Thèse de Nicolas Ténèze sur la stratégie d'Israël

download Thèse de Nicolas Ténèze sur la stratégie d'Israël

of 560

description

Nicolas Ténèze a soutenu sa thèse "Israël et sa dissuasion non-conventionnelle: histoire d'un paradoxe géopolitique (1948-2008)" le 1er avril 2009, à l'Université Toulouse 1 Capitole.

Transcript of Thèse de Nicolas Ténèze sur la stratégie d'Israël

  • ISRAEL ET SA DISSUASION NON-CONVENTIONNELLE:HISTOIRE D'UN PARADOXE GEOPOLITIQUE (1948-2008).

    NICOLAS TENEZE.UNIVERSITE TOULOUSE CAPITOLE

    1

    Thse

    En vue de lobtention du

    DOCTORAT DE LUNIVERSIT DE TOULOUSE

    Dlivr par LUNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES Discipline ou spcialit : SCIENCE POLITIQUE

    -------------------------------------------------------------------------------------------------

    Prsente et soutenue par Nicolas Tnze le mercredi 1er avril 2009

    ISRAEL ET SA DISSUASION NON-

    CONVENTIONNELLE:

    HISTOIRE D'UN PARADOXE

    GEOPOLITIQUE (1948-2008)

    -------------------------------------------------------------------------------------------------

    Jury : Jean-Paul JOUBERT, professeur des Universits Lyon III

    Jean-Pierre MARICHY, professeur mrite lIEP lUniversit de Toulouse Jean-Franois SOULET, professeur lUniversit Toulouse II le Mirail

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Sciences juridique et politiques

    Groupe de Recherche sur la Scurit et la Gouvernance, rue des Puits Creuss, 31000 Toulouse.

    Directeur de Thse : Monsieur Michel-Louis MARTIN

  • ISRAEL ET SA DISSUASION NON-CONVENTIONNELLE:HISTOIRE D'UN PARADOXE GEOPOLITIQUE (1948-2008).

    NICOLAS TENEZE.UNIVERSITE TOULOUSE CAPITOLE

    2

    Avertissements:

    Les noms propres sont orthographis dans la mesure du possible leuropenne.

    Le prsent exemplaire est une version corrige est rduite de la thse

    soutenue le 1er avril 2009, l'Universit Toulouse Capitole et qui comprenait

    l'origine 700 pages. Cette nouvelle version de 560 pages est archive la

    bibliothque universitaire Arsenal de l'Universit Toulouse Capitole, aprs

    accord lu et approuv par monsieur le professeur MICHEL-LOUIS MARTIN.

    Luniversit nentend ni approuver ni dsapprouver les opinions particulires du candidat

  • ISRAEL ET SA DISSUASION NON-CONVENTIONNELLE:HISTOIRE D'UN PARADOXE GEOPOLITIQUE (1948-2008).

    NICOLAS TENEZE.UNIVERSITE TOULOUSE CAPITOLE

    3

    Dans le long sillage, du brlant vent solaire,

    vogue neuf corps spatiaux, dans la danse circulaire.

    Usant de latome, comme outil de puissance, ils prolifrent, ils s'espionnent par mfiance.

    L'immense Jupiter et ses cinquante toiles,

    possde le premier, l'inique arme fatale.

    Deux rayons jaillissent vers le soleil levant,

    et l'entourent de feux, de poisons et de vents.

    Ecarlate et glac, la divinit Mars,

    dsirant galer son rival et comparse,

    saisit dans les scories, de son sol rouille fer,

    les lueurs des feux qui, font d'elle un autre enfer.

    Zeus livre son alli, Neptune entoure d'eaux,

    comme un matre-berger protgeant ses agneaux,

    les javelots sacrs, trident d'apocalypse,

    console de vivre son ternelle clipse

    La franche Saturne, jalouse, se dlite.

    refuse en gnral, d'tre le satellite.

    Grce aux reflets amis, l'indocile petite,

    redevient la plante, ct des lites.

    Dragon crachant la feu, chaud et froid, jaune et rouge,

    par ses pattes ails, volant comme Mercure.

    il sduit frre Ars, qui lui donne des vouges.

    quantit de secrets, dans les grottes obscures.

    Des ocans azurs, ceints de nuages blancs,

    la terre promise ne veut tre nant.

    Elle demande aussi, de devenir gante.

    Ltoile bleue n'est plus dore, n'est plus filante.

    Indigne orange, mystrieuse Vnus,

    cerne par ses voisins, sollicite Brahma.

    le miracle merge, dit-elle du magma.

    La non-violence sera-t-elle entretenue?

    Dans la vote d'encre, traverse une comte.

    Elle provient de la constellation australe.

    Mais avant que l'irrparable ne commette,

    Elle laisse l'clair, et son destin astral.

    L'meraude Uranus, ressort de sa retraite

    Elle obtient son volcan, des amis du prophte,

    Pour maintenir l'quilibre dans le systme,

    point ne sera la victime des anathmes.

    La dernire venue, l'autarcique Pluton,

    des ses surs vermillons est le fol rejeton. Par un jeu de dupe, elle entre dans le cortge.

    Croyant que les faisceaux de lombre la protgent.

    Qui donc sera demain, le nouveau prtendant,

    le clandestin mandant, le beau regard ardent?

    car dfier les sanctions, la volont de R,

    c'est brler comme Icare, incendi de ses traits ?1

    1 Nicolas TENEZE, La ronde des neuf, pome personnel, avril 2007.

  • ISRAEL ET SA DISSUASION NON-CONVENTIONNELLE:HISTOIRE D'UN PARADOXE GEOPOLITIQUE (1948-2008).

    NICOLAS TENEZE.UNIVERSITE TOULOUSE CAPITOLE

    4

    SOMMAIRE REMERCIEMENT

    TABLE DES ACRONYMES

    PROLEGOMENE SUR UNE QUESTION D'ORIENT COMPLIQUEE

    PREMIERE PARTIE : UN TAT CONSTRUIT SUR SA DISSUASION

    CHAPITRE I : LARME DE LINDPENDANCE I La gense

    II Les infrastructures de la dissuasion : Janus face civile et militaire

    II. 1 Les racteurs:

    CHAPITRE II : LA TRIANGULAIRE EUROPE/ USA/ ISRAL

    I Contexte d'alliance

    II Laffaire de Suez : le resserrement des liens franco-israliens III Lapprovisionnement secret en matires premires IV Isral, la France et les Etats-Unis, une alliance froide

    V Johnson : une ngligence bienveillante

    CHAPITRE III : LA BOMBE DANS LA TOURMENTE AU MILIEU DE GOG ET MAGOG

    I La cause de la Guerre des Six Jours (Naksa)

    II Lentre deux guerres : une course scientifique contre la montre du TNP III Lacclration du programme IV La guerre du Kippour: Alerte nuclaire

    V Aprs la guerre

    CHAPITRE IV : LE PARTENARIAT SUD-AFRICAIN

    I Une alliance dintrt II Un programme atomique et balistique gmin

    III De De Klerk Mandela

    CHAPITRE V : SAMSON LE LEVIATHAN

    I Lre Ronald Reagan: un renforcement du partenariat II Le dbut des annes 90 et les espoirs dus

    III Vers la puissance absolue

    IV La remise en cause du dsarmement

    V L'hyperpuissance du Moyen-Orient

    SECONDE PARTIE : DE LA MATIERE A LA THEORIE : SUCCES ET ECHEC DES DOCTRINES DE

    DISSUASION ISRAELIENNES

    INTRODUCTION

    CHAPITRE I : LES DOCTRINES DE LA DISSUASION ISRALIENNES ET LEURS APPLICATIONS

    I Protger face lavenir toujours incertain II La dissuasion isralienne: Guerre impossible, paix improbable

    CHAPITRE II : LA DOCTRINE BEN-GOURION: LARME DE LOPACITE I volution dune stratgie originale II Rflexions sur la pertinence de lopacit CHAPITRE III : LA DOCTRINE BEGIN OU LA CONTRE-DISSUASION

    I Dfinition dune stratgie atypique II LIrak : une doctrine Begin polyvalente III Lexemple syrien et lopration Orchar IV Les assassinats larme biochimique, mythes et ralits V Une doctrine Begin en question en Iran, vers un wilsonisme bott

    CHAPITRE V : DISSUASION ET ESPIONNAGE

    I Vanunu quand Icare se brle latome de Dimona II Laffaire Marcus Klingberg : brouillard chimique Ness-Ziona III Jonathan Pollard : histoire dun contentieux isralo-amricain

    CONCLUSION GENERALE

    Bibliographie

    Annexes

    Tables des matires

  • ISRAEL ET SA DISSUASION NON-CONVENTIONNELLE:HISTOIRE D'UN PARADOXE GEOPOLITIQUE (1948-2008).

    NICOLAS TENEZE.UNIVERSITE TOULOUSE CAPITOLE

    5

    REMERCIEMENTS

    Je souhaite remercier tout dabord monsieur Michel-Louis MARTIN pour mavoir

    accueilli au sein de son laboratoire afin de dvelopper la prsente thse ainsi que de sa

    comprhension sur les problmes rencontrs.

    Ce travail naurait pas pu voir le jour sans lencadrement du master II de monsieur

    Jean-Franois SOULET, professeur lUniversit de Toulouse II le Mirail, qui a constitu

    le tremplin pour ltude de ce sujet si particulier.

    La recherche naurait pas t possible sans le CROUS dont laide financire a t

    dterminante.

    Je remercie monsieur Henri ROUSSILLON, prsident de lUniversit des

    Sciences Sociales, pour son coute et son aide.

    Je suis gr Monsieur Ephram TETEILBAUM, responsable du Centre Hebraca

    de Toulouse, du Fond Juif Unifi pour Midi Pyrnes, pour son aide. galement, je tiens

    mentionner lutilit de la documentation que ma envoye lambassade dIsral en France.

    Ma gratitude sadresse aussi aux personnes anonymes contactes (experts, militaires ou

    universitaires) dont les tmoignages ce sont rvls prcieux.

    Bien entendu, des congratulations doivent tre rserves aux personnes,

    spcialistes et non spcialistes, qui volontairement ou leurs insus, ont apport la

    prsente tude des renseignements particulirement prcieux.

    Enfin, je remercie lInstitut des Hautes tudes de la Dfense Nationale (IHEDN)

    pour son aide financire, son soutien et son encadrement. galement, je suis gr la

    British Librairy pour avoir mis ma disposition une partie de son fond documentaire.

  • ISRAEL ET SA DISSUASION NON-CONVENTIONNELLE:HISTOIRE D'UN PARADOXE GEOPOLITIQUE (1948-2008).

