectifs facilement quantifiables étaient définis comme indicateurs de progrès et les réalités sociales complexes étaient réduites à des chiffres et à des nombres de groupes pris comme objectifs, à des

bénéficiaires, à une production graduelle, à l'amélioration de la productivité, aux changements dans les

revenus et ainsi de suite. On pouvait prédire les résultats de ces recettes, toutes identiques, appliquées partout : au mieux, elles

étaient inefficaces et, souvent, tellement inappropriées du point de vue social et environnemental

qu'elles vouaient de nombreux projets à l'échec.

Développement et sécurité du “ monde libre ”

C’est également sous le contrôle de Robert McNamara que la Banque commença à construire son

portefeuille “ nouveau style ” de projets contre la pauvreté. L'objectif principal était le développement

7 MCNAMARA, Robert S. 1973. Ibid., p.31. 8 MCNAMARA, Robert S. 1973. Ibid., p.34. 9 MCNAMARA, Robert S. 1973. Ibid., p.33. 10 Le soutien à la planification familiale a consisté notamment en l’appui donné par la Banque à la politique de promotion des naissances de Ceaucescu en Roumanie, pays considéré doté d’une population insuffisante et pas assez jeune (voir chapitre suivant). Dans d’autres pays il s’est agi du contraire. Un point commun la planification. 11 MCNAMARA, Robert S. 1973. Ibid., p.78 et suiv. 12 MCNAMARA, Robert S. 1973. Ibid., p.142.

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rural et l'agriculture, un secteur qui crût de 18,5% des prêts de la Banque en 1968 à 31%, soit 3,8 milliards de dollars, en 1981.

Pour lutter contre le danger d’extension communiste dans le tiers-monde, les projets visant à soulager la pauvreté tant urbaine que rurale (comprenant habituellement la réhabilitation de taudis, l'installation

de pompes à eau, le raccordement à la distribution d'électricité, etc.) et des projets d'éducation et de

santé devinrent aussi pour la première fois une partie significative du portefeuille de la Banque.

C’est en missionnaire anticommuniste que Robert McNamara s’attaqua au fléau de la pauvreté

absolue. Jamais auparavant, la Banque n’avait envisagé que sa contribution au développement consisterait à soulager la pauvreté. Mais Robert McNamara était persuadé que si on ne remédiait pas à

la croissante inégalité dans la distribution des richesses à l’intérieur des pays en développement13, cette situation conduirait de manière périodique à des soulèvements populaires qui mettraient en danger les

pays capitalistes du Centre.

L’époque où Robert McNamara est aux commandes de la Banque mondiale est celle de l’extension

des luttes émancipatrices et révolutionnaires (révolution des œillets au Portugal, 1974, qui libère les

dernières colonies africaines ; Vietnam, 1975 : échec définitif des troupes nord-américaines qui doivent quitter Saïgon dans la précipitation ; Nicaragua, 1979 : victoire de la révolution sandiniste),

avec de puissantes crises sociales et politiques y compris dans les pays capitalistes développés (luttes de la minorité noire et mobilisations massives contre la guerre du Vietnam aux Etats-Unis à la fin des

années 1960 - début des années 1970 ; mouvements étudiants en 1968 en France, en Allemagne, au

Mexique ; grèves ouvrières massives en France en mai 1968, en Italie en 1969-1970) et dans les pays dits socialistes (printemps de Prague en 1968).

Ce vaste mouvement émancipateur entrait en contradiction avec la politique de “ développement ” de

la Banque mondiale. Aussi est-elle intervenue avec plus de moyens pour assurer et consolider la connexion des pays du tiers-monde au marché mondial, et, politiquement, au giron capitaliste. Ces

prêts feront partie d’une stratégie visant à “ contenir ” (containment) l’extension du mouvement émancipateur.

En 1968, alors qu’il était encore secrétaire à la défense, il déclara : “ La mort d’Ernesto Che Guevara en Bolivie à l’automne 1967 a porté un coup sévère aux espérances des révolutionnaires castristes. Mais la seule riposte est une réponse insuffisante à ce problème ”14.

Robert McNamara prononça un discours très clair en ce sens quelques années plus tard devant la réunion des gouverneurs de la Banque mondiale en 1972 : “ Trop peu, trop tard, tel est l’épitaphe la plus généralisée dans l’histoire pour les régimes qui sont tombés devant la clameur des hommes sans terre, sans travail, marginalisés et soumis, poussés vers le désespoir. Pour cette raison, l’application de politiques destinées spécifiquement à réduire la pauvreté des 40% les plus pauvres de la population des pays en développement est recommandable non seulement pour une raison de principe, mais aussi par prudence. La justice sociale n’est pas seulement une obligation morale, mais aussi un impératif politique ”15.

Robert McNamara alla dès lors jusqu’à proposer des mesures de réformes agraires pour attribuer des

terres aux paysans pauvres et limiter la superficie des grandes propriétés terriennes. Il proposa de

13 Voir la description qu’il en donne dans MCNAMARA, Robert S. 1973. Ibid., p.128. 14 MCNAMARA, Robert S. 1973. Ibid., p.29. 15 MCNAMARA, Robert S. 1973. Ibid., p.139-140.

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soutenir des projets de réformes du système de crédit dans les PED pour que les petits producteurs agricoles y aient accès. Il défendit le développement de travaux publics dirigés vers l’amélioration des

conditions de vie des plus pauvres. En somme, Robert McNamara défendait le rôle central de l'institution publique multilatérale à la tête de laquelle il se trouvait dans la mise en place d’une

stratégie de croissance qui impliquait son propre renforcement comme institution. Robert McNamara

ne met que marginalement en avant le rôle des pouvoirs publics des pays du Sud comme redistributeur de richesses, la Banque mondiale devait suppléer à l'ingratitude des pays du Nord à l'égard du Sud et à

la faiblesse des Etats du Sud.

Les propositions citées dans le paragraphe précédent haut n’ont été que très modérément soutenues en

pratique par la BM. De plus, dans le schéma de développement conçu par Robert McNamara, les possibilités qu'auraient pu offrir la croissance des échanges entre pays du Sud, n'ont jamais été prises

en considération. Il ne mentionne jamais la nécessité de développer des ensembles régionaux du Sud

qui pourraient dégager des complémentarités provoquant un processus cumulatif de croissance régional et qui réduiraient la dépendance du Sud à l'égard du Nord, de la Périphérie à l'égard du

Centre. L'unique complémentarité qu'il prend en compte est celle entre pays du Sud et ceux du Nord

où les premiers finissent toujours perdants car ce sont les pays développés qui déterminent les conditions des échanges.

Mais il est intéressant de noter que les déclarations et les propositions de Robert McNamara à l’époque

étaient à cent lieues de celles qui ont été adoptées à partir de l’offensive néo-libérale des années 1980.

A sa manière, Robert McNamara faisait partie de la vieille école keynésienne. Cela n’empêche qu’il a contribué grandement à la préparation de l’offensive néo-libérale. Le problème du décalage entre son

discours et sa pratique a été résolu par les néo-libéraux qui ont gommé du discours toute référence à la

planification, au contrôle étatique, au développement. A noter que Joseph Stiglitz, dans La grande désillusion, prend parti pour Robert McNamara et

l’équipe dont il s’était progressivement entouré : “ Le bouleversement le plus spectaculaire dans ces organismes internationaux a eu lieu au cours des années quatre-vingt, quand Ronald Reagan et Margaret Thatcher prêchaient l’idéologie du libre marché aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Le FMI et la Banque mondiale sont alors devenus les nouvelles institutions missionnaires chargées d’imposer ces idées aux pays pauvres réticents, mais qui avaient souvent le plus grand besoin de leurs prêts et de leurs dons. (…) Dans les années quatre-vingt, une purge a eu lieu à la Banque mondiale au sein de son département de recherche, qui guidait sa pensée et son orientation. Hollis Chenery, l’un des économistes du développement les plus éminents des Etats-Unis, professeur à Harvard, à qui l’on devait des contributions fondamentales sur la recherche en économie du développement ainsi que dans d’autres domaines, avait été le conseiller et le confident de Robert McNamara. Celui-ci avait été nommé président de la Banque mondiale en 1968. Touché par la pauvreté qu’il constatait dans tout le tiers-monde, il avait réorienté la politique de la Banque de manière à ce qu’elle œuvre à son élimination, et Chenery avait rassemblé un groupe d’économistes de premier ordre, venus du monde entier, pour travailler avec lui. Mais, avec le changement de la garde, un nouveau président arriva en 1981, William Clausen, et une nouvelle économiste en chef, Anne Krueger, spécialiste du commerce international et surtout connue pour ses travaux sur la “ recherche de rentes ” - l’utilisation des droits de douane et autres mesures protectionnistes par des intérêts particuliers pour augmenter leurs revenus aux dépens des autres. Tandis que Chenery et son équipe s’étaient concentrés sur les insuffisances des marchés dans les pays en développement, cherchant ce que l’Etat pouvait faire pour les améliorer et réduire la pauvreté, Anne Krueger considérait que l’Etat était le problème. La

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solution aux difficultés des pays en développement, c’était le libre marché. Dans ce nouveau climat de ferveur idéologique, beaucoup des économistes de première grandeur qu’avait réunis Chenery sont partis ”16.

A la lecture de cette opinion de Joseph Stiglitz, on ne peut s’empêcher de se demander si son

appréciation positive du rôle de Robert McNamara à la tête de la Banque mondiale n’est pas inversement proportionnelle à son rejet des politiques appliquées par ses successeurs dans le cadre de

la période R. Reagan et G. Bush père. On peut partager son opinion négative sur ces derniers mais

sans perdre de vue que le terrain a été préparé par la politique de Robert McNamara. Les vertus que Joseph Stiglitz attribue à ce dernier ne sont pas avérées ; par contre sa participation active à

l’élaboration et à l’exécution de politiques néfastes a été démontrée par différents auteurs17 auxquels nous nous associons.

16 STIGLITZ, Joseph E. 2002, La Grande désillusion, Fayard, Paris, p.38. 17 George Susan, Rich Bruce, Payer Cheryl notamment.

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Chapitre 13

Poids du facteur politique dans les choix de la Banque mondiale et du FMI Après la Conférence de Bandoeng, en 1955, dans une partie croissante du tiers-monde, les politiques mises en place tournent le dos aux anciennes puissances coloniales. Cette orientation rencontre l’opposition ferme des gouvernements des grands pays capitalistes industrialisés qui ont une influence déterminante sur la Banque mondiale et le FMI. Les projets de la BM ont un fort contenu politique : endiguer le développement de mouvements qui remettent en cause la domination exercée par les grandes puissances capitalistes. L'interdiction de prendre en compte dans les opérations de la Banque les considérations “politiques” et “non économiques”, l'une des plus importantes conditions de la charte, est contournée systématiquement. Et ce, dès le début de l’existence de la Banque mondiale. La partialité politique des IFI est démontrée dans ce chapitre par des exemples de soutien financier aux dictatures de l’histoire du Chili, du Brésil, du Nicaragua, de la République démocratique du Congo et de la Roumanie.

13.1. Aspect politique et géopolitique

Après 1955, l’esprit de la Conférence de Bandoeng (Indonésie) souffle sur une grande partie de la

planète. Elle fait suite à la défaite française au Vietnam (1954) et précède la nationalisation du canal

de Suez par Nasser. Viennent les révolutions cubaine (1959) et algérienne (1954-1962), la relance de la lutte d’émancipation au Vietnam... Dans une partie croissante du tiers-monde, les politiques mises

en place tournent le dos aux anciennes puissances coloniales. On note une tendance à la substitution

des importations et donc au développement des politiques tournées vers le marché intérieur. Cette orientation rencontre l’opposition ferme des gouvernements des grands pays capitalistes industrialisés

qui ont une influence déterminante sur la Banque mondiale et le FMI. C’est la vague des régimes nationalistes bourgeois qui mènent des politiques populistes (Nasser en Egypte, Nehru en Inde, Peron

en Argentine, Goulart au Brésil, Soekarno en Indonésie, N’Krumah au Ghana...) et des régimes à

orientation explicitement socialiste (Cuba, Chine populaire).

Les projets de la BM ont un fort contenu politique : endiguer le développement de mouvements qui remettent en cause la domination exercée par les grandes puissances capitalistes.

13.2. Pouvoir d'intervention dans les économies nationales

Dès les années 1950, la BM a mis en place un réseau d’influence qui lui servira grandement plus tard.

La Banque se mit à créer, dans le tiers-monde, une demande de ses services. L'influence dont elle jouit maintenant découle en grande partie des réseaux d’agences qu'elle a construits dans les Etats qui sont

devenus ses clients et, par la même occasion, ses débiteurs. La BM exerça une véritable politique d’influence pour soutenir son réseau de prêts.

A partir des années 1950, un des premiers buts de la politique de la Banque fut la “construction

d'institutions”. Cette construction prit le plus souvent la forme de créations d'agences para-gouvernementales à l'intérieur des pays clients de la Banque1. De telles agences furent

1 Bruce Rich cite comme exemples d’agences fondées grâce à la Banque mondiale : en Thaïlande, la Industrial Finance Corporation of Thailand (IFCT), le Thai Board of Investment (BOI), the National Economic and Social Development Board (NESDB) et la Electrical Generating Authority of Thailand (EGAT) ; en Inde, le National Thermal Power Corporation (NPTC), le Northern Coal Limited (NCL)… (voir Bruce Rich, p.13 et 41).

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intentionnellement fondées de sorte qu'elles soient relativement indépendantes financièrement de leurs gouvernements et hors du contrôle des institutions politiques locales dont les parlements nationaux.

Elles constituent des relais naturels de la Banque à laquelle elles doivent beaucoup à commencer par leur existence, voire, dans certains cas, leur financement.

La création de telles agences a été l'une des stratégies les plus importantes de la Banque mondiale pour

s'insérer dans les économies politiques des pays du tiers-monde. Opérant selon leurs propres règles (fréquemment élaborées en réponse aux suggestions de la Banque),

étoffées de technocrates sympathisants poussés et admirés par la Banque, ces agences ont servi à créer

une source stable et digne de confiance pour ce dont la Banque avait besoin : des propositions de prêts “ viables ”. Elles ont aussi fourni à la Banque des bases de pouvoir parallèle à travers lesquelles elle a

été capable de transformer les économies nationales, en fait des sociétés entières, sans la procédure exigeante du contrôle démocratique et des débats contradictoires.

La Banque fonda, en 1956, avec un important soutien financier des Fondations Ford et Rockefeller, l’Institut de Développement Economique (Economic Development Institute) qui offrait des stages de

formation de six mois à des délégués officiels des pays membres. “ Entre 1956 et 1971, plus de 1 300 délégués officiels étaient passés par l‘Institut, un certain nombre d’entre eux avait atteint la position de Premier ministre, de ministre de la planification ou des finances ”2.

Les implications de cette politique sont inquiétantes : l'étude par le International Legal Center (ILC) à

New York de l'action de la Banque en Colombie entre 1949 et 1972 conclut que les agences

autonomes établies par la Banque ont eu un impact profond sur la structure politique et sur l'évolution sociale de la région tout entière, affaiblissant “ le système des partis politiques et minimisant les rôles du législatif et du judiciaire ”. On peut considérer que, dès les années 1960, la Banque avait établi des mécanismes uniques et

nouveaux en vue d'une intervention continuelle dans les affaires internes des pays emprunteurs. Pourtant, la Banque nie vigoureusement que de telles interventions soient politiques : au contraire, elle

insiste sur le fait que sa politique n'a rien à voir avec les structures de pouvoir et que les affaires

politiques et économiques existent séparément.

13.3. La politique de prêt de la Banque mondiale est influencée par des considérations politiques et géostratégiques

L'art. IV section 10 stipule : “ La Banque et ses responsables n'interféreront pas dans les affaires politiques d'un quelconque membre et il leur est interdit de se laisser influencer dans leurs décisions par le caractère politique du membre ou des membres concernés. Seules des considérations économiques peuvent influer sur leurs décisions et ces considérations seront soupesées sans parti pris, en vue d'atteindre les objectifs (fixés par la Banque) stipulés dans l'art. I ”. L'interdiction de prendre en compte dans les opérations de la Banque les considérations “politiques” et

“non économiques”, l'une des plus importantes conditions de la charte, a été contournée

2 Rich, op. cit. p. 76. Voir également : STERN Nicholas et FERREIRA Francisco. 1997. « The World Bank as 'intellectual actor' » in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p.583-585.

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systématiquement. Et ce, dès le début de l’existence de la Banque mondiale. La Banque a refusé de prêter à la France après la libération tant que les communistes étaient au gouvernement (le lendemain

de leur départ du gouvernement en mai 1947, le prêt demandé et bloqué jusque là était accordé)3.

La Banque a agi de manière répétée en contradiction avec l’article IV de ses statuts. En effet, la

Banque opère régulièrement des choix en fonction de considérations politiques. La qualité des politiques économiques menées n’est pas l’élément déterminant dans son choix. En effet, il est arrivé

régulièrement à la Banque de prêter de l’argent aux autorités d’un pays en dépit de la mauvaise qualité

de sa politique économique et d’un haut niveau de corruption : l’Indonésie et le Zaïre sont deux cas emblématiques. Plus précisément, les choix de la Banque relatifs à des pays qui représentent un enjeu

politique majeur aux yeux de ses principaux actionnaires sont régulièrement liés aux intérêts et à l’orientation de ceux-ci, à commencer par les Etats-Unis. C’est ce que nous avons démontré pour un

certain nombre de cas précis dans le chapitre sur les relations entre la Banque mondiale et les Etats-

Unis.

Nos recherches nous amènent à conclure que les choix de la Banque et de son jumeau le FMI, dès

1947 jusqu’à l’effondrement du bloc soviétique4, ont été largement déterminés par les critères suivants:

- éviter le maintien de modèles autocentrés ; - soutenir financièrement de grands projets (BM) ou des politiques (FMI) qui permettent

d’augmenter les exportations des principaux pays industrialisés ;

- refuser d’aider des régimes considérés comme des menaces par le gouvernement des Etats-Unis et d’autres actionnaires importants ;

- tenter de modifier la politique de certains gouvernements des pays dits socialistes afin

d’affaiblir la cohésion du bloc soviétique. C’est dans ce cadre qu’un soutien a été apporté à la Yougoslavie qui s’est retiré du bloc dominé par Moscou à partir de 1948 ou à la Roumanie à

partir des années 1970 car Ceaucescu exprimait des velléités d'éloignement à l’égard du Comecon et du Pacte de Varsovie;

- soutenir des alliés stratégiques du bloc capitaliste occidental, des Etats-Unis en particulier,

(exemple : Indonésie de 1965 à aujourd’hui ; le Zaïre de Mobutu ; les Philippines sous Marcos, le Brésil de la dictature à partir de 1964, le Nicaragua du dictateur Somoza, l’Afrique

du Sud de l’Apartheid) ;

- tenter d’éviter ou de limiter, autant que faire se peut, un rapprochement des gouvernements des PED avec le bloc soviétique ou la Chine : essayer d'éloigner l’Inde de l’URSS ; idem de

l’Indonésie du temps de Soekarno.

Remarque de l’ordre de la tactique :

- La BM et le FMI sont plus souples à l’égard d’un gouvernement de droite (moins exigeants en termes d’austérité antipopulaire) s’il est confronté à une forte opposition de gauche qu’à

l’égard d’un gouvernement de gauche confronté à une forte opposition de droite. Concrètement, cela signifie que les IFI vont être plus exigeantes et mener la vie dure à un

gouvernement de gauche confronté à une opposition de droite de manière à l’affaiblir et à

favoriser l’accession de la droite au pouvoir. Selon la même logique, les IFI seront moins

3 Voir chapitre 10 : Influence des Etats-Unis sur la Banque. 4 Ce qui coïncide avec la guerre froide.

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exigeantes à l’égard d’un gouvernement de droite confronté à une opposition de gauche afin d’éviter de l’affaiblir et empêcher la gauche d’accéder au pouvoir. L’orthodoxie monétariste

est à géométrie variable : les variations dépendent bien de facteurs politiques et géostratégiques.

Nous voudrions illustrer par quelques cas concrets ce qui vient d’être avancé. Nous traiterons à la fois des choix de la Banque et du FMI. Les choix du FMI sont déterminés grosso modo par les mêmes

considérations que la Banque. Les deux sont soumis aux mêmes influences.

Le FMI et la Banque mondiale n’ont pas hésité à appuyer des dictatures quand elles et d’autres

grandes puissances capitalistes le trouvaient opportun. Les auteurs du Rapport mondial sur le développement humain réalisé par le PNUD (édition 1994) l’écrivent noir sur blanc : “ De fait, l’aide versée par les Etats-Unis pendant les années 1980 est inversement proportionnelle au respect des droits de l’homme. Les donateurs multilatéraux ne semblent pas non plus encombrés de telles considérations. Ils semblent en effet préférer les régimes autoritaires, considérant sans ciller que ces régimes favorisent la stabilité politique et sont mieux à même de gérer l’économie. Lorsque le Bangladesh et les Philippines ont mis fin à la loi martiale, leur part respective dans l’ensemble des prêts de la Banque mondiale a diminué ”5. Nous envisagerons consécutivement de manière très succincte avec graphique à l’appui les pays

suivants : le Chili, le Brésil, le Nicaragua, le Zaïre et la Roumanie.

13.4. La partialité politique des IFI : exemples de soutien financier aux dictatures Graphique 13.1. CHILI : les déboursements multilatéraux

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élection d'Allende

putsch de Pinochet

Source : Banque mondiale, CD-ROM GDF, 2001

Le Chili, sous le gouvernement démocratiquement élu d'Allende (1970 -1973), ne reçut pas de prêt de

la Banque mais sous le gouvernement Pinochet, après le coup militaire de 1973, le pays devint

subitement crédible. Pourtant, aucun dirigeant de la BM et du FMI ne pouvait ignorer le caractère profondément autoritaire et dictatorial du régime Pinochet. Le lien entre la politique de prêts et le

contexte géopolitique est ici patent.

5 PNUD, 1994, p.81.

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Graphique 13.2. BRESIL : déboursements de la Banque mondiale

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$Coup d'Etat

militaire : dictature jusqu'en 1985

Source : Banque mondiale, CD-Rom GDF, 2001

Le régime démocratique du président Joao Goulart a été renversé par les militaires en avril 1964. Les

prêts de la Banque et du FMI qui avaient été suspendus pendant trois années reprennent très peu de

temps après6. Résumé succinct des évènements : en 1958, le président brésilien Kubitschek doit entrer en

négociation avec le FMI afin de recevoir un prêt de 300 millions de dollars de la part des Etats-Unis.

Finalement, Kubitschek refuse les conditions imposées par le FMI et se passe du prêt des Etats-Unis. Cela lui valut une grande popularité.

Avant d’être renversé par les militaires, Goulart avait annoncé qu’il allait mettre en pratique une réforme agraire radicale et qu’il allait procéder à la nationalisation des raffineries de pétrole. Le

lendemain du coup, les Etats-Unis reconnaissaient le nouveau régime militaire. Quelque temps après,

la BM et le FMI reprenaient la politique de prêts suspendue. De leur côté, les militaires abolissaient les mesures économiques critiquées par les Etats-Unis et le FMI. A noter que les IFI considérèrent que le

régime militaire prenait de saines mesures économiques (sound economic measures)7. Pourtant le PIB baissa de 7% en 1965 et des milliers d’entreprises tombèrent en faillite. Le régime organisa une forte

répression, interdit les grèves, provoqua une forte chute des salaires réels, supprima les élections au

suffrage direct, décréta la dissolution des syndicats et recourut régulièrement à la torture.

6 On trouve une analyse des faits résumés ci-après dans: PAYER, Cheryl. 1974. The Debt Trap: The International Monetary Fund and the Third World, Monthly Review Press, New York and London, p. 143-165. 7 En 1965, le Brésil signa un Stand-by Agreement avec le FMI, reçut de nouveaux crédits et vit sa dette extérieure restructurée par les Etats-Unis, plusieurs pays créanciers d’Europe et le Japon. Après le coup militaire, les prêts passèrent de zéro à une moyenne de 73 millions de dollars US par an pour le reste des années 1960 et atteignirent un niveau de presque un demi milliard de dollars US par an au milieu des années 1970.

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Graphique 13.3. NICARAGUA : déboursements de la Banque mondiale

Source : Banque Mondiale, CD-ROM GDF, 2004

Alors que le clan des Somoza était au pouvoir au Nicaragua depuis les années 1930 grâce à une intervention militaire des Etats-Unis, un puissant mouvement populaire triompha de la dictature le 19

juillet 1979 et provoqua la fuite du dictateur Anastasio Somoza. Les Somoza s’étaient accaparé une très grande partie des richesses du pays et avait favorisé l’implantation de grandes entreprises

étrangères, surtout états-uniennes, et étaient détestés par le peuple. A partir de la chute de la dictature

se mit en place un gouvernement d’alliance regroupant l’opposition démocratique traditionnelle (dirigée par des chefs d’entreprise) et les révolutionnaires sandinistes qui ne cachaient ni leur

sympathie pour Cuba ni leur disposition à entreprendre certaines réformes économiques (réforme

agraire, nationalisation de certaines entreprises étrangères, confiscation des terres appartenant au clan des Somoza, programme d’alphabétisation…). Washington qui avait soutenu Anastasio Somoza

jusqu’au bout considéra que ce nouveau gouvernement faisait peser une menace de contagion communiste en Amérique centrale. L’administration Carter, en poste au moment du renversement de

la dictature, n’adopta pas immédiatement une attitude agressive. Mais les choses changèrent

immédiatement quand Ronald Reagan entra à la Maison blanche. Il annonça (1981) sa volonté de faire tomber les sandinistes, il soutint financièrement et militairement une rébellion composée des anciens

membres de la garde nationale (« Contrarevolucionarios » ou « Contras »). L’aviation des Etats-Unis

mina plusieurs ports nicaraguayens. Face à cette hostilité, la politique du gouvernement à majorité sandiniste se radicalisa… Lors des élections de 1984 qui se déroulèrent de manière démocratique pour

la première fois depuis un demi-siècle, le sandiniste Daniel Ortega fut élu président avec 67% des suffrages. L’année suivante, les Etats-Unis décrètent un embargo commercial contre le Nicaragua qui

isolera le pays par rapport aux investisseurs étrangers. La Banque mondiale a stoppé ses prêts à partir

de la victoire sandiniste aux élections présidentielles. Comme indiqué dans le chapitre sur les relations entre la Banque mondiale et les Etats-Unis, les Sandinistes tentèrent activement de convaincre la

Banque mondiale de reprendre les prêts. Ils étaient disposés à appliquer un plan d’ajustement

structurel draconien. La Banque décida de ne pas donner suite et elle ne reprit les prêts qu’après la défaite électorale des sandinistes aux élections de février 1990, qui avaient vu la victoire de Violeta

Barrios de Chamorro, candidate conservatrice soutenue par les Etats-Unis.

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Embargo commercial décrété par Washington

Mouvement populaire qui renverse la

dictature des Somoza

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Graphique 4 : REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO : déboursements de la Banque mondiale Déjà en 1962, un rapport du Secrétaire général des Nations unies informait que plusieurs millions de dollars, destinés à financer les troupes de Mobutu, avaient été détournés par ce dernier. En 1982, un

senior du FMI, Erwin Blumenthal, banquier allemand, réalisa un rapport accablant sur la gestion du Zaïre de Mobutu dans lequel il avertissait les créanciers étrangers qu’ils ne devaient pas s’attendre à

être remboursés tant que Mobutu serait au pouvoir. Entre 1965 et 1981, le gouvernement zaïrois avait

emprunté environ 5 milliards de dollars à l’étranger et entre 1976 et 1981, sa dette extérieure fit l’objet de quatre restructurations au Club de Pairs pour un montant de 2,25 milliards de dollars.

La très mauvaise gestion économique et le détournement systématique par Mobutu d’une partie des

prêts n’a pas amené le FMI et la Banque mondiale à arrêter l’aide au régime dictatorial de Mobutu. Il est frappant de constater, qu’après la remise du rapport Blumenthal, les déboursements effectués par la

BM ont augmenté (ceux du FMI également mais ils ne sont pas repris dans le graphique). Manifestement, les choix de la Banque et du FMI n’étaient pas principalement déterminés par le

critère de la bonne gestion économique. Le régime de Mobutu était un allié stratégique des Etats-Unis

et d’autres puissances influentes au sein des institutions de Bretton Woods (cela comprend la France et la Belgique) tant que dura la guerre froide. A partir de 1989-1991, avec la chute du Mur de Berlin

suivi plus tard de l’implosion de l’Union soviétique, le régime de Mobutu perdit de son intérêt.

D’autant que dans beaucoup de pays d’Afrique (dont le Zaïre) se déroulaient des conférences nationales qui mettaient en avant la revendication démocratique. Les prêts de la BM commencèrent à

diminuer pour cesser complètement au milieu des années 1990. Pour une analyse fouillée, se reporter à l’étude de cas RDC plus loin dans cette thèse.

Source : Banque mondiale, CD-Rom, GDF, 2001

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$RAPPORT

BLUMENTHAL

Chute du Mur de Berlin

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Graphique 5 : ROUMANIE : déboursements de la Banque mondiale

A partir de 1947, la Roumanie s’intègre au bloc soviétique. En 1972, la Roumanie est le premier pays du glacis soviétique à rejoindre la Banque.

Ceaucescu, secrétaire général depuis 1965 du Parti Communiste au pouvoir, avait critiqué en 1968 l’intervention de l’URSS en Tchécoslovaquie, et les troupes de la Roumanie n’intervinrent pas avec

celles du Pacte de Varsovie. Cette prise de distance par rapport à Moscou a visiblement décidé

Washington, via la Banque, à envisager des relations étroites avec le régime roumain. La Banque entreprit dès 1973 de négocier avec Bucarest le début d’une politique de prêts qui atteignit

très vite un volume tout à fait appréciable. En 1980, la Roumanie devint le huitième en importance sur la liste des emprunteurs de la Banque. Un des historiens de la Banque, Aart van de Laar, raconte une

anecdote significative qui remonte à 1973. Il assistait début 1973 à une réunion de la direction de la

Banque qui avait à son agenda le début de l’octroi de prêts à la Roumanie. Devant l’incrédulité de certains dirigeants qui critiquaient l’absence de rapport fouillé sur la Roumanie, Robert McNamara

aurait déclaré qu’il avait une grande confiance dans la moralité financière des pays socialistes en terme

de remboursement de la dette. Ce à quoi un des vice-présidents de la Banque présent à la réunion aurait répondu que « le Chili d’Allende n’était peut-être pas encore devenu assez socialiste »8.

McNamara serait resté de glace. Le choix de la Banque ne reposait pas sur des critères économiques convaincants. En effet, primo,

alors que la Banque a régulièrement refusé de prêter à un pays qui n’avait pas réglé d’anciennes dettes

souveraines, elle commença à prêter à la Roumanie sans que celle-ci soit arrivée à mettre fin à un litige portant sur d’anciennes dettes. Secundo : l’essentiel des échanges économiques de la Roumanie étaient

réalisées à l’intérieur du Comecon en devises inconvertibles : comment pourrait-elle rembourser les

prêts en devises fortes ? Tercio, la Roumanie refusait au départ de communiquer des informations économiques requises par la Banque. Ce sont des considérations politiques qui manifestement

décidèrent la Banque à entamer des relations étroites avec la Roumanie. Il s’agissait de déstabiliser l’URSS et le bloc soviétique dans le contexte de la guerre froide en entretenant des relations étroites

avec la Roumanie. Nous ne mentionnerons pas ici le manque de démocratie interne et la répression

policière systématique qui n’a pas eu l’air de dissuader davantage la Banque dans ce cas que dans d’autres que nous avons analysés.

8 VAN DE LAAR, Aart. 1980. The World Bank and the Poor, Martinus Nijhoff Publishing, Boston/The Hague/London, p.40.

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Accession à la Présidence de

Ceaucescu

Isolement de Ceaucescu sur la scène

internationale

Source : Banque Mondiale, CD-Rom, GDF, 2001

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La Roumanie devint un des plus gros clients de la Banque et celle-ci finança des grands projets (mines de charbon à ciel ouvert, centrales électriques thermiques) dont les effets négatifs en terme de

pollution étaient facilement décelables. Pour l’exploitation des mines de charbon à ciel ouvert, les autorités roumaines déplacèrent des populations qui jusque là étaient actives dans l’agriculture. Dans

un autre domaine, la Banque soutint la politique de planification des naissances qui visait à augmenter

le taux de natalité. En 1982, quand éclata à l’échelle internationale la crise de la dette, le régime roumain décida

d’imposer à la population une thérapie de choc. La Roumanie réduisit ses importations très fortement

afin de dégager des surplus en devises de manière à rembourser la dette extérieure à rythme forcé. Comme l’écrivent les auteurs du livre commandité par la Banque pour commémorer son premier

demi-siècle d’existence : « La Roumanie était en un sens un débiteur 'modèle', du moins du point de vue des créanciers »9 (c’est moi qui traduis).

9 “Romania was, in a sense, a “model” debtor, at least from the creditors’ point of view” KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 1: History, Brookings Institution Press, Washington, D.C., p. 1061.

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Chapitre 14

La crise de la dette du tiers-monde des années 1980-1990

La crise de la dette vient de loin : A ses origines, la naissance du marché des eurodollars, l’augmentation des prêts de la Banque mondiale, le recyclage des pétrodollars, le fait que les banquiers du Nord se sont lancés dans une politique de prêts de plus en plus audacieuse, l’augmentation des prêts bilatéraux (d’Etats du Nord aux Etats du tiers-monde) qui ont pour objectif de relancer la demande des pays du tiers-monde pour les produits du Nord. Tous ces prêts fonctionnaient dans une logique d’ensemble : connecter plus fortement les pays de la Périphérie au marché mondial, les tourner davantage vers les exportations. Par ailleurs, une partie importante des prêts accordés a été utilisée par les gouvernants pour leur enrichissement personnel avec la complicité de certains créanciers. La hausse des taux d’intérêt décrétée unilatéralement par la Réserve fédérale des Etats-Unis combinée à la contraction des marchés d’exportation et la baisse des revenus qui en a découlé ont provoqué l’étranglement financier qui a déclenché la crise.

14.1. Années 1960 et 1970 : le gonflement de l’endettement

Entre 1961 et 1968, la dette extérieure du tiers-monde a été multipliée par un peu plus de deux : elle est passée de 21,5 milliards de dollars à 47,5 milliards de dollars1.

Entre 1968 et 1980, la dette extérieure du tiers-monde s’est fortement accrue passant d'environ 47,5 milliards de dollars à plus de 560 milliards de dollars2. Elle a été multipliée par 12 en 12 ans.

Pourtant, tant les médias que les institutions financières internationales n'ont commencé à parler de la

crise de la dette du tiers-monde qu'à partir d'août 1982, quand le gouvernement mexicain a annoncé qu'il ne serait plus en mesure d'assurer normalement le paiement du service de sa dette extérieure.

La crise n'a été déclarée qu'à partir du moment où un des principaux débiteurs s'est trouvé en difficulté

de paiement et que, par conséquent, le système financier international, à commencer par les banques privées du Nord, a été ébranlé.

Cependant la crise venait de loin.

1 MANDEL, Ernest. 1972. Le Troisième âge du Capitalisme, t.1., p.141. Mandel se fonde sur le Rapport de la Commission Pearson (voir chapitre suivant.). 2 Les différents organismes internationaux (BM, FMI, OCDE, Secrétariat des Nations Unies) qui publient régulièrement des documents sur l’évolution de la dette fournissent des chiffres qui peuvent différer fortement. Les disparités sont dues : 1) à des méthodes différentes d’additionner les chiffres partiels disponibles, 2) à des différences dans la nature de la dette prise en considération, 3) à des échantillons de pays différents. A titre d’illustration, l’OCDE avait d’abord estimé la dette totale du Tiers-monde à 552 milliards de dollars pour l’année 1982 (rapport 1983), tandis que la BM avançait le chiffre de 596 milliards. L’OCDE a, par la suite, modifié sa méthode de calcul pour tenir compte de la dette à court terme, moyennant quoi le chiffre d’endettement total de 1982 est passé de 552 à 820 milliards de dollars d’un rapport à l’autre. L’OCDE a changé une troisième fois son estimation : dans le rapport 1990, la dette du Tiers-monde pour l’année 1982 s’établit cette fois à 854 milliards de dollars. Pour chaque année de la décennie 1980, la différence est d’au moins 100 milliards de dollars entre les chiffres fournis par le FMI et ceux qui le sont par l’OCDE. Pour plus de détails, voir NOREL, Philippe et SAINT-ALARY, Eric. 1988. L’Endettement du tiers-monde, Alternatives économiques, Syros, p.19 et suiv.

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14.1.1. Aux origines de la crise de la dette : naissance du marché des eurodollars Dans les années 1960, un nombre croissant de banques opérant en dehors des Etats-Unis,

principalement en Europe, ont commencé à accepter des dépôts et à offrir des prêts libellés en dollars, facilitant l’absorption et le recyclage de cette monnaie de paiement international en surabondance au

niveau mondial, c’est ce que l’on a appelé le marché des eurodollars3. Les eurodollars proviennent des

dollars détenus en compte par des banques non résidentes aux Etats-Unis. Cette innovation financière marque le début de la dérégulation des mouvements de capitaux car les banques en question

échappèrent à tout contrôle étatique que ce soit celui de la Réserve fédérale américaine ou celui des

gouvernements d’Europe occidentale. Elles échappèrent aussi à tout contrôle inter-étatique, le FMI décidant de laisser faire. Celui-ci commettait ainsi une entorse à ses statuts dans la mesure où son

article VI prévoit explicitement le contrôle des mouvements de capitaux. Les coûts d’exploitation des produits libellés en eurodollars étaient inférieurs aux autres produits, les

“eurobanques” n’étant pas tenues de constituer des réserves obligatoires. Cela leur a permis d’offrir

aux déposants des rémunérations élevées et des taux compétitifs aux emprunteurs, tout en atteignant un haut niveau de rentabilité. Mais, ce n’était pas sans risque. Les signaux avant-coureurs du retournement de l’onde longue d’expansion rapide des “ trente

glorieuses ” en onde longue d’expansion lente s’exprimèrent notamment par une surliquidité des banques, car elles disposaient de masses croissantes de capitaux trouvant des difficultés à s’investir

dans la production (en liaison avec une baisse du taux de profit). La croissance des flux de crédits en eurodollars s’emballe au début des années 1970 : 212% d’augmentation entre 1970 et 1971; 58% entre

1971 et 1972; 207% entre 1972 et 1973.

14.1.2. Augmentation des prêts de la Banque mondiale Alors que pendant les vingt premières années de son existence, la Banque mondiale n’a financé par

des prêts que 708 projets pour un montant total de 10,7 milliards de dollars, à partir de 1968, les prêts augmentent de manière exponentielle. Au cours du quinquennat initié en 1968, la BM octroie pas

moins de 13,4 milliards de dollars de prêts répartis sur 760 projets4.

14.1.3. Recyclage des pétrodollars Nombre d’analystes et de faiseurs d’opinion du Nord ont, à tort, attribué la responsabilité de

l’explosion de la dette du tiers-monde à la hausse du prix du pétrole de 1973, décrétée par le cartel des

pays du Sud producteurs de pétrole (réunis dans l’OPEP). C’est factuellement faux. Comme nous venons de le montrer, l’endettement s’était fortement amplifié bien avant. Néanmoins deux facteurs

liés au choc pétrolier ont accéléré l’endettement. Primo, la majeure partie des surplus de revenus engrangés par les pays producteurs de pétrole a été transférée par les gouvernements du Sud vers le

système financier du Nord. Cela a augmenté la surliquidité des banques qui ont cherché, de manière

encore plus offensive qu’à la fin des années 1960 - début des années 1970, à placer des prêts auprès

3 ADDA, Jacques. 1996. La Mondialisation de l’économie, t. 1, p.94 et suiv.; CHESNAIS, François. coord. 1996. La Mondialisation financière, p.14 ; DE BRUNHOFF, Suzanne. 1996. « L’Instabilité monétaire internationale », in F. Chesnais (1996) La Mondialisation financière, p.47 ; NOREL, Philippe et SAINT-ALARY, Eric. Idem, p.41 et suiv. 4 GEORGE, Susan et SABELLI, Fabrizio. 1994. Crédits sans Frontières, p.52; MCNAMARA, Robert S. 1973. Cien países, Dos mil millones de seres.

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164

des pays du Sud. Secundo, les pays du Sud non producteurs de pétrole ont été affectés par l’augmentation de leur facture pétrolière. Celle-ci a entraîné un déficit de leur balance commerciale.

Pour la combler, ils ont été forcés de procéder à des emprunts sur les marchés financiers du Nord. De là à attribuer aux pays de l’OPEP la responsabilité de la crise de la dette du tiers-monde, il y a un

pas qu’il faut se garder de franchir.

Il n’est pas étonnant que d’aucuns l’aient franchi car cela permettait de disculper les décideurs du Nord. Cette explication fausse avait une portée plus générale : chercher à attribuer la cause de la crise

économique mondiale de 1974-1975 à l’OPEP.

Il revient à Ernest Mandel d’avoir, à l’époque des faits, mis en garde contre cette explication5. De son côté, un économiste régulationniste comme Michel Aglietta a avancé une explication convergente à

celle d’Ernest Mandel6. Cheryl Payer abonde dans le même sens7. 14.1.4. La responsabilité des banquiers du Nord Les banquiers du Nord se sont lancés dans une politique de prêts de plus en plus audacieuse (et

risquée), notamment aux pays du tiers-monde (tant aux entreprises privées qu’aux pouvoirs publics)8. Les décideurs des pays du tiers-monde se sont très vite habitués à une situation où les banquiers leur

“ offraient ” des crédits à des taux très bas (entre 3 et 8% par an jusque 1978). Décompte fait de

l’inflation, les taux d’intérêt réels étaient proches de zéro, voire négatifs. Une bonne affaire pour les emprunteurs. Maints témoignages de hauts mandataires politiques et de directeurs d’entreprises du

Sud coïncident pour dire que les représentants des banques du Nord faisaient la file pour réussir à placer des prêts, tous plus avantageux les uns que les autres. Au moment de l’éclatement de la crise de

1982, on ne recensait pas moins de 500 banques créancières du Mexique et plus de 800 pour le Brésil.

14.1.5. Crise économique mondiale de 1974-1975 et poursuite de la politique des prêts Quand éclate la récession économique mondiale de 1974-1975, les gouvernements du Nord

cherchèrent à appliquer des recettes classiques de relance à l’époque. Il s’agissait de relancer la production par la demande. C’est dans ce cadre que l’augmentation des prêts au tiers-monde se

poursuit. S’y ajoutent d’importants prêts à plusieurs pays d’Europe centrale et des Balkans

(Yougoslavie, Pologne, Hongrie, Roumanie…). Cette fois-ci, ce sont les gouvernements du Nord qui mettent le pied sur l’accélérateur notamment par le développement des crédits à l’exportation

permettant à un pays du Sud d’obtenir un crédit à condition d’acheter aux industries du pays du Nord

qui l’accorde, des équipements industriels ou tout autre produit (y compris de l’équipement militaire déguisé sous une forme ou une autre). Les prêts bilatéraux (d’Etats du Nord aux Etats du tiers-monde)

ont pour objectif de relancer la demande des pays du tiers-monde pour les produits du Nord. Conséquence : entre 1976 et 1980, le stock total de dette des PED croît annuellement de 20%.

5 Voir notamment son article La hausse du prix du pétrole n’a pas provoqué la 20e crise de surproduction depuis la formation du marché mondial du capitalisme industriel publié dans la revue Inprecor du 16 janvier 1975. MANDEL, Ernest. 1982. La Crise, 1974-1982, p.37 et suiv.; voir également NOREL, Philippe et SAINT-ALARY, Eric. 6 AGLIETTA, Michel, BRENDER, Anton et COUDERT, Virginie. 1990. Globalisation financière : l’aventure obligé, CEPII, Economica, Paris. 7 PAYER, Cheryl. 1991. Lent and Lost. Foreign Credit and Third World Development, Zed Books, London, p.60-63. 8 Nous verrons dans le chapitre suivant que des banquiers, et non des moindres, étaient pourtant conscients du risque qui pesait sur les PED. Les banquiers prenaient des risques calculés.

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165

14.2. Des prêts pour quoi faire ? La BM, les gouvernants des pays industrialisés, les banques du Nord ont surtout accordé des prêts pour des projets tournés vers des travaux lourds d’infrastructure (méga-projets énergétiques par

exemple).

Des prêts ont également été accordés pour diminuer le déficit de la balance des paiements des pays du Sud. D’autres l’ont été sous forme de crédits à l’exportation pour soutenir les industries exportatrices

du Nord. Tous ces prêts fonctionnaient dans une logique d’ensemble : connecter plus fortement les pays de la

Périphérie au marché mondial, les tourner davantage vers les exportations. Cela a impliqué l’abandon

de cultures vivrières locales ou de projets industriels tournés vers la satisfaction des besoins du marché intérieur des pays du Sud ou vers l’exportation de produits à haute valeur ajoutée susceptibles de

concurrencer les économies du Nord. Ils visaient également à développer la spécialisation d’un pays

dans la production de quelques produits d’exportation. Les pays les moins avancés au sein du tiers-monde ont été les plus vulnérables et ils se sont fortement spécialisés, augmentant ainsi leur

dépendance. Mais il n’y a pas qu’eux : l’Algérie, par exemple, qui était en plein décollage industriel, a été entraînée à développer essentiellement l’extraction de pétrole et de gaz.

En poussant les pays du Sud à se tourner davantage vers les exportations de matières premières ou de

produits manufacturés de base, le Nord les a mis en concurrence, ce qui ne pouvait, à court terme, qu’aboutir à une pression vers le bas du prix des produits qu’ils exportaient. La conséquence ne

pouvait être, à terme, qu’une diminution de leurs revenus d’exportation et surtout une dégradation des

termes de l’échange (voir chapitre 20).

14.2.1. Enrichissement des gouvernants du Sud : corrupteurs du Nord et corrompus…

Par ailleurs, une partie importante - difficile à estimer - des prêts accordés a été utilisée par les gouvernants pour leur enrichissement personnel. P. Norel et E. Saint-Alary posent la question :

“ Quels sont les banquiers qui ont sourcillé quand ils ont vu que tel prêt destiné à une société d’Etat mexicaine ou philippine était en fait versé directement à Boston ou Genève sur le compte de tel haut fonctionnaire ?”9. Des exemples sont fameux : à la fin de la dictature de Marcos aux Philippines,

celui-ci avait amassé une fortune personnelle d’environ dix milliards de dollars. Son règne a duré vingt

ans. Or, au départ, son patrimoine personnel était très faible. Les autorités civiles qui ont succédé à Marcos et le peuple philippin ont, quant à eux, hérité d’une dette extérieure de trente milliards de

dollars.

Le cas du dictateur Mobutu est également un cas d’école. En 1960, il avait un revenu de caporal.

Trente plus tard, sa fortune personnelle avait atteint environ huit milliards de dollars (les estimations divergent car les banques du Nord et d’Afrique du Sud gardent jusqu’ici le secret sur les avoirs de

Mobutu). A la chute du dictateur en mai 1997, les nouvelles autorités congolaises et le peuple congolais sont redevables d’une dette extérieure qui s’élève à près de treize milliards de dollars. Il ne

s’agit pas de cas isolés. Ces pratiques font “ système ” et entrent dans le fonctionnement normal, voire

légal.

9 NOREL, Philippe et SAINT-ALARY, Eric. Ibid., p.40.

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166

Nous avons publié ailleurs une analyse de l’endettement de l’Argentine sous la dictature (1976-1982)10. Il en ressort qu’il y a eu complicité systématique entre les banques du Nord, le FMI, les

gouvernants des Etats-Unis et la dictature argentine pour endetter le pays tout en enrichissant des gouvernants argentins et des institutions du Nord. Il est évident qu’une partie considérable de l’argent

prêté par le Nord (près de 80% selon Vilas, 1993, et d’autres auteurs)11 n’est jamais arrivée aux

économies des pays destinataires, sans parler des populations.

On peut se faire une idée de l’ampleur de l’argent prêté au Sud et déposé sur des comptes bancaires au

Nord en observant au chapitre 7 le tableau qui montre le montant des dépôts en liquide des résidents des PED dans les banques des pays les plus industrialisés. Ce tableau indique qu’en 2002, les dépôts

des PED dans les banques du Centre représentent le double des montants prêtés par ces mêmes banques aux PED.

Une partie non négligeable de cet argent provient sans aucun doute de sommes prêtées aux PED et

détournées par des gouvernants et des entrepreneurs des pays endettés. Il faut aussi prendre en compte l’argent des prêts utilisés pour des constructions de prestige visant à

augmenter le pouvoir de régimes dictatoriaux ou non : la réplique de Saint-Pierre de Rome dans le

village natal du défunt président de la Côte d’Ivoire, Houphouët-Boigny ; le palais de Gbadolite que Mobutu a fait construire dans son village natal... Ce n’est que la pointe de l’iceberg.

Enfin, il faudrait recenser les ravages causés à l’environnement et aux populations par la réalisation de méga-projets énergétiques ou d’infrastructures de communication. Il faut également tenir compte du

fait que la majeure partie des dépenses nécessaires à la réalisation de ces travaux d’infrastructure a

servi à payer des équipements importés du Nord et à verser des salaires d’experts de la même origine. Très peu d’argent est arrivé dans les pays du Sud. Plusieurs de ces projets d’ailleurs n’ont pas abouti

ou sont utilisés nettement en dessous de leur capacité car ils ont été conçus sans prendre en compte les

besoins réels du pays.

14.2.2. Un exemple de méga-projet énergétique : Le barrage d’Inga au Congo-Zaïre

Vieux projet de la colonisation belge, le complexe hydro-électrique d’Inga a connu un début de réalisation avec l’arrivée au pouvoir du général Mobutu en 1965. Le bureau de la présidence en

gardera la tutelle. Fin 1971, le montant du financement était devenu insuffisant pour couvrir

l’achèvement des travaux. Au total, la première phase des travaux d’Inga s’est élevée à 163 350 000 dollars, soit une augmentation de 125% par rapport aux premières estimations. Fin 1980, alors que la

centrale d’Inga était utilisée à moins de la moitié de sa capacité et que, déjà à ce moment, pratiquement aucun des projets industriels qui devaient être associés à cette construction ne se

concrétisait, d’autres industriels se lancent dans l’aventure d’Inga II, dont la puissance devait être

triplée par rapport à Inga I. Le coût initial de cette deuxième centrale était estimé à 360 millions de dollars : on atteindra finalement les 460 millions de dollars.

Le financement était assuré par des crédits bancaires et des prêts commerciaux : les premiers et les

plus importants furent les engagements bancaires belges de la Société Générale de Banque (167 millions de dollars avec des taux d’intérêt variant entre 6 et 8%). Des problèmes d’ensablement ont

10 “Argentine: Le Tango de la dette” dans TOUSSAINT, Eric. 2004. La Finance contre les peuples. La Bourse ou la Vie, CADTM-Bruxelles/CETIM-Genève/Syllepse-Paris, p. 415-434. 11 VILAS, Carlos. 1993. Crisis de la Deuda de América latina.

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considérablement augmenté le coût de fonctionnement de Inga II. De plus, les projets de développement industriel qui auraient justifié cette seconde centrale n’ont pas vu le jour12.

Ce qui est peut-être le plus terrible dans cette histoire d’“ éléphant blanc ”, c’est que Inga a quand même produit de l’électricité, mais que celle-ci, tirée par des lignes couvrant plus de mille de

kilomètres pour relier des centres stratégiques industriels, n’a pas été conçue ni utilisée pour livrer le

moindre kilowatt pour la pompe à eau des villages, pour l’éclairage du centre de santé ou pour n’importe quelle amélioration du niveau du vie des centaines de milliers de personnes qui vivent sous

ces lignes à haute tension.

Une étude réalisée à la demande du ministre belge de la Coopération au développement replace

clairement le contexte de ce type d’aventure. “ La surliquidité du système monétaire international, combinée à l’absence quasi totale de contrôles sur les marchés financiers, a poussé les banquiers, dans la situation de crise que connaissent les pays occidentaux, à orienter leur surplus financier vers le Tiers-monde. Ils se sont ainsi spécialisés dans la transformation et le recyclage de l’épargne provenant du Tiers-monde en prêts au Tiers-monde. La dette qui en a résulté se caractérise par une forte concentration sur un petit nombre de pays et une forte concentration des banques prêteuses, les banques américaines venant largement en tête. Si les grandes banques américaines avaient déjà commencé à prêter aux pays du Tiers-monde dès la fin des années 60, l’arrivée des pétrodollars sur les marchés internationaux de capitaux, a précipité le mouvement qui s’est répandu à l’allure d’une épidémie dont les vecteurs furent les “ vendeurs d’argent ”, véritables démarcheurs des banques sillonnant le Tiers-monde pour y placer leurs prêts ”13.

14.3. Le tournant d’octobre 1979 “ La crise de la dette latino-américaine dans les années quatre-vingt a été provoquée par l’énorme augmentation des taux d’intérêt qu’a entraînée la politique monétaire restrictive du président de la Federal Reserve, Paul Volcker, aux États-Unis.” Joseph Stiglitz, La grande désillusion

L’inflation dans les années 1970 avait atteint au niveau de l’économie mondiale des taux intolérables

pour le système capitaliste14. Au cours des années 1970, les taux d’intérêt des crédits, déflatés de la hausse des prix, étaient négatifs ou très faibles, au détriment des créanciers (voir plus loin tableau

14.1. sur l’évolution des taux d’intérêt).

Un tournant radical a été pris en octobre 1979, sous la conduite de Paul Volker, directeur de la Réserve fédérale des Etats-Unis, et de Mme Thatcher, Premier ministre britannique ; autrement dit, dans le

pays de la plus grande puissance financière et dans celui du plus important marché international des

changes. Une forte augmentation des taux d’intérêt fut mise en pratique. La “ seconde révolution d’octobre ”, comme certains commentateurs se sont plu à l’appeler, visait à briser l’inflation aux Etats-

Unis d’abord. Elle eut pour effet de porter les taux d’intérêt sur les crédits à court terme à des niveaux jamais atteints.

12 GALAND, Pierre et LEFEVRE, Gabrielle. 1996. Coopération au Développement: aide ou business, p.30. 13 SIMONS E., VERHAEGEN B. et WILLAME J.-C., Endettement, technologie et industrialisation au Zaïre, 1970 - 1981. 14 ADDA, Jacques. 1996. La Mondialisation de l’économie, t. 1, p. 99 et suiv.; de Brunhoff, in CHESNAIS, François. coord. 1996. La Mondialisation financière, p.49.

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Cette politique a été diffusée partout à partir de 1980 sous la conduite de l’administration Reagan et du

gouvernement Thatcher imposant progressivement au reste du monde des politiques néo-libérales et a fondamentalement modifié les conditions du financement intérieur et extérieur des économies

nationales. Le changement de politique financière a affecté les débiteurs les plus vulnérables (crise de

la dette du tiers-monde), ainsi que l’emploi, les salaires, la protection sociale, en même temps que l’endettement public, dans les pays capitalistes développés.

14.4. L’éclatement de la crise de la dette du tiers-monde : l’étranglement financier 14.4.1. Les effets de la hausse des taux d’intérêt

Pour les pays du tiers-monde, cela a impliqué, à stock de dette constant, un triplement des charges à rembourser car celles-ci suivaient l’évolution à la hausse du Prime Rate et du LIBOR - voir lexique -.

Les emprunts contractés dans le courant des années 1970 contenaient une clause prévoyant

l’indexation des taux en fonction de l’évolution du LIBOR ou du Prime Rate. Grâce au tableau 14.1., l’évolution décrite plus haut est clairement décelable. Tableau 14.1. Taux d’intérêt nominal, taux d’intérêt réel et inflation (en %)

Prime Rate Inflation aux Etats-Unis Années Nominal Réel 1970 7,9 2,0 5,9 1971 5,7 1,4 4,3 1972 5,2 1,9 3,3 1973 8,0 1,8 6,2 1974 10,8 -0,2 11,0 1975 7,9 -1,3 9,2 1976 6,8 1,1 5,7 1977 6,8 0,3 6,5 1978 9,1 1,4 7,7 1979 12,7 1,4 11,3 1980 15,3 1,8 13,5 1981 18,9 8,6 10,3 1982 14,9 8,7 6,7 1983 10,8 7,6 3,2 1984 12,0 7,7 4,3 1985 9,9 6,4 3,5 1986 8,3 6,4 1,9 1987 8,2 4,5 3,7 1988 9,3 5,2 4,1 1989 10,9 6,1 4,8 1990 10,0 4,6 5,4 1991 8,5 4,3 4,2 1992 6,3 3,3 3,0 1993 6,0 3,0 3,0 1994 7,7 5,1 2,6 Source: CEPAL in Ugarteche, 1996, p. 230

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Graphique 14.1. Représentation graphique du tableau 14.1.

Evolution du Prime Rate (taux d'intérêt nord-américain) entre 1970 et 1981

-4

0

4

8

12

16

20

1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981

taux nominal

taux réel(inflationdéduite)

Réalisé par Damien Millet

Dans le tableau et le graphique 14.1., le taux d’intérêt réel est calculé en déduisant du taux d’intérêt nominal, le taux d’inflation aux Etats-Unis. Dans le cas présent, l’évolution du Prime rate est un bon

indicateur de l’évolution du taux d’intérêt pratiqué sur le marché financier international. Tout comme le LIBOR de Londres, il sert de référence pour déterminer les taux des prêts accordés au tiers-monde.

Les données fournies dans le tableau indiquent clairement le niveau très bas des taux d’intérêt dans les années 1970 (tant au niveau nominal que réel). En 1974-1975, les taux d’intérêt réels ont même été

négatifs. On voit que le tournant à la hausse est pris dès 1979-1980 au niveau des taux nominaux. Un

des objectifs poursuivis était de réduire radicalement l’inflation, à commencer par celle des Etats-Unis. L’objectif commence à être atteint à partir de 1981, ce qui provoque par contagion une augmentation

très forte des taux d’intérêt réel pour l’ensemble des économies et aboutit à la crise d’étranglement financier des pays endettés du Sud.

Il est important également de constater que les taux d’intérêts réels sont plus élevés durant toute la

décennie 1980 et les années 1990 que durant les années 1970. Cela signifie que les nouveaux prêts qui ont été contractés dans les années 1980 et 1990 pour rembourser ceux des années 1970 l’ont

généralement été à des taux réels plus élevés que les prêts qu’ils servent à rembourser.

Plus percutante et significative est l’estimation présentée par Sebastian Edwards : cet économiste de la

Banque mondiale a été chef de la section économique de la BM pour l’Amérique latine jusqu’en 1996.

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170

Son estimation ne contredit pas la précédente, elle l’amplifie. Pour calculer l’évolution du taux d’intérêt réel appliqué à la dette de l’Amérique latine, Sebastian Edwards déduit du taux d’intérêt

nominal (LIBOR) le taux d’inflation des exportations latino-américaines. Ce mode de calcul est pertinent car c’est avec le fruit de ses exportations que l’Amérique latine rembourse sa dette.

Selon S. Edwards, “ dans le cas de l’Amérique latine, le taux d’intérêt réel est passé d’une moyenne de –3,4% (taux négatif favorable aux endettés, NDA), entre 1970 et 1980, à +19,9% en 1981, +27,5% en 1982 et +17,4% en 1983 ”15.

14.4.2. La contraction des marchés d’exportation et la baisse des revenus qui en a découlé ont provoqué un déficit commercial pour les pays du Sud La contraction des marchés d’exportation due à l’éclatement en 1980-1981 de la deuxième récession

généralisée depuis celle de 1974-197516 et la chute drastique du prix des matières premières créèrent, dès août 1982, une situation d’étranglement financier pour les pays du tiers-monde. Elle était le

résultat mécanique d’une baisse des revenus d’exportation combinée à l’augmentation des charges

d’intérêt. D’où un déficit de la balance commerciale qu’il fallut chercher à financer par de nouveaux emprunts.

Graphique 14.2. Prix de quelques familles de produits en dollars constants de 1990 (base 100 en 1990)

Prix de quelques familles de produits, en $ constants de 1990 (base 100 en 1990)

60

100

140

180

220

1970 1980 1990 1999

Alimentation

Boissons

Métaux etminéraux

Réalisé par Damien Millet sur la base de Banque mondiale, GDF 2002.

De plus, le robinet du crédit n’était pas resté longtemps ouvert, le temps pour les banques de prendre

conscience des risques auxquels elles s’étaient exposées.

Les pays producteurs de pétrole virent leurs revenus dégringoler, plus question dès lors de pouvoir

recycler les pétrodollars.

15 EDWARDS, Sebastian. 1995. Crisis y Reforma en América Latina, 1997, p.35. 16 MANDEL, Ernest. 1982. La Crise, 1974-1982, p.214 et suiv.

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Le gonflement spectaculaire du déficit budgétaire des Etats-Unis sous l’impulsion de R. Reagan aspira vers l’économie américaine une masse énorme de capitaux (qui se détournèrent des pays du tiers-

monde). Tandis que les Etats-Unis se substituaient aux pays du tiers-monde comme premier débiteur sur les marchés financiers mondiaux, l’Allemagne de l’Ouest et le Japon prenaient la place de l’OPEP

comme pourvoyeurs de capitaux.

La décision des banques de stopper brutalement les crédits aux pays du tiers-monde provoqua ipso facto la cessation des paiements du service de la dette qu’elles redoutaient.

En août 1982, les autorités mexicaines annonçaient qu’elles n’étaient plus en mesure de faire face à leurs engagements financiers internationaux. Elles allaient être suivies par d’autres gouvernements aux

quatre coins du tiers-monde. La crise de la dette du tiers-monde n’était pas sans poser problème aux gouvernements des pays riches.

Sortant à peine d’une crise de plusieurs années, ils se trouvaient avec une nouvelle épine dans le pied :

les banques avaient tellement prêté au tiers-monde que la crise de la dette les menaçait d’une grave crise. A titre d’exemple, en 1982, les créances sur le Brésil, l’Argentine, le Venezuela et le Chili

représentaient 141% des fonds propres de la Morgan Guaranty, 154% de ceux de la Chase Manhatan

Bank, 158% de ceux de la Bank of America, 170% de ceux de la Chemical Bank, 175% de ceux de la City Bank et 263% de ceux de la Manufacturers Hanover.

Mais cela n’a pas duré car le FMI et la BM se sont transformés en grands percepteurs de la dette du

tiers-monde. Les Etats créanciers du Nord regroupés dans le Club de Paris (qui agit en étroite

collaboration avec le couple FMI/BM) ont pris en charge la renégociation de leurs créances bilatérales avec les pays débiteurs. Le Club de Londres a organisé la retraite des banques privées du marché de la

dette du tiers-monde en garantissant au maximum leurs intérêts.

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172

Chapitre 15

Banque mondiale/ FMI et la crise de la dette 15.1. De 1960 jusqu’à 1970, les signaux d’alerte n’ont pas manqué Dès 1960, Dragoslav Avramoviæ et Ravi Gulhati, deux économistes éminents de la BIRD1, publient un rapport qui pointe clairement le danger de voir les PED atteindre un niveau insoutenable

d’endettement en raison des perspectives sombres en terme de revenus d’exportation :

« On prévoit que dans les prochaines années les remboursements de la dette vont augmenter dans plusieurs grands pays endettés, dont la plupart ont déjà atteint un taux de service de la dette fort élevé. (…) Dans certains cas, l’incertitude concernant les perspectives d’exportation et un lourd service de la dette constituent un sérieux obstacle à de nouveaux emprunts importants »2 (c'est moi qui traduis).

Ce n’est que le début d’une série continue d’avertissements qui apparaissent dans différents successifs de la BIRD. En voici des extraits significatifs.

Dans le Rapport annuel de la Banque mondiale de 1963-64, à la page 8, il est écrit : « Le lourd fardeau de la dette qui pèse sur un nombre croissant de pays membres constitue un souci permanent pour le groupe de la Banque mondiale. (…) Les directeurs exécutifs ont décidé que la Banque pouvait modifier certaines conditions de prêt pour alléger le service de la dette dans les cas appropriés »3

(c'est moi qui traduis).

Dans celui de l’année 1964-65 à la page 57, la Banque écrit : « Un approvisionnement suffisant en

capitaux extérieurs … est un des principaux problèmes de développement … et le poids de plus en

plus lourd du service de la dette le rend d'autant plus aigu »4 (c'est moi qui traduis).

Dans celui de 1965-66 : « Alors que le fardeau croissant de la dette des pays en développement souligne la nécessité d'un assouplissement des conditions de prêt, (…) les conditions moyennes de l’aide bilatérale pourraient devenir bien moins favorables… (…) Cependant, un plus haut niveau d’aide à des conditions inadéquates peut rendre le problème de la dette extérieure encore plus

1 Le Yougoslave Dragoslav Avramoviæ fut économiste en chef de la Banque mondiale en 1963-1964. Trente ans plus tard, il devint gouverneur de la Banque centrale yougoslave (1994-1996) du temps du gouvernement de Miroslav Milosevic. 2 “In several major debtor countries, most of which already have high debt service ratios, service payments are predicted to rise in the next few years. (…) In some cases uncertain export prospects and heavy debt service schedules constitue a serious obstacle to substantial amounts of further borrowing”. AVRAMOVIÆ, Dragoslav and GULHATI, Ravi. 1960. Debt Servicing Problems of Low-Income Countries 1956-58, Johns Hopkins Press for the IBRD, Baltimore, p.56 et 59. 3 “The Heavy debt burden that weighs on an increasing number of its member countries has been a continuing concern of the World Bank group… the Executive Directors have decided that the Bank itself may vary some terms of its lending to lighten the service burden in cases where this is appropriate … to the debt position of the country”. World Bank, Annual Report 1963-4, p.8. 4 “Adequate supply [of] externally provided capital … is one of the most important [problems of development] and its urgency has been greatly heightened by increasing burden of debt servicing”. World Bank, Annual Report 1964-5, p. 57.

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173

difficile. Si l’aide n’est pas offerte à des conditions plus favorables, le volume brut de l’aide devra être augmenté en permanence et de façon considérable afin de maintenir un réel transfert des ressources »5 (c'est moi qui traduis).

En résumé, on peut estimer que la Banque mondiale avait détecté le danger persistant d’éclatement

d’une crise de la dette sous la forme d’une incapacité de soutenir les remboursements croissants. Les solutions envisagées par la Banque dans les citations reprises ci-avant consistent à augmenter le

volume des prêts en proposant des conditions plus favorables : taux d’intérêts moins haut, période plus

longue pour le remboursement. En fait, la Banque ne perçoit le problème qu’en terme de flux : pour que les pays endettés puissent rembourser, il faut augmenter les montants prêtés en allégeant les

conditions de remboursement. On est manifestement entré dans un cercle vicieux, tant au niveau du raisonnement que dans la réalité.

Dans les mêmes rapports, la Banque exprime sa confiance dans l’augmentation des flux de capitaux privés (investissements et prêts) vers les PED. L’augmentation des prêts privés est considérée comme

un objectif à atteindre. Cette augmentation permettra d’alléger l’attente par rapport aux financements

publics, selon le rapport déjà cité.

Dans le rapport 1964-65, on peut lire en effet : « Le groupe de la Banque mondiale et d’autres organisations internationales déploient des efforts considérables pour encourager et élargir les flux de capitaux privés vers les pays moins développés. Il n’y a pas de doute qu’on peut s’attendre à une augmentation de ces flux (…) accélérant ainsi la voie du développement et allégeant l'attente par rapport aux financements publics »6 (c'est moi qui traduis et qui souligne).

Dans celui de 1965-66, on pointe la nécessité de libérer les mouvements internationaux de capitaux : « On peut espérer qu'il sera possible d'établir des conditions qui permettent un mouvement plus libre des capitaux privés sur le marché mondial ». Et, c’est remarquable, après un long développement sur les difficultés de remboursement de la dette, la

Banque déclare qu’il ne faut pas diminuer le recours à l’emprunt : « Rien de cela cependant ne doit être interprété comme impliquant que les pays en développement ne pourraient pas se permettre, voire devraient éviter, toute augmentation dans leurs obligations de remboursement »7 (c'est moi qui

traduis).

5 “While the increasingly heavy debt burden of developing countries points to the need for funds on easier terms … the average terms of total bilateral assistance may become less, rather than more, concessionary… A higher level of aid on inappropriate terms, however, could make the external debt problem even more difficult. If aid is not made available on average terms which are more concessionary, the gross volume of assistance will have to be steeply and continuously increased in order to maintain any given level of real resources transfer”. World Bank, Annual Report 1965-6, p.45. 6 “The World Bank group and other international organizations (…) are making strenuous efforts to encourage and enlarge the flow of private capital into the less developed countries. There is no doubt that this flow can be expected to increase (…) thereby accelerating the pace of development and relieving the pressure on public funds”. WORLD BANK, Annual Report 1964-5, p.62. 7 “It is to be hoped that conditions can be established in world [private] capital markets which will permit a freer movement of capital internationally”. WORLD BANK, Annual Report 1965-6, p.45. “None of this, however, should be taken to mean that developing countries cannot afford, and hence should avoid, any increases in debt service obligations”. WORLD BANK, Annual Report 1965-6, p.35.

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174

La désignation de la Commission Pearson en 1968 par Robert Robert McNamara, nouveau président de la Banque Mondiale, s'inscrit dans les efforts déployés par les dirigeants américains pour faire face

à cette crise. Partners in Development, le rapport de la commission Pearson publié en 1969, prédisait que le poids de la dette augmenterait pour atteindre une situation de crise dans la décennie suivante. Le

pourcentage des nouveaux emprunts bruts utilisés pour assurer le service de la dette avait atteint 87%

en Amérique latine en 1965-67.

Voici ce qu'en 1969, Nelson Rockfeller, frère de David, président de la Chase Mahattan Bank,

expliquait dans un rapport au Président des Etats-Unis à propos des problèmes auxquels l'Amérique Latine devait faire face: « Le niveau considérable des montants empruntés par certains pays de l’hémisphère occidental afin de soutenir le développement est tel que le paiement des intérêts et l’amortissement absorbent une grande part des revenus d’exportations. (…) Beaucoup de pays sont amenés en effet à contracter de nouveaux emprunts pour disposer des devises nécessaires à payer l’intérêt et l’amortissement des anciens emprunts et ce, à des taux d’intérêt plus élevés »8 (c'est moi qui traduis).

Quelques temps après, en 1970, dans un rapport au président des Etats-Unis, Rudolph Peterson, président de la Bank of America, tire la sonnette d’alarme : « Le poids de la dette de beaucoup de pays en développement constitue maintenant un problème urgent. Bien qu'annoncé depuis dix ans, on n’en a pas tenu compte. Les raisons sont multiples, mais quoi qu'il en soit, dans certains pays, les revenus d’exportation à venir sont tellement hypothéqués que cela compromet la poursuite des importations, des investissements et du développement »9 (c'est moi qui traduis).

De son côté, le General Accounting Office (GAO, équivalent aux Etats-Unis de la Cour des Comptes

en Belgique et en France) avait rédigé en 1969, un rapport également alarmant : « Beaucoup de nations pauvres ont déjà atteint un niveau d’endettement qui dépasse leurs possibilités de remboursement. (…) Les Etats-Unis continuent à accorder plus de prêts aux pays sous-développés que tout autre pays ou organisation et ils ont également le plus fort taux de pertes. La tendance à faire des prêts remboursables en dollars ne garantit pas que les fonds seront remboursés »10 (c'est moi qui

traduis).

En résumé, différentes sources influentes aux Etats-Unis, toutes reliées entre elles, considéraient

qu’une crise de la dette pouvait éclater quelques années plus tard.

8 “Heavy borrowing by some Western hemisphere countries to support development have reached the point where annual repayments of interest and amortization absorb a large share of foreign exchange earnings… Many of the countries are, in effect, having to make new loans to get the foreign exchange to pay interest and amortization on old loans, and at higher interest rates” Nelson Rockfeller. 1969. Report on the Americas, Quadrangle Books, Chicago, p. 87, cité par PAYER, Cheryl. 1991. Lent and Lost. Foreign Credit and Third World Development, Zed Books, London, p.69. 9 “The debt burden of many developing countries is now an urgent problem. It was foreseen, but not faced, a decade ago. It Stems from a combination of causes [but] whatever the causes, future export earnings of some countries are so heavily mortgaged as to endanger continuing imports, investment, and development” Task Force on International Development, U.S. Foreign Assistance in the 1970s : a new approach, Report to the President, Government Printing Office, 1970, Washington, p.10. 10 “Many poor nations have already incurred debts past the possibility of repayment… The US continues to make more loans to underdeveloped countries than any other country or organization and also has the greatest loss ratio. The trend toward making loans repayable in dollars does not ensure that the funds will be repaid” Banking, November 1969, p. 45, cité par PAYER, Cheryl. 1991. Lent and Lost. Foreign Credit and Third World Development, Zed Books, London, p.58.

Page 190: Thèse EricT VersionDéf 11juin

175

De son côté, Robert McNamara, lui aussi, considérait que le rythme de croissance de l’endettement du

tiers-monde constituait un problème. Il déclarait : “ A la fin de 1972, la dette s’élevait à 75 milliards de dollars et le service annuel de la dette dépassait 7 milliards de dollars. Le service de la dette a augmenté de 18% en 1970 et de 20% en 1971. Le taux moyen d’augmentation de la dette depuis la décennie de 1960 a représenté presque le double du taux de croissance des revenus d’exportation avec lesquels les pays endettés doivent assurer ce service de la dette. Cette situation ne peut continuer indéfiniment ”11 (c'est moi qui traduis).

Pourtant la BM qu’il présidait a maintenu la pression sur les pays de la Périphérie afin qu’ils

accroissent leur endettement. Entre 1968 et 1981, les montants prêtés annuellement par la BM ont constamment progressé passant de 2,7 milliards de dollars en 1968, année de l’accession de Robert Mc

Namara à la présidence de la BM, à 8,7 milliards en 1978 et à 12,0 en 1981 à la veille de l’éclatement

de la crise12.

15.2. Le raisonnement tenu par la BM pour accroître l’endettement

Il est important de revenir en arrière et de résumer le discours qui a justifié le rôle actif joué par la BM

dans le processus d’endettement des pays de la Périphérie entre 1968 et 1982. Jusqu’en 1973, sans parler des motivations géostratégiques, le discours de Robert McNamara était, en

substance, le suivant : les pays en voie de développement doivent être appuyés dans leurs efforts de

croissance. Or l’aide publique au développement accordée par les pays développés est totalement insuffisante. De

plus, malgré leur engagement à diminuer les mesures discriminatoires à l’encontre des produits exportés par les pays en développement, les pays développés les maintiennent (Robert McNamara a

d’ailleurs déploré publiquement à plusieurs reprises l’insuffisance de l’APD et le protectionnisme du

Nord13). La BM doit intervenir dans cette situation pour prêter des sommes de plus en plus importantes aux PED pour qu’ils atteignent, malgré toutes les embûches, un rythme suffisant de croissance et des

revenus suffisants pour rembourser leurs dettes. La BM est donc engagée dans une course contre la

montre pour octroyer un maximum de prêts de manière à suppléer à l’insuffisance de l’APD. Le raisonnement de Robert McNamara est de toute évidence en contradiction avec ses propres

affirmations concernant le danger d’un rythme de croissance de l’endettement supérieur à celui des revenus d’exportation (voir plus haut).

A partir de 1973, l’augmentation du prix des produits pétroliers et d’autres matières premières provoque une fuite en avant vers de plus en plus d’endettement. Dans les publications de la Banque

mondiale, dans celles du FMI et dans celle des banquiers, on trouve de moins en moins de pronostics

pessimistes en ce qui concerne les difficultés de remboursement auxquelles les PED pourraient être confrontés.

Prenons le FMI ; on peut lire dans son rapport annuel pour 1975, un message tout à fait serein :

« L’investissement des surplus des pays exportateurs de pétrole sur les marchés financiers nationaux

11 MCNAMARA, Robert S. 1973. Cien países, Dos mil millones de seres, Tecnos, Madrid, p.94. 12 BELLO, Walden. 2000a. Why reform of the WTO is the wrong agenda. Four essays on four institutions: WTO, UNCTAD, IMF and the World Bank, p.39. 13 MCNAMARA, Robert S. 1973. Idem, p.127.