    NICOLAS TENEZE.UNIVERSITE TOULOUSE CAPITOLE

    6

    TABLE DES ACRONYMES

    ABM : Anti-Ballistic Missile

    ADM: Armes de destruction massives

    AIEA: Agence internationale de lnergie atomique

    AP : Autorit Palestinienne

    ACSW: Armed Conflict Short of War

    ACRS: arm control and regional security

    BAS : Bulletin of the Atomic Scientists

    BASM: Bombe sous-munitions

    CABT Convention sur les armes

    biologiques et toxines

    CAB ou BWC : Convention sur les armes

    biologiques

    CAC ou CWC: Convention sur les armes

    chimiques

    CEA: Commissariat l'nergie atomique

    CG: Confrence Gnrale

    CIA : Central Intelligence Agency

    CIAC : Convention dinterdiction des armes chimiques

    CPI : Cour pnal international

    CPPNM: Convention on the physical

    protection of nuclear material

    CRIF : Conseil reprsentatif des

    Institutions juives de France

    CSNU: Conseil de scurit de l'ONU

    CTBT Comprehensive Test Ban Treaty ou

    TICE : Trait d'interdiction complte des

    essais nuclaires

    DCRI : Direction centrale du

    renseignement intrieur

    DOD : Dpartement dtat amricain la Dfense

    DOE : Dpartement dtat amricain lnergie EAU: mirats Arabes Unis

    EDAN : tats dots de l'arme nuclaire

    ENDAN : tats non dots de l'arme

    nuclaire

    EURATOM: European Atomic Energy

    Community

    GAO: General Accounting Office

    IAEC: Agence isralienne lnergie Atomique

    ICBM : Intercontinental ballistic missile

    IDF: Israeli Defense Forces

    IDS : Initiative de dfense stratgique

    IRB : Intermediate-range ballistic missile

    ISA ou ASI : Agence Spatiale Isralienne

    LIC : Low Intensity Conflit

    Kt: kilotonne

    MD : Missile Defense

    Mt : Mgatonne

    MENFZ: Zone exempte dADM au Moyen-Orient

    Mgw: Mgawatt

    MTCR : Rgime de contrle des

    technologies propres aux missiles

    NIS : Nouveau Shekel Isralien

    NLW : non-lethal weapons

    NMD : National Missile Defense

    NPR Nuclear Posture Review

    NSG : Nuclear Suppliers Group.

    NYT: New York Times

    OIAC: Organisation pour l'interdiction des

    armes chimiques

    ONU : Organisation des Nations unies

    OTAN : Organisation du Trait de

    lAtlantique Nord PESC : Politique trangre et de Scurit

    commune

    PSI : Proliferation Security Initiative

    RCTM : Rgime de contrle de la

    technologie relative aux missiles

    R&D: Recherche et dveloppement

    RSA: Rpublique sud-africaine

    SAM : surface-to-air missile

    SLBM : Submarine-launched ballistic

    missile

    SLCM : Sea-launched cruise missile

    SR: Service de Renseignement

    SORT : Strategic Offensive Reduction

    Treaty

    SRBM : Short-range ballistic missile

    START : Strategic Arms Reductions Treaty

    SVR : Sluzhba Vneshneiy Razvedky

    TMD : Theatre Missile Defense

    TNP : Trait sur la non-prolifration des

    armes nuclaires

    TO : Territoires Occups

    UA : Uranium appauvri

    UAV: Unmanned Aerial Vehicle ou drone.

    UE : Union Europenne

    USA: United States of America

    UNSCOM: United Nations Special

    Commission

    URSS : Union des Rpubliques socialistes

    sovitiques

    VGE : Valrie Giscard dEstaing WMD : (Weapons of mass destruction) :

    armes de destruction massive

    ZEAN ou NWFZ : Zone exempte darmes nuclaires

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    7

    PROLEGOMENE SUR UNE QUESTION D'ORIENT COMPLIQUEE

    ISRAL ET LA PROLIFERATION DANS LE GRAND MOYEN-ORIENT

    Le Grand Moyen-Orient, une rgion nuclarise au service des grandes puissances

    Dans le domaine des Relations Internationales (RI), et ceux depuis les annes 1950, la

    convergence de deux variables, Grand Moyen Orient dun ct, et prolifration des armes de

    destruction massives (ADM) de lautre, gnrent immdiatement les analyses les plus

    anxiognes et les plus passionnes.

    Le concept de Grand Moyen-Orient est forg par le think-tank American Enterprise

    Institute en fvrier 2003. Ce zonage, trs critique pour ces amalgames, proches en parties des

    thories huntingtoniennes, inclut les pays de la Ligue Arabe, plus Isral, l'Iran, l'Afghanistan,

    la Turquie et le Pakistan, et dans certains travaux parfois les pays de l'Asie Centrale. On

    nomme armes de destructions massives l'ensemble des armes conventionnelles chimiques,

    bactriologiques, radiologiques et nuclaires (NRBC), gnralement associes leurs vecteurs

    de dispersion et d'utilisation, en premier lieu les missiles balistiques.

    Le Grand Moyen Orient est agite depuis des millnaires par des conflits arms

    plthoriques, n de la confluence entre plusieurs civilisations. Dans ce Shatterbelt : (zone

    ouverte la comptition entre puissances) et Gateway (interface entre puissances), les grandes

    puissances cherchent, surtout depuis deux sicles et le dbut de la seconde priode de

    colonisation, contrler ses dtroits, son canal de Suez et ses rserves d'hydrocarbures (les

    premires au monde). L'accs aux mers chaudes et la matrise des principales voies

    commerciales vont expliquer et lgitimer l'entretien de bases par les Britanniques, les

    Franais, les Italiens. Mais depuis 1945, la poudrire du Moyen-Orient s'est complexifie

    avec le conflit isralo-palestinien, les rivalits entre les deux superpuissances de la Guerre

    Froide (autour de l'Algrie, de la Libye, d'Isral, de la Syrie, de l'Egypte, de l'Iran et de l'Irak),

    qui eux aussi installeront des points d'appuis, la prsence encore relle des intrts des

    anciennes puissances colonisatrices, et la prolifration des ADM, du terrorisme et de la

    piraterie, entre autres.

    Depuis l'entre en vigueur du Trait de non-prolifration des armes nuclaires en 1970, la

    communaut internationale (au premier rang duquel se trouve les Etats-Unis, leurs allis, et

    les Organisations Internationales) uvre, par le Hard Power et le Soft Power2, ce qu'aucun

    2 Le professeur amricain Joseph Nye dveloppe celui de Soft Power, que l'on pourrait expliquer comme suit, au

    risque de trahir ses nuances: c'est la capacit d'un Etat ou d'une organisation influencer le comportement d'un

    autre acteur politique, renclant s'excuter conformment aux intrts du ou des premiers. Cette capacit

    s'effectue travers des moyens non arms comme par exemple des lois mmorielles. Cette puissance par

    cooptation reposent sur des ressources intangibles telles que : la rputation positive d'un tat, ses capacits de

    communication, le degr d'ouverture de sa socit, l'exemplarit de son comportement, son rayonnement

    scientifique et technologique dans un sens large, et enfin son influence au sein des instances internationales, le

    tout lui permettant dimposer ses choix quiconque sans le recours la force arme. NYE, Joseph, Bound to

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    8

    Etat ne l'enfreigne: frappes de complexe militaire (Irak et Syrie), blocus, neutralisation

    d'ingnieurs (Iran), pressions diplomatiques (Libye), etc... Ces actions sont justifies, aux

    dires des gendarmes de la rgion, car la perspective de voir merger de vritables puissances

    atomiques en pleine possession de leurs moyens, risque, de par l'importance gopolitique de

    cet espace, dclancher une raction en chane, une crise de porte mondiale.

    Pour autant, et paradoxalement, l'arme nuclaire est aussi considre comme un facteur

    stabilisateur, y compris par les Grandes puissances. Chacun des camps antagonistes, Ouest

    contre Est au moins jusqu'en 1991, estime que nuclariser un alli le protgerait, l'inverse de

    la nuclarisation de l'adversaire, vue comme dstabilisatrice. Cela explique la prolifration

    des programmes atomiques finalits militaires, entams par les Etats de la rgion: Isral

    depuis 1948, l'Iran et l'Egypte depuis les annes 1950, le Pakistan et l'Irak ds les annes

    1970, la Libye et l'Algrie partir des annes 1980, la Syrie partir des annes 1990, et

    l'Arabie Saoudite (dit-on depuis les annes 2000). Officiellement, il s'agit de sanctuariser des

    territoires et dvelopper une filire civile afin d'en faire profiter les conomies respectives.

    En consquence, ds 1972, Crozier et Friedberg affirment que nulle rgion au monde

    ne concentre davantage dADM que le Moyen-Orient, zone d'incertitudes3. En 1993, Samuel

    Huntington, rige cet espace au rang de deuxime cercle dinstabilit nuclaire 4 aprs

    celui de lAsie du Sud. En 1999, Jacques Attali soutient que sur les 44 tats disposant des

    capacits pour fabriquer la bombe ou la possdant dj5, on comptait sept pays appartenant

    l'espace qui nous proccupe: Algrie, gypte, Libye, Iran, Isral, Pakistan, Turquie6, Syrie. En

    2009, de nombreux tats du Grand Moyen-Orient possdent soit des ADM, soit les moyens

    d'en acqurir moyenne chance, partir d'infrastructures de recherche et de production

    idoines. Ces dernires ont t construites grce des transferts de technologies et des aides

    militaires et conomiques extrieures (occidentales, chinoises, nord-corennes ou russes), cet

    espace constituant le premier march de ventes d'armes. En effet, les principales puissances

    veillent ce que l'quilibre n'y soit rompu. L'exemple rcent de la comptition entre les Etats-

    Unis et la Chine sur la Syrie et l'Iran l'illustre pertinemment.

    Toutefois, certaines erreurs d'apprciations et fantasmes confre encore au risque rel de

    prolifration, des craintes exagres, exacerbes rcemment par le paradigme de la guerre

    Lead: The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990, 308 pages. 3 Erhard FRIEDBERG et Michel CROZIER, L'acteur et le systme , Les contraintes de l'action collective, 1972,

    Poche, 2000. 4 Samuel HUNTINGTON, The clash of civilisations? , Foreign Affairs, 1993.

    5 Jacques ATTALI, Economie de lApocalypse, Fayard, 1995, p. 12.

    6 Pour sanctuariser les dtroits d'accs aux mers chaudes face lURSS, l'OTAN installe dans ses bases des

    armes nuclaires sous cls amricaines. Certaines sont retires la suite de la crise des missiles de Cuba. Il y en

    aurait toujours 90 Incirlik en 2010. Aussi, le pays est de facto une puissance nuclaire militaire mais ne peut

    bien entendu les dployer de son propre chef. National Resources Defense Council, fvrier 2005, Nuclear

    Weapons in Europe.