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176

et internationaux combiné à l’expansion du financement international (sous la forme des prêts bilatéraux et multilatéraux) a constitué une forme satisfaisante de transfert de fonds pour pallier le déficit de la balance des comptes courants des pays importateurs de pétrole »14. Il faut souligner que ce diagnostic tranche tout à fait avec celui qui sera produit après l’éclatement de

la crise en 1980-82. A partir de la crise, le FMI fera remonter celle-ci au choc pétrolier. Or ce qu’on

peut déduire de la citation de 1975, c’est que le recyclage des pétrodollars combiné aux prêts publics a pallié aux problèmes des pays importateurs de pétrole.

En fait, avec l’augmentation des prix des matières premières et les revenus croissants qu’elles généraient du côté des PED, le raisonnement tenu par Robert McNamara évolue et peut être résumé de

la manière suivante : en empruntant, les pays en développement (PED) vont pouvoir développer leurs infrastructures de transport, augmenter leur production d’énergie électrique, accroître leur production

destinée à l’exportation. Prenant comme postulat que les prix des produits exportés par ces pays sur le

marché mondial allaient poursuivre durablement leur hausse ou, au pire, rester stables, leurs recettes d’exportation allaient donc croître grâce à l’augmentation des quantités exportées. Cela devait

permettre aux PED de payer le service de la dette (intérêt et amortissement du principal) tout en

réinvestissant une partie de leurs revenus d’exportation dans l’amélioration de leur industrie d’exportation. Cela devait avoir un effet cumulatif, provoquant ou accélérant leur développement tout

en les maintenant solidement dans le giron occidental. Pour Robert McNamara, l’obligation pour le pays débiteur de rembourser sa dette constituait un puissant stimulant matériel pour moderniser son

agriculture et son industrie d’exportation. Il a répété ce raisonnement dans de multiples discours et

écrits. Le cercle vertueux “ endettement / augmentation des exportations / paiement du service de la dette ” aboutirait au développement du Sud et à la croissance mondiale.

Le développement vu par la Banque mondiale entre 1968 et 1980

Ce raisonnement a été contredit par la réalité car, comme cela vient d'être montré, les prix des produits

exportés ont chuté de manière dramatique dans les années 1980 alors que les taux d’intérêt connaissaient eux une progression fulgurante. D’où la situation d’étranglement financier des pays

endettés.

Ce qui s’est réellement passé

14 “The investment of the surpluses of oil exporting countries in national and international financial markets – together with the expansion of international financing (through both bilateral arrangements and multilateral facilities) has resulted in a satisfactory channeling of funds into the current account deficits of the oil importing countries”. INTERNATIONAL MONETARY FUND, Annual Report 1975, p.3.

Remboursement de la dette et

participation à la croissance mondiale

Endettement du Tiers Monde par l'emprunt

Modernisation de l'industrie et de l’agriculture d'exportation

Revenus d'exportation

en hausse

Surendettement et crise de la

dette

Endettement du Tiers Monde par

l'emprunt

Hausse des exportations des matières

premières et des produits agricoles

Chute des cours des matières premières et

hausse des taux d’intérêt

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177

Mais pour sa part, Robert McNamara affichait une grande confiance dans la deuxième moitié des

années 1970. Il déclarait en 1977, dans son allocution présidentielle annuelle : « Les principales banques et les principaux pays emprunteurs agissent sur la base de prévisions qui concordent » et il

concluait : « Nous sommes mêmes plus confiants aujourd’hui qu’il y a un an : le problème de la dette est gérable »15. Dans le Rapport sur le développement dans le monde publié par la Banque en 1981, on pouvait lire : « Il semble très probable que les emprunteurs et les prêteurs vont s’adapter aux conditions changeantes sans précipiter une crise générale de confiance »16 (c'est moi qui traduis). Et certains banquiers affichaient également une grande sérénité17, voici ce que disait la Citibank en

1980 : « Depuis la seconde guerre mondiale, les ruptures de paiement de la part des pays sous-développés, quand ils se produisent, ne provoquent pas de pertes importantes pour les banques prêteuses. Une rupture de paiement est généralement suivie d'un arrangement entre le gouvernement du pays endetté et ses créanciers étrangers en termes de rééchelonnement de la dette. (…) Dans la mesure où les taux d’intérêts et les différentiels sont généralement revus à la hausse quand un prêt est rééchelonné, la valeur de la décote est souvent supérieure à la valeur du crédit original »18 (c'est moi

qui traduis).

Robert McNamara quitte la présidence de la BM en 1981, quelques mois avant que la crise n’éclate aux yeux de tous.

15.3. Aveuglement de la BM

Bien que la crise de la dette ne soit apparue à l’opinion qu’en août 1982, les signes avant-coureurs de celle-ci ne manquaient donc pas. Des avertissements avaient été lancés. Or la Banque a sous-estimé de

manière évidente les risques, comme l’atteste son Rapport annuel sur le développement dans le monde

1981 : “Ces tendances indiquent qu’il sera plus difficile pour les pays en voie de développement de gérer leur dette, mais elles n’annoncent pas de problème généralisé, ce que confirment les projections de balance des paiements établies pour les années 1980 en fonction des scénarios probables” (c'est moi qui souligne).

15 Cité par Nicholas Stern et Francisco Ferreira. 1997. « The World Bank as ‘intellectual actor’ » in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p.558. 16 Cité par Nicholas Stern et Francisco Ferreira. 1997. « The World Bank as ‘intellectual actor’ » in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p.559. 17 A moyen terme, ils n’avaient pas tort. La vision exprimée dans la citation a été confirmée dans les années 1980. 18 “Since World War II, defaults by LDC’s, when they have occurred, have not normally involved major losses to the lending banks. Defaults are typically followed by an arrangement between the government of the debtor country and its foreign creditors to reschedule the debt … Since interest rates or spreads are typically increased when a loan is rescheduled, the loan’s present discounted value may well be higher than that of the original credit”. Global Financial Intermediation and Policy Analysis (Citibank, 1980), quoted in ‘Why the Major Players Allowed it to happen’, International Currency review, May 1984, p.22, cité par PAYER, Cheryl. 1991. Lent and Lost. Foreign Credit and Third World Development, Zed Books, London, p.72.

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178

15.4. La responsabilité de la Banque Par la politique qu’elle a menée, la BM a contribué activement à créer les conditions qui ont débouché

sur la crise de la dette car elle a favorisé l’augmentation de la dette sous prétexte de faire croître les

exportations. Or l’augmentation du volume de la dette et de son service, sans que les revenus d’exportation suivent au même rythme, constituait une cause possible de crise car les pays endettés

remboursent leur dette extérieure avec les devises qu’ils se procurent grâce leurs exportations. De fait, l’augmentation continue du volume des exportations dans le contexte d’une croissance faible ou nulle

de la demande venant des pays les plus industrialisés ne pouvait que déboucher sur une chute des prix

des produits exportés par la Périphérie. Cela devait finir par générer une situation insoutenable : la chute du prix des produits exportés par la Périphérie entraîne une chute de revenus qui débouche sur

des difficultés de remboursement.

Si on y ajoute le facteur qui allait tout déclencher, à savoir l’augmentation brutale des taux d’intérêt imposée à partir de la fin de l’année 1979 par la Réserve fédérale des Etats-Unis, la crise était

inévitable.

Peut-on prétendre pour autant qu’il s’agit d’une sorte de complot ourdi par la Banque ? La réponse

doit être nuancée. Qu’il y ait eu complot n’est pas démontré. En revanche, ce qui l’est, c’est que la BM et les puissances qui la dominent – à commencer par le gouvernement des Etats-Unis - portent une part

déterminante de responsabilité tant dans la succession d’événements qui ont débouché sur la crise que

dans l’utilisation de la crise afin d’augmenter la subordination des pays de la Périphérie à l’égard des pays capitalistes les plus industrialisés.

Reprenons l’enchaînement des faits. L’augmentation des taux d’intérêt a provoqué l’éclatement de la

crise en 1980-1982 quand l’explosion des montants à rembourser par les débiteurs s’est combinée à

une chute très forte de leurs revenus. Qui a pris la décision d’augmenter fortement les taux d’intérêt à partir de la fin de l’année 1979 ? La Réserve fédérale des Etats-Unis conjointement avec le Secrétariat

aux Finances. Où les prix des matières premières sont-ils fixés ? Au Nord, par exemple à Londres, à

Chicago, etc. Pourquoi les pays de la Périphérie ont-ils été affectés par une chute de leurs revenus d’exportation ? Celle-ci a été produite par l’application des politiques de “tout à l’exportation”

recommandées par la BM et par les manœuvres des Etats-Unis contre le cartel des pays producteurs de pétrole, manœuvres qui visaient à diviser l’OPEP de manière à faire baisser le prix du pétrole. Les

directives qu’applique la BM sont déterminées dans leur ligne générale par le Secrétariat d’Etat aux

Finances (Treasury) du gouvernement des Etats-Unis, ce n'est un secret pour personne. La gabegie de certains Etats du Sud, les détournements de fonds auxquels les classes dominantes des pays de la

Périphérie se livraient etc., tout cela a bien existé (d'ailleurs cela n'a pas changé) et les coupables

devraient être poursuivis. Mais n’oublions pas que la Banque mondiale, le FMI et les gouvernants des pays industrialisés ont fermé les yeux quand ils n’ont pas activement soutenu les régimes en

question (comme en Argentine sous la dictature) : il ne faut pas confondre les véritables causes de la crise. Celle-ci a été provoquée principalement par des décisions prises dans les pays créanciers.

Qu’est-il arrivé à la Banque quand la crise a éclaté ? La Banque mondiale a été incapable d’en mesurer l’ampleur et de proposer des politiques visant à protéger les intérêts des débiteurs mis devant le fait

accompli de l’augmentation des taux d’intérêt. Pourtant, loin de voir diminuer son pouvoir, la Banque mondiale a vu grandir celui-ci de manière impressionnante. Manifestement, le gouvernement des

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179

Etats-Unis et ses collègues des autres grandes puissances capitalistes n’étaient pas mécontents du travail accompli par la Banque. Sinon, ils auraient limité son rôle. Ils ont au contraire renforcé les

moyens de la Banque et du FMI pendant et après la crise. Il faut également ajouter que la BM et le FMI ont amassé sous la forme de réserves des “ bénéfices ” sur le dos des pays endettés.

A partir de l’éclatement de la crise de la dette, la BM et le FMI ont servi d’instruments de subordination accentuée des pays de la Périphérie à l’égard des pays du Centre. Pour ce faire, ils ont

pu renforcer la pression sur les gouvernements des pays endettés afin qu’ils appliquent des politiques

systématiques d’ouverture et de déréglementation des économies de la Périphérie (l’ajustement structurel). Le FMI a fait appliquer ces politiques dès les années 196019 et la Banque les a

recommandées à partir de la fin des années 1970. Le basculement des PED dans la crise de remboursement de la dette a décuplé les moyens de pression des institutions de Bretton Woods pour

généraliser l’ajustement structurel20. Le bilan humain de l’ensemble de ces politiques est littéralement

dramatique. De tout cela, la Banque mondiale, le FMI, les gouvernements qui déterminent la politique des IFI et

ceux de la Périphérie qui s’en font les complices sont redevables devant les citoyens et citoyennes de

la planète, à commencer par les populations qui souffrent quotidiennement des conséquences de la crise de la dette.

15.4.1. Les projections de la Banque et du FMI après l’éclatement de la crise Quant au Rapport de 1983, la BM y déclarait que les difficultés (dites de liquidités) n’avaient touché

que des pays particuliers plutôt que des régions ou des groupes entiers. Une trentaine de pays

insolvables emboîtèrent pourtant le pas du Mexique. Le Rapport 1984 de la BM contenait des projections optimistes qui prévoyaient une amélioration continue jusqu'en 1990 du rapport entre les

revenus d’exportation des pays d’Amérique latine et le service de la dette extérieure. C’est exactement

le contraire qui est arrivé21. Durant plusieurs années, la Banque continua de s’accrocher à l’illusion d’un problème passager de liquidités pour expliquer la crise de la dette au lieu de reconnaître que les

débiteurs étaient insolvables : ils n’avaient pas seulement un problème de liquidités, ils vivaient une crise authentique, structurelle et durable. Pour en sortir sans remettre en cause le système, ils ne

pouvaient que continuer à emprunter pour se procurer les sommes nécessaires au remboursement et

diriger une partie de plus en plus importante de leurs recettes fiscales vers le remboursement de la dette. Une fois que la crise a éclaté, le régime de Ceaucescu en Roumanie est le seul à avoir opté pour

le remboursement sans procéder à de nouveaux emprunts. Il a réalisé une ponction sans précédent sur la richesse produite par le peuple roumain afin d’honorer ses dettes, entraînant une situation sociale

désespérée.

En 1986, alors que la dette des PED avait déjà largement dépassé le cap des 1 000 milliards de dollars,

la Banque annonça qu’au milieu des années 1990, cette dette se chiffrerait au pire à 864 milliards de

dollars. Or, en 1995, elle s’élevait à 1 940 milliards de dollars, soit plus du double de l’estimation citée.

19 PAYER, Cheryl. 1974. The Debt Trap : The International Monetary Fund and the Third World, Monthly Review Press, New York and London, 251 p. 20 Voir chapitres 16 et 17. 21 EDWARDS, Sebastian. 1995. Crisis y Reforma en América Latina, p.96.

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Le FMI a commis exactement les mêmes erreurs de pronostic. Dans son rapport semestriel World Economic Outlook publié en avril 1982, il prévoyait que, malgré certains problèmes de paiement,

l’Amérique latine recevrait d’importants prêts de la communauté financière internationale. Dans son rapport d’octobre 1982, il diagnostiquait que la récession serait évitée. Dans ses rapports de 1984, il

estimait, comme la BM, que le ratio entre le service de la dette et les revenus d’exportations

s’améliorerait pour l’Amérique latine. Ce fut le contraire en réalité.

15.4.2. Prévisions erronées concernant les prix sur le marché mondial Les prévisions de la Banque sont aussi hasardeuses, fausses pour tout dire, en ce qui concerne les

revenus d’exportation censés venir à la rescousse de l’endettement. Les prédictions de 1981 sur les prix des matières premières en Afrique pour 1990 atteignent un taux d’erreur de 62% pour les

minéraux/métaux, de 156% pour le pétrole, de 180% pour les graisses et huiles, de 103% pour les boissons, de 60% pour les bois d’œuvre, de 97% pour les produits agricoles non alimentaires22. Or la

Banque pouvait parfaitement prévoir, comme tout étudiant en économie d'ailleurs, que les pays du Sud

s’efforçant tous en même temps d’exporter un maximum de biens pour faire face à leurs obligations de remboursement, les prix des produits exportés baisseraient suite à la saturation des marchés.

Le FMI n’a pas fait mieux que la Banque. Dans le rapport sur les Pays les moins avancés rédigé en 2000 par la CNUCED23, on mentionne une étude interne du FMI selon laquelle celui-ci a négocié avec

la Zambie en 1983 un accord fondé sur une hypothèse complètement fantaisiste. Selon l’accord proposé par le FMI, le prix du cuivre exporté par la Zambie devait augmenter de 45% en quatre ans.

Cela devait permettre à ce pays de réussir à rembourser ses créanciers. En réalité, le prix du cuivre a

baissé d’environ 12%, si bien que ce pays d’Afrique s’est retrouvé avec un fardeau de dette encore plus lourd qu’avant l’accord avec le FMI 24.

En 1991, la BM récidive dans l’erreur. Son département de l’économie internationale continue à établir des projections optimistes qui, en deux ans à peine, se révélèrent également totalement

irréalistes. Les cours réels étaient dramatiquement plus bas : l’écart était de 47% pour le café, de 56% pour le cacao, 74% pour le sucre, 35% pour le caoutchouc, 52% pour le plomb, etc.

Pour la décennie des années 1990, les responsables des prévisions prétendaient que la tendance des

prix des matières premières serait à la hausse et que le produit national brut des pays en développement croîtrait de plus de 5% par an entre 1992 et 2002. En réalité, c’est la tendance

exactement inverse qui s’est manifestée en ce qui concerne les matières premières25. Quant au taux de croissance du PNB des pays en développement, il a été de 3,2% en 1998 et de 3,8% en 199926.

22 GEORGE, Susan et SABELLI, Fabrizio. 1994. Crédits sans Frontières, p.100-101. 23 CNUCED. 2000b. Les Pays les moins avancés. Rapport 2000. Aperçu général, p.70. 24 BROOKS, R. et al. –1998- External debt histories of ten low-income developping countries : lessons from their experience, FMI, document de base, WP/98/72, Washington DC. 25 diminution de 30% entre 1996 et 1999, in FMI-IMF. 2000. Annual Report 2000, Making the global economy work for all, p.11. 26 FMI-IMF. 2000. Idem, p.12.

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181

15.5. Banque mondiale : instrument de pompage des ressources des pays du Sud Chris Adams, chercheur associé aux recherches de Focus on the Global South (Bangkok), a analysé la

politique de prêts de la Banque asiatique de développement qui, tout comme la Banque africaine de

développement et la Banque interaméricaine de développement, est associée à la Banque mondiale. Parmi les principaux actionnaires (lesdits “donateurs”) de la Banque asiatique de développement

(BAD), on trouve le Japon, les Etats-Unis, l’Allemagne, le Canada, l’Australie, la Grande Bretagne, l’Italie, la France… Selon Chris Adams, “ la plupart des pays donateurs reçoivent plus d’argent de la BAD sous forme de contrats décrochés par leurs entreprises que ce qu’ils fournissent comme contribution totale à la banque ”27.

Des dirigeants de la BM ont calculé ce que rapportaient les sommes destinées par les pays

industrialisés aux activités de la Banque mondiale. Les documents officiels de la BM sont muets à ce propos mais on trouve, dans les revues spécialisées destinées aux patrons, une indication précise de

l’avantage retiré. L’extrait du discours suivant se passe de commentaire : il a été prononcé en 1986 par Jacques de Groote, directeur exécutif pour la Belgique au FMI et à la BM, devant un parterre de chefs

d’entreprises belges et publié dans le Bulletin de la Fédération des Entreprises de Belgique. “Les avantages que la Belgique retire, comme tous les pays membres de la Banque mondiale, de sa participation aux activités des institutions du groupe, peuvent être mesurés par le flow back, c’est-à-dire le rapport entre, d’une part, le total des déboursements effectués par l’AID (Association internationale de développement) ou la Banque mondiale en faveur des entreprises d’un pays à l’occasion des contrats obtenus par ces entreprises et, d’autre part, les contributions de ce pays au capital de la Banque, ainsi qu’aux ressources de l’IDA. Le flow back, c’est donc un rapport entre ce qu’obtiennent les entreprises pour des ventes d’équipement ou des services de consulting et ce que la Belgique apporte comme contribution aux ressources de l’IDA et au capital de la Banque. Le flow

back de la Banque mondiale vers les pays industrialisés est important et n’a cessé de s’accroître : il a progressé pour l’ensemble des pays industrialisés de 7 à 10 entre la fin de 1980 et la fin de 1984. C’est-à-dire que pour un dollar mis dans le système, les pays industrialisés en retiraient 7 en 1980 et 10,5 aujourd’hui ”28.

27 ADAMS, Chris. 2000. « Punishing the Poor: Debt, Corporate subsidies and the ADB », The Transfer of Wealth, Focus on the Global South, p.27. 28 FEB, 1986, p. 496-497.

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182

Chapitre 16

Les programmes d'ajustement structurel définis par le FMI et la BM

Dans un livre édité en 1974, l’économiste américaine Cheryl Payer, critique du FMI, résume les

mesures que celui-ci exige des PED qui font appel à ses services :

1. abolition ou libéralisation du contrôle sur les changes et sur les importations ;

2. dévaluation de la monnaie ; 3. des politiques restrictives du point de vue monétaire pour contrôler l’inflation qui se

déclinent de la manière suivante : a) hausse des taux d’intérêt et, dans certains cas, augmentation des réserves de change ; b) contrôle du déficit public : diminution des dépenses ; augmentations

des taxes et des tarifs des services et entreprises publics ; abolition des subventions aux produits

de consommation ; c) limitation de l’augmentation des salaires dans la fonction publique ; d) démantèlement du contrôle des prix.

4. une plus grande hospitalité pour les investissements étrangers.

Pour définir ces mesures, Cheryl Payer avait analysé la politique du FMI appliquée dans les années

1960 aux Philippines, en Indonésie, au Brésil, au Chili, en Inde, en Yougoslavie, au Ghana.

A partir de 1981-1982, quand éclate la crise de la dette, un nombre considérable de pays va faire appel

à ses services (souvent sous la pression des principaux créanciers, qu’ils soient privés ou publics), pour trouver une solution à leur problème de balance des paiements. Le FMI va alors disposer de

pouvoirs plus importants pour généraliser les mesures économiques résumées plus haut. Le paquet de mesures sera de plus en plus connu sous le vocable : programme d’ajustement structurel.

Ironie amère de l’histoire, lorsque le prix du pétrole avait fortement augmenté en 1973, le FMI avait déclaré qu’aucun ajustement structurel n’était requis. Pourtant, le choc pétrolier avait modifié

considérablement la situation internationale : augmentant fortement les revenus en devise des revenus

pétroliers et créant une forte demande de devises de la part des PED non producteurs de pétrole. Dans un livre coordonné par John Williamson, le père spirituel du Consensus de Washington1, et

publié en 1983, on peut lire le témoignage d’un fonctionnaire du FMI qui explique : « L’inquiétude à cette époque (c’est-à-dire au moment du choc pétrolier de 1973) était que les pays ne tentent de s’ajuster trop rapidement car une telle tentative si elle était réalisée collectivement pourrait conduire à un approfondissement non désiré de la récession globale »2 (c'est moi qui précise et qui traduis). Quand la crise de la dette éclata comme conséquence de l’effet combiné de l’augmentation des taux

d’intérêt décrétée par la Réserve fédérale des Etats-Unis et de la baisse des prix des matières

premières, le FMI modifia complètement sa version des faits. Il imputa une grande part de la responsabilité de la crise au choc pétrolier. L’ajustement qui selon lui n’était pas nécessaire au milieu

des années 1970 devint subitement incontournable.

1 WILLIAMSON, John. « What Washington means by policy reform ». 1989. in Latin American Ajustment : How much has happened ?, Washington, Institut of International Economics. 2 DALE, William B. ‘Financing and Adjustment of Payments Imbalances’, in John Williamson, ed., IMF Conditionality, Institute for International Economics, Washington, 1983, p. 7.

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183

De son côté, la Banque mondiale a été pionnière dans le lancement en 1980 des premiers prêts d’ajustement structurel. C’est sous l’impulsion de Robert Robert McNamara que la Banque initia ces

nouveaux prêts. Robert McNamara justifia le lancement de cette politique sur la base de la prédiction suivante : suite au second choc pétrolier de 1979, l’augmentation du prix du pétrole allait continuer

tout au long des années 1980 (ce qui a été contredit par les faits, c’est le contraire qui s’est passé) et il

fallait que les PED réalisent un ajustement structurel en conséquence3.

Le contenu de l’ajustement présenté par Robert McNamara correspondait bien au résumé présenté plus

haut. Entre 1980 et 1983, la Banque accorda 14 prêts d’ajustement structurel à 9 pays4.

Au cours des années 1980, il y eut régulièrement des tensions entre la Banque et le FMI qui n’arrivaient pas à intervenir d’une manière cohérente. Cela aboutit, comme nous l’avons vu au

chapitre 6, à un concordat entre les institutions en 1989. L’année suivante, en 1990, naissait le concept

du Consensus de Washington qui codifiait les politiques à suivre dans le cadre de l’ajustement structurel en ajoutant aux mesures résumées plus haut par Cheryl Payer la dimension des privatisations

massives et de la politique de recouvrement des coûts dans des secteurs comme l’éducation, la santé,

la distribution d’eau… A noter que le Consensus de Washington n’implique pas seulement le FMI et la BM, il faut y ajouter l’Exécutif des Etats-Unis représenté par le Trésor. A mon sens, l’apport

nouveau du Consensus ne consiste pas tant dans les mesures économiques à appliquer (qui étaient déjà mises en pratiques pour la plupart5) que dans la proclamation publique d’un accord entre les

institutions de Bretton Woods et l’Exécutif.

L’idée d’initier un vaste programme de privatisations n’était pas nouvelle. Henry Kissinger, ancien

conseiller du président des Etats-Unis pour la sécurité nationale de 1969 à 1975, secrétaire d'Etat de

1973 à 1977, avait lancé l’idée en 1985 lors d’une conférence sur la dette extérieure, tenue à Berne : “ Il n’y a pas de solution indolore pour que les pays endettés puissent trouver une solution à leur situation critique, mais nous devons proposer certains amendements au programme d’ajustement du FMI. La solution impliquera un sacrifice ; je préfère que les nations endettées assurent leurs obligations extérieures face aux créanciers à l’aide d’actifs réels, via la cession du patrimoine des entreprises publiques ”6.

Le couple BM / FMI A partir du début des années 1980, la BM et le FMI forment un couple pour gérer la crise de la dette et

mettre en place les politiques d’ajustement. Du même coup, elles se transforment en grands percepteurs des dettes.

Un paradoxe : bien que les objectifs de retour à la croissance ne sont jamais atteints durablement, bien

que l’instabilité financière se développe suite aux politiques du FMI et de la BM, ces deux institutions renforcent leur emprise sur les pays de la Périphérie. Avec un effet boomerang : au fur et à mesure

3 Nicholas Stern et Francisco Ferreira. 1997. « The World Bank as «intellectual actor » » in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p.540. 4 Nicholas Stern et Francisco Ferreira. 1997. « The World Bank as «intellectual actor » » in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p.543. 5 Pour une présentation succincte du Consensus de Washington, voir ATTAC. 2004. Le développement en question(s) : vers une société solidaire et économe, Fayard, Paris, chapitre 7. 6 Cité par OLMOS, Alejandro. 1990. Todo lo que usted quiso saber sobre la deuda externa y siempre le ocultaron, p.51

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qu’augmente leur emprise sur les pays endettés, la crise gangrène les deux institutions (crise interne et crise externe de légitimité).

A partir de la crise mexicaine de 1994, il faut noter que le FMI a pris le dessus par rapport à la Banque mondiale dans la définition des politiques à suivre. La prééminence du FMI se confirme encore lors de

la crise asiatique de 1997-1998. Le rôle de la BM se maintient en première ligne en ce qui concerne les

pays les plus pauvres, les relations avec les ONG, les programmes ciblés sur les plus pauvres.

Objectifs annoncés des prêts d’ajustement

Ils trouvent leur quintessence dans l’article 1 de la Charte du FMI où l’on peut lire “qu’il faut favoriser la croissance équilibrée du commerce international”. En ce sens, les pays qui importent toujours plus qu’ils n’exportent ont besoin d’être soutenus financièrement pour ne pas être exclus des

échanges internationaux. Sans prêts, pas d’achats. Selon l’explication donnée par le FMI, non seulement ses interventions permettent à ces pays de continuer à participer aux échanges

internationaux mais, au moyen des programmes d’ajustement, elles les amènent à accroître cette

participation7.

Un passage fondamental du deuxième alinéa de l’article 1 est systématiquement mis de côté : “contribuer ainsi à l’instauration et au maintien de niveaux élevés d’emploi et de revenu réel”. On verra plus loin que le FMI (et la BM) recommandent et imposent des politiques qui vont exactement

en sens inverse.

Les statuts du FMI stipulent encore qu’il doit “adopter des politiques visant à aider ses membres à résoudre leurs problèmes de balance des paiements et qu’il prendra des mesures appropriées pour l’usage temporaire qui sera fait de ses ressources”. En vertu de quoi le FMI intervient directement

dans la détermination des politiques économiques des pays emprunteurs.

Par rapport à la dette, un programme d’ajustement est la meilleure garantie existante qu’un pays

pourra continuer à rembourser. En effet, la grande priorité de ces programmes, ce sont les recettes d’exportation. Or une forte proportion de ces recettes reprend aussitôt le chemin du FMI et de la BM,

premiers créanciers à recouvrer les sommes prêtées, et ensuite les banques privées (réunies dans le

Club de Londres) ou les Etats regroupés dans le Club de Paris. Les uns et les autres retirent donc un avantage évident de la collaboration avec le FMI et la BM. Depuis l’entrée en activité de

l’Organisation mondiale du commerce en 1995, une sainte trinité de l’ordre néolibéral a été instituée par le G7. Ces trois institutions joignent leurs efforts pour faire avancer l’agenda néolibéral qui

consiste à soumettre l’ensemble des activités humaines et des ressources naturelles aux relations

marchandes d’échange. Le programme dit d’ajustement contient un important chapitre de réformes structurelles qui poursuivent différents objectifs : assurer le paiement régulier de la dette, ouvrir tous

les domaines d’activité d’un pays aux relations marchandes et aux capitaux étrangers, prémunir les

transnationales contre toute mesure de nationalisation et contre toute contrainte spécifique imposée par un pays donné…

7 LENAIN, Patrick. 1993. Le FMI ; NOREL, Philippe et SAINT-ALARY, Eric. 1988. L’Endettement du tiers-monde.

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Dette et ajustement structurel Parce que les pays sont endettés, le FMI et la BM peuvent les obliger (c'est une sorte de chantage

économique) à réorienter de façon “appropriée” leur politique macro-économique conformément aux

intérêts des créditeurs internationaux. L'objectif consiste à imposer une relation de légitimation du service de la dette en maintenant les nations débitrices dans un carcan qui les empêche de s'embarquer

dans une politique économique nationale indépendante8.

Le programme d'ajustement structurel a été appliqué à grande échelle. Alors que les circonstances

régnant dans les pays qui doivent “s'ajuster” sont notablement différentes, la même recette économique est appliquée à l'échelle planétaire. L'adoption des prescriptions du Fonds, selon l'accord

de stabilisation économique, est non seulement la condition à l'obtention de prêts auprès des

institutions multilatérales mais elle donne aussi le feu vert aux Clubs de Paris et de Londres, aux investisseurs étrangers, aux institutions bancaires commerciales et aux bailleurs de fonds bilatéraux9.

Il est évident que le pays qui refuse d'accepter les mesures de politique corrective du Fonds se trouve

confronté à des difficultés sérieuses pour remodeler sa dette et/ou pour obtenir de nouveaux prêts au développement, ainsi que pour avoir accès à l'assistance internationale.

Le FMI a aussi le pouvoir de déstabiliser sérieusement l'économie nationale en bloquant le crédit à court terme. En effet, il peut refuser de verser l’argent promis à un pays membre sous prétexte que le

programme de réforme n’a pas suffisamment avancé. C’est ce qui s’est passé en décembre 2001 en

Argentine, avec les conséquences que l’on connaît.

Le FMI et la BM ont été sollicités, de façon croissante, par les détenteurs de capitaux du Nord pour

recouvrer les “mauvaises dettes” dues aux banques commerciales. Le versement d'argent frais sous forme de prêts à court terme (refinancement) avait pour but de forcer

les pays en voie de développement à rembourser leurs dettes aux banques commerciales et aux Etats : de l'argent frais pour faciliter le remboursement de dettes anciennes.

Par exemple, après les émeutes réprimées dans le sang en 1989, lors de la conversion des “mauvaises dettes” du Venezuela auprès des banques de New York en actions garanties par les institutions

financières internationales, il n'y a pas eu un dollar de l'ensemble des mesures de secours du FMI et de

la BM qui soit réellement entré au Venezuela.

Les prêts massifs avancés à la Corée, à la Thaïlande, à l’Indonésie, aux Philippines, au Brésil (1999 et 2002-2003), à l’Argentine et à la Turquie (2000) par le FMI, la BM, et d’autres bailleurs de fonds,

visent à rembourser la dette à court terme due par ces pays (et surtout leurs entreprises privées) aux

“zinzins” du Nord et de la région.

Le cas de la République démocratique du Congo mérite d’être souligné. Entre 1993 et 2002, c’est-à-dire sous trois présidents différents (fin de la dictature de Mobutu, la présidence de Laurent-Désiré

Kabila puis le début de celle de son fils, Joseph Kabila), le Zaïre, puis la RDC qui lui a succédé, a été

en cessation de paiement. A partir de 2002, la Banque mondiale et le FMI ont rouvert le robinet du

8 CHOSSUDOVSKY, Michel. 1994. « La Pauvreté des nations ». 9 LENAIN, Patrick. 1993. Le FMI.

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crédit afin de relancer la pompe du transfert des richesses du Congo vers les créanciers. De nouveaux prêts ont été octroyés à condition que la RDC reprenne les paiements et applique l’ajustement

structurel rebaptisé Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (voir plus loin l’étude de cas sur la RDC).

Réforme macro-économique: le Programme d'ajustement structurel 10

Les prêts des institutions financières internationales (y compris les banques régionales de

développement liées à la BM) sont accordés sous forme d'un soutien à la balance des paiements, c'est-à-dire qu'ils consistent en capitaux prêtés à court terme pour financer les importations ou pour

rembourser des dettes. Ces prêts sont invariablement accompagnés de conditions imposant une certaine politique à suivre. En d'autres mots, ces prêts à caractère politique sont accordés par les

institutions à condition que le gouvernement national adopte un programme de stabilisation

économique et de réformes de structure économique en accord avec les exigences du prêteur. Les accords concernant ces prêts à caractère politique entraînent explicitement la démobilisation des

ressources intérieures : ils ne sont jamais couplés à un programme d'investissement comme c'est le cas

pour les prêts conventionnels.

Invariablement, le gouvernement doit fournir au FMI la preuve qu'il est “sérieusement occupé à mettre en place une réforme économique” avant que les négociations du prêt n'aient lieu réellement.

Ce processus trouve souvent son cadre dans ce qu'on appelle “le programme secret du FMI” où celui-

ci impose des lignes politiques directrices et donne des conseils techniques au gouvernement sans qu'il y ait auparavant le moindre soutien formel par l'intermédiaire d'un prêt. Les autorités indonésiennes

ont dû fermer plusieurs grandes banques en novembre 1997 avant de recevoir les sommes promises

par le FMI. Cette mise en faillite des banques a provoqué une véritable panique parmi la population. Le FMI a dû reconnaître cette erreur tactique début janvier 1998 (New York Times, 14 janvier 1998).

Une fois le prêt accordé, les réalisations politiques sont étroitement contrôlées tous les trimestres par

les institutions de Washington.

Les déboursements sont faits en plusieurs tranches et peuvent être interrompus si les réformes ne sont pas “mises sur rail”.

Répartition des tâches entre les deux organisations-soeurs

Il est bon de remarquer qu'il y a un lien étroit entre le FMI et la BM à propos de la mise en œuvre du programme d'ajustement structurel.

Dans de nombreux pays endettés, le gouvernement fait un schéma de ses priorités dans ce qu'on

appelle une “lettre d’intention” (letter of intent). Le contenu de ce document est officiellement déterminé par le gouvernement du pays emprunteur mais en fait, il est toujours rédigé sous la

supervision des institutions de Bretton Woods11.

10 Remarque de l’auteur : pour cette partie et pour la description des deux phases de l’ajustement du chapitre 13, je me suis inspiré de l’exposé de Michel Chossudovsky qui se trouve dans les deux publications suivantes : La pauvreté des nations, CADTM, 1994 et The Globalisation of Poverty, 1997. J’y ai apporté des éléments pour lesquels Michel Chossudovsky ne peut nullement être tenu responsable. 11 AGLIETTA, Michel, et MOATTI, Sandra. 2000. Le FMI. De l'ordre monétaire aux désordres financiers, p. 78.

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Il y a donc une répartition claire des tâches entre les deux organisations-sœurs :

- le FMI s'occupe des négociations clé de politique structurelle en prenant en considération le taux de change et le déficit budgétaire ;

- la BM, de son côté, est impliquée dans le processus de réforme structurelle par son bureau de

représentants au niveau du pays et par ses nombreuses missions techniques. En outre, la BM est aussi présente dans la plupart des ministères importants qui établissent le cadre spécifique de l'ajustement

structurel. Les réformes en matière de santé, d'éducation, d'industrie, d'agriculture, de transport,

d'environnement... sont sous le contrôle de la BM.

Différentes facilités de prêts sont utilisées par les institutions de Bretton Woods à condition qu'une certaine politique soit suivie.

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Chapitre 17

Les deux phases de l’ajustement structurel

“Dès leur descente d’avion, ils s’immergent dans les chiffres du ministère des Finances et de la banque centrale et, pour le reste, résident confortablement dans les hôtels cinq étoiles de la capitale. (...) Il ne faut pas voir le chômage comme une simple statistique, un “ dénombrement ” de cadavres, des victimes non intentionnelles de la guerre contre l’inflation ou pour le remboursement des banques occidentales. Les chômeurs sont des personnes de chair et d’os, ils ont des familles, et toutes ces vies sont éprouvées, parfois détruites, par les mesures économiques que recommandent les experts étrangers - dans le cas du FMI, qu’ils imposent. La guerre technologique moderne est conçue pour supprimer tout contact physique : les bombes sont jetées de 15.000 mètres d’altitude pour que le pilote ne ‘‘ressente’’ pas ce qu’il fait. La gestion moderne de l’économie, c’est pareil. Du haut d’un hôtel de luxe, on impose sans merci des politiques que l’on penserait à deux fois si l’on connaissait les êtres humains dont on va ravager la vie.”

Joseph Stiglitz, La grande désillusion, 2002, p. 52* L'ajustement structurel est subdivisé en deux phases distinctes. La stabilisation macro-économique “ à

court terme ” comprenant la dévaluation, la libéralisation des prix et l'austérité fiscale, est suivie par la

mise en œuvre d'un certain nombre de réformes structurelles plus fondamentales (et désignées comme “ nécessaires ”).

Souvent, cependant, ces réformes structurelles sont exécutées en parallèle avec le processus de “ stabilisation économique ”.

17.1. Première phase: la stabilisation économique à court terme

17.1.1. Dévaluation et hausse des taux d’intérêt

La dévaluation et l'unification du taux de change (incluant l'élimination des contrôles de change et des taux de change multiples) constituent un instrument essentiel de la politique centrale. La dévaluation,

il faut le remarquer, est explicitement mise en œuvre par les institutions de Bretton Woods. Le FMI

joue un rôle politique clé dans les décisions de dévaluation. Le taux de change règle les prix réels payés aux producteurs directs de même que la valeur réelle des

salaires. Ces derniers sont comprimés à la suite d'une augmentation des prix sur le marché intérieur et

de la désindexation des salaires imposée par le FMI. Dans certains cas, la dévaluation a été la base d'une réactivation à court terme de l'ensemble de

l’agriculture commerciale dirigée vers le marché des exportations. Plus souvent cependant, les bénéfices profitent seulement aux grandes plantations commerciales et aux exportateurs agro-

industriels.

* Avertissement : Le texte du chapitre 13 est agrémenté de nombreuses citations de Joseph Stiglitz extraites du livre “ La grande désillusion ” paru en 2002. C’est justifié par le fait qu’il a été à la fois un acteur et un témoin privilégié des politiques de la Banque mondiale et du FMI qui sont analysées dans ce chapitre. Une faiblesse : les explications apportées par Joseph Stiglitz tendent à dédouaner dans plusieurs domaines la Banque mondiale en dirigeant principalement le feu de la critique à l’égard du FMI.

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Ces dévaluations sont souvent appelées en Afrique francophone des “ dévaluations tam tam ”. En effet, les détenteurs de capitaux locaux, les classes aisées en général, ont le temps de s’y préparer en

achetant des devises fortes avant la dévaluation pour convertir ces devises en monnaie nationale après dévaluation. Lors de la dévaluation de 50% du franc CFA appliquée en janvier 1994 à treize Etats

africains, les détenteurs de capitaux qui avaient changé à temps leurs CFA en devises fortes ont vu leur

capital doubler d’un coup. En général, ces dévaluations constituent un encouragement à la spéculation contre la monnaie

nationale. Les riches qui vendent la monnaie nationale pour acheter des devises et/ou pour placer leurs

capitaux dans des places financières au Nord font des affaires plantureuses juste après la dévaluation en rapatriant tout ou partie de l’argent planqué en sécurité.

Pour un pays, les gains à court terme de la dévaluation sont immanquablement gommés lorsque les

autres nations du tiers-monde, en compétition, sont à leur tour forcées de dévaluer. La dévaluation de

la monnaie est souvent exigée comme condition préalable à la négociation d'un prêt d'ajustement structurel.

Le FMI impose aussi d'importantes hausses des taux d'intérêt, réels et nominaux. Le mouvement à la hausse des taux d'intérêt se répercute sur les prix intérieurs. Cette politique mène à l’écroulement du

crédit, tant pour l’agriculture que pour l’industrie du pays. Les entrepreneurs locaux sont découragés par les hauts taux d’intérêt et les couches populaires, voire les classes moyennes, voient diminuer

grandement leur accès au crédit, ce qui a un effet dépressif sur la consommation. Le crédit à court

terme se maintient pour le commerce extérieur mais le secteur bancaire national tend à se séparer de l’économie réelle. La politique de hauts taux d’intérêts pratiqués dans des pays comme le Brésil et le

Mexique mobilisent le capital sous la forme du capital rentier. Les entreprises endettées voient

exploser les montants à rembourser ce qui peut les acculer à la faillite. Une partie des créances des banques locales deviennent irrécouvrables, ce qui peut également déboucher sur la faillite. Les

pouvoirs publics endettés sur le marché local (dette publique interne) sont également affectés par l’augmentation des taux d’intérêts : les charges d’intérêt croissant fortement.

“ En exigeant que les pays en développement suivent des politiques monétaires restrictives, le FMI leur a imposé des taux d’intérêt qui auraient interdit toute création d’emploi même dans le contexte le plus favorable.”

Joseph Stiglitz, La grande désillusion, 2002, p. 42 17.1.2. Austérité budgétaire

Le FMI impose des lignes directrices précises et prend en considération le déficit budgétaire ainsi que la composition des dépenses gouvernementales. Ces lignes directrices affectent à la fois les dépenses

opérationnelles et les dépenses de développement. Les institutions de Bretton Woods imposent des

licenciements d’employés du secteur public et des coupes drastiques dans les programmes du secteur social.

Ces mesures d'austérité frappent toutes les catégories de dépenses publiques.

Au départ de la crise de la dette, les institutions financières internationales limitaient leur intervention à ceci : elles fixaient un objectif pour le déficit budgétaire en vue de dégager des revenus de l'Etat pour

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le service de la dette. Depuis la fin des années 1980, la BM dirige étroitement la structure des dépenses publiques au moyen de ce qu'on appelle “ l’examen des dépenses publiques ” (Public Expenditure Review). Dans ce contexte, la composition des dépenses de chaque ministère est sous la supervision des institutions de Bretton Woods. La BM recommande un “ transfert effectif des coûts ” à partir des

catégories de dépenses régulières vers des dépenses “ visant un objectif ”. Selon la BM, la

“ supervision des dépenses publiques ” a pour but de “ promouvoir la diminution de la pauvreté par des coûts effectifs et efficaces ”.

La structure pour les dépenses “ visant un objectif ” s'applique aussi aux dépenses d'investissement. Le Programme d'Investissement Public (Public Investment Programme) qui est aussi sous la

supervision de la BM, exige des gouvernements qu'ils réduisent de façon drastique le nombre de leurs projets d'investissement. On utilise le concept “ d’investissement en vue d'un objectif imposé ”, on

réduit au strict minimum la constitution du capital pour la nécessaire infrastructure économique et

sociale.

En ce qui concerne les secteurs sociaux, les institutions financières internationales insistent sur le

principe de recouvrement des coûts auprès des utilisateurs (les patients qui ont recours aux services de santé, les parents des enfants qui fréquentent l’enseignement - voir point 4 -) et sur le retrait graduel de

l'Etat par rapport aux services de base, la santé et l'éducation. Le concept de “ prêt accordé sous condition de viser un objectif imposé ” dans les secteurs sociaux est appliqué à ce qu'on appelle “ les groupes vulnérables ”. Les mesures d'austérité dans les secteurs sociaux requièrent un glissement des programmes réguliers vers des programmes soumis à la poursuite d'objectifs imposés et ceci est largement responsable de la

dégradation des services aux utilisateurs dans les secteurs des écoles, des cliniques et des hôpitaux. En

même temps, ces mesures fournissent une apparence de légitimité aux institutions basées à Washington.

Le déficit budgétaire: une cible mouvante

Le FMI applique le concept de cible mouvante au déficit budgétaire. Une cible de 5% du PNB est d'abord fixée. Le gouvernement atteint cet objectif et dans des négociations ultérieures ou à l'intérieur

du même accord de prêt, le FMI abaisse l'objectif à 3,5% sous prétexte que le plan de dépenses du

gouvernement est inflationniste. Une fois que l'objectif de 3,5% est atteint, le FMI exige la réduction du déficit budgétaire à 1,5%... Le mobile essentiel de cet exercice est évident : il faut libérer les

revenus de l'Etat afin de pouvoir payer le service de la dette extérieure.

“ Depuis sa naissance, le FMI a beaucoup changé. On l’a créé parce qu’on estimait que les marchés fonctionnaient souvent mal, et le voici devenu le champion fanatique de l’hégémonie du marché. On l’a fondé parce qu’on jugeait nécessaire d’exercer sur les Etats une pression internationale pour les amener à adopter des politiques économiques expansionnistes (augmentation des dépenses publiques, réductions d’impôts ou baisse des taux d’intérêt pour stimuler l’économie), et voici qu’aujourd’hui, en règle générale, il ne leur fournit des fonds que s’ils mènent des politiques d’austérité (réduction des déficits, augmentations d’impôts ou hausse des taux d’intérêt entraînant une contraction de l’économie). Keynes doit se retourner dans sa tombe en voyant ce qu’est devenu son enfant.”

Joseph Stiglitz, La grande désillusion, 2002, p.38

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17.1.3. Libéralisation des prix

Cette mesure consiste en l'élimination des subsides et/ou des contrôles sur les prix. L'impact sur les niveaux des salaires réels (que ce soit dans le secteur formel ou informel) est immédiat. La

dérégulation des prix des céréales à usage domestique et la libéralisation des importations de réserves de nourriture sont aussi des traits essentiels de ce programme. Des produits agricoles européens ou

nord-américains bénéficiant de subventions (PAC - Politique Agricole Commune - dans le cas de

l’UE) envahissent le marché local. Cela réduit les revenus des producteurs locaux ou les mène purement et simplement à la faillite. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des surplus agricoles du Nord

revendus au Sud dans le cadre d’un véritable dumping.

Le programme de libéralisation fait aussi sentir ses effets sur les prix de ce qui entre dans le pays et sur

les prix des matières premières. Combinées à la dévaluation, les mesures prises conduisent à des hausses substantielles dans les prix domestiques des intrants (fertilisants, herbicides, semences,

équipements, etc.) et tendent à avoir un impact économique immédiat sur la structure des coûts dans la

plupart des domaines de l'activité économique.

“ En Indonésie, le FMI a imposé la suppression du soutien des prix des produits alimentaires et du kérosène (le combustible utilisé par les pauvres pour faire la cuisine), alors même que ses mesures avaient considérablement aggravé la récession, avec chute des revenus et des salaires et montée en flèche du chômage.”

Joseph Stiglitz, La grande désillusion, 2002, p.112

17.1.4. Fixation des prix des produits pétroliers et des services publics

Le prix du combustible pétrolier est réglé par l'Etat sous la supervision de la Banque mondiale. Les hausses du prix des carburants et des services publics (souvent de l'ordre de plusieurs centaines de

pourcent) ont pour résultat de déstabiliser les producteurs intérieurs. Le prix intérieur élevé de l'essence, souvent poussé au-delà des prix du marché mondial, se répercute sur la structure des coûts

de l'industrie domestique et de l'agriculture. Les coûts de production sont ainsi gonflés bien au-delà

des prix nationaux, ce qui mène un grand nombre de sociétés à la faillite.

Il vaut la peine de remarquer que des sauts périodiques de prix des produits pétroliers imposés par la

Banque mondiale (adoptés simultanément à la libéralisation des importations de biens de première nécessité) produisent l'effet d'une “ taxe de transit intérieur ”. Dans de nombreux pays en voie de

développement, le prix élevé de l'essence contribue à la rupture du transport des biens à l'intérieur du pays. Le coût élevé des transports, imposé par les institutions financières internationales, est l'un des

facteurs clés qui empêche les petits producteurs locaux de vendre leurs produits au marché de la ville

où la compétition est directe avec les produits agricoles importés d'Europe et d'Amérique du Nord.

Comme indiqué au point 2, la BM (et le FMI) s’est lancée dans une offensive pour que toutes sortes de

services rendus par l’Etat deviennent payants et/ou soient transférés au secteur privé. Il ne s’agit pas seulement de la santé et de l’éducation (voir plus loin) mais aussi des communications (routes,

chemins de fer, ports,…), des télécommunications, de l'électricité, de l'eau. “ Le fait que même les pauvres soient tout à fait disposés à payer pour la majeure partie des services d’infrastructure rend d’autant plus possible l’institution d’un service de redevance. L’intervention du secteur privé au

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niveau de la gestion, du financement ou de la propriété sera, dans la plupart des cas, nécessaire pour donner un tour commercial à l’exploitation de l’infrastructure (c’est moi qui souligne)”1. 17.1.5. Désindexation des salaires Le FMI impose la compression des salaires réels en désindexant les salaires et en libéralisant le

marché du travail. Ceci exige l'élimination dans les conventions collectives des clauses d'ajustement au

coût de la vie et tente de mettre fin à la définition légale des salaires minimaux. Il faut absolument faire remarquer que, tandis que les salaires varient entre 1/5e (pour la Corée du Sud ou la République

tchèque par exemple) et 1/20e (pour le Mali ou Haïti) des salaires payés dans les pays capitalistes

avancés, le programme d'ajustement structurel fait monter les prix des biens domestiques courants qui rejoignent ainsi les prix pratiqués dans les économies des pays capitalistes développés (et, dans

certains cas, les dépassent).

17.2. Deuxième phase : l’ajustement structurel proprement dit La mise en œuvre de ladite “ stabilisation macro-économique ” (condition sine qua non pour obtenir

un financement du FMI et la renégociation de la dette extérieure auprès des Clubs de Paris et de Londres) est immanquablement suivie par la mise en application de réformes structurelles

“ nécessaires ”.

Le FMI et la BM se répartissent les tâches. Ces réformes économiques “ nécessaires ” sont

“ encouragées ” par les prêts d'ajustement structurel (Structural Adjustement Loans) de la BM, par

les prêts d'ajustement sectoriel (Sectorial Adjustment Loans) et par les Facilités pour la Réduction de la Pauvreté et la Croissance (FRPC, Poverty Reduction and Growth Facilities, PRGF). L'ensemble des

mesures de réforme structurelle se présente en gros comme suit.

17.2.1. Libéralisation du commerce “ La plupart des pays industriels avancés – dont les États-Unis et le Japon - ont édifié leur économie en protégeant judicieusement et sélectivement certaines de ses branches, jusqu’au moment où elles ont été assez fortes pour soutenir la concurrence étrangère. (…) Contraindre un pays en développement à s’ouvrir à des produits importés qui vont rivaliser avec certaines de ses industries, dangereusement vulnérables à la concurrence de leurs homologues étrangères bien plus puissantes, peut avoir de désastreuses conséquences - sociales et économiques. Les paysans pauvres des pays en développement ne pouvant évidemment pas résister aux produits massivement subventionnés en provenance d’Europe et des États-Unis, des emplois ont été systématiquement détruits avant que les secteurs industriel et agricole nationaux aient pu engager une dynamique de croissance forte et en créer de nouveaux. (…) Et, comme le commerce a été libéralisé avant la mise en place de filets de sécurité sociale, ceux qui ont perdu leur emploi ont été précipités dans l’indigence. Donc, trop souvent, la libéralisation n’a pas apporté la croissance promise mais a accru la misère.”

Joseph Stiglitz, La grande désillusion, 2002, p.42

1 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. Rapport sur le développement dans le monde, 1994, p. 3.

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L'élimination des barrières tarifaires protectrices est conçue en vue de rendre l'économie nationale plus “ compétitive ”. En réalité, la libéralisation du commerce mène à l'effondrement de la production

industrielle destinée au marché intérieur et au désengagement de capital réellement productif - effet d’éviction.

17.2.2. Libéralisation du système bancaire, indépendance de la banque centrale, abandon des contrôles sur les mouvements de capitaux et sur les changes

Cette mesure consiste à imposer la privatisation de banques publiques de développement et à déréguler

le système bancaire commercial. Les banques commerciales étrangères sont autorisées à entrer librement dans les secteurs bancaires nationaux. La tendance est à la déstabilisation des institutions

bancaires nationales, qu'elles soient d'Etat ou privées.

La Banque centrale est rendue autonome du pouvoir exécutif et législatif. Cela implique généralement

un changement de la Constitution (comme c’était le cas en 2003 au Brésil). En conséquence, les pouvoirs publics perdent le contrôle de la politique monétaire et des taux d’intérêt. La direction de la

Banque centrale rend en fait directement compte de sa politique aux grandes banques privées

nationales, et surtout transnationales, ainsi qu’au FMI.

“ Dans certains cas, les accords stipulaient quelles lois leur parlement devrait voter pour satisfaire aux exigences - ou “ cibles ”- du FMI, et quand. (…) Dans le cas de la Corée, par exemple, les accords de prêt stipulaient que la charte de la banque centrale serait modifiée pour la rendre indépendante du processus politique (…). A Séoul, j’ai demandé à l’équipe du FMI pourquoi elle posait cette condition, et la réponse m’a atterré (bien qu’à cette date elle n’eût pas dû me surprendre) : nous exigeons toujours que les pays aient une banque centrale indépendante qui se concentre sur l’inflation.”

Joseph Stiglitz, La grande désillusion, 2002, p. 74-76

Le FMI et la BM fixent également comme condition à l’octroi de prêts d’ajustement, l’abandon du

contrôle des mouvements de capitaux et du contrôle des changes. Selon les Institutions de Bretton

Woods, il s’agit ainsi de créer un climat de confiance à l’égard des investisseurs potentiels. En réalité, ces deux mesures transforment les pays qui les acceptent en proies faciles pour les attaques

spéculatives. De plus, elles facilitent l’évasion fiscale et la fuite des capitaux. Enfin, elles favorisent

aussi les mouvements de fonds en rapport avec le commerce illégal et provoquent un afflux d’argent sale. Le blanchiment de cet argent est encouragé et facilité du fait de ces réformes (déréglementation

du secteur bancaire, abandon des contrôles...).

Autre mesure qui va dans le même sens, on encourage, moyennant l’impunité, le “ rapatriement ” vers

le Sud des capitaux déposés sur des comptes secrets, y compris de grandes quantités d’argent sale. Orientés vers le marché interbancaire, ils sont ensuite convertis en argent local pour l’achat d’avoirs

étatiques et de terrains publics que les institutions de Bretton Woods destinent à la vente dans le cadre

de la privatisation.

“On a préconisé la libéralisation des marchés financiers sans avoir la moindre preuve qu’elle stimulait la croissance économique. (…) Les capitaux spéculatifs, dont l’afflux et le reflux suivent si souvent la libéralisation des marchés financiers, laissent le chaos dans leur sillage. Les pays en

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développement sont comme de petits bateaux. Avec la libéralisation rapide des marchés des capitaux effectuée comme l’exigeait le FMI, on leur a fait prendre la mer par gros temps avant qu’ils aient pu colmater les trous dans la coque, apprendre son métier au capitaine et embarquer les gilets de sauvetage. Même dans le meilleur des cas, il y avait une forte probabilité de naufrage quand ils seraient frappés de plein fouet par une grosse vague.”

Joseph Stiglitz, La grande désillusion, 2002, p. 42-43

17.2.3. Privatisation des entreprises publiques

La privatisation des entreprises d’Etat est toujours liée à la renégociation de la dette extérieure du

pays. Celles qui font le plus de bénéfices sont reprises par le capital étranger ou par des consortiums et le fruit de ces ventes est orienté vers les Clubs de Londres et de Paris. Les créanciers internationaux et

les transnationales obtiennent ainsi le contrôle sur les entreprises d’Etat en ne faisant pratiquement aucun investissement réel. Dans les pays de l’ancien bloc soviétique, les privatisations liées aux

mesures mentionnées plus haut ont donné lieu à un processus massif d’accaparement des biens publics

par les nouveaux capitalistes nationaux (dont certains provenaient de la nomenklatura au pouvoir sous l’ancien régime bureaucratique). Des méthodes criminelles d’accumulation du capital ont été

systématiquement utilisées. Les affaires judiciaires autour des firmes russes Ioukos, Sibneft, Menatep

et des capitalistes oligarques Khodorkovski, Abramovich… sont emblématiques de ce processus favorisé par les politiques du FMI et de la Banque mondiale.

17.2.4. Réforme de la taxation L’introduction d’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui pèse très lourdement sur les revenus les plus

faibles, les changements dans la structure de la taxation directe signifient un plus lourd fardeau pour

les groupes à revenu moyen. L’enregistrement des petits producteurs, des travailleurs/vendeurs du secteur informel fait partie de la politique de la Banque mondiale pour augmenter les taxes.

Un des auteurs favorables à la politique fiscale prônée par le FMI présente celle-ci de la manière suivante : “ Le FMI encourage les pays en développement à entreprendre des réformes de leur fiscalité afin de permettre une meilleure allocation des ressources économiques. Il demande ainsi l’élimination des barèmes très progressifs pour l’impôt sur le revenu, car ils engendrent des distorsions coûteuses dans l’allocation des ressources, incitent à la fraude fiscale et entraînent des charges administratives élevées pour leur recouvrement. Les réformes fiscales recommandées par le Fonds incluent également la refonte des taxes sur le commerce extérieur”2. Patrick Lenain a été fonctionnaire au FMI, son argumentation se passe de commentaires.

17.2.5. Privatisation de la terre Cette politique consiste à émettre des titres de propriété terrienne en même temps qu’on hausse le

plafond d’accès à cette propriété. Cette mesure encourage la concentration des terres aux mains de

quelques-uns, les plus riches, les petits fermiers tendant à renoncer à la terre ou à l’hypothéquer pour finir par se transformer en métayers, en ouvriers agricoles saisonniers ou par prendre le chemin de la

ville. C’est une atteinte au droit coutumier à la terre (en Afrique ou en Inde, par exemple) ou à des

acquis de transformations révolutionnaires authentiques (dans le cas du Mexique des années 1990, il

2 LENAIN, Patrick. 1993. Le FMI, p. 55.

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s’agit de la réforme de l’article 27 de la constitution portant sur l’ejido). Cette contre-réforme de la propriété foncière a donné lieu à de fortes mobilisations paysannes en Egypte en 1997.

La privatisation des terres sert aussi à rembourser la dette. En effet, les ventes publiques de terres génèrent des revenus pour l’Etat qui sont orientés vers les créanciers internationaux. Ces opérations

servent aussi au blanchiment d’argent sale rapatrié, sans qu’il soit posé de question.

17.2.6. Marché du travail Le FMI et la BM recommandent d’assouplir les réglementations du marché du travail (qui ont été

généralement acquises de haute lutte par le mouvement ouvrier). Ces institutions expliquent que les

rigidités institutionnelles limitent la mobilité et la réaffectation de la main-d’œuvre et sont donc source de chômage3. La Banque mondiale a consacré, en 1995, l’entièreté de son Rapport sur le

Développement dans le Monde à la question du travail sous le titre Le monde du travail dans une économie sans frontières4. Ce rapport ne comprend pas que des propos nuancés, au contraire : “ La recherche d’une plus grande mobilité des travailleurs conduira souvent à appliquer des mesures qui permettront au processus de destruction d’emplois - lequel comprendra des licenciements dans le secteur public - de suivre son cours ”5. Pour la BM, il n’est pas question de mettre en place ou de maintenir des indemnités de chômage sur

une période prolongée. Ces dernières sont une source de chômage. La BM donne la définition suivante d’une “ politique du marché de travail volontariste ” : “ Politique qui vise à aider les chômeurs à retrouver un travail ou à améliorer les perspectives d’avenir de ceux qui travaillent ; cela comprend l’aide à la recherche d’un travail, la formation et les initiatives de créations d’emplois ” ; au

contraire, “ une politique passive vise à soutenir le niveau de vie de ceux qui ne travaillent pas au moyen d’aides monétaires ou autres ”6. Concernant les salaires, la BM se prononce sans équivoque pour la suppression du salaire minimum

dans les pays du tiers-monde. La BM part du postulat suivant : là où le salaire minimum existe, il est

“ trop élevé par rapport au revenu du pays et aux autres salaires, de sorte que même une légère augmentation réduirait l’emploi ”7. La conclusion est sans appel : “ L’institution du salaire minimum peut avoir son utilité dans les pays industriels, mais elle est difficile à justifier dans des pays à revenu faible ou intermédiaire ”8.

17.2.7. Syndicats

Selon la BM, les syndicats accentuent les “ privilèges ” des travailleurs du secteur formel et en conséquence, “ faussent le jeu de la répartition des revenus ” au détriment de la “multitude de ceux qui forment la population active du secteur informel et du secteur rural ”9. La BM relève encore que “ les syndicats ont parfois mis leur pouvoir politique à faire opposition à l’ajustement structurel ”10.

3 LENAIN, Patrick. 1993. Le FMI, p. 58 ; DECORNOY, Jacques. 1995. « Travail, Capital. Pour qui chantent les lendemains? », Le Monde diplomatique, septembre 1995 ; VALIER, Jacques. 1996. Banque mondiale 1995-1996: Du Nouveau sur les politiques sociales? 4 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. Rapport sur le développement dans le monde, 1995. 5 Idem, 1995, p.8. 6 Ibid., p. VIII. 7 Ibid., p.88. 8 Ibid., p.93. 9 Ibid., p.95. 10 Ibid., p.96.

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Néanmoins, elle concède que les syndicats sont tolérables : “Il n’est pas nécessaire de refuser de reconnaître les droits des travailleurs pour réaliser une croissance des revenus ”11.

17.2.8. Système de retraite La BM s’est penchée ces dernières années sur la réforme des systèmes de retraite et défend activement

le développement de l’épargne retraite par capitalisation de manière à développer les fonds de retraite

privés et à réduire la charge des retraites pour l’Etat. Là où des systèmes de retraite par répartition existent et constituent la source principale du financement des retraites, c'est-à-dire essentiellement

dans les pays les plus industrialisés (surtout en Europe occidentale), dans l’ex-bloc soviétique et dans

certains pays du tiers-monde (y compris la Chine), la Banque mondiale est activement favorable à la réalisation d’une contre réforme impliquant le report de l’âge de la retraite, la réduction des prestations

et la création d’un pilier privé complémentaire. “ Le rapport de 1994 prônait un système de retraites à plusieurs piliers consistant dans l’idéal en un premier pilier obligatoire, en répartition et à gestion publique, en un second pilier également obligatoire mais en capitalisation et à gestion privée, et enfin en régimes supplémentaires en capitalisation, à caractère facultatif et à gestion privée ”12.

La Banque mondiale a dans ce cadre salué positivement les réformes néolibérales lancées en France,

en Autriche, en République tchèque, au Brésil en 2002-2003. Les fonds de retraite privés, encouragés par la BM et le grand capital, se sont fortement développés au cours des deux dernières décennies

notamment au Brésil, au Chili, en Argentine, au Mexique mais aussi en Afrique du Sud, en Europe orientale et dans certains pays d’Asie. Dans le document de la Banque mondiale cité plus haut,

l’auteur reconnaît que “ de nombreux régimes partiellement financés par capitalisation ont vu les actifs qu'ils avaient accumulés érodés, soit du fait de détournements soit en raison du faible rendement des fonds, rendant impossible le service des prestations initialement promises. C'est ce qui s'est passé dans de nombreux pays d'Amérique latine et d'Afrique et, dans une certaine mesure, en Europe et en Asie ”13. Cet aveu, néanmoins, ne pousse pas la Banque à revoir sa position d’autant que “ une surenchère de générosité ne peut que freiner la formation de capital et, partant, réduire le niveau de production pour les générations actuelles et à venir ”14. La Banque mondiale ici aussi donne la priorité à l’accumulation du capital en concédant un minimum de mécanisme de solidarité.

Notons que la réforme du système des retraites en Argentine, appliquée dans les années 1990 sous la conduite du FMI, a abouti à un désastre. Le pilier privé appelé AFJP qui gérait l’épargne retraite sous

forme de capitalisation a investi une grande partie de celle-ci sous la forme de titres de la dette publique argentine. La dévaluation de début 2002 combinée à la suspension du paiement de la dette a

fait fondre comme neige l’épargne des travailleurs argentins. Ajoutons qu’en plus, le développement

des AFJP a diminué fortement les recettes fiscales de l’Etat. Dans un autre pays d’Amérique latine, le Nicaragua, le même type de réforme a été appliqué au début

des années 2000. Les travailleurs âgés de moins de 43 ans cotisent pour leur retraite à un système

privé obligatoire. La caisse privée de retraite investit l’épargne des travailleurs dans des titres de la dette publique interne (qui un jour deviendra impayable tant elle a gagné en volume sous la conduite

de la Banque mondiale et du FMI). La caisse publique de retraite quant à elle n’est plus alimentée que

11 Ibid., p.101. 12 HOLZMANN, Robert. Banque mondiale, p. 2, disponible sur le site de la Banque. 13 Idem, p.7. 14 Ibid., p.6.

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par les cotisations relatives aux travailleurs de plus de 43 ans. La décision de ne plus faire cotiser les travailleurs de moins de 43 ans entraînera certainement la faillite de la caisse publique de retraite

puisque celle-ci aura à charge de plus en plus de retraités alors que ses recettes diminuent drastiquement.

17.2.9. Pauvreté et filets de sécurité sociale

Les institutions de Bretton Woods ont abandonné l’idée d’éradiquer ou de réduire la pauvreté de manière générale. Il s’agit maintenant de “ gérer la pauvreté ” pour qu’elle soit “ soutenable ”. Dans

le même temps qu’on effectue des coupes dans les budgets sociaux, on définit des programmes ciblés

vers les plus pauvres. Ce système prétend être plus efficace mais ces programmes ciblés sont combinés avec la “ récupération des coûts ” et la “ privatisation ” de la santé et de l’éducation (les

médicaments, les consultations médicales, l’inscription scolaire deviennent payants).

L’Etat se retire et de nombreux programmes, autrefois sous la juridiction de ministères, sont désormais

gérés par des organisations civiles, des ONG qui ont graduellement pris à leur compte les fonctions des gouvernements locaux. Puisque les fonds sont gelés à la suite de PAS, la production à petite

échelle de projets artisanaux, la sous-traitance pour les firmes exportatrices, la formation dans les

communautés de base, les programmes de mise au travail, etc. sont réalisés sous le couvert du “ Filet de sécurité sociale ”. On assure ainsi la survie fragile de la population au niveau local tout en

contenant le risque de soulèvements sociaux.

17.2.10. Good governance (Bonne gouvernance)

Même si la BM s’en défend, l’octroi des prêts est depuis les années 1990 assorti explicitement de

conditionnalités politiques : parmi celles-ci, la bonne gouvernance. Bien que la mise en application des PAS exige immanquablement le renforcement d’un appareil d’Etat autoritaire, une façade de

“ démocratisation ” est exigée comme corollaire au marché “ libre ”.

A partir du début des années 1990, après que l’application des PAS ait mené à plusieurs reprises à des

révoltes populaires dans plusieurs pays, la bonne gouvernance devient un thème qu’aborde systématiquement la BM. En effet, les autorités du pays qui appliquent le PAS perdent de leur

légitimité aux yeux du peuple dans la mesure où elles apparaissent comme abandonnant leur

autonomie face aux institutions financières internationales. La BM répond à cette situation en se dédouanant et en mettant sur le compte des défauts des régimes en place la responsabilité des troubles

populaires. Le thème de la bonne gouvernance devient un instrument supplémentaire de sujétion des pays endettés.

En 1990, Barber Conable, président de la BM de 1986 à 1991, fait la déclaration suivante aux

quelques gouverneurs africains de la Banque : “ Permettez-moi d’être franc : l’incertitude politique et le règne de l’arbitraire dans tant de pays d’Afrique sub-saharienne sont des obstacles majeurs à leur développement (...). En disant cela, je ne parle pas politique, mais je me fais le défenseur d’une transparence et d’une responsabilité accrues, du respect des droits de l’homme et de la loi. La gouvernabilité est liée au développement économique, et les pays donateurs indiquent de plus en plus

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qu’ils cesseront de soutenir des systèmes inefficaces qui ne répondent pas aux besoins élémentaires de la population ”15.

Le thème de la bonne gouvernance offre deux autres avantages pour la BM. Premièrement, elle répond

aux critiques internationales de plus en plus vives en disant qu’elle se préoccupe de la bonne gestion

des moyens octroyés aux régimes en place de manière à ce que “ l’aide ” arrive aux groupes sociaux concernés, les pauvres comme les industriels. Deuxièmement, elle cherche des points d’appui

nationaux en dehors des autorités pour atteindre ses objectifs : les ONG locales et étrangères, les

médias, les pouvoirs religieux, les chambres patronales. La gouvernance prend une telle importance dans la démarche de la BM qu’elle y consacre en 1992, un rapport spécial intitulé : “ Bonne

Gouvernance et développement ”16. Comment définir la bonne gouvernance ? Jean Leca y répond de la manière suivante :

“ La conformité des gouvernés résulte d’un processus complémentaire à celui de l’échange instrumental de ressources : la constitution d’un réservoir de loyauté (dans un cadre de soumission, ajoutons-nous, NDA) qui permet d’accepter provisoirement un échange défavorable. (...) On parlera alors de la légitimation du pouvoir comme d’un processus par lequel les gouvernants produisent (ou utilisent), un (ou des) système(s) de justification qui leur permet(tent) de faire appel en cas de besoin à d’autres centres de pouvoir social pour obtenir une obéissance effective ”17.

En réalité, la bonne gouvernance n’implique nullement la démocratie, elle implique la mise en œuvre

de politiques permettant d’obtenir le consentement des opprimés. Dans de nombreux cas, le discours

sur la bonne gouvernance dissimule mal une pratique qui vise à renforcer le pouvoir exécutif et à affaiblir les mouvements sociaux.

17.3. La faisabilité des politiques d’austérité

L’OCDE fournit un vade mecum pour les gouvernants Dans un document destiné aux gouvernants, Christian Morrisson, fonctionnaire de l’OCDE, prodigue

ses recommandations. Le texte se passe de longs commentaires. En voici des extraits (les intertitres

sont de l’auteur).

Tout d'abord, des précisions sur le but du rapport intitulé La faisabilité politique de l’ajustement 18 : “ Le Centre de Développement s’efforce d’identifier et d’analyser les problèmes qui vont se poser à moyen terme aussi bien pour les pays membres de l’OCDE que les pays non membres, et d’en dégager des lignes d’action pour faciliter l’élaboration de politiques adéquates. Cette série des Cahiers de politique économique présente les résultats des travaux de recherche du Centre et est destinée plus particulièrement aux responsables politiques et aux décideurs concernés par les recommandations qui y sont faites. Les politiques de stabilisation économique et d’ajustement peuvent provoquer des troubles sociaux, voire mettre en péril la stabilité des pays. Dans ce Cahier de politique économique sont analysées les

15 Cité par, LANCASTER, Carol. 1993. “Governance and Development: the Views from Washington”, IDS Bulletin, p.10. 16 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. Rapport sur le développement dans le monde, 1992. 17 LECA, Jean et PAPENI, Roberto sous la direction de. 1985. Les Démocraties sont-elles gouvernables?, p. 19. 18 MORRISSON, Christian. 1996. « La Faisabilité politique de l’ajustement », Cahier de politique économique 13, OCDE, Paris.

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conséquences politiques de tels programmes. Il ressort de cinq études de cas approfondies et de deux échantillons importants de pays, en Amérique latine et en Afrique, que les coûts politiques en termes de grèves, de manifestations ou d’émeutes sont très différents d’une mesure de stabilisation à l’autre. Ces recherches ont permis de définir et de préciser les caractéristiques d’un programme de stabilisation politiquement optimal qui, pour un même résultat, minimise les risques politiques ”19.

“ La distinction entre la stabilisation et l’ajustement structurel est politiquement importante. En effet, le programme de stabilisation a un caractère d’urgence et comporte nécessairement beaucoup de mesures impopulaires puisque l’on réduit brutalement les revenus et les consommations des ménages en diminuant les salaires des fonctionnaires, les subventions ou l’emploi dans le bâtiment. En revanche, les mesures d’ajustement structurel peuvent être étalées sur de nombreuses années et chaque mesure fait en même temps des gagnants et des perdants, de telle sorte que le gouvernement peut s’appuyer facilement sur une coalition de bénéficiaires pour défendre sa politique ”20.

“ En cas d’ajustement, un gouvernement peut compenser la baisse de popularité due aux réductions de dépenses par la répression en cas de troubles, mais elle entraîne de nombreux coûts (dépendance accrue à l’égard de l’armée ou réactions négatives à l’étranger)21.

Timing

“ On observe, avec un décalage de trois à six mois, un lien étroit entre l’annonce des mesures de stabilisation et les troubles, les grèves ou les manifestations. Ce décalage est intéressant car il prouve que, contrairement à l’hypothèse d’anticipations rationnelles, les réactions politiques ont lieu au moment de l’application des mesures plutôt qu’à leur annonce ”22.

Hassan II, un exemple à suivre “ Toutefois, il existe des cas de réussite où un gouvernement parvient à éviter ce risque, comme au Maroc en 1983-1985. Deux éléments expliquent ce succès politique : la prudence (hausses de prix modulées et étalées) et une bonne stratégie de communication (par exemple : le roi a proclamé que l’on devait protéger les pauvres contre l’ajustement sur le thème “ oui à l’austérité, non à la paupérisation ”) ”23.

Le plus facile à imposer “ Une politique monétaire restrictive, des coupures brutales de l’investissement public ou une réduction des dépenses de fonctionnement ne font prendre aucun risque à un gouvernement. Cela ne signifie pas que ces mesures n’ont pas des conséquences économiques ou sociales négatives mais nous raisonnons ici en fonction d’un seul critère : minimiser les risques de troubles ”24.

19 Idem p.3. 20 Ibid., p.5. 21 Ibid., p.9. 22 Ibid., p.10. 23 Ibid., p.15. 24 Ibid., p.16.

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“ Les coupures dans les budgets d’investissement ne suscitent habituellement aucune réaction, même lorsqu’elles sont très sévères : moins 40% au Maroc en trois ans, moins 40% en Côte d’Ivoire en deux ans, moins 66% au Venezuela de 1982 à 1985 et moins 60% aux Philippines en deux ans ”25.

Erreurs à éviter “ Un programme qui toucherait de façon égale tous les groupes (c’est-à-dire qui serait neutre du point de vue social) serait plus difficile à appliquer qu’un programme discriminatoire, faisant supporter l’ajustement à certains groupes et épargnant les autres pour qu’ils soutiennent le gouvernement ”26.

Un pouvoir qui exerce un monopole sur l’exécutif, le législatif et le mouvement syndical

“ En cas d’épreuve, le poids politique exceptionnel d’un chef d’Etat représente un capital déterminant pour le succès de l’ajustement. Certes, les gouvernements ont toujours de réelles capacités de résistance grâce aux forces de l’ordre. Mais lorsque l’émeute risque de faire vaciller le régime, l’autorité du chef de l’Etat est un atout très important. Ce fut le cas au Maroc comme en Côte d’Ivoire et au Venezuela : le Président avait cette autorité en 1990 parce que le même parti contrôlait la présidence, le Parlement et le principal syndicat ”27.

Privatiser et licencier massivement “ Le problème de la réforme des entreprises publiques qu’il s’agisse de restructuration ou de privatisation, s’est posé dans plusieurs pays et il suscite toujours de fortes oppositions parce que l’on remet en question de nombreux intérêts. Toutefois, dans certains cas, les gouvernements parviennent à appliquer des plans de restructuration qui seraient rejetés dans les pays développés. Ainsi, en Bolivie, le Président Paz a pris en 1987 des mesures draconiennes : les deux tiers des salariés de l’entreprise publique chargée de l’extraction de l’étain ont été licenciés parce que cette entreprise était responsable du tiers du déficit public total. Cette décision a entraîné une série de grèves et de manifestations, mais le gouvernement a tenu bon face aux mineurs et il est encore demeuré au pouvoir pendant trois ans ”28.

Utiliser l’alibi que constitue le FMI “ Rappelons que tout ajustement est une opération risquée politiquement. D’un côté, l’opposition va imputer en totalité les coûts de l’ajustement au gouvernement. De l’autre, si le gouvernement, par crainte de l’opposition, attend la crise financière pour ajuster, il aura beaucoup moins de marge de manœuvre, en cas de crise politique. Mais comme il ne peut plus en principe faire de concessions dès lors qu’il a pris des engagements envers le FMI, le gouvernement peut répondre aux opposants que l’accord réalisé avec le FMI s’impose à lui, qu’il le veuille ou non ”29.

25 Ibid., p.17. 26 Ibid., p.17. 27 Ibid., p.18. 28 Ibid., p.20. 29 Ibid., p.22.

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“ Le gouvernement peut expliquer que, le FMI imposant par exemple une baisse de 20% de la masse salariale, le seul choix possible est de licencier ou de réduire les salaires et qu’il préfère la seconde solution dans l’intérêt de tous ”30.

Conseils aux gouvernants du Sud et du Nord pour affaiblir le syndicalisme “ Si les salariés des entreprises parapubliques sont bien organisés, ils peuvent s’opposer efficacement à la décision du gouvernement (de privatiser ou de licencier massivement. C'est moi qui précise). Toute politique qui affaiblirait ces corporatismes (à noter que Morrisson utilise le terme “ corporatisme ” pour désigner manifestement le mouvement syndical. C'est moi qui précise) serait souhaitable : d’un point de vue économique, cela éliminerait des entraves à la croissance et, politiquement, le gouvernement gagnerait une liberté d’action qui peut lui être précieuse en période d’ajustement. On objectera que cette politique soulèvera des résistances mais il vaut mieux que le gouvernement livre ce combat dans une conjoncture économique satisfaisante qu’en cas de crise lorsqu’il est affaibli. Cette politique peut prendre diverses formes : garantie d’un service minimum, formation d’un personnel qualifié complémentaire, privatisation ou division en plusieurs entreprises concurrentes lorsque cela est possible ”31.

Mesures à éviter “ La première précaution à prendre est d’éviter une politique laxiste en période de prospérité car celle-ci crée des droits qu’il est ensuite difficile de remettre en question ”32.

“ Beaucoup d’habitants des bidonvilles ou des quartiers pauvres ressentent un sentiment de frustration et d’exclusion par rapport au reste de la population urbaine. Dès lors le saccage et le pillage des magasins dans les quartiers aisés leur permettent d’exprimer ce sentiment. Si une mesure de stabilisation - la coupure des subventions par exemple - entraîne une hausse soudaine des prix des denrées courantes, ces populations vont réagir en manifestant avec violence leur désespoir. En effet, cette mesure réduit brutalement leur niveau de vie déjà très bas et arrivés à ce point, les pauvres n’ont plus rien à perdre ”33.

“ Il faut, comme au Maroc en 1983-1984, relever d’abord les prix des produits intermédiaires et non pas ceux des produits de base consommés par les ménages pauvres. Si les prix des produits de base sont augmentés, il faut procéder par hausses modérées (moins de 20%) et étalées dans le temps ”34.

Grève des enseignants

“ La grève des enseignants n’est pas, en tant que telle, une gêne pour le gouvernement mais elle est indirectement dangereuse puisqu’elle libère la jeunesse pour manifester ”35.

30 Ibid., p.29. 31 Ibid., p.23. 32 Ibid., p.26. 33 Ibid., p.26. 34 Ibid., p.27. 35 Ibid., p.29.

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Pour baisser les salaires : diviser pour régner “ On peut supprimer des primes dans certaines administrations en suivant une politique discriminatoire pour éviter un front commun de tous les fonctionnaires. Evidemment, il est déconseillé de supprimer les primes versées aux forces de l’ordre dans une conjoncture difficile où l’on peut en avoir besoin ”36.

“ Rien n’est plus dangereux politiquement que de prendre des mesures globales pour résoudre un problème macro-économique. Par exemple, si l’on réduit les salaires des fonctionnaires, il faut les baisser dans tel secteur, les bloquer en valeur nominale dans un autre et même, les augmenter dans un secteur clé politiquement ”37.

Mesures faciles à prendre “ On peut recommander de nombreuses mesures qui ne créent aucune difficulté politique. Pour réduire le déficit budgétaire, une réduction très importante des investissements publics ou une diminution de fonctionnement ne comportent pas de risque politique. Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population ”38.

Pour un pouvoir fort “ Pour qu’un gouvernement ait la marge de manœuvre nécessaire pour ajuster, il doit être soutenu par un ou deux grands partis majoritaires et non par une coalition de petits partis, ce qui conduit à préférer le scrutin uninominal au scrutin proportionnel pour l’élection du parlement (ou pour le moins à conseiller une combinaison des deux modes de scrutin). D’autres moyens permettent de renforcer l’exécutif comme la possibilité de pouvoirs spéciaux temporaires ou un contrôle ex post par le pouvoir judiciaire, afin d’éviter que des juges puissent bloquer ex ante l’application du programme. Le référendum peut être une arme efficace pour un gouvernement dès lors qu’il en a seul l’initiative ”39.

36 Ibid., p.30. 37 Ibid., p.31. 38 Ibid., p.30. 39 Ibid., p.34.

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Chapitre 18

Approche des effets globaux des politiques d’ajustement structurel

18.1. Conséquences sociales des PAS 18.1.1. Au niveau de l’enseignement Les établissements d’éducation se dégradent, certains ferment leurs portes et des enseignants sont

licenciés faute de fonds ou sont payés avec des mois de retard. Ce manque de fonds opérationnels est compensé par l’exigence de frais d’inscription, droits levés sur les associations de parents,

communautés locales... Ce processus toutefois, implique la privatisation partielle des services sociaux

essentiels et l’exclusion de facto de larges secteurs de la population (particulièrement dans les régions rurales).

Les conditions explicites des prêts d’ajustement du secteur social de la Banque mondiale sont le gel du

nombre de diplômés dans les écoles de formation d’enseignants et l’augmentation du nombre d’élèves par enseignant. On réduit le budget de l’enseignement. Les enfants ne passent plus qu’une demi-

journée à l’école. On crée ainsi les “ classes à double flux ” : chaque enseignant doit s’occuper de deux classes, une le matin, une autre l’après-midi1. Il fait donc maintenant le travail de deux enseignants.

Les économies réalisées par les licenciements sont orientées vers les créditeurs officiels.

Ces initiatives visant à “ l’efficacité des coûts ”, toutefois, sont considérées comme insuffisantes : en Afrique subsaharienne, certains bailleurs de fonds ont récemment proposé une formule qui consiste à

éliminer le salaire de l’enseignant en lui accordant un petit prêt pour lui permettre de construire sa propre “ école privée ”.

En conformité avec ce plan, le ministère de l’Education reste cependant responsable du niveau de

“ qualité ” de l’enseignement.

En Afrique, les taux d’inscription dans les écoles primaires avaient fait un bond en avant entre 1965 et

1980 et étaient passés de 41% à 79% mais en 1988, ils étaient retombés à 67%2. En Zambie, entre 1990 et 1993, le gouvernement a dépensé 37 millions de dollars pour l’enseignement

primaire tandis qu’il remboursait 1,3 milliard de dollars en service de la dette. Autrement dit, pour un dollar investi dans le primaire, le gouvernement en envoie trente-cinq à l’extérieur pour rembourser la

dette. En 1995, le gouvernement dépensait six fois moins pour l’éducation primaire par habitant que

dix ans auparavant. En fait, 80% des coûts de l’école primaire étaient pris en charge par les familles elles-mêmes.

“ En 2001, le Congrès a adopté, et le Président a ratifié, une loi exigeant que les Etats-Unis s’opposent aux projets qui rendent l’école primaire payante (pratique qui se dissimule sous le nom apparemment inoffensif de “ récupération des coûts ”). Or l’administrateur américain (au FMI et à la BM) a tout simplement ignoré cette loi, et, en raison du secret des institutions, le Congrès n’avait aucun moyen de s’en apercevoir. C’est grâce à une fuite que l’affaire a été découverte, à la grande indignation des parlementaires, même les plus habitués aux manœuvres bureaucratiques ”

Joseph Stiglitz, La grande désillusion, 2002, p. 83

1 N’DIAYE, Badara. 1994. L’École de la dette. Le cas du Sénégal. 2 PNUD. 1992. Rapport mondial sur le développement humain, p.43.

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204

18.1.2. Au niveau de la santé Les institutions internationales prétendent que les subsides d’Etat à la santé créent d’indésirables

“ distorsions du marché ” qui “ profitent aux riches ”. En outre, pour des raisons de plus grande “ équité ” et de plus grande “ efficacité ”, elles estiment que l’usager des soins de santé primaire doit

payer des droits d’utilisation même s’il fait partie d’une communauté rurale pauvre.

La Banque mondiale estime par ailleurs qu’une dépense de huit dollars par personne et par an est amplement suffisante pour satisfaire aux normes acceptables des services cliniques.

C’est l’effondrement général des soins curatifs et préventifs : l’équipement médical fait défaut, les

conditions de travail sont désastreuses, le personnel est mal (ou pas) payé. Les établissements publics de santé en Afrique subsaharienne, dans certains pays d’Amérique latine et d’Asie, sont en fait

devenus des foyers de maladie et d’infection. En effet, le manque d’allocations et de fonds pour les équipements médicaux (incluant les seringues et les pansements) autant que les augmentations de prix

(recommandées par la Banque mondiale) de l’électricité, de l’eau et des carburants (nécessaires pour la

stérilisation par exemple) augmentent la probabilité d’infections (y compris du sida). Il résulte de ces mesures drastiques d’austérité une polarisation sociale accrue dans le système de

délivrance des soins, une réduction de la politique sanitaire et une augmentation du pourcentage déjà

très élevé de la population sans accès à la santé, une résurgence de maladies contagieuses qui avaient parfois été éradiquées (cette résurgence est également due à la diminution des dépenses publiques en

termes de prévention : système des égouts, distribution d’eau potable, programmes de vaccination...).

Le taux de mortalité infantile (TMI) est un indicateur très sensible du bien-être d’une nation.

L’application des plans d’ajustement structurel aux pays africains a complètement inversé les gains péniblement obtenus par ces pays en quinze ans. Le TMI qui avait commencé à décroître dans de

nombreux pays africains, a augmenté de 54% entre 1980 et 1985, dans sept pays africains. L’exemple

le plus frappant est celui du Mali où le TMI avait baissé de 23% de 1960 à 1980 et a augmenté de 26,5% de 1980 à 1985. Les chiffres du taux de mortalité infantile de Madagascar ne sont pas

communiqués pour l’année 1965 mais le TMI est de 71 pour mille en 1980 et de 109 pour mille en 1985, soit une augmentation pour la période 1980-1985 de 53%.

L’alimentation et la sécurité alimentaire sont deux facteurs déterminants pour la santé. Une étude réalisée par l’Unicef dans dix pays sur les effets de l’ajustement sur la santé, a conclu que l’état

nutritionnel des enfants avait chuté dans huit des pays étudiés. Entre 1980 et 1984, en pleine application des PAS en Zambie, les décès par carence alimentaire ont augmenté de 2 à 6% parmi les

enfants âgés de 0 à 11 mois et de 38 à 62% pour les enfants de 1 à 14 ans.

Toujours en Zambie, en 1995, le gouvernement dépensait 30% de moins en budget de la santé que dix

ans auparavant. Conséquence : la mortalité infantile a augmenté de 20% en dix ans.

Le FMI et la Banque mondiale prônent la prise en charge des soins de santé par tous les utilisateurs :

au Mozambique, le nombre de consultations à l’hôpital de Maputo a chuté de 24% entre 1986 et 1987. En Malaisie, 40% de la population n’ont pas accès aux soins de santé privés3.

3 K. Balasubramaniam, Third World Resurgence, avril 96.

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205

Au niveau de la santé maternelle, les chiffres d’utilisation de la maternité pour les accouchements au Nigeria indiquent une chute de 6 535 en 1983 (début d’application du PAS), à 4 377 en 1985 puis à 2

991 en 1988 (Bruno Dujardin, Institut de Médecine Tropicale d’Anvers).

L’extension de la pandémie du sida, la recrudescence de la malaria et de la tuberculose sont à mettre

directement en relation avec les politiques d’ajustement structurel. C’est un comble que la Banque mondiale se soit vu confier la gestion financière du Fonds global pour la santé, créé par l’ONU en mai

2001 et fortement médiatisé à l’occasion du sommet du G7 tenu à Gênes en juillet 2001. Ce Fonds

global pour la santé a pour tâche de contribuer de manière prioritaire à la lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Mais les fonds promis par les pays riches sont très loin d'avoir été tous

versés trois ans plus tard.

18.1.3. Coûts sociaux présentés comme des effets collatéraux Au niveau macro-économique, ces mesures concernant la santé et l’éducation conduisent à une

dégradation des conditions de vie des populations des pays endettés. Le Rapport du PNUD 1992, indique que “ du fait de la crise économique des années 80 et des programmes d’ajustement structurel adoptés en conséquence, les dépenses sociales d’un grand nombre de pays lourdement endettés ont été fortement réduites, ce qui a eu une incidence directe sur la vie des populations, la mortalité infantile, la scolarisation et la nutrition ”4. Selon l’idéologie du FMI et de la Banque mondiale, toutefois, les “ coûts sociaux ” doivent être

« séparés » du programme d’ajustement structurel lui-même : les “ effets latéraux indésirables ” ne

sont pas à imputer au modèle économique. Ils appartiennent à un “ secteur séparé ” : le secteur social. Les coûts sociaux sont, selon le FMI et la Banque mondiale, compensés par les “ bénéfices

économiques ” de la stabilisation macro-économique. Les coûts sociaux relèveraient du court terme

tandis que les bénéfices économiques relèvent du long terme.

18.2. Effets économiques des politiques d’ajustement La production pour le marché intérieur est fortement déprimée par la compression des salaires réels,

par la libéralisation des importations combinée aux mesures de taxation et aux réformes de prix. Alors que les mesures du FMI sont en théorie destinées à aider les pays à restructurer leurs économies

en vue d’engendrer un surplus de leur balance commerciale, de pouvoir ainsi rembourser la dette et de faire démarrer un processus de reconstruction économique, on constate que c’est exactement l’inverse

qui se produit. Le processus d’austérité mine la capacité de redressement et empêche de diminuer le

poids de la dette, il permet seulement d’assurer tant bien que mal le paiement du loyer de l’argent. Les mesures du FMI font même augmenter la dette :

- les prêts basés sur la nouvelle politique d’ajustement, accordés pour rembourser les anciennes dettes, contribuent à augmenter à la fois le stock de la dette et son service;

- vu la libéralisation du commerce et la destruction de la production intérieure, on accorde des prêts à

très court terme pour permettre au pays de continuer à importer des biens à partir du marché mondial; - la facture globale des importations est augmentée à la suite des mesures de dévaluation;

4 PNUD. 1992. Idem, p.74.

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206

- toute formation de capital qui ne sert pas directement les intérêts de l’économie d’exportation, est bloquée.

La stabilisation macro-économique et les “ Programmes d'ajustement structurel ” préconisés par le

couple BM/FMI constituent un puissant instrument de restructuration économique qui affecte le

niveau de vie de millions d'individus. Les “ Programmes d'ajustement structurel ” ont une incidence directe sur le processus d'appauvrissement massif décrit. L'application du “ remède économique ” du

couple FMI/BM a conduit à la compression du revenu réel et au renforcement de l'économie

d'exportation par une main-d'œuvre à bas prix. La même “ recette ” d'austérité budgétaire, de libéralisation du commerce et de privatisations est appliquée simultanément dans plus de cent pays

endettés du tiers-monde et de l’ex-bloc soviétique.

18.3. Effets politiques La majorité des pays endettés perdent tout ou partie de leur souveraineté politique ainsi que le contrôle

des politiques économiques et monétaires ; les Banques centrales et les ministères des Finances sont réorganisés ; certaines institutions étatiques se délitent et une “ tutelle économique ” est instaurée. Les

équipes permanentes et les missions du FMI et de la BM constituent un “ gouvernement parallèle ” qui

court-circuite les organisations sociales et les parlements nationaux. Les pays qui ne se conforment pas aux “ buts de performance ” du FMI sont placés sur une liste noire.

C’est le cas aujourd’hui du Soudan. C’était le cas du Nicaragua entre 1979 et 1990.

Le profond désespoir d'une population appauvrie par l'économie de marché engendre des émeutes

contre les “ Programmes d'ajustement structurel ” et des soulèvements populaires qui sont réprimés brutalement.

L'ajustement structurel est une des principales formes contemporaines de contrainte économique exercées par les Etats du Centre à l’égard des pays de la Périphérie. L'impact social de l'ajustement

structurel est dévastateur étant donné qu'il affecte les moyens d'existence de quatre milliards

d'individus.

L'application du programme d'ajustement structurel dans un grand nombre de pays débiteurs favorise l' “ internationalisation ” de la politique macro-économique sous le contrôle direct du FMI et de la

Banque mondiale agissant en fonction de puissants intérêts financiers et politiques (les Clubs de Paris

et de Londres, le G7, le cercle étroit des principales transnationales). Cette nouvelle forme de domination politique et économique - une forme de colonialisme de marché - opprime les peuples et

les gouvernements au moyen de l'interaction impersonnelle (et la manipulation délibérée) des forces

du marché. La bureaucratie internationale basée à Washington est chargée de l'exécution d'un projet économique global qui affecte les moyens d'existence de plus de 80% de la population mondiale.

A aucun moment de l'histoire, le marché “ libre ” - par les processus macro-économiques agissant au niveau mondial - n'a joué un rôle aussi important en influençant la destinée de nations “ souveraines ”.

La restructuration de l'économie mondiale sous la direction des institutions financières de Washington

dénie de plus en plus aux pays du tiers-monde la possibilité de développer une économie nationale : l'internationalisation de la politique économique transforme les pays en territoire économiquement

ouverts et les économies nationales en “ réserves ” de main-d'œuvre bon marché et de ressources naturelles.

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207

18.4. Diminuer le rôle de l’Etat et supprimer tout projet national autocentré La BM insiste avec force sur l’enjeu humain de la réduction du rôle de l’Etat : “ Sur les 2,5 milliards de travailleurs que compte le monde, 1,4 milliard vivent dans des pays confrontés à la difficile tâche de sortir définitivement d’un système d’interventionnisme d’Etat, de protectionnisme outrancier ou de planification centralisée (...) ”5.

“ En Afrique subsaharienne, en Amérique latine et en Asie du Sud, la plupart des pays ont poursuivi, à des degrés divers, des formes de développement autocentré qui protégeaient certaines industries et défavorisaient l’agriculture. Ces stratégies ont profité à un nombre limité de privilégiés (détenteurs de capitaux et travailleurs employés dans le secteur protégé). Les privilèges étaient souvent défendus au moyen d’interventions de type institutionnel (interdiction de licencier en Amérique latine ou maintien de postes en surnombre dans l’emploi public en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud) au lieu d’être justifiés par une augmentation de la demande de main-d’œuvre ou une amélioration de la productivité ”6.

“ Il n’y a rien de mieux pour la croissance et l’amélioration du niveau de vie des travailleurs qu’un développement par le marché qui encourage les entreprises et les travailleurs à investir en capital physique, en techniques nouvelles et en formation. Les tentatives des pays qui avaient pensé pouvoir aider les travailleurs par une politique d’investissement qui favorisaient l’industrie au détriment de l’agriculture, en protégeant de la concurrence internationale les emplois d’un petit nombre de travailleurs favorisés du secteur industriel, en décrétant des augmentations de salaires ou en créant des emplois superflus dans le secteur public, ont fini par échouer (aussi bien en Amérique latine que dans l’ex-Union soviétique ou ailleurs) ”7.

Plusieurs éléments sont à retirer de ces déclarations de la BM. Premièrement, il y a un tour de passe-passe utilisé systématiquement pour présenter les travailleurs

ayant un emploi dans le secteur formel comme étant des privilégiés au même titre que les détenteurs

de capitaux. Dans le monde tel qu’envisagé par la BM, il n’y a pas d’opposition de classes entre capitalistes, d’un côté, et travailleurs (qu’ils soient paysans, ouvriers d’usine, travailleurs de

l’éducation ou de la santé, chômeurs), de l’autre côté. Selon la BM, la véritable opposition passe entre les privilégiés (travailleurs du secteur protégé, patrons du secteur étatique ou patrons privés protégés

par l’Etat), d’une part, et les pauvres (sans-emplois, travailleurs du secteur informel), d’autre part.

Deuxièmement, l’Etat a joué un rôle néfaste dans la plupart des économies du Sud ou de l’Est, il faut donc réduire son rôle.

Troisièmement, les tentatives de mener un développement autonome ont toutes échoué.

Quatrièmement, on sent que les auteurs du rapport jubilent à l’idée que se sont ouvertes d’immenses possibilités pour les politiques néolibérales dans des régions aussi différentes que l’Amérique latine,

l’Afrique, l’Asie du Sud ou l’ex-Union soviétique. La jubilation prend même une forme brutalement revancharde dans le passage suivant consacré aux pays de l’ex-bloc soviétique : “ Se considérant comme les champions du monde du travail, ils assuraient à leurs travailleurs des salaires périodiquement relevés et une protection sociale du berceau à la tombe - et ne voyaient donc pas la 5 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. Rapport sur le développement dans le monde, 1995, p.7. 6 Idem, p.16. 7 Ibid., p.3.

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nécessité de syndicats libres et indépendants ”8. Faut-il souligner que la BM ne mentionne l’absence de syndicats libres que par pure démagogie, elle qui a soutenu (et soutient encore) tant de dictatures

que ce soit au Chili sous Pinochet ou en Roumanie sous Ceaucescu pour ne prendre que deux exemples ?

Manifestement, pour la BM, l’important est donc d’en finir avec l’interventionnisme de l’Etat, les tentatives de développement autocentré et de planification.

Or, en règle générale, là où des pays de la Périphérie ont enregistré des succès, c’est notamment en s’appuyant sur un rôle très actif de l’Etat. C’est particulièrement le cas pour des pays considérés, il y a

peu encore, comme des modèles de réussite (la Corée du Sud, Taïwan, la Malaisie, la Thaïlande, le Brésil, le Mexique). L’Etat qu’il ait été dirigé par des bourgeoisies nationales, par des éléments de la

petite-bourgeoisie ou par la bureaucratie dictatoriale des pays dudit camp socialiste, a joué un rôle clé

pour amorcer un développement réel même s’il était déformé. Le “ surdéveloppement ” de l’Etat dans les pays de la Périphérie (sans y inclure les pays de l’Est) répond à la faiblesse de la classe capitaliste

locale. L’Etat a constitué les béquilles d’une bourgeoisie relativement faible parce que sortant de

l’exploitation coloniale. La BM en voulant réduire l’Etat dans la Périphérie a pour objectif d’augmenter la dépendance de ces

pays à l’égard du grand capital du Centre.

Pour ceux et celles qui veulent opposer une riposte progressiste à cette stratégie, il faut essayer d’éviter

plusieurs écueils. Le premier serait de prendre la défense de l’Etat comme si son contenu social était neutre et son rôle largement positif. L’Etat dans les pays capitalistes du Sud est l’instrument de

domination aux mains des classes exploiteuses locales. Cet Etat organise la répression des

mouvements populaires et garantit à la classe capitaliste de pouvoir faire du profit le plus tranquillement possible. Il faut éviter de laisser aux néo-libéraux le monopole de la critique de l’Etat.

De ce point de vue, il n’y a pas eu que Karl Marx pour dénoncer le caractère exploiteur de l’Etat

capitaliste. L’économiste classique Adam Smith ne disait-il pas lui-même : “ Le gouvernement civil, s’il a été institué pour assurer la sécurité de la propriété, est en réalité institué pour la défense du riche contre le pauvre, ou pour la défense de ceux qui ont une propriété contre ceux qui n’en ont aucune ”9. La BM et les néo-libéraux pourraient à la limite reprendre à leur compte la phrase d’Adam

Smith à condition d’en supprimer la dernière partie. En effet, selon leur discours démagogique, le riche est le travailleur du secteur étatique et il se sert de l’Etat pour exploiter le pauvre. Mais ce que la

BM et les néo-libéraux ne peuvent que rejeter comme une hérésie communiste, c’est le passage qui dit en substance que l’Etat a été institué pour défendre la propriété privée du riche contre ceux qui n’en

ont pas.

Il faut se poser la question suivante : quand la BM et les néo-libéraux prennent pour cible l’Etat, que

veulent-ils attaquer en réalité si ce n’est le système de sécurité sociale financé (partiellement) par la fiscalité, l’extension trop grande à leurs yeux des systèmes publics d’éducation et de santé, les

législations qui protègent tant bien que mal le travailleur contre le licenciement abusif...

8 Ibid., p.16. 9 SMITH, Adam. 1776. p. 674 de l’édition en anglais “An Inquiry into the Nature and the Causes of the Wealth of Nations”, Edition fac-similé, The University of Chicago Press, 1976.

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Ce que les néo-libéraux prennent pour cible, ce sont d’abord les parcelles de démocratie et de solidarité collective qui existent dans l’Etat ou dont l’existence est garantie par l’Etat. Et d’où

proviennent ces parcelles de démocratie et de solidarité collective, sinon d’un mélange de conquêtes sociales arrachées au prix fort par les opprimés et de concessions faites par les possédants pour

maintenir la paix sociale. Ces parcelles-là, il nous faut les protéger et les développer.

La BM s’attaque à d’autres prérogatives de l’Etat : elle voudrait que soient supprimées là où elles subsistent encore les législations visant à protéger le marché intérieur des pays du Sud ; elle voudrait

supprimer le contrôle qu’exercent encore des Etats du Sud sur leurs industries stratégiques, sur leurs

ressources naturelles. Pour la BM, tout cela devrait être supprimé pour permettre la circulation totalement libre des capitaux, ce qui ne peut que renforcer la suprématie des transnationales et des

économies des pays du Nord. Il faut à ce niveau là aussi éviter l’écueil d’abonder dans le sens de la BM. Il y a en effet un risque de

succomber au discours de la BM en imaginant que l’abandon par l’Etat du contrôle sur des entreprises

pourrait diminuer la corruption, augmenter l’efficacité des entreprises, réduire le poids de la bureaucratie corrompue occupant l’Etat. Ce serait tomber de Charybde en Scylla : la corruption et

l’inefficacité de la gestion capitaliste privée ne sont plus à prouver.

Il faudrait plutôt exercer un contrôle strict sur la gestion des pouvoirs publics. Cela implique une dynamisation des mouvements sociaux ainsi que des réformes politiques et juridiques profondes.

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Chapitre 19

Le FMI, la Banque mondiale et l’OMC : dette extérieure, règles commerciales et plans d’ajustement structurel

Dans ce chapitre vont apparaître les liens étroits tissés consciemment et mutuellement entre les institutions de Bretton Woods et l’OMC. Les mesures prises au niveau commercial augmentent l’ouverture des marchés des PED aux marchandises, aux services et aux flux de capitaux des pays les plus industrialisés. Simultanément se poursuit la spirale d’endettement. Le nouveau montage réglementaire, résultat des accords du GATT dans le cadre de l’Uruguay Round et des premières années d’activité de l’OMC, ainsi que la multiplication des Accords bilatéraux sur l’investissement, tissent un ensemble serré de contraintes sur les économies des PED qui les éloigne de l’exercice de la souveraineté, qui rend difficile le développement de synergies Sud/Sud et l’accès à un développement harmonieux. Tout cela malgré le discours inverse qui veut faire croire que l’arrimage des PED au commerce mondial va doper leur croissance et leur faire rattraper le soi-disant « retard » de développement. Les politiques d’ajustement structurel poursuivies depuis les années 1970 par le FMI et la BM comportaient de manière systématique une dimension commerciale et préfiguraient ainsi la collaboration qui s’est installée entre ces organisations et l’OMC à partir de 1995.

19.1. L’Organisation mondiale du commerce 19.1.1. L’OMC, de l’Accord de Marrakech (1994) à Doha (2001) et à Cancun ( 2003)

L’article II de l’Accord de Marrakech de 19941 détermine son champ d’application. Ainsi, suivant le paragraphe 1, « …l'OMC servira de cadre institutionnel commun pour la conduite des relations commerciales entre ses Membres en ce qui concerne les questions liées aux accords et instruments juridiques connexes repris dans les Annexes du présent accord ». Le paragraphe 2 du même article ajoute que les accords et instruments juridiques connexes repris dans les Annexes 1, 2 et 3 (dénommés

Accords commerciaux multilatéraux) font partie intégrante de l’accord sur l’OMC et sont contraignants pour tous les membres.

Les accords dits multilatéraux englobent parmi d’autres : 1. le GATT 1994

2. l’accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce (MIC)

3. l’accord sur l’agriculture 4. l’accord sur les textiles et vêtements2

5. l’accord général sur le commerce des services (AGCS)3 6. les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)4.

En ce qui concerne les fonctions de l’organisation, selon l’article III, 2 de l’Accord sur l’OMC, elle sera l'enceinte qui permettra les négociations entre ses membres au sujet de leurs relations

commerciales multilatérales, telles que définies dans les Annexes de l’Accord de création. Sa fonction

1 La création de l'OMC, entérinée par les accords de Marrakech en 1994, constitue une nouveauté par rapport à la BM, au FMI, à l’OMS qui sont toutes des organisations reliées au système des Nations unies. L’OMC est totalement indépendante de l’ONU. 2 Les quatre premiers accords précités appartiennent à l’Annexe 1 A. 3 Annexe 1 B. 4 Annexe 1 C.

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principale est en conséquence de constituer le cadre institutionnel qui détermine les relations commerciales entre ses membres, cadre juridique caractérisé par sa nature contraignante.

19.1.2. La philosophie de l’OMC Dans le Préambule de l’Accord, il est dit que les membres reconnaissent que leurs rapports dans le

domaine commercial et économique devraient être orientés vers « … le relèvement des niveaux de vie, la réalisation du plein emploi et d'un niveau élevé et toujours croissant du revenu réel et de la demande effective, et l'accroissement de la production et du commerce de marchandises et de services ».

Le but essentiel de l’OMC est de « … poursuivre le processus de réforme et de libéralisation des politiques commerciales… » tout en rejetant le recours au protectionnisme5. Libéralisation des investissements6, privatisation des services publics7, régulation juridique et protection légale des droits

de propriété intellectuelle8, enfin, libéralisation intégrale du commerce mondial, constituent les piliers

du fonctionnement de cette organisation. Il est important de remarquer que tout le système de l’OMC repose entièrement sur l’action du secteur privé : tandis que les pouvoirs publics doivent garantir par le

biais d’une réglementation interne la libre circulation des biens, des capitaux et des services, des

marchandises et la protection unidirectionnelle des droits du secteur privé, celui-ci n’est visé par aucune obligation.

Comme l’a bien souligné un Ministre auprès de l’OMC « …il existe encore un fort travers idéologique qui consiste à privilégier le marché par rapport à l'action de l'État. Or, l'évidence montre le contraire: le processus rapide de libéralisation des 20 dernières années s'est accompagné d'un creusement des inégalités entre les pays. Devant ces faits irréfutables, il apparaît nécessaire de réintroduire le thème de l'intervention adéquate de l'État et de réaffirmer le rôle des politiques publiques, sans lesquelles il ne serait pas possible d'atteindre l'objectif d'un développement équitable, démocratique et écologiquement durable »9 (c'est moi qui souligne).

Bien qu’en principe l’Accord sur l’OMC soit une convention interétatique classique, dans la réalité du processus de mondialisation, de libéralisation et de privatisations, les principaux acteurs et institutions

sont les sociétés transnationales et les institutions multilatérales, comme la Banque mondiale (BM) et

le Fonds monétaire international (FMI) ainsi que l’OMC. Tout le processus repose sur des axiomes fondamentaux qui visent essentiellement la réduction du rôle de l’État, la privatisation des entreprises

publiques et la déréglementation ou libéralisation de l’économie10.

5 Déclaration de Doha, 14 novembre 2001, § 1. 6Article 1 de l’accord. 7Article 1 de l’AGCS. En ce qui concerne la portée de la privatisation, qui apparaît sous le nom de libéralisation, selon les Lignes directrices et procédures pour les négociations sur le commerce des services, adoptées le 28 mars 2001 par le Conseil du commerce des services, il est dit ce qui suit : « 1. Aucun secteur de service ni mode de fourniture ne sera exclu a priori ». S/L/93 - 29 mars 2001. 8 Article 1 de l’ADPIC. 9 Conférence Ministérielle, Cinquième session, Cancún, 10 - 14 septembre 2003, Déclaration de Ramón Rosales Linares, Ministre de la production et du commerce WT/MIN(03)/ST/48, 11 septembre 2003, (03-4795), Venezuela, § 4. 10 ONU- CDH, La mondialisation et ses effets sur la pleine jouissance des droits de l’homme, Rapport final présenté par J. Oloka-Onyango et Deepika Udagama, conformément à la décision 2000/105* de la Sous-Commission, E/CN.4/Sub.2/2003/14, 25 juin 2003, § 4.

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212

19.1.3. La déréglementation réglementée

L’utilisation des termes « libéralisation » et « déréglementation » du commerce correspondent à une déformation ou débouche sur une déformation de la réalité. L’OMC, suivie en cela par le FMI et la

BM, définit une série de nouvelles règles : les réglementations nationales qui ont été adoptées par des pouvoirs souverains sont progressivement annihilées au profit de règles supranationales qui

s’imposent, la plupart du temps sans débat suffisant, à tous les membres de l’OMC. « Le marché est donc toujours régulé. C’est ainsi que l’OMC ne dérégule pas, comme on le dit fréquemment. Elle supprime les régulations existantes pour aussitôt en imposer d’autres – règles de concurrence, de libre-échange – plus favorables aux intérêts des puissants et entend les faire respecter au détriment de ceux qui sont en position de faiblesse »11.

19.1.4. Les Accords de l’OMC et la protection des Droits de l’homme

Cet accord multilatéral consacre une avancée de la primauté du droit privé (Droits de propriété intellectuelle) sur les autres droits, y compris le Droit fondamental à la santé inclus dans la Charte des

Droits de l’Homme. L’exemple de la politique mise en place par certains pouvoirs publics en Afrique

afin de combattre la pandémie du SIDA est très illustratif. A cet égard, la Déclaration sur l’accord concernant les ADPIC et la santé publique du 14 novembre 2001 et la reconnaissance en général du

droit des pays-membres à établir leurs propres politiques de santé publique n’a rien changé au contenu

et à la portée de l’ADPIC. En effet, la grande majorité des pays touchés par des crises sanitaires (SIDA, tuberculose, paludisme et autres épidémies, qui représentent des situations d’urgence

permanentes) doivent se tourner vers des producteurs étrangers (essentiellement transnationales pharmaceutiques) faute de pouvoir les fabriquer eux-mêmes par manque des ressources financières.

Face à la revendication des PED, les Etats-Unis et d’autres pays développés, afin de protéger leurs industries pharmaceutiques, essentiellement dans les mains des transnationales, se sont opposés à toute

modification du fond, du contenu et de la portée des ADPIC, même quand la santé publique était en jeu. Ces Etats ont ainsi bloqué toute possibilité d’accord sur la question de l’importation des

médicaments génériques12. En réalité, l’ADPIC offre aux firmes transnationales un cadre de protection

quasi-exclusif, aux dépens des droits élémentaires des populations et du bien public en général.

Remarquons qu’en plus du domaine des médicaments, l’ADPIC couvre le brevetage du vivant,

l’appropriation des ressources de la biodiversité, de l’alimentation, de l’agriculture, des semences et des intrants agricoles, etc. Les droits humains et l’obligation de les respecter, tant de la part des

individus que de la part d’un groupe d’individus (les personnes morales étant incluses) sont ignorés délibérément par cet accord. Comme le déclare un rapport de la Fédération internationale de défense

des droits humains : « …On assiste donc à une inversion totale des valeurs. Jusqu’à présent, ce n’est

11 ATTAC. 2004. HARRIBEY, Jean-Marie, sous la coordination de, Le développement a-t-il un avenir? Pour une société solidaire et économe, Fayard, Paris. 12 L’échéance de deux ans pour arriver à un accord (§ 6), essentiel pour les pays du Sud, fixée par la ladite Déclaration, n’a pas été respectée. L’accord sur la question n’a été signé que le 30 août 2003 par 146 Etats membres après huit mois de blocage permanent de la part des pays développés, en particulier (Mise en œuvre du paragraphe 6 de la Déclaration de Doha sur l’accord sur les ADPIC et la santé publique, OMC- WT/L540 1er. Septembre 2003). Cet accord devrait autoriser l'importation de médicaments génériques par les pays pauvres, démunis d'industrie pharmaceutique ou avec des ressources financières très limitées. Cependant, la procédure est tellement complexe et difficile à mettre en oeuvre qu’il est permis légitimement de douter de son application effective.

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pas le commerce qui a dû s’adapter aux droits fondamentaux de la personne, mais l’inverse… les droits de l'Homme sont toujours considérés comme autant d'entraves à la libéralisation des échanges»13.

19.2. Dette et commerce : les liens étroits entre la BM, le FMI et l’OMC 19.2.1. Le rôle convergent de chaque institution En 1994, les Ministres, suivant la Déclaration sur la contribution de l’Organisation mondiale du commerce à une plus grande cohérence dans l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial ont reconnu ce qui suit :

« 2.Une coopération réussie dans un domaine de la politique économique contribue aux progrès dans les autres. Une plus grande stabilité des taux de change, grâce à davantage d'ordre dans les conditions économiques et financières fondamentales, devrait contribuer à l'expansion du commerce, à la croissance et au développement durables et à la correction des déséquilibres extérieurs. Il faut également assurer en temps utile un flux adéquat de ressources financières et de ressources destinées à l'investissement réel à des conditions libérales et autres et redoubler d'efforts en vue de régler les problèmes d'endettement pour aider à garantir la croissance et le développement économiques. La libéralisation du commerce est un élément de plus en plus important pour le succès des programmes d'ajustement que nombre de pays entreprennent et qui supposent souvent, pendant la transition, des coûts sociaux importants. A cet égard, les Ministres prennent note du rôle de la Banque mondiale et du FMI dans l'aide à l'ajustement et à la libéralisation du commerce, y compris l'aide aux pays en développement importateurs nets de produits alimentaires qui doivent supporter des dépenses à court terme à cause des réformes du commerce des produits agricoles » (c’est moi qui souligne). C’est dans le contexte général du processus d’ouverture commerciale que la problématique de la dette externe des PED est prise en compte en rapport avec les règles de l’OMC. En effet, selon l’OMC,

l’existence d’une réglementation très stricte ou des restrictions au commerce mondial peut avoir des

effets négatifs pour les PED endettés. Cet aspect touche particulièrement au fait qu’un système commercial international restrictif empêcherait les pays endettés de payer le service de leurs dettes à la

suite du manque de ressources en provenance des exportations14. Le point d’équilibre passe donc par la

libéralisation du commerce et l’ouverture des marchés: la libéralisation et la levée des restrictions commerciales produiraient des impacts positifs « … sur la dette externe et le service de la dette… »15.

C’est ainsi qu’en libéralisant de façon appropriée leurs propres régimes de commerce, selon l’OMC, les différents pays endettés sont censés améliorer leur capacité d'assurer le service de la dette.

Cet avis est contesté par les experts de la CNUCED (voir ci-dessous) qui font notamment remarquer que si les PED baissent unilatéralement leur protection douanière comme le recommande l’OMC, la

BM et le FMI, ils perdent un moyen de pression sur les pays les plus industrialisés pour avoir accès à leur marché. Dans un document présenté auprès du Groupe du commerce de la dette et finances, la

13 FIDH, Commerce et droits de l’homme, 16/04/2001. Voir également ONU- CDH, La mondialisation et ses effets sur la pleine jouissance des droits de l'homme, Résolution de la Commission des droits de l'homme, 2003/23, 55e séance, 22 avril 2003. Adoptée par 38 voix contre 15. 14 WTO - The Relationship Between Trade and Debt. Working Group on Trade, Debt and Finance, Note by Secretariat, 12 september 2002, (02-4824), § 4. 15 Idem, § 9.

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CNUCED, dans une vision plus nuancée sur la libéralisation du commerce, constate ce qui suit : «… Bien que les avantages du libre-échange soient généralement reconnus, la division internationale du travail est grandement influencée par des politiques commerciales qui favorisent les produits et les marchés pour lesquels les pays avancés ont un avantage concurrentiel et une position dominante. Dans les secteurs de l'agriculture et de la pêche, les droits de douane élevés, la progressivité des droits de douane et les subventions sont appliquées sans retenue aux produits qui offrent le potentiel le plus important de diversification des exportations pour les pays en développement. Le panorama du protectionnisme n'est pas plus engageant pour les produits industriels, notamment dans les secteurs de la chaussure, du vêtement et du textile, où beaucoup de pays en développement ont un avantage concurrentiel. L'abus des procédures anti-dumping et des normes de produits à l'encontre des pays en développement qui réussissent sur les marchés d'exportation créent de nouveaux obstacles…Il y a une incohérence entre les conseils donnés par les institutions multilatérales, qui incitent les pays à libéraliser les importations et à adopter des stratégies de croissance axées sur les exportations - conseils qui transparaissent souvent dans les conditions attachées aux prêts de ces institutions dans le cadre des programmes d'ajustement structurel - et le protectionnisme persistant de certains pays industrialisés à l'encontre des produits agricoles dynamiques et des produits à fort coefficient de main d’œuvre. En outre, avec la promotion de la libération unilatérale des échanges au-delà de ce qu'impliquent les engagements pris dans le cadre de l'OMC, les pays en développement sont privés des moyens qui leur permettraient d'obtenir des concessions en matière d'accès aux marchés dans le cadre des futures négociations commerciales »16 (c’est moi qui souligne).

Il est généralement présumé que l'expansion du commerce international dans le cadre de l’OMC dépend du bon fonctionnement du système financier international sous plusieurs rapports dont les plus

importants sont les liens entre le commerce et les taux de change, les flux financiers et l'ajustement de

la balance des paiements17. Et puisque la libéralisation du commerce, la dette externe, le flux des capitaux, la garantie des investissements, la privatisation des services sont interdépendants, l’OMC

vise à agir en accord avec les institutions de Bretton Woods en faveur d'une plus grande cohérence dans l'élaboration des politiques économiques au niveau mondial18.

Le lien établi entre le commerce international libéral et la dette externe des PED, de même que la coordination des politiques entre les institutions financières et commerciales, n’est pas un fait

nouveau. En effet, avant la création de l’OMC, il existait déjà une coordination des politiques

informelle et non structurée entre le GATT, le FMI et la Banque mondiale. Néanmoins, ce lien s’est considérablement renforcé depuis la création de l’OMC sous le couvert de “cohérence des politiques commerciales et économiques au niveau mondial” qui se traduira par une coopération et une coordination institutionnelles, notamment par le biais conventionnel.

Dans le contexte de la mondialisation, le FMI et la BM vont se charger d’exercer leurs compétences dans le domaine de la libéralisation des investissements et autres, tandis que l’OMC agira dans son

16 OMC- Groupe de travail du commerce, Les effets de l’instabilité financière et de la volatilité sur les échanges, les finances et le développement, Communication de la CNUCED, WT/WGTDF/W/5, 26 juin 2002, (02-3544), § 19. 17 OMC- Groupe de travail du commerce, de la dette et des finances, Amélioration de l’accès au financement du commerce, WT/WGTDF/W/23, 25 mars 2004, (04-1374), Note du Secrétariat, § 12. 18 Déclaration de Doha, § 5.

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champ privilégié : la libéralisation du commerce de services19 qui d’ailleurs, « ...représentent un intérêt particulier pour le FMI et la Banque Mondiale... »20. Le renforcement de la coopération et de la

coordination dans l’élaboration des politiques économiques devrait en conséquence être renforcée entre les trois institutions dans les domaines suivantes : calendrier et échelonnement de la réforme et

de la libéralisation du commerce ; libéralisation des services financiers21.

En effet, dans la logique d’une libéralisation poussée, le FMI soutient que la libéralisation financière

doit aller de pair avec la libéralisation du commerce international22. Donc, l’intégration commerciale et

l'intégration financière sont toutes deux nécessaires dans le processus de mondialisation. L’OMC, en tant qu’institution commerciale, encourage de son côté les PED « …à poursuivre les processus d'ouverture et de libéralisation engagés pour assurer leur croissance économique… (procédant) ...rapidement à une libéralisation plus poussée de leurs régimes de commerce extérieur, corrigent les faiblesses structurelles de leurs économies ainsi que les distorsions de leurs marchés et consolident leurs réformes conformément aux règles de l'OMC »23, libéralisation dont l’un des objectifs est de rassurer les investisseurs24.

La coordination actuelle dans le domaine des politiques économiques entre les trois institutions multilatérales repose essentiellement sur le fait qu’elles poursuivent la même finalité : l’expansion du

système libéral25 au niveau planétaire, dans lequel le secteur privé constituerait le moteur. En effet, comme l’a bien souligné le Président du Conseil général de l’OMC, dans le contexte de libéralisation

mondiale de même que dans les politiques des institutions internationales compétentes, “...le secteur privé joue(ra) un rôle prédominant dans ce processus”26. Il s’agit en fait non seulement de la libéralisation du commerce, mais encore d’une “…libéralisation intégrale du commerce mondial...”.

Deux mots d’ordre pour les PED dans ce processus de libéralisation intégrale : exporter et garantir des

“...rendements préférentiels aux investissements dans un cadre caractérisé par une très grande

19 OMC- Fonds Monétaire International, Banque Mondiale et Organisation Mondiale du commerce, Rapport du directeur général du FMI, du Président de la Banque Mondiale et du directeur général de l’OMC sur la cohérence, WT/GC/13, 19 octobre 1998,p.14. 20 Idem. 21 OMC- Cohérence dans l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial. Coopération de l’OMC avec le FMI et la Banque Mondiale, Rapport du directeur général, 10 octobre 2001, § 12. 22 OMC - Communication du FMI, Perspectives de l’économie mondiale, WT/WGTDF/W/13, 30 septembre 2002, § 12. 23 OMC - Cohérence dans l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial. Coopération de l’OMC avec le FMI et la Banque Mondiale, Rapport (1999) du Directeur général, WT/TF/COH/S/3 21 octobre 1999, (99-4573), Add. I 59éme réunion du Comité du développement ( Comité ministériel conjoint des Conseils des gouverneurs de la Banque Mondiale et du FMI), Déclaration de M. Renato Ruggiero, Coordination des politiques dans l’économie mondiale. Rapports entre le commerce, la finance et le développement et nouvelles négociations de l’OMC, p. 7. Add. II , 60éme réunion du Comité du développement (Comité ministériel conjoint des Conseils des gouverneurs de la Banque Mondiale et du FMI), 27 septembre 1999, Déclaration de Mike Moore, p.12-13. 24 OMC- Cohérence dans l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial. Coopération de l’OMC avec le FMI et la Banque Mondiale, Rapport (1999) du Directeur général, WT/TF/COH/S/3 21 octobre 1999, (99-4573, Add. II 60éme réunion du Comité du développement (Comité ministériel conjoint des Conseils des gouverneurs de la Banque Mondiale et du FMI), 27 septembre 1999, Déclaration de Mike Moore, p.12-13. 25 OMC- Fonds Monétaire International, Banque Mondiale et Organisation Mondiale du Commerce, Rapport du directeur général du FMI, du Président de la Banque Mondiale et du Directeur général de l’OMC sur la cohérence, WT/GC/13, 19 octobre 1998, § 3. 26 OMC- C-TN, Consejo general, Reunión sobre la coherencia en la formulación de la política económica a escala mundial y la cooperación entre la OMC, el FMI y el BM, 13 de mayo 2003, p. 4 (c’est moi qui traduis).

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réduction des restrictions et distorsions commerciales...”27. C’est-à-dire, la levée de toutes les restrictions sur le mouvement des capitaux et sur les investissements privés, ces points étant d’ailleurs

inclus dans les politiques d’ajustement structurel menées par le FMI et la BM.

Notons que les questions commerciales (libéralisation du commerce, des investissements, privatisation

de services publics, etc.) sont explicitement intégrées dans le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) mené par le FMI en coordination avec la BM. En ce sens, « …le FMI, la Banque Mondiale et l’OMC… tous trois appuient la libéralisation du commerce et des changes »28, «tous les trois ayant des objectifs communs et complémentaires »29.

19.2.2. Coopération entre les trois institutions dans le processus de libéralisation intégrale du commerce La jonction entre libéralisation du commerce et dette externe est aussi clairement reflétée par l’Accord

de Marrakech de 1994 mettant en place un nouveau cadre commercial multilatéral. Suivant l’article III, 5, de l’Accord sur l’OMC, « En vue de rendre plus cohérente l'élaboration des politiques économiques au niveau mondial, l'OMC coopérera, selon qu'il sera approprié, avec le Fonds monétaire international et avec la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et ses institutions affiliées ».

Afin de matérialiser cette disposition, le FMI et l’OMC ont signé un Accord de coopération le 9 décembre 1996 visant, dans le contexte du cadre libéral économique et financier, à atteindre la

cohérence dans la formulation de la politique économique au niveau mondial. De la même manière, le 28 avril 1997, a été signé l’Accord de coopération avec la Banque mondiale entre Renato Ruggiero,

Directeur Général de l’OMC, et James Wolfensohn, Président de la Banque mondiale à son siège de

Washington30.

19.2.3. Contenu et portée des accords de coopération Tout d’abord, il faut constater que les accords de coopération couvrent plusieurs domaines, allant de l’assistance technique jusqu’à l’échange confidentiel des données sur les Etats membres. En vertu de

ces accords, le FMI et la Banque mondiale assistent aux réunions de la plupart des organes de l'OMC.

Les services des trois organisations collaborent à des travaux de recherche et d'analyse dans des domaines où les questions commerciales, financières et de développement se recoupent. Les services

du FMI et de la Banque mondiale prêtent leurs services à l’OMC, en plus de participer activement

dans les travaux du Groupe de travail du commerce, de la dette et des finances.

Toujours suivant les accords de coopération, le Secrétariat de l'OMC donne aux services du FMI et de la Banque mondiale accès, à titre confidentiel, à la base de données intégrée de l'OMC et aux listes

finales d'engagements des membres de l'OMC. Le FMI et la Banque mondiale ont accès en ligne aux

27 Idem. 28 OMC- Fonds Monétaire International, Banque Mondiale et Organisation Mondiale du commerce, Rapport du directeur général du FMI, du Président de la Banque Mondiale et du directeur général de l’OMC sur la cohérence, WT/GC/13, 19 octobre 1998, p.3. 29 Ibid. § 4. 30 Approuvés par le Conseil général à sa réunion des 7, 8 et 15 novembre 1996, OMC- Accords entre l’OMC et le FMI et la Banque Mondiale, WT/L/194 ( 96-4878) 18 novembre 1996.

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deux bases de données. Sous réserve de la même obligation de confidentialité, le Fonds met à la disposition du Secrétariat de l'OMC les fichiers des publications ci-après : Statistiques financières

internationales, Balance of Payments Statistics (statistiques de balance des paiements), Government Financial Statistics (statistiques de finances publiques) et Direction of Trade Statistics (statistiques

commerciales). Les services du Fonds mettent également à la disposition du Secrétariat de l'OMC des

données historiques et des projections globales qui figurent dans les "Perspectives de l'économie mondiale". Les demandes additionnelles spécifiques concernant ces bases de données, ainsi que les

demandes de projections de données concernant des pays déterminés, sont examinées favorablement.

La Banque mondiale donne au Secrétariat de l'OMC accès à sa Economic and Social Database, ainsi qu'à l'Annexe statistique accompagnant la publication sur les perspectives économiques mondiales et

les pays en développement. En ce qui concerne les questions relatives à l'accès aux marchés, le Secrétariat de l'OMC a utilisé le logiciel de la Banque mondiale pour analyser des données tarifaires et

commerciales.

Conformément à l'accord de coopération entre l'OMC et le FMI, le FMI communique à l'OMC, pour

usage par le Secrétariat à titre confidentiel, des exemplaires des rapports et documents d'information

connexes établis par ses services sur les consultations au titre de l'article IV de l’accord et sur l'utilisation des ressources du Fonds, concernant les membres communs et les membres du Fonds qui

souhaitent accéder à l'OMC. Ces documents donnent des détails sur les conseils et la conditionnalité du FMI en matière de politique commerciale, qui sont utilisés par le Secrétariat de l'OMC à titre de

référence, notamment pour les rapports établis dans le cadre du Mécanisme d'examen des politiques

commerciales.

Mais il est également question de coopération technique. La Banque mondiale consacre un volume

important de ses prêts aux programmes nationaux liés au commerce, en particulier par l'intermédiaire du processus DSRP (Document stratégique de réduction de la pauvreté). Il s’agit de fonds destinés à la

libéralisation du commerce dans les pays endettés par la biais de la levée et l’élimination des obstacles au commerce international, y compris les questions commerciales liées à l'investissement (Accord sur

les mesures concernant les investissements et liés au commerce) et à la privatisation des services

publics (Accord général sur le commerce des services de l’OMC). Pour la mise en œuvre du DSRP, la Banque mondiale examine les demandes contenues dans le Plan d'assistance technique de l'OMC pour

élaborer ses propres programmes. La Banque mondiale a formé un partenariat avec l'Organisation

mondiale des douanes et l'OMC sur la réforme douanière et la libéralisation du commerce.

Et finalement, le Secrétariat de l'OMC et les services du FMI se consultent, le cas échéant, au sujet des problèmes d'incompatibilité éventuelle entre des mesures examinées avec un membre commun et les

obligations de ce membre au titre de l'Accord sur l'OMC et, dans le cas du Fonds, au titre des Statuts

du Fonds.

Nous pouvons constater qu’effectivement, il y a un lien étroit entre les buts et les politiques menées par le FMI et la Banque mondiale avec le commerce international, notamment par l’imposition des

politiques de libéralisation du commerce mondial. Mais aussi parce que plusieurs domaines

d’intervention desdites institutions sont légalement couverts par le cadre commercial multilatéral : la privatisation des services publics (AGCS), la réduction et l’élimination des entraves réglementaires

vis-à-vis du capital et des investissements privés (Accord sur les mesures concernant les

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investissements et liés au commerce) et la garantie légale des droits de propriété intellectuelle (ADPIC).

Nous pouvons remarquer également que des documents analysés, il se dégage un élément de base qui est le moteur de l’action des trois institutions : il s’agit de la perception – très sujette à discussion -

selon laquelle la libéralisation du commerce et les politiques menées par le FMI et la BM dans un

cadre libéral et déréglementé conduiraient au développement et à une solution de fond du problème de la dette externe.

Un autre élément intéressant à remarquer est le fait que dans le contexte actuel de la mondialisation et dans la formulation des politiques économiques mondiales, aucune mention n’est faite des Nations

unies et du système des Nations unies, enceinte privilégiée de la coopération économique, politique et sociale. En ce sens, il est très suggestif que les trois institutions n’aient pas cherché à conclure des

accords similaires avec la CNUCED, organe compétent pour traiter les questions liées au commerce, à

la dette, aux finances, et d’autres points connexes, comme l’investissement, le flux des capitaux, l’accès aux marchés, etc.

19.3. Le FMI et la Banque mondiale : la libéralisation du commerce et la privatisation en tant que logique des plans d’ajustement structurel De par l’article I, le Fonds monétaire international (FMI) facilite “... ii) …l’expansion et l’accroissement harmonieux du commerce international et contribue ainsi à l’instauration et au maintien de niveaux élevés d'emploi et de revenu réel et au développement des ressources productives de tous les États membres, objectifs premiers de la politique économique ». L’un des buts de la BM,

suivant l’article I de ses statuts est “ promouvoir l’investissement étranger privé par le biais de garantie ou des participations dans les prêts et dans d’autres investissements faits par des investisseurs privés...” Mais la BM a aussi pour but de : “ ...promouvoir l’accroissement équilibré et à long terme du commerce international...”.

En termes de rappel, les réformes structurelles prônées par les deux instituions financières contiennent notamment :

* La dévaluation de la monnaie nationale avec le but d’augmenter la proportion des exportations du

pays soumis à leurs politiques. Il s’agit de la politique du tout à l’exportation. L’exportation des produits en tant que fait commercial est régulée entièrement par les règles du cadre commercial

multilatéral.

* La réduction drastique des subventions aux produits et denrées alimentaires, la réduction du budget des services publics fournis par les pouvoirs publics, la diminution de salaires des fonctionnaires

publics (enseignants, médecins, infirmières, techniciens...), des licenciements massifs dans la fonction publique...

* La privatisation des services publics et des entreprises publiques.

* La réduction et l’élimination des mesures de contrôle sur le capital et sur les investissements étrangers privés.

* La libéralisation du commerce et la réduction et l’élimination des restrictions, ce dernier point tombant sous la compétence du cadre commercial multilatéral.

Selon la CNUCED, le système financier et commercial international est centré essentiellement sur le secteur privé (banques, grandes corporations transnationales…), négligeant le secteur public. Ce

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système privilégie le flux des capitaux privés au détriment des capitaux publics, la flexibilité des taux de changes par rapport à sa stabilité et les intérêts des créanciers par rapport à ceux des débiteurs31.

Ainsi par exemple, la CNUCED a constaté que la Banque mondiale a abandonné sa politique de financement des projets d’infrastructure à long terme et destinés au développement économique et

social des PED pour centrer son activité sur des prêts destinés à la mise en place des programmes

d’ajustement structurel et financements aux cadres de lutte contre la pauvreté32, une nouvelle modalité des programmes d’ajustement structurel33.

Il est à noter également, comme mentionné plus haut, que les politiques recommandées par le FMI et

la BM dans le domaine de la libéralisation des échanges, au-delà de ce qu'impliquent les engagements pris dans le cadre de l'OMC, ont comme effet direct de restreindre considérablement le pouvoir de

négociation des PED, en les privant des moyens qui leur auraient permis d'obtenir des concessions en matière d'accès aux marchés dans le cadre des négociations commerciales multilatérales34.

En conclusion, loin de l’objectif du plein emploi, de la croissance économique et de la solution de fond au problème de la dette externe des PED, l’action de ces institutions, en pleine « crise de

légitimité » selon les termes du PNUD35, tourne de manière presque exclusive autour de la

libéralisation de l’économie, de la privatisation rapide et de la déréglementation36. La dette externe au sein de l’OMC constitue clairement un élément de pression sur les PED pour que ceux-ci, également

par l’action transversale du FMI et de la BM, procèdent à une déréglementation intégrale du commerce et à la privatisation des services publics. Vue ainsi, « …la libéralisation des échanges a pris le pas sur la croissance économique et le plein emploi, donnant une nouvelle vigueur aux philosophies mercantilistes, en particulier dans les pays développés… »37.

31 OMC- Groupe de travail du commerce, de la dette et des finances, Les effets de l’instabilité financière et de la volatilité sur les échanges, les finances et le développement, WT/WGDTF/W/5/Rev. 1, 31 juillet 2002 (02-4229), § 15. 32 Idem. 33 Cons., ONU -CDH, Droits économiques, sociaux et culturels, L’initiative des pays pauvres très endettés (PPTE). Evaluation des cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté (CSLP) dans l’optique des droits de l’homme, Rapport de Fantu Cheru, Effets des politiques d’ajustement structurel et dette extérieure sur la jouissances effective de tous les droits de l’homme, E/CN/:2001/56, 18 janvier 2001, § 21-30. 34 OMC- Groupe de travail du commerce, de la dette et des finances, Les effets de l’instabilité financière et de la volatilité sur les échanges, les finances et le développement, WT/WGTDF/W/5, 26 juin 2002, Ibid. ; § 19. 35 UNDP, Human Development Report : Deepening Democracy in a Fragmented World, New York, Oxford, 2002, p.112-117. 36 Rapport final présenté par J. Oloka-Onyango et Deepika Udagama, Ibid. ; § 28. 37 OMC- Groupe de travail du commerce, de la dette et des finances, Les effets de l’instabilité financière et de la volatilité sur les échanges, les finances et le développement, WT/WGDTF/W/5/Rev. 1, 31 juillet 2002 (02-4229), §15

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220

Chapitre 20

Banque mondiale / FMI : de la crise de la dette à la crise de légitimité 20.1. Rapport Wapenhans (1992) sur la BM En février 1992, Willi Wapenhans, vice-président de la Banque, réalisait un rapport interne

d’évaluation des projets financés par la Banque (près de 1 300 projets en cours dans 113 pays)1. Les

conclusions étaient alarmantes : 37,5% des projets étaient estimés insatisfaisants au terme de leur réalisation (contre 15% en 1981), 22% seulement des engagements financiers étant conformes aux

directives de la Banque.

20.2. 1994-2001 : succession de crises 1994 : deuxième crise mexicaine (faisant suite à celle de 1982) entraînant celle de l’Argentine; 1997 :

crise en Asie du Sud-Est et de l’Est ; 1998 : crise de la Russie ; fin 1998 – début 1999 : crise du

Brésil ; fin 2000 – début 2001 : crise de l‘Argentine et de la Turquie ; fin 2001, nouvelle crise en Argentine… A chaque fois, la BM et le FMI ont été incapables de prévoir que des crises allaient

éclater.

En fait, les politiques recommandées par la BM et le FMI font partie des problèmes qui ont généré

l’éclatement de crises à répétition. Et lorsque celles-ci ont éclaté, la BM et le FMI ont dicté des remèdes qui les ont aggravées. L’effet

boomerang : une crise de légitimité.

20.3. A partir de 1996 : l’initiative pour la réduction des dettes des PPTE La BM et le FMI ont lancé en 1996 un programme d’allégement de la dette des pays les plus pauvres

les plus endettés - PPTE, HIPC en anglais. Ceci concerne 42 pays sur un total de 165 pays de la Périphérie. L’ensemble de leurs dettes représente environ un dixième des dettes des PED. Ce

programme a bénéficié d’un large appui médiatique. Il s’agissait de rendre “soutenable” le paiement

du service de la dette des 42 pays éventuellement concernés. Nulle générosité ne présidait à ce choix opéré par les créanciers. Il s'agissait d'un calcul froid visant à maintenir les flux de remboursement.

C'est dans ce cadre que le G7, le FMI et la BM firent la promesse d'une annulation de 80% de la dette

des PPTE au Sommet du G7 tenu à Lyon (France) en juin 1996. Trois années plus tard, à un autre sommet du G7 à Cologne (Allemagne), ils annonçaient un allégement encore plus important allant

jusqu'à 90% de la dette. Ce dernier chiffre a été lancé sous la pression de la campagne mondiale pour l'annulation de la dette des pays les plus pauvres, connue comme campagne Jubilé 2000.

A l’époque, selon le PNUD, la somme que la BM et le FMI envisageaient de réunir était inférieure au coût d’un seul exemplaire de l’avion bombardier US, appelé furtif. Pour prendre un autre élément de

comparaison, elle équivalait environ au coût de la construction d’Euro-Disney dans la région

1 World Bank. 1992. « Effective Implementation : Key to Development Impact », Portofolio Management Task Force report (« The Wapenhans Report »), Washington, septembre 1992, R92-195

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221

parisienne2. En cinq ans (1996-2000), les fonds réellement placés par le FMI dans le pot commun (fonds fiduciaire, trust fund en anglais) qui sert à financer les allégements de dette ont été inférieurs à

la somme nécessaire pour payer ses 2700 fonctionnaires durant la seule année 2000. Autre élément de comparaison, la somme dépensée par le FMI en cinq ans pour financer l’allégement de la dette des

PPTE représente moins de 2% de la somme qu’il a engagée dans le sauvetage des créanciers des pays

du Sud-Est asiatique, du Brésil, de la Russie et de l’Argentine pendant la même période. Quant à la somme décaissée par la Banque mondiale, elle était inférieure à son bénéfice annuel qui est

de l’ordre de 1 500 millions de dollars. Encore faut-il tenir compte du fait que ce qui est décaissé par la

BM et le FMI leur revient ensuite sous forme de remboursement car ces deux institutions ne renoncent jamais à une créance.

Comme l’indiquait la CNUCED dans un document en 2000, les différentes mesures d’allégement

n’ont apporté aucune solution valable aux problèmes d’endettement et d’austérité drastique auxquels

sont soumis les budgets sociaux des pays endettés. “ Les espoirs que l’on fonde actuellement sur la mise en œuvre de l’initiative renforcée en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) ne sont pas réalistes. L’allégement de la dette envisagé ne suffira pas à rendre celle-ci supportable à moyen terme (…) ; par ailleurs, l’ampleur de l’allégement de la dette et la manière dont il interviendra n’auront pas d’effets directs majeurs sur la réduction de la pauvreté ”3.

L’OCDE, qui en général partage la position de la BM et du FMI, mettait pourtant également en garde contre une interprétation optimiste de la portée de l’initiative PPTE tant à court qu’à moyen terme:

“ La mise en œuvre intégrale de l’initiative ne se traduira pas par une diminution de la valeur (…) de la dette, car les allégements prendront pour l’essentiel la forme de remises d’intérêts et de dons destinés à financer le service de la dette, et non de réductions directes de l’encours de cette dette ”4.

Le GAO (General Accounting Office) a rendu publique, en avril 2004, une étude sur la faisabilité de l’initiative PPTE5. Le verdict est très clair : il manquerait 375 milliards de dollars afin d’atteindre les

objectifs projetés pour l’année 2020. Les auteurs du rapport du GAO montrent le caractère fantaisiste des projections de la BM et du FMI concernant les revenus d’exportations des PPTE. Ils considèrent

que les IFI ont adopté des taux de croissance par pays tout à fait irréalistes. Le manque à gagner selon

eux en termes de revenus d’exportation s’élèverait à 214,5 milliards de dollars d’ici à 2020.

Au-delà du caractère très limité de l’effort consenti par les créanciers, deux critiques fondamentales

sont à adresser à cette initiative. Primo, elle oblige les pays bénéficiaires à renoncer à exercer une politique économique et sociale souveraine. L’initiative PPTE implique en effet l’application de doses

supplémentaires de politique néolibérale (voir plus bas). Secundo, l’initiative PPTE renforce le pouvoir de la Banque mondiale et du FMI sur les pays concernés6.

2 PNUD. 1997. Rapport mondial sur le développement humain, p.103. 3 CNUCED. 2000b. Les Pays les moins avancés. Rapport 2000. Aperçu général. 4 OCDE. Statistiques de la dette extérieure, 1998-1999. 5 GAO. 2004. Developing Countries : Challenges in Financing Poor Countries’ Economic Growth and Debt Relief Targets. Washington, GAO-04-688T, 17 p. 6 Pour une analyse détaillée de l’initiative PPTE, voir Damien Millet et Eric Toussaint, 50 Questions / 50 Réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, CADTM/Syllepse, 2002, en particulier les questions 25 à 27.

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222

20.4. Tentative de reprendre l’offensive avec la stratégie de réduction de la pauvreté

Pour tenter de contrecarrer les effets de leur crise de légitimité tout en maintenant le cap sur l’approfondissement des mesures néolibérales, les institutions de Bretton Woods ont pris à partir de

septembre 1999 une nouvelle initiative qu’elles appellent la Stratégie de réduction de la pauvreté. Elles

demandent aux gouvernements des PPTE qui veulent obtenir un allégement de leurs dettes d’élaborer un Document stratégique de réduction de la pauvreté (DSRP) à soumettre à (une partie de) la société

civile de leur pays. Officiellement, il s’agit de donner un visage humain à l’ajustement structurel en augmentant les dépenses de santé et d’éducation en ce qui concerne les couches populaires et en

réalisant des politiques ciblées vers les plus pauvres. Mais le document ne peut en aucun cas déroger à

la poursuite de l’ajustement structurel : accélération des privatisations des services (eau, électricité, télécommunications, transports publics) ; privatisation ou fermeture des entreprises industrielles

publiques quand elles existent ; suppression des subsides aux produits de base (pain ou autre aliment

de base…) ; augmentation des impôts payés par les pauvres par la généralisation de la TVA (à un taux unique de 18%, comme c’est le cas au sein de l’Union économique et monétaire de l’ouest

africain) ; abandon des protections douanières (ce qui livre les producteurs locaux à la concurrence des transnationales) ; libéralisation des entrées et des sorties de capitaux (ce qui se traduit généralement

par une sortie massive des capitaux) ; privatisation des terres ; politique de recouvrement des frais

dans la santé et l’éducation. L’acceptation de ces politiques par les PPTE constitue une condition sine qua non posée par le FMI, la

Banque mondiale et le Club de Paris en échange de futurs allégements de remboursement et de

nouveaux crédits d’ajustement. Par ailleurs, le FMI destine à environ 90 pays des prêts d’ajustement structurels rebaptisés, depuis 1999, Facilités pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC).

Cette politique (PPTE et FRPC), pas plus que celles qui l’ont précédée, ne réussira à réduire réellement la pauvreté. Les pyromanes que sont les institutions de Bretton Woods allument de

nouveaux incendies sociaux et attendent ensuite des ONG et des communautés locales qu’elles jouent

le rôle de pompier.

La Banque mondiale est particulièrement offensive à l’égard des ONG et de certaines autorités locales.

Elle a mis au point une stratégie d’intégration/récupération via ce qu’elle appelle les “ soft loans ” (les prêts doux) destinés à favoriser le micro-crédit (soutien en particulier aux ONG féminines), à soutenir

des structures d’enseignement et de santé organisées à un niveau local, à gérer au mieux les envois des migrants. La BM a créé un guichet de prêts et de dons pour soutenir les ONG. La BM cible des

administrations locales avec des prêts notamment pour des projets d’assainissement des eaux usées. La

saine gestion des affaires publiques est devenue un de ses thèmes centraux au point qu’elle n’a pas hésité à citer en exemple en 2001 la bonne gestion de la ville de Porto Alegre pour son système de

budget participatif.

Cette stratégie offensive de la BM pour courtiser la société civile et récupérer un espace de légitimité produit des résultats non négligeables. Une partie des ONG et des autorités locales est engagée dans

un processus de collaboration avec la BM.

20.5. Crise de légitimité sans précédent

Depuis 1997-1998, la BM et le FMI traversent la plus grande crise de légitimité de leur histoire.

D’innombrables manifestations d’opposition à leur égard se sont déroulées tant dans les pays soumis à leur politique que dans les pays les plus industrialisés. A partir de 1999, chacune de leurs rencontres

Page 238: Thèse EricT VersionDéf 11juin

223

annuelles (l’une en avril, l’autre en septembre) a fait l’objet de contre-manifestations puissantes et radicales. Les deux institutions connaissent aussi une crise interne : démission fin 1999 de Joseph

Stiglitz, économiste en chef et vice-président de la Banque mondiale, et de Ravi Kanbur, directeur du Rapport annuel de la Banque mondiale sur le développement dans le monde. Joseph Stiglitz et Ravi

Kanbur étaient des éléments réformateurs au sein de la BM. Enfin, aux Etats-Unis, les deux

institutions ont été soumises à une critique très dure de la part de la majorité des congressistes républicains et d’une partie des démocrates. En 2000, les travaux de la commission du Congrès des

Etats-Unis dirigée par le républicain Meltzer7 et à laquelle a participé Jeffrey Sachs pour le compte des

démocrates ont révélé que, loin de donner la priorité aux pays les plus pauvres, elles consacraient 80% de leurs opérations aux pays de la Périphérie ayant déjà accès aux marchés financiers.

20.6. Débats au sein du pouvoir aux Etats-Unis sur l’avenir de la BM

La multiplication des crises est telle depuis 1994-1995, et la capacité du FMI et celle de la BM d’y faire face a été si largement mise en doute qu’un débat parfois très âpre se déroule aux Etats-Unis

autour du rôle futur des institutions de Brettons Woods. Différentes commissions de haut niveau ont travaillé sur le sujet : en 1994, la commission Bretton Woods présidée par Paul Volcker (ex-président

de la Réserve fédérale) a envisagé la fusion possible du FMI et de la BM pour conclure finalement que

ce n’était pas opportun. Comme mentionné plus haut, en 1999-2000, une commission du Congrès présidée par Allan Meltzer, républicain, à laquelle les démocrates étaient associés, a fourni un rapport

plaidant pour une redéfinition du rôle de chacune des deux institutions financières internationales. Elle

proposait que la Banque limite son activité aux pays les plus pauvres de la planète, ceux qui n’ont pas accès au marché des capitaux, le Fonds ciblant son activité sur les autres pays de la Périphérie. La

Banque était censée n’apporter son aide que via des dons et renoncer dorénavant à des prêts qui, selon la commission, ne faisaient qu’aggraver la situation d’endettement. La dette des PPTE devait être

réellement annulée. Les conclusions de la commission Meltzer n’ont pas été prises en compte par le

gouvernement. Le débat est loin d’être terminé.

Dans un travail publié en 1998, Anne Krueger, qui a été désignée au poste de numéro deux du FMI en

2001 par l’administration de G. W. Bush, souligne les différences entre les années 1970 et la fin des années 1990. Ce texte est utile pour comprendre certains termes du débat. Elle indique qu’au début des

années 1970, les Etats-Unis ont décidé de donner une grande importance à la BM et au FMI en réduisant leur aide bilatérale et en augmentant leur aide multilatérale8. Depuis lors, poursuit Anne

Krueger, la libéralisation sur le plan mondial a fortement réduit la marge de manœuvre de ces

institutions car les flux de capitaux privés dominent. Par ailleurs, la guerre froide est terminée. Elle note : “ Jusqu’à la fin de la guerre froide, le soutien politique à la réalisation d’une aide au développement via les IFI (BM et FMI) et des agences bilatérales provenait de deux groupes : ceux de droite motivés par des problèmes de sécurité, et ceux de gauche qui soutenaient des objectifs de développement sur une base humanitaire. Avec la fin de la guerre froide, le soutien qui provenait de la droite s’est érodé et les efforts de la Banque pour étendre ses activités vers de nouveaux domaines peut refléter la recherche d’un soutien politique plus large ”9. Elle écrit ce commentaire pour

expliquer l’évolution de la BM : “ Beaucoup des accusations concernant l’inefficacité

7 Rapport de la Commission Meltzer, Washington, mars 2000. Voir www.house.gov/jec/imf/meltzer.htm. 8 KRUEGER, Anne. 1998. « Whither the Bank and the IMF? », Journal of Economic Literature, Vol. XXXVI, décembre 1998, p.1987 et 1999. 9 KRUEGER, Anne. 1998. Idem, p.2010.

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224

organisationnelle de la Banque peuvent trouver leur origine dans ses efforts pour étendre ses activités dans toutes les directions dans tous les pays. On peut effectivement considérer qu’en s’impliquant dans des questions d’environnement, en coopérant avec les ONG, en combattant la corruption et en embrassant d’autres sujets, la Banque est allée bien au-delà de ses compétences essentielles. En faisant cela, elle est allée au delà des capacités de sa direction ”. Elle explique que la Banque veut

continuer à toucher à tout alors qu’il faudrait plutôt faire un choix entre trois options : “ 1) poursuivre son rôle d’institution chargée du développement, en se limitant aux pays réellement pauvres et en se retirant graduellement des pays à moyen revenu ; 2) poursuivre son activité dans tous les pays clients en se concentrant sur les “ softs issues ” du développement telles que les droits des femmes, la préservation de l’environnement, l’encouragement des ONG ; 3) fermer la boutique ”10. Dans l’étude

en question, Krueger n’est pas favorable à la troisième option et elle laisse ouverte la discussion sur les deux premières. Mais elle précise qu’il faudra décider tôt ou tard. Manifestement, la question du

développement n’est pas pour elle la question fondamentale. Au niveau du fonctionnement des

institutions en question, elle est très claire : pas question de modifier leur constitution en instituant le système “ un pays – une voix ” (one-country one-vote). Une fusion entre Banque mondiale et FMI

n‘est pas exclue mais cela ouvrirait un processus dangereux car on devrait alors rediscuter d’une

nouvelle constitution et donc, de “ one-country one-vote ”, ce qu’il faut selon elle éviter11. C’est une affaire qui doit rester aux mains des grandes puissances.