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    9

    contre le terrorisme et l'instrumentalisation des capacits supposes des Rogues States7. Nous

    entrons ici dans le domaine des prjugs relevant du mainstream, de l'approche doxique, ici

    l'ide que la prolifration au Moyen-Orient est un phnomne relativement neuf,

    potentiellement capable d'affecter l'quilibre de la rgion et de menacer les dmocraties

    occidentales8. Ainsi, en octobre 2003, l'AIEA s'aperoit que le programme libyen n'est

    qu'embryonnaire, sans atteindre le stade de production. Le 11 janvier 2005, ladministration

    Bush suspend ses recherches dADM en Irak, en reconnaissant officiellement quil ny en

    avait jamais eu. Les potentialits supposes de Bagdad avaient pourtant lgitim

    lintervention de la coalition (plus de 4000 morts dans ces rangs), parce quelles menaaient,

    disaient-on, la scurit du Grand Moyen-Orient et de l'Europe. Il s'agissait bien entendu d'un

    casus belli officiel, nonobstant les objectifs officieux facilement identifiables. Depuis 2003,

    malgr la cacophonie des rapports contradictoires sur le cas iranien, les tensions se sont

    cristallises nouveau, aprs que l'Irak ait t dsarm par la force. L'Iran est somm de se

    conformer au TNP9 et d'abandonner toutes vellits de dvelopper un programme militaire,

    que le trait proscrit, moins de l'avoir mener bien avant 1970. Et dans le fil de ce

    continuum parfois plus mdiatique que rel, plusieurs experts prdisent en Cassandre une

    confrontation nuclaire entre Isral et l'Iran10

    .

    Alors que les mdias se focalisent sur la prolifration nuclaire sur des tats dit venus

    tardivement dans le club trs ferm des tats nuclaires, d'autres prolifrants ne suscitent

    pas la mme approche. On lude le sujet ou l'on abuse du conditionnel. Et pourtant, deux

    Etats appartenant ce Grand Moyen Orient, possdent des arsenaux nuclaires, linverse,

    bien existants : Isral et le Pakistan. Aucun n'a ratifi le TNP. Nanmoins, depuis les essais de

    mai 1998, le Pakistan est reconnu officiellement comme possdant la bombe nuclaire, ce qui

    7 La menace que faisait peser lEmpire du mal (1982) sur le monde libre est remplace en 1994, par celle

    manent de ce quAnthony Lake, conseiller de Clinton, appelait les Backlash States ou Rogue States (Syrie, lIran, lIrak et la Core du Nord), pays accuss de dvelopper des ADM. La secrtaire dtat amricaine, Madeleine Albright, la confrence de Colombus, le 18 fvrier 1998, rappelle le risque dutilisation darmes biochimiques par les tats voyous contre les USA et leurs allies dont Isral, et emploie la notion plus nuance

    de States of concern. Les noconservateurs David Frum et Michal Gherson, inventent le terme laxe du mal en janvier 2002. Condoleezza Rice, prfre lexpression de postes avancs de la tyrannie, pays hostiles possdant des capacits NBC et balistiques (Core du Nord et Iran), auxquels se rajoutent ceux qui en sont dpourvus mais

    dangereux idologiquement: Bilorussie, Zimbabwe et Birmanie. A cela se greffent des pays proccupants

    comme le Soudan, le Ymen, le Venezuela, la Bolivie et Cuba. Ladministration Obama opte pour la formule de pays soutenant le terrorisme ou de pays concerns par le terrorisme: Cuba, Iran, Soudan, Syrie, Nigeria,

    Pakistan, Ymen, Afghanistan, Libye, Algrie, Irak, Liban, Arabie Saoudite, et Somalie. 8 Raymond BOUDON, Lidologie ou lorigine des ides reues, Fayard, 1986,.

    9 Le 29 juillet 1957 voit l'entre en vigueur de l'AIEA aprs sa cration le 23 octobre 1956, statut adopt par 81

    Etats. 26 Etats ratifie le statut. Le statut rend l'AIEA responsable du contrle de la bonne application de la

    scurit et de la protection des personnes ainsi que du transfert des technologies nuclaires. En outre, au lieu

    dtre sous le contrle direct de lONU, elle devient une organisation autonome sous contrle direct de CSNU. Le 1er janvier 1968, 43 pays signe le (Chine et France s'abstiennent) trait de non-prolifration des armes

    nuclaires appliqu ds le 5 mars 1970. L'AIEA devient le responsable de la surveillance de la bonne application

    du trait, pour 25 ans. Le 19 juin 1968, la rsolution 255 indique que les cinq Etats dots d'armes nuclaires

    (EDAN) devront assurer une garantie positive de scurit, c'est--dire protger les autres Etats d'une agression

    nuclaire en change de leurs renoncements aux technologies non-conventionnels.

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    10

    n'est pas encore clairement le cas d'Isral. Et c'est notamment la raison pour laquelle il

    convient d'effectuer des recherches sur les potentialits dissuasives non-conventionnelles de

    l'Etat hbreu.

    ARMES DE DESTRUCTION MASSIVES ET DISSUASION, DES CONCEPTS A GEOMETRIE VARIABLE

    L'expression armes de destruction massive est utilise ds 1937 mais ne dsignaient

    alors que des bombardements ariens massifs l'aide de charges explosives conventionnelles.

    L'URSS d'alors rpand ce concept pour condamner l'action des franquistes sur Guernica.

    Aujourd'hui, la dfinition recouvre toutes les armes capables d'un haut niveau de destruction

    humaine, vgtale ou matrielle. Toutefois, un bombardement arien conventionnel peut faire

    autant de dgts quune petite arme atomique. Les raids sur Dresde et Tokyo en 1945

    causeront 100000 morts civils, plus qu Hiroshima.

    L'emploi du terme est trs politique. En effet, les ADM sont gnralement prsentes

    comme les armes NRBC des dictatures et des groupes terroristes. A l'inverse, ces mmes

    armes, intgres dans les arsenaux des dmocraties, deviennent des armes de dissuasion. En

    filigrane, le potentiel NRBC de l'ennemi est dpeint comme agressif, alors que la dissuasion

    des dmocraties ne peut-tre que dfensif. Or, le premier pays au monde ayant os employer

    l'arme atomique est une dmocratie, les Etats-Unis, contre le Japon, en aot 1945. Il est vrai

    que l'empire allemand du IIme Reich, fut le premier semble t-il employer les gaz de

    combat pendant la Premire guerre mondiale. Mais les Britanniques rpandirent des

    couvertures empoisonnes pour dcimer des populations autochtones aux Amriques, au

    XVIIIme

    sicle. Et l'on pourrait remonter davantage sans dterminer prcisment lesquels des

    dmocratiesou des dictatures eurent la responsabilits du premier emploi d'ADM.

    Les ADM concernent d'abord les substances chimiques et bactriologiques. Les armes

    chimiques rassemblent les gaz de combat tel que le sarin, le tabun, l'yprite, le VX, mais aussi

    les dfoliants, les poisons. Les armes bactriologiques (ou biologique selon la terminologie

    scientifique anglo-saxone), se rfrent aux toxines, aux bactries, au virus, cultives partir

    de souches existantes mais parfois cres par hybridation des fins militaires. Ce sont des

    prparations vurilentes de bactries pathognes que l'on classe en douze classes, et que les

    militaires appellent dans leur jargon les 12 salopards. Ces derniers rassemblent la catgorie

    A (variole, pestes, anthrax, toxines botuliques, fivres virales hmorragiques, tularmie); la

    catgorie B (ricine, bruxellose, fivre du queensland, gangrne gazeuse, morve et entrotoxine

    B staphylococcique)11

    .

    Pendant la Premire guerre mondiale et durant la Guerre Froide, plusieurs Etats,

    10

    Bruno Tertrais, la prochaine guerre, 2009. 11

    Patrick BERCHE, LHistoire secrte des guerres biologiques, mensonges et crimes dtat, Robert Laffont,

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    11

    dmocraties comme dictatures, utilisent des armes chimiques: L'Allemagne, la France, l'Italie

    et le Royaume-Uni entre 1915 et 1918, la France et l'Espagne pendant la Guerre du Rif dans

    les annes 1920, l'Italie en Ethiopie dans les annes 1930, l'Egypte contre le Ymen dans les

    annes 1960, l'Iran et l'Irak dans les annes 1980. Mais les Etats-Unis, avec l'agent orange au

    Vietnam et les bombes au phosphore ne les ont jamais assimiles des armes chimiques. Les

    armes bactriologiques gnrent quant elles des rumeurs d'emplois trs frquentes, les

    Sovitiques et les Chinois accusent les Etats-Unis des les avoir rpandues durant la guerre de

    Core. Washington accuse ensuite Moscou d'en user en Afghanistan. Les Etats arabes

    affirment qu'Isral en a employ galement. La moindre pidmie ou pizootie gnrent des

    rumeurs en la matire.

    Mais dans la conscience collective, les ADM sont surtout des armes nuclaires. On

    entend par arme nuclaire un engin constitu d'un dtonateur reli une charge radiologique

    (bombe dite sale, c'est--dire des substances radioactives); dot d'un systme de fission

    (bombe A) d'une matire au plutonium ou l'uranium; de fusion (bombe H) d'une matire au

    deutrium et tritium, lments issu de l'hydrogne, do son nom parfois (on parle aussi de

    bombe thermonuclaire). La bombe N est une arme atomique neutron (nomm aussi bombe

    rayonnement enforc, effets thermomcaniques rduits, effets collatraux rduits)12

    . De

    1942 (date du projet Manhattan) 1952, seul trois pays possdent la bombe: Etats-Unis,

    URSS13

    et Royaume-Uni. De 1952 1962, deux nouveaux pays sy rajoutent: la France et la

    Chine. De 1962 1972, Isral est le seul se doter de larme. De 1972 1982, lInde et

    probablement la rpublique sud-africaine (RSA) intgre la liste. De 1982 1992, le Pakistan

    sy ajoute. De 1992 2009, seule la Core du Nord atteint le stade suprme, malgr lide que

    le dmantlement de larsenal sovitique et le reverse engineering puisse conduire une

    prolifration anarchique et massive depuis la fin de lURSS.

    Militairement parlant, lapparition de larme absolue bouleverse les rapports de forces et

    les stratgies affrentes entre ceux qui en sont dots entre eux-mmes, et entre eux et ceux qui

    en sont dpourvus. Pour la premire fois dans lHistoire, lhumanit est menace

    dextermination immdiate, et les puissances nuclaires ou un pouvoir dannihilation contre

    ceux qui ne la dtiennent pas. Politiquement et diplomatiquement, les armes atomiques sont

    employes une premire fois dans le contexte de la Guerre Froide. Outre que la possder

    revient intgrer le cercle restreint des puissances (bien que la Core du Nord n'en est pas

    une), on peut surtout attaquer ladversaire distance, sans dployer les armements

    conventionnels (en thorie) et en toute impunit si lantagoniste na pas les moyens ou le

    2009, 390 pages. p. 76. 12

    Georges HIMELFARB, Le vocabulaire de la guerre et de la paix, Belin, 2004, 300 pages. p.194. 13

    En 1990, lAzerbadjan accueille 75 armes nuclaires sovitiques sur son sol, la Moldavie 90, le Turkmnistan 125, lArmnie 200, lEstonie 270, la Gorgie 320, mais sous cls de Moscou.