L’année où elle a pris ses nouvelles fonctions de directrice générale adjointe du FMI en 2001, Anne

Krueger a été confrontée à la crise argentine. La rébellion populaire du 19 décembre 2001 a provoqué

la chute du président argentin Fernando De la Rua et de son ministre de l’économie Domingo Cavallo, tous d’excellents élèves du FMI. La suspension de remboursement qui a suivi a accéléré un débat

interne au sein de la direction du FMI sur une proposition lancée par Anne Krueger en novembre

2001 : la mise en place d’un mécanisme de restructuration de la dette souveraine (Sovereign Debt Restructuring Mecanism). En s’inspirant du code des faillites en vigueur aux Etats-Unis (en particulier

le chapitre 11 de celui-ci), il s’agissait de donner un répit au pays endetté confronté à une situation d’insolvabilité. Ce répit aurait été mis à profit par le pays insolvable pour négocier sous la conduite du

FMI un accord avec les créanciers (dont le FMI fait partie). La mise en pratique de la proposition

Krueger impliquait une refonte des statuts du FMI ce qui nécessitait une majorité de 85%. En avril 2003, lors d’une réunion du conseil des gouverneurs du FMI tenue à Washington, la

proposition Krueger a été officiellement abandonnée. Le noyau de la direction du FMI s’est retrouvé

complètement isolé. L’administration G. W. Bush avait fait savoir qu’elle s’opposait à la réforme proposée, désavouant ainsi celle qui était supposée bénéficier de l’appui ferme de Washington. Il faut

dire que les grandes banques des Etats-Unis (et d’ailleurs) avaient exprimé leur opposition à la proposition. Elles voyaient d’un très mauvais œil le renforcement d’un organisme public multilatéral,

fût-il le FMI, pourtant généralement bienveillant à l’égard des grands organismes financiers privés.

Certains pays endettés de la Périphérie avaient également exprimé leur réticence à voir le FMI gagner encore en puissance.

La volte-face de l’administration G. W. Bush qui avait au départ soutenu la proposition d’Anne Krueger a certainement été motivée également par les tensions liées à la guerre contre l’Irak lancée en

mars 2003. En effet, si l’Administration avait voulu faire passer la proposition Krueger, elle aurait dû

entrer en négociation avec un grand nombre d’interlocuteurs au sein du FMI afin de réunir 85% des

10 KRUEGER, Anne. 1998. Ibid., p.2006. 11 KRUEGER, Anne. 1998. Ibid., p.2015.

Page 240: Thèse EricT VersionDéf 11juin

225

voix. Au cours des pourparlers, des gouvernements de la Périphérie auraient pu avancer certaines revendications dérangeantes. Une garantie de voir augmenter le quota de vote de tel ou tel pays par

exemple. Il n’en reste pas moins que l’isolement de la direction du FMI a contribué à prolonger la crise de légitimité des institutions de Bretton Woods.

Un autre événement a conforté cette situation. En juin 2003, la direction de la Banque mondiale et celle du FMI ont dû se prononcer sur une proposition émanant de différents gouvernements africains

soutenus par d’autres. Il s’agissait d’attribuer un ou deux sièges supplémentaires à l’Afrique au sein du

conseil des directeurs exécutifs des deux institutions. Aucune publicité n’a été donnée par le FMI et la Banque au moment de la discussion interne qui a été houleuse. L’Afrique subsaharienne qui ne

dispose que de deux représentants pour plus de quarante Etats membres n’a pas obtenu satisfaction. La crise qui frappe les institutions de Bretton Woods n’est pas près d’être surmontée et on ne voit pas

poindre la possibilité d’une auto-réforme démocratique.

L’avenir de la Banque mondiale et du FMI est une question centrale pour les mouvements sociaux (il

en va de même pour l’avenir d’autres grandes institutions internationales : OMC, CNUCED, ONU…).

Les enjeux sont colossaux. Les débats divisent tant ceux qui sont au pouvoir que les mouvements à la recherche d’alternatives. En ce qui concerne ces derniers, pour trancher, il convient de déterminer

quelles institutions internationales peuvent favoriser la satisfaction des droits humains fondamentaux, l’entente pacifique entre les peuples, la justice sociale globale et la protection de l’environnement.

Page 241: Thèse EricT VersionDéf 11juin

226

Chapitre 21

Les transferts de la Périphérie vers le Centre

Une idée est fortement ancrée dans l’opinion publique : le Nord vient en aide au Sud. François

Mitterrand, pourtant, déclarait à Naples lors de la réunion du G7 en juillet 1994 : “En dépit des sommes considérables affectées aux aides bilatérales et multilatérales, le flux des capitaux qui viennent d’Afrique vers les pays industriels, est plus important que le flux de ceux-ci vers les pays en développement”.

En fait, il y a un transfert massif du surproduit social créé par les salariés et les petits producteurs du Sud vers les classes dominantes des pays industrialisés et des pays du tiers-monde. Ce chapitre

présente d’abord un aperçu général des différentes formes de transfert du Sud vers le Nord - en relevant également les transferts des salariés et des petits producteurs vers les capitalistes du Nord

comme du Sud, puis les pertes de rentrées potentielles de devises enregistrées par le Sud en raison des

politiques protectionnistes du Nord. Enfin, il aborde les envois des migrants vers les PED.

21.1. Formes prises par le transfert de richesses Les transferts de richesse s’opèrent de façon multiple tout en convergeant.

21.1.1. Remboursement de la dette

En 1980, selon la Banque mondiale, les PED totalisaient une dette extérieure d’environ 580 milliards de dollars1. Vingt ans plus tard, à la fin de l’année 2002, celle-ci atteignait environ 2.400 milliards de

dollars : quatre fois plus (voir le détail par régions au tableau 21.1.).

Tableau 21.1. La dette extérieure des PED par régions (en milliards de dollars)

Stock de la dette en 1980 Stock de la dette en 2002 Asie de l’Est et Pacifique 64,6 509,5 Asie du Sud 37,8 166,8 Moyen-Orient et Afrique du Nord 102,5 317,3 Afrique subsaharienne 60,8 204,4 Amérique latine et Caraïbe 257,4 789,4 Ex-bloc soviétique 56,5 396,8

Calculs de Damien Millet et de l’auteur sur la base de Banque mondiale, GDF 2003.

1 BANQUE MONDIALE, GDF 2003.

Page 242: Thèse EricT VersionDéf 11juin

227

Le graphique 21.1. indique le coefficient de proportionnalité qui est impressionnant.

Graphique 21.1. Multiplication de la dette par régions de PED entre 1980 et 2002

7,9

4,4

3,1 3,4 3,1

7,0

0

5

10

A s i e d e l ' E s t A s i e d u S u d M o y e n O r i e n t A f r i q u e

s u b s a h a r i e n n e

A m é r i q u e l a t i n e E x - b l o c

s o v i é t i q u e

Entre 1980 et 2002, la dette a été multipliée par :

Calculs de Damien Millet et de l’auteur sur la base de Banque mondiale, GDF 2003

Entre 1980 et 2002, les PED ont remboursé à leurs créanciers un peu plus de 4 600 milliards de dollars. Ainsi donc, les pays de la Périphérie ont remboursé huit fois ce qu’ils devaient pour se

retrouver quatre fois plus endettés. Là encore, le coefficient de proportionnalité entre la dette de 1980

et les remboursements depuis cette date est riche d’enseignements comme l'indique le graphique 21.2.

Page 243: Thèse EricT VersionDéf 11juin

228

Graphique 21.2. Le service de la dette entre 1980 et 2002 a permis de rembourser plusieurs fois la dette de 1980

14,2

6,6 6,8

4,2

7,2

11,2

0

5

10

15

A s i e d e l ' E s t A s i e d u S u d M o y e n O r i e n t A f r i q u e

s u b s a h a r i e n n e

A m é r i q u e l a t i n e E x - b l o c

s o v i é t i q u e

Le service de la dette entre 1980 et 2002 a permis de rembourser plusieurs fois la dette de 1980

Calculs de Damien Millet et de l’auteur sur la base de Banque mondiale, WDI 2003

Entre 1980 et 2002, c’est l’équivalent de plus de cinquante plans Marshall que les populations des pays de la Périphérie ont envoyé vers les créanciers du Nord (les capitalistes et les gouvernements de

la Périphérie prélevant au passage leur commission).

Entre 1980 et 2002 : plus de 50 plans Marshall envoyés par les peuples de la Périphérie aux créanciers du Centre Plan Marshall (1948-1951) : Ce plan a été conçu par l’administration du président démocrate Harry

Truman, sous le nom de European Recovery Program. Il sera ensuite connu sous le nom du secrétaire

d’Etat de l’époque, Georges Marshall (qui a été chef d’état-major général entre 1939 et 1945), chargé d’en assurer la mise sur pied. Entre avril 1948 et décembre 1951, les Etats-Unis accordent à seize pays

européens une aide d’environ 13 milliards de dollars. Le Plan Marshall visait à favoriser la

reconstruction de l’Europe dévastée au cours de la deuxième guerre mondiale. En dollars de 2003, il faudrait réunir environ 90 milliards pour obtenir l’équivalent du Plan Marshall. Si on prend en

considération l’ensemble des remboursements effectués par les PED en 2002, soit 343 milliards de dollars2, ceux-ci ont transféré, cette année-là, à leurs créanciers des pays les plus industrialisés,

l’équivalent de près de quatre Plans Marshall. Dans le même ordre d’idées, depuis 1980, ce sont plus

de 50 Plans Marshall (plus de 4.600 milliards de dollars) que les peuples de la Périphérie ont transférés aux créanciers du Centre.

Comment le remboursement peut-il être supérieur au montant dû en 1980? C’est là tout le mécanisme de transfert mis en place par les banquiers du Nord, avec l’aide du Club de Paris et du couple

FMI/Banque mondiale. En général, les taux d’intérêts qui s’appliquent au remboursement des capitaux empruntés par les pays de la Périphérie sont tellement élevés que ceux-ci, en l’absence de revenus

d’exportations suffisants, doivent accroître systématiquement leur endettement pour pouvoir

rembourser. Ils contractent de nouvelles dettes pour rembourser les anciennes.

2 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance.

Page 244: Thèse EricT VersionDéf 11juin

229

Comment une telle situation peut-elle perdurer sans provoquer un refus de paiement de la part des

dirigeants du Sud ? C’est là qu’une autre raison intervient : les classes dominantes de la Périphérie, dont la plupart des

gouvernements du Sud et de l’ex-bloc de l’Est représentent les intérêts, tirent profit de l’endettement

extérieur de leur pays. Elles exportent vers les banques du Centre une partie importante des capitaux qu’elles ont accumulés à la Périphérie par différents moyens (le détournement de prêts internationaux,

l’exploitation des salariés et des petits producteurs, le vol des biens publics comme c’est le cas à

grande échelle dans les républiques de l’ex-Union soviétique, les aides qu’elles reçoivent des pouvoirs publics de la Périphérie, la rente pétrolière ou d’autres rentes versées par des transnationales qui

exploitent les richesses du pays, le résultat d’activités criminelles - trafic de drogues, d’armes, d’êtres humains…).

Le but de cette manœuvre est de mettre ces capitaux à l’abri et de leur donner, dans certains cas, un

statut légal qu’ils n’avaient pas à l’origine. Cette exportation des capitaux participe de l’accumulation du capital au Centre du système, elle le renforce.

Mais si l’on suit cette piste, on se rend compte qu’une partie de ces capitaux exportés est ensuite prêtée

aux Etats et aux entreprises de la Périphérie. Les classes dominantes des PED sont donc elles-mêmes créancières d’une partie de la dette externe de leur pays. Et dans le même temps, en tant que

capitalistes de la Périphérie, elles empruntent aux banques et aux marchés financiers du Centre « des capitaux qu’elles y ont placés »3.

On tourne en rond : les élites de la Périphérie empruntent au Centre à des taux d’intérêt supérieurs à ceux payés par les résidents du Centre mais inférieurs à ceux qui sont imposés dans leurs pays par la

banque centrale dans le cadre des accords avec le FMI et la Banque mondiale.

Le comble, c’est que les capitaux qu’ils empruntent au Centre, ils les prêtent à des taux très élevés aux

pouvoirs publics (ainsi qu’aux petits entrepreneurs et à la classe moyenne) de la Périphérie. C’est un cercle vicieux : les capitalistes de la Périphérie accumulent du capital en exploitant les salariés et les

petits producteurs de leur région, en dilapidant les ressources naturelles du pays… puis exportent une

partie de ces capitaux vers les banques du Centre. Ensuite, ils empruntent des capitaux qu’ils importent dans leur pays et qu’ils prêtent à taux élevés à leurs compatriotes, augmentant fortement la

dette interne.

Par ailleurs, ils achètent des titres de la dette externe sur les marchés financiers de New York ou de Londres, où s’émet et se négocie la plus grande partie des titres de dettes émis par des entités de la

Périphérie. Ils font donc partie du club des créanciers de la dette externe publique et privée de la Périphérie.

Nous allons prendre un exemple simple pour illustrer cela. Les capitalistes de la Périphérie (A) déposent (prêtent) 200 chez B (une banque du Nord) à du 4% (au bout d’un an, ils empochent 8

d’intérêt) et ils empruntent 100 à ce même B à du 9% (ils paient 9, donc ils ont transféré 1 au profit de B). Ces mêmes capitalistes prêtent les 100 à C (les pouvoirs publics du Sud, les salariés, les petits et

moyens producteurs) à du 15% (au bout de l’année, quand ils reçoivent 15, ils prélèvent 9 pour

3 C’est une manière de s’exprimer. Les banques du Centre prêtent des capitaux dont une partie provient de dépôts réalisés par des capitalistes de la Périphérie. Dans certains cas, les déposants et les emprunteurs sont les mêmes capitalistes qui, pour des raisons de sécurisation du capital accumulé, préfèrent utiliser des comptes bancaires séparés.

Page 245: Thèse EricT VersionDéf 11juin

230

rembourser B, ils empochent 6). Conclusion : B (banques du Nord / capitalistes du Nord) est gagnant par rapport à A (capitalistes du Sud) qui est gagnant par rapport à C (pouvoirs publics du Sud, petits

entrepreneurs, salariés de la classe moyenne, paysans…). Voilà pourquoi les classes dominantes de la Périphérie et les gouvernants à leur service n’exigent pas

l’annulation ou une renégociation fondamentale de la dette externe et interne de leur pays.

Direction des flux financiers impliquant des acteurs financiers du Nord et du Sud

X Y signifie que X place des fonds auprès de Y X Y signifie que X rembourse des prêts contractés auprès de Y

Nota Bene : Dans les cours d’économie des pays dits en développement et dans les documents de la Banque mondiale et du FMI, on a le culot de parler de l’insuffisance de l’épargne locale et de la nécessité de recourir à l’endettement extérieur pour pallier cette insuffisance. Alors que le problème est de prendre des mesures pour empêcher l’évasion des capitaux et pour répartir autrement la richesse de manière à permettre réellement une épargne locale de se constituer et d’être utilisée au profit d’un développement socialement juste et écologiquement soutenable.

Le service de la dette dépasse de loin l’Aide Publique au Développement nette Bon an mal an depuis 1997, le service de la dette (privée et publique) payé par la Périphérie (tiers-

monde + ex-bloc de l’Est) draine de 300 à 400 milliards de dollars, dont 200 à 250 de remboursement de capital, vers les banques privées, les autres “zinzins”, le FMI, la Bm, les Etats les plus

industrialisés. Les remboursements effectués par les pouvoirs publics des PED ont oscillé entre 180 et 200 milliards de dollars par an depuis 1997. La part totale de l’aide publique au développement (APD

- voir en fin de ce chapitre pour une analyse plus approfondie) qui parvient réellement dans les PED

est inférieure à 40 milliards de dollars. Pour 2002, le service de la dette des PED s’est élevé à 343 milliards de dollars, alors que l’APD nette peut être estimée à environ 37 milliards de dollars. Nous y

reviendrons plus loin. Mais en tout état de cause, le déséquilibre est manifeste : en 2002, les pays de la

Périphérie ont remboursé près de neuf fois plus que ce qu’ils ont reçu en APD.

Classes dominantes de la Périphérie

Banques du Centre

Pouvoirs publics de la Périphérie

Salariés, petits et moyens producteurs

de la Périphérie

Page 246: Thèse EricT VersionDéf 11juin

231

Graphique 21.3. Comparaison du service de la dette des PED et du montant net de l’APD en 2002 (en milliards de dollars)

-343

37

-500

-200

100

service de la dette des PED APD

Comparaison du service de la dette des PED et du montant net de l'APD en 2002 (en milliards de dollars)

Source : OCDE ; Banque mondiale 2003

Alors que l’APD stagne en chiffres absolus (en terme réel, l’APD baisse fortement), le service de la

dette payé par les PED augmente considérablement.

Graphique 21.4. Evolution du service de la dette des PED entre 1980 et 2002

0

200

400

1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002

Évolution du service de la dette des PED entre 1980 et 2002 (en milliards de dollars)

Source : Banque mondiale, WDI 2003

Si on fait la différence entre l’ensemble des prêts octroyés en 2002 aux pays de la Périphérie et

l’ensemble des remboursements effectués par ces derniers au cours de la même année, on atteint la

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232

somme impressionnante de 95 milliards de dollars en faveur des créanciers4. Le transfert va bien de la Périphérie vers le Centre et pas l’inverse.

Qu’est-ce que le transfert net sur la dette ?

Par définition, il s’agit, pour un PED ou un groupe de PED, de la différence entre les nouveaux prêts reçus par le(s) pays et le service de la dette payé (à savoir le total des remboursements de capital et

d’intérêts sur la période donnée). Tous comptes faits en ce qui concerne la dette, depuis 1998, le

transfert net pour l’ensemble des PED est négatif. La dette conduit à une hémorragie de capitaux de la Périphérie qui font cruellement défaut sur place en termes de développement humain.

Une période clé : 1998-2002 Intéressons-nous à la période ayant suivi la crise de l’Asie du Sud-Est. Entre 1998 et 2002, le total des transferts nets négatifs des PED vers leurs créanciers s’est élevé à 560 milliards de dollars5 6. En

résumé, entre 1998 et 2002, les PED ont envoyé l’équivalent net de plus de 6 plans Marshall à leurs

créanciers. Cela représente, un transfert tout à fait considérable qui est systématiquement passé sous silence. En avril 2003, on aurait pu croire qu’un coin du voile allait être levé. Dans un communiqué de

presse présentant le rapport intitulé Global Development Finance, la Banque mondiale déclare : “ Les pays en développement continuaient à être des exportateurs nets de capitaux ”7. En d’autres mots, cela

signifie que les pays endettés financent leurs créanciers et pas l’inverse. La Banque mondiale a fait cet

aveu avec beaucoup de discrétion tant l’existence de transferts nets négatifs contredit les objectifs au nom desquels de multiples sacrifices sont imposés aux populations des PED. Aucun grand quotidien

des pays créanciers, aucune chaîne de télévision n’a donné la place qui revenait à un tel constat de

faillite. Cette information fondamentale n’a été communiquée qu’à une partie infime de l’opinion, par quelques médias dans quelques PED.

Le remboursement de la dette opère comme une véritable pompe qui aspire une partie du surproduit social des travailleurs/euses du Sud (qu’ils soient salariés, petits producteurs individuels ou en famille,

travailleurs des services dans le secteur informel...) et dirige ce flux de richesses vers les détenteurs de

capitaux du Nord, les classes dominantes du Sud prélevant au passage leur commission. Celles-ci s’enrichissent alors que les économies nationales à la tête desquelles elles se trouvent, stagnent ou

régressent et que les populations du Sud s’appauvrissent.

21.1.2. Différence de taux d’intérêt entre Sud et Nord

Dans les années 1980, les banquiers du Nord ont fait payer des primes de risque aux pays endettés du

Sud. Ces primes portaient sur les nouveaux prêts accordés aux pays du Sud pour qu’ils assurent le paiement du service de leur dette. Par ailleurs, les emprunts contractés dans les années 1970 étaient à

taux variable indexé sur l’évolution du LIBOR (marché financier de Londres) ou le Prime Rate (marché financier de New York). Cela a entraîné selon le PNUD une forte distorsion entre les taux

4 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance. 5 Il faut être attentif au fait que 560 milliards représentent la différence entre les prêts reçus entre 1998 et 2002 et les montants remboursés pendant la même période. Si on ne s’intéresse qu’aux remboursements entre 1998 et 2002, on obtient le total pharaonique de 1900 milliards de dollars ! 6 Pendant cette période, la Corée du Sud était considérée comme un PED, nous l’avons donc incorporée dans les chiffres donnés. 7 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance, p.12.

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233

d’intérêt pratiqués dans les pays du Nord dans les années 1980 et ceux pratiqués à l’égard des pays endettés du Sud. Le phénomène est tout à fait impressionnant. Voici ce qu’en disait le PNUD dans le

Rapport 1992 sur le Développement humain : “Pendant les années 1980, alors que le taux d’intérêt était de 4% dans les pays industrialisés, les pays en développement supportaient un taux d’intérêt effectif de 17%. Sur un encours de la dette de plus de mille milliards de dollars, cela représente une majoration de coût de 120 milliards de dollars qui viennent s’ajouter à des transferts nets au titre de la dette qui sont négatifs et atteignent 50 milliards de dollars en 1989 ”8.

La crise du Sud-Est asiatique de 1997-1998 a entraîné pour les pays concernés une hausse brutale des

primes de risque qu’ils doivent payer pour pouvoir emprunter l’argent nécessaire au remboursement de leur dette à court terme. La Thaïlande qui empruntait à 7% en juin 1997 devait rémunérer les prêteurs

à 11% en décembre 1997. A deux autres points de la planète, à la fin de 1997, le Brésil comme la Russie ont dû plus que doubler le rendement qu’ils offraient aux capitalistes étrangers pour qu’ils

acquièrent leurs titres. Au pire moment de la crise (août 1998), la Russie a dû payer une prime de

risque de 45%9.

En 2000-2001, des pays comme l’Argentine, le Brésil, la Turquie et le Nigeria devaient promettre un

intérêt supérieur de 9% (cas du Brésil en avril 2001) à 21% (cas du Nigeria en avril 2001) à celui payé par les pays les plus industrialisés pour obtenir des prêts.

On pouvait lire dans la rubrique financière du quotidien espagnol El Mundo : « La tranquillité est revenue sur le marché de la dette : la différence d’intérêt entre les titres de la dette argentine et ceux du Trésor des Etats-Unis - qui mesure le risque que prennent les investisseurs dans ce pays latino américain - s’est réduite à 13%, partant du maximum historique de 18% atteint lundi 23 avril 2001 » (El Mundo, 25 avril 2001).

En septembre 2002, dans la dernière ligne droite de la campagne électorale au Brésil, ce pays a été

soumis à une offensive de déstabilisation : sortie massive de capitaux, attaque contre la monnaie nationale… Le différentiel de taux d’intérêt (en anglais, le spread) a atteint 24,5%. Il s’agit en quelque

sorte de la prime de risque qu’il faut payer lorsque l’on n’inspire pas confiance aux prêteurs potentiels.

Trois sociétés de notation, Moody’s (www.moodys.com), Standard and Poor’s (www.standardandpoors.com) et Fitch (www.fitchratings.com), se sont spécialisées dans l’évaluation du “risque pays” ; elles exercent une forte influence sur la détermination des primes de risque. Par

exemple, Moody’s a décidé le 22 décembre 1997 de rétrograder la Corée de plusieurs rangs dans sa

liste des “risques pays”. Jusqu’à cette date, la Corée était classée dans la catégorie des pays industrialisés fiables. Du jour au lendemain, elle s’est retrouvée dans la catégorie des pays à grand

risque, rejoignant ainsi les Philippines. Les emprunts coréens se voyaient subitement appliquer la même cote de risque que les fameuses obligations “pourries”, les junk bonds.

Ce qui s’est passé lors de la crise de 1982, se répète au début du vingt et unième siècle. Les pays du tiers-monde doivent verser des intérêts plus élevés pour leurs emprunts que ceux versés par les pays du

Nord. Le phénomène est renforcé par la “fuite vers la sécurité” (« fly to security »). C’est ainsi que, depuis fin 1997, les “zinzins” (investisseurs institutionnels) préfèrent acquérir des titres d’emprunt des

Etats les plus industrialisés que ceux des économies de la Périphérie. La demande croissante de la part

des "zinzins" de titres de la dette publique du Centre a permis aux gouvernements de la Triade de

8 PNUD. 1992. Rapport mondial sur le développement humain, p.74. 9 CNUCED. 2000c. Rapport sur le commerce et le développement 2000, p.46.

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234

réduire les taux d’intérêt (la rémunération qu’ils versent à ceux qui leur prêtent). La tendance à la baisse des taux d’intérêt au Centre a été accentuée par la volonté de la Réserve fédérale des Etats-Unis

de relancer, à partir de la fin de l’année 2000, l’économie nord-américaine en diminuant à plus de dix reprises ses taux directeurs. La Banque Centrale Européenne a elle-même baissé ses taux directeurs en

juin 2003. Au Japon, la Banque centrale a maintenu le taux d’intérêt au niveau zéro. Cela a eu pour

effet une baisse généralisée des taux d’intérêts versés par les Etats du Nord pour les nouveaux emprunts qu’ils émettent.

Le fossé s’est donc creusé une nouvelle fois entre les taux d’intérêt que doivent supporter les pays de

la Périphérie et ceux du Centre. Le reflux des capitaux de la Périphérie vers le Centre a permis aux Trésors publics de ce dernier de faire des économies tandis que les Trésors publics des PED étaient

forcés une nouvelle fois de débourser encore plus d’argent.

21.1.3. Dégradation des termes de l’échange

Le marché mondial est caractérisé par le fait que la majorité des pays de la Périphérie sont et restent

exportateurs de matières premières et de produits manufacturés à faible valeur ajoutée. Par contre, ils sont importateurs de produits industriels à haute valeur ajoutée et de technologies. Ils sont également

importateurs nets de produits agricoles destinés à l’alimentation des populations et à l’élevage du

bétail - celui-ci étant ensuite destiné principalement à l’exportation vers le Nord. On observe une dégradation des « termes de l’échange des produits de base » à long terme, c’est-à-dire

une baisse des prix des produits exportés par les pays de la Périphérie par rapport aux prix des articles manufacturés, des services et des brevets importés des pays les plus industrialisés.

Selon le secrétariat des Nations unies, la relation entre les prix (les termes de l’échange) du panier de produits exportés par le Sud et celui qu’il importe du Nord est passé de l’indice 100 en 1980 à l’indice

48 en 1992. Supposons donc qu’en 1980, 100 unités du Sud s’échangeaient contre 100 unités du Nord,

ces mêmes 100 unités du Sud ne permettaient plus en 1992 de se procurer que 48 unités du Nord. En d’autres termes, un pays du Sud doit exporter deux fois plus d’unités qu’auparavant pour obtenir en

échange l’ancien volume d’unités en provenance des pays les plus industrialisés. Les pays exportateurs de pétrole (OPEP) ont connu une détérioration encore plus forte des termes de

l’échange. Le prix réel du pétrole brut en 1992 représentait seulement le tiers du prix de 1981.

Pour l’Afrique subsaharienne, la chute des termes de l’échange entre 1986 et 1989 (rien qu’en quatre

ans donc) a représenté une perte de revenus de 55,9 milliards de dollars. 90% des exportations de la moitié des pays d’Afrique consistent en des produits de base.

Pour les quinze pays à revenu moyen fortement endettés (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Côte d’Ivoire, Equateur, Mexique, Maroc, Nigeria, Pérou, Philippines, Uruguay, Venezuela et

Yougoslavie), les pertes totales dues à la dégradation des termes de l’échange se sont élevées, pour la

période 1981-1989, à 247,3 milliards de dollars.

Mettant en perspective l’évolution entre 1980 et 2000, Alfred Maizels, spécialiste des termes de l’échange, déclarait à la Xe conférence de la CNUCED tenue à Bangkok en février 2000 : « Après 1980, il y a eu une rupture : les prix réels des produits de base se sont en général effondrés et ne sont jamais remontés depuis. A la fin des années 80, la crise se révélait plus grave et nettement plus longue qu’à l’époque de la grande dépression des années 30. De 1990 à 1997, il n’y a eu ni amélioration ni

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dégradation sensible des termes de l’échange des produits de base, mais une nouvelle détérioration brutale s’est produite, pendant les deux années suivantes, sous l’effet de la crise financière asiatique et de la dépréciation des monnaies des principaux pays d’Asie »10.

Tableau 21.2. Prix de certains biens primaires entre 1980 et 2001 Produit Unité 1980 1990 2000

Café (robusta) cents / kg 411,7 118,2 63,3 Cacao cents / kg 330,5 126,7 111,4

Huile d’arachide $ / tonne 1090,1 963,7 709,2 Huile de palme $ / tonne 740,9 289,9 297,8

Soja $ / tonne 376 246,8 204,2 Riz (Thaï) $ / tonne 521,4 270,9 180,2

Sucre cents / kg 80,17 27,67 19,9 Coton cents / kg 261,7 181,9 110,3 Cuivre $ / tonne 2770 2661 1645 Plomb cents / kg 115 81,1 49,6

Tableau réalisé par Damien Millet. Source : Banque mondiale, 2002

Selon le FMI, les prix des produits de base (compte non tenu du pétrole) ont baissé de 30% entre 1996 et 200011. La CNUCED fait le même diagnostic12.

Outre cette tendance à la baisse et la sensibilité de ces marchés aux moindres fluctuations, les pays

industrialisés ont accentué le dommage causé en fabriquant des produits de substitution : les fibres synthétiques, le sucre édulcoré, etc.

La dernière substitution en date, et non des moindres, permet de fabriquer dans les pays du Nord des

produits annoncés comme "chocolat"... presque sans cacao. La Commission européenne a, en effet, autorisé le remplacement, dans le chocolat fabriqué en Europe, du beurre de cacao (produit dans le

Sud) par des matières grasses à concurrence de 5% du poids total. La Commission européenne a reconnu que cette mesure allait faire baisser les exportations de cacao vers l’UE. Cela signifie une

chute du prix du cacao sur le marché mondial, ce qui plonge les producteurs du Sud dans la misère.

Mais le lobby européen est très puissant. C’est un exemple évident de protectionnisme de l’UE au détriment du Sud.

Même quand ils exportent des produits manufacturés, les pays du Sud sont en général perdants dans leurs échanges avec le Nord : de 1980 à 1990, les prix des produits manufacturés exportés par les pays

du Sud ont augmenté en valeur nominale de 12%, alors que les prix des produits manufacturés exportés par les pays industrialisés membres du G7 augmentaient de 35%13. En termes réels, les prix

des produits manufacturés exportés par le Sud ont baissé tandis que ceux exportés par le Nord ont

augmenté.

La dégradation des termes de l’échange est une manifestation du caractère inégal du commerce international : les pays les plus industrialisés sont favorisés dans leurs échanges avec le Sud. Une

confirmation récente de cet état de choses est apportée par les résultats du commerce extérieur de la

France. Une étude publiée par l’INSEE, Le Commerce extérieur de la France14 indique qu’en 1996, la

10 MAIZELS, Alfred. 2000. Dépendance économique à l’égard des produits de base, p.6. 11 FMI-IMF. 2000. Annual Report 2000, Making the global economy work for all, p.11. 12 CNUCED, Rapport sur le Commerce et le Développement 2000, p. 34). 13 PNUD. 1992. Rapport mondial sur le développement humain, p. 69. 14 INSEE, 1997.

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France a retiré un important excédent commercial de ses échanges avec les pays à bas salaires. En effet, alors que son commerce extérieur avec les pays du Nord est en équilibre, l’excédent de 1996

provient principalement des échanges avec l’Afrique qui en fournit 40%, le Moyen-Orient 25%, et les pays de l’Est 15%. Or, l’essentiel du commerce extérieur de la France est réalisé avec les autres pays

industrialisés (80%). Le paradoxe est donc que les 20% du commerce extérieur français avec les pays

du tiers-monde et de l’Est génèrent à eux seuls tout l’excédent.

Il y a un lien étroit entre les politiques décidées par les classes dominantes dans les pays du Centre

avec l’ère Thatcher et Reagan au début des années 80, la dégradation des termes de l’échange, la crise de la dette et les politiques d’ajustement imposées par les institutions de Bretton Woods. Dans le texte

qui suit, A. Maizels indique clairement que la dégradation des termes de l’échange, loin d’être due à la fatalité, est la résultante d’une série de politiques décidées dans les pays les plus industrialisés. « Le repli des prix des produits exportés par la Périphérie sur le marché mondial au début des années 80 a été une conséquence directe de l’austérité monétaire pratiquée par les principaux pays industriels pour réduire l’inflation. Cette politique a entraîné un ralentissement sensible de la croissance économique et imprimé un brusque coup de frein à la demande de matières premières. Depuis lors, les taux de croissance sont restés faibles par rapport aux tendances de l’après-guerre, ce qui explique en partie le marasme des prix des produits de base. L’autre grande raison de ce marasme est l’augmentation rapide du volume des exportations de produits de base des pays en développement, qui a dépassé 40% de 1980 à 1990. Il apparaît contradictoire que l’offre se soit accrue alors même que les prix étaient bas, mais cela s’explique par l’intervention d’un nouveau facteur. Les pays ont été poussés à développer leurs exportations par la contraction de leurs recettes en devises - essentiellement due à l’effondrement antérieur des cours des produits de base - conjuguée aux taux d’intérêt élevés de la dette extérieure et à l’absence quasi totale de nouveaux crédits consentis aux conditions du marché jusqu’au début des années 90. En outre les prêts accordés par le FMI étaient généralement assortis de conditions strictes, notamment la dévaluation de la monnaie nationale pour promouvoir les exportations. Les prix réels des produits de base sont extrêmement bas depuis une vingtaine d’années. Les pays exportateurs ont donc vu leurs termes de l’échange se détériorer fortement pendant cette période. Les pertes ont augmenté rapidement, passant d’environ 5 milliards de dollars par an en 1981-1985 à près de 55 milliards de dollars par an en 1989-1991. Elles s’élèvent en tout à 350 milliards de dollars environ pour la période allant de 1980 à 1992, et ont considérablement augmenté depuis lors. Elles ont été un facteur important de l’augmentation de la dette extérieure des pays exportateurs concernés »15.

21.1.4. Contrôle du commerce mondial par les sociétés transnationales du Nord Les transnationales des pays industrialisés contrôlent les moyens de transport internationaux, le

commerce et la distribution des marchandises. Ces sociétés accaparent une grande partie des revenus tirés de la vente des marchandises car les pays du tiers-monde doivent payer des prix exorbitants pour

le fret, les assurances, l’emballage et la commercialisation des produits qu’ils exportent et de ceux

qu’ils importent. Les compagnies maritimes des pays industrialisés sont bien organisées en cartels et imposent des charges très élevées pour les services de transport. Ces sociétés contrôlent plus de 85%

de la flotte marchande. Pour le fret aérien, la domination des transnationales des pays les plus industrialisés est encore plus forte.

15 MAIZELS, Alfred. 2000. Idem, p.7.

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Plusieurs études ont démontré que les pays du tiers-monde recevaient en moyenne seulement 10 à 15% du prix de vente au détail au consommateur du Nord. Prenons deux exemples symboliques. Dans

le prix d’une chaussure de sport Nike, moins de 2% seulement en moyenne servent à payer la main d’œuvre (généralement dans un pays d’Asie) alors que 4,5% vont à la publicité et près de 40% au

détaillant qui la revend, généralement au Nord. Par ailleurs, selon l’association de labellisation de

commerce équitable Max Havelaar, pour un paquet de 250 grammes de café arabica vendu entre 1,8 et 3 euros dans les circuits commerciaux traditionnels, la part du petit producteur ne dépasse pas 0,15

euro, soit entre 5% et 8,5%.

21.1.5. Rapatriement des bénéfices des sociétés transnationales implantées dans le tiers-monde Entre 1998 et 2002, la masse de profit rapatrié a atteint 334 milliards de dollars16. Alors que le flux

d’investissement direct à l’étranger vers les PED a baissé à partir de 1999, le montant des bénéfices rapatriés était en hausse.

L’évaluation de l’ampleur réelle de la masse de profit réalisée grâce aux investissements dans le tiers-

monde est rendue difficile par les pratiques de sur-facturation et de sous-facturation à l’intérieur même des sociétés transnationales. Il y a une multitude de méthodes d’ingénierie pour accumuler un

maximum de bénéfices à un des endroits de la production ou de la commercialisation et ce, en fonction

de différents paramètres. Le taux d’imposition des bénéfices n’est qu’un des paramètres. La nécessité de rapatrier des bénéfices vers la maison mère en est un autre. Une même transnationale peut passer

d’une technique à l’autre dans le temps et dans l’espace en fonction de la meilleure opportunité. Quand il s’agit de transnationales (en situation de monopole ou d’oligopole) qui prennent en charge toutes les

opérations depuis l’extraction des matières premières jusqu’à leur vente à l’industrie de

transformation, il leur est indifférent de faire figurer le profit au niveau de la filiale chargée de l’extraction, de la compagnie de transport, de navigation ou de la raffinerie. Une part de la masse de

valeur qui apparaît dans les statistiques des pays les plus riches comme un profit produit sur le marché

intérieur est donc, en réalité, une plus-value produite non par les travailleurs des pays les plus industrialisés mais par les producteurs du tiers-monde.

Une des techniques utilisées est la suivante : la maison mère d’une transnationale vend à sa filiale située dans un pays du tiers-monde des marchandises ou des services à des prix surfaits, supérieurs

aux prix pratiqués sur le marché mondial.

Augustin Papic estime par exemple que les transnationales pharmaceutiques imposent à leurs filiales d’Amérique latine des prix de vente internes qui sont supérieurs aux prix du marché mondial d’au

moins 33% et jusqu’à 314%. En Colombie, par exemple, on a cité des cas où des filiales de firmes transnationales pharmaceutiques

payaient à l’importation de produits de la société mère des prix de 155% plus élevés que les prix

normaux à l’exportation. Les majorations de prix citées sont de 40% dans l’industrie du caoutchouc, de 26% dans l’industrie chimique et de 258 à 1 100% dans l’industrie électronique.

A l’inverse, les exportations des filiales à la maison mère se font à des prix fortement dévalorisés. Au

Mexique, au Brésil et en Argentine, une enquête révéla que 75% des firmes transnationales analysées sous-évaluaient les prix de leurs exportations d’environ 50% par rapport aux firmes locales17.

16 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance. 17 MANDEL, Ernest. 1972. Le Troisième âge du Capitalisme, tome II, p.305-306.

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238

Dans les vingt dernières années, le développement des zones franches industrielles dans de multiples pays du tiers-monde - y compris la Chine - et de l’ex-bloc de l’Est, a largement simplifié la stratégie

des transnationales pour rapatrier leurs profits.

21.1.6. Privatisation des entreprises publiques du Sud

Les gouvernements du Sud et de l’ex-bloc soviétique ont bradé et bradent encore leurs entreprises

publiques dont une part importante est acquise par les transnationales privées ou publiques de la Triade. Vu la sous-évaluation de la valeur réelle des entreprises privatisées, on peut considérer sans

hésitation qu’il s’agit aussi d’une forme de transfert de richesses et de leviers stratégiques de la

Périphérie vers le Centre. Certaines entreprises publiques ont été vendues au capital étranger pour une bouchée de pain et ont été vidées de leur substance par la suite.

La vente de la compagnie aérienne publique argentine Aerolineas Argentinas à Iberia, compagnie espagnole, est emblématique. Les infrastructures, les routes aériennes et les appareils appartenant à la

compagnie argentine ont été acquis par Iberia bien en dessous de leur valeur. Par la suite, Iberia s’est

approprié les routes aériennes et a fourni en location des appareils de vol à un prix très élevé (in Financial Times, 13 juin 2001). Mieux : alors que l’Etat argentin a pris à sa charge la dette de la

compagnie aérienne et a vendu Aerolineas sans dette, Iberia a mis à charge d’Aerolineas les emprunts

contractés pour l’acquérir (in Clarin, 21 juin 2000) ! Au bout du compte, en 2001, Aerolineas Argentinas, complètement vidée de sa substance, s’est retrouvée au bord de la faillite avec une dette de

900 millions de dollars et une flotte aérienne lui appartenant en propre limitée à 2 avions (contre 29 au moment de la privatisation en 1990).

Selon la Banque mondiale, l’ensemble des privatisations dans la Périphérie entre 1990 et 1999 a représenté pour les Etats vendeurs un revenu d’un peu plus de 315 milliards de dollars. Quelle part de

cette somme a été mise à charge des entreprises privatisées (comme dans le cas d’Aerolineas

Argentinas) ? La Banque ne le dit pas. Quelle est la valeur réelle de ce qui est passé du domaine public au domaine privé ? Quelle est la partie exacte qui est passée aux mains de firmes étrangères ? La

Banque ne le dit pas non plus. Ce qui est sûr, c’est que progressivement les firmes transnationales du Centre sont devenues les principaux acquéreurs des entreprises privatisées de la Périphérie. En 1999,

les transnationales du Centre ont réalisé 76% des opérations d’achat18.

Dans de nombreux domaines, les transnationales du Centre ont pris le contrôle de secteurs économiques stratégiques. Les banques espagnoles contrôlaient, en l’an 2000, 40% des actifs du

système bancaire latino-américain contre 10% au milieu des années 199019.

En matière de privatisation, entre 1990 et 1999, les télécommunications ont représenté le secteur le

plus prisé (76 milliards de dollars) suivis par le secteur de la production électrique (53 milliards), le pétrole et le gaz (45 milliards), les banques (34 milliards), la sidérurgie (9,6 milliards), les mines (9

milliards) et la chimie (6 milliards). L’Amérique latine vient en tête des programmes de privatisation

(177 milliards de dollars) - « La région a déjà cédé à la gestion du secteur privé une grande partie de ses infrastructures et de ses établissements financiers »20 -, suivie par l’Europe centrale et de l’Est (61

milliards), l’Asie de l’Est et le Pacifique (44 milliards), l’Asie du Sud (11 milliards), l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne (8 milliards chacune).

18 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2001. Global Development Finance, p.189. 19 BANQUE DES REGLEMENTS INTERNATIONAUX. BRI. 2001. 71ème rapport annuel, p.52. 20 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2001. Idem, p.186.

Page 254: Thèse EricT VersionDéf 11juin

239

Les crises que subissent les pays de la Périphérie sont autant d’occasion pour les transnationales de la Triade d’acheter des entreprises pour une bouchée de pain. Après la crise dans l’Est asiatique de 1997-

1998, des entreprises coréennes ont été vendues à 6% de leur valeur d’avant la crise. Selon Jeune Afrique - L’intelligent du 9 mars 2003 qui relate le rapport « Perspectives économiques en Afrique »

de la Banque africaine de développement (BAD) et l’OCDE, « Deux mille sept cents entreprises publiques ont bien été cédées et, sur cinquante-trois pays africains, seuls neuf n’ont pas privatisé (…). Mais avec des résultats mitigés : les privatisations n’ont, à ce jour, rapporté que 8 milliards de dollars, soit à peine 1,5% du PIB africain». Le Monde, qui commente le même rapport, relève que

« L’emploi semble avoir été la première victime des transferts au secteur privé... Une étude menée par la Banque mondiale auprès de 54 entreprises privatisées au Bénin, au Burkina Faso, au Ghana, au Togo et en Zambie montre que l’emploi y a reculé de 15% en moyenne » (Le Monde, 1er avril 2003). Au total, depuis 1985, lorsque la vague de privatisation a commencé, ce sont plusieurs milliers de

milliards de dollars d’actifs d’entreprises de la Périphérie qui sont passés sous le contrôle d’entreprises

de la Triade pour quelques centaines de milliards de dollars. Un vaste pillage dont les peuples de la Périphérie ne pourront venir à bout qu’en imposant à leurs pouvoirs publics de procéder à des

expropriations sans indemnisation de manière à faire revenir dans le patrimoine national ce qui en a

été soustrait.

21.1.7. Brevets, royalties, droits de propriété intellectuelle Un autre transfert net de ressources du Sud vers le Nord vient du fait que le Sud doit largement payer

son accès aux technologies issues des sociétés du Nord et leur usage. C’est un des aspects de ce

qu’Ernest Mandel appelle la “rente technologique” dans Le Troisième âge du capitalisme21. Le bénéfice de cette rente revient aux transnationales qui ont acquis un avantage technologique. Cet

avantage n’est pas garanti une fois pour toutes. En effet, les transnationales peuvent se livrer une

bataille féroce à coût de recherche & développement et de nouveaux produits (c’est le cas dans l’industrie informatique). Mais même s’il y a des gagnants et des perdants au Nord, les pays du Sud

sont (presque) toujours perdants. Ils ne font pas le poids face aux capacités de recherche & développement des transnationales et des Etats du Nord (plus de 95% de la recherche &

développement sont réalisés dans les pays de l’OCDE). La concrétisation des derniers accords du

GATT (instituant l’Organisation Mondiale du Commerce) a encore aggravé cette situation avec, par exemple, la question des droits de propriété intellectuelle.

Les droits de propriété intellectuelle (DPI) vus du Sud... La plupart des pays du tiers-monde considèrent les ressources génétiques comme un patrimoine

collectif. Les paysans qui, depuis des millénaires, ont sélectionné les semences pour obtenir des

produits de la terre en parfaite adéquation à leurs besoins ainsi qu’au respect de la nature, n’ont jamais cherché à imposer un droit de propriété intellectuelle sur ces semences et sur ces produits.

21 MANDEL, Ernest. 1972. Le Troisième âge du Capitalisme.

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240

… et les DPI vus du Nord

Les transnationales de la bio-industrie et de l’industrie agro-alimentaire, quant à elles, l’ont fait. Monsanto, Aventis, Novartis, Cargill… pour ne citer que quelques-unes des plus importantes,

parcourent le monde pour établir leurs droits de “découverte” en faisant breveter celles-ci à leur nom.

Elles font ainsi main basse sur le patrimoine élaboré patiemment par l’humanité. Un exemple révélateur est le cas du riz « Basmati ». Cette variété ancienne de riz du Nord de l’Inde et du Pakistan,

d’une grande qualité, est devenue une référence grâce au lent travail, durant des siècles, de générations

entières de paysans indiens et pakistanais. Pourtant, en 1997, l’entreprise américaine Rice Tec, qui appartient au Prince du Liechtenstein, a déposé un brevet sur des semences et lignées de riz Basmati.

A l’issue d’une bataille juridique coûteuse engagée par l’Inde, le Bureau américain des brevets a validé des brevets sur trois sortes spécifiques de riz dérivées du riz Basmati traditionnel. Cette société

texane en est donc officiellement devenue propriétaire, au mépris des peuples du Sud qui y ont apporté

leur savoir-faire au fil de l’histoire.

Les Etats-Unis et d’autres pays capitalistes développés ont exercé des prélèvements sur la diversité

biologique du tiers-monde pour réaliser des bénéfices se chiffrant par millions de dollars sans rétrocéder le moindre dollar aux pays ou aux communautés locales du tiers-monde, “propriétaires”

d’origine du plasma germinatif. Par exemple, une variété sauvage de tomates prélevée au Pérou en 1962 a rapporté huit millions de dollars par année aux conserveries américaines grâce à une meilleure

concentration en solides solubles. Aucun profit ou bénéfice n’a été partagé avec le Pérou, source

originelle du matériel génétique. Selon Vandana Shiva22, les variétés sauvages prélevées au Sud ont rapporté 340 millions de dollars par

année entre 1976 et 1980 au secteur agricole américain. Depuis le début des années 1970, les firmes

agro-chimiques ont absorbé plus de 400 firmes semencières, notamment par le renforcement des droits de propriété intellectuelle.

C’est donc avant tout une volonté de dominer les marchés qui pousse les transnationales à

l’homogénéisation et l’uniformité par la manipulation génétique. Il est plus facile de coter en bourse

une variété de riz émanant d’un laboratoire que les multiples variétés de riz correspondant aux adéquations locales et aux différents goûts de par le monde. Surtout quand, devenue propriété privée

par le pouvoir du “droit de propriété intellectuelle”, cette variété issue du laboratoire peut alors faire

l’objet d’un monopole de fourniture, non seulement au niveau du produit lui-même mais aussi à celui de sa descendance (un paysan qui achète des semences de blé panifiable ne pourra pas utiliser une part

de sa récolte comme semence pour une nouvelle saison) et à celui de toute une série de produits connexes (exemple : le seul herbicide toléré par la variété en question est bien sûr produit par la même

transnationale, comme c’est le cas des plantes génétiquement modifiées produites par Monsanto

résistantes au Roundup du même Monsanto). La volonté de maintenir “captif” ce marché va jusqu’à créer des variétés “stériles” dont il faut chaque année racheter des semences, car la germination de la

deuxième génération est bloquée. Un brevet sur cette technique a été accordé en mars 1998 par le Bureau américain des brevets à la société Delta and Pine, maintenant filiale de Monsanto. Les

réactions diverses à cette technique rapidement baptisée Terminator ont obligé Monsanto à faire – au

moins provisoirement – marche arrière. Mais la vigilance doit être de mise, sinon la boucle sera

22 SHIVA, Vandana. 1994. La Nature sous licence ou le processus d’un pillage.

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241

bouclée : le paysan ne sera plus producteur et propriétaire, mais acheteur et consommateur, il sera surtout devenu l’esclave du brevet et de la transnationale qui le détient23.

Les droits de propriété sont censés améliorer le produit et préserver la biodiversité alors que les

biotechnologies appliquées une fois la propriété établie visent essentiellement à créer l’uniformité en

sélectionnant les variétés à haut rendement. Cette uniformité entraîne des désastres dans les cultures. En effet, les plantes deviennent aussi

semblables que des jumeaux et tout ce qui fragilise une plante fragilise les autres. Les Etats-Unis en

ont fait l’expérience en 1970-71 lorsqu’une attaque de rouille a détruit 15% de leurs récoltes de maïs fragilisé par son uniformité génétique et cette expérience s’est renouvelée en Asie avec les variétés de

riz de ladite révolution verte.

Il faut aussi considérer ce qu’on entend par “haut rendement“. L’exemple des programmes

internationaux de plantation d’eucalyptus est clair à ce niveau : sa croissance rapide n’a d’intérêt que pour le bois à papier. En termes de biomasse, pour l’alimentation animale, le rendement de

l’eucalyptus est nul. A côté de cela, un expert forestier dira que les forêts tropicales, naturellement

diversifiées, sont “improductives” ! Le secteur industriel n’est pas intéressé par la diversité, il est intéressé par le rendement de matières premières rentables.

En fait, les laboratoires des transnationales expliquent toute transformation technologique de la biodiversité, en termes “d’amélioration” et d’accroissement de la “valeur économique”... La

confection du produit dans les laboratoires des entreprises est considérée comme “production” tandis

que la reproduction de la matière brute par la nature ainsi que par les fermiers et habitants des forêts du tiers-monde est uniquement de la “conservation”. La “valeur” n'apparaissant qu'au niveau du travail en

laboratoire, ce sont des siècles d’innovation qui sont totalement dévalorisés afin d’accorder des droits

monopolistiques sur des formes de vie uniquement à ceux qui manipulent les gènes par de nouvelles technologies. L’uniformité correspond à un modèle inévitable dans un contexte de domination et de

rentabilité...

Les droits de propriété intellectuelle (DPI) et l’ADPIC L’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) est entré en vigueur en 1995 dans le cadre de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). C’est l’un

des principaux piliers des accords de l’Uruguay Round mais aussi l’un des plus controversés. Mis au

point par douze firmes transnationales américaines, il s’est imposé grâce au soutien des gouvernements nord-américain, japonais et européens malgré l’opposition des pays du Sud. En effet, il

vise à renforcer la protection des produits et procédés brevetés, de manière à interdire leur copie par d’autres entreprises dans le monde (principalement celles des pays les moins développés). S’il

renforce les droits de propriété intellectuelle du créateur, il introduit également une norme mondiale

ayant force exécutoire en associant les droits de propriété intellectuelle au commerce. Les droits de propriété intellectuelle deviennent ainsi obligatoires, mais sans assurer parallèlement la défense des

intérêts de la société, les droits à la santé et les droits des populations autochtones.

L’ADPIC bénéficie avant tout aux pays les plus industrialisés disposant d’une avance technologique et

tend donc à pérenniser les inégalités de développement. Les droits de propriété intellectuelle à payer

23 Voir un contrat type sur notre site à l’adresse users.skynet.be/cadtm/pages/francais/Contrat%20Monsanto.pdf.

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242

rendent plus chers les transferts de technologies : les pays en développement vivent donc une marginalisation supplémentaire.

Les pays industrialisés détiennent 97% des brevets et les transnationales 90% de l’ensemble des brevets de technologie et d’invention. Jusqu’à présent, rien ne permet d’affirmer que le système des

brevets a stimulé les activités de recherche et développement dans les pays pauvres ou au bénéfice de

ces derniers, ni qu’il puisse le faire. Exemple : dans le secteur pharmaceutique, avant l’accord ADPIC, des pays comme la Chine, l’Egypte et l’Inde accordaient des brevets sur les procédés mais pas sur les

produits finaux. Cette approche a développé les activités locales d’élaboration de médicaments

génériques qui sont analogues mais nettement moins chers que les marques d’origine. Pour se faire une idée de la différence, des médicaments au Pakistan, où il existe des brevets, coûtent jusqu’à treize

fois plus cher qu’en Inde où ce n’est pas le cas. Maintenant, dans le cadre de l’ADPIC, il n’est en principe plus possible de produire un médicament ou

de l’acheter à l’étranger sans l’autorisation (contre versement de royalties) du propriétaire de

l’invention qui garde ce pouvoir pendant vingt ans. Des clauses d’exception ont certes été prévues : en cas d’urgence sanitaire ou d’entraves à la concurrence (refus de vente de l’inventeur ou prix trop

élevés), tout gouvernement a le droit de recourir à des « licences obligatoires » ou à des importations

parallèles. Ce droit semble avoir beaucoup de mal à être appliqué dans la pratique. Par contre, du fait des pressions économiques qu’elle a subies, l’Inde a dû, dans le cadre de l’OMC, renoncer au contrôle

des prix et à la production de médicaments génériques24. Les Etats-Unis de George W. Bush sont parmi les plus farouches défenseurs de l’intérêt des laboratoires pharmaceutiques. Pourtant, dès qu’ils

sont concernés, les choses se passent différemment. En octobre 2001, la maladie du charbon, ou

anthrax, a brièvement sévi aux Etats-Unis et le gouvernement a obligé la société transnationale Bayer à diviser par deux le prix du Cipro, l’antibiotique utilisé pour traiter cette maladie, en agitant la

menace de lever le brevet sur ce médicament et donc d’autoriser sa production générique. Le Sud n’a

bien sûr pas les moyens d’imposer de telles mesures qui pourtant seraient salutaires pour les populations les plus démunies. La preuve, en décembre 2002, le même gouvernement des Etats-Unis a

bloqué la concrétisation du modeste compromis intervenu à Doha en novembre 2001 au sujet du droit des pays du Sud à produire certains médicaments sous forme générique pour combattre certaines

maladies (en priorité, le sida, la tuberculose et la malaria).

L’ADPIC soulève également des questions de compatibilité avec la législation sur les droits de

l’homme et les accords sur l’environnement. La Déclaration universelle des droits de l’homme, le

Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaissent le droit au partage des progrès scientifiques. Par

ailleurs, la Convention sur la biodiversité engage les Etats à protéger les droits des populations autochtones sur l’utilisation des ressources biologiques et des systèmes de savoir. Elle prévoit aussi le

partage équitable des bénéfices découlant de l’utilisation commerciale des ressources biologiques et du

savoir des communautés locales25.

Déjà en 1999, le Rapport mondial sur le développement humain déclarait : “La marche implacable des droits de propriété intellectuelle doit donc être mise en cause et stoppée” et “Il faut faire passer le principe de précaution avant le profit ”26. Cette recommandation n’a pas été suivie. Au contraire.

24 ATTAC. 2001c. Enquête au cœur des multinationales. 25 PNUD. 2000. Rapport mondial sur le développement humain, p.84. 26 PNUD. 1999. Rapport mondial sur le développement humain, p.73 et 75.

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243

Les demandes de brevets ont considérablement augmenté au cours des vingt dernières années : elles émanent d’un petit nombre de pays industrialisés qui, bizarrement, disposaient de règles très floues en

la matière quand ils ont mis en place leurs industries nationales. Ils ont changé de discours une fois devenus exportateurs de technologie.

Au niveau de la quête du savoir, les brevets entravent les recherches susceptibles d’amener à des

découvertes profitables à tous. Cet “empilement” de brevets morcelle et clôture le terrain de la recherche: les idées ne circulent plus entre les différents groupes de chercheurs. Par contre, le profit lié

à la commercialisation des produits brevetés est clairement priorisé et protégé.

Dans la définition des programmes de recherches, l’argent parle plus fort que les besoins de millions de personnes : les nouvelles technologies sont donc élaborées pour ceux qui ont les moyens d’y

accéder, on concentre la recherche sur les marchés à haut revenu. « La boussole de la rentabilité du capital financier (…) indique quelles sont les maladies qui méritent d’être soignées et quelles sont celles qui, en revanche, ne valent pas la peine que l’industrie pharmaceutique s’y intéresse. Ainsi, sur 1.223 molécules mises sur le marché entre 1975 et 1997, seules 13 sont spécifiquement tournées vers les maladies tropicales et, parmi celles-là, 5 sont le produit de la recherche vétérinaire. (…) Plus grave : quand des médicaments existent mais ne visent que des pays démunis, la boussole de la rentabilité du capital conduit à arrêter leur fabrication. Par exemple, pour la maladie du sommeil, qui tue 150.000 personnes chaque année, il existe un médicament mis au point en 1985 par la firme américaine Merell Dow. Héritant de la molécule lors du rachat de la firme, Marion Roussel en a abandonné la fabrication. De même, le médicament contre les méningites bactériennes, particulièrement actives dans les pays du Sud, existe depuis quelques années. Mais, là aussi, Marion Roussel a décidé de ne plus le fabriquer, insuffisance de rentabilité oblige »27. 21.1.8. Dette écologique versus dette financière

Le pillage du matériel génétique, l’exploitation à outrance des ressources naturelles, les attaques

colossales envers l’environnement ont durement touché les pays de la Périphérie. Pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de la dette, hissé comme première priorité par les pays les plus

riches et les institutions financières internationales, les gouvernements des pays endettés ont été obligés de brader leurs ressources naturelles au plus offrant, et aussi de les surexploiter gravement,

sans tenir compte des conséquences à moyen et long termes. Dans de nombreux cas, les centres de

pouvoirs économiques et politiques du Nord n’ont pas eu à forcer les gouvernements du Sud, ceux-ci ont eux-mêmes organisé des activités économiques destructrices de l’environnement en échange d’un

pourcentage sur les revenus tirés de ce type d’activité (pensons aux pouvoirs en place au Congo Brazzaville, au Liberia, au Sierra Leone, en Angola…). Les capitalistes de la Périphérie se sont

souvent livrés à la dilapidation des richesses naturelles et à la destruction de l’environnement pour

faire un maximum de profit. Par conséquent, la désertification s’amplifie, les forêts primaires (notamment en Amazonie, en Afrique

centrale, en Asie du Sud-Est) sont terriblement menacées et l’érosion des sols frappe les populations –

très souvent rurales - de plein fouet. Les ravages environnementaux causés par exemple par l’exploitation pétrolière ou par l’industrie minière (comme les rejets de mercure après traitement de

l’or dans les mines) sont mis en évidence régulièrement. Pire, certains pays de la Périphérie ont accepté de devenir la poubelle de certains pays industrialisés, permettant le stockage sur leur sol,

souvent sans aucune précaution préalable, de déchets industriels très polluants ou très dangereux. Le

27 ATTAC. 2001c. Idem

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244

système capitaliste et son corollaire, la dette, ont conduit les pays de la Périphérie dans cette impasse, menaçant même l’équilibre écologique mondial. Dans ces conditions, il est légitime d’introduire la

notion de dette écologique, dont les gouvernements des pays les plus industrialisés, les firmes transnationales, les gouvernements de la Périphérie et les capitalistes locaux sont redevables envers les

peuples de la Périphérie. En effet, cette dette écologique est bien réelle, les dégradations enfoncent

chaque jour un peu plus les populations de la Périphérie dans la misère.

21.1.9. Transfert des capitaux de la Périphérie vers le Centre

« Les PED sont ensemble des prêteurs nets à l’égard des pays développés »28.

Le FMI estimait lui-même que, rien qu’en 1988, dans les treize pays les plus endettés, la fuite des

capitaux aurait représenté une somme de 180 milliards de dollars. Par la suite, la libéralisation complète des mouvements de capitaux a produit au cours des années 1990 un très puissant

déplacement des capitaux de la Périphérie vers les pays les plus industrialisés. La Banque mondiale,

dans son rapport Global Development Finance 2001, ne relève-t-elle pas : « Bien que l’augmentation des entrées de capitaux dans les pays en développement pendant la première moitié des années 1990 ait accaparé l’attention, les sorties de fonds se sont également amplifiées. Ce gonflement des apports pourrait être dû, au moins partiellement, à des transactions liées à des sorties de capitaux, peut-être pour des raisons fiscales ». Rubens Ricupero, secrétaire général de la CNUCED, dans l’introduction du rapport intitulé “Le développement de l’Afrique : une approche comparative” faisait un constat plus clair : “La libéralisation des opérations en capital a peu de chances de faire revenir les capitaux fugitifs qui, selon certaines estimations, représentent 70% de la richesse privée non foncière dans les pays subsahariens. Ces capitaux semblent constitués surtout de deniers publics détournés illicitement, plutôt que de revenus industriels et commerciaux à la recherche de stabilité économique ou de rendements élevés à l’étranger ”29.

Dans une étude remarquable intitulée « L’Afrique est-elle un créancier net ? Nouvelles estimations de la fuite des capitaux des pays sévèrement endettés d’Afrique sub-saharienne 1970-1996 »30, deux

universitaires de l’université de Massachussetts aux Etats-Unis, J. k. Boyce et L. Ndikumana en

arrivent à la conclusion que pendant la période étudiée, l’équivalent de 285 milliards de dollars ont été placés à l’étranger par les élites gouvernantes africaines. Ils en déduisent que, décompte fait de la dette

externe des 25 pays étudiés (qui représentent 92% de la population d’Afrique sub-saharienne, 91% de la dette et 93% du PIB - compte non tenu de la République d’Afrique du Sud), les pays concernés sont

créanciers du reste du monde pour un montant d’environ 106 milliards de dollars. Ils estiment encore

que les capitaux placés à l’étranger par les capitalistes du Nigeria représentaient en 1996 quatre fois la dette externe totale du pays. Dans le cas du Rwanda, les capitaux placés à l’extérieur représentaient en

1996 le triple de la dette extérieure totale. Dans le cas de la République démocratique du Congo et de

la Sierra Leone, les capitaux placés à l’étranger représentaient le double de la dette extérieure. Dans le cas de l’Angola, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire et de la Zambie, un peu moins du double. Les deux

28 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance, p.13. 29 CNUCED. 1998. Rapport sur le commerce et le développement 1998, p. XVII. 30 Boyce et Ndikumana « Is Africa a Net Creditor ? New Estimates of Capital Flight from Severely Indebted African Countries, 1970-1996 », Department of Economics and Political Economy Research Institute, University of Massachussetts).

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auteurs mentionnés et plusieurs autres ont par ailleurs relevé une forte corrélation entre les emprunts internationaux et la fuite des capitaux.

Selon N. Hermes et R. Lensink qui ont étudié les fuites de capitaux concernant six pays africains pour la période 1976-1989, pour chaque dollar emprunté par les pouvoirs publics (ou avec leur garantie), 75

à 90 cents seraient réexportés via la fuite des capitaux31. Ce type de constatations est également fait par

d’autres auteurs dans le cas de l’Amérique latine, de l’Asie et de l’ex-bloc soviétique. Sur un plan d’ensemble, rien qu’en l’an 2000, les nouveaux dépôts des capitalistes de la Périphérie

dans les banques du Centre ont atteint 145 milliards de dollars32.

Les détenteurs de capitaux du Sud ont donc placé une partie importante de leurs avoirs sur les places

financières du Nord, sur des comptes numérotés de paradis fiscaux ou ont procédé à des achats de biens immobiliers ou mobiliers (paquets d’actions) au Nord. Si l’on compare le stock de la dette

extérieure des PED à l’égard des banques du Centre aux avoirs que les ressortissants riches de ces

pays détiennent dans ces mêmes banques, le solde donne une image tout à fait différente de celle qui circule généralement.

Afin de réduire les possibilités d’accumulation de biens mal acquis, il faut développer la démocratie, le contrôle citoyen sur les dépenses publiques, un arsenal légal et juridique adéquat (comprenant la levée

du secret bancaire et l’établissement d’un cadastre des fortunes), un contrôle sur les mouvements de capitaux… Les mandataires publics devraient être redevables d’un rapport annuel sur leur état de

fortune. La décision d’emprunter ne devrait pouvoir être prise que suite à un débat parlementaire. Un

audit annuel de l’état de la dette devrait être réalisé par un organisme indépendant. Les créanciers devraient répondre aux questions suivantes : qui a contracté les emprunts ? Quels étaient les termes du

contrat ? Qui a reçu l’argent prêté ? Comment ? Sur quel compte ? Qui du pays endetté détient de

l’argent en dépôt dans les banques créancières ?

Fin des années 1990 – début des années 2000, quelques initiatives positives ont été prises en ce sens suite à des campagnes internationales et au courage tenace de certains magistrats. Plus de 600 millions

de dollars placés dans les banques suisses par le dictateur Ferdinand Marcos (période de la dictature :

1965-1986) ont été gelés (ce n’est qu’une partie du magot accumulé par Marcos), puis rétrocédés aux autorités philippines (Financial Times, 16/07/2003)33. D’autres sommes, certes moins importantes, ont

été également rétrocédées par les banques suisses à des autorités des pays de la Périphérie : par

exemple, en 2002, 67 millions de dollars planqués par Alberto Fujimori, l’ex-président du Pérou, et son âme damnée, chef des services secrets, Montesino.

Parmi les gros dossiers en cours de « négociation », figurent les sommes placées en Suisse, en Grande-Bretagne, au Luxembourg et Liechtenstein par feu le dictateur du Nigeria de 1993 à 1998, le général

Sani Abacha (décédé en juin 1998). Plus de quatre milliards de dollars sont en jeu. Le résumé qui suit 31 « The Magnitude and Determinants of Capital Flight : the case for six sub-saharan African Countries », De Economist 140, cité par Boyce et Ndikumana. 32 BANQUE DES REGLEMENTS INTERNATIONAUX. BRI. 2001. 71ème rapport annuel, p. 125. 33 La procédure a été longue - 17 ans - et complexe. Selon le Financial Times, la somme récupérée par les autorités philippines s’élève à 658 millions de dollars alors que la fortune accumulée par le dictateur Ferdinand Marcos est estimée à au moins 5 milliards de dollars, voire 10 milliards de dollars. La complexité de la procédure tient notamment au fait que la Cour Suprême de justice de la Suisse avait exigé qu’un tribunal philippin statue sur la somme transférée par la Suisse sur un compte bancaire philippin. L’entourage de feu Marcos voulait récupérer l’argent. En juillet 2003, la Cour Suprême de justice philippine a enfin décidé, par 12 voix, 0 contre et une abstention, que l’argent en question avait été acquis de manière illégale par Marcos et devait donc être mis à disposition des autorités philippines.

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montre le degré de complicité des grandes banques internationales ainsi que la responsabilité de la justice et des autorités politiques des pays du Nord afin de rendre justice au peuple nigérian. Selon une

enquête réalisée par le Financial Times en 2000, au moins 15 banques installées à Londres prêtaient à ce moment leur concours à l’entourage du défunt Sani Abacha pour blanchir de l’argent détourné par

celui-ci (FT, 29/09/2002).

Selon Le Monde qui rendait compte d’un rapport confidentiel du Financial Services Authority (FSA), organisme britannique officiel pour le contrôle du secteur bancaire, deux grandes banques françaises

ont activement prêté leur concours au dictateur Abacha. Il s’agit de BNP-Paribas et de Crédit agricole

Indosuez. Selon Le Monde, « Entre février 1997 et janvier 1998, 36 millions de dollars auraient ainsi transité par l’ancienne banque Paribas sous la forme de dix paiements effectués sur un compte en Suisse. Il s’agirait d’ « enveloppes » versées par des entrepreneurs français de groupe de BTP (bâtiments et travaux publics) à l’entourage de l’ancien homme fort. L’ex-Banque nationale de Paris, pour sa part, aurait transféré 7 millions de dollars de Londres à un compte à Genève d’une compagnie-écran de négoce fondée par de hauts dignitaires du régime militaire. Enfin, Crédit agricole Indosuez aurait servi d’intermédiaire dans le versement de 92 millions de dollars liés à un trafic de certificats de la dette nigériane. » (Le Monde, 6/10/2001).

Selon le Financial Times, le rapport confidentiel du FSA mentionné plus haut accusait 23 banques londoniennes d’avoir aidé S. Abacha, pendant la dictature, à mettre à l’abri de l’argent volé pour un

montant de 1 300 millions de dollars. En Suisse, en octobre 1999, sur demande des nouvelles autorités du Nigeria, le procureur général de la République de Genève a fait bloquer 130 comptes bancaires liés

à l’entourage de feu le dictateur : ceux-ci contenaient 645 millions de dollars. En septembre 2000, la

commission publique suisse de contrôle des banques a censuré 14 banques, y compris le Crédit suisse, pour le concours qu’elles ont prêté à S. Abacha. Les autorités bancaires britanniques ont fini par

ordonné en 2001 la mise sous séquestre des comptes d’Abacha dans 19 banques basées à Londres

(parmi lesquelles Barclays Bank, Citibank, Deutsche Bank et Merrill Lynch). Trop tard. On n’a pu retrouver que 30 millions de dollars sur ces comptes. Le dossier des fonds détournés par Abacha est

loin d’être réglé.

Les exemples mentionnés plus haut indiquent qu’il est possible de mener un combat pour récupérer

des biens mal acquis. Mais, s’il n’y a pas un contrôle parlementaire et citoyen actif et strict sur de telles procédures, rien ne garantit que l’argent récupéré sera utilisé directement au profit des

populations qui ont besoin.

21.1.10. Transfert de “ cerveaux ” du Sud vers le Nord

Même si les frontières des pays du Nord se sont progressivement fermées aux citoyens du Sud,

certains pays du Nord, à commencer par les Etats-Unis, favorisent de manière sélective la fuite des cerveaux du Sud (et de l’Est). Des citoyens du Sud (et de l’Est) dotés d’une formation qui a été

réalisée à charge de leurs Etats et d’une expérience professionnelle, sont bienvenus au Nord.

L’ampleur de ce phénomène peut être très importante. Un exemple : le Soudan a perdu une forte proportion de sa main d’œuvre instruite. Rien que pendant l’année 1987, 17% de ses médecins et

dentistes, 20% de ses enseignants universitaires, 30% de ses ingénieurs et 45% de ses géomètres ont

pris la direction du Nord34. De même, il est de notoriété publique que les chiffres concernant le

34 PNUD. 1992. Rapport mondial sur le développement humain, p.63.

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transfert de scientifiques des pays de l’Est vers les Etats-Unis dans les années 1990 sont également impressionnants.

En 2000-2001, on a assisté à une augmentation des transferts de personnel qualifié des pays de la Périphérie vers les pays du Centre : informaticiens, d’une part, et personnel de santé (médecins,

infirmiers…), d’autre part, sont particulièrement recherchés. Par ailleurs, selon une étude citée par la

Banque mondiale dans son rapport Global Development Finance 2003, on estime que plus d’un tiers des personnes dotées d’un diplôme d’enseignement supérieur en Afrique, en Amérique centrale et

dans la Caraïbe a émigré vers les Etats-Unis ou d’autres pays de l’OCDE35.

21.2. Pertes des économies du Sud dues au protectionnisme du Nord 21.2.1. Protectionnisme du Nord à l’égard des produits du Sud

Les restrictions imposées aux flux des marchandises en provenance de la Périphérie du fait des obstacles tarifaires (droits de douane) et non tarifaires (quotas et réglementation sur la qualité des

produits) imposés par les autorités des pays capitalistes du Nord, représentent selon la CNUCED un manque à gagner annuel de plusieurs centaines de milliards de dollars36.

Le taux moyen de protection effective des marchés des pays les plus industrialisés, selon une étude

réalisée par la CNUCED, est deux fois plus élevé à l’égard des pays en développement que des pays industrialisés.

En ce qui concerne les produits agricoles, l’Union européenne (via la Politique agricole commune), les

Etats-Unis et le Japon subventionnent leur production, ce qui permet de réduire l’attrait des importations du Sud. Dans le cas de l’UE et des Etats-Unis, il faut relever qu’ils sont devenus des

exportateurs nets de produits agricoles vers le reste du monde. Les subventions (plus de 360 milliards de dollars en 2002) qu’ils octroient aux producteurs agricoles (surtout à l’agro-business) rendent leurs

produits moins chers sur les marchés du Sud que certaines productions locales37.

La solution ne réside pas dans l’ouverture généralisée des frontières et la baisse des tarifs douaniers. Les propositions avancées par le mouvement international Via Campesina38 devraient inspirer des

propositions alternatives au credo libre-échangiste de l’OMC et des pays les plus industrialisés.

21.2.2. Limitation du droit des citoyens du Sud à chercher du travail au Nord Nous avons vu plus haut que les autorités des pays les plus industrialisés favorisaient la migration

sélective de “cerveaux” du Sud (et de l’Est européen) vers le Nord. Elles adoptent une politique discriminatoire : si elles favorisent la venue de quelques-uns d’entre eux, elles rejettent l’arrivée de la

majorité des personnes du Sud qui voudraient louer leur force de travail dans un des pays de la Triade.

35 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance, p.169. 36 CNUCED. 1999. Rapport sur le commerce et le développement 1999 ; HORMAN, Denis. 2001. Mondialisation excluante, Nouvelles solidarités. Soumettre ou démettre l’OMC, p. 27 ; PNUD. 2000. Rapport du PNUD sur la pauvreté 2000, p.51. 37 KROLL, Jean-Christophe. 2001. « Les Limites du cadre des négociations à l’OMC : pour une régulation institutionnelle efficace des marchés agricoles », p.10. 38 VÍA CAMPESINA. 1998. Soberanía alimentaria: un futuro sin hambre, 1998 ; voir aussi BERTHELOT, Jacques. 2000. « Agriculture, le vrai débat Nord-Sud », Le Monde diplomatique, mars 2000 ; BERTHELOT, Jacques. 2001. «Un Autre modèle pour l’agriculture », Le Monde diplomatique, avril 2001 ; BOVE, José et DUFFOUR, François. 2000. Le Monde n’est pas une marchandise. Des paysans contre la malbouffe ; VIA CAMPESINA. 2002. Une Alternative paysanne.

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248

Le Rapport mondial sur le développement humain du PNUD, édition 1992, mettait clairement en cause les restrictions à la libre circulation des personnes du Sud vers le Nord, restrictions décidées par

les autorités des pays capitalistes industrialisés. Selon le PNUD, une des plus grandes causes de perte de revenus pour le tiers-monde est la restriction

qui vise la force de travail. Les pertes cumulées de rentrées de devises dans les pays du Sud dues à

l’arrêt de l’immigration légale décidée depuis les années 1980 s’élevaient, selon une estimation prudente du PNUD, à 250 milliards de dollars en 199239.

Avec prudence également, le PNUD plaidait dans son rapport de 1992 en faveur d’un retrait des

mesures prises par le Nord pour limiter la circulation des personnes du Sud vers le Nord. Dans le cas où ses recommandations auraient été suivies, le PNUD évaluait à 2% le taux annuel de la main

d’œuvre du tiers-monde qui déciderait d’émigrer. Si ces travailleurs avaient gagné le salaire minimum correspondant au seuil de pauvreté des pays industrialisés (environ 5 000 dollars par an), leurs revenus

annuels auraient atteint un total de 220 milliards de dollars. Ils en auraient alors envoyé entre 40 et 50

milliards dans leurs pays d’origine et le PNUD estimait qu’après cinq années de stabilisation, ces

envois de fonds auraient pu atteindre au moins 200 milliards de dollars par an40. Si cette recommandation du PNUD avait été mise en pratique à partir de 1992, les fonds supplémentaires

envoyés auraient représenté plus de 2.000 milliards de dollars sur la période 1992 – 2002.

Le PNUD fait remarquer avec justesse que ces pertes sont cumulatives étant donné que le coût des

possibilités refusées dans le présent s’accroît avec le temps.

21.3. Stagnation de l’APD et hausse des envois des migrants En 2002, malgré les obstacles draconiens à la liberté de circulation et d’établissement des personnes,

les migrants ont envoyé, vers leur pays d’origine dans la Périphérie, 80 milliards de dollars alors que

l’APD nette octroyée par les Etats atteignait 36,7 milliards de dollars41. Même si l’on prend en compte le total de l’APD qui s’est élevé, selon le Comité d’Aide au Développement de l’OCDE, en 2002, à 57

milliards de dollars, on constate que les migrants ont été largement plus généreux que les gouvernants des pays les plus industrialisés. Le montant total envoyé par les migrants vers les PED est à ce point

important que cela a suscité de nombreuses études au cours des dernières années. Les montants sont

tels qu’ils ont attiré l’attention des banquiers privés, des gouvernements et des institutions comme la Banque mondiale. L’appât du gain est bien présent, nous allons voir pourquoi.

L’aggravation de la crise économique internationale et la détérioration des conditions de vie des populations des PED ont provoqué un renforcement de la solidarité de la part des migrants établis dans

39 PNUD. 1992. Rapport mondial sur le développement humain, p.74. 40 PNUD. 1992. Idem, p.63-64. 41 Exactement 32.853 millions de dollars sous forme de dons et 3.836 millions de dollars de transfert net sur la dette concessionnelle (le transfert net sur la dette concessionnelle est positif grâce aux prêts accordés par l’IDA, membre de la Banque mondiale), soit un total de 36.689 millions de dollars. Calculs de l’auteur sur la base de World Bank, GDF, 2003. Ces montants d’APD reflètent bien peu la réalité des transferts financiers, tant ils surestiment le montant exact de l’aide. En effet, si des sommes inscrites dans l’APD concernent l’envoi dans un pays démuni d’un avion de vivres et de médicaments, seuls les vivres et les médicaments arrivent sur place, tandis que le salaire du pilote, l’affrètement de l’avion, les sommes correspondant à l’achat des vivres à une transnationale agro-alimentaire et des médicaments à un grand laboratoire pharmaceutique restent au Nord. Il faut donc garder en tête que ces montants ne parviennent pas tels quels dans les PED, contrairement aux sommes envoyées par les migrants pour leurs familles restées au pays (même si les intermédiaires du transfert se servent au passage).

Page 264: Thèse EricT VersionDéf 11juin

249

les pays « riches ». Bien que leur situation se soit elle-même dégradée comme résultat de la dépression économique qui touche tous les pays de la Triade, les migrants ont augmenté les sommes qu’ils ont

envoyées vers leur famille. Alors que le total des envois avait été assez stable pendant les années 1997 à 2000 (voir graphique 21.5.), la progression a été très forte en 2001 et 2002 : 20% d’augmentation en

deux ans.

Graphique 21.5. Envoi des migrants des PED vers leur pays d’origine (en milliards de dollars)

0,1

17,7

30,6

52,6

62,7 59,5 64,6 64,5

72,380,0

0

30

60

90

1970 1980 1990 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002

Envoi des migrants des PED vers leur pays d'origine(en milliards de dollars)

Source : Banque mondiale, Global Development finance 2003

Les envois des migrants sont une source de super profits pour les banques. On estime que pour envoyer 72 milliards de dollars vers les PED en 2001, les migrants ont dû payer un lourd tribut aux

banquiers : 12 milliards de dollars. Les banques gardent pour elles entre 7 et 18% du montant envoyé

par les migrants alors que ces mêmes banques crient « à l’assassin » quand on évoque la proposition d’une taxe de 0,1% (type Tobin) sur les transferts financiers en devise.

Les banques des Etats-Unis font des profits très élevés grâce aux « remesas », les envois des immigrés latino-américains vers leurs pays d’origine. En 2001, 28,4 milliards de dollars ont été envoyés par les

migrants aux Etats-Unis vers les PED. Près d’un tiers de la somme a été envoyé vers le Mexique, ce qui a procuré environ 1,5 milliard de dollars de revenus aux banques US. Les auteurs du Global

Development Finance 2003 relèvent qu’il y a un lien de cause à effet entre le rachat en 2001 de la

banque mexicaine Banamex par Citigroup, la principale banque des Etats-Unis (et du monde), et l’importance des bénéfices tirés des envois des migrants mexicains aux Etats-Unis. Je cite : "Les occasions croissantes et rapides de réaliser des affaires avec les envois des migrants dans leur famille d'origine ont provoqué deux importants investissements directs à l'étranger (IDE) au Mexique. Evaluée à 12 milliards et demi de dollars, la prise de contrôle de Banamex par Citigroup en 2001 constitue pour les firmes états-uniennes le plus grand investissement direct à l'étranger au sud de la frontière des Etats-Unis » (Wall Street Journal, 12 décembre 2002). "En décembre 2002, Bank of America a versé 1,6 milliard de dollars à la banque espagnole Santander pour acquérir Serfin”42.

42 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance, p.161.

Page 265: Thèse EricT VersionDéf 11juin

250

Les rentrées de devises dans les PED grâce aux envois des migrants constituent la base d’autres négoces. En août 2001, la Banque du Brésil a émis un emprunt de 300 millions de dollars sur la base

des envois futurs des migrants brésiliens installés au Japon. En s’appuyant sur la certitude de recevoir dans le futur une somme déterminée envoyée par les migrants, des PED ont émis régulièrement des

emprunts internationaux sous forme de titres. Selon S. Ketkar et D. Ratha, spécialistes de la Banque

mondiale en matière de titrisation, outre le Brésil mentionné plus haut, c’est le cas du Salvador, du Mexique, du Panama et de la Turquie. S. Ketkar et D. Ratha encouragent d’autres PED à en faire

autant. Ils estiment que c’est le seul moyen pour certains pays d’Afrique subsaharienne et d’Asie du

Sud d’avoir accès aux marchés financiers (voir sur le site de la Banque mondiale, leur article intitulé « Titrisation de créances futures : un bon outil pour les PED »).

Les rentrées en devises procurées par les migrants ont pris de telles proportions que la Banque

mondiale cherche à proposer le service de ses consultants afin de gérer au mieux ces flux.

Autre enjeu important : les envois des migrants procurent aux pouvoirs publics des PED d’importants

revenus fiscaux. Etant donné que les familles qui reçoivent l’argent des migrants consacrent ce revenu

à satisfaire des besoins de consommation, cela entraîne d’importantes rentrées sous forme d’impôts. Dans le cas du Mexique, une étude conclut que l’équivalent de 15% des envois des migrants rentrent

dans les caisses de l’Etat sous forme de taxe sur la valeur ajoutée.

Enfin si l’on compare le comportement des travailleurs immigrés à celle des capitalistes de la

Périphérie, on relève que pendant que les premiers envoient des sommes considérables dans leur pays d’origine en terme de solidarité, les seconds s’empressent de faire suivre le chemin inverse aux

capitaux qu’ils ont accumulés.

Page 266: Thèse EricT VersionDéf 11juin

251

Chapitre 22

APD et enjeux politiques “ La part des fonds apportés par l’aide (APD) qui reste dans les pays en développement est très faible. Pratiquement, tout l’argent octroyé retourne rapidement aux pays riches sous forme de produits achetés chez eux. ”

Robert McNamara, président de la Banque mondiale, extrait du discours prononcé devant les gouverneurs de la BM, le 30 septembre 19681.

On appelle “aide publique au développement” les dons ou les prêts à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics de l’OCDE réunis dans le Comité d’Aide au

Développement (CAD)2. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime

par le pays bénéficiaire. Les destinataires de l’APD sont désignés par le CAD, tous les PED n’en font

pas partie. Les membres du CAD ont en effet créé une deuxième liste de récipiendaires de l’aide publique... En font partie la plupart des pays d’Europe centrale et orientale, ainsi que d’autres pays

comme Israël, et des colonies telles que la Nouvelle Calédonie, la Polynésie française, les Antilles néerlandaises, les Iles Vierges (Grande-Bretagne)3… L’aide qu’ils reçoivent est appelée « Aide

publique».

L’octroi de l’aide est très souvent “conditionné” par la réduction du déficit public, la privatisation, la

réduction des protections douanières, la suppression du contrôle sur les mouvements de capitaux...

Toutes ces conditions sont définies par les principaux gouvernements du Nord et le couple BM/FMI. Dernièrement, on y a ajouté, de manière rhétorique, la bonne gouvernance et la lutte contre la

pauvreté. Cette aide qui provient entièrement des Etats membres du CAD passe par deux canaux : le premier est

directement administré par les Etats dans le cadre de leur aide bilatérale, le second est géré par les

institutions multilatérales. L’aide bilatérale représente environ deux tiers de l’APD et l’aide multilatérale le reste. Au niveau de l’aide multilatérale, les institutions financières internationales

(groupe Banque mondiale, FMI et Banques régionales de développement) se taillent la part la plus

importante (environ 45%), suivies par le Fonds européen de développement de l’Union européenne (environ 30%), les différentes institutions spécialisées de l’ONU ne représentant que 25%.

1 MCNAMARA, Robert S. 1973. Cien países, Dos mil millones de seres, p.24. 2 Le CAD a été créé au sein de l’OCDE en 1960 sur initiative des Etats-Unis. Les pays qui constituent le CAD sont l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Espagne ; les Etats-Unis, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. La liste des membres reflète bien la composition de la Triade, son noyau dur et l’ensemble des pays capitalistes les plus industrialisés qui gravitent autour... 3 La liste II comprend les territoires suivants : Belarus, Bulgarie, République Tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Russie, Slovaquie, Ukraine, ainsi que les Antilles néerlandaises, Aruba, les Bahamas, les Bermudes, Brunei, les îles Caïmans, la Corée du Sud, Chypre, les Emirats arabes unis, les îles Falklands, Gibraltar, Hongkong, Israël, le Koweït, la Libye, Macao, Malte, la Nouvelle Calédonie, la Polynésie française, Qatar, Singapour, Taiwan et les Iles Vierges (Grande-Bretagne).

Page 267: Thèse EricT VersionDéf 11juin

252

Une petite partie de l’aide bilatérale est attribuée à des ONG des pays membres du CAD qui se chargent de la faire parvenir aux PED. Selon la Banque mondiale, les dons que les ONG destinent aux

populations des pays bénéficiaires de l’APD ont représenté un peu plus de 7 milliards de dollars en 2001 (une partie de cette somme provient des Etats membres du CAD via les subventions publiques

que les ONG reçoivent, l’autre partie est collectée directement par les ONG dans le public et/ou auprès

de fondations privées).

L’APD a diminué en termes réels de plus de 30% entre 1992 et 2000 alors que tous les chefs d’Etat du

Nord présents au Sommet de Rio (1992) s’étaient engagés à l’augmenter de 125 milliards par an, c’est-à-dire à tripler son volume.

Selon nos calculs, le total de l'APD et de l’aide publique nettes octroyées par les pays industrialisés et

les institutions multilatérales à l’ensemble des PED s’est élevé en 2002 à 36,7 milliards de dollars. En

tant que flux entrant dans les PED, c’est une somme nettement inférieure aux envois des migrants (voir graphique 22.1.). D’autre part, si on met dans l’autre plateau de la balance, les sorties de capitaux

dues au transfert net sur la dette (95 milliards en 2002), aux rapatriements de bénéfices par les

transnationales (66 milliards en 2002) et à l’évasion des capitaux (environ 150 milliards en 2002), on peut commencer à mesurer le transfert net de capitaux allant des PED vers le Centre. L’apport net

d’APD représente environ un dixième des sorties de capitaux cette année-là. Et cela, sans compter le pillage pur et simple de certaines richesses naturelles, les effets de la fuite des cerveaux, les pertes

dues au commerce inégal…

Graphique 22.1. Différents transferts financiers entre Nord et Sud en 2002 (en milliards de dollars)

80

37

-66 -95

-100

-50

0

50

100

Transfert net sur la detteBénéfices rapatriés auNord par les

multinationales

APD et AP nettesEnvois des migrants dansleurs pays d'origine

Différents transferts financiers entre Nord et Sud en 2002 (en milliards de dollars)

Graphique réalisé par Damien Millet et Eric Toussaint, sur la base de Banque mondiale, GDF 2003

Page 268: Thèse EricT VersionDéf 11juin

253

APD = aide liée

Poursuivons la critique de l’APD. L’APD bilatérale est en général une “aide liée” : elle implique que l’argent prêté ou donné sera utilisé

pour acheter des produits ou des services exportés par le pays donateur. L’APD multilatérale

n’échappe pas à cette critique car les pays les plus influents au sein des IFI cherchent systématiquement à favoriser les entreprises d’exportation basées dans leur pays. Larry Summers,

alors secrétaire d’Etat au Trésor des Etats-Unis, indiquait dans un communiqué de presse du 13 avril

2000 que les firmes US avaient reçu, dans le cadre des prêts accordés et des investissements réalisés par la Banque mondiale et le FMI, des commandes pour un montant total de 4,8 milliards de dollars au

cours de l’année 1998.

De l’autre côté de l’Atlantique, en France, dans un rapport sur la Banque mondiale et le FMI présenté

à l’Assemblée nationale, on pouvait lire le passage suivant : «Les résultats globaux en matière de taux de retour ou de parts de marchés au profit des entreprises françaises sont bons mais ils cachent d’importantes disparités géographiques et sectorielles. (…) La France est affectée par des facteurs spécifiques qui sont le reflet de la présence commerciale des entreprises françaises : un fort tropisme pour l’Afrique qui contribue largement au résultat global (45% des décaissements de la Banque vers l’Afrique se font en faveur des entreprises françaises) » (Rapport d’information sur les activités et le contrôle du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale », Assemblée nationale, 13

décembre 2000). L’APD est donc en fait une aide des pays industrialisés à leurs entreprises

exportatrices.

L’APD bilatérale peut également contribuer à indemniser des exportateurs du pays « donateur ». Comment est-ce possible ? Pour favoriser les exportations des entreprises de leur pays, les

gouvernements du Nord ont mis en place des agences de crédit à l’exportation (publiques ou privées

mais agissant pour le compte de l’Etat4) qui garantissent aux exportateurs du Centre le paiement de leurs factures en cas de défaut de la part des importateurs de la Périphérie. Une partie non négligeable

de la dette extérieure des PED consiste en dettes couvertes par les agences de crédit à l’exportation.

Selon la campagne Export Credit Agencies Watch (ECA Watch), l’encours de la dette garantie par les agences de crédit à l’exportation représentait, en 1998, 24% de la dette à long terme des PED et 56%

des créances détenues par des organismes officiels (États, organismes multilatéraux…), soit environ 460 milliards de dollars5. Il arrive régulièrement que les gouvernements des pays membres du CAD

utilisent de l’argent de la Coopération au développement en le transférant vers les agences de crédit à

l’exportation qui indemnisent les entreprises exportatrices… Ils justifient ce transfert sous prétexte que cela permet d’alléger la dette extérieure de certains pays. Ils comptabilisent dans l’APD ce transfert

d’une caisse à une autre à l’intérieur d’un pays du Centre. En réalité, il s’agit d’un transfert d’une

caisse publique (en l’occurrence le budget de l’Etat) vers la trésorerie d’une caisse privée (la société exportatrice) via l’agence de crédit à l’exportation. Ce type d’opération est utilisé dans les initiatives

d’allégement de dette. En effet, prenons le cas de la Belgique en tant que pays créancier. Le gouvernement belge inscrit comme dépenses d’APD des dépenses qui servent à indemniser l’agence

4 Aux Etats-Unis, il s’agit de l’Eximbank ; en Allemagne, de Hermès ; en Grande-Bretagne, de l’ECGD ; en France, de la COFACE (privatisée en 1994) ; en Belgique, de l’Office du Ducroire. 5 Voir www.eca-watch.org.

Page 269: Thèse EricT VersionDéf 11juin

254

belge de garantie à l’exportation, qui elle-même a indemnisé des exportateurs belges à qui des pays endettés n’ont pas remboursé leur dette.

L’APD en tant que source d’endettement

La dette extérieure publique des PED résultant de l’APD multilatérale s’élevait à 144,4 milliards de dollars en 2002. La dette extérieure publique des PED résultant directement de l’APD/AP bilatérale

(les prêts concessionnels) représentait alors 243,7 milliards de dollars. Fait très important : entre 1996

et 2002, chaque année, les PED ont remboursé plus au titre des prêts APD/AP bilatéraux que ce qu’ils n’en ont reçu des pays membre du CAD. Selon GDF 2003 de la Banque mondiale, le total s’élève en 7

ans à 22,9 milliards de dollars de transfert net négatif. Graphique 22.2. Transfert net concernant l’APD/AP bilatérale pour les PED

-3,4

-5,4

-3,0

-0,6

-3,9 -3,5

-3,1

-6

-4

-2

0

1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002

Transfert net concernant l'APD/AP bilatérale pour les PED (total : -22,9 milliards de dollars entre 1996 et 2002)

Graphique réalisé par Damien Millet et Eric Toussaint, sur la base de Banque mondiale, GDF 2003

Ce chiffre lève le voile sur une des facettes de l’aide. Via les prêts APD/AP, les pays donateurs

s’enrichissent aux dépens des pays qu’ils sont censés aider6.

L’APD, c’est aussi une liste hétéroclite Depuis le début des années 1970, les pays membres de l’OCDE et du CAD se sont engagés à

consacrer 0,7% de leur PIB à l’APD.

Pour gonfler leurs statistiques, les gouvernements du Nord n’hésitent pas à comptabiliser dans l’APD :

la coopération technique, les allégements de dette (voir plus haut), le coût des bourses octroyées aux résidents des PED qui viennent étudier au Centre, le coût de l’accueil des demandeurs d’asile. Certains

gouvernements comme celui des Etats-Unis y ajoutent des dépenses liées à ce qu’ils appellent la lutte

6 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance, ligne 187 du tableau récapitulatif sur la dette de l’ensemble des PED.

Page 270: Thèse EricT VersionDéf 11juin

255

contre le terrorisme (notamment des dépenses qu’ils ont réalisées dans ce cadre au Pakistan après le 11 septembre 2001 ; par exemple, le renforcement de la sécurité de leur personnel présent sur place).

Plusieurs gouvernements incluent (ou proposent de le faire dans le futur) le coût de leur participation à des opérations de maintien de la paix. En faisant cela, ils comptabilisent des dépenses militaires (envoi

de troupes) dans l’APD. Au niveau de la présentation de leur budget, cela peut leur permettre de faire

croire à une diminution de leur budget défense au profit d’une augmentation de leur budget de coopération au développement (c’est clairement la volonté du gouvernement espagnol d’Aznar). Le

gouvernement Aznar se proposait également en 2002 de comptabiliser dans le futur le montant des

pertes de rentrées d’impôts entraînées par la possibilité qu’ont les donateurs individuels ou institutionnels de décompter, de leurs revenus imposables, les dons qu’ils octroient à certaines ONG.

Malgré cela, plus de trente ans plus tard, on est loin du compte.

Graphique 22.3. APD totale de quelques pays du CAD en % du PIB

0,96

0,82

0,420,36

0,32 0,30 0,28 0,270,23

0,12

0

1

Danemark Pays-Bas Belgique France Suisse Royaume-Uni

Canada Allemagne Japon Etats-Unis

APD totale de quelques pays du CAD en % du PIB(total du CAD : 0,23 % en 2002)

Pour faire face à ce constat d’échec, l’ONU a organisé en mars 2002, à Monterrey (Mexique), une

Conférence sur le financement du développement, où l’on a beaucoup parlé d’APD. Les conclusions

de ce sommet soulignent qu’ «une importante augmentation de l’APD est nécessaire», mais ne reprennent pas l’idée d’un doublement de l’APD (à environ 100 milliards de dollars), proposée par le

Secrétaire général de l’ONU et la BM. Pourtant ce doublement est indispensable pour permettre la

seule réalisation des modestes Objectifs de développement du millénaire (l’un d’entre eux est la réduction de moitié entre 2000 et 2015 de la proportion de personnes vivant dans l’extrême pauvreté).

Les États-Unis ont catégoriquement refusé tout engagement à atteindre le montant de 0,7% du PIB, préférant insister sur les investissements privés, dont chacun sait qu’ils sont surtout avides de profit et

sourds aux besoins sur le plan social. En somme, le Consensus de Monterrey qui s’est dessiné à cette

occasion risque de ne remettre en rien en cause le sinistre Consensus de Washington des années 1980 et 1990.

Page 271: Thèse EricT VersionDéf 11juin

256

L’APD accompagne les grands axes stratégiques de la politique extérieure et intérieure des pays du Centre David Sogge, dans le livre “Give and Take. What’s the matter with foreign aid?” a tenté de présenter

les différents types de motivations qui président à la définition de l’aide publique au développement

du point de vue des gouvernements du Centre7.

Nous reprenons intégralement son tableau :

« Motivations socio-politiques stratégiques - Dans le court terme : A l'étranger, récompenser un client et le maintenir "du bon côté politique" lors de négociations, de guerres ou d'autres crises ; désamorcer la protestation et l'insurrection populaires; fournir une base pour la recherche de renseignements (espionnage) ; influencer les positions adoptées dans des forums internationaux. Dans le pays, récompenser ses mandants ethniques / politiques ou entretenir leur fidélité ; se montrer actif lors d'une crise. - Dans le plus long terme : A l'étranger, obtenir un contact régulier avec les leaders des bénéficiaires de l'aide, et gagner leur fidélité/confiance ; gagner ou améliorer l'acceptation d'une doctrine ou d'un modèle de développement ; renforcer l’influence d'un pays dans le contexte économique ou démographique plus large d'un pays ou d'une région, afin d'arrêter d'éventuels effets indésirables tels que le terrorisme ou la migration ; dans des institutions internationales, établir et mener des programmes économiques et politiques. Dans le pays, consolider le soutien politique de son électorat et des donateurs, surtout ceux du secteur privé, mais aussi ceux reliés par des liens ethniques aux bénéficiaires de l'aide. Motivations commerciales - Dans le court terme : A l'étranger, saisir des opportunités commerciales. Dans le pays, promouvoir les intérêts d'un secteur d'affaires et des emplois connexes ; améliorer la balance des paiements du créditeur / donneur ; s'assurer de la solvabilité des banques de crédit, du privé comme du public. - Dans le plus long terme : A l'étranger, obtenir, développer et protéger des intérêts commerciaux et d'investissement, y compris l'accès aux matières premières et à une main d'œuvre bon marché ; établir et stabiliser les rôles et les hiérarchies économiques entre le Nord et le Sud ; dans les institutions internationales, obtenir que des règles économiques soient établies et respectées. Dans le pays, consolider et protéger les secteurs économiques. Motivations humanitaires et morales - Dans le court terme : Montrer de l'intérêt et de la compassion pour les victimes de guerre, de crises politiques et de catastrophes naturelles. - Dans le plus long terme : A l'étranger, faire preuve de sensibilité à l’égard de la pauvreté, de l'abus des droits humains y compris des droits des femmes ; payer des réparations. Dans le pays, faire preuve de solidarité avec un certain pays ou groupe, pour se parer d'une supériorité morale / occuper une position de supériorité morale.

7 SOGGE, David. 2002. “Give and Take. What’s the matter with foreign aid?”, Zed Books, p. 41-42

Page 272: Thèse EricT VersionDéf 11juin

257

Plus un pays de la Périphérie dépense en armement, plus il reçoit d’aide publique au développement Un des exemples les plus “percutants” du lien entre APD et politique extérieure est celui du commerce

de l’armement.

Plus un pays de la Périphérie achète des armes, plus il reçoit d'aide des pays industrialisés. Les pays industrialisés contrôlent de très loin l'essentiel du commerce mondial des armes. Au cours de la

période 1995-1999, les Etats-Unis ont dominé largement le commerce des armes : ils représentaient

50% des exportations d’armes, suivis de loin par la Fédération de Russie avec 13%, la France, 10%, et la Grande-Bretagne, 6,5%8. Ces puissances économiques disposent d'un secteur public de production

d'armes ou de transnationales très agressives en matière de conquête de marchés. Alors que l'on privatise à tour de bras dans d'autres secteurs, l'industrie d'armement, quant à elle, ne dédaigne pas

d'être “ sous la coupe ” de l'Etat ou, tout au moins, de bénéficier de sa protection. En effet, les

entreprises privées productrices d'armes s'appuient sur la puissance militaire et économique de leur Etat pour trouver acquéreur à leurs engins de mort. Les entreprises US de l’armement sont très

concentrées : sept d’entre elles dominent le marché - Lockheed Martin, Boeing, Raytheon, General

Dynamics, Northrop, TRW, United Technologies -. La principale, Lockheed Martin, premier groupe mondial de production d’armes, a bénéficié de 855 millions de dollars d’aides publiques du

gouvernement des Etats-Unis afin d’absorber Martin Marietta, une autre entreprise nord-américaine d’armement (la somme équivaut presque à la dette totale du Tchad – 7 millions d’habitants).

A ce propos, Claude Serfati fait le commentaire suivant : « Il faut dire que les liens entre les dirigeants des groupes industriels et les responsables politiques américains sont d’autant plus étroits que les premiers financent généreusement les seconds. Lors de la campagne présidentielle de 1996, les records avaient été atteints avec 13,9 millions de dollars versés par les groupes de l’armement, dont 9,1 millions de dollars versés aux Républicains et 4,8 millions de dollars aux démocrates »9. Il indique également que « les cinq premiers groupes reçoivent aujourd’hui 40% des 60 milliards de commandes annuelles du Département de la défense et environ un tiers des 38 milliards de dollars consacrés à la recherche et développement militaire »10.

La part des pays en développement dans les dépenses militaires mondiales s'élève à environ 15%. Sans aucunement justifier celles-ci, cette première constatation est importante car il faut la mettre en rapport

avec la part de la population mondiale (85%) vivant dans ces pays.

Contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les pays du Tiers-monde qui dépensent le plus en armement. En 2001, les dépenses militaires des Etats-Unis (moins de 5% de la population mondiale)

représentaient 36% des dépenses militaires mondiales. Celles du G7 comptent pour 63%. Celles de la Fédération de Russie et de la Chine : 3% chacune11.

Il est significatif que “les pays qui consacrent des sommes élevées au secteur militaire (plus de 4% de leur PNB) se voient attribuer une aide par habitant environ deux fois supérieure à ceux dont les dépenses dans ce domaine sont plus modestes - entre 2 et 4% du PNB”12.

8 SERFATI, Claude. 2001. La Mondialisation armée. Le déséquilibre de la terreur, p. 165. 9 SERFATI, Claude. 2001. Idem, p. 90. 10 SERFATI , Claude. 2001. Ibid., p. 84. 11SERFATI, Claude. 2001. Ibid., p. 86 ; Upstream Journal May/June 2001, p. 9 ; pour les années 1985 et 1996, voir ACHCAR, Gilbert. 1999. La Nouvelle guerre froide, p. 18 – 20. 12 PNUD. 1992. Rapport mondial sur le développement humain, p.46.

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258

Dans son rapport de 1994, le PNUD revient sur le sujet : “ L'aide va plus souvent à des alliés stratégiques qu'aux pays pauvres. (...) Jusqu’en 1986, les pays donateurs ont consenti en moyenne une aide bilatérale cinq fois plus importante aux pays engageant des dépenses militaires élevées qu'aux pays où ces dépenses étaient faibles... ”

“En 1992, les premiers recevaient encore deux fois et demi plus d'aide par habitant que les seconds”13.

Par exemple, Israël qui est un allié stratégique des Etats-Unis au Proche Orient, reçoit en aide américaine par personne pauvre 176 dollars alors que le Bangladesh n’en reçoit que 1,7 dollar.

Les auteurs du rapport 1994 du PNUD mettent le doigt sur la double morale des gouvernants des pays industrialisés : « Certains donateurs arguent qu'une discrimination à l'encontre des pays où les dépenses militaires sont élevées serait une violation de la souveraineté nationale des bénéficiaires - argument surprenant quand on observe que les donateurs ne font pas preuve d'autant de scrupules pour violer la souveraineté nationale dans un grand nombre d'autres domaines de l'action gouvernementale ». Et de citer par exemple, l'exigence faite aux pays qui reçoivent l'aide de cesser de subventionner les denrées alimentaires, de dévaluer leur monnaie, de privatiser leurs entreprises

publiques... Le Rapport poursuit : “Ce contraste a été particulièrement notable pendant la période d'ajustement structurel des années 1980. De nombreux donateurs ont assisté en silence aux coupes claires pratiquées dans les budgets sociaux, alors même que les dépenses militaires continuaient d'augmenter. En Afrique subsaharienne, les dépenses militaires sont passées de 0,7% à 3% du PNB entre 1960 et 1990. Ainsi, certains pays en développement ont préféré équilibrer leur budget en compromettant des vies humaines plutôt qu'en réduisant leurs dépenses d'armement.”

Au début des années 2000, les gouvernements du Nord et leurs industries d'armement ont poussé les

pays de la Périphérie à augmenter leurs commandes d'armes. Simultanément, les dépenses en

armement des pays les plus industrialisés, après avoir connu une baisse entre 1986 et 1997 (entre 1986 et 1994, baisse de 21% aux Etats-Unis contre une réduction de 69% pour les pays de l’ex-Pacte de

Varsovie et la Chine), remontent de manière très significative. Aux Etats-Unis, l’administration Clinton avait amorcé très nettement la hausse ; Bush junior, son successeur, a amplifié le mouvement

notamment en faisant du bouclier anti-missile (Nationale Missile Defense – NMD - et Theater Missile Defense - TMD), un instrument central de la stratégie militaire nord-américaine.

On remarquera que le budget de la défense des Etats-Unis représentait en 2003 à lui seul près du

double de l'ensemble de la dette extérieure de l'Afrique subsaharienne (celle-ci s'élevait à environ 205 milliards de dollars en 2002 pour une population de plus de 600 millions d'habitants).

Les envois des migrants sont supérieurs à l’APD Sur la période 1990 – 2002, on constate une stagnation de l’APD (en termes réels, il s’agit d’une diminution de plus de 30%) et une augmentation des envois des migrants de 160%.

Des régions entières de PED reçoivent beaucoup plus de dons de la part des migrants installés dans les

pays riches que ce qui entre dans le pays via les dons d’APD bilatérale. Selon les données fournies par

la Banque mondiale et le FMI, en 2002, l’Asie du Sud a reçu en dons 4 fois plus de la part des

13 PNUD. 1994. Rapport mondial sur le développement humain, p. 80.

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259

migrants que via l’APD bilatérale. Ce rapport est de 4 pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, 5 pour l’Asie de l’Est et du Pacifique, 8 pour l’Amérique latine et la Caraïbe14.

Graphique 22.4. Comparaison entre les montants envoyés par les migrants et les dons d’APD bilatérale en 2002 (en milliards de dollars)

3,2

25

3,5

16,8

4,2

16

2,1

11

0

9

18

27

Amérique latine etCaraïbes

Afrique du Nord etMoyen-Orient

Asie du Sud Asie de l'Est etPacifique

Comparaison entre les montants envoyés par les migrants et les dons d'APD bilatérale en 2002 (en milliards de dollars)

Dons d'APD bilatérale Envoi des migrants

Si l’on fait un autre calcul, la réalité était encore plus édifiante. Comparons le coût budgétaire déclaré de la partie don de l’APD au coût réel : les trésoreries des Etats de la Triade ont reçu en 2002 deux fois

plus d’argent sous forme de remboursement que ce qu’ils apportaient sous forme de prêts. En 2002, ils

ont prêté 18,8 milliards de dollars aux PED et ceux-ci leur ont remboursé 36,9 milliards. Les trésoreries des Etats de la Triade ont donc engrangé 18,1 milliards de dollars (36,9 – 18,8 = 18,1). La

même année, ces trésoreries ont déboursé sous forme de dons destinés aux PED la somme de 32,9

milliards de dollars15. Ils ont pu financer plus de la moitié de ces dons grâce à l’excédent enregistré plus haut. Coût net de la partie don de l’APD : 14,8 milliards de dollars (32,9 – 18,1 = 14,8)16.

Envois des migrants et APD : exemples des Etats-Unis, de la Belgique et de la Suisse

Les Etats-Unis ont consacré 11,4 milliards de dollars à l’APD (prêts concessionnels + dons) tandis que

les migrants installés chez eux ont envoyé 28,4 milliards de dollars vers les PED.

La Belgique et la Suisse consacrent chaque année à l’APD un peu moins de 1 milliard de dollars chacune (0,9 milliard de dollars en 2001). Dans le même temps, les migrants qui vivent sur leur sol ont

envoyé 16,2 milliards de dollars (8,1 milliards ont été envoyés de Belgique et la même somme a été envoyée de Suisse) vers les PED : 9 fois plus17.

14 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance, p. 201-206. Pour l’Afrique subsaharienne, les données disponibles et fiables concernent trop peu de pays pour être en mesure de donner un rapport « envoi des migrants sur APD » cohérent. 15 Les allégements de dette sont comptabilisés dans ces dons alors qu’aucune somme ne quitte le pays qui octroie cet allégement en direction des pays en développement... 16 Que représente cette somme par rapport au PIB des pays de la Triade ? 14,8 milliards rapportés au PIB de la Triade qui s’élève à environ 27.000 milliards, cela fait moins de 0,07%. Rappelons que les pays riches se sont engagés à consacrer 0,7% de leur PIB à l’APD. On considère qu’en général, les migrants envoient de 10% à 20% de leur revenu à leur famille restée dans le pays d’origine. Générosité des humbles, avarice et cupidité des nantis. 17 BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance, p. 160 et 199.

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260

Partie 3

Etude de cas

Page 276: Thèse EricT VersionDéf 11juin

261

Chapitre 23

Etude de cas

La crise du Sud Est asiatique En 1997, une gigantesque crise économique et financière a explosé en Asie du Sud-Est. La Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et les Philippines avaient pourtant été citées auparavant par le FMI, la Banque mondiale et les banques privées comme des modèles à suivre. Ce chapitre indique les causes de la crise en insistant sur le fait que ces pays conservaient des caractéristiques de la Périphérie et que le maintien de leur croissance dépendait de facteurs externes qu’ils ne contrôlaient pas. Le FMI n’a pas vu venir cette crise financière. Les gouvernements des pays frappés par la crise, à l’exception notable du gouvernement malais, ont accepté d’être mis sous la tutelle (et donc sous ajustement) du FMI et de la BM (et derrière eux, celle du G7 à commencer par les Etats-Unis). La crise a également frappé brutalement la Corée du Sud à partir de novembre 1997. Elle avait appliqué une politique libérale telle que prônée par le FMI. Le chapitre développe les causes de cette crise. La Chine, l’Inde et le Pakistan ont été relativement épargnés car ils n’ont pas ouvert leur économie autant que le souhaitaient les IFI. Un objectif important semble avoir été atteint par le biais de cette crise : celui d’empêcher les nouveaux pays industrialisés (NPI) d’Asie de poursuivre leur processus d’industrialisation original. Durant la guerre froide, le fait que la Corée du Sud, la Malaisie, l’Indonésie occupaient une position stratégique face à l’ennemi « socialiste » avait amené les Etats-Unis à laisser pratiquer un fort interventionnisme d’Etat. Le cycle de développement rapide et partiellement autonome des pays nouvellement industrialisés d’Asie de l’Est et du Sud-Est semble bel et bien clos. Cependant, dans les années qui ont suivi la crise, plusieurs facteurs ont fait naître chez certains gouvernements de la région l’envie de reprendre leur distance par rapport aux institutions de Bretton Woods et au gouvernement des Etats-Unis. La crise qui a secoué l’Asie de l’Est et du Sud-Est en 1997-1998 a des effets durables au niveau

régional et international. La région en est considérablement affaiblie. Présentée jusqu’en 1997 par les

économistes « mainstream » comme le modèle à suivre par les pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Europe orientale, la région a rejoint le reste des pays de la Périphérie dans la crise de la dette et

l’ajustement structurel. A la faveur de la crise, les transnationales des pays les plus industrialisés, celles des Etats-Unis et d’Europe occidentale en premier lieu, encouragées par le FMI et la BM, y ont

acquis de nombreuses entreprises non sans imposer des conditions d’exploitation plus dures à leurs

travailleurs. Par ailleurs, des projets industriels nationaux ont dû être abandonnés telle la réalisation d’une voiture nationale et d’un avion de transport civil par l’Indonésie.

La Corée du Sud qui, jusque là, n‘avait pas été mise sous ajustement structurel a accepté les

conditionnalités fixées par le FMI. Dans la région, seule la Malaisie a refusé celles-ci. Comme l’a indiqué Joseph Stiglitz après avoir quitté son poste d’économiste en chef de la Banque mondiale :

« Tout ce que le FMI a fait, c’est rendre la récession en Asie de l’Est plus profonde, plus dure et plus longue »1.

Le cycle de développement rapide et partiellement autonome des pays nouvellement industrialisés d’Asie de l’Est et du Sud-Est semble bel et bien clos. Néanmoins en 2003, les signes de résistance de

la part de certains gouvernements n’ont pas manqué. La Chine rechignait à appliquer entièrement les

politiques voulues par la Triade en général et les Etats-Unis en particulier. Les autorités chinoises maintenaient un contrôle ferme sur les mouvements de capitaux, sur la monnaie (le renminbi n’est pas

convertible) et sur les investissements. La Malaisie s’enorgueillissait d’avoir tenu tête au FMI et aux Etats-Unis. Le premier ministre de la Thaïlande, Thaksin Shinawatra, mettait en œuvre une politique

1 In The New Republic, 17 avril 2000.

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262

d’intervention publique très forte qui était critiquée par les institutions de Bretton Woods. De plus, en août 2003, il avait annoncé avec fierté que la Thaïlande reprenait son entière liberté par rapport au

FMI après avoir effectué de manière anticipée le solde de ce qu’elle lui avait emprunté au cours de la crise 1997-1998. De leur côté, les autorités indonésiennes affichaient l’intention de faire la même

chose que la Thaïlande. Cette succession de signaux clairs de la volonté de retrouver une certaine

autonomie est une réaction aux effets dramatiques de la crise de 1997-1998 et des politiques dictées à partir de Washington.

En trois ans (1998-1999-2000), les pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est (Chine comprise) ont remboursé à leurs créanciers étrangers la somme astronomique de 291 milliards de dollars. Pendant la même

période, le transfert net négatif s’est élevé à 150 milliards de dollars. Alors que ces pays avaient besoin de cette somme pour relancer leur économie, les gouvernements en place et les institutions de Bretton

Woods ont décidé de la transférer aux créanciers internationaux bien qu’ils aient une grande part de

responsabilité dans l’éclatement de la crise. En fait, les banques et les autres institutions financières privées des pays les plus industrialisés ont cessé de prêter et se sont fait rembourser rubis sur l'ongle

les emprunts antérieurs. Les gouvernements des pays endettés ont nationalisé une grande partie des

dettes des entreprises privées : ce sont les peuples de la région qui ont payé la facture du sauvetage du secteur privé. Le coût de ce sauvetage s’est élevé à 59 milliards de dollars en Corée et à 90 milliards

en Indonésie. La crise a été gérée d’une manière telle (c’est-à-dire au profit du capital international et des capitalistes locaux) que le coût social a été énorme.

L’instabilité financière et boursière internationale a fortement augmenté avec la crise asiatique. D’où vient cette crise et quelles en ont été les étapes?

23.1. Echec et mat pour les quatre « tigres » d’Asie

En 1997, une gigantesque crise économique et financière a explosé en Asie du Sud-Est. Initiée en Thaïlande dès février 1997, elle s’est étendue, à partir de juillet 1997, à la Malaisie, à l’Indonésie et

aux Philippines. Ces quatre pays, cités auparavant par le FMI, la Banque mondiale et les banques

privées comme des modèles à suivre en raison de leur grand degré d’ouverture au marché mondial, de leur faible taux d’inflation et de leur taux de croissance élevé, constituent les quatre « tigres »

asiatiques lancés à la poursuite des quatre « dragons » (Corée, Taïwan, Hongkong, Singapour). Après les avoir encensés, les institutions précitées les critiquent pour avoir laissé trop de pouvoir aux mains

de l’Etat ; un Etat qui, par ailleurs, aurait accepté à tort que les institutions financières et industrielles

privées s’endettent démesurément et spéculent.

Entre 1990 et 1997, l’endettement extérieur des quatre « tigres » a très fortement augmenté (50%

d’augmentation aux Philippines, plus de 100% pour les autres) comme l’indique le tableau 23.1. qui présente l’évolution de la dette extérieure des principaux PED endettés d’Asie (les quatre « tigres »

figurent en italique dans le tableau). L’augmentation est aussi très marquée pour la Corée du Sud et la Chine tandis qu’elle est plus lente pour l’Inde, le Pakistan, le Vietnam, le Bangladesh et le Sri Lanka.

Page 278: Thèse EricT VersionDéf 11juin

263

Tableau 23.1. Evolution de la dette extérieure des principaux PED endettés d'Asie

(en milliard de dollars) 1970 1980 1990 1995 1997 1999 Chine n.d. (*) n.d. (*) 55,3 118,1 146,7 154,2Indonésie 4,5 20,9 69,9 124,4 136,2 150,1Corée n.d. (*) n.d. (*) 31,7 127,5 159,2 136,4Thaïlande 1,0 8,3 28,2 100,1 109,7 96,3Inde 8,4 20,7 83,7 94,5 94,3 94,4Philippines 2,2 17,4 30,6 37,8 45,7 52,0Malaisie 0,5 6,6 15,3 34,3 47,2 45,9Pakistan 3,4 9,9 20,7 30,2 30,1 34,3Vietnam n.d. (*) n.d. (*) 23,3 25,4 21,8 23,3Bangladesh n.d. (*) 4,2 12,8 16,3 15,1 17,5Sri Lanka 0,4 1,8 5,9 8,2 7,7 9,5sous-total 377,2 716,9 813,7 814,0(*) n.d. = non disponible Source: World Bank, GDF 2001

La crise qui a touché les quatre « tigres » de plein fouet en 1997 a entraîné un problème de paiement de dettes car les attaques spéculatives lancées contre leurs monnaies ont abouti à une dévaluation de

celles-ci et, simultanément, les lignes de crédit ouvertes par les banques internationales se sont

subitement fermées.

La croissance des « tigres » (Thaïlande, 60 millions d’habitants ; Indonésie, 203 millions ; Philippines, 73 millions ; Malaisie, 20 millions) était en fait soutenue par des apports de capitaux extérieurs, par

des importations de biens et par de bas salaires. Cela a provoqué rapidement un double effet négatif :

une forte croissance de la dette extérieure (contractée essentiellement auprès des marchés financiers sous la forme de prêts à court terme) et un déficit croissant sur le plan commercial. Les importations

en effet ont systématiquement été supérieures aux exportations. En d’autres termes, la productivité de

ces pays est restée structurellement inférieure à celle des pays industrialisés avec lesquels ces économies échangent. Bref, les quatre « tigres » ont gardé fondamentalement les caractéristiques

d’économies du Tiers-monde et subissent en conséquence les effets de l’échange inégal : le prix relatif de leurs exportations est inférieur au prix relatif des biens qu’ils doivent importer pour soutenir leur

effort de croissance et pour satisfaire les besoins de consommation des couches enrichies de la

population. Seules ces dernières ont le pouvoir d’achat suffisant pour se payer des biens de consommation durables de haute qualité. Une grande partie de la population est restée à l’écart de la

croissance ce qui explique le constat suivant : malgré une augmentation du revenu national, l’écart

entre riches et pauvres à l’intérieur des pays concernés a augmenté. Avec la crise, les plus riches ont continué à s’enrichir tandis que la grande masse de la population, y compris la majorité des classes

moyennes, a vu ses revenus chuter de manière drastique. Cela ne peut qu’accentuer les traits caractéristiques d’une économie « sous-développée ».

La Thaïlande a été le premier pays à basculer dans la crise parce que sa monnaie était en parité fixe avec le dollar (ce n’était pas le cas des trois autres « tigres »). Le dollar s’étant fortement apprécié, le

bath thaïlandais a suivi, ce qui a rendu les exportations thaïlandaises beaucoup moins compétitives et a

provoqué une fuite des capitaux. La Thaïlande a ensuite entraîné les trois autres « tigres « dans sa chute.

Page 279: Thèse EricT VersionDéf 11juin

264

La Thaïlande est devenue le septième pays du Tiers-monde le plus endetté (en chiffre absolu) se plaçant juste derrière le Brésil (170 millions d’habitants), le Mexique (90 millions d’habitants), la

Chine (1 200 millions d’habitants), l’Indonésie (203 millions d’habitants), l’Argentine (30 millions d’habitants) et la Corée du Sud (45 millions d’habitants).

23.2. La crise boursière internationale de 1997 La crise ne s’est pas limitée aux quatre « tigres ». En octobre 1997, elle a touché de plein fouet

Hongkong et a commencé à déstabiliser la Corée. Elle a renforcé la situation de crise économique que

traverse le Japon. Fin octobre - début novembre, toutes les bourses du monde ont été ébranlées. Les grands détenteurs de capitaux que sont les fonds de pension, les mutual funds, les assurances et les

banques, ont été effrayés par l’instabilité monétaire et boursière (instabilité dont ils étaient largement responsables) ; ils ont amplifié le mouvement en vendant une partie de leurs actions pour conserver

leurs avoirs sous forme de liquidités ou pour acheter des obligations d’Etat des pays les plus

industrialisés, obligations considérées plus sûres même si leur rendement a immédiatement baissé étant donné le nombre très élevé de « zinzins » qui se sont portés acquéreurs de celles-ci. La fuite des

capitaux hors du Sud-Est asiatique a été initiée début 1997 ; son ampleur a obligé les autorités des

quatre « tigres » à dévaluer leur monnaie par rapport au dollar à partir de juillet 1997. Le déplacement des capitaux a fini par toucher Hongkong, principale place boursière du Tiers-monde (sixième place

boursière mondiale). Les bourgeoisies latino-américaines qui avaient cru pouvoir attirer de manière durable une grande partie de ces capitaux en migration, ont subi un échec cinglant : les bourses de

Mexico, Sao Paulo et Buenos Aires, les trois principales places du continent, ont connu un véritable

krach le lundi 27 octobre. Le mouvement est devenu incontrôlable : toutes les bourses ont plongé les 27 ou 28 octobre 1997. A noter que pour les quatre « tigres », l’effet combiné de la forte dévaluation

de leur monnaie et des prêts d’urgence accordés par le couple FMI/BM, les autres institutions financières et certains Etats, a augmenté fortement le poids de leur endettement extérieur. Le fait que

les deux agences américaines de notation Moody’s et Standard and Poor’s aient augmenté le risque-

pays pour les quatre « tigres » et la Corée a obligé ceux-ci à verser des taux d’intérêt très élevés pour obtenir des prêts à court terme leur permettant de rembourser leurs dettes.

Le FMI s’était juré de ne plus être pris au dépourvu par une crise financière se manifestant notamment par des départs massifs de capitaux d’un pays donné. Après la crise mexicaine de 1994, le FMI avait

déclaré qu’il avait mis en place un système de surveillance des économies nationales permettant d’éviter la répétition d’un scénario à la mexicaine et pourtant, celui-ci s’est reproduit. La lecture du

Rapport annuel du conseil d’administration (CA) du FMI pour l’exercice clos le 30 avril 1997 (rédigé

pendant l’été 1997 alors que la crise du Sud-Est asiatique prenait de l’ampleur et publié en septembre 1997) est édifiante à plusieurs points de vue. Le CA du FMI se berce d’illusions quant à sa capacité

d’identifier à temps les prémices des crises : « Les administrateurs notent que des progrès constants ont été accomplis, particulièrement en ce qui concerne l’aptitude du FMI à déceler à un stade précoce l’apparition des tensions financières »2. La réalité a démenti très vite ces propos teintés

d’autosatisfaction. Le FMI n’a pas vu venir l’énorme crise financière qui a secoué les quatre « tigres ». Plus grave, dans son rapport sur les perspectives économiques mondiales (World Economic Outlook)

écrit pendant l’automne 1997, le FMI ne prévoit pas la crise qui a commencé à ébranler, à partir de

novembre 1997, la Corée, onzième puissance économique mondiale.

2 FMI-IMF. 1997. Rapport annuel 1997, p.36.

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265

Michel Camdessus, directeur du FMI à l’époque, a modifié systématiquement les explications qu’il a

données des événements. Après avoir reconnu dans une conférence de presse donnée le 18 décembre 1997 au siège du FMI que celui-ci avait sous-estimé à la fois le danger de crise et l’ampleur de celle-

ci, il a affirmé à Bruxelles le 21 janvier 1998 qu’il rejetait la responsabilité de la crise sur les autorités

des pays secoués par la tempête financière. Il leur a reproché de ne pas avoir écouté les avertissements que le FMI leur lançait. De manière péremptoire, il a ajouté : « Si nous avions pu opérer six mois plus tôt, vous n’auriez pas entendu parler de la crise en Corée » (Le Soir, 22 janvier 1998). Deux ans plus

tard, alors qu’il avait démissionné avant la fin de son mandat, Camdessus persistait dans la forfanterie : « La réponse du FMI à la crise asiatique a rencontré un formidable succès non seulement en Corée et en Thaïlande mais aussi en Indonésie » (in Bangkok Post, 24 septembre 2000).

23.3. Le FMI à propos des « tigres » asiatiques Il peut être utile de rappeler que le FMI comme la BM avaient érigé les quatre « tigres » en modèles à

suivre pour tous les pays du Tiers-monde, voire les pays de l’Est, depuis les années 1980. Cette attitude a été maintenue jusqu’au début de la crise.

En ce qui concerne la Thaïlande, le rapport annuel 1997 comprend le compte-rendu d’une réunion de

travail entre le FMI et les autorités thaïlandaises qui s’est déroulée en 1996. Selon le rapport, la dette extérieure a fortement augmenté entre 1991 et 1995, passant de 39% à 49,5% du PIB (facteur

aggravant : la moitié de la dette extérieure est remboursable à court terme, soit avec des taux d’intérêt

élevés), et le caractère déficitaire de la balance commerciale s’est fortement accentué. Le FMI cite encore d’autres éléments inquiétants. Néanmoins, on trouve le jugement suivant : « Les administrateurs ont vivement loué les remarquables résultats économiques de la Thaïlande et l’application persévérante de bonnes politiques macro-économiques par les autorités. Ils ont noté que les politiques financières avaient été affermies en 1995, en réaction à l’élargissement du déficit des transactions courantes et au regain de l’inflation, et que ces mesures avaient commencé à porter leurs fruits, mais ils ont mis en garde les autorités contre toute complaisance »3.

Les félicitations du FMI vont aussi aux autorités indonésiennes : « Les administrateurs ont félicité les autorités pour les résultats économiques de l’Indonésie au cours des dernières années, en particulier la réduction appréciable de la pauvreté et l’amélioration de nombreux indicateurs sociaux »4. Plus loin dans le Rapport, les administrateurs du FMI complimentent les autorités indonésiennes pour

« l’importance accordée au maintien de la libre circulation des capitaux »5 alors que, un peu avant, ils

en notaient eux-mêmes les dangers : « de fortes entrées de capitaux ont posé d’importants défis pour les pouvoirs publics »6. Ils poursuivent leur analyse en exprimant des louanges aux autorités, laissant

entendre que celles-ci étaient à même de maîtriser la situation : « La souplesse avec laquelle les autorités ont adapté le dosage des mesures économiques en fonction de l’évolution de la situation a été l’un des ingrédients de leur réussite et demeurera un atout essentiel pour relever ces défis »7.

3 FMI-IMF. 1997. Rapport annuel 1997, p.101. 4 Idem, p.90. 5 Ibid., p.91. 6 Ibid., p.90. 7 Ibid., p.90.

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266

En ce qui concerne la Malaisie, le rapport contient le passage suivant : « Les administrateurs ont félicité les autorités des remarquables résultats économiques que la Malaisie continue d’enregistrer, et qui se sont marqués par une robuste croissance orientée vers l’extérieur, une faible inflation et des progrès notables sur le plan social, dans la réduction de la pauvreté et l’amélioration de la répartition des revenus. La poursuite d’une gestion macro-économique prudente et des réformes structurelles de vaste portée ont renforcé ces résultats »8.

Quelque temps plus tard, une fois la crise enclenchée, ces autorités thaïlandaises, indonésiennes et

malaises devenaient la cible des critiques du FMI et des chantres du néo-libéralisme. Le Premier ministre malais a particulièrement énervé le FMI pour plusieurs raisons : la dénonciation qu’il fit, à

partir de la deuxième moitié de juillet 97, du rôle criminel des grands groupes financiers spéculateurs ; ses critiques au FMI et le refus de son aide ; la visite qu’il a rendue à Fidel Castro en septembre 1997 ;

la réunion dans la capitale malaise à l’automne 97 du G15, comprenant les principaux pays du Tiers-

monde, afin de tenter (sans succès, hélas) de mettre sous pression les gouvernants des pays les plus industrialisés.

Parmi les causes fondamentales de la crise qui frappe les quatre « tigres », nous avons mentionné que le haut taux de croissance antérieur était basé sur un fort apport extérieur de capitaux ainsi que sur des

importations qui dépassaient systématiquement en valeur les exportations. D’où un déficit grandissant des transactions courantes qui a été aggravé par l’appréciation du dollar en 1996-1997. La politique de

bas salaires pour attirer les investissements étrangers combinée à des taux d’intérêt relativement élevés

pour attirer les capitaux volatils a eu comme désavantage un marché intérieur déformé (où seule une petite minorité riche bénéficie d’un niveau élevé de consommation) et un développement spectaculaire

d’investissements spéculatifs notamment dans l’immobilier. Les entreprises financières ou

industrielles des quatre « tigres » se sont toutes lourdement endettées pour financer de grands projets de développement et pour réaliser des placements spéculatifs. Les banques et maisons de courtage

locales ont accepté de réaliser des prêts massifs sans exiger de garanties suffisantes de leurs débiteurs. Quand l’avant-garde des financiers spéculateurs internationaux et locaux a jugé que les autorités

seraient incapables de défendre leurs monnaies, ils ont donné l’assaut en commençant par le bath

thaïlandais. Les premières attaques ayant porté leurs fruits, les gros bataillons des « zinzins » ont amplifié le mouvement, les capitalistes locaux qui le pouvaient n’ont pas été les derniers à acheter des

dollars et à placer leurs capitaux sous de meilleurs cieux.

23.4. Le FMI et la crise coréenne La crise a frappé brutalement la Corée du Sud à partir de novembre 1997. Le FMI dans son bulletin

semestriel d’octobre 1997 censé prévoir l’avenir économique pour les deux années qui suivent,

n’envisageait nullement la crise qui allait s'abattre quelques jours plus tard sur la onzième puissance économique mondiale.

Après coup, le FMI, comme maints chroniqueurs et une armée d’économistes, bref, 99% des néo-libéraux qui avaient chanté les louanges de la Corée jusqu’en 1996, ont subitement changé d’opinion :

le système coréen implique une trop grande interpénétration entre personnel de l’appareil d’Etat,

établissements financiers et groupes industriels. Les deux dernières entités citées constituent

8 Ibid., p.97.

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d’énormes conglomérats, les chaebols, qui financent les dirigeants politiques pour qu’ils les laissent gérer des privilèges économiques éhontés.

Les néo-libéraux reprochent également à la Corée le maintien supposé d’un protectionnisme pur et dur, un secteur public trop puissant et une protection des travailleurs trop favorable.

Est-il vrai que le régime coréen refusait les réformes libérales ? Certainement pas. Pour preuve, le rapport de la mission envoyée sur place par le FMI en novembre 1996 et le procès-verbal qui en a

résulté à la suite d’un débat entre dirigeants du FMI. En voici des extraits.

1) De la suppression des barrières douanières ou d’autres formes de limites aux importations :

« Depuis 1994, les autorités ont progressivement démantelé les obstacles à l’importation et réduit les droits de douane conformément à l’accord de l’Uruguay Round. L’octroi de licences d’importation est désormais automatique sauf pour un petit nombre de produits risquant de menacer la santé ou la sécurité publique »9. 2) De la privatisation : « Au cours des dix dernières années, les autorités ont partiellement appliqué deux programmes de privatisation des entreprises publiques. Le programme mis en place en décembre 1993 prévoyait, pendant la période 1994-1998, la privatisation de 58 des 133 entreprises publiques. Au milieu de 1996, 16 entreprises avaient été privatisées »10. 3) De la libéralisation des mouvements de capitaux : « Les administrateurs se sont aussi félicités de la libéralisation récente des mouvements de capitaux. Bien que quelques administrateurs aient souscrit à la démarche progressive en ce domaine, un certain nombre d’autres estiment qu’une libéralisation rapide et intégrale offre de nombreux avantages au stade de développement économique où se trouve la Corée ».

En conclusion de son rapport sur la Corée, « le conseil d’administration s’est félicité de l’élargissement des réformes structurelles, notamment des réformes du marché du travail et des privatisations. Ces réformes devraient favoriser les gains de productivité et assurer durablement la compétitivité de l’économie coréenne »11. Enfin, dès le début de l’année 1997, les administrateurs du FMI avaient soutenu la volonté des autorités coréennes de modifier le code du travail de manière à

simplifier la procédure de licenciement.

23.5. Quelles sont les causes de la crise coréenne ? La Corée a connu un développement industriel incomparablement plus développé et plus ancien que

les quatre « tigres » lancés à sa poursuite. Certaines transnationales coréennes avaient même réussi à

concurrencer les puissantes firmes des pays les plus industrialisés dans différents domaines (semi-conducteurs dans le domaine de l’informatique, automobile, chantiers navals, équipement industriel).

La Corée a constamment gagné des parts de marché sur le plan mondial jusqu’en 1996. Son modèle de

développement était cependant à maints égards l’antithèse du modèle néo-libéral. Il a combiné réforme agraire profonde dans les années 1950, industrialisation stimulée et protégée par l’Etat, dictature

militaire et répression du mouvement syndical suivie d’une politique de fortes concessions face aux puissantes mobilisations des travailleurs (après leurs collègues japonais, les travailleurs coréens ont les

salaires les plus élevés d’Asie).

9 FMI-IMF. 1997. Rapport annuel 1997, p.60. 10 Idem, p.61. 11 Ibid. p.60.

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Les causes de la crise coréenne sont de trois ordres : 1. Une dégradation des termes de l’échange entre la valeur relative de ses exportations et la valeur de

ses importations. En 1996-1997, les exportations coréennes ont progressé de 37% en volume mais elles n’ont rapporté que 5% de recettes supplémentaires. La valeur en dollars des exportations

coréennes a chuté approximativement de 15% en 1996 et de 12% en 1997. Cette chute est due en

partie à la faiblesse de la monnaie japonaise qui a rendu les exportations nippones plus compétitives. La Corée a également subi la concurrence de la Chine et des quatre « tigres » qui appuyaient leur

compétitivité sur une politique de bas salaires. Enfin, la Corée qui s’était spécialisée dans la

production et l’exportation de semi-conducteurs a été touchée de plein fouet par la chute de leur prix. 2. Une dépendance accrue à l’égard de l’afflux récent tout autant que massif de capitaux étrangers sous

la forme la plus volatile : les investissements de portefeuille et les prêts à court terme. Pour éponger leurs pertes au niveau des exportations, les entreprises coréennes se sont lancées dans des emprunts

massifs à court terme misant sur une relance économique qui n’est pas venue.

3. L’échec des patrons coréens dans leur effort de faire payer aux travailleurs les pertes subies sur les marchés extérieurs. Les patrons ont tenté de s’attaquer aux travailleurs de l’industrie (dont les salaires

avaient augmenté au rythme annuel de 16% entre 1987 et 1996 – Financial Times, 9 janvier 1997) en

obtenant du gouvernement qu’il révise le code du travail à la sauvette fin décembre 1996 (l’opposition n’a pas participé au vote au parlement). Cela avait provoqué une grève générale semi victorieuse au

sens où les travailleurs avaient obtenu un moratoire de deux ans sur la question des licenciements.

La contagion de la crise du Sud-Est asiatique, la poursuite de la montée du dollar et de la dépréciation

du yen, le départ massif des capitaux volatils de Corée (qui avait commencé progressivement au printemps 1997) ont fait basculer la onzième puissance économique mondiale dans une crise très grave

et l’ont poussée dans les bras du FMI et des Etats-Unis. La bourse de Séoul a chuté de 67% entre le 11

août et le 17 décembre 1997, la monnaie coréenne a perdu 96,5% de sa valeur face au dollar entre le 2 juillet 1997 et le 8 janvier 1998.

23.6. La Chine La Chine a maintenu un contrôle étatique sur les mouvements de capitaux et sur le commerce

extérieur. Sa monnaie, le renminbi, est restée inconvertible, ce qui la met à l’abri de la spéculation.

Ces mécanismes de protection combinés à l’attraction que son économie exerce sur les investissements étrangers lui ont permis de rester à l’abri des effets les plus graves de la crise.

Cela ne fait pas de la Chine une alternative pour autant. Son régime politique antidémocratique et un modèle économique qui implique une très forte accentuation de l’inégalité dans la distribution des

revenus et de la fortune ne peuvent représenter aux yeux des populations de la région une voie

alternative à celle empruntée par ses voisins. La transformation capitaliste de la Chine qui est en cours prend des formes très agressives : surexploitation des travailleurs, enrichissement fulgurant de

nouveaux capitalistes, développement des activités criminelles liées à l’accumulation capitaliste.

23.7. L’Inde et le Pakistan ont été relativement épargnés par la crise financière grâce à leur protectionnisme

Dans son rapport 1997, le FMI s’était félicité de la mondialisation : « Les administrateurs se sont accordés à dire que la mondialisation a apporté une contribution à la prospérité mondiale » et a mis

en garde (une fois de plus) les gouvernements qui, comme celui de l’Inde ou du Pakistan, tenteraient

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de limiter les mouvements de capitaux et de protéger partiellement leur économie : « La menace d’une marginalisation pèse de plus en plus lourdement sur ceux qui résistent à la mondialisation »12.

Cette affirmation est, elle aussi, battue en brèche par la réalité : l’Inde et le Pakistan, les deux

mastodontes de l’Asie du Sud, n’ont pas été fortement touchés par le cataclysme qui a secoué l’Asie

du Sud-Est et de l’Est. Bien que le Pakistan et l’Inde soient en difficulté économique (le service de la dette extérieure du Pakistan représente 40% des dépenses publiques), leur lenteur relative à entrer dans

la mondialisation les a protégés de la contagion spéculative. Loin de leur porter préjudice, le maintien

de barrières protectionnistes et d’un contrôle sur les mouvements de capitaux, ainsi que le rythme plus lent des privatisations, ont constitué un bouclier protecteur face au danger de contagion de la crise du

Sud Est asiatique. L’orientation de plus en plus néolibérale prise depuis par les régimes au pouvoir dans ces

pays (accélération des privatisations, ouverture plus grande de leur marché, augmentation des

dépenses militaires) réduit progressivement la capacité de l’Inde et du Pakistan à résister à de futures crises.

23.8. Le Japon et les Etats-Unis

La crise japonaise est d’une telle ampleur que les capitalistes et les autorités nippones n’ont pas été en mesure d’être à l’offensive pour tenter de stabiliser la situation en 1997-1998. Ce sont les Etats-Unis

et, derrière eux, le FMI qui ont pris la situation en main. En 1997, en pleine crise, les Etats-Unis ont torpillé la volonté des pays d’Asie de l’Est de mettre en place un Fonds monétaire asiatique qui aurait

pu tenter d’amortir la crise sans avoir recours à l’intervention exclusive du FMI.

23.9. La Malaisie Les autorités de la Malaisie se sont singularisées dans la manière de réagir à la crise. La Malaisie est le

seul pays à avoir refusé dès l’éclatement de la crise en 1997, le « plan de sauvetage » concocté par le FMI. Bien lui en a pris : cela lui a permis d’échapper aux conditionnalités funestes acceptées par les

trois autres « tigres » ainsi que par la Corée. Un an après l’éclatement de la crise, alors que sa

monnaie, le ringgit, faisait encore l’objet d’attaques spéculatives principalement à partir du marché offshore de Singapour, la Malaisie a instauré en septembre 1998 un strict contrôle sur les mouvements

de capitaux et sur les changes. « Les autorités ont décidé d’assécher le marché de Singapour en déclarant illégales les opérations offshore sur le ringgit. (…) A partir de septembre 1998, les autorités ont adopté une série de mesures pour interdire aux banques malaises de prêter à des banques et agents de change non résidents ou de conclure des swaps avec des non-résidents, afin d’éliminer la détention d’avoirs en ringgit par des non-résidents à l’étranger »13. Cela a provoqué l’ire du FMI et

de la finance internationale qui ont craint que d’autres gouvernements en face autant. Les résultats sont

là : l’économie malaise s’est redressée plus vite et mieux que celles des autres pays touchés par la crise. Cela a provoqué des débats jusqu’au sein de la direction du FMI : on trouve une trace de ceux-ci

dans le Rapport annuel 200014. L’exemple de la Malaisie démontre qu’un pays, même de taille

modeste, est capable de restaurer avec succès des mécanismes de contrôle des capitaux. C’est fondamental.

12 FMI-IMF. 1997. Rapport annuel 1997, p. 26 13 CNUCED. 2000c. Rapport sur le commerce et le développement 2000, p. 54-55 14 FMI-IMF. 2000. Annual Report 2000, p. 24-25

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270

23.10. L’ajustement structurel imposé par le FMI à la Corée, à la Thaïlande et à l’Indonésie

Un véritable réaménagement structurel a été mis en œuvre : fermeture de nombreux établissements financiers, licenciements massifs, autonomisation de la banque centrale par rapport au gouvernement

(ce qui permet notamment au FMI de mieux la mettre sous influence), augmentation brutale des taux

d’intérêt (ce qui plonge l’industrie locale et les travailleurs dans la récession), abandon de grands projets d’investissements, démantèlement des grands conglomérats coréens (les chaebols), modification du code du travail coréen de manière à permettre des licenciements massifs, abandon par

l’Indonésie de ses projets de construction aéronautique et automobile. La cure néo-libérale imposée aux économies et aux populations de la région a été radicale. Ces pays ont été plongés dans une

récession profonde (chute de plus de 10% du PIB en 1998).

Les gouvernements ont accepté d’être mis sous la tutelle du FMI et de la BM (et derrière eux, celle du

G7 à commencer par les Etats-Unis). Il s’agit d’un véritable abandon de souveraineté nationale.

Les prêts accordés par le FMI, la BM et les banques privées comprenaient tous une prime de risque

(sauf une petite partie des prêts de la BM destinée aux secteurs les plus vulnérables de la population). Ces institutions ont donc engrangé de plantureux bénéfices lors des remboursements. Les dizaines de

milliards de dollars prêtés ont été immédiatement utilisés pour rembourser les banques et autres « zinzins » internationaux. Tous les participants au dit plan de sauvetage ont été remboursés grâce aux

revenus d’exportations et aux coupes claires dans les dépenses publiques. Une partie croissante des

recettes fiscales sert à payer la dette extérieure. La dette publique des pays en question a crû de manière très importante à cause de la prise en charge par l’Etat des dettes des entreprises privées. Le

tableau 23.2. montre la très forte croissance de la dette publique par rapport au PNB. Tableau 23.2. Dette publique en pourcentage du Produit National Brut

L’augmentation de la dette publique a servi de prétexte pour mener de nouvelles coupes claires dans

les dépenses sociales et pour pousser plus loin le programme des privatisations.

Les mesures imposées aux Nouveaux Pays Industrialisés (NPI) d’Asie visent à imposer une défaite aux travailleurs de ces pays, d’une part, et à empêcher ces derniers de poursuivre leur procès

d’industrialisation original, d’autre part.

Prenons le premier objectif : la volonté d’imposer une défaite aux travailleurs. Dans les années qui ont

précédé la crise, les ouvriers de l’industrie ont réussi par leurs luttes à obtenir des augmentations

1977 (avant crise) 2000 (avril) Thaïlande 15,7 51,9

Indonésie 23 93 Corée du Sud 12 22,2 (fin 1999)

Source: Focus on the Global South, 2000

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importantes, voire très importantes, de salaire. La crise a permis aux patrons de renverser la situation à leur avantage. C’est ce qu’indique le tableau suivant :

Tableau 23.3. Evolution des salaires réels dans l'industrie manufacturière (en %)

Expansion Crise 1998 Période Salaire réel Indonésie 1990-1996 46 -25,1 Corée du Sud 1990-1996 67 -4,9 Thaïlande 1988-1996 32 -2,3 Malaisie 1991-1996 22 -1,2 Source: CNUCED, 2000c, p 65-66

Prenons le deuxième objectif : empêcher les NPI d’Asie de poursuivre leur processus

d’industrialisation original. Walden Bello rappelle qu’un des ingrédients du succès passé de NPI

comme la Corée et la Malaisie est le recours à des mécanismes innovateurs tels l’exigence d’un fort pourcentage de composants locaux dans la production. Les investisseurs étrangers ou nationaux étaient

obligés d’utiliser une grande quantité d’intrants locaux dans la fabrication de produits destinés tant au

marché intérieur qu’à l’exportation. « Ces règles restreignaient la marge de manœuvre des investisseurs étrangers, mais cela fut couronné de succès car cela a permis aux NPI de marier l’investissement étranger à l’industrialisation nationale. Cela a donné l’occasion aux NPI à la fois de retirer des revenus d’exportations à haute intensité de capital, de développer des industries connexes, d’importer des technologies tout en protégeant les entrepreneurs locaux en leur offrant un accès préférentiel au marché national. En Malaisie, par exemple, le recours stratégique à l’exigence d’une forte composition locale des produits industriels a permis de produire une voiture nationale, en coopération avec Mitsubishi. Cette voiture nationale est réalisée avec 80% d’intrants locaux et elle représente 70% du marché malais »15. Les mesures imposées par le FMI, dans le cadre des Accords sur les investissements relatifs au

commerce (TRIMs - Trade-Related Investment Measures), rendent illégale la poursuite des politiques décrites plus haut.

On peut suivre Walden Bello quand il met en perspective historique le processus brutal de soumission des NPI d’Asie aux intérêts stratégiques des principaux pays industrialisés, à commencer par les Etats-

Unis qui ont dirigé la manœuvre. Durant la guerre froide, le fait que la Corée du Sud, la Malaisie,

l’Indonésie occupaient une position stratégique face à l’ennemi « socialiste » a amené les Etats-Unis à fermer les yeux sur les écarts des régimes en place, explique-t-il. Ceux-ci ont pu mettre en place de

fortes politiques de développement capitaliste assisté par l’Etat, ce qu’il appelle le « state-assisted capitalism ».

De telles politiques avaient été réalisées dans d’autres pays de la Périphérie auparavant (Argentine des

années 1940 et 1950) mais elles y avaient été abandonnées à partir des années 1980 dans le contexte de la crise de la dette exploitée par l’administration Reagan. A la différence de l’Amérique latine, au

cours des années 1980 et début des années 1990, les pays de l’Est asiatique moins touchés que celle-ci

par la crise de la dette et constituant des pays de la ligne de front face à la menace « socialiste » ont pu

15 BELLO, Walden. 2000a. Why reform of the WTO is the wrong agenda. Four essays on four institutions: WTO, UNCTAD, IMF and the World Bank, p.50-51).

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272

poursuivre leur politique active d’industrialisation caractérisée par une forte intervention de l’Etat et par le protectionnisme.

L’implosion du bloc soviétique fin des années 1980 et l’évolution de la Chine ont modifié la situation internationale. Les Etats-Unis ont accentué la pression qu’ils exerçaient sur les NPI afin que ceux-ci

mettent en pratique des politiques plus conformes aux intérêts de Washington. Le tournant a été pris

progressivement au milieu des années 1990 et il a été brutalement accéléré par l’éclatement de la crise en 1997.

Bello cite Jeff Garten, sous-secrétaire au Commerce dans l’administration Clinton : « La plupart de ces pays traversent un tunnel sombre mais, au bout, il y aura une Asie profondément différente dans laquelle les firmes US auront acquis une pénétration plus grande au niveau des marchés »16.

Afin de donner une explication d’ensemble, il faudrait compléter la perspective de Bello par l’analyse du comportement des classes dirigeantes dans les NPI de manière à comprendre pourquoi, à

l’exception de la Malaisie, elles n’ont pas résisté aux exigences des Etats-Unis en 1997-1998.

Dans les années qui ont suivi la crise, plusieurs facteurs ont fait naître chez certains gouvernements de

la région l’envie de reprendre leur distance par rapport aux institutions de Bretton Woods et au

gouvernement des Etats-Unis17. Parmi ces facteurs : l’accumulation patente d’effets négatifs des politiques dictées par le FMI et la BM tant en Asie que dans les autres composantes de la Périphérie ;

la crise de ces institutions ; l’agressivité des Etats-Unis et leur contestation grandissante (notamment dans les pays à majorité musulmane comme la Malaisie et l’Indonésie).

Il ne s’agit pas pour autant d’un tournant à gauche dans le sens de mesures structurelles de redistribution des richesses. Politique d’austérité et plans de privatisations se poursuivent. Répression

du mouvement populaire également. Néanmoins cette prise de distance accentue la crise du Consensus

de Washington, ce qui est positif.

16 Cité par Bello, Idem, p.48. 17 A l’exception des gouvernements philippin et, dans une moindre mesure, sud-coréen qui ont appuyé les Etats-Unis dans la guerre contre l’Irak.

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273

Chapitre 24

Etude de cas

La politique du FMI et de la BM à l’égard de l’Indonésie entre 1947 et 2003 Après la seconde guerre mondiale, l’Asie du Sud-Est et de l’Est remplissait deux fonctions principales : elle approvisionnait les sociétés occidentales en matières premières et était le lieu privilégié de la confrontation des intérêts liés à la guerre froide. Le 27 décembre 1949, le transfert de souveraineté est signé. L’Indonésie se transforme en une République et Soekarno est élu Président. Pour l’Indonésie, l’héritage colonial est lourd. Elle doit rembourser une dette coloniale conséquente et les Pays-Bas lui « lèguent » une structure de production essentiellement basée sur des cultures d’exportation et, donc, dépendante de l’évolution des variables économiques internationales. Jusqu’en 1963, Soekarno joue la carte de la rivalité des deux blocs mais on lui demande explicitement de choisir son camp. Les Etats-Unis décident que leur intermédiaire sera le FMI. Toutefois, tant en raison de décisions de politique extérieure occidentale dans la région que de politique intérieure de Soekarno, celui-ci quitte le FMI et la BM et décide de prendre en main le pays de manière indépendante. Le coup d’Etat du 30 septembre 1965 qui met Suharto au pouvoir permet de renouer les relations. Suharto aligne sa politique sur les intérêts des Etats-Unis. Malgré les convergences évidentes, les Etats-Unis ne veulent pas octroyer directement de nouveaux prêts et ils décident, comme en 1963, de confier la gestion de leurs intérêts au FMI, où toute aide sera subordonnée à l’application des politiques du FMI, que Suharto a rejoint dès février 1967. Sans prendre en compte la nature anti-démocratique et autoritaire du régime, les pays occidentaux aident massivement le nouveau gouvernement indonésien qui se caractérise par la corruption, l’agression contre un de ses voisins (annexion du Timor oriental), le projet de transmigration fortement critiqué du point de vue des droits humains et de la protection de l’environnement. La crise asiatique de 1997 affaiblira le régime et Suharto devra se retirer en mai 1998. Les choix des institutions de Bretton Woods ont été déterminés par des facteurs politiques et géostratégiques. Leur soutien financier a permis à Suharto de mener à bien des politiques contraires aux droits humains.