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    12

    temps de rpliquer avec des armes similaires. La bombe procure un pouvoir lev de

    ngociation (bargaining) assorti davantages commerciaux14. Selon Franois Daguzan15, on

    prolifre dans lespoir dobtenir un gain politique, qui se dcline dans la recherche dune

    position de suprmatie rgionale, sans avoir ncessairement la puissance conventionnelle,

    dmographique, spatiale, diplomatique et culturelle. La bombe permet dtre une puissance

    qui compte, tel que le thorisera Gary Alperovitz dans Atomic Diplomacy (1965), mme si les

    autres critres de puissance ne sont pas runis.

    Depuis les annes 2000, lInde, la Chine et le Pakistan (peut-tre la Core du Nord) sont

    en phase daugmenter le nombre et la qualit de leurs armes alors que les puissances

    occidentales rduisent quantitativement leurs arsenaux mais les optimisent qualitativement.

    Depuis 1945, 70000 100000 armes nuclaires ont t produites (sans doute plus), pour

    environ 2060 essais nuclaires. Dans les annes 1980, 60000 armes taient dployes, sans

    compter celles pouvant tre assembles en cas de besoin (capables de dtruire 43 fois la

    surface habite de la terre). Cest partir de 1986 que la prolifration quantitative dcrot. Il

    en resterait 26000 en 2009. Durant la Guerre Froide16

    , le monde connat plusieurs crises

    gopolitiques avec menace demploi de larme nuclaire, dont certaines concerne Isral:

    1948-49 Berlin, 1950-1953 en Core, 1954-1955 pour Taiwan, 1956 lors de la crise de Suez,

    1961 de nouveau Berlin, 1962 lors de la crise des missiles Cuba, 1967 lors de la Guerre

    des Six Jours, en 1973 lors de la Guerre du Kippour. La prolifration concerne aussi les

    vecteurs : missile tactique, stratgique, vecteurs arien et sous-marins.

    ISRAL, UN ETAT PSEUDO-WESTPHALIEN ATYPIQUE

    Isral nat seulement il y a soixante ans, le 14 mai 1948, des suites de la Shoah et de la

    dcolonisation britannique, bien que la dclaration de Ble du pre du sionisme Theodor

    Herzl en 1896 et celle de Balfour en 1917 aient prvu la construction de cet Etat. Sa surface

    ne dpasse pas 20770 km dans les frontires incluant le Golan (148me

    rang mondial), sa

    population n'excde pas 7,8 millions d'habitants (94me

    rang). Nanmoins, en terme d'Unit de

    bruit mdiatique, Isral tient dans lactualit une place considrable et disproportionne, dans

    cette caisse de rsonance quest le Moyen-Orient. Isral se considre, et cest aussi, en

    croire la place qui lui est rserve dans les mdias internationaux, lopinion qui prvaut dans

    le monde entier, comme une grande puissance. Cest en ralit un pays jeune, une minuscule

    terre dimmigrants, qui tient peine en quilibre, mais fait autant de bruit quun troupeau

    13

    Bruno TERTRAIS, Le march noir de la bombe, Paris, Buchet Castel, 2009, p. 14. 14

    Jean-Franois DAGUZAN, La prolifration : mythe ou ralit ? 2006, 9 pages, p. 1. 15

    Jean-Franois DAGUZAN, La prolifration : mythe ou ralit ?, ibid. 16

    Bernard Baruch emploie en 1947 lexpression Cold War . Raymond Aron parle lui de guerre limite ou paix belliqueuse - LExpression Rideau de Fer est employe Par Churchill Fulton en 1946.

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    13

    dlphants 17. Cette apprciation est pertinente, sauf qu'il s'agit rellement d'une grande

    puissance, cette thse le prouvera.

    Pour comprendre ce quest Isral, il convient de se rfrer lexcellente prsentation

    quen fait l'historien Serge Tsur: tat lac mais fond sur la religion, tat jeune mais dune

    culture vieille de plus de cinq mille ans, brassant une population venue des quatre coins du

    monde, souffrant des maux et des avantages dune socit dmocratique, colonis devenu

    colonisant, militaris outrance sans basculer dans le fascisme, lot de prosprit et de

    dmocratie au sein dun environnement hostile, enfin puissance militaire crasante mais

    incapable de venir bout de combattants dpourvus 18

    . Ces paradoxes rsument parfaitement

    le pays est explique la complexit de sa politique intrieure et extrieure.

    Isral est considr comme un Etat westphalien, du nom de ce trait, sign en 1648,

    mettant fin la guerre de Trente ans et amorant l'mergence de relations bases sur la

    reconnaissance mutuelle, la non-ingrence, la diplomatie, le balance of power pour vulgariser

    l'extrme19

    . Cependant, il convient de modrer cette approche doxique. En effet, l'Etat

    hbreu est souverain et autodtermin20

    , l'intrieur de ces frontires, mais en acceptant

    parfois une forte tutelle conomique, militaire et diplomatique de ces allis amricains. En

    revanche, bien que ne disposant pas de constitution crite mais d'une srie de corpus de lois

    tatiques et religieuses, Isral dfend l'ide que ces les lois ne sont quintrinsques au

    territoire, mais les appliquent lors d'oprations militaires, diplomatiques et policires

    l'extrieur de ses frontires, nous y reviendrons. Puis, ce pays refuse la non-ingrence

    westphalienne dans les affaires de son voisinage proche ou lointain, dfend son hgmonie

    dans la rgion cote que cote, mais en prenant soin de faire en sorte que les tats de son

    voisinage immdiat soient gaux en force, pour entretenir la comptition entre eux sur le

    mode du divide e impera. Contrairement idal westphalien, ses relations diplomatiques ne

    sont pas toujours (en fait rarement) conduites par un corps de diplomates agres et forms,

    mais par des intermdiaires militaires ou civils n'hsitant pas, si la situation l'exige,

    employer des moyens coercitifs. L'Etat hbreu applique le balance of power pour combattre

    une hgmonie arabe ou iranienne par exemple. Enfin, Isral n'est pas reconnu, nous l'avons

    dit, pas l'ensemble des membres des Nations-Unies. Tout cela remet donc en cause la

    dimension westphalienne que nombre d'auteurs lui confre.

    17

    CAIRN Info, 2004, France-Isral : Chronique dune symbiose manque. Regard fragmentaire sur les relations franco-israliennes. Avirama GOLAN. 18

    Questions Internationales, novembre-dcembre 2007, Isral, soixante ans aprs : entre singularit et

    banalit , Serge SUR. 19

    Marie Claude SMOUTS, Les organisations internationales, 3me dition, Montchrestien, 2004 20

    Principe dautodtermination tel quil est nonc dans larticle 1 paragraphe 2 de la Charte des Nations-Unies. Et en conformit avec les confirmations prsentes dans les rsolutions 1514 et 2625 de lAssemble gnrale des Nations-Unies et dans larticle premier des deux pactes de 1966.

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    14

    Maintenant, venons-en son arsenal non-conventionnel. En matire de traits

    internationaux, l'Etat hbreu na ni ratifi le TNP, ni le Trait d'interdiction complet d'essais

    nuclaires, ni la Convention sur les armes chimiques, ni la Convention sur les armes

    bactriologiques21

    . Ses voisins, hormis pour le TNP, sont souvent dans la mme situation.

    Cela s'explique si l'on sait que Tel-Aviv22

    dispose la fois d'un arsenal non-conventionnel

    important et a construit des infrastructures ncessaires pour les dvelopper, les employer et les

    optimiser davantage. Selon toute vraisemblance, Isral serait entre la quatrime et la sixime

    puissance nuclaire au monde derrire les Etats-Unis, la Russie et la Chine, et parit avec la

    France, devant le Royaume-Uni. Depuis 1966, date de la confection de sa premire bombe,

    l'tat hbreu aurait labor entre 20023

    et 400 ogives et aurait men son premier essai national

    le 2 novembre 196624

    . Il dispose de moyens reconnus pour concevoir des armes chimiques et

    bactriologiques.

    L'arsenal balistique est labor avec Washington (missiles sol-sol Lance en 1975, dune

    porte de 130 km) qui fournira galement des vecteurs ariens F-4 Phantoms, F-16 Sufa et F-

    15 Raam. Taiwan et Isral travailleront sur des missiles plus prcis. La France, en plus de

    bombardiers, livrera les bases technologiques qui abouteront au Jericho-1, le premier missile

    balistique isralien, de plus de 600 km de porte. Son successeur, le Jericho-2 rsultera d'un

    partenariat avec l'Afrique du Sud de l'apartheid25

    . Pretoria prtera son sol pour mener des

    essais nuclaires aprs ceux perptrs au Sahara franais et au Nevada26

    . Mais surtout, Isral

    est l'un des rares pays disposer depuis 10 ans de missiles intercontinentaux comme le

    Jericho-3 (grce aux Etats-Unis) et de sous-marins lance-engins atomiques. L'Allemagne et

    les Etats-Unis financeront l'achat de sous-marins lanceurs d'engins, partir de la fin des

    21

    Parmi les traits de lutte contre la prolifration des ADM, citons ces derniers: 1972 : Convention sur les armes

    biologiques et les toxines qui largi le Protocole de Genve de 1925 l'interdiction de presque toute production,

    stockage et transport. 1987 : Le rgime de contrle de la technologie des missiles (RCTM - Missile Technology

    Control Regime / MTCR) est un accord entre les pays ( l'origine les tats du G7) qui partagent un intrt

    commun stopper la prolifration des missiles et des vhicules ariens non pilots. Lobjectif est dempcher que des matriels et technologies ne soient dtourns pour mettre au point des vecteurs capables demporter une charge nuclaire de premire gnration. 1993 - La Convention sur les armes chimiques ouverte la signature en

    janvier 1993, entrera en vigueur en avril 1997. L'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques ( La

    Haye) veille la mise en uvre de la CAC l'chelle internationale. 1995 : Le TNP prvoit une Confrence dexamen tous les 5 ans afin dexaminer la reconduction du trait. LAIEA adopte le caractre perptuel du TNP. 1996 L'arrangement de Wassenaar vise promouvoir la transparence et une plus grande responsabilit des tats

    en matire de transferts darmements et de technologies duales. Il remplace le Comit de coordination pour le contrle multilatral des exportations (Cocom) qui, dans le contexte de la Guerre froide, tait charg d'empcher

    l'exportation de technologies militaires ou "duales" (usages civil et militaire) vers les pays du Pacte de Varsovie,

    puis vers la Chine. Le Trait d'interdiction complte des essais nuclaires (Comprehensive Nuclear-Test-Ban

    Treaty / CTBT ou TICEN) est adopt par l'Assemble gnrale de l'ONU. Il entrera en vigueur aprs ratification

    par les 44 pays disposant de la capacit nuclaire. 22

    Jrusalem Ouest est faite capitale en 1981 mais Tel-Aviv est la seule considre comme telle par les

    Organisations Internationales et la majorit de ses membres comme la capitale dIsral. 23

    Carnegie Endowment for International Peace, Chapter on Israel from Tracking Nuclear Proliferation, 1998. 24

    United States of America. International Security affairs, Assistant secretary of Defense, ref: I-35993/68.