24.1. Contexte 24.1.1. Une pièce capitale de l’échiquier asiatique L’archipel indonésien étonne par ses avantages géographiques et économiques. Composé de quelque

13.677 îles, l’Indonésie forme un arc entre les continents asiatique et australien, contrôlant les voies

maritimes entre l’Afrique orientale, le Moyen-Orient et l’Inde, d’une part (Océan Indien), la Chine, le Japon et l’Ouest des Etats-Unis, d’autre part (Océan Pacifique). La forêt indonésienne est la deuxième

forêt tropicale au monde, après celle de l’Amazonie. L’archipel est riche en matières premières

agricoles (riz, caoutchouc, café, cacao, soja, huile de palme, thé, sucre, banane) et minières (gaz naturel, étain, bauxite, nickel, cuivre). De plus, il possède des gisements pétroliers qui furent l’objet de

toutes les convoitises1. L’importante densité de population de certaines îles constitue une importante réserve de main d’œuvre bon marché pour les entreprises occidentales.

1 En effet, au début du XXeme siècle, le pétrole indonésien était sous contrôle d’un monopole hollandais, la Royal Dutch, qui fournissait la majorité du marché asiatique. Les Etats-Unis, qui s’étaient appropriés les Philippines en

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274

Après la seconde guerre mondiale, l’Asie du Sud-Est remplit deux fonctions principales : elle approvisionne les sociétés occidentales en matières premières et cette région est, avec l’Asie de l’Est

(Chine et Corée), le lieu privilégié de la confrontation des intérêts liés à la guerre froide. En effet, selon l’article de Noam Chomsky paru dans le Monde diplomatique2, en 1948, Georges Kennan,

stratège américain qui écrivit sur la doctrine de l’endiguement, voit dans « le problème de l’Indonésie

(…) la question la plus cruciale de ce moment précis [du] combat [américain] contre le Kremlin ». Chomsky ajoute : « et Georges Kennan avertissait qu’une Indonésie 'communiste' constituerait un foyer d’ 'infection' susceptible de 's’étendre à l’Ouest' et d’atteindre toute l’Asie du Sud ».

Donc, au sortir de la deuxième guerre mondiale, face à l’emprise de la guerre froide et à la

concurrence internationale, l’Indonésie devient l’enjeu politique et économique des grandes puissances. L’adhésion de l’Indonésie à l’une ou l’autre idéologie pouvait avoir des conséquences

fondamentales sur l’ordre international.

24.1.2. La colonie aux mille profits L’Indonésie est connue déjà au XVIeme siècle pour ses épices. Les Portugais commercialisent les clous

de girofle et les noix de muscade produites aux Moluques. Les bénéfices sont considérables et les

Néerlandais vont s’emparer de l’île, par le feu et par le sang. Ils y règnent à partir de 1605. Depuis lors, presque toutes les îles indonésiennes, progressivement explorées, deviennent la chasse gardée des

Pays-Bas. Les échanges commerciaux se développent et les Hollandais introduisent des nouvelles plantes telles que le caféier, l’indigo, la canne à sucre…

Lors de la deuxième guerre mondiale, les Japonais envahissent les îles indonésiennes, après l’attaque de Pearl Harbour. Cette période a vu s’affirmer un important mouvement indépendantiste indonésien.

Trois jours après la capitulation du Japon, Soekarno3 et Mohamed Hatta, soutenus par la jeunesse en

révolte, proclament l’indépendance de l’Indonésie, le 17 août 1945. Mais, à la fin de la guerre, les alliés occupent l’archipel et attendent le retour des Hollandais. Ceux-ci se retrouvent dans une position

difficile vu les revendications indépendantistes de plus en plus pressantes. Ils contrôlent militairement l’archipel mais sont isolés politiquement tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Les grandes nations ne les

soutiennent plus car, d'un point de vue stratégique, cette instabilité perturbe la région mais aussi parce

que l’appât des richesses indonésiennes excite les convoitises. L’ère des empires se termine.

1898, commencèrent à s’intéresser à l’Indonésie et essayèrent de pénétrer son marché. Se heurtant au monopole hollandais, la Standard Oil Company entreprit une guerre des prix avec son homologue et la mit très rapidement en difficulté financière. Le sauvetage financier de l’entreprise hollandaise reposa sur une fusion de la Royal Dutch avec l’entreprise anglaise Shell, en 1907. Mais la pression américaine fut si forte que les Anglais et Hollandais acceptèrent en 1912 que Rockefeller installe en Indonésie une filiale qui commença à pomper du pétrole en 1912. Ensuite, la première guerre mondiale dissipa les intérêts européens en Indonésie, ce qui permit aux entreprises américaines de pénétrer le marché du caoutchouc. En 1914, Goodyear and Rubber avait déjà construit une usine à Sumatra, et l’entreprise américaine, par l’intermédiaire de sa filiale « Holland-Amerika Plantege Mij », acquit 80.000 acres pour la production de caoutchouc. Cette acquisition offrit à cette entreprise la plus grande plantation de caoutchouc dans le monde sous une seule propriété. Ce forcing d’entreprise américaine prouve l’importance économique consacrée à ses îles. 2 CHOMSKY, Noam, « L’Indonésie, atout maître du jeu américain », Le Monde Diplomatique, juin 1998, p.1 et 8. 3 Soekarno fut un des initiateurs du mouvement indépendantiste. En 1927, cet ingénieur crée le Perserikatan Nasional di Indonesia (PNI). D’autres groupements le rejoindront pour former le PNI dont le slogan fut « Une seule nation, une seul peuple, une seule langue ». Il sera arrêté en 1929 et son mouvement, le PNI, sera interdit. Face à l’impossibilité de prouver sa faute, la justice le libère un an après mais le gouverneur use de ses prérogatives extraordinaires et l’expulse vers les îles extérieures. Il sera libéré par les Japonais.

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275

Un épisode controversé de l’histoire de la Banque mondiale se déroule en 1947 car elle octroie un prêt

de 195 millions de dollars aux Pays-Bas alors que le gouvernement hollandais est en pleine offensive contre les nationalistes indonésiens. C'est le deuxième prêt octroyé par la Banque mondiale au cours

de son histoire. Deux semaines avant l’approbation de ce prêt, les Pays-Bas lancent l’offensive. Au

cours des deux années qui suivent, les troupes hollandaises d’occupation s’élèvent à 145 000 hommes (il s’agit d’une action d’envergure difficile à cacher). Bien qu’un cessez-le-feu soit décrété en 1948 par

l’ONU, l’armée néerlandaise lance plusieurs attaques terrestres et aériennes. Des voix s’élèvent au sein

de l’ONU et aux Etats-Unis pour critiquer très durement la politique hollandaise en Indonésie et pour mettre en cause la Banque. Celle-ci répond que le prêt était destiné au gouvernement néerlandais pour

des dépenses à réaliser aux Pays-Bas. Les voix critiques rétorquent qu’étant donné le caractère fongible de l’argent, le gouvernement hollandais a pu utiliser le prêt de la Banque pour soutenir son

effort militaire en Indonésie4.

Les Etats-Unis se rendent compte que l’aide qu’ils accordent aux Pays-Bas (400 millions de dollars)

au titre du plan Marshall vient indirectement en aide à l’intervention militaire et policière néerlandaise

en Indonésie. Dès lors, ils obtiennent, avec l’ONU, que des pourparlers s’engagent à La Haye, en août 1949, et le 27 décembre, le transfert de souveraineté est signé. L’Indonésie se transforme en une

République et Soekarno est élu Président. Elle deviendra le 60eme pays à signer la charte des Nations unies.

Néanmoins, l’héritage colonial est lourd. L’Indonésie doit rembourser une dette coloniale conséquente et les Pays-Bas lui « lèguent » une structure de production essentiellement basée sur des cultures

d’exportation et donc, dépendante de l’évolution des variables économiques internationales. De plus la

majorité de la richesse créée se trouve toujours entre les mains des entreprises hollandaises. Enfin, l’Indonésie entame son indépendance avec une société meurtrie par des années coloniales qui ont

conduit à un analphabétisme considérable et ont produit seulement 1 200 médecins et 120 ingénieurs, pour une population de 80 millions d’habitants.

24.2. IFI : des réticences à l’égard du président Soekarno à l’appui au dictateur Suharto 24.2.1. L’ère Soekarno : l’affirmation de l’indépendance Soekarno appartient au mouvement des non-alignés qui s’affirme en Indonésie justement, lors de la

Conférence de Bandoeng, en 1955. Soekarno, Tito et Nehru sont les dirigeants qui incarnaient l’espoir du tiers-monde face à l’ancien système colonial de domination. Lors de ce rassemblement, Soekarno

fait un discours sur les objectifs de la Conférence, dont voici quelques extraits5 :

« Le fait que les leaders des peuples asiatiques et africains peuvent se rencontrer dans un de leurs propres pays pour discuter et délibérer de leurs affaires communes constitue un nouveau départ dans l’histoire (…).

4 Cette controverse est résumée dans RICH, Bruce. 1994. Mortgaging the earth, p.69-70. Rich synthétise notamment le débat qui a lieu au sein du Congrès des Etats-Unis. 5 Le Monde diplomatique, « Les objectifs de la Conférence de Bandoeng », mai 1955, p.1.

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276

Aucun peuple ne peut se sentir libre tant qu’une partie quelconque de sa patrie n’est pas libre. Comme la paix, la liberté n’est pas indivisible. (…) On nous dit souvent que le colonialisme est mort. Ne nous laissons pas illusionner, ou même endormir, par cette formule trompeuse. Je vous assure que le colonialisme est bien vivant. Comment peut-on affirmer le contraire quand de vastes régions d’Asie et d’Afrique ne sont pas libres ? (…) Le colonialisme moderne se présente aussi sous la forme du contrôle économique, du contrôle intellectuel et du contrôle physique, exercés par une communauté étrangère à l’intérieur de la nation. C’est un ennemi habile et décidé qui se manifeste sous divers déguisements ; il ne lâche pas facilement son butin. N’importe où, n’importe quand, et quelle que soit la forme sous laquelle il apparaisse, le colonialisme est un mal qu’il faut éliminer de la surface du monde. »

Soekarno défend une orientation anti-impérialiste en matière de politique étrangère et pour parfaire

l’unité du pays, il met l’accent sur la restitution de la Nouvelle Guinée (Irian Jaya), toujours aux mains des Hollandais. En 1956, il répudie la dette coloniale et il nationalise, en 1957, les entreprises

hollandaises.

La politique de Soekarno, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, repose sur la philosophie de

l’équilibre. L’Indonésie est un pays d’une grande diversité culturelle et Soekarno tente de maintenir un équilibre entre les différentes factions du pays, avec comme objectif personnel de rester seul au

pouvoir. En 1955, sont organisées les premières élections, suite auxquelles le parti du Président (PNI)

récolte 25% des suffrages et le PKI, le parti communiste, obtient 16,4% des voix6. Deux ans plus tard, ont lieu les élections régionales où le PKI affirme son assise, ce qui inquiète les puissances étrangères

en pleine lutte idéologique. Le PKI appuie sa légitimité sur les paysans sans terre, les ouvriers des

villes et des champs pétroliers ainsi que les ouvriers et employés des plantations. Selon ses estimations, le parti compterait 3 millions de membres et 20 millions de sympathisants. Soekarno, afin

d’assurer son pouvoir, collabore avec les communistes qui s’accommodent de son populisme. Il convient de souligner que Soekarno n’est pas communiste, mais nationaliste, et il a besoin du PKI

pour asseoir sa légitimité en Indonésie.

Sur le plan extérieur, Soekarno s’emploie habilement à utiliser les deux blocs en guerre froide. Mais

les tensions commencent à monter : les Etats-Unis voient d’un mauvais œil l’aide massive de l’URSS

à l’Indonésie qui peut basculer dans une mouvance pro-communiste. Ils soutiennent donc les rebellions internes visant à déstabiliser Soekarno, ce que celui-ci dénonce au sein des Nations unies.

Jusqu’en 1963, Soekarno arrive à jouer avec les deux blocs mais on lui demande explicitement de choisir son camp. Les Etats-Unis décident que leur intermédiaire sera le FMI. Une délégation de celui-

ci visite l’Indonésie en 1962 et propose une aide financière conditionnée à une coopération étroite avec le Fonds. En mars 1963, les Etats-Unis offrent un prêt de 17 millions de dollars et, deux mois plus tard, le gouvernement indonésien annonce une série de nouvelles mesures économiques

(dévaluation de la roupie, austérité budgétaire, suspension des subsides…) conformes à l’orientation

du FMI. Le mois d’après, les pays membres de l’OCDE se réunissent afin d’arriver à un accord sur la mobilisation de fonds. Les Etats-Unis y proposent de contribuer, avec le FMI et la BM, pour la moitié

des 400 millions de dollars prévus. En août, sous initiative américaine, l’Indonésie signe un « stand-by arrangement », ce qui lui permet de recevoir un prêt de 50 millions de dollars.

6 AASER R. 1993. L’Indonésie, Karthala Paris, p.108.

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277

Mais tout bascule en septembre 1963 lorsque la Fédération de Malaisie est proclamée par les

Britanniques sans consultation. Soekarno y perçoit une manœuvre des anglais, des forces « impérialistes ». Soekarno, en colère, nationalise les entreprises britanniques, ce qui entraîne

l’annulation des accords conclus avec le FMI. Malgré ses revendications, l’ONU avalise la création de

la Malaisie et Soekarno, n’obtenant pas gain de cause, claque la porte onusienne en 1965. La situation économique est désastreuse. Les nombreux prêts, contractés auprès de l’Occident et de

l’URSS, sont gaspillés en biens de consommation, en projets de prestige et en armement. Soekarno,

bien que défenseur des droits du peuple indonésien, n’a pas su redresser son pays économiquement. Son économie, dépendante de l’extérieur, doit faire face à la chute des prix des matières premières (le

prix du caoutchouc baisse fortement) et sa politique de dépenses publiques à outrance contribue à aviver l’inflation qui atteint un taux de 600% par an à la fin de son pouvoir. Nous sommes à l’apogée

de la guerre froide, et Soekarno provoque la réprobation de Washington en nationalisant toutes les

entreprises privées étrangères (sauf les entreprises pétrolières). Il quitte le FMI et la BM en août 1965 et décide de prendre en main le pays de manière indépendante.

24.2.2. Le coup d’Etat du 30 septembre 1965

Le 30 septembre 1965, le général Suharto lance une répression massive contre les partis de gauche en prenant pour cible principale le PKI qu’il accuse de fomenter un putsch communiste. Suharto parvient

à prendre le pouvoir avec l’armée et il élimine physiquement le PKI. Entre 500.000 et 1 million de civils seront assassinés pour la seule raison d’appartenir au PKI ou d’avoir des sympathies pour lui. Il

met progressivement Soekarno à l’écart. En mars 1966, Suharto obtient finalement de Soekarno que

celui-ci lui transfère officiellement ses pouvoirs. Six jours après la passation de pouvoir, le gouvernement des Etats-Unis annonce qu’il ouvre une ligne de crédit à l’Indonésie pour un montant de

8,2 millions de dollars afin que celle-ci achète du riz américain7. Le 13 avril 1966, l’Indonésie rejoint

la Banque mondiale8. En 1966, Lyndon B. Johnson, président des Etats-Unis, se déplace pour visiter ses troupes au Vietnam

et insiste, dans un des ses discours, sur le modèle indonésien9.

24.2.3. L’ère Suharto : « l’Ordre Nouveau »

Le pouvoir de Suharto utilise régulièrement la terreur et l’élimination physique. En plus des

communistes, sont visés les membres du PNI, les musulmans à Java, les hindous à Bali, les chrétiens à Sulawesi du Nord. Suharto sera réélu tous les cinq ans par une institution parlementaire (Assemblée

consultative du peuple) composée de 1000 membres dont 600 sont nommés directement par le Président et 400 sont élus. A chaque élection, toutes les candidatures sont passées en revue par les

services de renseignements militaires, puis approuvées par le Président de la République, lui-même.

Suharto aligne sa politique sur celle des Etats-Unis. Mais malgré les convergences évidentes, les Etats-

Unis ne veulent pas octroyer directement de nouveaux prêts au régime de Suharto et ils décident,

7 PAYER, Cheryl. 1974. The Debt Trap : The International Monetary Fund and the Third World, p. 75-90 8 KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 1: History, Brookings Institution Press, Washington, D.C., p. 1222. 9 ARTE, Les mercredis de l’histoire : Massacre en Indonésie, Australie, France, Thirteen WNET New York, Arte France,YLE TV2 Documentaires, Australian Film Finance Corporation, Hilton Cordell/Vagabond films production, BFC Productions, c.2001.

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278

comme ils l’avaient fait en 1963 dans d’autres circonstances, de confier la gestion de leurs intérêts au FMI. L’aide de celui-ci sera subordonnée à l’application des politiques qu’il recommande. A la fin de

l’été 1966, une mission du FMI étudie un nouveau programme de stabilisation et les conditions macroéconomiques du FMI sont rapidement appliquées par le gouvernement10. L’Indonésie est de

retour officiellement au FMI en février 1967. La réponse des pays occidentaux ne se fait pas attendre.

D’abord, ils accordent une aide de 174 millions de dollars afin de résorber la crise indonésienne. Ensuite, ils procèdent à une restructuration de la dette car, fin 1966, 534 millions de dollars devaient

être remboursés au titre du service de la dette (intérêts, principal et arriérés), ce qui représentait 69%

des gains d’exportation estimés11. Sans ce rééchelonnement, l’effet de l’aide financière aurait été anéanti par le service de la dette. En décembre 1966, suite à une réunion du Club de Paris, les pays

créanciers occidentaux acceptent un moratoire12 jusqu’en 1971, sur le remboursement du principal et des intérêts de la dette à long terme contractée avant 1966. Sans l’appui du FMI et sans les pressions

américaines sur les membres du Club de Paris, cette restructuration n’aurait pas eu lieu.

Mais les effets d’un moratoire ne sont que temporaires et, en 1971, les remboursements doivent reprendre. Dès lors, les créanciers signent l’accord le plus favorable jamais octroyé13 : la dette d’avant

1966 (contractée sous Soekarno) devait être repayée en 30 annuités sur une période qui s’étale entre

1970 et 1999. Cette restructuration fut suivie d’une dévaluation et d’une réforme du taux de change qui fit de l’Indonésie le pays dont le système de taux de change était le plus libre.

24.3. Le régime Suharto soutenu puis lâché par la BM, le FMI et les Etats-Unis

24.3.1. La corruption

Selon le Rapport mondial sur la Corruption 2004 de Transparency International14, Mohamed Suharto aurait été le dirigeant le plus corrompu au monde. Il aurait détourné de 15 à 35 milliards de dollars

entre 1967 et 1998, loin devant Ferdinand Marcos (Philippines, de 5 à 10 milliards US$) et Mobutu (Zaïre, 5 milliards de dollars). Selon un rapport de la Banque mondiale15, entre 20 et 30% des budgets

liés au fonds de développement étaient détournés et les prêts de la Banque sont clairement concernés.

Par exemple, le budget de développement qui comportait des rubriques type « infrastructures de développement » finançait la remise à neuf des locaux gouvernementaux ou l’achat de voitures

officielles, donc loin de contribuer à l’amélioration du bien-être de la population.

La Banque mondiale est un des plus grands créanciers du pays, la dette indonésienne envers l’institution s’élevant en 2002 à plus de 11 milliards de dollars sur un montant total de 75 milliards de

dollars de dette extérieure publique.

10 Création du marché des changes, mesures anti-inflationnistes, équilibre budgétaire, limite des dépenses publiques à 10% du PNB, amélioration du système fiscal, fin des subsides, rétablissement d’un climat favorable aux investissements étrangers en permettant le rapatriement des bénéfices… 11 PAYER, Cheryl. 1974. Idem, p.80 12 Plus de la moitié de la dette indonésienne avait été contractée auprès de l’URSS, et en accordant un moratoire sur leur dette, les créanciers occidentaux se portaient garant du remboursement de la dette soviétique. Afin d’éviter tout flux de capitaux en direction de l’URSS, ils accordèrent ce régime de faveur à condition que les soviétiques en fassent autant. Ceux-ci acceptèrent, car ils craignaient de ne pas être remboursés du tout en cas de refus de leur part. 13 Ce nouveau contrat incluait la clause de la nation la plus favorisée, qui impliquait de rembourser la dette soviétique à une cadence plus rapide. 14 www.globalcorruptionreport.org; www.transparency.org 15 WORLD BANK, “Summary of RSI Staff Views Regarding the Problem of ‘Leakage’ from the World Bank Project Budget” August 1997.

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279

Toujours est-il qu’officiellement, la Banque n’admet pas d'être impliquée dans ces malversations et invoque des raisons on ne peut plus rationnelles pour se déresponsabiliser dans la pérennisation d’un

régime odieux. En effet, l’operational overview d’octobre 1998 admit qu’ « une grande majorité de notre staff (particulièrement les directeurs du département d’affaires) sont perçus comme ignorants ou indifférents (dans le sens où ils ne veulent pas savoir) aux pratiques locales et donc ils sont susceptibles d’être trompés ou abusés assez facilement » 16 (c’est moi qui traduis).

Dès le départ, la relation entre la Banque mondiale et l’Indonésie avait un caractère particulier. La

première visite du nouveau Président de la Banque mondiale, Robert McNamara, fut pour l’Indonésie. Selon le livre officiel sur les 50 ans de la Banque mondiale : « Il [Robert McNamara] et le Président Suharto avaient énormément d’estime l’un pour l’autre, et la Banque adopta des modalités uniques pour son programme. Le 15 juin [1968] il communiqua à la presse : 'C’est la première fois que la

Banque mondiale a établi une telle Mission dans un pays en développement… Notre problème en

Indonésie demande une solution unique et une concentration des efforts jamais appliquées dans d’autres parties du monde' »17 (c’est moi qui traduis).

Toujours dans ce livre : « A propos de la corruption indonésienne, la Banque avait clairement ce problème à l’esprit, dès le renouveau de ses relations avec ce pays (1968). Mais très peu d’études convergeaient vers une possible éradication du phénomène. (…) McNamara expliqua qu’ ' il était aussi nécessaire de mettre l’accent sur la réduction de la corruption. A l’extérieur de l’Indonésie, le

problème était beaucoup plus pris en compte et le monde avait l’impression, avec raison ou pas, que la

corruption était beaucoup plus ancrée en Indonésie que n’importe où dans le monde… C’était comme un cancer qui rongeait la société indonésienne' »18. Plus loin encore, selon McNamara, « l’Indonésie était le joyau présidentiel sur la couronne opérationnelle de la Banque »19 (c’est moi qui traduis). On

ne peut être plus clair.

La Banque a construit et entretenu la vision d’un miracle indonésien tout en ayant pleinement conscience des pratiques frauduleuses du régime de Suharto. De nombreux rapports internes à la

Banque l’attestent. Malgré leur connaissance de la situation, les prêts n’ont pas diminué et ont même

connu une progression constante. Jeffrey Winters, professeur associé d’économie politique à la Northwestern University, insiste sur le

caractère illégal de cette dette indonésienne et il l’assimile à une dette criminelle dont les institutions

16 ABID ASLAM, “World Bank's Guilt on Indonesia Corruption”, WASHINGTON, 14/02/1999, Inter Press Service (http://www.50years.org/press/ips021599.html) : "many of our own staff (particularly headquarters task managers) are viewed as ignorant or uncaring (as in 'they don't really want to know') of local practices and thus subject to being misled or deceived rather easily...” 17 « He [Robert McNamara] and the President Suharto admired each other, and the Bank president on the spot adopted unique modalities for a country program. On June 15 [1968] he told a press conference: “This is the first time that the World Bank has established this sort of a Resident Mission in a developing area… [Y]our problem in Indonesia demands a unique solution and a greater concentration of effort than we have applied anywhere else in the world”, KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 1: History, Brookings Institution Press, Washington, D.C. p.469 18 Idem, p. 492, “ As for Indonesian corruption in general, the Bank clearly had this issue in view from the beginning of its (1968) renewed relationship with the country. But the relevant documents convey little sense that the phenomenon had to or could be fully eradicated (…) McNamara explained that ' it was also necessary to maintain the emphasis on reducing corruption. Outside Indonesia, this was much talked about and the world had the impression, rightly or wrongly, that it was greater in Indonesia than in any but perhaps one other country… It was like a cancer eating away at the society”. 19 Ibid. p. 493, “Indonesia was the presidentially designated jewel in the Bank’s operational crown”.

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280

financières internationales se sont rendues complices. En effet, selon lui, « elle [la Banque mondiale] aurait pu prendre une série de mesures, comme intensifier le contrôle de ses projets de telle sorte qu’elle réduise le niveau de corruption sur ses propres opérations, même si elle ne pouvait combattre seule la corruption rampante au niveau du gouvernement. Elle aurait pu menacer de diminuer graduellement ses prêts à l’Indonésie s’il n’était pas mis fin progressivement au détournement de fonds des projets soutenus par la Banque. Elle aurait pu annuler toute opération de prêts en argumentant que continuer à prêter de l’argent dans des circonstances qui impliquaient un haut niveau de détournement violait le mandat fiduciaire contenu dans sa charte » 20 (c’est moi qui traduis).

Nous sommes dans le cas précis d’un soutien des responsables de la Banque mondiale à un régime qui

était connu pour ses fraudes répétées. L’existence de détournements massifs et d’une corruption dans laquelle le régime était impliqué avait été détectée par les institutions de Bretton Woods. L'analyse

dressée précédemment conduit à affirmer que des intérêts d’ordre politique et d’ordre géostratégique

étaient à la base de cette tolérance et de cette complaisance. 24.3.2. Le soutien des IFI à une oppression multiforme

24.3.2.1. Le Timor oriental

En 1975, suite à l’effondrement du régime salazariste, l’administration et l’armée portugaises, qui

occupaient toujours l’île de Timor, décident de se désengager de leur colonie. Le Front révolutionnaire du Timor oriental indépendant, qui combattait les armes à la main l’occupation portugaise, déclare

l’indépendance du territoire21. Mais un mois plus tard, les forces militaires indonésiennes envahissent l’île et, en 1976, Timor oriental est proclamé 27eme province par le gouvernement indonésien. Les

Nations unies condamnent cette annexion et considèrent le Portugal comme étant toujours

l’administrateur officiel du territoire. Toutefois, certains Etats, tels que les Etats-Unis, reconnaissent de fait cette annexion. Ils ont tout intérêt à ce que les réserves pétrolières tombent entre les mains du

dictateur « ami » plutôt qu'entre celles du Portugal ou d’un Timor indépendant. Des combats violents ont lieu et l’armée indonésienne fait 100.000 victimes parmi une population

d’environ 750.000 habitants. La répression sera une constante sur l’île et des massacres seront

perpétrés pour contrer toute initiative de contestation. Par exemple, le 12 novembre 1991, l’armée ouvre le feu sur une procession pacifique au cimetière de Santa Cruz. Cette manifestation regroupait

des Timorais assistant à l’enterrement d’un jeune tué par un groupe para-militaire pro-indonésien.

Selon Amnesty International : « Quelque 270 civils ont trouvé la mort dans ce massacre et peu après. La plupart des victimes ont été tuées par balles alors qu’elles tentaient de fuir. D’autres ont été frappées et poignardées. Selon certaines informations, des dizaines de personnes, dont des témoins du

20 “It could have taken [the World Bank] a variety of measures, including intensifying the supervision of its projects, thereby reducing the levels of corruption in its own operations, even if it could not stop the rampant corruption across the government. It could have threatened to gradually reduce its lending to Indonesia over a period of years if the leakage of Bank project funds was not progressively curtailed. It could have halted lending completely on the grounds that continued lending under circumstances of persistently high levels of theft violated the Bank’s fiduciary mandate contained in its charter” in Jeffrey A. Winters, “Criminal Debt in the Indonesian Context”, Center for International and Comparative Studies, Northwestern University, July 3, 2000 (Updated for the INFID Seminar on Indonesia’s Foreign Debt). 21 AMNESTY INTERNATIONAL, Indonésie et Timor oriental : près de trente ans d’impunité, Editions francophones d'Amnesty International, Paris, Septembre 1994.

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281

drame, auraient été tuées au cours des semaines suivantes. Quelques-unes d’entre elles étaient, dit-on, soignées dans un hôpital militaire quand elles ont été achevées »22.

La sous-commission des Droits de l’Homme de l’ONU a condamné, en 1992, l’Indonésie « pour sa politique de répression à Timor oriental ».

Est-ce que ces massacres ont dissuadé la Banque mondiale de prêter à un pays dont manifestement le gouvernement réprime très durement tout mouvement d'opposition? La BM a-t-elle utilisé ses prêts

pour exiger un respect des droits humains en Indonésie ? Le graphique ci-joint indique une

augmentation des prêts accordés par la Banque mondiale au gouvernement indonésien pendant l’occupation de Timor oriental.

Graphique 22.1. Déboursements opérés par la Banque mondiale

Déboursements Banque Mondiale

0200400600800

10001200140016001800

1970

1972

1974

1976

1978

1980

1982

1984

1986

1988

1990

1992

1994

1996

1998

Mil

lio

ns

US

$

Source : World Bank, GDF, 2001. 24.3.2.2. Le projet de transmigration Le projet de transmigration, mis en place sous le régime de Suharto et soutenu financièrement et

politiquement par la Banque mondiale, n’est pas une idée nouvelle. En effet, déjà les anciens

colonisateurs, les Hollandais, ainsi que le nouveau gouvernement indépendant avaient contribué à la migration de nombreux Javanais. Ce projet consistait à déplacer des millions d’Indonésiens pauvres

des îles intérieures densément peuplées (Java - endroit le plus densément peuplé du monde -, Lombok,

Bali et Madura) vers des îles extérieures (Bornéo, Nouvelle Guinée et Sumatra) moins densément peuplées. Les raisons officielles étaient les suivantes :

- alléger la pression sur l’île de Java où bon nombre de paysans étaient sans terre ;

- diminuer la pauvreté en permettant aux déplacés de bénéficier de nouvelles terres sur les îles

extérieures et d’une infrastructure de base suffisante, en contribuant au développement économique des îles concernées ;

- promouvoir une distribution de la population nationale et régionale plus équilibrée.

22 Idem, p.66.

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282

La Banque mondiale prêta 630 millions de dollars pour financer le projet entre 1976 et 1986 mais environ 130 millions de dollars seront annulés, réduisant la contribution de la Banque à 500 millions

de dollars23. La contribution de la Banque ne se limita pas seulement à un appui financier. Elle apporta aussi son appui politique car elle attira des dizaines de millions de dollars supplémentaires en support

à ce projet (aide des gouvernements hollandais, allemand, américain ; de la Banque asiatique de

développement, du Programme des Nations unies pour le développement et du Programme mondial pour l’alimentation). Selon Bruce Rich, en 1983, 734 millions de dollars supplémentaires furent prêtés

(prêts à l’agriculture) par la Banque pour financer l’établissement de colons.

Selon Rich, entre 1976 et 1986, 3,5 millions de personnes ont été déplacées et 3,5 autres millions de

personnes sont parties de leur plein gré, motivées par la propagande et la publicité gouvernementale. Les prêts de la BM auront permis de replacer 71.000 familles, soit 355.000 personnes à Sumatra et

Kalimatan et de financer la planification et la sélection de 400.000 familles, soit au moins 2 millions

de personnes. La Banque a donc joué un rôle capital dans ce projet. Mais ses conséquences furent néfastes et irréversibles. Des ONG de défense des droits de l’Homme et des ONG environnementales24

ont mis à jour les autres motivations qui sous-tendaient ce projet massif de déplacement de

populations. Leurs critiques majeures étaient les suivantes :

- Le déplacement des familles suivait un objectif géopolitique. Quatre-vingt dix pour cent de la superficie de l’Indonésie sont habités par des non-javanais, ce qui constitue une situation politique

instable. Donc, ce projet constituait une priorité de sécurité nationale et permettait au gouvernement de

contrôler les populations indigènes des îles extérieures en imposant une intégration forcée. - Le projet de transmigration a violé le droit de propriété du sol des populations indigènes et des

habitants de la forêt. Les sites transmigratoires furent établis sur les terres des indigènes sans leur

consentement ou compensation et ces derniers furent obligés de modifier leurs habitudes de vie. La mise en place du projet suscita de nombreuses résistances qui contribuèrent à des situations violentes

et des abus des droits humains. - Le coût moyen du déplacement d’une famille est de 7000 dollars, selon les estimations de la

Banque mondiale25 (milieu des années 90), ce qui représentait 13 fois le revenu annuel de la plupart

des familles des îles intérieures. Ce projet paraît peu rentable et contribua à augmenter considérablement la dette extérieure et la pauvreté. Effectivement, selon une étude de la Banque

mondiale de 1986, 50% des familles déplacées vivaient en dessous du niveau de pauvreté et 20%

vivaient en dessous du niveau de subsistance. D’autres études prouvent que 80% des sites du projet furent un échec en terme d’amélioration des conditions de vie des populations.

- Le projet fut un échec en ce sens qu’il ne contribua pas à améliorer les conditions de vie des pauvres des îles intérieures, laissant les trans-migrants dans une situation pire qu’auparavant du fait

d’un planning et d’une préparation des sites complètement inadaptés, d’un accès restreint au marché et

une négligence de la propriété des sols et de l’eau, éléments indispensables au développement d’une économie agricole. En effet, selon Rich, les sols destinés aux migrants sont parmi les terres les pauvres

au monde. - Les problèmes de densité à Java ne sont toujours pas résolus, au contraire.

- Les îles extérieures de l’Indonésie contiennent dix pour cent des forêts tropicales encore

existantes sur terre et le programme de transmigration a été une source de pression institutionnelle

23 RICH, Bruce. 1994. Mortgaging the earth, p.34. 24 Walhi, Watch! Indonesia, OXFAM, IMBAS, Asienhaus (Germany), BIC, CIFOR, WRI 25 World Bank, Indonesia Transmigration Sector Review, p.41, in RICH, Bruce. 1994. Idem

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283

considérable sur l’environnement de ces îles. En effet, le projet a contribué à détériorer de manière sensible l’environnement des îles extérieures par la destruction massive de la forêt. Il fut démontré que

ce projet fut la cause principale de déforestation du pays, estimé à 1.2 millions d’hectares par an en 199126.

La Banque mondiale dément toutes ces allégations. Elle a décidé de réaliser, en 1994, une étude d’évaluation27 interne des projets qu’elle a financés, afin de déterminer ses éventuelles responsabilités.

Dans ce rapport, la Banque mondiale admet que le projet à Sumatra « a eu des effets négatifs et probablement irréversibles » sur la population Kubu, population nomade dont la survie repose sur la culture en jachère, la chasse et le rassemblement dans la forêt. L’audit met en évidence que « bien que l’existence des Kubu dans les zones du projet soit connue depuis la planification du projet, peu d’efforts furent portés pour éviter des problèmes ».

24.4. La crise de 1997-1998 dans le sud-est asiatique

La crise du sud-est asiatique de 1997 (voir chapitre sur la crise) a frappé durement l’Indonésie et elle a surpris par son caractère violent. En effet, en l’espace de moins d’un an, les capitaux étrangers se sont

retirés du pays, la roupie a perdu plus de 80% de sa valeur et un chômage de masse s’est développé.

Selon une étude réalisée par A. Giraud du HCCI28, « fin 1998, selon les données du gouvernement, 50% de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté, estimé en Indonésie à 0,55$ par jour pour les villes et 0,40$ pour les campagnes. »

Il faut en chercher les causes, d’une part, dans l’économie indonésienne qui reposait sur une corruption endémique, une collusion entre le gouvernement, les banques et les conglomérats privés et des afflux

massifs de capitaux étrangers qui permirent l’équilibre de la balance des paiements. Et, d’autre part, dans les politiques du FMI qui, par l’ouverture sauvage au capital étranger, ont contribué à la

spéculation foncière et boursière effrénée.

Le FMI a imposé ses mesures de « choc » pour résoudre la crise de 1997 : là aussi il a échoué,

prolongeant et aggravant la crise. Joseph Stiglitz est très clair : "La politique économique doit donc viser à réduire au minimum la gravité et la durée de toute crise économique. Malheureusement cela n'a été ni l'intention ni l'effet des prescriptions du FMI "29. La population qui a subi de plein fouet

l'effet de ces mesures commença à protester vigoureusement. Le 5 mai 1998, dans le cadre des accords signés avec le FMI, Suharto élimina les subventions sur les produits de base de sorte que le prix du

kérosène, de l’électricité et de l’essence augmenta de 70%. Cela amplifia l’immense mobilisation

populaire qui avait débuté plusieurs mois auparavant. Quinze jours plus tard, Suharto se retirait du pouvoir après 32 ans de régime dictatorial. Le gouvernement des Etats-Unis était directement

intervenu en lui demandant par la voix de Madeleine Albright, secrétaire d’Etat américain, de

démissionner pour ouvrir la voie à une « transition démocratique ».

26 SRI ADHIATI, Adriana M., BOBSIEN, Armin. 2001. Indonesia's Transmigration Programme - An Update, A report prepared for Down To Earth, July 2001. 27 'Indonesia Transmigration Program: a review of five Bank-supported projects' April 26, 1994 ; 'Impact Evaluation Report : Transmigration I, Transmigration II, Transmigration III' March 22, 1994. 28 http://www.hcci.gouv.fr/lecture/etude/et002.html 29 STIGLITZ, Joseph E. 2002, La Grande désillusion, p. 165.

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284

Le FMI, en imposant à Suharto des conditions draconiennes pour lui venir en aide, l’a amené à prendre des mesures économiques très impopulaires. Celles-ci ont provoqué le renforcement du très

vaste mouvement d’opposition qui a fini par obtenir le départ du dictateur. A Washington, on a certainement considéré que Suharto avait assez servi les intérêts des Etats-Unis. La guerre froide était

terminée depuis près de dix ans, il était temps de tourner la page.

24.5. La dette indonésienne aujourd'hui Si on étudie ce qu'est devenue la dette extérieure publique de l'Indonésie, la répartition par créanciers

indique une part privée assez réduite, notamment à cause du fait que l'apport de capitaux du FMI et

des pays industrialisés pour rembourser en priorité des créanciers privés a transformé en partie des dettes dues au privé en dettes multilatérales et bilatérales, désormais très majoritaires.

Graphique 22.2. Répartition de la dette extérieure publique à long terme de l’Indonésie en 2002

Répartition de la dette extérieure publique à long terme de l'Indonésie en 2002

Part bilatérale

Part privée Part multilatérale

Source : Banque mondiale/World Bank, GDF 2004

La dette indonésienne a fortement augmenté, et ce, principalement pour deux raisons. Premièrement,

le plan de sauvetage du FMI a apparemment apporté des capitaux à l'Indonésie, mais ces capitaux ont immédiatement quitté le pays en remboursement de créances vers des prêteurs étrangers. De leur côté,

les populations indonésiennes en subissent les conséquences à travers de drastiques restrictions

budgétaires et remboursent ces dettes dont elles n'ont pas du tout profité. D’après le Rapport annuel 1998 du FMI, les engagements du FMI, de la BM, de la BAD et des gouvernements occidentaux

s’élevaient à 50 milliards de dollars.

Page 300: Thèse EricT VersionDéf 11juin

285

24.5.1. Evolution du stock de la dette extérieure publique indonésienne Graphique 22.3. Evolution du stock de la dette extérieure publique indonésienne

55 56

6776 75 71 75

81

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90en

mill

iard

s d

e d

olla

rs

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Source : Bank of Indonesia (http://www.bi.go.id/bank_indonesia_english/main/statistics/) Deuxième raison, la Lettre d’intention prévoyait la restructuration du secteur bancaire par la

diminution du nombre d’établissements. Cette mesure, jumelée à une politique monétaire restrictive (taux d’intérêt élevé), entraîna l’effondrement du secteur bancaire. Le rapport de la commission

Meltzer du Congrès des Etats-Unis le dit très nettement : « La réduction des dépenses publiques, l’augmentation des taxes, l’augmentation des taux d’intérêt et la fermeture des banques ont aggravé la crise »30. Suite à une élévation des taux d’intérêt, les entreprises qui devaient rembourser leur dette

et qui étaient en manque de liquidité (pendant cette période de crise) étaient obligées de réemprunter mais à un taux exorbitant. Très vite, leur crise de liquidité s'est transformée en crise de solvabilité et

elles ont fait faillite, ce qui a constitué une créance perdue pour les banques commerciales. La panique

s’est installée au sein des épargnants qui ont perdu confiance en leur institution bancaire et ont préféré retirer leur argent. Le FMI conseilla le gouvernement de recapitaliser le secteur en émettant des

obligations, à taux d’intérêt élevé, pour acquérir des parts dans les banques en difficulté et garantir

leurs créances douteuses. Cette émission contribua à accroître la dette intérieure du pays qui en 1998 était nulle. Le gouvernement a déboursé 430 milliards de roupies (50 milliards de dollars) pour

recapitaliser le système bancaire et en plus du remboursement de ce montant, il devra rembourser, d’ici quatre années, 600 milliards de roupies (70 milliards de dollars) en plus, au titre des intérêts.

30 Rapport de la Commission Meltzer, Washington, mars 2000, p. 23. Accessible sur : www.house.gov/jec/imf/meltzer.htm Par ailleurs, à l’appel de la coalition indonésienne des mouvements contre la dette (Koalisi Anti Utang), de nombreuses activités ont lieu régulièrement en Indonésie. Koalisi Anti Utang considère que le FMI a contribué à la faillite de nombreuses entreprises, à la destruction du système bancaire, à l’augmentation du chômage, à la création de la dette intérieure et à l’augmentation de la dette extérieure. Information accessible sur le site de la coalition : www.kau.or.id

Page 301: Thèse EricT VersionDéf 11juin

286

Ces mesures ont aggravé la situation d’endettement du pays. La plus grosse part du budget de l’Etat est consacrée au remboursement de la dette. En 1999 et 2000, 50% et 40% respectivement ont été

consacré au service de la dette. En 2004, la part est proche de 28% et cette situation est amenée à perdurer.

24.5.2. Une hémorragie continue de capitaux

La crise de 1997-1998 a apporté ponctuellement des capitaux mais depuis lors, les remboursements pèsent lourdement sur le budget indonésien. Voilà pourquoi le transfert net sur la dette, qui est la

différence entre les nouveaux prêts et le total des remboursements sur une année, est devenu positif

(faiblement) en 1998, avant de plonger fortement dans le négatif depuis.

Graphique 22.3. Transfert net sur la dette extérieure publique long terme de l’Indonésie entre 1997 et 2002 (en milliards de dollars)

-2,6

0,3

-3,2

-4-4,4 -4,5

-5

-4

-3

-2

-1

0

1

1997 1998 1999 2000 2001 2002

Transfert net sur la dette extérieure publique à long termede l'Indonésie entre 1997 et 2002

Source : Banque mondiale/World Bank, GDF 2004

24.6. Conclusion

En somme, l'analyse historique, politique et économique présentée dans cette étude de cas montre que

le peuple indonésien s’est vu ravir, avec le coup d’Etat militaire de 1965, la possibilité de déterminer lui-même son avenir. Pourtant l’Indonésie, avec la conférence de Bandoeng de 1965, avait commencé

à jouer sur la scène internationale un rôle moteur dans ce qui est devenu le mouvement des non-alignés. C’est la menace de voir un des pays les plus peuplés de la planète jouer un rôle clé dans la

mise en place d’un nouvel ordre mondial qui a amené les Etats-Unis et les institutions de Bretton

Woods à soutenir activement la dictature de Suharto. Les choix de ces institutions ont été déterminés par des facteurs politiques et géostratégiques. Leur

soutien financier a permis à Suharto de mener à bien des politiques contraires aux droits humains.

Elles ont été complices de ces politiques. Par la suite, à partir de la crise de 1997, les mesures imposées par le FMI ont aggravé la situation économique et provoqué une forte augmentation de la

dette publique interne et externe. Le bilan historique de l’intervention du FMI et de la Banque mondiale en Indonésie est largement négatif. En conséquence, les créances qu’ils détiennent sur ce

pays devraient être annulées entièrement.

Page 302: Thèse EricT VersionDéf 11juin

287

Chapitre 25

Etude de cas

Le Rwanda : retour sur le génocide Les politiques imposées par les institutions financières internationales, principaux bailleurs de fonds du régime dictatorial du général Juvénal Habyarimana, ont accéléré le processus conduisant au génocide d’avril 1994. Pour que le projet génocidaire soit mis à exécution, il fallait non seulement un régime pour le concevoir et se doter des instruments pour sa réalisation. Il fallait également qu’une masse appauvrie, lumpenisée, soit prête à réaliser l’irréparable. L’impact social catastrophique des politiques dictées par le couple FMI/BM et de la chute des cours du café sur le marché mondial (chute à mettre en corrélation avec les politiques des institutions de Bretton Woods et des Etats-Unis qui ont réussi à faire sauter le cartel des producteurs de café à la même époque) joue un rôle clé dans la crise rwandaise. En 1994, après la chute du régime génocidaire, la dette extérieure totale du Rwanda s’élevait à près d’un milliard de dollars. Elle entre pleinement dans la définition de « dette odieuse », en conséquence

le nouveau régime aurait dû en être totalement exonéré. Dix ans plus tard, cette dette a augmenté

d’environ 15% et le Rwanda est toujours sous ajustement structurel. 25.1. Retour sur le génocide de 1994 A partir du 7 avril 1994, en l’espace de moins de trois mois, près d’un million de Rwandais - le chiffre

exact reste à déterminer - sont exterminés parce qu’ils et elles sont Tutsis ou supposés tels. Il faut y

ajouter plusieurs dizaines de milliers de Hutus. Ce sont des opposants politiques au régime en place ou des personnes qui refusent ou pourraient refuser de prêter leur concours au génocide. Avant celui-ci, la

population était estimée à environ 7,5 millions. La comparaison avec le génocide des juifs et des tziganes par le régime nazi est pleinement justifiée. Il

y a bien certaines différences : le nombre absolu de victimes (6 millions de juifs ont été exterminés par

les nazis), les moyens mis en œuvre (les nazis ont conçu et utilisé des moyens industriels pour appliquer la solution finale).

Mais il y a bien eu génocide c’est-à-dire la destruction planifiée d’une collectivité entière par le

meurtre de masse ayant pour but d’en empêcher la reproduction biologique et sociale.

25.2. Les politiques mises en œuvre par les institutions financières multilatérales

Il est fondamental de s’interroger sur le rôle des bailleurs de fonds internationaux. Ma thèse, c’est que

les politiques imposées par les institutions financières internationales, principaux bailleurs de fonds du régime dictatorial du général Juvénal Habyarimana, ont accéléré le processus conduisant au génocide.

Généralement, l’incidence négative de ces politiques n’est pas prise en considération pour expliquer le dénouement dramatique de la crise rwandaise. Seuls quelques auteurs mettent en évidence la

responsabilité des institutions de Bretton Woods1. Celles-ci refusent toute critique à ce sujet.

1 e. a. CHOSSUDOVSKY, Michel et autres. 1995. « Rwanda, Somalie, ex Yougoslavie : conflits armés, génocide économique et responsabilités des institutions de Bretton Woods » ; CHOSSUDOVSKY, Michel et GALAND Pierre, « Le Génocide de 1994, L’usage de la dette extérieure du Rwanda (1990-1994). La responsabilité des bailleurs de fonds », Ottawa et Bruxelles, 1996,

Page 303: Thèse EricT VersionDéf 11juin

288

Au début des années 1980, quand éclata la crise de la dette du Tiers-monde, le Rwanda (comme son

voisin, le Burundi) était très peu endetté. Alors qu’ailleurs dans le monde, la Banque mondiale et le FMI abandonnaient leur politique active de prêts et prêchaient l’abstinence, ils adoptèrent une attitude

différente avec le Rwanda : ces institutions se chargèrent de prêter largement au Rwanda. La dette

extérieure du Rwanda a été multipliée par vingt entre 1976 et 1994. En 1976, elle s’élevait à 49 millions de dollars; en 1994, elle représentait près d’un milliard de dollars. La dette a surtout augmenté

à partir de 1982. Les principaux créanciers sont la Banque mondiale, le FMI et les institutions qui y

sont liées (nous les appellerons les IFI, Institutions Financières Internationales). La BM et le FMI ont joué le rôle le plus actif dans l’endettement. En 2001, les IFI détenaient 87% de la dette extérieure

rwandaise.

Tableau 25.1. Evolution en chiffres absolus de la dette extérieure rwandaise et répartition en pourcentage par types de créanciers 1980 1990 1995 2001 Millions de dollars 150 664 970 1.163 IFI 60,4 81,6 83,6 87,2 Bilatéral 34,6 17,9 16,2 12,8 Privé 5,0 0,6 0,2 0 100,0 100,0 100,0 100,0

Source : World Bank, GDF 2003 Le régime dictatorial en place depuis 1973 garantissait de ne pas verser dans une politique de

changements structurels progressistes. C’est pourquoi il était soutenu activement par des puissances occidentales : la Belgique, la France et la Suisse. En outre, il pouvait constituer un rempart par

rapport à des Etats qui, dans la région, maintenaient encore des velléités d’indépendance et de

changements progressistes (la Tanzanie du président progressiste Julius Nyerere, un des leaders africains du mouvement des non alignés, par exemple).

Durant la décennie 1980 jusqu’à 1994, le Rwanda reçut beaucoup de prêts et la dictature

d’Habyarimana s’appropria une partie considérable de ceux-ci. Les prêts accordés devaient servir à insérer plus fortement l’économie rwandaise dans l’économie mondiale en développant ses capacités

d’exportation de café, de thé et d’étain (ses trois principaux produits d’exportation) au détriment des cultures destinées à la satisfaction des besoins locaux. Le modèle fonctionna jusqu’au milieu des

années 1980, moment où les cours de l’étain d’abord, du café ensuite, et enfin, du thé s’effondrèrent.

Le Rwanda, pour qui le café constituait la principale source de devises fut touché de plein fouet par la rupture du cartel du café provoquée par les Etats-Unis au début des années 1990.

25.3. Utilisation des prêts internationaux pour préparer le génocide

Quelques semaines avant le déclenchement de l’offensive du Front Patriotique Rwandais (FPR) en octobre 1990, les autorités rwandaises signent avec le FMI et la BM à Washington un accord pour

mettre en œuvre un programme d’ajustement structurel (PAS).

Ce PAS est mis en application en novembre 1990 : le franc rwandais est dévalué de 67%. En contrepartie, le FMI octroie des crédits en devises à décaissement rapide pour permettre au pays de

maintenir le flux des importations. Les sommes ainsi prêtées permettent d’équilibrer la balance des paiements. Le prix des biens importés augmente de manière vertigineuse : le prix de l’essence grimpe

de 79%. Le produit de la vente sur le marché national des biens importés permettait à l’Etat de payer

Page 304: Thèse EricT VersionDéf 11juin

289

les soldes des militaires dont les effectifs montent en flèche. Le PAS prévoyait une diminution des dépenses publiques : il y a bien eu gel des salaires et licenciements dans la fonction publique mais

avec transfert d’une partie des dépenses au profit de l’armée. Alors que les prix des biens importés grimpent, le prix d’achat du café aux producteurs est gelé, c’est

le FMI qui l’exige. Conséquence : la ruine pour des centaines de milliers de petits producteurs de

café2. Ceux-ci et les couches les plus appauvries des villes ont dès lors constitué un réservoir permanent de recrues pour les milices Interahamwe et pour l’armée.

Parmi les mesures imposées par la BM et le FMI au travers du PAS, il faut relever en outre :

l’augmentation des impôts à la consommation et la baisse de l’impôt sur les sociétés, l’augmentation des impôts directs sur les familles populaires par la réduction des abattements fiscaux pour charge de

famille nombreuse, la réduction des facilités de crédit aux paysans...

Pour justifier l’utilisation des prêts du couple BM/FMI, le Rwanda est autorisé par la BM à présenter

d’anciennes factures couvrant l’achat de biens importés. Ce système a permis aux autorités rwandaises de financer l’achat massif des armes du génocide. Les dépenses militaires triplent entre 1990 et 19923.

La BM et le FMI ont envoyé plusieurs missions d’experts pendant cette période, ces derniers ont

souligné certains aspects positifs de la politique d’austérité appliquée par Habyarimana mais ont néanmoins menacé de suspendre les paiements si les dépenses militaires continuaient à croître. Les

autorités rwandaises ont alors mis au point des artifices pour dissimuler des dépenses militaires : les camions achetés pour l’armée ont été imputés au budget du ministère des Transports, une partie

importante de l’essence utilisée par les véhicules des milices et de l’armée était imputée au ministère

de la Santé... Finalement, la BM et le FMI ont fermé le robinet de l’aide financière début 1993 mais elles n’ont pas dénoncé l’existence des comptes bancaires que les autorités rwandaises détenaient à

l’étranger auprès de grandes banques et sur lesquelles des sommes importantes restaient disponibles

pour l’achat d’armes. On peut considérer qu’elles ont failli à leur devoir de contrôle sur l’utilisation des sommes prêtées. Elles auraient dû stopper leurs prêts dès début 1992 quand elles se sont rendues

compte que l’argent était utilisé pour des achats d’armes. Elles auraient dû alerter l’ONU dès ce moment. En continuant à réaliser des prêts jusque début 1993, elles ont aidé un régime qui préparait

un génocide. Les organisations de défense des droits de l’homme avaient dénoncé dès 1991 les

massacres préparatoires au génocide. La Banque mondiale et le FMI ont systématiquement aidé le régime dictatorial car celui-ci était un allié des Etats-Unis, de la France et de la Belgique.

25.4. La montée des contradictions sociales

Pour que le projet génocidaire soit mis à exécution, il fallait non seulement un régime pour le concevoir et se doter des instruments pour sa réalisation. Il fallait également qu’une masse appauvrie,

lumpenisée, soit prête à réaliser l’irréparable. Dans ce pays, 90% de la population vit à la campagne,

20% de la population paysanne dispose de moins d’un demi-hectare par famille. Entre 1982 et 1994, on a assisté à un processus massif d’appauvrissement de la majorité de la population rurale avec, à

l’autre pôle de la société, un enrichissement impressionnant. Selon le professeur Jef Maton, en 1982, les 10% les plus riches de la population prélevaient 20% du revenu rural ; en 1992, ils en accaparaient

2 MATON, Jef. 1994. Développement économique et social au Rwanda entre 1980 et 1993. Le dixième décile en face de l’apocalypse. 3 NDUHUNGIREHE, Marie-Chantal. 1995. Les Programmes d’ajustement structurel. Spécificité et application au cas du Rwanda.

Page 305: Thèse EricT VersionDéf 11juin

290

41% ; en 1993, 45% et au début 1994, 51%4. L’impact social catastrophique des politiques dictées par le couple FMI/BM et de la chute des cours du café sur le marché mondial (chute à mettre en

corrélation avec les politiques des institutions de Bretton Woods et des Etats-Unis qui ont réussi à faire sauter le cartel des producteurs de café à la même époque) joue un rôle clé dans la crise rwandaise.

L’énorme mécontentement social a été canalisé par le régime Habyarimana vers la réalisation du

génocide.

25.5. Les créanciers du génocide Les principaux fournisseurs d’armes au Rwanda entre 1990 et 1994 sont la France, la Belgique,

l’Afrique du Sud, l’Egypte et la République populaire de Chine. Cette dernière a fourni 500 000 machettes. L’Egypte - dont le vice-ministre des Affaires étrangères, chargé des relations avec

l’Afrique, n’était autre que Boutros Boutros-Ghali - a offert au Rwanda un crédit sans intérêt pour lui

permettre d’acheter des armes d’infanterie pour un montant de six millions de dollars en 1991. Une fois le génocide déclenché, alors que l’ONU avait décrété, le 11 mai 1994, un embargo sur les armes,

la France et la firme britannique Mil-Tec ont fourni des armes à l’armée criminelle via l’aéroport de Goma au Zaïre5. Une fois Kigali, capitale du Rwanda, prise par le FPR, plusieurs hauts responsables

du génocide ont été reçus à l’Elysée. Les autorités rwandaises en exil ont installé à Goma avec l’aide

de l’armée française le siège de la Banque Nationale du Rwanda. Celle-ci a effectué des paiements pour rembourser l’achat d’armes et en acheter de nouvelles jusque fin août 1994. Les banques privées

Belgolaise, Générale de Banque, BNP, Dresdner Bank... ont accepté les ordres de paiement des

génocidaires et ont remboursé les créanciers du génocide.

25.6. La situation après le génocide

Après la chute de la dictature en juillet 1994, la BM et le FMI ont exigé des nouvelles autorités

rwandaises qu’elles limitent le nombre de fonctionnaires à 50% des effectifs prévu au cadre précédant le génocide. Les nouvelles autorités ont accepté.

Les premières aides octroyées par les Etats-Unis et la Belgique fin 1994 ont servi à rembourser les arriérés de dette du régime Habyarimana à l’égard de la BM. Les aides octroyées par les pays du Nord

arrivaient au compte-gouttes dans le pays qui était à reconstruire. Les autorités ont accueilli plus de

800 000 réfugiés depuis novembre 1996.

D’après le document de David Woodward réalisé pour Oxfam6, en 1996, si la production agricole

s’était un peu redressée, elle restait de 38% inférieure aux habituelles premières récoltes et de 28% inférieure aux secondes. Le secteur industriel s’avérait plus lent encore à récupérer : seules 54 des 88

entreprises de production existant avant avril 1994 avaient repris leur activité et la plupart produisaient bien en deçà de leur niveau antérieur : la valeur ajoutée de l’ensemble du secteur industriel ne

représentait plus fin 1995 que 47% de son niveau de 1990.

L’augmentation de 20% des salaires du service public en janvier 1996 fut la première depuis 1981 mais on estimait officiellement que 80% des travailleurs du secteur public se situaient sous le seuil de

4 MATON, Jef. 1994. Idem. 5 TOUSSAINT, Eric. 1996b. « Nouvelles révélations sur les ventes d’armes » ; TOUSSAINT, Eric. 1997. « Rwanda : Les créanciers du génocide », 5 p., in Politique, La Revue, Paris, avril 1997. 6 WOODWARD, David. 1996. The IMF, the World Bank and Economic Policy in Rwanda : Economic, Social and Political Implications.

Page 306: Thèse EricT VersionDéf 11juin

291

pauvreté. Il ne faut pas s’étonner que les Rwandais préfèrent travailler dans une ONG comme chauffeur ou cuisinier plutôt que s’investir dans la fonction publique. Ce chiffre n’est d’ailleurs pas

particulier à la fonction publique puisque la BM estimait en 1996 que 85 à 95% des Rwandais vivaient en dessous du niveau de pauvreté absolue.

Il faut noter un accroissement considérable du nombre de femmes chefs de ménage passant de 21,7%

avant le génocide à quelque 29,3% avec des pointes de plus de 40% dans certaines préfectures. Leur situation est particulièrement dramatique lorsqu’on sait à quel point les femmes sont discriminées au

niveau des lois notamment liées à l’héritage, à l’accès au crédit et au régime foncier. Déjà avant le

génocide, 35% des femmes chefs de ménage avaient un revenu mensuel inférieur à 5 000 francs rwandais (environ quinze dollars) par personne, alors que ce taux était de 22% pour les hommes chefs

de famille. Malgré un taux élevé d’adoption d’orphelins suite au génocide et au sida, le nombre d’enfants sans

famille oscillait entre 95 000 et 150 000.

Au niveau de l’enseignement, les inscriptions dans le cycle primaire ne sont que de l’ordre de 65% tandis que le taux de fréquentation des écoles secondaires ne dépasse pas les 8%7. Selon la Banque

mondiale, le nombre d’élèves terminant les études primaires a baissé entre 1990 et 2001, passant de

34% à 28%8. Le taux de mortalité infantile se maintient à un niveau particulièrement élevé (183 pour 1000).

En 1994, la dette extérieure totale du Rwanda s’élevait à près d’un milliard de dollars. Cette dette avait

été entièrement contractée par le régime Habyarimana. Dix ans plus tard, cette dette a augmenté

d’environ 15% et le Rwanda est toujours sous ajustement structurel.

La dette contractée avant 1994 rentre pleinement dans la définition de « dette odieuse », en

conséquence le nouveau régime aurait dû en être totalement exonéré. Les créanciers multilatéraux et bilatéraux savaient parfaitement à qui ils avaient affaire quand ils prêtaient au régime d’Habyarimana.

Après le changement de régime, ils n’avaient pas le droit de reporter leurs exigences sur le nouveau Rwanda. Et pourtant, ils l’ont fait sans vergogne.

Les autorités rwandaises qui ont pris le pouvoir en 1994 ont tenté de convaincre la BM et le FMI de

renoncer à leurs créances. Ces deux institutions ont refusé et ont menacé de fermer le robinet du crédit si Kigali s’entêtait. Elles ont demandé à Kigali de faire silence sur l’aide qu'elles ont apportée au

régime d’Habyarimana en échange de nouveaux prêts et d’une promesse d’annulation future de dette

dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (lancée en 1996). Il est déplorable que le gouvernement ait accepté ce marchandage. Les conséquences sont néfastes : poursuite de

l’ajustement structurel dont les conséquences économiques et sociales sont désastreuses et maintien d’une dette extérieure insoutenable et odieuse. En faisant cela, les autorités de Kigali ont obtenu le

statut de bon élève du FMI, de la BM et du Club de Paris. Pire en participant à l’occupation militaire

d’une partie du territoire du pays voisin, la République Démocratique du Congo, à partir d’août 1998 et en participant au pillage de ses ressources naturelles, le régime rwandais s’est fait le complice des

Etats-Unis et de la Grande-Bretagne dans la région (ces deux pays cherchent activement un affaiblissement de la RDC).

7 WOODWARD, David. 1996. Idem. 8 World Bank, World Development Indicators, 2003.

Page 307: Thèse EricT VersionDéf 11juin

292

Chapitre 26

Etude de cas

Le cas de la République démocratique du Congo : implications et responsabilités du FMI et de la BM dans son histoire1

Les Institutions financières internationales (Banque mondiale et FMI) sont intervenues à différents moments de l’histoire du Congo (Congo belge, Congo indépendant, Zaïre et RDC). De ce fait, ces interventions ont pris des formes différentes également. Un dénominateur commun toutefois : les prêts ont soutenu le régime à chaque fois qu’il rencontrait les intérêts des puissances occidentales. Il en résulte que, sous le régime dictatorial de Mobutu, la BM et le FMI ont contribué activement à la création d’une dette odieuse et illégitime : l’endettement actuel de la RDC est en effet constitué quasi totalement des emprunts de Mobutu. Le rétablissement actuel des relations entre la RDC et les IFI n'est rien d'autre qu'une opération de relégitimation de cette dette.

Remarquons d’emblée le fait peu connu que la Banque mondiale a réalisé le 13 septembre 1951 un

premier prêt de 40 millions de dollars au Congo belge et de 30 millions de dollars à la Belgique pour mener à bien un plan de développement de 10 ans au Congo belge. Donc, dès le début de l’histoire de

la BM, à un moment où elle n’est encore que très peu active en matière de développement, le Congo

belge représente une opportunité importante pour l’institution2. Il s’agit de soutenir le royaume de Belgique dans son entreprise coloniale et de le remercier du fait que l’uranium du Congo belge a été

utilisé pour l’effort de guerre des alliés (les bombes atomiques lancées sur Nagasaki et Hiroshima ont été réalisées avec l’uranium congolais).

26.1. Un soutien solide au clan Mobutu Sous le régime de Mobutu (1965-1997), le FMI et la Banque mondiale furent un instrument au service de la politique et de la géostratégie américaine pour récompenser Mobutu de son appui dans la lutte

contre le communisme en Afrique Centrale (Angola, Congo-Brazzaville).

De ce fait, ils se sont rendus complices des exactions contre les droits humains, économiques, sociaux et culturels que le régime de Mobutu a commises dans la mesure où ils continuaient à assister ce

système dictatorial qui, pourtant, n’a pas honoré tous ses engagements financiers, loin s'en faut. En

effet, le Zaïre a bénéficié plusieurs fois de prêts relatifs aux ajustements structurels sous condition de respecter certaines exigences, mais à chaque fois, face au mutisme de ces institutions, l’Etat a pris

l’argent et renié les conditions qui y étaient attachées.

Actuellement, les IFI sont responsables, de même que les gouvernements des pays membres du Club

de Paris, de traiter une dette illégitime qui devrait, selon le droit international, être frappée de nullité. D’autre part, elles sont coupables de ne pas influer sur des instances compétentes de manière à amener

les responsables, qui sont clairement identifiés, à réparer leurs exactions. Les preuves existent depuis

la tenue de la Conférence souveraine de 1991 et les travaux réalisés par plusieurs comités, mais les IFI n’y recourent pas. Elles sont alors complices de ces exactions.

1 Pour la rédaction de ce chapitre, un travail de recherche a été très utile: DIBLING Sébastien, ELONGO

LUKULUNGA Vicky et VANDEN DAELEN Christine. 2004. « Et si le Congo-Zaïre refusait de payer sa dette ? » Etude présentée lors du séminaire international sur la dette extérieure du zaïre en avril 2004. Inédit. 2 KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 1: History, Brookings Institution Press, Washington, D.C., p. 1219

Page 308: Thèse EricT VersionDéf 11juin

293

La situation du pays nécessiterait pourtant des décisions urgentes. Quatre-vingt quatre pour cent de la

population vivent en dessous du seuil de pauvreté (avec moins de 0,2 dollar par jour). Aujourd'hui, la RDC se retrouve au 7e rang des pays dont le niveau de développement humain est le plus faible alors

que le pays regorge de ressources naturelles. Les IFI sont responsables d’obliger le peuple congolais à

honorer un service de la dette qui, à cause de la faiblesse des revenus de l’Etat, représentera après l’annulation PPTE, encore 40% du budget national3.

Les ponctions dans les caisses de l’Etat furent une source stable et abondante d’enrichissement pour le clan Mobutu, à travers trois catégories de détournements : les dépenses légales comme la dotation

présidentielle (opérée hors de tout contrôle), les dépenses illégales dont fait mention le rapport Erwin Blumenthal4 (ce rapport secret fut rendu public en 1982 lors du Tribunal des Peuples), indiquant qu’il

est impossible de contrôler les transactions financières réalisées par l’Etat, le bureau présidentiel

faisant peu de différence entre les dépenses publiques et les dépenses personnelles. Erwin Blumenthal identifia, dans son rapport, au moins sept comptes détenus dans des banques étrangères, lesquels

étaient utilisés pour réaliser des transferts directs sur les comptes personnels de Mobutu ou pour

corrompre des acteurs politiques. Le message d’Erwin Blumenthal était clair : « La corruption érigée comme système caractéristique du Zaïre avec ses manifestations les plus malsaines, sa mauvaise gestion et ses fraudes, détruira toutes les tentatives de ressaisissement et de restauration de l’économie zaïroise par les institutions internationales, les gouvernements « amis » et les banques commerciales. Certainement, il y aura de nouvelles promesses de Mobutu, (…) mais aucune (je répète : aucune) perspective n’est offerte aux créanciers du Zaïre de recouvrer l’argent qu’ils y ont investi dans un futur prévisible »5.

Depuis 1979, les principaux bailleurs de fonds du régime, très liés au FMI, avaient connaissance et

conscience des pratiques frauduleuses et du risque qu’ils encouraient en continuant à prêter au régime Mobutu.

Une troisième catégorie de détournements consiste, selon l’étude, en « dépenses mystérieuses ». Un

des postes importants du budget de l’Etat (environ 18%, d’après une étude de la Banque mondiale en

1989) est celui d’« Autres biens et services », un fourre-tout qui contient peu d’informations sur les affectations de ces dépenses. Selon les experts de la Banque mondiale, la majeure partie de cet argent

fut utilisée, notamment, pour des dépenses somptuaires ainsi que pour l’achat de matériel militaire.

Cette information permet de souligner que la Banque mondiale également était bien au courant de l’application illicite qui était faite notamment de ses propres prêts.

Vers le milieu des années 1970, il était clair que l’argent transféré au Zaïre sous forme de dons ou de

prêts était automatiquement détourné de leur objet initial. Ou bien, ces dons ou prêts étaient

directement transférés sur des comptes étrangers à titre personnel6 ; ou bien, ils étaient investis dans

3 SISTI Elena, Jubilee Research, Congo (Democratic Republic) Reaches Decision Point: www.jubileeplus.org/hipc/hipc_news/congo240903.htm 4 En 1978, le FMI place Erwin Blumenthal à la Banque centrale du Zaïre pour assainir son fonctionnement. En juillet 1979, Erwin Blumenthal quitte ce poste suite aux menaces de mort dont il est l’objet de la part de l’entourage de Mobutu. 5 BLUMENTHAL Erwin. 7 avril 1982. Zaïre : Report on her Financial Credibility, typescript, p.19 6 Mobutu arriva à intercepter certaines sommes avant même qu’elles n’atterrissent dans les caisses publiques ; comme, à titre illustratif, ces 5 millions de dollars accordés par l’Arabie saoudite, en 1977. (DUNGIA, E. 1992. Mobutu et l’argent du Zaïre, L’Harmattan, p.157

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des projets de prestige, inadaptés et/ou inutiles qui permirent l’enrichissement de nombreuses personnes mais sûrement pas l’industrialisation durable de l’économie. Par exemple, d’après l'Office

des biens mal acquis (OBMA), institué à l’issue des travaux de la Conférence nationale, Mobutu aurait pu empocher une commission de 7% sur la valeur du projet de la centrale hydro-électrique d’Inga.

L’enquête n’a pu aboutir à cause des résistances officielles7.

26.2. L’origine de l’endettement à l’époque du Zaïre De 1965 à 1969, le stock de la dette extérieure8 est passé de 32 millions de dollars à 159 millions de

dollars. C’est en 1970 qu’arrive le premier tournant. En effet, en cette seule année, le stock de la dette

a augmenté de 180 millions de dollars, soit multiplié par deux. Le deuxième tournant intervient en 1973, lorsque les cours du cuivre et d’autres matières premières s’envolent sur les marchés

internationaux. Les ressources budgétaires et les réserves de change sont importantes, ce qui permet au

régime d’emprunter massivement. Ce sera l’expansion fulgurante de grands projets coûteux à rentabilité lointaine. Jusqu’en 1979, le stock de la dette augmente d’un peu moins de 700 millions de

dollars en moyenne par an et est majoritairement privé. Le problème récurrent de cette période tient au fait que ces sommes étaient utilisées pour des investissements générateurs de ressources (cash) dans un

très lointain et donc très incertain avenir.

Les secteurs comme l’énergie, le transport, la communication de même que les travaux publics sont

indispensables pour le développement d’un pays, car ils constituent les prémisses du développement

d’activités productives. Toutefois, ces projets ne furent pas basés sur la rationalité économique tant au niveau de l’expertise, du financement que de l’exécution.

Par exemple, les opérateurs zaïrois et, plus particulièrement, l’Etat zaïrois sollicitaient et obtenaient des organismes financiers (surtout privés) des crédits commerciaux onéreux et à court et moyen terme

pour financer des projets dont la rentabilité ne sera visible qu’à très long terme. De tels

investissements d’infrastructure devraient plutôt être financés par des emprunts dont le taux d’intérêt est faible, et surtout pas variable, et dont l’échéance de remboursement est la plus lointaine possible.

Ce type de contrat n’existe réellement qu’entre les Etats, cette relation permettant des conditions

privilégiées. Ni le débiteur, ni le créancier n’ont respecté la discipline financière qui veut que les conditions de

l’emprunt coïncident avec les caractéristiques du projet. Par exemple dans le cas du barrage d’Inga, destiné à produire de l’électricité pour la totalité du Zaïre et des pays voisins, le financement résulta

d’un prêt à moyen terme selon des conditions commerciales. Or, la construction du barrage mit près de

dix ans et on aurait dû estimer sa rentabilité au moins vingt à trente ans après. Il en résulte que la dette ne pouvait être remboursée que par la poursuite de l’endettement.

Petit à petit, la situation devient intenable et le Zaïre ne peut satisfaire les échéances de ses contrats d’emprunts. En plus des mauvais choix d’investissement, il faut ajouter l’augmentation des prix du

pétrole ainsi que la diminution des prix du cuivre. Les pressions montent lorsque le Zaïre décide de stopper le paiement du principal et des intérêts de sa dette commerciale. Le FMI intervient et signe

avec le Zaïre le premier programme de stabilisation qui comporte les conditionnalités habituelles telles

7 ASKIN Steve et COLLINS Carole. 1993. « External Collusion with Kleptocracy : Can Zaïre Recapture its Stolen Wealth ?” in African Political Economy, n° 57, p.77 8 L’ENTREPRENEUR. 1980. « Le lancinant problème de la dette extérieure du Zaïre », n°11, Décembre 1980, p. 44-47

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que la dévaluation de la monnaie, la diminution des dépenses publiques et les garanties pour maintenir le service de la dette9. Ses créanciers lui permettent de différer les amortissements, en lui faisant ainsi

bénéficier de rééchelonnements. Entre 1976 et 1981, la dette du Zaïre aura été traitée quatre fois au Club de Paris pour un montant total de 2,25 milliards de dollars10, et, entre 1976 et 1983, le Zaïre aura

signé trois accords de Programme d’ajustement structurel avec le FMI. Il bénéficiera en 1983 d’un

cinquième traitement de sa dette dont 1,490 milliards de dollars auront été rééchelonnés. Il est intéressant de constater à ce stade, les largesses du FMI à l’égard d’un pays mauvais payeur et ne

respectant pas ses engagements conditionnels.

De 1979 à 1984, le stock de la dette augmente peu, le Zaïre essayant d’assurer le service de sa dette.

Pendant cette période, le transfert financier est à peine positif. Les déboursements réalisés par les créanciers servent, en fin de compte, principalement à rembourser la dette.

De 1984 à 1990, le stock augmente de 70% en prix constants. Entre 1982 et 1988, le FMI accorde 600 millions de dollars de prêts, la Banque mondiale 650 millions de dollars, les gouvernements

occidentaux 3 milliards de dollars et les banques commerciales refusèrent de continuer à prêter.

Pendant cette période, en dépit des avertissements du représentant du FMI, Erwin Blumenthal, le Zaïre est considéré comme l’élève modèle du FMI11. Cette complaisance de l’étranger s’explique par des

considérations politiques et géostratégiques. Ainsi, malgré les avertissements de l’Ambassadeur états-unien sur la difficulté de contrôler l’affectation des aides, le régime obtient toutes les allégeances du

gouvernement américain et le Président Ronald Reagan demande de doubler l’aide militaire pour

remercier Mobutu d’avoir soutenu les troupes américaines au Tchad12. En 1987, le FMI, sous pressions américaines, approuve un prêt d’ajustement structurel malgré les objections fortes des

seniors du FMI. Au même moment, Mobutu permettait aux troupes américaines d’utiliser son territoire

et ses bases pour ses opérations en Angola13.

Avant 1986, les sommes empruntées étaient principalement utilisées dans le remboursement de la dette et les possibilités d’investir furent faibles. Le budget d’investissement fut estimé à seulement 65

millions de dollars en 1985 et il fut diminué, par la suite, à 40 millions de dollars. Plus tard les projets

d’investissement recommencèrent à avoir la cote et le stock de la dette du Zaïre crût considérablement.

A partir de 1990, le régime de Mobutu commence à être isolé de la scène internationale. La chute du

mur de Berlin marque la fin de la guerre froide et l’allié Mobutu perd de son intérêt. A partir de ce moment, les déboursements se font rares et le transfert net tend à être négatif à partir de 1990, comme

l’atteste un rapport de la Banque mondiale (1996)14. Selon ce même rapport, en 1994, le Zaïre paya 201 millions US$ de plus que ce qu’il reçut des institutions financières. En 1991, le FMI rompt les

relations avec le Zaïre, la Banque mondiale fera de même en 1993. Sans nouveaux déboursements

étrangers, le Zaïre ne dispose plus de liquidités suffisantes pour satisfaire au remboursement de sa

9 HAYNES, J., PARFITT, T. et RILEY, S. 1986. “Debt in Sub-Saharan Africa: The local politics of stabilisation”, African Affairs, Juillet 1986, p.346. 10 Site du Club de Paris : www.clubdeparis.org 11 Idem, p. 347. 12 NDIKUMANA, Leonce et BOYCE, James. 1997. Congo’s Odious Debt : External borrowing and Capital Flight”, Department of Economics, University of Massachusetts. 13 Idem, p.17. 14 Ibid, p.18.