    Memorundum of conversation. 25

    The Guardian, 24 mai 2010, Revealed: how Israel offered to sell South Africa nuclear weapons. 26

    Freddy EYTAN, Les 18 qui ont fait Isral, Chapitre VI.

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    15

    annes 199027

    , ce qui lui confrera la place de 5me

    puissance en la matire. Les recherches en

    armes biochimiques bnficieront galement de ces partenariats. Isral est aussi une puissance

    spatiale mergente possdant ces propres satellites militaires sans qui sa dissuasion serait

    pratiquement inoprante.

    Son rseau de laboratoires de recherches scientifiques et militaires est connu : les

    racteurs atomiques de Nahal-Sorek et de Dimona, lIsrael Institute for Biological Research

    de Ness-Ziona pour le biochimique, et dautres centres stratgiques polyvalents tel le

    Technion d'Hafa et le Weizmann Institut de Rehovot, entre autres. Le petit tat a bti sa

    dissuasion avec l'aide de partenaires privs et publics internationaux (France, USA, Afrique

    du Sud entre autre). Cest pourquoi mettre en lumire les accords rticulaires revient tudier

    la vritable nature des liens secrets qui unissent certains pays avec ltat hbreu.

    Le programme isralien est dcid avant mme lindpendance dIsral par les sionistes

    (cest--dire ici les partisans dun tat juif) pour rpondre deux principes idologiques : Le

    plus jamais Massada et le complexe dAuschwitz , afin dviter la destruction de la

    communaut juive (lArmageddon). La science nuclaire appartient, selon les propres termes

    de David Ben-Gourion, la culture juive car de nombreux travaux de savants juifs ont

    particip la ralisation du projet Manhattan (l'un des quartiers juif de New-York) et ont aid

    des initiatives similaires dans de nombreux pays: Albert Einstein, Leo Szilard, Marie Curie,

    Edward Teller [pre de la bombe H], Samuel Cohen [pre de la bombe neutron]), Niels

    Bohr, Philipp Abelson, Robert Serber, Bertrand Goldschmidt, Stanley Frankel. Le feu

    atomique promthen claire dans l'obscurit mais qui peut aussi embraser s'il l'on ne l'associe

    pas avec la raison, comme le dnonait Einstein. La science, y compris vocation militaire,

    doit, selon Ben-Gourion compenser ce que la nature a refus 28

    Isral et son peuple, le

    droit de vivre dans la scurit et la prosprit. De surcrot, labsence de profondeur stratgique

    rend ce pays trs vulnrable une attaque conventionnelle et laisse aux responsables

    israliens un temps de raction extrmement bref ce qui oblige se doter dune assurance-

    vie . La bombe, dite option Samson (Hersh 1991), terme qui signifie que larme absolue

    embraserait tout le Proche-Orient comme Samson sensevelissant sous les dbris du Temple

    quil dtruisit, et la garantie sine qua non de lexistence dIsral.

    De plus, lexistence de ltat hbreu nest pas reconnue (officiellement, la ralit est

    diffrente) par la majorit des pays du Grand Moyen Orient. Aussi, loption nuclaire

    isralienne est aussi un palliatif son infriorit dmographique et militaire. En 2008, le roi

    Abdallah de Jordanie rappelle: 57 pays, soit prs d'un tiers des tats reprsents aux

    27

    Washington Post, 15 juin 2002, Israel has sub-based atomic arms capability . 28

    David BEN-GOURION, Du rve la ralit, Paris, Stock, Judasme Isral, 1986, 298 p.

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    16

    Nations-Unies ne reconnaissent toujours pas Isral29

    . En fait, l'estimation est fausse. Cuba, la

    Core du Nord, le Tchad, l'Iran, le Pakistan, le Bengladesh, la Malaisie, l'Indonsie, Brunei et

    que les Etats membres de la Ligue Arabe (hormis l'Egypte, la Jordanie, le Maroc, la Tunisie et

    l'Oman) sont les seuls lui refuser la reconnaissance soit 26 Etats30

    . Depuis 1948, exacerb

    ensuite par les trois non du sommet de Khartoum, (non la paix, non la reconnaissance,

    non aux ngociations), Isral est constamment sur le pied de guerre. Ses adversaires

    entretiennent eux-aussi des arsenaux balistiques et biochimiques, y compris avec l'accord plus

    ou moins tacite de l'Occident31

    , pour certains d'entre eux. Mais en fait, comme lassure

    l'ancienne ministre isralienne Tzipi Livni, le conflit est extraterritorial et se rsume surtout

    un clivage entre extrmistes et modrs32

    , auquel il faut associer le rle des grandes

    puissances et des groupes d'intrts, parmi lesquels les lobbies militaro-industriels de chaque

    Etat impliqus.

    Tout ceci explique pourquoi la dissuasion isralienne gnre une rflexion particulire

    qui ne peut s'appliquer aucune autre puissance nuclaire au monde.

    UNE RECHERCHE LA CONFLUENCE DE L'HISTOIRE ET DE LA SCIENCE POLITIQUE

    Entre Histoire immdiate et World History

    La prsente thse ambitionne de raliser la premire mise au point actualise et

    complte de larsenal nuclaire, balistique, bactriologique et chimique isralien de 1948

    2009. Aussi, mthodologiquement parlant, il est ncessaire d'emprunter les mthodes

    scientifiques propres l'Histoire et la Science Politique (en particulier les Relations

    Internationales, la sociologie militaire, la gostratgie), afin de couvrir chronologiquement la

    totalit du programme, mais aussi mettre en exergue les rapports de forces et de pouvoirs

    supputs entre les acteurs internationaux et nationaux.

    LHistoire est une reconstruction intellectuelle critique du pass humain, labore

    partir de tmoignages, de sources et de travaux antrieurs, cela afin d'tablir rigoureusement

    les faits. La discipline se divise en plusieurs coles, de celle de l'cole mthodique la

    nouvelle Histoire en passant par la microhistoria et celle des Annales. Pour travailler sur la

    dissuasion isralienne, l'histoire factuelle ne peut tre ignore, justement parce que

    29

    L'Express, 28 aot 2008, Abdallah de Jordanie: Isral manque de vision , pp.58-61. 30

    Dario BATTISTELA, Thorie des relations internationales, Presses de Sciences Po, 2004 31

    Ici, le terme occident se rfre un espace gographico-culturel, englobant en premier lieu les Etats-Unis et le

    Canada, l'Europe gographique sans la Russie, le Blarus, le Caucase, l'Ukraine et la Moldavie. Puis l'Australie

    et la Nouvelle-Zlande. Isral appartient cet espace. l'Occident depuis la Renaissance puis les Lumires, se

    reconnat un savoir philosophique, le concept de raison, la prminence de la science, du droit, de la

    dmocratie. Son universalisme se rsume la formule de Virgile dans l'Eneide: toi, romain, souviens-toi de

    gouverner les nations sous tes lois, selon tes arts toi, et d'imposer des rgles la paix, mnager les vaincus et de

    dompter les rebelles . 32

    Le Nouvel Observateur, 23 janvier 2009, LIran est aujourdhui une puissance incontournable avec laquelle les USA vont traiter .

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    17

    l'historiographie a nglig souvent de les tablir. Puis, il convient d'enraciner le substrat

    factuel dans les mcanismes de la nouvelle histoire et celles des reprsentations, car le sujet

    exige de l'on transcende les prsupposs subjectifs en analysant justement les ides reues

    inhrentes l'Etat d'Isral. Autrement dit, nous proposons d'crire une histoire chronologique,

    technique, politique, conomique et gopolitique de cette dissuasion en chapitres thmatiques

    et critiques, articuls autour d'hypothses.

    Nous nous inscrirons partiellement dans la Nouvelle Histoire, ce courant historique

    multidisciplinaire s'ouvrant aux Histoire des mentalits et des comportements (ici les

    reprsentations et le comportement des lites politiques et scientifiques), davantage et

    autrement que ne l'avait fait la premire gnration de lcole des Annales. Les mthodes de

    lhistoire quantitative par l'empirisme et les revues de presse par exemple, doivent s'articuler,

    selon les mots de Jacques Le Goff, une sorte d'anthropologie d'un phnomne, ici la

    prolifration. Toutefois, dans cette thse, nous privilgions le temps long (60 ans), l'histoire

    des lites politiques, scientifiques et militaires participant ce programme de dissuasion.

    Bien videmment, comme la priode traite s'tire de l'indpendance d'Isral en 1948

    jusqu' nos jours, en 2009, elle rvle automatiquement de l'Histoire du temps prsent et de

    l'Histoire immdiate. L'Histoire contemporaine dbute en 1815 et se termine en 1945, bien

    que ce bornage ne fasse pas l'unanimit parmi les historiens (1981 est parfois indiqu, voir

    1991). Puis lui succde des Histoires du temps actuel, d'une part l'Histoire du Temps

    Prsent (HTP) et d'autre part l'Histoire Immdiate. Elles dsignent un objet d'tude dont les

    historiens sont souvent les contemporains (et certains d'entre eux se disent des

    contemporeistes tardifs). Aujourdhui, en France tout du moins, ce que lon appelle

    communment lHistoire immdiate et/ou lHTP, selon les terminologies respectivement

    connotes universit ou CNRS, divise la communaut des historiens, tel Franois Dosse et

    Antoine Prost33

    . Les contemporeistes, mdivistes, modernistes ou antiquisants, refusant le

    label de la scientificit ces Historiens, parlent dillusion contemporiste c'est--dire la

    prtention du tmoin ou de lacteur impliqu dans lvnement, mieux connatre et

    analyser que quiconque une priode en cours ou trs rcemment pass. Car ces historiens

    incrimins risque d'tre victimes de la loi de proximit ou loi McLurg (vision ethnocentre

    selon laquelle la valeur dun vnement pour un individu est proportionnelle la distance qui

    spare cet individu de lvnement). L'Histoire ne serait alors qu'un simple commentaire

    critique du pass (consigne dans le document), considre avec l'avantage de la distance

    temporelle. C'est en partie l'origine de la querelle. Pourtant, L'historien peut-tre

    33

    Franois DOSSE, L'Histoire en miettes. Des Annales la nouvelle histoire, Paris, La Dcouverte, 1987. Antoine

    PROST, Douze leons sur l'histoire, Paris, Point Seuil, 1996.