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dette et il suspend le service en 1994. Les intérêts et les pénalités seront capitalisés, gonflant le stock de la dette.

Le Zaïre de Mobutu fut le terrain fertile d’un gaspillage généralisé des ressources consacrées au

transfert de technologie et des ressources qui leur sont liées. En effet, d’abord le chef de l’Etat avait

une influence prépondérante dans ce mécanisme, source de revenus considérables, qui permettait au dictateur de bénéficier d’une reconnaissance internationale grâce aux constructions de prestige.

Ensuite, la classe dirigeante, dont la corruption fut inséparable du pouvoir qu’elle détenait, puisait une

grande partie de sa richesse dans ce type d’entrées de biens et services. Il est évident qu’un tel système existe si et seulement si un appui extérieur est mis en place : la BM et le FMI ont constitué une partie

importante de cet appui.

Le système mobutiste fut légitimé par la collusion entre la classe politique nationale et les

personnalités politiques des pays occidentaux, qui, par effet d'entraînement, engageaient leur gouvernement et, partant, leurs électeurs, dans le soutien d’un régime responsable d’actes criminels

énoncés ci-dessus.

Pour tout emprunt, le créancier risque de ne pas retrouver son argent à l’échéance du contrat. C’est

pour cela qu’il lui est important de connaître son débiteur. Le Zaïre était reconnu, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, pour ses pratiques de corruption, de détournements et de non-respect des engagements

financiers. Cependant, ce qui est étonnant, c’est que les créanciers minimisaient, au nom de divers

prétextes, ce risque, en misant, d’une part, sur l’immensité des richesses potentielles du pays et, d’autre part, en faisant confiance à la "bonne foi" de Mobutu à travers ses Lettres d’intention. Par

ailleurs, ce risque fut peu contraignant dans la mesure où la plupart des crédits octroyés au régime de

Mobutu étaient couverts par des garanties d’agences d’exportations et d’importations des pays occidentaux. En plus, l’argent prêté était souvent rapatrié directement à l’étranger sur les comptes

privés du clan Mobutu, favorisant ainsi la fuite de capitaux du pays et assurant aux banques la possession de l’argent et une rémunération supplémentaire pour sa bonne gestion.

26.3. Kabila I : le bouleversement inachevé

Laurent-Désiré Kabila devient, le 28 mai 1997, Président de la RDC et s'arroge l'ensemble des pouvoirs exécutifs et législatifs. Devant l'urgente nécessité de capitaux pour la reconstruction

économique du pays, il renoue avec la communauté internationale et, en particulier, avec la Banque

mondiale et le FMI15.

A la demande du gouvernement congolais, la Banque mondiale organise à Bruxelles, le 4 décembre

1997, la Conférence des "Amis du Congo". Devant un large panel de bailleurs potentiels (17 pays et pas moins de 19 organisations internationales) invités à soutenir les efforts de redressement de

l'économie congolaise, l'équipe de Laurent-Désiré Kabila présente son programme triennal de reconstruction. Ce plan mettait l'accent sur la remise en état des infrastructures de transport, d'eau et

d'électricité, sur la réhabilitation de l'agriculture, l'appui à la restructuration du secteur industriel et la

lutte contre le chômage. Si à l'issue de ces assises, les partenaires tant bilatéraux que multilatéraux 15 Depuis 1992 (suite au massacre d'étudiants sur le campus de Lubumbashi puis des blocages intervenus dans le processus de démocratisation ), le Congo était frappé de fait d'un embargo financier. Durant de longues années, il fut le pays le moins aidé pays de la région.

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s'engagèrent formellement à reprendre leur coopération avec le Congo, la Conférence s'acheva néanmoins sur un échec : le programme de Laurent-Désiré Kabila fortement emprunt de convictions

nationalistes et surtout "étatistes" effraya les financiers occidentaux. Et ce, d'autant plus que le gouvernement revendiquait une totale autonomie quant à la gestion, en fonction des priorités

contenues dans ce plan, des fonds octroyés. Exigence proprement inacceptable pour la Banque

mondiale et le FMI. Ainsi, il n'y eut pas d'allégement de la dette. De plus, la modicité des sommes allouées (52 millions de dollars), sans aucune mesure avec les besoins de reconstruction du pays

estimés à 3 milliards, déçut et fâcha même le nouveau pouvoir. Dès lors, les relations demeurèrent

tendues avec le FMI et la Banque mondiale, considérés comme des officines plus préoccupées par le remboursement de la dette que par le souci de développement du pays.

De fait, comment cet Etat en déliquescence totale aurait-il pu faire face une dette qui, en 1997,

s'élevait à 7.759,4 millions de dollars ? La reprise des paiements aurait certes mené à l'effondrement de

l'économie congolaise, aurait précipité la population dans une misère extrême et aurait même, à terme, menacé l'indépendance du pays.

Suite à cette même conférence et à la visite quasi simultanée de la secrétaire d'Etat américaine Madeleine Albright, qui a rappelé à la RDC que toute aide financière serait liée à une ouverture

démocratique du régime, Laurent-Désiré Kabila opta cependant pour un nouvel acte de coopération Sud-Sud avec d'autres Etats africains, comme le Zimbabwe, et asiatiques. Au retour d’un voyage en

Chine, il alla même jusqu'à déclarer que ce pays était un modèle de développement également

politique pour le Congo16.

Au vu des orientations politiques du nouveau pouvoir ayant eu l'audace de prétendre déconnecter le

Congo des circuits dominants, on comprend aisément que la communauté financière internationale ait cultivé de la méfiance, voire de l'hostilité, à l'égard de Laurent-Désiré Kabila, appelé en privé "le

missile non-téléguidé". Dès lors, elle s'employa à isoler et à affaiblir au maximum le nouveau pouvoir.

26.4. Kabila II : la soumission enthousiaste Retournement de situation sous Joseph Kabila. Qu'entreprend donc le gouvernement de Joseph Kabila

pour que la RDC de paria infréquentable se mue en bon élève et reconquiert sitôt la confiance et les "faveurs" de la communauté financière internationale ?

Il concède tout ce que son père avait refusé. Sur le plan économique, il définit des options libérales. Il libère les prix et le taux de change du franc congolais par rapport au dollar et opte pour un mode de

développement axé sur la promotion des exportations afin de fournir les capitaux nécessaires au

remboursement de la dette léguée par Mobutu. Il appelle au gouvernement des technocrates qui ont fait leurs preuves dans des institutions internationales, parmi lesquelles Matungulu Mbuyamu Ilankir,

docteur en sciences économiques, devenu représentant résident du FMI au Cameroun et qui devient Ministre des finances, ou André Philippe Futa, docteur en économie de développement de l'université

d'Oklahoma, ancien représentant de la Banque africaine de développement en Afrique de l'Est, qui

16 BRAECKMAN, Colette. 2003. « Les nouveaux prédateurs. Politique des puissances en Afrique centrale », Paris, Fayard, p.207

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obtient le portefeuille de l'Agriculture17. Mais surtout il soumet son pays aux directives d'un nouvel ajustement structurel nommé Programme intermédiaire minimum et mis au point dès mars 2001 par le

FMI et la Banque mondiale. Selon la logique de ce programme, il s'agit avant tout de maîtriser l'hyperinflation (passée en 1998-1999 de 135 à 484%), de juguler le déficit monétaire et de revenir sur

les mesures dirigistes qui, en dépit de bonnes intentions, se sont soldées par des échecs retentissants.

En cascade, les décisions se succèdent : la liberté de détenir des devises étrangères est restaurée, le marché du diamant est libéralisé, ainsi que celui du pétrole. Une loi sur les tribunaux de commerce est

promulguée, tandis qu'un nouveau Code des investissements, beaucoup plus libéral, qui autorise le

rapatriement des bénéfices et l'indépendance de la Banque Centrale, est décrété. Clé de l'édifice, un nouveau Code minier, plus libéral lui aussi, est mis en chantier. Les entreprises publiques passent

également sous les fourches Caudines des réformateurs : jugées pléthoriques et dispendieuses, il est décidé d'en rationaliser le personnel et les activités, sinon de les privatiser18.

Au vu de l’exemplaire coopération de l’équipe de Joseph Kabila, pour ne pas dire de sa docilité parfaite, la Banque mondiale et le FMI font miroiter à la RDC un allègement conséquent de sa dette

extérieure au travers de sa participation à l’initiative PPTE.

L'immense dette extérieure, héritée du Zaïre de Mobutu, et quasiment impayée depuis 1994, place la

RDC dans une situation irrégulière par rapport à ses différents créanciers. Tandis que les pays partenaires (les cinq principaux créanciers de la RDC sont les Etats-Unis, la France, la Belgique,

l'Allemagne et l'Italie) diminuent de ce fait leur aide publique au développement, le FMI et la Banque

mondiale réclament en tant que "créanciers prioritaires" le remboursement en priorité et intégral de leurs prêts19. La réaction de l'équipe de Joseph Kabila, ne se fit pas attendre : les remboursements

reprirent dès 2001. Dépendant des financements extérieurs pour sa reconstruction, le pays doit régler

de manière urgente le problème de ses arriérés afin de régulariser sa situation financière, de profiter de nouveaux prêts et de participer à la nouvelle entreprise de restructuration de la dette concoctée par la

Banque mondiale et le FMI : l'initiative PPTE.

26.5. Le tour de passe-passe de l'initiative PPTE Un grand pays comme la RDC, avec toutes ses richesses naturelles, ne devait pas rester plus

longtemps au ban des nations et à l'écart des circuits commerciaux mondiaux. C'est là que l'initiative PPTE intervient. Son but est double : relégitimer la dette odieuse contractée sous Mobutu et s'assurer

que les richesses congolaises seront de nouveau largement disponibles sur les marchés internationaux.

Nous avons repris certaines parties de l’analyse critique qu’Arnaud Zacharie20 a réalisée sur l’initiative

PPTE dont bénéficie le Congo.

17 Idem, p.139. 18 Ibid, p.208-209. 19 La dette extérieure totale de la RDC fin 2001 est évaluée à près de 13 milliards de dollars. Les arriérés représentent les trois quarts de la dette totale essentiellement due aux pays du Club de Paris (70,5 %) et aux institutions multilatérales (24,2 %). 20 ZACHARIE, Arnaud. 2003. La stratégie DSRP- PPTE en R. D. Congo et La diplomatie du chéquier, Bruxelles, CNCD.

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« L'entrée de la RDC dans la première phase de l'initiative PPTE lui permet de bénéficier d'une opération de "régularisation" de sa dette extérieure. Cette restructuration s'est dessinée en deux temps : en juin 2002 pour la dette multilatérale et en septembre 2002 pour la dette due au Club de Paris. La première phase a consisté à régler le remboursement des arriérés de la RDC envers le FMI et la Banque mondiale. Le processus vise à garantir le remboursement par une opération de "consolidation", c'est-à-dire en remplaçant les arriérés impayés et impayables par de nouvelles dettes à un taux d'intérêt "concessionnel" de 0,5%. Concrètement, quatre pays (Belgique, France, Suède, Afrique du Sud) ont prêté la somme nécessaire à la RDC pour qu'elle rembourse ses arriérés au FMI. Ensuite, le FMI a prêté la somme nécessaire à la RDC pour rembourser ces prêts d'Etat. Dans le même temps, la Banque mondiale a octroyé un crédit à la RDC pour que le pays liquide ses arriérés à son égard. Au final, la RDC a troqué ses arriérés multilatéraux contre une nouvelle dette à 0,5% due au FMI et à la Banque mondiale. La seconde phase a consisté à régler le remboursement des arriérés dus aux 14 pays créanciers rassemblés dans le Club de Paris. La dette due par la RDC au Club de Paris est évaluée en septembre 2002 à 10,3 milliards de dollars, dont près de 90% sont des arriérés accumulés depuis le dernier accord entre le Club de Paris et le Zaïre, en 1989. L'accord de septembre 2002 a consisté à restructurer 9,9 milliards de cette dette selon les termes de Naples21. Le Brésil, pays créancier de la RDC mais non membre du Club de Paris, a également signé cet accord. Le montant des dettes accumulées est évalué à environ 4,6 milliards de dollars, ce qui correspond au montant des arriérés sur le principal de la dette extérieure congolaise, et le montant des dettes rééchelonnées est évalué à 4,3 milliards de dollars. Les calculs du FMI estiment que cet accord permet de libérer 300 millions de dollars pour le DSRP22. Ces opérations de consolidation de la dette extérieure de la RDC, liées à la mise en œuvre des deux programmes signés avec le FMI, permettent à la RDC de répondre aux conditions de la première phase de l'initiative PPTE. Le point de décision de l'initiative, initialement prévu en mars 2002, a été atteint le 24 juillet 2003. A ce stade, la RDC se voit gratifiée d'une aide intérimaire et le staff du FMI calcule le montant d'allégement de dette que le pays pourrait recevoir au point d'achèvement de l'initiative prévu en 2006. Dans le cas de la RDC, l'aide intérimaire sera des plus modestes, les créanciers estimant que les termes de la restructuration opérée en 2002 ont été suffisamment importants et qu'il ne reste désormais que très peu de créances datant des premiers échelonnements de la dette du Zaïre au début des années 1980. Le FMI estime que l'aide intérimaire permettra une réduction du service de la dette de 35 millions dollars en 2003, puis de 73 millions US dollars en 2005 »23.

La dette Mobutu devient donc par un jeu d'écritures une dette Kabila II, jugé fréquentable puisque,

après une guerre qui a fait plus de trois millions de victimes, la communauté internationale a construit un plan de paix autour de lui en lui adjoignant quatre vice-présidents représentant les diverses factions

en lutte jusque là.

21 Le G7 de Naples avait décidé en 1994 de permettre des allégements de dette allant jusqu'à 67 % des dettes restructurées et des rééchelonnements d'autres dettes. 22 ZACHARIE, Arnaud. 2003. La stratégie DSRP- PPTE en R. D. Congo, Bruxelles, CNCD, p.7. 23 Idem, p.8.

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Selon les bailleurs, l'initiative devrait aboutir en 2006 à un allégement de 90% de la dette de la RDC (les allégements étant étalés sur plusieurs décennies), ce qui la ramènerait à 2 milliards de dollars en

valeur actuelle nette (VAN) (niveau jugé soutenable par les créanciers) auquel il faudrait ajouter les nouveaux prêts consentis entre-temps.

Après analyse approfondie, il apparaît que l’initiative PPTE se révèle incapable de propulser un développement socio-économique en RDC.

Ainsi, la Banque mondiale a « calculé qu'avec 7% de croissance en moyenne, il faudrait 60 ans pour que le pays revienne au niveau social qu'il connaissait en 1960 ! »24. Le document intérimaire de stratégie de réduction de la pauvreté ne prévoit lui-même une croissance suffisante pour réduire la

pauvreté qu'à partir de 2009, mais s'empresse d'ajouter que « même ce taux réaliste (de 8,1% de croissance) est très difficile à réaliser à court et moyen terme. (…) En d'autres termes, ces projections suggèrent que la République Démocratique du Congo ne sera pas en mesure d'atteindre les objectifs internationaux de réduction de la pauvreté absolue d'ici 2015 » 25.

Il s'avérerait, en outre, que la RDC à la fin de l'initiative soit susceptible de se retrouver confrontée à

un endettement extérieur insoutenable à moyen terme. Cette situation résulterait principalement de deux facteurs imputables au FMI. Tout d'abord, les

projections de croissance des exportations, du PIB, des recettes publiques, etc. sur lesquelles se basent ces experts du FMI pour déterminer l'évolution de la viabilité de la dette et dès lors, le montant des

allégements octroyés, sont parfaitement irréalistes. Aussi tablent-ils pour la RDC sur un taux de

croissance de 7% et une augmentation de plus de 10% des exportations dès 2004 et 200526. Comment prendre au sérieux ces estimations extrêmement positives lorsque l'on connaît le marasme économique

dans lequel se trouve le pays depuis de trop nombreuses années? Etant donné qu'on retrouve cet

optimisme pour la majorité des pays, il suffirait par exemple d'une chute des cours des matières premières ou d'un tassement de l'aide publique au développement pour que la dette extérieure de ces

pays recommence son effet boule de neige27. Ensuite, les projections ne prennent pas en compte les nouveaux emprunts qui seront inéluctablement contractés (et gonfleront dès lors le stock de la dette)

pour financer d'importants et indispensables investissements d'infrastructures économiques et sociales.

Ainsi, en décembre 2002, les pays partenaires de la RDC ont confirmé leur décision d'engager 2,5 milliards de dollars dans les trois prochaines années pour la reconstruction, la lutte contre le sida, la

réintégration des combattants, le budget et le renforcement des capacités.

En 2005, le service de la dette extérieure atteindrait 290 millions de dollars, montant encore

considérable vu la pénurie de revenus dont souffre le pays. Ce transfert net de capitaux vers le Nord, représente 27% du budget de l'Etat, dépassant ainsi les budgets cumulés de santé et d'éducation prévus

à terme par le DSRP-I - soit respectivement 15 et 10% du budget. Sans le montant de l'aide prévue,

c'est plus de 43% des revenus gouvernementaux qui seraient affectés au seul service de la dette28.

Dans le cas de la RDC, l'initiative PPTE est à la fois stratégique, malvenue, insuffisante et inadaptée.

24 Propos de Souleymane Sow, représentant de la Banque mondiale à Kinshasa, in ZACHARIE, Arnaud. 2003. La stratégie DSRP- PPTE en R. D. Congo, Bruxelles, CNCD, p.24 25 Demain Le Monde, n°78, novembre 2003 26 ZACHARIE, Arnaud. 2003. La diplomatie du chéquier, Bruxelles, CNCD, p.9 27 ZACHARIE, Arnaud. 2003. La stratégie DSRP- PPTE en R. D. Congo, Bruxelles, CNCD, p.5 28 Idem, p.7

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Stratégique car avec la garantie d'un approvisionnement en matières premières à moindre coût et de la reprise des remboursements, les riches créanciers du Nord ont assuré leurs intérêts économiques et

géostratégiques et ont tenté d'empêcher toute action juridique en vue de la reconnaissance du caractère odieux de la dette issue du régime de Mobutu.

Malvenue puisqu'elle s'emploie à traiter une dette frappée de nullité car reposant sur des actes

illégitimes. Cette gigantesque opération de restructuration consiste à troquer de vieilles dettes illégitimes et impayables contre de nouveaux emprunts à taux avantageux. Du coup, la montagne

d’anciennes dettes est remplacée par un stock plus modeste de nouvelles dettes légitimées.

Insuffisante car elle ne prévoit aucune procédure judiciaire qui permettrait la rétrocession des biens mal acquis. Elle consacre de la sorte l’impunité autant des corrupteurs que des corrompus et ne

participe pas à l’avènement d’un modèle transparent sur lequel devra reposer la future nation congolaise.

Enfin, inadaptée car elle contribue fort peu à l'amélioration des conditions de vie des Congolais et

contient un tel nombre d'effets pervers par rapport à l'objectif déclaré de réduction de la pauvreté, que la CNUCED et la Commission des droits de l'homme de l'ONU publient des rapports très critiques à

son égard. Dans ce pays, dévasté par plus de trente années de dictature, par deux guerres et où règne

une malnutrition chronique, les projections strictement macro-économiques liées à l'initiative PPTE et aux conditionnalités des IFI sont contraires aux intérêts de la population congolaise. Ce dernier avatar

des institutions financières internationales ne prend pas en compte l'aspect social et ne retient que l'aspect financier. C'est une solution de financiers à un problème financier, rien d'autre.

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302

Chapitre 27

Etude de cas

Amérique latine 27.1. 1982-… : la quatrième crise de la dette latino-américaine A la différence de la crise des années 1930, les gouvernants d’Amérique latine se sont résignés après

la crise mexicaine de 1982 à négocier séparément, sous la tutelle des Etats-Unis, avec leurs créanciers étrangers privés (qui détenaient l’essentiel de la dette extérieure). La raison principale invoquée par les

gouvernements latino-américains : il fallait empêcher que les lignes de crédit extérieur se ferment les unes après les autres. Leur attitude a entraîné une énorme sortie de richesses au profit des créanciers

privés sans pour autant empêcher que les robinets des banques étrangères ne se ferment. La

Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL) estime que le transfert net de capitaux d’Amérique latine vers le Nord a atteint entre 1983 et 1991 plus de 200 milliards de dollars1. Les pays

d’Amérique latine ont donc transféré aux créanciers du Nord des sommes colossales. Entre 1982 et

2000, l’Amérique latine a remboursé en service de la dette 1 452 000 millions de dollars soit plus de quatre fois le stock total de sa dette qui s’élevait à 333 200 millions de dollars en 1982. De ce fait,

l’endettement a poursuivi sa croissance comme le montre le tableau suivant.

1 Dans une recherche très intéressante réalisée par Pablo Gonzalez Casanova (1999), prolongée par la suite par John Saxe Fernandez et Omar Nunez Rodriguez (2001), on trouve une analyse qualitative et quantitative des différentes formes de transferts de l’Amérique latine et de la Caraïbe vers les pays les plus industrialisés du Centre pour la période 1976-1997. Voir Pablo Gonzalez Casanova (1999), La explotacion global, Mexico, CEIICH, UNAM, 1999 ; SAXE-FERNANDEZ, John et NUNEZ RODRIGUEZ OMAR. 2001. «Globalizacion e imperialismo : transferencia de excedentes de America latina», in FERNANDEZ J. S., PETRAS J. (2001), Globalizacion, imperialismo y clase social, Lumen SRL, Mexico, 2001.

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303

Tableau 27.1. Evolution de la dette extérieure de l'Amérique latine et de la Caraïbe

Evolution de la dette extérieure de l'Amérique latine et de la Caraïbe (en millions de dollars) Années 1970 1980 1990 1996 1999 2001 2002 Total Amérique latine + Caraïbe 32 561 257 374 475 374 670 868 794 836 764 880 789 398 1970 1980 1990 1996 1999 2001 Principaux pays endettés Brésil 5 734 71 527 119 964 181 322 243 711 226 362 Mexique 6 969 57 378 104 442 157 498 167 250 158 290 Argentine 5 810 27 157 62 233 111 378 145 294 136 709 Venezuela 1 422 29 356 33 171 34 490 37 261 34 660 Pérou 3 211 9 386 20 064 28 981 29 210 27 512 Colombie 2 236 6 941 17 222 28 900 34 424 36 699 Chili 2 977 12 081 19 226 23 049 34 269 38 360 Sous-total 28 360 213 825 376 322 565 617 691 420 658 592 Sous-total en % 87% 83% 79% 84% 87% 86% Pays moyens Equateur 364 5 997 12 107 14 495 15 305 13 910 Petits pays Bolivie 588 2 702 4 275 5 195 5 548 4 682 Haïti 43 350 911 904 1 182 1 250 El Salvador 182 911 2 149 2 914 3 795 4 683 Guatemala 159 1 180 3 080 3 772 4 205 4 526 Nicaragua 203 2 193 10 745 5 961 6 909 6 391 Paraguay 112 955 2 105 2 565 3 393 2 817 Uruguay 363 1 660 4 415 5 899 7 501 9 706

Tableau établi par Damien Millet sur la base de GDF 2003

27.2. La politique des gouvernements latino-américains dans les années 1990 “ Le taux de pauvreté a diminué dans les années 1950 et plus rapidement encore dans les années 1960 et 1970. Les années 1980 ont été désastreuses. Dans les années 1990, seuls quelques pays ont enregistré une diminution de la pauvreté (Chili, Colombie)”2.

En 1993-1994, presque tous les chroniqueurs financiers ainsi que maints économistes de renom

accordaient foi aux propos autosatisfaits de la Banque mondiale et du FMI concernant la grande reprise économique en Amérique latine (comme ils l’ont fait jusqu’en juin 1997 à l’égard des “ tigres ”

du Sud-Est asiatique alors que la crise avait débuté dès avril 1997). Ils montaient en épingle le fait que d'importantes masses de capitaux retournaient vers les pays d'Amérique latine. Cela mettait soi-disant

un point final à la décennie perdue, celle des années 1980. Jacques de Groote, après avoir quitté ses

fonctions d’administrateur au FMI déclarait au quotidien belge Le Soir (28 mars 1994), quelques mois avant la crise mexicaine de décembre 1994 : “ Il existe d’innombrables exemples de succès. Le cas

2 PNUD. 1997. Rapport mondial sur le développement humain, p.37.

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typique est celui du Mexique. En octobre 1982, ce pays connaissait une grave crise de la dette et l’action conjointe du FMI et de la BM a permis une adaptation rapide, un redressement de la balance des paiements avec une réduction limitée et de courte durée des revenus de la population. Aujourd’hui, on assiste à un retour des capitaux vers Mexico et la Banque mondiale y gère un programme destiné à diversifier la production. (...) En fait, l’ensemble des pays d’Amérique latine (....) se comportent très bien économiquement ”.

Mais, à la vérité, ces flux d'investissement étaient (et sont) volatils. Ils étaient attirés par deux éléments

principalement : une politique de taux d'intérêt très élevés pratiquée par les bons élèves du FMI (Brésil, Mexique, Argentine...) et une vague de privatisations sans précédent (entreprises vendues pour

une bouchée de pain). Comme on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, les gouvernements soucieux d'attirer des capitaux ont pris soin d'accorder une amnistie fiscale à tous leurs ressortissants

qui daignaient rapatrier les capitaux qu'ils avaient placés à l'étranger.

Pendant ce temps, le déficit de la balance commerciale mexicaine se creusait. Ce qui a entamé la

confiance des investisseurs privés et les a amenés à faire sortir progressivement leur argent en 1994.

Les actions acquises en bourse ont été revendues. C'est de manière schématique, ce qui s'est passé au Mexique. Pour tenter d'éviter qu'une telle aventure ne leur arrive, les gouvernements brésilien et

argentin ont pratiqué une politique agressive de hauts taux d'intérêts pour tenter d'empêcher le départ des capitaux vers d'autres cieux. Cela n’a pas suffi, le Brésil a été pris dans la tourmente fin 1998-

début 1999 quand les capitaux se sont retirés massivement du pays. L’Argentine qui avait déjà été

secouée par l’effet Tequila de la crise mexicaine en 1995 a plongé dans la crise depuis 1999. En 2002, celle-ci s’est étendue au Brésil et à l’Uruguay.

27.3. Etatisation des dettes privées, privatisation des entreprises, dépression sur le marché intérieur et dépendance accrue à l’égard du capital étranger Quand les gouvernements ont étatisé la dette privée (en Argentine, cette opération qui a eu lieu entre

1980 et 1982 a représenté un effort équivalent à 25% du PIB ; au Mexique, le sauvetage des banques dans la deuxième moitié des années 1990 a coûté 15% du PIB), ils l’ont fait au plus grand profit des

capitalistes locaux qui ne se sont pas contentés de faire ainsi des économies substantielles mais qui, de

plus, ont exporté une grande partie de leurs capitaux vers les marchés financiers du Nord. Ce n’est pas tout : comme l’Etat s’est chargé des dettes des entreprises privées, celles-ci ont tiré profit

de l’opération en utilisant le capital rendu disponible pour acheter les entreprises publiques

progressivement privatisées à partir de la seconde moitié des années 1980. Certains pays, le Mexique et l’Argentine par exemple, ont privatisé plus vite que d’autres : le Brésil et

le Venezuela n’ont entamé des privatisations à grande échelle qu’en 1996-1997.

Comme mentionné plus haut, depuis le début des années 1990, la plupart des autorités du continent

pratiquent une politique d’intérêts réels élevés de manière à pouvoir attirer des capitaux étrangers ou à convaincre les capitalistes locaux de rapatrier une partie des capitaux qu’ils avaient placés au Nord. Le

coût social de cette politique est élevé : les petits et moyens producteurs locaux, sans parler des ménages, n’ont plus accès au crédit et une récession de la production pour le marché intérieur en

découle.

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305

La croissance est soutenue par les exportations, d’une part, et par les importations pour satisfaire les besoins des capitalistes et des classes moyennes élevées. Les hauts taux d’intérêts réels pratiqués à

l’intérieur de la plupart des pays d’Amérique latine conduisent les pouvoirs publics nationaux et les administrations ou entités locales à emprunter au prix fort aux capitalistes locaux pour rembourser la

dette extérieure et la dette publique interne détenue par ces mêmes capitalistes ou par les capitalistes

du Nord. Comme l’argent collecté par les pouvoirs publics sur le marché financier intérieur coûte très cher et ne

suffit pas aux besoins de remboursement des dettes antérieures, les gouvernants et les entreprises

privées procèdent à l’émission de titres sur les marchés internationaux. C’est moins coûteux puisque les taux d’intérêt pratiqués au Nord sont actuellement inférieurs à ceux pratiqués à l’intérieur de pays

comme le Brésil, le Mexique, l’Argentine. L’inconvénient, c’est que cela les rend plus dépendants à l’égard de l’extérieur. Les grands Etats latino-américains procèdent plusieurs fois par an à l’émission

de titres de la dette. La récolte d’argent réalisée lors d’une émission sert essentiellement à rembourser

les détenteurs des titres précédemment émis. Comble de la dépendance à l’égard des Etats-Unis, certains pays latino-américains, à commencer par le Mexique, doivent se porter acquéreurs de bons du

Trésor des Etats-Unis comme garantie de leurs propres emprunts sur les marchés internationaux.

Le problème fondamental, c’est que cette politique ne débouche pas sur un processus de

développement cumulatif au cours duquel ces pays réduiraient la distance qui les sépare des puissances industrielles du Nord. Le déséquilibre commercial s’accentue malgré les proclamations

optimistes des gouvernants. Cela renvoie à la structure des exportations des pays d’Amérique latine

vers le marché mondial. Malgré le degré d’industrialisation atteint, ces pays restent loin derrière les pays du Nord. Pire, l‘écart se creuse. Selon Oscar Ugarteche, économiste péruvien, il y aurait même

dans les dernières années une “ reprimarisation ” des exportations de l’Amérique latine.

“ Reprimarisation ” au sens où l’Amérique latine exporte proportionnellement plus de produits à faible valeur ajoutée qu’avant3. A noter que John Saxe-Fernandez et Omar Nunez Rodriguez défendent une

opinion contraire à celle de O. Ugarteche, “ Il faut signaler que cette politique de désindustrialisation n’a pas impliqué un retour à un modèle primaire exportateur pour les économies du continent ”4.

Néanmoins, dans leur précieuse étude, les auteurs relèvent que la politique dominante “dévie l’investissement public vers le service de la dette et d’autres dépenses non productives, et entraînent un processus intégral de dénationalisation via les privatisations, qui ne sont que des étapes vers la prise de contrôle de l’industrie, de l’agriculture, des activités extractives et de l’infrastructure par le capital étranger ”5.

Simultanément, les industries qui produisent pour le marché national stagnent ou régressent et ce, qu’elles restent sous contrôle national ou qu’elles aient été vendues au capital étranger. L’arrivée du

capital étranger implique rarement des investissements visant à augmenter à la fois la production et

l’emploi. Il y a bien quelques exceptions : l’industrie automobile en Argentine, au Brésil et au Venezuela et certains investissements dans le secteur du pétrole, mais elles sont marginales. L’objectif

des transnationales, celles des Etats-Unis en premier lieu, est donc bien de renforcer leur contrôle sur les économies locales sans pour autant les développer. Cette transformation régressive du modèle est

3 UGARTECHE, Oscar. 1997. El Falso dilema. 4 SAXE-FERNANDEZ, John et NUNEZ RODRIGUEZ OMAR. 2001. «Globalizacion e imperialismo : transferencia de excedentes de America latina», in J. S. Fernandez , J. Petras (2001), Globalizacion, imperialismo y clase social, p. 92. 5 Idem, p.92.

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bien décrite par Claudio Katz : “ Les nouveaux investissements se concentrent sur des secteurs internationalement concurrentiels et aboutissent à désarticuler l’ancien complexe manufacturier local qui s’était développé dans certains pays, depuis l’entre-deux-guerres et dans les vingt années suivant la seconde guerre mondiale. Les conséquences en sont multiples : ainsi par exemple, tout le développement d’une ingénierie centrée sur l’adaptation de technologies à la production pour le marché interne est battu en brèche. De même les activités de recherche et développement reculent. Le modèle industriel d’assemblage-montage, a remplacé le modèle antérieur visant à une industrialisation intégrale (du moins pour les pays les plus avancés de l’Amérique latine : Brésil, Argentine, Mexique…) ”6.

27.4. 1994 – 2003 : Nouveau cycle de crises et de transferts nets négatifs pour l’Amérique latine La crise qui a éclaté au Mexique fin 1994 a été suivie par une série d’autres qui n’ont épargné aucune

des principales économies de l’Amérique latine. Finalement, la période au cours de laquelle le

continent a connu plus d’apports de crédit que de remboursement de dette a été très courte. Depuis 1996, à chaque année a correspondu un transfert net négatif sur la dette. Le total des transferts négatifs

entre 1996 et 2002 a dépassé 200 milliards de dollars. Le phénomène s’est amplifié à partir de 1999. A

partir de cette année-là, les pays d’Amérique latine ont transféré de manière nette tous les deux ans l’équivalent d’un plan Marshall vers leurs créanciers. Tableau 27.2. Transfert net négatif sur la dette en Amérique latine et Caraïbe entre 1996 et 2002

Transfert net négatif sur la dette en Amérique latine et Caraïbe entre 1996 et 2002

En millions US$ 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002

Total 1996-2002

Amérique latine -3 209 -17 226 -9 080 -40 000 -55 871 -42 318 -38 288 -205 991

et Caraïbe

Total 1998-2001 Argentine 7 869 9 808 2 771 -3 900 -7 319 -15 961 -6 731 Bolivie 146 268 42 24 125 3 609 Brésil 8 786 -13 438 -8 720 -23 629 -21 292 -11 836 -70 129 Chili -120 878 3 345 512 174 -579 4 210 Colombie 2 361 1 607 -1 129 -1 410 -2 396 586 -381 Costa Rica -252 -126 204 55 34 -98 -183 Equateur -22 412 -846 -1 685 -282 -48 -2 471 Haïti 87 153 -24 95 4 80 394 Honduras -121 174 -23 246 168 46 490 Jamaïque -374 -117 -185 -338 179 485 -351

Mexique -16 536 -16 218 -2 339 -5 318 -21 880 -11 213 -73 505

Nicaragua 0 246 -191 394 243 -11 681 Paraguay -45 -112 178 450 -332 -359 -220 Pérou -1 246 116 -765 -2 761 -1 133 -1 421 -7 210 Uruguay 317 504 342 -614 -102 969 1 415 Venezuela, RB -2 302 -57 -732 -2 287 -1 752 -4 816 -11 946

Tableau réalisé par Damien Millet. Source : Banque mondiale, GDF 2003.

6 KATZ, Claudio. 2001. « Amérique latine: Les nouvelles turbulences d’une économie malmenée par l’impérialisme », Inprecor 457.

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Si l’on ne prend en compte que les pouvoirs publics latino-américains, entre 1996 et 2002, ceux-ci ont remboursé 111 milliards de plus que ce qu’ils ont reçu en nouveaux prêts (ils ont reçu 394.170

millions de dollars en prêts et ils ont remboursé 505.856 millions de dollars).

Autre angle d’attaque : le transfert financier net. On appellera transfert financier net la différence

entre, d’une part, le service de la dette (remboursements annuels - intérêts plus principal - aux pays créanciers) et le rapatriement de bénéfices par les transnationales du Nord et, d’autre part, les

versements bruts de l’année (prêts, dons et investissements venant de ces mêmes pays créanciers). Le

transfert financier net est dit positif quand le pays ou le continent concerné reçoit plus (en prêts, en don et en investissement) que ce qu’il rembourse et que ce qu’il verse sous forme de rapatriement de

bénéfices par les transnationales. Il est négatif si les sommes remboursées sont supérieures aux sommes qui entrent dans le pays. De 1982 à 1990, en ce qui concerne l’Amérique latine, le transfert

net a été négatif chaque année. Pendant cette période, plus de 200 milliards de dollars ont été

transférés de manière nette d’Amérique latine vers les pays du Nord. Depuis 2000, le transfert net est redevenu négatif au détriment de l’Amérique latine et de la Caraïbe7.

Pour conclure cette partie, nous citerons un jugement de Oscar Ugarteche : “Virtuellement, tous les pays d’Amérique latine ont appliqué des politiques d’ajustement structurel basées sur la théorie néoclassique de l’efficacité des marchés et de la distorsion de ceux-ci produite par l’intervention de l’Etat. La manière dont le changement a été opéré, le passage d’un développement dirigé par l’Etat au développement dirigé par le marché, est directement attribuable aux pressions des organismes internationaux. (...) La réalité indique de manière évidente que les politiques d’ouverture ont débouché sur des déficits croissants de la balance commerciale qui sont couverts en partie par des capitaux placés à court terme, par des investissements boursiers, par des crédits à court terme et, en partie, par des capitaux à long terme attirés par les privatisations. Il n’y a aucune preuve évidente que le taux d’investissement réel remonte comme résultat des nombreux investissements étrangers. (...) Les critiques du modèle néoclassique mis en pratique dans la région varient, mais la question de l’Etat est centrale. Tant qu’on ne réhabilite pas le rôle de l’Etat et qu’on laisse le marché déterminer la conduite de l’économie, les résultats économiques seront incertains. Une logique perverse est en marche. (...) La dérégulation est réalisée dans une économie mondiale qui n’est pas particulièrement libérale mais qui est uniformément capitaliste, avec des marchés toujours dominés par les transnationales (...). Le processus d’internationalisation du capital a été introduit en Amérique latine dans la décennie 1990 au travers des privatisations et des prêts au secteur privé. Le secteur public quant à lui paye la dette pour permettre au secteur privé de s’endetter. (...) Un pays ne peut pas se développer sans une consolidation du marché intérieur qui doit aller de pair avec plus d’équité dans la répartition des revenus. Cela, le modèle néoclassique ne le prend nullement en considération ”8.

7 Calculs de l’auteur sur la base de BANQUE MONDIALE / WORLD BANK. 2003. Global Development Finance 8 UGARTECHE, Oscar. 1997. El Falso dilema, p.145-147.

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Partie 4

Perspectives

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Chapitre 28

Pistes pour des alternatives1

Sortir d’une économie d’endettement et garantir la satisfaction des droits humains ?

Ce qui est réuni dans ce chapitre ne constitue ni un programme exhaustif, ni un ensemble à prendre ou

à laisser. Ce sont des propositions, des pistes. Au mieux des conditions nécessaires mais pas

suffisantes. Il s’agit de contribuer à l’amorce d’un débat indispensable sur des alternatives. Sortir d’une économie d’endettement est un point de départ. Les alternatives impliquent de se pencher

sur les moyens d’obtenir des ressources supplémentaires pour financer le développement : rétrocéder

aux citoyennes et citoyens des PED ce qui leur a été dérobé ; nationaliser les biens détenus par les régimes dictatoriaux dans leur propre pays ; mettre à l’amende les capitalistes fraudeurs ; organiser

une réforme monétaire redistributive ; dans un cadre international, mettre en place des taxes globales (taxe de type Tobin, taxes sur les IDE, sur les bénéfices des transnationales et autres taxes

globales…) ; porter l’aide publique au développement (APD) à au moins 0,7% du PIB et en réformer

complètement l’esprit ; instaurer un impôt exceptionnel sur le patrimoine des grosses fortunes. L’alternative consiste aussi à élaborer une nouvelle logique de développement : mettre fin aux plans

d’ajustement structurel ; assurer le retour dans le domaine public des secteurs stratégiques qui ont été

privatisés ; adopter des modèles de développement partiellement autocentrés ; agir sur le commerce ; garantir aux personnes le droit de circulation et d’établissement.

Un changement qualitatif nécessite de réfléchir à une nouvelle discipline financière (réglementer à nouveau les marchés financiers, contrôler les mouvements de capitaux, supprimer les paradis fiscaux,

adopter des règles assurant la protection des pays qui recourent à l’endettement extérieur). Ce chapitre,

après avoir énoncé des mesures complémentaires indispensables, se conclut par le questionnement qui traverse le corps de la thèse : Quel avenir pour le FMI et la Banque mondiale ? Quel rôle pour

l’ONU ?

L’angle d’attaque consiste à partir de la satisfaction des droits humains fondamentaux. La question à

laquelle ce texte essaye de répondre pourrait être résumée de la manière suivante: comment sortir d’une économie d’endettement pour financer un développement durable2 et socialement juste ? Ce qui

implique de poser la question : comment sortir du système élaboré par le FMI, la BM et l’OMC ?

1 Le texte de ce chapitre est une nouvelle version entièrement revue et amplement augmentée d’un document rédigé en 2001 en collaboration avec Arnaud Zacharie intitulé “ Garantir à tous et à toutes la satisfaction des besoins humains fondamentaux et sortir du cercle vicieux de l’endettement ”. Il s’agissait de la contribution du CADTM à la deuxième édition du Forum social mondial tenu à Porto Alegre en janvier 2002. Le texte original est disponible sur le site web du CADTM www.cadtm.org Les nombreux ajouts n’engagent que l’auteur. Les travaux du groupe de travail sur le développement du Conseil scientifique d’ATTAC France ont également été utilisés. 2 Le développement durable défini comme celui “qui permet de couvrir les besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire leurs propres besoins”, in Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED), Rapport Brundtland, Notre avenir à tous, Montréal, Ed. du Fleuve, 1987, p. 51)

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310

Selon la Déclaration universelle des droits de l’Homme (article 25), "Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires. Toute personne a droit à l'éducation, au travail et à la sécurité sociale". Le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels, ratifié par la majorité des pays membres des Nations unies, stipule, quant à lui, que “Les Etats ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national adéquates afin d'améliorer constamment le bien-être de la population entière et de tous les individus sur la base de leur participation active, libre et significative dans le développement et la distribution équitable des bénéfices issus de celui-ci”3.

En interprétant les obligations de ce pacte, le comité de l'ONU des droits économiques, sociaux et culturels déclare : “Un Etat membre dans lequel un nombre important d'individus est privé des aliments essentiels, de l'attention de santé primaire, de vêtements décents et de logement de base ou d’enseignement élémentaire, n'accomplit pas ses obligations en vertu de ce Pacte”. Pourtant, et alors que les richesses mondiales ont été multipliées par huit depuis 1960, un être humain

sur deux vit aujourd'hui avec moins de deux dollars par jour, un être humain sur trois n'a pas accès à

l'électricité, un sur cinq vit avec moins d’un dollar quotidien, un sur cinq n'a pas accès à l'eau potable, un sur six est analphabète et un adulte sur sept et un enfant sur trois souffrent de malnutrition.

Dans un document commun, plusieurs institutions spécialisées de l’ONU4 estiment qu’une dépense

annuelle de 80 milliards de dollars sur une période de dix ans permettrait de garantir à tout être humain

l’accès à l’éducation de base, à l’eau potable, aux soins de santé de base (incluant la nutrition) et à des infrastructures sanitaires, ainsi que, pour les femmes, l’accès aux soins de gynécologie et

d’obstétrique5. 80 milliards de dollars, c’est, en 2004, environ deux fois et demi, voire trois fois moins que ce que les pouvoirs publics des pays en développement remboursent chaque année pour la partie publique de la

dette extérieure6 ; c’est le coût en 2004 de l’occupation militaire de l’Iraq ; c’est environ un cinquième du budget militaire des Etats-Unis; 9% des dépenses militaires mondiales ; 8% des dépenses

publicitaires annuelles dans le monde; la moitié de la fortune des 4 personnes les plus riches de la

planète7, 0,3% de la fortune cumulée du millième le plus riche de la population mondiale8.

Le concept de développement durable est l’objet de critique car il est généralement associé à l’idée de la poursuite de la croissance. Le propos du présent texte n’est pas d’entrer dans le débat sur le développement durable. On se reportera aux travaux du groupe de travail sur le développement du Conseil scientifique d’ATTAC France qui devrait aboutir à l’édition d’un livre sur le sujet à l’été 2004. 3 Art. 2, cité in JOCHNIK, Chris, PAZMINO, Patricio. 2000. Otras Caras de la Deuda. Propuestas para la accion. Edit. Nueva Sociedad, Caracas, 2002, p.100. 4 Banque mondiale, OMS, PNUD, UNESCO, UNFPA, UNICEF, Implementing the 20/20 Initiative. Achieving universal access to basic social services, 1998, www.unicef.org/2020/2020.pdf 5 Les organismes mentionnés plus haut estiment à 80 milliards de dollars par an (dollar de 1995) la somme supplémentaire à consacrer annuellement aux dépenses relatives aux services sociaux de base concernés sachant qu’environ 136 milliards de dollars y sont actuellement consacrés. Le montant total annuel à garantir oscille environ entre 206 milliards et 216 milliards de dollars. Pour le détail du calcul : voir le document cité en note 3, p. 20. 6 Le service de la dette publique externe des PED a oscillé entre 200 et 230 milliards de dollars depuis l’an 2000 (Source: World Bank, GDF 2004, accessible sur le site de la World Bank www.worldbank.org ). 7 Selon le magazine Forbes 2001, Bill Gates, Larry Ellison, Paul Allen et Warren Buffett étaient en 2000 à la tête d’une fortune s’élevant à 160,6 milliards de dollars. 8 Selon l’édition 2003 du Rapport mondial sur la richesse (World Wealth Report 2003) réalisé par le consultant en gestion de fortunes Cap Gemini Ernst and Young et la banque d’affaires Merrill Lynch, il y avait en 2002

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Il est impossible d’attendre de la logique du marché qu’elle satisfasse ces besoins essentiels. Les 1300

millions de personnes qui ne disposent pas d’eau potable ou les 2000 millions de personnes qui n’ont pas accès aux médicaments et aux soins de santé9 ne disposent pas d’un pouvoir d’achat suffisant pour

que les marchés s’intéressent à elles. Il n’y a pas assez de profit à faire10.

Seules des politiques publiques pourront garantir à tous et à toutes la satisfaction des besoins humains

fondamentaux11. C’est pourquoi il est nécessaire que les pouvoirs publics disposent des moyens

politiques et financiers pour honorer leurs devoirs envers leurs citoyennes et leurs citoyens.

Il convient également que ces derniers exercent pleinement leur droit d’agir comme les sujets centraux de la vie politique des Etats. Pour ce faire, il faut mettre en œuvre des politiques économiques et des

mécanismes juridiques efficaces dans une dynamique démocratique participative. L’exemple du

budget participatif pratiqué à Porto Alegre depuis le début des années 1990 devrait être étendu à l’échelle internationale et inspirer des politiques originales de démocratie radicale au travers

desquelles les citoyens et citoyennes se réapproprieraient des espaces perdus par la démocratie.

Obtenir l’application de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, du Pacte des droits

économiques, sociaux et culturels (ainsi que des autres traités et conventions internationaux relatifs aux droits humains) implique ainsi l’entrée en action d’un puissant mouvement social et citoyen. Il

s’agit, ni plus ni moins, d’un projet authentiquement révolutionnaire.

Pour commencer, il faut mettre fin à l’hémorragie de richesses que constitue le remboursement de la dette. Il est ensuite nécessaire de trouver différentes sources de financement pour un développement

socialement juste et écologiquement soutenable. Il convient enfin de rompre avec la logique menant au

cycle de l’endettement, au détournement et au pillage massif des richesses locales, à la dépendance envers les marchés financiers et les prêts conditionnés des institutions de Bretton Woods.

28.1. Briser le cycle infernal de la dette Les tenants de la mondialisation néolibérale nous disent que les pays en développement (ils y incluent l’ex-bloc soviétique) doivent rembourser leur dette extérieure s'ils veulent bénéficier de flux constants

de financement.

environ 7,3 millions de millionnaires en dollars (soit environ un millième de la population mondiale) disposant ensemble de 27.300 milliards de dollars (compte non tenu de leur résidence principale). 9 Voir Médecins sans Frontières (2002), “ Accès aux médicaments et santé publique universelle ” sur le site internet du Forum social mondial. 10 Selon MSF cité plus haut : “ Sur les 1 223 nouveaux médicaments qui ont été commercialisés entre 1975 et 1997, seuls 13 étaient destinés à traiter des maladies tropicales infectieuses et la moitié de ceux-ci étaient des dérivés de la recherche vétérinaire. Seul 0,2% du budget global de la recherche pharmaceutique, qui oscille entre 50 et 60 milliards de dollars, est consacré aux maladies respiratoires aiguës, tuberculose et maladies diarrhéiques, responsables de 18% des décès dans le monde ”. Dans le même document, MSF explique que la firme pharmaceutique Aventis a abandonné en 1994 la production du seul médicament efficace et disponible pour traiter la maladie du sommeil. Selon la firme pharmaceutique, la rentabilité était insuffisante. 11 Bien sûr, il ne s’agit pas de considérer que seule la garantie des besoins fondamentaux serait à charge des pouvoirs publics, le reste revenant à l’initiative privée. Par exemple, les pouvoirs publics doivent être responsables d’assurer non seulement l'accès à l'enseignement primaire mais aussi l’accès universel et gratuit aux enseignements secondaire et universitaire.

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En réalité, depuis l’éclatement de la crise de la dette en 1982, les flux sont allés des pays en développement vers les pays les plus industrialisés, ils sont allés de la Périphérie vers le Centre, et non

l’inverse comme le prétendent avec insistance les dirigeants des institutions financières internationales. Pour réaliser une estimation des flux réels, il s’agit de prendre en compte le

remboursement de la dette extérieure ; les sorties de capitaux réalisées par les résidents des pays de la

Périphérie ; le rapatriement des bénéfices par les transnationales (y compris les transferts invisibles, notamment via les procédés de “sur” ou de “sous” facturation) ; l’acquisition, par les capitalistes des

pays les plus industrialisés, d’entreprises de la Périphérie, à prix bradés dans le cadre des

privatisations ; l’achat à bas prix des biens primaires produits par les peuples de la Périphérie (dégradation des termes de l’échange) ; la fuite des “cerveaux” ; le pillage génétique ; le pillage des

ressources naturelles et la destruction du milieu de vie… Depuis deux décennies, en comparaison avec les années 1960-1970, on assiste ainsi à une

amplification du transfert net massif de richesses au profit des classes possédantes des pays les plus

industrialisés. Le mécanisme du remboursement de la dette s’est ajouté à d’autres préexistants (échange commercial inégal, pillage des richesses naturelles et humaines, etc.) et les a puissamment

renforcés. Depuis 1982, c’est l’équivalent de plusieurs Plans Marshall que les populations des pays en

développement ont transféré vers les créanciers du Nord (les élites locales prélevant au passage leur commission).

Il est urgent d’annuler la dette extérieure publique des pays en développement. A l’analyse, cette dette

ne pèse pas lourd face à celle, historique, écologique et sociale, que les pays riches du Nord ont

contractée à leur égard. La dette des PED (pays de l’ex-bloc soviétique compris) s'élevait en 2002 à environ 2 400 milliards de dollars (dont environ 1 600 milliards de dettes publiques), ce qui ne

représente qu'un faible pourcentage de la dette mondiale qui atteint près de 60 000 milliards de dollars

(l’addition des dettes publique et privée aux Etats-Unis représente à elle seule environ 30 000 milliards de dollars).

Si la dette extérieure publique des PED était entièrement annulée, sans indemnisation des créanciers, cela représenterait une perte minime de moins de 5% dans leur portefeuille. En revanche, pour les

populations enfin libérées de ce fardeau, les sommes qui pourraient être utilisées à améliorer la santé,

l’éducation, à créer des emplois, etc. seraient tout à fait considérables. En effet, le remboursement de la dette publique des PED représente, bon an mal an depuis 2000, une dépense d’environ 200 à 230

milliards de dollars, soit deux fois et demi à trois fois la somme qui manque actuellement pour la

satisfaction des besoins humains fondamentaux tels que définis par les Nations Unies (voir infra).

Certains affirment qu’une annulation de dette aboutirait à une exclusion définitive de l’accès aux

capitaux internationaux. Cette affirmation ne repose pas sur une étude sérieuse de l’histoire des crises

d’endettement. De la fin du 19ème siècle – avec l’annulation par les Etats-Unis d’Amérique de la dette de Cuba à

l’égard de la couronne espagnole – à la fin du 20ème siècle – avec l’annulation d’une partie des dettes de l’Allemagne en 195312, de l’Indonésie en 197013, de la Pologne et de l’Egypte en 1991 (ce sont

12 En 1953, l’accord de Londres décida l’annulation de 51 % de la dette de guerre de l’Allemagne. Le but était que le service de sa dette ne dépasse pas 3,5 % de ses exportations, taux qui est largement dépassé de nos jours dans les PED : plus de 15 % en moyenne (Source : World Bank, GDF 2004, accessible sur le site de la World Bank www.worldbank.org). Pourtant l’Allemagne ne remplissait aucun des critères exigés actuellement pour un allégement, et la dictature qu’elle avait connue au cours de la décennie précédente avait causé des

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quatre exemples où les créanciers ont fait un effort spontané, des intérêts stratégiques étant évidemment en jeu) –, en passant par l’arrêt du remboursement de la dette extérieure mexicaine entre

1914 et 194214, ou l’annulation unilatérale de la dette héritée de l’empire tsariste par le gouvernement bolchevique en 1918, de nombreuses mesures de suspension prolongée, de répudiation ou d’annulation

de dette ont été prises sans aboutir au désastre que les créanciers prédisaient. L’exemple le plus récent

est donné par l’Argentine qui a suspendu à partir de décembre 2001 le remboursement aux créanciers privés de sa dette publique externe et dont le produit intérieur brut a connu une croissance de 8,5% en

2003.

Par contre, on ne manque pas de cas d’exemples de pays qui se sont appauvris et affaiblis en remboursant leurs dettes.

Depuis la fin des années 1990, les flux relatifs aux prêts internationaux sont devenus négatifs. Les

pays endettés pris ensemble remboursent plus chaque année que ce qu’ils reçoivent sous forme de

prêts (qu’il s’agisse de prêts bancaires, de titres, de prêts bilatéraux ou de prêts accordés par la Banque mondiale). Depuis 1999, chaque année, les prêts accordés par les banques commerciales ont été

inférieurs aux remboursements qu’elles ont perçus. Il en va de même pour les prêts bilatéraux depuis

1996. Pour les prêts accordés par la Banque mondiale (IDA incluse), le flux est négatif depuis 200015.

En outre, la menace de voir se fermer le robinet du financement extérieur privé n’a pas de sens pour la majorité des pays de la Périphérie, car ils n'ont déjà plus guère accès aux capitaux privés depuis des

années. Selon le PNUD, “seuls 25 pays en développement ont accès aux marchés privés pour les obligations, les prêts des banques commerciales et les investissements de portefeuille ”16.

Selon les Nations unies, les 49 pays moins avancés (PMA), où vivent près de 600 millions d’habitants,

ne reçoivent en moyenne que 0,5% des Investissements directs à l’étranger (IDE) destinés aux pays en développement (PED).

Pour la poignée de pays de la Périphérie qui ont accès aux capitaux internationaux, 80% des entrées d’investissements étrangers correspondent à des acquisitions d’entreprises déjà existantes qui passent

sous le contrôle de transnationales des pays les plus industrialisés. Cela n’entraîne pas de création

d’emplois, au contraire. De plus, ces acquisitions impliquent une perte de contrôle national sur l’appareil productif. Sans parler

du caractère fortement volatil et spéculatif des autres flux de capitaux (c’est une des leçons à retenir

des crises financières des années 1990). Une restriction de ce type de flux ne serait pas préjudiciable aux économies de ces pays. Pour

remplacer ces flux improductifs, voire néfastes, nous proposons des sources alternatives de financement (voir la deuxième partie du présent texte), de manière à diminuer fortement la dépendance

tant à l’égard des marchés financiers que des institutions de Bretton Woods.

ravages dans une grande partie du monde. Cette annulation fut très bénéfique pour l’Allemagne qui est ensuite parvenue à devenir la première puissance d’Europe et la locomotive de la construction européenne. Voir commentaire détaillé de l’accord de Londres de 1953 sur la dette de l’Allemagne sur le site de la campagne Jubilé Allemagne : www.erlassjahr.de 13 Pour une analyse synthétique voir PAYER Cheryl, The Debt Trap, 1974, p. 75 à 83. 14 MARICHAL Carlos, 1989, A century of debt crises en Latin America, University Press, Princeton, p. 224-228 15 WORLD BANK, GDF, 2004. Ce qui est mentionné plus haut va jusqu’à l’année 2003 compris. 16 PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, 1999, p. 31

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28.1.1. Fondements juridiques de l’annulation de la dette

L'annulation de dette est légitime car elle se base sur plusieurs fondements juridiques, dont les notions de “dette odieuse”, “force majeure” et “état de nécessité ”.

28.1.1.1.La "Dette odieuse" Les dettes des Etats contractées contre les intérêts des populations locales sont juridiquement

illégitimes.

Selon Alexander Sack, théoricien de cette doctrine, “ Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir ”17.

Ainsi, les dettes contractées à l’encontre des intérêts de la population du territoire endetté sont “odieuses” et, en cas de changement de régime, les nouvelles autorités ne sont pas tenues de les

rembourser.

La doctrine de la dette odieuse trouve son origine au 19ème siècle18. Une de ses applications remonte à l’année 1898, lorsque les Etats-Unis prirent le contrôle de Cuba après la guerre contre l’Espagne19 et

que celle-ci leur demanda d’assumer la dette cubaine à l’égard de la couronne espagnole,

conformément au droit international. La Commission de négociation des Etats-Unis refusa cette dette, la qualifiant de “poids imposé au peuple cubain sans son accord”.

Selon ses arguments, “la dette fut créée par le gouvernement de l’Espagne pour ses propres intérêts et par ses propres agents. Cuba n’a pas eu voix au chapitre”. La Commission ajouta que “les créanciers ont accepté le risque de leurs investissements”. Le litige fut éteint par la conclusion d’un traité

international entre les Etats-Unis et l’Espagne signé à Paris en 1898. La dette fut entièrement annulée.

17 SACK, Alexander Nahum. 1927. Les Effets des Transformations des Etats sur leurs Dettes Publiques et Autres Obligations financières. 18 Pour une présentation synthétique, voir Hugo Ruiz Diaz, “ La dette odieuse ou la nullité de la dette”, contribution au deuxième séminaire sur le Droit international et la Dette organisé par le CADTM à Amsterdam en décembre 2002. Texte disponible sur le site du CADTM www.cadtm.org 19 Cuba 1895-1898 : En 1895, une guerre d'indépendance est déclenchée par le poète José Marti, jacobin aux idées proches du socialisme. Le pays entier est en guerre. José Marti organise l’Armée de Libération (plus de 50.000 combattants) et institue la République en Armes. Plus de 150.000 personnes viennent vivre dans les territoires rebelles. L’Espagne livre la guerre totale en 1896-97, avec des camps de concentration ; quelque 400.000 personnes y sont mortes. Mais l’Espagne échoue malgré l’utilisation de 250.000 soldats et elle se voit obligée de concéder l’autonomie en janvier 1898. Les révolutionnaires n’acceptent pas et continuent la guerre. Les Etats-Unis déclarent la guerre à l'Espagne. Après une brève campagne au cours de laquelle elle a bénéficié du soutien des révolutionnaires cubains, l’armée des Etats-Unis occupe victorieusement l’île. Sans reconnaître la république cubaine, les Etats-Unis signent un pacte avec l’Espagne où celle-ci renonce à Cuba (Traité de Paris, le 10 décembre 1898). 1898-1902 : l'occupation nord-américaine dure quasiment quatre ans et oblige les membres de l’Assemblée constituante de 1901 à adopter l'amendement Platt (1902). Cuba doit concéder aux Etats-Unis un droit d'intervention dans l'île pour "préserver l'indépendance cubaine" et maintenir un gouvernement adéquat afin de "protéger la vie, la propriété et les libertés individuelles". Washington reçoit de plus la base de Guantanamo, pour une période illimitée. Le 20 mai 1902, la République cubaine est fondée. Dès sa naissance et jusqu’à la victoire révolutionnaire du 1er janvier 1959, elle est soumise à la domination néo-coloniale des Etats-Unis (source : Yannick Bovy et Eric Toussaint, 2001, Cuba : Le pas suspendu de la révolution, Cuesmes – Belgique, 2001, p. 36-37).

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Plus tard, en 1923, une Cour d’arbitrage internationale, présidée par le juge Taft, président de la Cour suprême des Etats-Unis, déclara que les prêts concédés par une banque britannique (établie au Canada)

au président Tinoco du Costa Rica étaient nuls parce qu’ils n’avaient pas servi les intérêts du pays mais bien l’intérêt personnel d’un gouvernement non démocratique. Le juge Taft déclara à cette

occasion que “le cas de la Banque royale ne dépend pas simplement de la forme de la transaction, mais de la bonne foi de la banque lors du prêt pour l’usage réel du gouvernement costaricain sous le régime de Tinoco. La Banque doit prouver que l’argent fut prêté au gouvernement pour des usages légitimes. Elle ne l’a pas fait.”20.

Les régimes légaux qui succédèrent aux dictatures d’Amérique latine dans les années 1980 (Argentine,

Uruguay, Brésil, etc.) auraient dû s’appuyer sur le droit international pour obtenir l’annulation des dettes odieuses contractées par les régimes militaires. Ils n’en ont rien fait. Le gouvernement des Etats-

Unis s’est bien gardé de le leur suggérer. Et pour cause : les dictatures avaient été soutenues

activement par les Etats-Unis et les principaux créanciers n’étaient autres que les banques des Etats-Unis.

Sous d’autres cieux aussi, d’autres pays auraient parfaitement pu exiger l’annulation de dettes

odieuses. Pour ne citer que quelques autres exemples flagrants : les Philippines après le renversement du dictateur Ferdinand Marcos en 1986, le Rwanda en 1994 après le génocide perpétré par le régime

dictatorial21, la République sud-africaine au sortir de l'apartheid, la République démocratique du Congo en 1997 après le renversement de Mobutu, l’Indonésie en 1998 après le départ de Suharto, etc.

Au lieu de fonder un refus de reconnaissance de dette sur le droit national et international, les

nouveaux gouvernants préférèrent négocier des rééchelonnements et des allégements cosmétiques avec les créanciers. Ils entrèrent ainsi dans le cycle interminable de l’endettement extérieur dont les

peuples font les frais.

La doctrine de la “ dette odieuse ” a été invoquée régulièrement par différents mouvements citoyens

favorables à l’annulation des dettes mais les régimes post dictature et les créanciers ont fait la sourde oreille. Le débat a été relancé par le gouvernement des Etats-Unis en avril 2003. Dans des

circonstances qui ne sont pas sans rappeler le précédent de la guerre entre l’Espagne et les Etats-Unis

en 1898, les Etats-Unis ont demandé à la Russie, la France et l’Allemagne d’annuler les dettes odieuses dont l’Iraq était redevable. Reprenant textuellement la définition de la dette odieuse formulée

plus haut, ils ont affirmé que les dettes contractées par le dictateur Saddam Hussein étaient frappées de

nullité. Le gouvernement des Etats-Unis qui, avec ses alliés britanniques, australiens, hollandais, danois…, avaient lancé une guerre « pre-emptive » contre l’Iraq en violation de la charte de l’ONU en

mars 2003 et qui l’occupaient depuis avec plus de 100.000 soldats, se préparaient à mettre en place un régime ami à Bagdad. L’administration Bush aurait souhaité convaincre certains des principaux

créanciers, en particulier les trois puissances qui s’étaient opposées à la guerre (la France, la Russie et

l’Allemagne), de renoncer à leurs créances. Il s’agissait de soulager le nouveau régime iraquien d’anciennes dettes et garantir que le remboursement futur des nouvelles dettes qui seraient contractées

20 Juge Taft, cité dans ADAMS, Patricia. 1991. Odious Debts, Adams, p. 168 21 Dans le cas du Rwanda, le Comité du développement international du Parlement britannique a explicitement évoqué la notion de dette odieuse pour plaider son annulation : “ Une grande partie de la dette extérieure du Rwanda fut contractée par un régime génocidaire… Certains avancent l'argument que ces prêts furent utilisés pour acheter des armes et que l’administration actuelle, et en dernière instance la population du Rwanda, ne devrait pas payer ces dettes “odieuses”. Nous recommandons au gouvernement qu’il pousse tous les créanciers bilatéraux, et en particulier la France, à annuler la dette contractée par le régime antérieur ” (in Report of the British International Development Committee, mai 1998, cité par Chris Jochnich, 2000).

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afin d’assurer la reconstruction du pays. Nous avons analysé cela ailleurs22. Le gouvernement des Etats-Unis a démontré à l’opinion publique internationale que la doctrine de la dette odieuse

n’appartient pas au passé. Effectivement, le peuple iraquien doit pouvoir recouvrer véritablement la liberté (ce qui implique le départ des troupes étrangères d’occupation) et voir annuler les dettes

contractées par Saddam Hussein. De plus, il devrait pouvoir obtenir des réparations de la part des

agresseurs. Les autres peuples qui subissent le fardeau de dettes odieuses sont pleinement en droit de demander leur annulation.

Pour avancer dans cette perspective, le recours à une enquête citoyenne (audit) sur la légitimité des dettes dont les créanciers exigent le remboursement, constitue un outil fondamental23. Les parlements

et les gouvernements des pays endettés pourraient réaliser un audit de la dette. De puissantes mobilisations citoyennes ont revendiqué dans différents pays la mise en route d’une procédure d’audit.

Ce fut le cas au Brésil en septembre 2000 quand la Campagne Jubilé Sud, la Conférence nationale des

Evêques, le Mouvement des Sans Terre (MST), la Centrale unitaire des Travailleurs (CUT) organisèrent un référendum sur la dette. Six millions de citoyens et citoyennes y participèrent, dont

plus de 95% appuyèrent la demande d’organisation d’un audit. De nombreux mouvements sociaux

brésiliens ont demandé au nouveau président Lula, dont le mandat a débuté en janvier 2003, d’organiser enfin cet audit prévu par la constitution brésilienne de 1988.

La réalisation d’audits avec pour fonction de déterminer le caractère odieux ou non de tout ou partie

des dettes d’un pays constitue un enjeu de toute première importance. Ci-dessous, un tableau

provisoire et non exhaustif des dettes odieuses pour une liste limitée de pays. Les montants concernés par la dette odieuse sont tout à fait considérables. Le tableau est provisoire car la fonction de l’audit

(avec participation citoyenne) vise précisément à déterminer de manière rigoureuse l’ampleur de la

dette odieuse frappée de nullité. Il n'en constitue pas moins une incitation à la réflexion, à la recherche et à l’action citoyenne.

22 « Iraq : la dette odieuse » dans Eric Toussaint, La Finance contre les peuples. La Bourse ou la Vie, 1994, p. 435 à 449. 23 Hugo Ruiz Diaz et Eric Toussaint, « Deuda externa y auditoria. Approximacion practica y teorica », février 2004 ( www.cadtm.org ) –uniquement en espagnol-.

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Tableau 28.1. Les cas de dette odieuse

Période de Dette odieuse Stock de la dette Pays Régime dictatorial

La dictature (milliards de dollars)

en 2001

Indonésie Suharto 1965-1998 150 135

Iraq Saddam Hussein 1979-2003 122 122

Brésil Junte militaire 1965-1985 100 226

Argentine Junte militaire 1976-1983 45 137

Corée du Sud Régime militaire 1961-1981 30 110

Nigeria Buhari/Abacha 1984-1998 30 31

Turquie Régime militaire 1980-1989 30 115

Philippines Marcos 1972-1986 26 52

Afrique du Sud Apartheid 1948-1991 22 24

Syrie Assad 1971- 21 21

Thaïlande Militaires 1966-1988 21 67

Maroc Hassan II 1961-1999 19 17

Zaïre/RDC Mobutu 1965-1997 13 11

Chili Pinochet 1973-1990 12 38

Tunisie Ben Ali 1987- 11 11

Pakistan Militaires 1978-1988 10 32

Pérou Fujimori 1990-2000 9 27

Soudan Nimeiry 1969-1985 9 15

Ethiopie Mengistu 1977-1991 8 5,7

Kenya Moi 1978-2003 5,8 5,8

Congo Sassou 1979- 4,5 4,5

Iran Shah 1941-1979 4,5 7,5

Bolivie Junte militaire 1964-1982 3 4,7

Guatemala Régime militaire 1954-1985 2,7 4,5

Mali Traoré 1968-1991 2,5 2,9

Somalie Siad Barre 1969-1991 2,3 2,5

Malawi Banda 1966-1994 2,2 2,6

Paraguay Stroessner 1954-1989 2,1 2,8

Nicaragua Anastasio Somoza 1935-1979 2 6,4

Cambodge Khmers Rouges 1976-1989 1,8 2,7

Togo Eyadema 1967- 1,4 1,4

Liberia Doe 1980-1990 1,2 2

Myanmar (Birmanie)

Régime militaire 1988- 1,2 5,7

Rwanda Habyarimana 1973-1994 1 1,3

Salvador Junte militaire 1962-1980 1 4,7

Haïti Duvalier 1957-1986 0,8 1,2

Ouganda Idi Amin Dada 1971-1979 0,6 3,7

Centrafique Bokassa 1966-1979 0,2 0,8

TOTAL 728,8 1264,4

Ce tableau a été réalisé par Damien Millet et l’auteur sur la base d’un travail préliminaire de Joseph Hanlon (2002).

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Les montants considérés comme dette odieuse (colonne 4) sont dans la plupart des cas inférieurs à la

réalité car ils ne se rapportent qu’à la période dictatoriale stricto sensu. Ils ne prennent donc pas en compte les dettes contractées pour rembourser les dettes odieuses. Il s’agit, à travers l’audit, de

déterminer le montant exact des dettes qui entrent dans la catégorie des dettes odieuses. Il s’agit

également de compléter la liste des pays concernés.

Concernant la dette odieuse, plusieurs compléments doivent être apportés à la doctrine formulée par

Alexander Sack au siècle passé. Le Center for International Sustainable Development Law (CISDL) de l’Université McGill (Canada) a proposé une définition générale qui paraît tout à fait appropriée :

“ Les dettes odieuses sont celles qui ont été contractées contre les intérêts de la population d’un Etat, sans son consentement et en toute connaissance de cause par les créanciers ”24.

Il ne faut pas abandonner la perspective d’ouvrir à nouveau ce dossier de la dette odieuse. Les Etats

endettés n’ont pas fini de rembourser des dettes odieuses. Ils peuvent encore fonder en droit une décision de répudiation de ces dettes. Les nouvelles dettes contractées dans les années 1990 et au

début des années 2000 par des régimes légitimes, pour rembourser des dettes odieuses contractées par

les régimes despotiques qui les ont précédés, devraient tomber elles-mêmes dans la catégorie des dettes odieuses. C’est ce qu’avancent différents experts tels que le CISDL cité plus haut, auquel il faut

ajouter Joseph Hanlon (Grande-Bretagne), Hugo Ruiz Diaz (UCL, Belgique) et Patricio Pazmino (Equateur)25.

La définition avancée par le CISDL implique que des créanciers privés qui ont prêté (ou prêtent) de l’argent à des régimes (légitimes ou non) ou à des entreprises bénéficiant de la garantie de l’Etat pour

des projets qui n’ont pas fait l’objet d’une consultation démocratique et qui sont dommageables pour

la société prennent le risque de voir annulées ces créances (a fortiori si s’ajoute à cela la complicité active ou passive du créancier à l’égard de détournement de fonds). De nombreux projets anciens ou

récents entrent dans cette catégorie (pensons au méga-barrage des Trois Gorges en Chine). Etendre la notion de dette odieuse doit forcer les créanciers à engager clairement leur responsabilité et à se plier à

des règles démocratiques, sociales et environnementales sous peine d’aboutir à une situation où ils

devront abandonner toute idée de récupération des fonds prêtés.

28.1.1.2. La “ force majeure ” et le “ changement fondamental de circonstances ”

On peut aussi soutenir en droit l’annulation de la dette et la suppression de son remboursement en

invoquant l’argument de la force majeure26 et celui du changement fondamental de circonstances. Au niveau du Droit international, la Commission de Droit international de l'ONU (CDI) définit ainsi la

“ force majeure ”: "L'impossibilité d'agir légalement (…) est la situation dans laquelle un événement

24Khalfan et al., “ Advancing the Odious Debt Doctrine ”, 2002, cité dans Global Economic Justice Report, Toronto, July 2003 25 Voir la contribution de ce dernier au Deuxième séminaire sur le Droit et la Dette organisé par le CADTM en décembre 2002 à Amsterdam www.cadtm.org/pages/espanol/especuadorfreire.htm 26 Pour une analyse de l’argument de la force majeure en matière d’annulation de dette, voir l’étude d’Hugo Ruiz Diaz : “ La dette extérieure : mécanismes juridiques de non paiement, moratoire ou suspension de paiement ”, contribution au Premier séminaire international du CADTM sur le Droit international et la Dette, Bruxelles, décembre 2001.

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imprévu et extérieur à la volonté de celui qui l'invoque le met dans l'incapacité absolue de respecter son obligation internationale en vertu du principe selon lequel à l'impossible nul n'est tenu "27. La jurisprudence en matière de droit international reconnaît qu’un changement dans les conditions d’exécution d'un contrat peut l'annuler28. Cela signifie en substance que les contrats qui requièrent

l’accomplissement d’une succession d’engagements dans le futur sont soumis à la condition que les

circonstances ne changent pas (dans le droit commun, il existe différentes doctrines liées à ce principe, y compris “ force majeure ”, “ frustration ”, “ impossibilité ” et “ impraticabilité ”).

La force majeure et le changement fondamental de circonstances s’appliquent à la crise de la dette des années 1980. En effet, deux facteurs exogènes provoquèrent fondamentalement la crise de la dette à

partir de 1982: la hausse dramatique des taux d’intérêt imposée au niveau international par le gouvernement des Etats-Unis à partir de fin 1979 et la baisse des prix des exportations des pays de la

Périphérie à partir de 1980.

Ces deux facteurs furent provoqués par les pays créanciers. Ce sont des cas de “ force majeure ” qui modifient fondamentalement la situation et qui empêchent les débiteurs de remplir leurs obligations29.

28.1.1.3. L’état de nécessité

Pour fonder en droit le refus de payer, en plus des arguments mentionnés plus haut, on peut également avancer l’argument de l’état de nécessité. L’état de nécessité peut être invoqué lorsque la poursuite des

remboursements implique pour la population des sacrifices qui vont au-delà de ce qui est raisonnable en affectant directement les obligations fondamentales de l’Etat à l’égard des citoyens. A ce propos, la Commission de Droit international de l'ONU (CDI) déclare : “ On ne peut attendre d’un Etat qu’il ferme ses écoles, ses universités et ses tribunaux, qu’il supprime les services publics de telle sorte qu’il livre sa communauté au chaos et à l’anarchie simplement pour ainsi disposer de l’argent afin de rembourser ses créanciers étrangers ou nationaux. Il y a des limites à ce qu’on peut raisonnablement attendre d’un Etat, de la même façon que d'un individu... »30.

28.2. Des ressources supplémentaires pour financer le développement Pour qu’une annulation de dette soit utile au développement humain, il est évidemment nécessaire que

les sommes destinées jusque là au paiement de la dette soient utilisées en faveur de la satisfaction des droits humains fondamentaux. Cela implique qu’une partie à déterminer démocratiquement doit être

27 CDI, Projet d'article 31, A/CN, 4/315, ACDI 1978, II, vol. 1, p. 58 28 Dans sa formulation originale : Contractus qui habent tractum successivum et dependetiam de futurum, rebus sic stantibus intelligentur. 29 Charles Fenwick, International Law (3e éd. 1948) : de façon similaire, un des textes définitifs sur la common law explique qu’ “une condition tacite, liée à tous les contrats, est que ceux-ci cessent d’être obligatoires dès qu’il se produit des changements substantiels dans l’état des faits et des conditions sur lesquels ils ont été basés”, in Black’s Law Dictionary 1267 (6e éd. 1990). Voir également, en jurisprudence internationale, la sentence arbitrale rendue le 11 novembre 1912 dans l’affaire d’emprunt d’Etat Turquie/Russie dans laquelle il est dit : “ …l’exception de la force majeure …est opposable en droit international ” (Sentence arbitrale, Recueil des Arbitrages internationaux, T. II, 1928, p. 545 et ss.). Par ailleurs, le Code civil d’Argentine stipule que l’obligation d’un débiteur s’éteint “quand la prestation qui forme la matière de celle-ci devient physiquement ou légalement impossible, sans faute du débiteur” (Arts 724 et 888). 30 CDI, 1980, p. 164-167, cité par Hugo Ruiz Diaz, op. cit.