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    18

    contemporain des vnements. Thucydide, le fut pendant les guerres du Ploponnse dont il

    nous a narr les principaux pisodes. Ce fut Idem avec Marc Bloch dans l'Etrange dfaite.

    Mais comment dsormais se positionner entre l'Histoire du Temps Prsent et l'Histoire

    Immdiate. Ces conceptions contiennent autant de prsupposs pistmologiques que de

    causes exognes de diverses considrations idologiques et acadmiques. Jean Lacouture le

    rappelle travers son ouvrage intitul La Nouvelle Histoire, avant de crer la collection

    L'Histoire immdiate qu'il dirigera. Selon lui, le journaliste contribue par ses enqutes, ses

    analyses, ses rflexions crire l'histoire du temps prsent; il fournit de la matire aux

    historiens du futur 34

    .

    Les objets d'tudes de lHistoire Immdiate concernent l'actualit rcente . Selon

    Jean-Franois Soulet, de l'Universit Toulouse II le Mirail et ancien chef de fil du courant

    avec lhistorien Ren Rmond, cette immdiatet, circonscrite entre la dcolonisation et ces

    dernires annes, s'explique ainsi:

    Parler de temps prsent pour voquer la Seconde Guerre mondiale ou mme la Guerre d'Algrie

    n'est gure convaincant. En outre, nous souhaitons nous dmarquer des chercheurs qui limitent la

    priode dite du temps prsent la date butoir de l'accessibilit aux archives publiques (30 ans le

    plus souvent); au-del, ce serait, selon eux, l'aventure, la navigation vue, bref, le lieu de tous les

    risques. [] Nous pensons que, avec ou sans archives officielles, l'histoire peut et doit s'crire, et

    que le travail de l'historien reste possible, sous certaines conditions, jusqu' une date trs

    rapproche de nous. Au total, nous entendons donc par histoire immdiate, l'ensemble de la partie

    terminale de l'histoire contemporaine, englobant aussi bien celle dite du temps prsent que celle

    des trente dernires annes; une histoire, qui a pour caractristique principale d'avoir t vcue par

    l'historien ou ses principaux tmoins. 35

    Soulet pense que lactualit ne doit pas seulement tre traite par le journaliste mais aussi par

    le scientifique.

    Sa sur ennemie complmentaire, lHistoire du Temps Prsent, dont l'institut est

    rattache au CNRS, est active depuis 1980, sous la frule de Franois Bdarida. Elle se

    focalise sur la priode cartele entre le dbut du XXe sicle nos jours, mlant, comme

    l'Histoire Immdiate, plusieurs disciplines (Histoire, communication, droit, gopolitique,

    conomie, sociologie et philosophie), avec son propre systme de valeurs. Son historicit est

    dfendue par l'application des mthodes scientifiques et par l'usage d'archives et de sources.

    Elle dispute la Science Politique, entre autre, l'Histoire des systmes militaires, culturels

    politiques. LHTP entre en conflit avec les contemporanistes, en partie parce que laccs aux

    archives distingue techniquement Histoire contemporaine de Histoire immdiate. LHTP se

    situe cheval entre ses deux entits.

    34

    Jean LACOUTURE, La Nouvelle Histoire, 35

    Jean-Franois SOULET, L'Histoire Immdiate, Que sais-je, PUF, 2010. Universit Toulouse II le Mirail.

    http://w3.grhi.univ-tlse2.fr/presentation/definition.htm

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    19

    Pour laborer cette thse, il a t possible de consulter des archives dclassifies de

    seconde main, mais fort peu pour prtendre faire reposer notre argumentaire dessus. Ce sont

    surtout les rapports parlementaires, l'expertise de spcialistes en plus d'une somme

    considrables d'articles de presse francophones et anglophones qui se sont avrs

    dterminants. Or, l'HTP se mfie des travaux journalistiques. Ainsi donc, le processus relvera

    simplement d'une Histoire post-contemporaine, cheval sur la contemporaine celle du Temps

    Prsent, celle de l'immdiat. La sociologie historique est l'tude sociologique d'une poque

    passe. Ici, le phnomne social serait uniquement la conception particulire des Israliens de

    leur scurit, par l'paisseur historique, pour faire merger des processus d'volution et de

    transformation historique. Mais ne nous garons pas.

    Enfin, pour en terminer sur l'historicit, la dissuasion isralienne, comme il le sera

    tudi, ne relve pas d'une initiative strictement nationale, mais par moment internationale.

    Autrement dit, le sujet se mue en fil conducteur, traversant toute la Guerre Froide et au-del.

    En parallle d'une tude diachronique entre les objectifs initiaux de cette dissuasion et les

    rsultats actuels, il sera exig de travailler sur les collaborations scientifiques rticulaires, ce

    qui obligera galement une analyse multiscalaire, partant d'Isral pour s'en loigner de

    temps autre. On peut donc aussi s'inspirer de la World History, un courant de recherche

    portant sur la comprhension des phnomnes transnationaux multidisciplinaires dans le cadre

    de divergences et de convergences entre diffrents Etats du monde. Ce sera le cas ici propos

    de l'histoire de la prolifration dans le monde. En effet, il s'agit de connatre le contexte

    gopolitique dans lequel Isral volue, et comment la dissuasion isralienne a pu se construire

    en parallle des programmes similaires pakistanais, irakiens, iraniens, gyptiens ou encore

    syriens; et avec les programmes atomiques des Etats-Unis, de la France, du Royaume-Uni et

    de l'Afrique du Sud.

    Effectuons maintenant la transition entre l'Histoire et la Science Politique. La Science

    Politique est ltude des processus politiques mettant en jeu des rapports de pouvoir entre les

    individus, les groupes, et les Etats. Elle relve de sciences dites camrales cest--dire qui ont

    les structures lgitimes de pouvoir (l'tat, Organisations Internationales) pour objet. Elle serait

    donc l'emploi de sciences humaines et sociales au service de lobjet politique36. La Science

    Politique tudie le rapport entre ceux qui exerce le pouvoir et ceux qui y sont soumis

    volontairement ou involontairement. Contrairement au pouvoir traditionnel descendant,

    autoritaire, fonctionnant l'injonction et la coercition, la science politique repose sur des

    techniques concrtes dadministration et de contrle des individus distance37. La Science

    36

    Lettre de lObservatoire des mtiers acadmiques de la science politique N4 / janvier 2007 : Ltat de la science politique en France , par Loc BLONDIAUX et Yves DELOYE. HASSENTEUFEL Patrick, Sociologie

    politique: l'action publique (Paris : Armand Colin, 2008) 37

    Philippe BRAUD, La science politique, Que sais-je? , Paris, PUF, 1982, p.1. Philippe BRAUD, Sociologie

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    20

    Politique se scindent en sciences politiques, l'une d'elles se nomme Relations Internationales

    (RI)

    Jean-Baptiste Duroselle et Pierre Renouvin se sont employs concilier Histoire

    diplomatique, Relations Internationales (RI) et la Science Politique en s'axant sur les forces

    profondes de lHistoire38. Charles Tilly, dfunt sociologue amricain des universits du

    Michigan et de Columbia, opre aussi une jonction entre politique, Histoire, conomie et

    socit, au travers du rpertoire d'action collective. Son analyse la plus fameuse (lEtat fait la

    guerre mais la guerre fait lEtat39 correspond parfaitement Isral, nat d'une guerre

    d'indpendance, et maintenant la cohsion de ses composantes htroclites par des guerres

    dont toutes videmment ne sont pas volontaires. Egalement, Isral correspondrait au modle

    de l'IEMP du politologue Mann40

    avec ses quatre sources du pouvoir social: Ideologique

    (normes et valeurs la fois laques et propres au judasme), Economique (fond par le secteur

    militaire, dont les applications civiles des recherches en armes NRBC, balistiques et

    spatiales), Militaire (dfendre et organiser Isral au travers de rflexes militaires), et Politique

    (pouvoir centralis sur un Etat dominant ses composantes htroclites). Ceci tant dit,

    comment orienter la recherche en fonction des paradigmes propres aux RI.

    Des paradigmes en Relations Internationales impuissants face au cas particulier

    isralien

    Le prsent travail va mettre en exergue la nature des rapports entre Isral, des allis et

    ses ennemis, sur les plans militaires, diplomatiques, conomiques et technologiques. Il

    s'inscrit donc dans la sous-discipline des RI. Si la politique trangre tudie l'action de l'Etat,

    les RI tudient les interactions entre les Etats. Cest pourquoi on tudie les RI travers du

    niveau individuel (par l'Etat), et au niveau international (affaires transnationales et

    intergouvernementales auquel appartient ainsi l'individu inscrit dans un rseau). Duroselle

    dfinit les RI comme Tout ce qui a trait aux relations dun Etat avec un autre Etat ou de

    plusieurs Etats entre eux sur les plans politiques conomiques, sociaux, dmographiques,

    culturels, psychologiques et mme en gnralisant tout ce qui trait aux relations entre groupes

    de part et d'autre des frontires nationales. [] Mais sil s'agit des relations des Etats on peut

    appeler cela 'politique trangre'. Sil s'agit des relations entres groupes on peut parler de vie

    internationale. Lensemble de ces phnomnes constituent les relations internationales. Les

    RI ont donn naissance plusieurs paradigmes.

    Les paradigmes idalistes et libraux prnent la recherche de la paix afin de mettre fin

    politique, LGDJ, 3me dition, 1996, p. 496. 38

    Jean-Baptiste DUROSELLE & Pierre RENOUVIN, Introduction lhistoire des relations internationales, Paris, Armand Colin, 1965, 521 pages. 39

    Charles TILLY, Coercion, Capital and and European States 900-1900, 1990.

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    21

    l'anarchisme qui rgne entre les Etats. Pour cela, la conciliation entre acteurs par

    l'intermdiaire de forum internationaux, d'organisations transnationales et de respects de

    traits, doit s'articuler avec l'heureux commerce41

    et le progrs social. LEtat, selon la vision

    idaliste puis libral, devrait donc tre uniquement le gardien du droit naturel, bas sur la

    raison utilitariste, cherchant la fois garantir la scurit des contractants mais aussi

    protger leurs liberts. Hostile un excutif autoritariste, lEtat hbreu se soumet la

    Knesset: ( alors que le pouvoir appartient au peuple, le Snat est le dpositaire de lautorit

    cum potestas in populo, auctoritas in senatu sit42

    ). Le parlement est l pour valuer ou

    remplacer le dirigeant en cas de dfaillance. La libert consiste ne relever daucun autre

    pouvoir lgislatif que celui qui t tablie dans la Rpublique dun commun accord 43.

    Locke et Hobbes prvoient le droit linsurrection contre lEtat si celui-ci ne respecte pas ce

    contrat. Selon les libraux, le peuple le droit de rappeler lordre lEtat non vertueux, y

    compris par la dsobissance civile 44

    (ce principe est par exemple illustr, en Isral, par le

    mouvement des refuznikim) mais dans les faits, la raison d'Etat fait taire ce principe au profit

    des lobbies militaro-industriels du pays. La socit civile isralienne qui reste dmocratique,

    revendicatrice et procdurire, s'inscrit dans cette optique, lorsqu'elle exige par exemple (en

    vain), la transparence sur les programmes nuclaires et biochimiques et la fin des mesures

    liberticides, dcides pour combattre le terrorisme.

    Toujours dans ce paradigme, en principe, lEtat et lglise doivent se sparer (lettre sur

    la tolrance), et prner la libert de cultes s'ils respectent la socit. Mais le paradigme du 11

    septembre et de la guerre contre le terrorisme a remis en cause cette vision. Si Tel-Aviv s'est

    efforc de lutter contre le proslytisme des haredim juifs, et tolrer toutes les religions, elle n'a

    rien pu faire contre l'importance croissante des religieux. Jrusalem, la capitale culturelle et

    isralienne, tend effectivement remplacer la laque et sioniste Tel-Aviv.

    De mme, dans le systme international, pour pallier les erreurs dfinies par la parabole

    de Rousseau45

    , il faut alors tablir des rgles communes et universelles. Bien que les pays soit

    diffrents dans leurs nature (identity), leurs mcanismes seraient identiques (domestic

    analogy), nonobstant leurs passs et leurs objectifs. Il suffit donc de domestiquer

    (domestic) les relations entres Etats par une institution supranationale en dictant des rgles

    communes. Tel-Aviv a pu souhaiter un monde prn par lcole anglaise, rgit par le

    consensus d'organisations Internationales superpuissantes, formant une Grande socit

    40

    Michael MANN, The source of social power, deuxime dition, 1993. 41

    MONTESQUIEU, Lesprit des lois, 42

    Jean-Jacques ROCHE, Thorie des relations internationales, Paris, Montchrtien, collection clefs, 1999, p. 122 43

    John LOCKE, Deux traits du gouvernement ,op. cit., second trait, chapitre IV, 22. 44

    Guy HERMET, Bertrand BADIE, Pierre BIRNBAUM , [et al.], Dictionnaire de la science politique et des

    institutions politiques, Armand Colin, Paris, 2010. 45

    Jean-Jacques ROUSSEAU, La socit civile, Discours sur les sciences et les arts, 1750.

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    22

    internationale sans Etats nationaux agressifs, et soumis aux valeurs normatives d'une grande

    civilisation mtisse quoique fortement occidentalise. Ce courant solidariste, Isral le rejette

    quelque peu. Isral ne souhaite pas toujours se conformer certains textes internationaux en

    matire de justice (refus du statut de Rome de 1998 sur la Cour Pnale Internationale), de

    prolifration (nous en avons parl). Ses relations avec l'ONU et l'AIEA sont particulirement

    orageuses. Toutefois, Isral insiste d'un autre ct pour que la communaut internationale

    s'occupe de dmanteler les projets de ses rivaux qui lui sont hostiles, coupables de ne pas

    respecter le jus cogens. Isral fait fit de sa propre crdibilit en passant outre les quelques

    accords signs, mais soigne au contraire sa rputation par des oprations mdiatiques et

    universitaires, sans toutefois y parvenir. Tel-Aviv souhaite une scurit collective (assure la

    paix et la sanctuarisation des frontires par la diplomatie, le dsarmement, des instances

    internationales) mais s'estime dans une situation qui peut expliquer son affranchissement des

    approches normatives holistiques. Le solidarisme se distingue du particularisme, accs sur

    une coopration intertatique46

    . Isral s'est maintes fois alli aux Etats-Unis pour vaincre un

    adversaire, en se mfiant toutefois d'une Amrique hyperpuissante, comme celle de 1991 o

    Georges H Bush essaya de contraindre un Isral moins utile, se rgulariser sur nombre de

    dossier.

    Le nolibralisme quant lui est l'ensemble des discours, des pratiques, des dispositifs

    qui dterminent un nouveau mode de gouvernement des hommes selon le principe universel

    de la concurrence. [] Le nolibralisme, avant d'tre une idologie ou une politique

    conomique, est d'abord et fondamentalement une rationalit et [] ce titre il tend

    structurer et organiser, non seulement l'action des gouvernants mais jusqu' conduire des

    gouverns eux-mmes 47

    . Selon Michael Doyle (1986), par l'application des 3I: inspiration,

    investigation et intervention, la guerre nest l que pour maintenir ou rtablir les flux et dans

    le futur, elle aidera terme mettre fin aux conflits. Il sagit de payer un prix lev

    maintenant pour ne pas payer un prix plus lev ensuite. Autrement dit, il faut passer par une

    phase de guerre pour construire un monde nouveau sans obstacle, car la dissuasion nuclaire

    ou conventionnelle ne fonctionne pas toujours. Cet chec est celui des ralistes.

    Nous verrons que ce principe, mise en place parfois par Isral, aboutira aux guerres

    prventives et premptives et la doctrine ponyme du Premier ministre Menahem Behin, en

    pure perte. Le cas de lIrak et des Terroristes undetterable, est l pour le prouver. Lharmonie

    dintrts (lordre naturel naboutit pas aux guerres qui sont du fait des Etats tyranniques et du

    balance of power) ne signifie pas automatiquement la paix. A l'instar, d'Ikenberry48

    , Isral ne

    46

    Chris BROWN, IR Theory : New Normative approaches, Harvester Wheatsheaf, 1992 47

    Pierre DARDOT et Christian Laval, La nouvelle raison du monde, Paris, La Dcouverte, 2010, p.275. 48

    John IKENBERRY et Anne-Marie SLAUGHTER, Forging a World of Liberty Under Law, U.S. National Security

    In The 21st Century, Princeton University, 2006.

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    23

    se servirait pas de son hgmonie (pouvoir et contrle exerc par un Etat meneur sur un ou

    autre Etat) dans la rgion pour conqurir (Tel-Aviv a vacu le Sina, la bande de Gaza et le

    sud-Liban) mais pour tre son gendarme. L'approche no-librale fonctionnerait ici, mais

    nous la nuancerons.

    Isral a bien souhait la fin de lHistoire, un paradis post-historique (R Kagan49)

    dbarrass de la lutte entre Etats hgmoniques et d'une URSS soutenant militairement,

    diplomatiquement et conomiquement ces adversaires, mais elle est la premire victime du

    paradigme du 11 septembre, mme si cette thse fait prement dbat. Mais conscient d'voluer

    dans un Grand Moyen-Orient hostile, Isral pourrait s'inspirer de la fable des abeilles50

    dveloppant lide que lgosme permet lautorgulation de lordre social et conomique et a

    fortiori international. L'Etat a donc besoin d'appliquer une politique agressive pour se

    protger. A l'instar de Nicolas Machiavel51

    et de Hume, la morale d'Etat (donc celle du prince)

    est construite sur lexprience des relations internationales, proscrivant donc l'application de

    toute morale du citoyen risquant de compromettre la raison d'Etat. Or, cela est paradoxal, car

    si Isral, s'rige en dmocratie la plus morale au monde (avec notamment sa maxime de

    puret des armes toar haneshek), il ne peut, en tant qu'Etat laque sur des bases culturelles

    dont religieuses, concilier les deux morales.

    Le thorie pessimiste du ralisme classique peut tre rsume par la la guerre de tous

    contre tous dans un monde anarchique. La Realpolitik et la raison dEtat y sont centraux. La

    force rige le droit et lgitime le pouvoir (le pouvoir par la victoire). L'Etat, proche de la

    vision weberienne (monopole de la violence lgitime sur un territoire) est dfendu selon Aron

    par le soldat et le diplomate. Il fait les lois et les fait appliquer. Sa lgitimit sexerce travers

    la lgitimit charismatique, traditionnelle et lgale-rationelle. LEtat dispose dune rationalit

    propre qui sappuie sur lthique de la responsabilit (sustainable) et non sur celle de la

    conviction. LEtat forme avec ses citoyens une communaut politique dont le but nest pas le

    triomphe des ides mais les 3 S que sont le self-help (chacun pour soit en vitant si possible

    des alliances contraignantes, pas d'idologie dfendre)52

    , le Statisme (toute communaut

    humaine doit tre organis par un Etat, sige du pouvoir lgitime et souverain, qui lui-mme

    doit protger l'espace dont il a la charge), et la Survie (premire des priorits pour un Etat,

    intrt national envers qui tout doit tre subordonn).

    Comme les 3 S ne sont pas suffisant, il convient de respecter le principe du Balance of

    Power (alliance entre Etats contre un autre si celui-ci, en convergeant vers une hgmonie,

    49

    John BAYLLIS et Steve SMITH, The Globalization of wolrd Politics, and introduction to international relations,

    Oxford, 2006, 3me

    edition, 810 pages. 50

    Bernard MANDEVILLE, The Fable of the Bees: or, Private Vices, Publick Benefits, Londres, 1714. 51

    Nicolas MACHIAVEL, Le prince, 1516. 52

    KEOHANE et GILPIN, neoralisme and critics, 1986.

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    24

    remet en cause lquilibre international53), lui-mme produit de la contrived balance

    (diplomatie) mais selon les structuralistes, il dpend plutt de la fortuitious balance (quilibre

    naturel). On oppose au balance of power le bandwagoning ou suivisme , qui dcrit

    lattitude dun tat faible renclant s'apposer un tat plus fort, cause des consquences

    engendres54

    . L'Etat-nation55

    est l'acteur premier des RI. Il est rationnel, se comporte comme

    un individu goste qui doit survivre seul, au-del des morales. Le Prince de Machiavel et le

    Dialogue de lle de Melos56 de Thucydide rsument les maximes de la thorie. Chaque Etat a

    son thique57

    . Isral revendique la sienne dont la logique lui est propre et qui n'a pas tre

    lgitime devant des OI.

    De mme, la puissance de lEtat est essentiellement militaire, les autres vecteurs sont

    secondaires ou ngligeables car leurs importances dcoulent souvent du premier. Le ralisme

    ne rejette pas le systme westphalien. Mais le Conseil de Scurit des Nations-Unies (CSNU),

    lingrence, le balance of power le modre. La survie dun Etat nest jamais garantie

    (Pologne) par des Organisations Internationales. Un tat possde la souverainet qui lui

    donne le monopole de l'usage lgitime de la force sur son territoire et lextrieur pour

    garantir son existence. LEtat, puisqu'il concentre tout les pouvoirs et les moyens, est le seul

    habilit participer au RI. De mme, les RI rsultent d'un jeu somme nulle : ce qui est un

    plus pour un Etat est un moins pour lautre. Seuls les gains relatifs sont rels. Adapt au cas

    isralien, sa puissance militaire naboutit jamais des gains absolus car mme en cas de

    victoire militaire, Tel-Aviv ne l'emporte jamais politiquement. La stabilit d'un systme est

    dfinie par la paix entre les Grandes puissances mais Isral prend le parti des Etats-Unis et

    avant 1991 souhaitent la dfaite du bloc de l'Est.