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versée dans un fonds de développement contrôlé de manière directe et active par les populations locales. Le critère prioritaire doit être la participation des citoyens à la détermination des priorités, à

l’élaboration et au choix des projets permettant de se conformer à ces priorités, au contrôle populaire de l’utilisation des moyens financiers et humains mis en œuvre…

Une fois ce premier pas franchi en matière d'annulation de dette, il est indispensable de substituer à

l'économie d'endettement international actuelle un modèle de développement socialement juste et écologiquement soutenable, indépendant des fluctuations des marchés financiers et des

conditionnalités des prêts du FMI et de la Banque mondiale. Ce fonds de développement, déjà alimenté par les montants économisés grâce à l'annulation de dette31 doit être financé par les diverses mesures suivantes :

28.2.1. Rétrocéder aux citoyennes et citoyens des PED ce qui leur a été dérobé

28.2.1.1. Des richesses considérables accumulées illicitement par des gouvernements dictatoriaux et

corrompus ont été placées en sécurité dans les pays les plus industrialisés, ceci en complicité avec les

institutions financières privées et avec la complaisance des gouvernements du Nord (le mouvement se poursuit aujourd’hui).

Prenons l’exemple de l’Argentine sous la junte militaire (1976-1983) : la dette de ce pays a été

multipliée par six. Une partie considérable des montants empruntés a été déposée par les membres du régime et par les capitalistes argentins dans les banques des Etats-Unis, de Grande-Bretagne et

d’autres pays industrialisés. Des entreprises financières et industrielles des pays industrialisés, ainsi que des membres de la dictature et des capitalistes argentins, se sont enrichis de manière illégale. Le

pouvoir judiciaire argentin a établi les faits lors d’un jugement prononcé en juillet 200032 où la

complicité du FMI et de la Réserve fédérale de New York a été démontrée. Sur la base de ce jugement qui devrait faire école, il faudrait obtenir réparation pour les populations spoliées.

Pensons à ce que représenterait, pour la population argentine, la récupération des avoirs placés par la

junte militaire dans les pays les plus industrialisés ; pensons à ce qu’apporterait à la population congolaise la rétrocession d’une partie importante des avoirs de feu Mobutu (représentant dix fois le

budget annuel de l’Etat congolais) ou, pour la population du Nigeria, la restitution de la fortune du dictateur Abacha, placée principalement en sécurité en Suisse et en Grande-Bretagne avec la

complicité des plus grandes banques. Pensons à la fortune colossale placée au cours des années 1990

et au début des années 2000 par les oligarques russes principalement dans les deux places financières citées plus haut.

Une telle restitution implique l’aboutissement de procédures légales menées à bien dans les pays de la

Périphérie et dans les pays les plus industrialisés. L’exemple d’une partie de la fortune du dictateur

Marcos (658 millions de dollars) restituée par les autorités suisses aux pouvoirs publics philippins en 2003 après dix-sept ans de procédure montre que c’est parfaitement réalisable33. De telles enquêtes

31 En 2003, les pouvoirs publics des pays en développement ont remboursé à leurs créanciers plus de 220 milliards de dollars, soit beaucoup plus que ce qu’ils ont reçu sous la forme de nouveaux prêts. Selon la Banque mondiale, en 2003, le remboursement de la dette publique externe a dépassé de 67,7 milliards le montant des nouveaux prêts reçus (Source : World Bank, GDF 2004). Quand un pays ou un ensemble de pays rembourse plus que ce qu’il reçoit sous forme de prêts, on parle de transfert net négatif sur la dette. 32 Le texte complet en espagnol de la sentence est disponible sur le site internet du CADTM : www.cadtm.org/pages/espanol/olmos.pdf. 33 Selon le Financial Times, la somme récupérée par les autorités philippines s’élève à 658 millions de dollars alors que la fortune accumulée par le dictateur Ferdinand Marcos est estimée à au moins 5, voire 10 milliards de

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impliquent une pleine coopération internationale et la ratification de la Convention de Rome puisque, depuis mars 1991, le détournement de biens publics est considéré comme une violation des droits de

l'homme. De telles enquêtes permettraient en outre de ne pas laisser dans l'impunité les corrompus et les

corrupteurs (notamment les banquiers, les transnationales et les gouvernements du Nord). C'est un

moyen de faire avancer la démocratie, la transparence et la probité tout en réduisant la corruption.

28.2.1.2. Il s’agit également de soutenir les résolutions issues de la rencontre internationale tenue à

Dakar en décembre 200034 exigeant réparation pour le pillage auquel les peuples de la Périphérie ont été soumis depuis cinq siècles. Cela implique également la restitution des biens culturels dérobés aux

continents asiatique et africain, aux peuples amérindiens, caribéens et océaniens. Des mouvements de plus en plus nombreux, et dont l’activisme augmente, posent le problème des réparations. Sous la

pression des mouvements sociaux africains et d’associations d’Amérique du Nord et du Sud, le sujet a

été officiellement mis à l’ordre du jour de la conférence des Nations unies contre le racisme convoquée à Durban en août 2001. Le gouvernement des Etats-Unis s’est retiré de cette conférence et

l’Union européenne a obtenu de limiter la portée de la résolution finale. Son délégué n’était pas prêt à

aller au-delà de la reconnaissance de la Traite des Noirs comme crime contre l’humanité. Il voulait éviter toute formule qui aurait pu ouvrir la voie à la demande de réparation. Même s’il a déjà une

longue histoire, le combat sur cette question ne fait que commencer. Il est essentiel pour des raisons morales et économiques de le faire avancer dans les faits.

Fait également partie intégrante des réparations la dette écologique contractée principalement par les

entreprises transnationales des pays les plus industrialisés (pensons aux dégâts causés et aux pillages réalisés par les transnationales pétrolières, par les transnationales minières, par celles de

l’agrobusiness…), par les gouvernements du Nord et par la Banque mondiale35.

28.2.2. Nationalisation/socialisation des biens détenus par les régimes dictatoriaux dans leur propre pays L'annulation met les compteurs à zéro ; le non paiement de la dette et l'expropriation des avoirs acquis

illégitimement qui sont détenus à l'étranger (les “ biens mal acquis ” selon l’expression de la

conférence nationale congolaise au début des années 1990), permettent de fournir le point de départ d'un fonds de développement. Il faut pouvoir y ajouter ce que ces régimes prédateurs ont accumulé

comme richesses dans leur propre pays. Un cadastre doit en être établi. Et les biens du régime doivent

être à la disposition du fonds de développement également. Ce fonds est nécessaire pour entreprendre des politiques positives destinées à la satisfaction des besoins réels des populations et à la réalisation

de programmes socialement justes et écologiquement utiles.

dollars. La complexité de la procédure tient notamment au fait que la Cour suprême de justice de la Suisse avait exigé qu’un tribunal philippin statue sur la somme transférée par la Suisse sur un compte bancaire philippin. L’entourage de feu Marcos voulait récupérer l’argent. En juillet 2003, la Cour suprême de justice philippine a enfin décidé, par 12 voix contre 0 et une abstention, que l’argent en question avait été acquis de manière illégale par Marcos et devait donc être mis à disposition des autorités philippines (Financial Times, 16/07/2003). 34 “Des résistances aux alternatives”, texte intégral disponible sur le site internet du CADTM : www.cadtm.org/francais/manifestedakar.htm 35 Voir à ce niveau l’élaboration de l’Alliance des Peuples du Sud créanciers de la dette écologique www.ecuanex.apc.org/accion/, les travaux de Joan Martinez - université de Barcelone - et d’Aurora Donosio - Accion Ecologica, Equateur.

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28.2.3. Mettre à l’amende les capitalistes fraudeurs Vu l’importance des dépôts à l’étranger des détenteurs de capitaux de la Périphérie qui, notamment pour éviter l’impôt, ont placé des capitaux à l’étranger, il faut réaliser un cadastre des fortunes

détenues dans le pays et à l’étranger. Ceci implique que les autorités de chaque pays, sous la pression des mouvements sociaux, prennent des dispositions légales demandant la levée du secret bancaire sur

le plan national et international. Qu’ensuite, elles obtiennent, y compris par l’envoi de commissions

rogatoires auprès des banques privées étrangères, les renseignements nécessaires sur l’identité de ces détenteurs de capitaux et sur les sommes en question, afin de déterminer des amendes fiscales, ce qui

ferait rentrer dans les caisses de l’Etat les recettes qui lui sont en fait dues.

Comme les détenteurs de capitaux à l’étranger sont propriétaires d’avoirs dans leur pays d’origine, ces avoirs peuvent être mis sous séquestre tant que l’amende n’est pas versée. Si celle-ci ne l’est pas, une

partie des biens détenus dans le pays pourrait déjà être récupérée pour être transférée au domaine public.

28.2.4. Réforme monétaire redistributive

Une redistribution des richesses peut également être réalisée par le biais d’une réforme monétaire appropriée. Sans développer ici, on peut s’inspirer de la réforme monétaire réalisée après la Seconde

Guerre mondiale par le gouvernement belge ou, à un autre coin de la planète et à une autre époque, par

les autorités nicaraguayennes en 1985. Elle vise à opérer une ponction notamment sur les revenus de ceux et celles qui se sont enrichis sur le dos des autres. Le principe est simple : il s’agit, lors d’un

changement de monnaie, de ne garantir la parité automatique entre l’ancienne et la nouvelle monnaie (un ancien franc contre un nouveau) que jusqu’à un certain plafond. Au-dessus de ce plafond, la somme excédentaire doit être placée sur un compte bloqué et son origine,

justifiée et authentifiée. En principe, ce qui excède le plafond fixé est changé à un taux moins favorable (par exemple : deux anciens francs contre un nouveau) ; en cas d’origine délictueuse avérée,

la somme peut être saisie36. Une telle réforme monétaire permet de répartir une partie de la richesse de manière plus juste socialement. Un autre objectif de la réforme est de diminuer la masse monétaire en

circulation de manière à lutter contre des tendances inflationnistes. Pour qu’elle soit efficace, il faut

avoir établi un contrôle sur les mouvements de capitaux et sur les changes. 28.2.5. Dans un cadre international, mettre en place des taxes globales

28.2.5.1. Taxe de type Tobin Initialement proposée par le prix Nobel d'économie James Tobin (1972), développée plus tard par

d'autres économistes, puis adaptée par le réseau international ATTAC (Association pour une taxation

36 Une telle proposition ne manquera pas de susciter chez les néolibéraux la réprobation au nom de l’équité et de la liberté mais surtout du sacro-saint respect de la propriété privée. Ceux-ci ne sont pas gênés de justifier par contre une dévaluation "tam tam" comme celle du franc CFA en janvier 1994 et bien d’autres dévaluations grâce auxquelles les riches deviennent encore plus riches. Il suffit que les riches détiennent une partie de leurs avoirs en devises fortes pour que cette partie de leur patrimoine augmente de manière inversement proportionnelle à la dévaluation. Les capitalistes de la zone CFA, sachant qu’une dévaluation était en préparation, ont acheté des devises fortes avec “ leurs ” CFA. Après que le CFA ait été dévalué de 50% en janvier 1994, il leur a suffit d’en racheter avec leurs devises fortes pour voir doubler leur mise de départ. Cela s’est passé à grande échelle et on n’a vu aucun dirigeant de la Banque mondiale et du FMI s’en plaindre.

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des transactions financières pour l'aide aux citoyens), une telle taxation pourrait dégager des fonds importants pour le développement.

Selon des évaluations effectuées par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) en 1995, 1 000 milliards de dollars par jour imposés à 1% auraient

procuré 720 milliards de dollars par an. A titre d'hypothèse de travail, elle propose de couper la poire

en deux : 360 milliards pour un fonds social et écologique dans les pays d’origine de la transaction, et 360 milliards pour un fonds de redistribution pour les pays du Sud (éducation, santé, etc.). Les deux

fonds seraient gérés par des conseils d’administration mixtes représentant la société civile et les

gouvernements. La plate-forme internationale d'ATTAC parle, quant à elle, d'une taxe de 0,1% rapportant quelque 100

milliards de dollars annuels, pouvant être utilisés dans la lutte contre les inégalités, pour l'éducation, la santé publique, la sécurité alimentaire et le développement durable. Evidemment, il est impossible de

déterminer avec exactitude le montant qu'une telle taxe dégagerait, puisqu’il qu'il dépend du taux de la

taxe et de l'ampleur des flux financiers37. ATTAC, soutenu par d’autres mouvements (dont le CADTM), considère que, sans attendre une décision mondiale, l’UE (ou la zone euro au sein de celle-

ci) a la taille suffisante pour appliquer une taxe de type Tobin.

Par ailleurs, il semble nécessaire, vu la globalisation des marchés qui s'est opérée depuis la proposition

initiale de Tobin (et notamment le développement de produits dérivés créant des passerelles entre tous les marchés), de taxer toutes les transactions financières (actions, obligations, devises et dérivés), afin

que les opérateurs ne puissent éviter cette taxe de solidarité en passant par d'autres marchés. La

centralisation informatique de la liquidation des opérations, par le biais des clearing houses telles la SWIFT pour le marché des changes et Clearstream et Euroclear pour les transactions mobilières

internationales, facilite grandement la faisabilité d'une telle taxe, puisque toutes les transactions

financières internationales sont retraçables et dénouées dans ces uniques lieux.

28.2.5.2. Taxes sur les IDE, sur les bénéfices des transnationales et autres taxes globales…

Le mouvement ATTAC avance également la proposition de taxer les investissements directs à

l’étranger (IDE). Le taux de cette taxe, selon ATTAC France, oscillerait entre 20% et 10% en fonction d’une classification que formulerait l’Organisation internationale du Travail (OIT) sur la base du degré

de respect des droits fondamentaux des travailleurs, selon une échelle spécifique à différentes

catégories de pays. ATTAC propose également une taxe sur les bénéfices des transnationales. Selon ATTAC, la taxe de type Tobin, celles sur les IDE et sur les bénéfices des transnationales devraient être

versées dans un Fonds mondial pour la garantie des droits humains et la protection de l’environnement (ce qui rejoint la proposition contenue dans ce chapitre).

En termes de taxes globales, à part la taxe sur les grosses fortunes avancées au point 2.7., est également en discussion dans différents mouvements la proposition d’une taxe sur le kérosène utilisé

37 L’économiste français Bruno Jetin a publié en 2002 un livre très utile - et d’une grande lisibilité - sur la faisabilité et sur la finalité de la taxe Tobin. Concernant le rendement d’une taxe type Tobin (TTC), “ il est raisonnable de retenir 100 milliards de dollars comme la recette minimale que pourrait procurer la TTC, sans écarter la possibilité que la recette soit environ deux à trois fois plus élevée ”. Pour ce qui est de l’utilisation des recettes procurée par la taxe type Tobin, B. Jetin déclare : “ Notre point de vue est que l’intégralité des recettes de la TTC doit être destinée d’une part à des programmes internationaux d’intérêt commun dans des domaines tels que la santé et l’écologie, et d’autre part, à des programmes nationaux de développement dans les pays du Sud ”. (Bruno Jetin, La taxe Tobin et la Solidarité entre les Nations, Edition Descartes et Cie, Paris, 2002).

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324

par les compagnies aériennes. Le kérosène pour l’aviation est le seul combustible fossile non taxé. Sa consommation provoque des dommages à l’environnement et contribue à l’épuisement des énergies

non renouvelables. Etant donné que les effets négatifs sont globaux, il est logique de penser en terme de taxe globale ce que les compagnies aériennes devraient verser dans un Fonds mondial pour la

garantie des droits humains et la protection de l’environnement. Une taxe sur l’émission de CO2

(même remarque que pour la taxe sur le kérosène quant à sa finalité) est également évoquée. 28.2.6. Porter l’aide publique au développement (APD) à au moins 0,7% du PIB et en réformer complètement l’esprit. Plutôt que d’APD, parlons de Fonds de réparations Le montant actuel de l’APD ne neutralise pas l’effet négatif du remboursement de la dette et,

contrairement à une idée reçue, une partie significative de l’APD contribue à augmenter l’endettement

des PED. D’abord, il faut tenir compte du fait qu’une partie importante de l’APD est constituée de prêts, ce qui

augmente la dette des PED. Ensuite, en 2002, le montant total de l’APD n’a atteint que 57 milliards de dollars, soit plusieurs fois moins que ce que les PED ont remboursé sous forme de service de la dette

extérieure38.

En 2002, l’APD ne représentait que 0,23% du produit intérieur brut (PIB) des pays les plus industrialisés alors qu'ils se sont engagés, à maintes reprises, dans le cadre de l’ONU, à atteindre

l'objectif de 0,7%. En réalité, l’APD a baissé de plus de 30% entre 1992 et 2002, en contradiction

scandaleuse avec les promesses faites à Rio (1992) par les chefs d’Etat des pays industrialisés. Avec une moyenne actuelle de 0,23%, l'APD doit être multipliée grosso modo par trois pour atteindre

les engagements pris. Sachant que l’APD oscille bon an mal an autour de 50 milliards de dollars, en la multipliant par trois, on devrait atteindre 150 milliards par an. Cette somme devrait être versée

entièrement sous forme de dons (et non plus, comme c'est encore trop souvent le cas, sous forme de

prêts). Enfin, plutôt que de parler d’aide, il conviendrait dorénavant d’utiliser le terme réparation. Il s’agit en

effet, comme indiqué au point 2.1.2., de réparer les dommages causés par des siècles de pillage et d’échange inégal. La somme de 150 milliards de dons devrait être versée pour partie dans un Fonds

mondial pour la garantie des droits humains et la protection de l’environnement géré par les PED

(dans le cadre de l’ONU), et pour partie dans des Fonds de développement nationaux contrôlés par les populations concernées et leurs représentants.

28.2.7. Instaurer un impôt exceptionnel sur le patrimoine des grosses fortunes

Dans son rapport 1995, la CNUCED propose d'imposer un prélèvement unique (une fois dans la vie) sur le patrimoine des grosses fortunes.

Un tel impôt, prélevé partout dans le monde, permettrait de mobiliser des fonds considérables. Cet impôt exceptionnel (différent d’un impôt récurrent sur le patrimoine, tel qu’il existe dans quelques

pays de la planète) pourrait aussi être prélevé à l’échelle nationale sans devoir attendre une décision à

l’échelle mondiale. La CNUCED ne propose pas un taux précis ni une cible précise parmi les grandes fortunes.

38 Chaque année, généralement au printemps, le Comité d’Aide au Développement de l’OCDE fournit un rapport détaillé concernant l’APD. Le rapport 2004 rendu public en avril est accessible sur le site de l’OCDE : www.oecd.org . L’auteur se base sur les données fournies par l’OCDE et par la Banque mondiale.

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Il faut se lancer à l’eau. Disons qu’un tel impôt exceptionnel (une fois dans la vie) de solidarité de l’ordre de 10% sur le patrimoine du décile le plus riche dans chaque pays pourrait générer des

ressources internes tout à fait considérables.

Dans la plupart des pays, les contribuables paient des impôts à la fois nationaux ou fédéraux, auxquels

s’ajoutent des impôts locaux (communaux, régionaux…). Il s’agit de soumettre les contribuables spécialement riches au même type de règles étendu à la planète. En plus d’un impôt prélevé dans un

cadre national, ils devraient être soumis à un impôt mondial exceptionnel sur la fortune à prélever là

où ils détiennent leur fortune et verser celui-ci dans un fonds mondial pour la garantie des droits humains et la protection de l’environnement. La concentration de la richesse par une infime minorité a atteint un degré jamais connu jusqu’ici dans

l’histoire de l’humanité, et ce dans l’ensemble des pays que compte la planète (les exceptions se

comptent sur les doigts d’une main). Les fortunes accumulées atteignent des montants absurdes qui sont une insulte à la conscience des peuples. Comme indiqué dans l’introduction de ce chapitre, selon

l’édition 2003 du Rapport mondial sur la richesse (World Wealth Report 2003) réalisé par le

consultant en gestion de fortunes Cap Gemini Ernst and Young et la banque d’affaires Merrill Lynch, il y avait en 2002 environ 7,3 millions de millionnaires en dollars (soit environ un millième de la

population mondiale) disposant ensemble de 27.300 milliards de dollars (compte non tenu de leur résidence principale).

Un impôt exceptionnel mondial de 20% sur le patrimoine du millième le plus riche de la planète permettrait de réunir grosso modo 5.500 milliards de dollars (27.300 divisé par 5 = 5.475 milliards de

dollars) qui iraient alimenter un fonds mondial pour la garantie des droits humains et la protection de

l’environnement (déjà alimenté de manière permanente par une taxe de type Tobin et d’autres taxes globales). Une partie serait dépensée sous forme de dons, une autre serait prêtée à bas taux d’intérêt ou

à intérêt nul (ce qui permettrait de reconstituer de manière permanente le fonds). De nombreuses questions subsistent. Quel taux imposer ? Un taux unique de combien ? Un taux

progressif ? Quelle part des ressources du Fonds serait répartie sous forme de dons ? Quelle part serait

prêtée ? A quel taux ? Selon quelles modalités ? Quelle part des fonds irait à des projets mondiaux ? A des projets continentaux ? Un fonds pour la reforestation ? Un fonds pour la dénucléarisation

complète ? Quelles priorités et quels projets? Déterminés par qui ? L’AG de l’ONU précédée de

référendums nationaux ? Continentaux ? Quelle part irait à des projets locaux ? Plus généralement, il convient d’aller vers un système fiscal réellement redistributif donnant aux

pouvoirs publics le moyen de se conformer à leurs obligations à l’égard de leurs citoyen(ne)s en matière de droits économiques, sociaux et culturels.

28.3. Une nouvelle logique de développement

A la logique actuelle de développement qui voit les pays du Sud adopter sous la contrainte des créanciers des programmes d'ajustement de type néolibéral, il convient de substituer une logique de

développement endogène et intégrée. Cette mutation passe par la mise en pratique des mesures

suivantes :

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28.3.1. Mettre fin aux plans d’ajustement structurel

Les plans d'ajustement structurel (PAS), en prônant la libéralisation totale des économies du Sud, ont pour conséquence d’affaiblir les Etats en les rendant plus dépendants de fluctuations extérieures

(évolution des marchés mondiaux, attaques spéculatives, etc.) et de les soumettre à des conditionnalités imposées par la Banque mondiale, le FMI et, derrière eux, par les gouvernements des

pays créanciers regroupés dans le Club de Paris.

Les PAS, sans résoudre le problème de l'endettement (la dette des PED a quadruplé depuis la mise en œuvre des PAS, alors qu'elle a été remboursée huit fois durant la même période), livrent les économies

de la Périphérie aux appétits des grandes entreprises transnationales et impliquent des licenciements

massifs et des coupes drastiques dans les budgets sociaux. Ils empêchent un réel développement humain.

La Commission des droits de l’homme de l’ONU39 a adopté de multiples résolutions sur la

problématique de la dette et de l’ajustement structurel. Dans une résolution adoptée en 1999, la

Commission affirme que “l’exercice des droits fondamentaux de la population des pays endettés à l’alimentation, au logement, à l’habillement, au travail, à l’éducation, aux services de santé et à un environnement sain, ne peut être subordonné à l’application de politiques d’ajustement structurel et à des réformes économiques générées par la dette” (1999, Art. 5). Pour sa part, le secrétaire général de l’ONU écrit que “le rapporteur spécial de l’ONU sur l’ajustement structurel met en évidence que les programmes d’ajustement structurel, recommandés par les institutions financières internationales, influencent de manière clairement négative (tant directement qu’indirectement) la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels et sont incompatibles avec la réalisation de ces droits ”40. En outre, selon l’ONU, certaines conditions fixées par les créanciers et les bailleurs de fonds

constituent une violation de la libre détermination des peuples : “Tout pays a le droit souverain de disposer librement de ses ressources naturelles pour son développement économique et le bien-être de sa population ; toute mesure ou pression extérieure, politique ou économique, qui s’exerce contre l’exercice de ce droit, est une violation patente des principes de la libre détermination des peuples et de la non intervention énoncés dans la Charte des Nations unies. (…) Ces mesures comprennent la pression économique destinée à influencer la politique d’un autre pays ou à contrôler des secteurs essentiels de son économie nationale. L’assistance économique et technique, les prêts et l’augmentation des investissements étrangers doivent être réalisées sans mettre des conditions qui vont à l’encontre des intérêts du pays qui les reçoit ” (Secrétaire général, 1995 : 165, 171, 173). Le rapporteur spécial de l’ONU sur les effets des PAS et de la dette extérieure sur la jouissance

effective de tous les droits de l’homme, en particulier les droits économiques, sociaux et culturels,

Fantu Cheru, déclare : “ L’aggravation de la malnutrition, le recul des taux de scolarisation et la montée du chômage ont été imputés aux politiques d’ajustement structurel. Or, ces mêmes institutions (les Institutions financières internationales, NDA) continuent à prescrire la même thérapie et à en faire une condition pour bénéficier d’un allégement de la dette, niant l’évidence – à savoir que les programmes d’ajustement structurel ont sans conteste accentué la pauvreté ”41.

39 Se référant aux investigations de rapporteurs spéciaux, de groupes de travail d’experts et du secrétaire général de l’ONU. 40 ONU, Secrétaire général, 1995, p.66, cité in JOCHNIK, Chris, PAZMINO, Patricio. 2000. Otras Caras de la Deuda. Propuestas para la accion. Edit. Nueva Sociedad, Caracas, 2002, p. 136 41 ONU, Commission des droits de l’homme, E/CN.4/2001/56, 18 janvier 2001, p. 14

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Le bilan humain des politiques d’ajustement structurel est incontestablement négatif. Elles doivent donc être remplacées par des politiques visant la satisfaction des besoins humains fondamentaux en

donnant la priorité au marché intérieur, à la sécurité alimentaire et en recherchant les complémentarités régionales ou continentales.

28.3.2. Assurer le retour dans le domaine public des secteurs stratégiques qui ont été privatisés

Les réserves et la distribution d’eau, la production et la distribution électrique, les télécommunications, la poste, les chemins de fers, les entreprises d’extraction et de transformation de biens primaires, le

système de crédit, certains secteurs de l’éducation et de la santé… ont été systématiquement privatisés

dans les pays du Sud ou sont en voie de l’être. A quelques exceptions près à définir dans le cadre d’un débat démocratique, il convient d’assurer le retour de ces entreprises dans le domaine public.

28.3.3. Adopter des modèles de développement partiellement autocentrés De tels modèles impliquent la construction de fondations économiques intérieures suffisamment

solides pour pouvoir ensuite s’ouvrir aux échanges internationaux.

Ce qui suppose la création de zones politiquement et économiquement intégrées, l'émergence de modèles de développement endogènes, un renforcement des marchés intérieurs, la mobilisation d’une

épargne locale pour les financements locaux, le développement de l'éducation et de la santé, la mise en

place d'un impôt progressif et de mécanismes de redistribution des richesses, une diversification des exportations, une réforme agraire garantissant un accès universel à la terre aux paysans, une réforme

urbaine garantissant un accès universel au logement, etc.

A l'architecture mondiale actuelle, dont la logique impose à la Périphérie d'apporter les matières

premières et la main d'œuvre bon marché à un Centre détenant capitaux et technologies, il faut substituer des regroupements économiques régionaux. Seul un tel développement partiellement

autocentré permettrait l’émergence de relations de complémentarité Sud-Sud, condition sine qua non au développement économique de la Périphérie et, par extension, du monde.

Ces zones intégrées pourraient se doter d’institutions régionales ayant un pouvoir de régulation

économique et sociale.

28.3.4. Agir sur le commerce

Il faut mettre fin à la tendance historique de la dégradation des termes de l’échange. Pour cela, il s’agit

de mettre en place des mécanismes garantissant une meilleure rémunération du panier de produits exportés sur le marché mondial par les pays en développement (stabiliser le prix des matières

premières, garantir les revenus d'exportation, constituer des stocks régulateurs - ce qui implique l’abandon des stocks zéro -, etc.).

Pour aller vers de tels mécanismes concertés, il convient de soutenir les efforts des pays en

développement pour constituer des cartels de pays producteurs. L’organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) est trop souvent décriée de manière unilatérale. La réalisation de tels cartels

pourrait permettre à la fois une réduction des volumes exportés (ce qui, d’une part, limiterait

l’épuisement des ressources naturelles et, d’autre part, permettrait l’augmentation des surfaces utilisées pour les cultures vivrières) et une augmentation des recettes d’exportation à réinvestir dans le

développement par les pays bénéficiaires. La réduction des volumes exportés limiterait l’épuisement

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des ressources naturelles et pourrait entraîner une réduction de la pollution. Dans le secteur agricole, la réduction des cultures d’exportation libérerait de l’espace pour les cultures vivrières et favoriserait la

souveraineté alimentaire. Pourquoi pas un cartel des producteurs de cuivre (le Chili à lui seul représentait, il n’y a guère, 30% des exportations mondiales) ? Un cartel du café ? Un cartel du thé ?

Etc.

Par ailleurs, les pays de la Périphérie doivent pouvoir recourir à des mesures de protection de leurs productions locales.

En ce qui concerne l’agriculture, comme le propose l’organisation paysanne internationale Via Campesina, il convient de reconnaître le droit de chaque pays (ou groupe de pays) à la souveraineté

alimentaire, et notamment à l’autosuffisance pour les produits de base. La protection à l’importation en est le corollaire, en opposition avec le quota minimum d'importations agricoles de 5% actuellement

imposé par les règles de l'OMC à tous ses pays membres.

Comme le dit Via Campesina : “ Pour garantir l’indépendance et la souveraineté alimentaire de tous les peuples du monde, il est crucial que les aliments soient produits dans le cadre de systèmes de production diversifiés, de base paysanne. La souveraineté alimentaire, c’est le droit de chaque peuple de définir ses propres politiques agricoles et, en matière d’alimentation, de protéger et réglementer la production agricole nationale et le marché interne afin d’atteindre des objectifs soutenables, de décider dans quelle mesure ils recherchent l’autosuffisance sans se débarrasser de leurs excédents dans des pays tiers en pratiquant le dumping. (…) On ne doit pas donner la primauté au commerce international par rapport aux critères sociaux, environnementaux, culturels ou de développement ”.Par ailleurs, Via Campesina se prononce pour "l'abolition de tout appui et subside directs ou indirects aux exportations", pour "l’interdiction de la production et de la commercialisation de semences et d’aliments génétiquement modifiés" et pour "l’interdiction du brevetage du vivant ainsi que l’appropriation privée du savoir relatif à l’agriculture et à l’alimentation"42.

Les règles du commerce mondial doivent être subordonnées à des critères environnementaux, sociaux et culturels stricts. La santé, l'éducation, l'eau, la culture doivent être évacuées du champ du commerce

international. Les services publics d’intérêt général sont la garantie des droits fondamentaux et doivent

donc être exclus de l’Accord Général sur le Commerce et les Services (AGCS). Il convient par ailleurs d’abolir les articles des Accords sur les aspects des droits de propriété

intellectuelle relatifs au commerce (ADPIC) qui empêchent les pays du Sud de produire librement des

biens (médicaments génériques, par exemple) ou d’utiliser des technologies (softwares libres, par exemple) visant la satisfaction des besoins de leurs populations.

28.3.5. Garantir aux personnes le droit de circulation et d’établissement Outre que la liberté de circulation et d’établissement constitue un droit humain élémentaire, il faut

tenir compte du fait que les envois des migrants vers leur famille d’origine vivant dans les PED

représentent une ressource tout à fait considérable pour des dizaines de millions de familles. Rien qu’en 2003, les envois des migrants ont représenté la somme de 93 milliards de dollars43, soit deux

fois plus que la partie « don » de l’ensemble de l’aide publique au développement. Il est nécessaire de restreindre la libre circulation des capitaux et des marchandises et de modifier les politiques

migratoires actuelles. Il convient d’avancer clairement vers la réalisation du droit de circulation et 42 Via Campesina, in Rafael Diaz- Salazar 2002, p.87 et 90 43 Source: World Bank, GDF 2004, p. 198.

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329

d’établissement des personnes. Sur la base d’une véritable amélioration des conditions de vie qui sera la conséquence de l’application des mesures préconisées plus haut, les pressions migratoires

diminueront fortement. C’est par cet angle-là qu’il faut régler le problème, pas par celui de la fermeture des frontières aux êtres humains.

28.4. Nouvelle discipline financière et démocratie

Les crises financières à répétition des années 90 ont prouvé par l'absurde qu'aucune amélioration durable des conditions de vie ne pouvait être atteint sans un contrôle strict des mouvements de

capitaux et de l'évasion fiscale. Plusieurs mesures sont donc nécessaires afin de soumettre les marchés

financiers à la satisfaction des besoins humains fondamentaux.

4.1. Réglementer à nouveau les marchés financiers car leur déréglementation actuelle a entraîné un

développement totalement démesuré de la spéculation financière. Pour ce faire, il faut commencer par assurer une "traçabilité" de toutes les opérations financières

(déterminer clairement qui fait quoi et dans quel but).

4.2. Contrôler les mouvements de capitaux afin que l’afflux de capitaux internationaux ne débouche

plus inlassablement sur des reflux dévastateurs. L’article VI des statuts du FMI prévoit de manière explicite le bien-fondé de mesures de contrôle des

capitaux exercées par les autorités d’un pays. Cet article permet à un pays membre du FMI “ d’exercer un contrôle sur les mouvements internationaux de capitaux afin de les réguler ”44. Une mesure appropriée pourrait être l'établissement d'un dépôt temporaire et obligatoire, imposant à

toute entrée de capital un dépôt conjoint d'un an d'une valeur de 30% de la somme investie. Après un an, ce dépôt serait restitué à l’investisseur (encouragé à n’investir qu’à long terme). Le dépôt serait

non rémunéré.

De nombreuses autres mesures de contrôle existent, notamment l'imposition de détenir les actions et obligations pendant au moins un an avant de les revendre, la limitation de la convertibilité de la

monnaie aux transactions commerciales (excluant donc les activités financières), l'imposition d'une

forte taxe en cas de fluctuation excessive (comme le propose l'économiste Bernd Spahn), etc.

4.3. Supprimer les paradis fiscaux qui ont pour effet de gonfler la bulle financière et de fragiliser les économies licites (entre 500 et 1 500 milliards de dollars sont blanchis annuellement). Dans ce but, les

Etats doivent identifier par le biais des clearing houses les transactions provenant des paradis fiscaux

et les taxer fortement, afin d'annihiler l'avantage tiré de cette politique fiscale déloyale. Parallèlement, il est nécessaire de lever le secret bancaire pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale, le

détournement de fonds publics et la corruption.

4.4. Adopter des règles assurant la protection des pays qui recourent à l’endettement extérieur:

l’endettement extérieur peut se justifier si les pays concernés le décident démocratiquement. Mais il faut organiser l’utilisation de l’endettement selon des principes radicalement différents de ceux qui ont

prévalu jusqu’ici.

Deux principes nouveaux doivent être respectés. Primo, celui d’une conditionnalité “ à l’envers ” : la charge de remboursement et d’intérêt de ces prêts consentis à des taux d’intérêt bas et inférieurs aux

44 “ Exercise such controls as are necessary to regulate international capital movements ”.

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conditions du marché ne sera assurée que s’il est prouvé que cet endettement a effectivement permis une création de richesse suffisante dans les pays concernés.

Secundo, une protection forte et efficace des pays débiteurs devra être organisée en faveur des pays en développement à l’échelle internationale, de telle sorte que ces pays puissent se défendre contre toute

forme d’abus et de spoliation par les banques, les investisseurs privés internationaux et les institutions

financières internationales. Par ailleurs, comme le suggère Carlos Marichal45, il est également nécessaire de contraindre les

entreprises privées qui contractent des emprunts à en assumer le risque. Toute entreprise qui emprunte

à l’extérieur sera obligée de contracter une assurance auprès d’une grande société internationale d’assurance. Il s’agit d’éviter qu’en cas d’insolvabilité de l’entreprise, ce soit l’Etat - et donc les

contribuables - qui doive payer en lieu et place de l’entreprise privée comme cela se passe régulièrement (voir la reprise des dettes privées par les pouvoirs publics des pays endettés au cours des

crises des années 1990 dans l’Est asiatique et en Amérique latine).

Enfin, dans chaque contrat d’emprunt, il convient de désigner les tribunaux des pays emprunteurs comme ceux qui sont à même de trancher en cas de litige entre créancier et débiteur46. Il s’agit de

rompre avec la situation actuelle où ce sont systématiquement les tribunaux des pays créanciers qui

sont compétents en cas de litige. Une analyse des sentences rendues en cas de conflit montre clairement que les tribunaux des pays créanciers sont enclins à donner raison au prêteur. Afin de

mieux protéger les débiteurs et de rendre plus responsables les prêteurs, il est hautement recommandable de s’en remettre aux tribunaux du pays de l’emprunteur.

28.4.5. Contrôle démocratique de la politique d’endettement

La décision des Etats de contracter des emprunts et les termes dans lesquels ceux-ci sont souscrits doivent être soumis à l’approbation populaire (débat et vote au parlement, contrôle citoyen).

28.5. Mesures complémentaires indispensables

L’annulation de la dette publique extérieure de la Périphérie, l’abandon des politiques d’ajustement

structurel et les autres mesures proposées plus haut constituent des conditions nécessaires mais elles

sont en soi insuffisantes pour garantir un authentique développement humain des peuples. Des mesures complémentaires sont indispensables, à commencer par l’égalité homme/femme et le droit des

peuples indigènes à l'auto-détermination.

A l’échelle planétaire, il convient également de garantir le droit universel à un emploi digne par une

réduction radicale du temps de travail s'opposant à la logique actuelle qui voit des chômeurs coexister avec des salariés surchargés et rongés par le stress47 ; le droit universel à un revenu de citoyenneté48; la

45 MARICHAL Carlos, 2002 in Fattorelli, p. 21 46 Cette recommandation est notamment faite par Jeremy Bulow et Kenneth Rogoff, dans un article intitulé “Cleaning Up Third World Debt without Getting Taken to the Cleaners” publié en 1990 dans le Journal of Economic Perspectives n° 4 , p. 31-42. Jeremy Bulow est professeur à Stanford University tandis que Kenneth Rogoff est économiste en chef du FMI depuis 1999. 47 “ Il faut explicitement viser l’abolition du chômage, qui est l’instrument principal d’une formidable discrimination sociale. Tous les débats sur le dépassement du travail salarié, les merveilles de la pleine activité et du temps libéré ne doivent pas faire obstacle, car ils ne pourront être correctement posés tant que tout le monde ne sera pas là pour en discuter. C’est pourquoi la réduction généralisée du temps de travail est l’axe

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331

rupture au Nord comme au Sud avec le mécanisme de la dette publique qui engendre des politiques d'austérité et des transferts massifs des revenus des citoyens vers les détenteurs de capitaux49 ; la

défense des systèmes de pension par répartition par opposition au système de pension par capitalisation50 (l’instauration du système de pension par répartition là où il n’existe pas); la gratuité de

l’éducation (niveau universitaire compris) et de la santé ; de vastes programmes de travaux publics

socialement utiles et préservant l’environnement (exemples : construction de logements et aménagement urbain, rénovation de l’habitat existant, infrastructure de transports collectifs par chemin

de fer…) ; gratuité des transport publics ; campagnes d’alphabétisation, de vaccination, de soins de

santé primaire comme on en a connues avec des résultats extraordinaires au Nicaragua, entre 1980 et 1983, à Cuba, dans la première phase de la révolution, et comme il s’en déroule au Venezuela

actuellement.

Dépenses d’armement : Un accent particulier doit être mis sur la réduction drastique des dépenses

d’armement qui représentent environ 800 milliards de dollars par an. L’écrasante majorité de la production d’armement est réalisée dans les pays du G8. Ces pays, via l’octroi de crédits à

l’exportation, poussent les pays de la Périphérie à acheter des armes, malgré le discours hypocrite qui

prétend l’inverse. Les pays les plus industrialisés, à commencer par les Etats-Unis (environ 400 milliards de dollars), dépensent des sommes absurdes pour produire et utiliser des outils de destruction

et de mort. Réduire de manière drastique les dépenses d’armement et s’engager sur la voie du désarmement intégral permettrait de recueillir d’énormes dividendes de la paix à répartir au bénéfice

de tous.

Entreprises transnationales : Il convient d’assurer leur justiciabilité tant devant des juridictions

nationales (y compris des pays où sont actives des filiales de transnationales) qu’internationales.

Pensons aux familles de plus de 10.000 habitants de Bhopal dont la mort atroce a été provoquée par la transnationale Union Carbide en Inde en décembre 1984… Les dirigeants d’Union Carbide sont restés

impunis. A ce niveau, le procès intenté en 2002 devant un tribunal de New York par les victimes de l’apartheid contre vingt et une transnationales est exemplaire. Ces transnationales sont poursuivies

pour complicité avec un régime responsable de crimes contre l’humanité. Il faut que les pouvoirs

publics usent de leur pouvoir pour contraindre les transnationales à respecter les traités et les conventions internationaux et nationaux en matière de droits humains et de protection de

l’environnement. Il s’agit également de rompre les accords bilatéraux sur l’investissement (ABI) qui

constituent les nouveaux habits de l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement) car ils confèrent aux transnationales des pouvoirs exorbitants et entraînent le renoncement à l’exercice de la

d’une sortie égalitaire de la crise sociale ” (Husson, 1996, p. 220). Un tel projet implique le contrôle ouvrier pour garantir la pleine application de ces mesures, le rythme et l’organisation du travail (interdiction générale des heures supplémentaires, abolition du travail de nuit là où il n'est pas socialement nécessaire, pas d’accélération des cadences...). 48 Passet, 2000, p. 266-278 ; ATTAC, 2001a, Coutrot et Husson, Avenue du plein emploi, p. 66 49 C’est ce qu’a bien vu François Chesnais : “ Traduit en langage clair, c’est exactement le mécanisme le plus solide mis en place par la libéralisation financière de transfert des richesses de certaines classes et couches sociales et de certains pays vers d’autres. S’attaquer aux fondements de la finance suppose le démantèlement de ces mécanismes et donc l’annulation de la dette publique, pas seulement celles des pays les plus pauvres, mais aussi de tout pays dont les forces sociales vivantes refusent de voir le gouvernement continuer à imposer l’austérité budgétaire aux citoyens au titre de paiement des intérêts de la dette publique. ” (Chesnais, 1998, Tobin or not Tobin ?, p. 11) 50 Khalfa, in ATTAC, 2001b, Une économie au service de l’homme, p. 141-159

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souveraineté nationale. Il faut mettre en application le droit des Etats à recourir à des nationalisations de filiales de transnationales afin de pouvoir mettre à disposition des citoyens les ressources naturelles. La question de la démocratie politique est évidemment centrale. Sans l’intervention active des

citoyen(ne)s à tous les échelons de la décision politique, l’ensemble des propositions présentées ici n’a

pas véritablement de sens.

Biens communs de l’humanité : La réflexion sur les biens communs de l'humanité est au cœur des

débats altermondialistes. Le nom qu'on leur donne varie (biens publics, patrimoine de l'humanité…) et le "champ" qu'ils couvrent a tendance à s'élargir. En effet, « Ce sont les droits et besoins fondamentaux de la personne humaine et les nécessités écologiques qui permettent de dire ce qui devrait être ou ne pas être, à l'échelle mondiale un bien public »51. Etablir une liste, une classification

des biens communs nécessite donc une vaste consultation démocratique où se reflètent des histoires,

des cultures différentes.

La notion de "bien commun" recoupe la notion de "droit" à bien des égards. La protection des biens

communs veut en effet garantir le droit et l'accès de tous à l'eau, à l'air pur, à l'énergie, à la nourriture, au transport, à l'éducation de base mais aussi à la connaissance au sens large, le droit au

développement, mais aussi le droit à l'égalité, à la liberté, au plaisir, bref, le droit à la vie. Tous ces droits ont été magnifiquement énoncés dans les chartes et pactes des Nations unies.

Par rapport à ces antécédents historiques, il faut bien convenir que les objectifs du Millenium sont

minimalistes. Le mouvement altermondialiste, en se battant pour les biens communs, représente donc un aiguillon qui oblige à revenir aux textes fondateurs et à les actualiser. L'accès aux biens communs

pour tous, présents et à venir, et la préservation de ceux-ci, en ce qui concerne les domaines de l'eau,

de l'air, de l'énergie, par exemple, impliquent l’élaboration d’un véritable droit écologique mondial pour ainsi dire inexistant. Le droit au développement impliquerait aussi l'édification d'un droit

économique où le caractère criminel d'un endettement usurier, par exemple, pourrait être argumenté et plaidé.

Ceci amène à mettre l'accent, toujours dans le domaine du "droit", sur la nécessité de prôner la justice

comme bien commun (justice pénale, justice économique et sociale) car elle recoupe en fait tous les autres biens communs mondiaux. La justice est à la fois la condition et une composante des biens les

plus fondamentaux : égalité, liberté, solidarité.

28.6. Quel avenir pour le FMI, la Banque mondiale et l’OMC ? Un débat est ouvert depuis des années sur les possibilités de réformer une série d’institutions

internationales, en particulier l’OMC, le FMI, la Banque mondiale et les banques régionales qui lui

sont liées. Certains points de débat peuvent être rapidement dépassés : faut-il oui ou non des institutions mondiales publiques dans ces domaines particuliers que sont le commerce, la monnaie, le

crédit ? La réponse est affirmative car on n’avancera pas dans la résolution de problèmes internationaux, mondiaux sans institutions permanentes reconnues internationalement et légitimées

démocratiquement.

51 LILLE, François et VERSCHAVE, François-Xavier. 2003. On peut changer le monde. À la recherche des biens publics mondiaux.

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Un deuxième point de débat pourrait faire consensus : faut-il uniquement des institutions de portée mondiale ou convient-il de déléguer une série de compétences à des organismes régionaux de manière

à éviter un trop grand centralisme qui éloigne les institutions des réalités vécues par les peuples ? On pourrait s’accorder sur l’idée qu’au sein d’organisations mondiales, des structures régionales doivent

disposer d’une large autonomie.

Pour donner un exemple : lors de la crise asiatique de 1997-98, le gouvernement des Etats-Unis et la direction du FMI se sont opposés à la création d’un fonds monétaire asiatique alors que l’existence

d’un tel fonds aurait permis de réagir à des attaques spéculatives de manière concertée et bien plus

efficace que ne peut le faire une organisation mondiale. On peut parfaitement concevoir un FMI coexistant avec des fonds monétaires régionaux.

Autre exemple : un fonds monétaire latino-américain et caribéen pourrait aboutir à la naissance d’une monnaie commune entre les nations de l’Amérique latine et de la Caraïbe. On peut difficilement

attendre d’une organisation mondiale qu’elle favorise la création d’une monnaie régionale. Bien sûr,

s’il était possible d’arriver à l’adoption d’une monnaie mondiale, cela constituerait un véritable progrès mais on doit comprendre que pour y arriver, il faudra franchir certaines étapes, notamment le

regroupement des pays de la Périphérie pour se doter d’une monnaie commune afin de se passer autant

que possible du dollar, de l’euro ou du yen pour se connecter entre eux et ainsi ne plus dépendre des fluctuations de ces trois devises.

Ce qui fait débat tourne autour de la question suivante : peut-on se concentrer sur la réforme des

institutions (en particulier le trio susmentionné) ou convient-il d’agir pour leur substituer de

nouvelles ?

Réforme ou remplacement du FMI, de la Banque Mondiale et de l’OMC : la question fait l’objet d’un

débat dans différents mouvements sociaux et différents réseaux adhérant au mouvement pour une autre mondialisation. En général, il y a un accord à la fois sur la nécessité d’institutions mondiales relatives

aux échanges, au crédit et au commerce52 ainsi que sur le rejet des politiques actuellement défendues par le FMI, la Bm et l’OMC. Le point de vue de Gus Massiah, président du CRID (Centre de

recherche et d’information sur le développement) et vice-président d’ATTAC France semble à ce

propos pertinent. Voici ses paroles de conclusion au séminaire organisé sur l’avenir des Institutions financières internationales à l’Assemblée nationale à Paris les 22 et 23 juin 2001 : “ Sur le plan des mots d'ordre, il y a aujourd'hui une discussion entre ceux qui considèrent que nous sommes dans une période où il faut en demander la disparition, la mise entre parenthèses pour construire d'autres institutions, et ceux qui pensent que la crise actuelle en leur sein offre des opportunités de les faire évoluer en leur imposant des réformes de structures. Ce n'est pas une question dogmatique ou théologique. Il s'agit là d'une analyse de la situation et des opportunités politiques. La discussion reste ouverte, chacun des mouvements doit apprécier comment progresser par rapport aux objectifs communs ” (Gus Massiah, juin 2001).

52 “ Nous considérons donc qu'il faut des institutions financières internationales pour agir dans la durée, mais nous ne saurions faire confiance aux orientations et au fonctionnement des institutions actuelles. Ce que nous attendons de ces institutions, c'est très spécifiquement la stabilité du système monétaire, la prévention des crises financières ET un système financier qui favorise un développement respectueux des droits humains que nous appellerons, pour simplifier, le développement durable. De plus, nous attendons de ces institutions qu'elles fonctionnent démocratiquement” (Gus Massiah, juin 2001).

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334

Tout en renforçant l’unité entre partisans de la réforme radicale des institutions et partisans de leur remplacement, poursuivons la discussion. Pour avancer, il paraît utile de définir quelles pourraient être

les institutions qui remplaceraient celles qui existent actuellement. Il faut opter pour des propositions qui redéfinissent radicalement le fondement de l’architecture

internationale (missions, fonctionnement…). Reprenons le cas des institutions mondiales spécialisées

que sont l’OMC, le FMI et la Banque mondiale.

En ce qui concerne l’Organisation mondiale du commerce, nous partageons le point de vue de Walden

Bello et de Nicola Bullard, du réseau Focus on the Global South53 , ainsi que celui de François Houtart et de Samir Amin, du Forum Mondial des Alternatives54. Michel Husson présente synthétiquement les

arguments de la manière suivante : “ Le traité qui a institué l'OMC est un contrat léonin, de type impérial. Il ne peut fonder un ordre économique mondial favorable au développement. C'est pourquoi nous luttons pour le démantèlement de l'OMC et la dévolution de ses fonctions à d'autres institutions. La CNUCED pourrait fournir le cadre dans lequel seraient mis en place des accords visant à un véritable co-développement. Une telle institution aurait pour fonction de garantir et organiser le droit des pays du Sud à prendre les mesures de protection nécessaires à leur insertion dans le marché mondial, alors que toute la logique de l'OMC est tournée vers la négation de ce droit ; elle viserait à assurer les transferts de technologie, à l'encontre de l'OMC principalement préoccupée de protection des droits de la propriété et de brevetage de tout ce qui peut l'être. Enfin, au lieu de vouloir donner à l'OMC un rôle de juge en matière de droit du travail, il faut étendre les pouvoirs et les compétences de l'Organisation Internationale du Travail, en lui donnant des possibilités de recours. C'est dans ce cadre que doit être mené le débat sur les " clauses sociales ", et que les syndicats et les ONG doivent constituer un front commun pour une avancée universelle des droits sociaux ”55.

La nouvelle OMC ou l’organisation qui la remplacerait devrait viser dans le domaine du commerce à garantir la réalisation d’une série de pactes internationaux fondamentaux, à commencer par la

Déclaration universelle des droits humains et tous les traités fondamentaux en matière de droits humains (individuels ou collectifs) et environnementaux. Sa fonction serait de superviser et de

réglementer le commerce de manière à ce qu’il soit rigoureusement conforme aux normes sociales

(conventions de l’Organisation internationale du travail – OIT) et environnementales. Cette définition s’oppose de manière frontale aux objectifs actuels de l’OMC qui consistent à imposer le libre-échange,

la marchandisation de toutes les activités humaines et de toutes les ressources naturelles, à généraliser

de nouvelles règles systématiquement et uniquement favorables aux intérêts des firmes transnationales (et, d’ailleurs, définies par elles en général).

Ceci implique bien évidemment une stricte séparation des pouvoirs : il est hors de question que l’OMC, comme d’ailleurs toute autre organisation, possède en son sein son propre tribunal. Il faut

donc supprimer l’Organe de règlement des différends.

La Banque mondiale, ou ce qui en fait office, retrouverait une légitimité si, largement régionalisée, elle

avait pour fonction de fournir des prêts à taux d’intérêt très bas ou nuls et des dons qui ne pourraient

53 BELLO, Walden. 2000a. Why reform of the WTO is the wrong agenda. Four essays on four institutions: WTO, UNCTAD, IMF and the World Bank, Focus on the Global South, Bangkok, 2000, 61 p. Voir aussi BELLO, Walden. 2002. Deglobalization. Ideas for a new world economy, Zedbooks, London - New York, 2002, 132 p. 54 AMIN, Samir et HOUTART, François. 2000. Mondialisation et Alternatives, CETIM, Genève, juin 2000. 55 Michel Husson, juin 2001, inédit.

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335

être octroyés que sous garantie expresse qu’ils soient utilisés dans le respect rigoureux des normes sociales et environnementales et, plus généralement, des droits humains fondamentaux.

Contrairement à la Banque mondiale actuelle, la nouvelle banque dont le monde a besoin ne chercherait pas à représenter les intérêts des créanciers et à imposer aux débiteurs un comportement de

soumission au marché-roi. Cette banque aurait pour mission prioritaire de défendre les intérêts des

peuples qui reçoivent les prêts et les dons.

Le FMI, quant à lui, devrait (dans sa nouvelle forme qui rejoindrait sous certains aspects son mandat

originel) garantir la stabilité des monnaies, lutter contre la spéculation, contrôler les mouvements de capitaux, agir pour interdire les paradis fiscaux et la fraude fiscale. Pour atteindre cet objectif, il

pourrait contribuer avec les autorités nationales et les fonds monétaires régionaux à la collecte de différentes taxes (taxes de type Tobin, de type Spahn, taxes sur les investissements directs à

l’étranger…).

Toutes ces pistes requièrent l’élaboration d’une architecture mondiale cohérente, hiérarchisée et dotée

d’une division des pouvoirs. La clef de voûte devrait en être l’ONU, pour autant que son Assemblée

générale en devienne la véritable instance de décision - ce qui implique de supprimer le statut de membre permanent du Conseil de Sécurité (et le droit de veto qui lui est lié). L’Assemblée générale

pourrait déléguer des missions spécifiques à des organismes ad hoc. On pourrait également, comme le propose notamment Gilbert Achcar, réformer l’ONU en la dotant

d’un système bicaméral sur le modèle de la constitution des Etats-Unis ou de celle de l’URSS de 1923:

une chambre des Etats, sur le modèle de l’Assemblée générale actuelle, et une chambre des populations, élue au suffrage direct avec représentation proportionnelle des populations56.

Comme organe permanent, à côté du Conseil de Sécurité qui ne pourrait agir que sur mandat de

l’Assemblée générale, pourrait être créé un Conseil économique et social (en fait, l’ECOSOC actuel mais avec de véritables moyens d’action issus d’un mandat clair donné par l’Assemblée générale).

Pour faire une comparaison utile, il faut éviter de donner au Conseil de Sécurité et au Conseil économique et social des pouvoirs comparables à ceux (exorbitants et non démocratiques) de la

Commission européenne. Le Conseil de Sécurité et le Conseil économique et social devraient être

subordonnés à l’Assemblée générale de l’ONU. Par ailleurs, en général aujourd’hui, l’ONU joue le rôle de pompier ou d’ambulancier international. Il

lui arrive de plus en plus souvent de faire la promotion des entreprises transnationales les plus

puissantes (voir notamment l’initiative Global Compact prise par le secrétaire général Koffi Annan en 2000).

L’ONU doit (re)devenir le promoteur d’un nouvel ordre économique et social mondial sur la base de la Déclaration universelle des droits humains et des autres pactes et traités internationaux relatifs aux

droits humains (individuels et collectifs) et environnementaux. Nous croyons à la nécessité et à la

possibilité de la réforme de l’ONU pour trois raisons fondamentales : sa charte est globalement progressiste et démocratique ; le principe de sa composition est démocratique (un Etat = une Voix) -

même s’il devrait être complété comme suggéré plus haut par un système de représentation proportionnelle et directe - ; au cours d’une partie de son passé (années 1960 et 1970), l’Assemblée

générale a adopté des résolutions et des déclarations nettement progressistes (qui en principe restent

d’application) et a mis en place certaines institutions utiles (l’OIT, la CNUCED, l’OMS…).

56 ACHCAR, Gilbert. 2002. Le Choc des barbaries. Terrorismes et désordre mondial, p. 165

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Une autre question qui n’a pas encore fait suffisamment de chemin est celle d’un dispositif international de droit, d’un pouvoir judiciaire international (indépendant des autres instances de

pouvoir international), qui complète le dispositif actuel comportant principalement la Cour internationale de La Haye et la jeune Cour pénale internationale. Avec l’offensive néolibérale des

vingt dernières années, la loi du commerce a progressivement dominé le droit public. Des institutions

internationales non démocratiques comme l’OMC et la Banque mondiale fonctionnent avec leur propre organe de justice : l’Organe de règlement des différends, partie intégrante de l’OMC, et le

CIRDI (Centre international de règlement des différends relatifs à l’investissement) dont le rôle a

démesurément augmenté depuis la multiplication des Accords bilatéraux sur l’investissement (ABI). La charte de l’ONU est (régulièrement) violée par des membres permanents de son Conseil de

Sécurité. Des nouveaux espaces de non droit sont créés (les prisonniers sans droit embastillés à Guantanamo par les Etats-Unis). Les Etats-Unis, après avoir récusé la Cour internationale de La Haye

(où ils ont été condamnés en 1985 pour avoir agressé le Nicaragua), refusent la Cour pénale

internationale. Tout cela est extrêmement préoccupant et requiert d’urgence des initiatives pour compléter un dispositif international de droit. Cela implique un travail d’élaboration et d’adoption du

droit international dans des matières où il y a absence ou insuffisance de définition. Un exemple :

certains mouvements avancent la proposition de création d’un Tribunal international d’arbitrage sur la dette. L’idée est séduisante mais une question se pose : quel droit sera appliqué ? Le droit commercial

international, le droit commercial des Etats créanciers (près de 80% des contrats de prêts prévoient que la juridiction compétente est celle des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne) ? Dans ce cas, les

débiteurs sont à peu près sûrs d’être perdants. Ne faut-il pas d’abord (ou du moins simultanément)

s’attacher à la redéfinition du droit qui doit régir les rapports entre créanciers et débiteurs ? Poser la question, c’est y répondre.

Au début de ce chapitre, les limites de l’élaboration étaient soulignées. La question à laquelle nous avons essayé de répondre pourrait être résumée de la manière suivante : comment sortir d’une

économie d’endettement pour financer un développement socialement juste et écologiquement soutenable? Pour répondre, nous avons balayé assez large mais sans avoir la prétention de préciser un

corps complet et cohérent de propositions. Des questions fondamentales n’ont pas pu être traitées dans

ce chapitre bien qu’elles fassent nécessairement partie d’une alternative sur le plan national et mondial. Quelques-unes des questions qui devraient faire l’objet d’une élaboration spécifique :

comment inclure la dimension du genre dans les différentes propositions afin que celles-ci permettent

d’avancer réellement vers l’égalité homme/femme ? Pour améliorer les droits des travailleurs sur le plan international, la proposition d’instauration de clauses sociales occupe-t-elle une place centrale?

Qu’en est-il des clauses environnementales ? Quelle stratégie adopter face aux transnationales ?

Des mesures complémentaires sont au centre d’autres documents préparés par différents réseaux ou

mouvements internationaux tels ATTAC, le CADTM, Via Campesina, Focus on the Global South, le Forum Mondial des Alternatives, la Marche Mondiale des Femmes, Jubilé Sud… ou adoptés lors de

grandes rencontres internationales telles celles de Saint Denis (juin 1999), Bangkok (février 2000), Genève (juin 2000), Dakar (décembre 2000) et celles du Forum social mondial (déclarations des

mouvements sociaux lors des quatre premières éditions du Forum social mondial à Porto Alegre en

2001, en 2002 et en 2003, à Mumbai en 2004). Pour élargir la portée de l’alternative, on se reportera utilement à ces documents.

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CONCLUSIONS DE LA THESE

Les IFI, qui ont été fondées comme instrument de régulation lors de la conférence monétaire et financière des Nations unies de 1944 afin d’éviter que ne se reproduise une crise du type de

celle des années 1930, ont été par la suite transformées en instrument de déréglementation/déconstruction des mécanismes de contrôle sur les mouvements de capitaux.

La politique de la BIRD et du FMI a été influencée de manière déterminante par les principales puissances capitalistes en général, par le gouvernement des Etats-Unis en particulier648.

Le FMI et la BIRD ne se sont pas affranchis du contrôle des Etats, ils ne se sont pas mués en institutions bureaucratiques autonomes. Leur autonomie est relative. Elles ne constituent pas

une sorte de gouvernement supranational.

Ces deux institutions ont poussé les PED à recourir systématiquement à l’endettement extérieur

qu’elles considéraient comme la condition nécessaire, voire suffisante, au décollage économique de ceux-ci. L’endettement allait de pair avec d’autres apports externes notamment via les

investissements étrangers et l’aide publique au développement.

Selon un des modèles de référence des IFI, après une phase transitoire d’endettement, la

croissance aurait dû devenir auto soutenue. Cela ne s’est pas produit. Des facteurs indépendants de la volonté des pays endettés ont provoqué l’éclatement d’une crise de la dette au début des

années 80 du siècle passé. L’endettement est devenu permanent à quelques exceptions près et

pendant des périodes prolongées les transferts nets sur la dette ont été négatifs. Ils le sont globalement à nouveau depuis 1998 jusqu’à aujourd’hui.

648 Voir notamment les chapitres 10 à 13. Nous reprenons ci-après quelques citations présentées dans le chapitre 11. « Le Nicaragua des années 1980 constitue un exemple plus récent démontrant que le refus de prêter de la Banque coïncide clairement avec la politique des Etats-Unis. La raison invoquée pour la suspension des prêts était l’accumulation d’arriérés. Néanmoins, en septembre 1984, le gouvernement nicaraguayen a formellement proposé une solution au problème des arriérés » (c'est moi qui traduis). Catherine Gwin, in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, volume 2, p. 258. « La suspension des prêts (au Chili du président Allende) en 1970-73 a été citée dans le rapport du Trésor pour l’année 1982 comme un exemple significatif de l’exercice fructueux de l’influence des Etats-Unis sur la Banque. Et bien que la Banque ait donné son accord de principe pour un nouveau prêt en juin 1973, les propositions de prêt n’ont pas été prises en considération par le comité de direction tant que n’avait pas eu lieu le coup de septembre qui porta le général Pinochet au pouvoir » (c'est moi qui traduis et qui précise). Catherine Gwin, in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, volume 2, op. cit., p.256-57. « Dans l’ensemble, les politiques et programmes de la Banque mondiale ont été conformes aux intérêts des Etats-Unis. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le choix des pays aidés et en matière de problèmes politiques sensibles. Le caractère international de la Banque, sa structure d’entreprise, la force de son équipe de gestion, et la structure de la répartition des votes au sein de la Banque a assuré une large coïncidence entre ses politiques et pratiques et les objectifs politiques et économiques à long terme des Etats-Unis »648 (c'est moi qui traduis). Department of the Treasury, United States Participation in Multilateral Development Banks, 1982, p.59. (cité par Catherine Gwin, idem, p.270). Voir également la lettre du président Ronald Reagan à Robert Michel, leader républicain à la Chambre des Représentants lui demandant de soutenir l’accroissement du capital de la Banque mondiale en 1988: « La Banque consacre la plus grande majorité de ses moyens au soutien des projets d’investissement spécifiques dans les PED à moyen revenu. Ce sont principalement des pays (tels les Philippines, l’Egypte, le Pakistan, la Turquie, le Maroc, la Tunisie, le Mexique, l’Argentine, l’Indonésie et le Brésil) qui sont importants stratégiquement et économiquement pour les Etats-Unis »648 (c'est moi qui traduis). Letter from President Ronald Reagan to representative Robert Michel, 10 juin 1988, p.1. (cité par Catherine Gwin, Ibid, p.271).

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Historiquement, l’endettement extérieur des pays de la périphérie a constitué un puissant moyen aux mains des créanciers pour influencer le comportement des autorités de ceux-ci.

L’endettement extérieur a été et est encore utilisé par les principaux créanciers comme un instrument de subordination des débiteurs.

Contrairement à la section 10 de l’article 4 de la charte de la BIRD649, cette dernière et le FMI ont systématiquement prêté à des Etats afin d’influencer leur politique. Cette thèse a montré à

l’aide de plusieurs exemples que les intérêts politiques et stratégiques des grandes puissances

capitalistes sont déterminants dans les choix. Des régimes, soutenus par les grandes puissances capitalistes, ont été aidés financièrement bien que leur politique économique ne répondait pas

aux critères officiels des IFI et bien qu’ils ne respectaient pas les droits de l’homme. Par ailleurs, des régimes considérés comme hostiles aux intérêts des grandes puissances ont été

privés des prêts des IFI sous prétexte de non respect des critères économiques définis par celles-

ci.

Comme nous l’avons écrit dans le chapitre 13, les recherches entreprises à l'occasion de cette

thèse amènent à conclure que les choix de la Banque et de son jumeau le FMI, dès 1947 et jusqu’à l’effondrement du bloc soviétique, ont été largement déterminés par les critères

suivants: éviter le maintien de modèles autocentrés ; soutenir financièrement de grands projets (BM) ou des politiques (FMI) qui permettent d’augmenter les exportations des principaux pays

industrialisés ; refuser d’aider des régimes considérés comme des menaces par le gouvernement

des Etats-Unis et d’autres actionnaires importants ; tenter de modifier la politique de certains gouvernements des pays dits socialistes afin d’affaiblir la cohésion du bloc soviétique. C’est

dans ce cadre qu’un soutien a été apporté à la Yougoslavie qui s’est retirée du bloc dominé par

Moscou à partir de 1948 ou à la Roumanie à partir des années 70 car Ceaucescu exprimait des velléités d'éloignement à l’égard du Comecon et du Pacte de Varsovie ; soutenir des alliés

stratégiques du bloc capitaliste occidental, des Etats-Unis en particulier (exemple : l'Indonésie de 1965 à aujourd’hui ; le Zaïre de Mobutu ; les Philippines sous Marcos, le Brésil de la

dictature à partir de 1964, le Nicaragua du dictateur Somoza, l’Afrique du Sud de l’Apartheid) ;

tenter d’éviter ou de limiter, autant que faire se peut, un rapprochement des gouvernements des PED avec le bloc soviétique ou la Chine ; essayer d'éloigner l’Inde de l’URSS ; idem de

l’Indonésie du temps de Soekarno.

Par ailleurs, le FMI et la BIRD, des origines à aujourd’hui, manifestent une réticence certaine à

considérer que le respect des droits de l’homme fait partie de leur mandat650. Dès l’origine

649 L'art. IV section 10 stipule : “ La Banque et ses responsables n'interféreront pas dans les affaires politiques d'un quelconque membre et il leur est interdit de se laisser influencer dans leurs décisions par le caractère politique du membre ou des membres concernés. Seules des considérations économiques peuvent influer sur leurs décisions et ces considérations seront soupesées sans parti pris, en vue d'atteindre les objectifs (fixés par la Banque) stipulés dans l'art.I ”. 650 Voir chapitre 19. Il a été souligné dans un rapport récent présenté à la Commission des droits de l’homme de l’ONU, que le FMI « …considère toujours que son mandat ne comprend pas le respect des droits de l’homme… ». ONU-CDH, Droits économiques, sociaux et culturels, Droits de l’homme et extrême pauvreté, Rapport établi par l’experte indépendante Anne-Marie Lizin, E/CN.4/2004/43, 23 février 2004, § 48. De leur côté, les auteurs du Rapport mondial sur le développement humain réalisé par le PNUD (édition 1994) écrivent : “ De fait, l’aide versée par les Etats-Unis pendant les années 1980 est inversement proportionnelle au respect des droits de l’homme. Les donateurs multilatéraux ne semblent pas non plus encombrés de telles considérations. Ils semblent en effet préférer les régimes autoritaires, considérant sans ciller que ces régimes favorisent la stabilité politique et sont mieux à même de gérer l’économie. Lorsque le Bangladesh et les Philippines

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également, ces institutions ont tenu à marquer leur particularité par rapport au reste du système onusien.

Depuis l’éclatement de la crise de la dette, on constate une augmentation de leur pouvoir

d’intervention à l’égard des PED qui recourent à leur service. On constate à partir de 1995

l’existence d’une collaboration étroite entre les IFI et l’OMC dans le cadre d’une politique néolibérale cohérente d’ouverture systématique des marchés des PED, de suppression des

contrôles sur les mouvements de capitaux, d’extension des règles de l’OMC à un nombre

croissant d’activités humaines. Cette collaboration augmente les contraintes sur les pouvoirs publics des PED (et de l’ensemble du globe). La déréglementation et la libéralisation concernent

les capitaux et les marchés où ils circulent. En revanche, en ce qui concerne les pouvoirs publics, c’est d’un renforcement des contraintes dont il est question. Selon cette logique, les

marchés doivent discipliner les pouvoirs publics, pas l’inverse.

« Deux poids, deux mesures »

Si on voulait un exemple du « deux poids, deux mesures », et de la maxime « Fais ce que je dis,

pas ce que je fais », il suffirait d’examiner la politique macroéconomique, appliquée au moment où cette conclusion est écrite, par les gouvernements des pays les plus industrialisés qui

dominent la BM et le FMI et de la comparer à celle des PED tenus par l’application d’accords signés avec ces institutions. En 2003, le déficit fiscal atteignait au Japon 8% du PIB ; aux Etats-

Unis, il frôlait 5% ; en France et en Allemagne, il dépassait les 3% fixés comme limite par le

Traité de Maastricht. Dans son rapport Global Development Finance de 2004 rendu public le 19 avril de la même année, la BIRD affirme que la forte intervention anticyclique des pouvoirs

publics aux Etats-Unis (qui a impliqué à une augmentation du déficit budgétaire) a permis de

relancer l’économie. Au même moment le FMI exige du Brésil qu’il dégage un surplus budgétaire primaire de 3,75%. Il exige de l’Argentine un surplus supérieur à 2,5%.

Autre élément de comparaison : le taux directeur de la banque centrale du Japon est proche de 0%, celui de la Réserve fédérale des Etats-Unis s’élève à 1% (on sait qu’il augmentera

progressivement dans les mois qui viennent), le taux directeur de la Banque centrale européenne

avoisine 2%651. Par contre, le FMI recommande à la banque centrale du Brésil un taux directeur supérieur à 15%.

Dernier élément de comparaison : les Etats-Unis, l’UE et le Japon maintiennent des mesures

protectionnistes fortes, les Etats-Unis ont même renforcé ce type de mesures dans les trois dernières années, tandis que le FMI et la BM obtiennent des gouvernements des pays endettés

liés par des accords qu’ils continuent à réduire leurs barrières tarifaires et non tarifaires.

Il s’agit d’être lucide et de constater que le modèle de développement tel que promu par la

Banque et le FMI n’a pas permis le décollage économique promis. Des erreurs d'appréciation grossières ont été commises par ces deux institutions autoproclamées références en matière

d'expertise. Le bilan humain et environnemental est gravement négatif.

ont mis fin à la loi martiale, leur part respective dans l’ensemble des prêts de la Banque mondiale a diminué ” (PNUD, 1994, p. 81). 651 Taux d’intérêt à trois mois : Etats-Unis : 1,09% ; Zone Euro : 2,09% ; Japon : 0,02%. The Economist, 29 mai 2004.

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La plupart des PED soumis à un traitement prolongé d’ajustement structurel se trouve dans un rapport de dépendance et de subordination renforcé à l’égard des principaux pays les plus

industrialisés.

Cette thèse se conclut sur la nécessité impérieuse de chercher une alternative aux politiques

recommandées par la BIRD et le FMI.

La pensée néolibérale développe la notion d’inéluctabilité : le système actuel est le seul

possible; la mondialisation/globalisation, telle qu’elle se déroule, est incontournable, tous et toutes doivent s’y plier.

On plonge ainsi dans le mysticisme et le fatalisme. Pourtant, un regard attentif sur l’histoire démontre l’incongruité de l’idée “ d’irréversibilité ”. Prenons l’exemple du domaine financier.

Au début du XXe siècle, la liberté des mouvements de capitaux assurée par l’étalon-or, la liberté

des changes garantie par les traités sur le commerce et l’investissement semblaient irréversibles. La première guerre mondiale est venue bouleverser tout cela. Dans les années 20, la toute-

puissance des marchés financiers paraissait tout aussi irréversible qu’elle prétend l’être

actuellement. Le krach de 1929 et la longue crise qui a suivi ont obligé les gouvernements à surveiller étroitement les activités bancaires et financières. A la fin de la seconde guerre

mondiale, les gouvernements des principaux pays capitalistes vainqueurs se sont mis d’accord pour se doter d’instruments de contrôle financier sur le plan international. Le FMI avait

notamment pour objectif de veiller à ce contrôle (son article VI le stipule explicitement).

Plusieurs gouvernements d’Europe occidentale ont entrepris à partir de 1945 de vastes programmes de nationalisations, incluant des banques, sous la pression du monde du travail.

Les certitudes théoriques néolibérales affichées aujourd’hui ne valent guère plus que celles des libéraux ou des conservateurs au pouvoir dans les années 20 à la veille du krach financier.

L’échec économique et le désastre social provoqués par les néolibéraux d’aujourd’hui pourraient déboucher sur de nouveaux grands changements politiques et sociaux. La

mondialisation n’est pas un rouleau compresseur qui écrase tout sur son passage : les forces de

résistance sont bel et bien présentes. Elle est loin d’avoir mené à un système économique cohérent : les contradictions au sein de la Triade sont multiples.

De plus, les contradictions entre le Centre et la Périphérie se renforcent car la dynamique

actuelle de la mondialisation est excluante. Les peuples de la Périphérie constituent plus de 85% de la population mondiale : croire qu’ils vont se laisser marginaliser sans réagir, c'est se tromper

lourdement, tout comme les gouvernants qui, dans les années 40 et 50, croyaient encore à la stabilité de leur domination coloniale sur l’Afrique et une grande partie de l’Asie.

Enfin, à l’intérieur de la Périphérie, les autorités qui acceptent la voie néo-libérale perdent

progressivement des éléments de légitimité. En général, la classe dominante dans ces pays n’a plus de perspective de progrès à offrir à la grande masse de la population.

Pourquoi dès lors exclure que le mécontentement social s’exprime à nouveau autour de projets

émancipateurs ? Il n’est pas dit que le mécontentement doive prendre la voie du repli identitaire,

“ ethnique ” ou religieux. Il n’y a ni fatalité économique ni situation politique qui ne peut être modifiée sous l’action des forces sociales. Une nouvelle forme de décolonisation s'impose pour

sortir de l'impasse actuelle, dans laquelle les IFI et leurs principaux actionnaires ont enfermé le

monde en général, et les nations de la Périphérie en particulier.

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l’ouvrage, éditeur, lieu de publication, année de l’édition référencée si elle diffère de l’année de la première publication, nombre de pages.

Pour un article dans une revue, la structure de base est : Nom, Prénom. Année de la première publication. « Titre exact de l’article », Nom du périodique, date et n° du volume, éditeur, page de début et de fin de l’article.

Pour un article dans un ouvrage collectif, la structure de base est : Nom, Prénom. Année de la première publication. « Titre exact de l’article », in Nom, Prénom du coordinateur. Nom de l’ouvrage collectif, lieu de publication, année de publication, éditeur, page de début et de fin de l’article.

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