    Isral considre t-il son environnement selon le paradigme raliste? Apparemment oui.

    Il ne fait pas confiance dans les OI pour imposer une dprolifration efficace, au moins au

    Moyen-Orient. Selon lui, ces OI n'ont pas d'autonomie, d'abord face l'URSS et ses allis,

    puis ensuite face aux Etats arabes cause du poids de leurs ptrodollars, de leurs nombres et

    de leurs influences. Ces pays le prouve l'ONU lors du vote amalgamant le sionisme au

    racisme. Actuellement, Isral fustige les condamnations de sa politique sur les implantations,

    53

    Hans MORGENTHAU, Politics Among Nations 54

    Quincy WRIGHT, A study of War, 1942,. Kenneth WALTZ, Theory of International Politics, 1979. 55

    Ernest RENAN, Quest ce quune nation ?, Paris, Imprimerie nationale, coll. Acteurs de lHistoire, 1996. Le courant nationaliste la comprend comme un ordre naturel. Le courant prennialiste comme le meilleur ordre

    politique possible quoi qu'volutif, en instrumentalisant le pass. Le courant moderniste le voit en phnomne

    rcent, pouvant tre artificiel. Le courant postmoderne le pense comme rsultante d'un processus slectionnant

    voir inventant certaines traditions. 56

    Les Athniens demandent aux habitants de se soumettre au nom de la puissance de leur Etat qui exige

    lannexion (fait accompli ) et leur propose en change la paix. Les habitants invoquent Dieu et lalliance avec Sparte en guise de contestation. Cest la loi de fer: le puissant doit simposer et le faible accepter. Le standard de la justice dpend de lgalit des puissances contraindre et employer la force pour exercer le pouvoir. 57

    Selon Weber (Le savant et le politique) : toute activit oriente selon lthique peut-tre subordonne deux maximes totalement diffrentes et irrductiblement opposes : Elle peut sorienter selon lthique de la

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    25

    sur sa dissuasion, sur ses oprations extrieures, sur l'arraisonnement de la flottille de la

    libert, sur le traitement inflig aux Palestiniens. De plus, l'Etat isralien est bien, dans la

    rgion, un acteur rationnel maximisant sa puissance et sa scurit par son arsenal non-

    conventionnel et conventionnel. Il privilgie, partir des annes 1980, les gains relatifs en

    refusant de se lancer dans des politiques d'annexions massives. Enfin, Les autres Etats sont

    considrs potentiellement ou franchement comme des ennemis, et ses allis, y compris

    amricains et europens, ne sont pas toujours vu comme fiables.

    Les noralistes, quant eux, considrent que lEtat est suprieur aux Non-state-actors

    et aux OI, et c'est ainsi qu'agit Isral. L'anarchie ne rsulte pas de l'gosme des Etats mais de

    l'absence d'autorit supranationale assez puissante. Selon ce paradigme, ce nest pas la

    population qui fait lEtat mais lanarchie (Isral se construit face aux menaces). On ne peut

    pas comparer le comportement des hommes avec celui des Etats car les premiers ont toujours

    une autorit protectrice au dessus d'eux. Les RI sont la rsultante des interactions, des Units

    (Etat), des structures (relations d'Etats, population, ressources, superficie, conomie, stabilit,

    comptence) des ides, des accords et d'autres contingences. Les levels unit ne sont pas

    hirarchises, interagissent entre elles face aux turbulences. La fiabilit du systme

    international repose sur un minimum de grandes puissances et d'OI. L'anarchie est une

    opportunit pour s'unir. Mais les Etats n'appliquent pas tous les mmes mcanismes, car les

    diffrences naturelles et structurelles gnrent des politiques divergentes. Isral, qui se

    considre comme un cas particulier en raison de son pass et sa nature ingrate, valide cette

    approche.

    Dans ce schma, Isral distingue bien les Etats souverains, qui revendiquent le

    monopole de la violence lgitime, des autres Etats, qui nont pas de vocation universelle. Tel-

    Aviv a toujours recherch leur protection (d'abord phmrement l'URSS, puis les Etats-

    Unis). Les noralistes sopposent entre les offensive realism (imposer sa puissance et

    stendre ne peut se faire que par la guerre contre les rvisionnismes de lordre mondial) ; et

    les defensive realism (survivre et non dominer. Il sagit daffaiblir suffisamment lennemi et

    renforcer son arme par scurit). La puissance militaire nest pas tout et c'est pourquoi Isral

    consacre de gros moyens au soft power et la matrise d'autres lments pour devenir un pays

    du premier monde58

    . Une puissance se reconnat la possession dune arme nuclaire, ses

    capacits antimissiles (systme Hetz et Iron dome), la matrise de lespace (lanceur Shavit),

    un budget de dfense consquent (prs de 10% de son PIB), sa monnaie forte (ce n'est pas

    le cas d'Isral), son importance dans le commerce international (ce n'est pas le cas d'Isral),

    son PNB (ce n'est pas le cas d'Isral), et sa richesse par habitant (c'est le cas).

    responsabilit ou selon lthique de la conviction . 58

    Alexandre ADLER, Jai vu finir le monde ancien, Grasset, 2002, 346 pages, p. 59.

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    26

    Tel-Aviv refuse de dominer compltement des rgions pour viter une raction tatique

    ou une rsistance qu'il ne pourrait vaincre. Ce nest pas le pouvoir absolu que l'Etat hbreu

    recherche mais la scurit minium, par l'augmentation des capacits militaires, la diplomatie

    et les alliances. Cest le fortuitous balance59. Lquilibre des Etats est donc le meilleur garant

    d'une trs relative paix En revanche, Isral a convaincu les Amricains que la thorie

    nolibral de la propagation du progrs conomique et de la dmocratie dans le monde arabe

    garantirait la paix. Or, malgr les aides de Washington l'Egypte et la Jordanie, la rgion n'est

    toujours pas scurise. L'augmentation par Isral de sa puissance, par les aides extrieures,

    force les tats lui tant hostiles augmenter la leur. C'est le dilemme de scurit.

    UN DEFI ACADEMIQUE SUR UN OBJET D'ETUDE QUI OFFICIELLEMENT N'EXISTE PAS

    Le sujet d'tude que nous nous proposons d'entreprendre constitue intrinsquement une

    particularit acadmique, un dfi scientifique, car Isral refuse de s'affirmer comme un Etat

    nuclaire souverain. Donc, a priori, il est impossible d'appliquer ici la rationalit scientifique.

    Mais selon Bachelard60

    : le fait scientifique est conquis sur les prjugs (une prolifration

    non matrise, Isral comme Etat agressif, etc..), construit par la raison (analyse des rares

    travaux et sources) et constat dans les faits ( l'aune de l'actualit par exemple, comprendre et

    dexpliquer la ralit tudie selon une dmarche logique et rationnelle). Essayons de nous en

    inspirer. Avant de poursuivre, le chercheur se doit par essence de rflchir par lui-mme sans

    toujours sappuyer sur les archives ou se laisser guider par des paradigmes s'moussant sur

    des cas particuliers, Isral en tant un.

    La question de l'accessibilit des sources et des travaux

    Les cinq membres permanents du CSNU possdent l'arme absolue, ainsi que trois autres

    Etats non signataire du TNP ou sorti du trait: l'Inde, la Core du Nord, le Pakistan et Isral.

    Mais alors que les arsenaux des deux premiers non signataires du TNP sont reconnus par la

    communaut internationale, il n'en est rien propos de l'arsenal isralien. C'est pourquoi, la

    dissuasion non-conventionnelle isralienne, souvent lude mais non nie par la grande

    majorit des Think-Tank et des spcialistes en gostratgie, sans parler bien sr des sphres

    politico-diplomatiques, met en exergue un malaise gnral sur la crdibilit des efforts de

    non-prolifration, alors que les cas nord-corens et iraniens sont mdiatiquement surexposs.

    Par justice, notons que l'Inde et le Pakistan, puissance nuclaire non signataire du TNP,

    n'cope pas non plus des mmes remontrances.

    59

    Kenneth WALTZ, Theory of International Politics, 1979. 60

    Gaston BACHELARD, La philosophie du non,

  • UNIVERSIT TOULOUSE I SCIENCES SOCIALES, LA DISSUASION ISRAELIENNE : HISTOIRE ET PARADOXE. NICOLAS TENEZE.

    27

    La logique est l: comment travailler sur une chose qui n'existe pas officiellement. Car

    matriellement parlant, aucune source matrielle ne prouve sa ralit, bien que des documents

    classifis et dclassifis du Dpartement d'Etat amricain exhums par l'universitaire

    amricain Avner Cohen61

    ou du Foreign Office, en fassent mention. Le seul fait de se rendre

    en Isral pour recueillir, sur ce sujet, des tmoignages et des documents, revient en accepter

    les risques (interrogatoire, emprisonnement, disparition temporaire entre autre). Nous

    numrerons plusieurs cas, comme ceux d'Avner Cohen, d'Isral Yaakov ou d'Avraham

    Klingberg.

    La question est sensible, la fois dans les sphres politico-stratgiques, mais galement

    du point de vue des sensibilits idologiques. Plusieurs de ses enquteurs ont t emprisonns

    ou intimids pour avoir abord l'extrieur d'Isral un tel thme de recherche. Il est important

    de le signaler car ce nest pas le cas de tous les sujets de thse Ces obstacles ne sont pas

    propres Isral, car toutes les puissances nuclaires protgent leurs secrets militaires au nom

    de la raison d'Etat. Il ne s'agit donc pas d'une volont isole de dissimuler, contre le droit

    lgitime et dmocratique de sinformer. Cette prcision n'est pas destine viter de heurter la

    susceptibilit dIsral. Car le secret de son arsenal NBC est mme souvent garantie par la

    plupart des Etats dans le monde, afin de masquer les mcanismes troubles dune prolifration

    bien plus complexe quelle ne le laisse subodorer, avec limplication dacteurs et

    dorganisations puissantes nationales, internationales et transnationales. Le secret vite de

    dclencher une course la prolifration dans la rgion, et altrer la crdibilit de l'AIEA. Pour

    l'occident, Isral est un partenaire politique, militaire et scientifique de premier ordre. Sa

    position gostratgique, associe lhritage de la Shoah aboutit une approche particulire.

    Nanmoins, Isral et le seul Etat dtenteur d'armes atomiques pratiquer une deterrence

    through uncertainty, une opacit revendique, un officieux officiel. La stratgie de

    communication est paradoxale, puisqu'une arme nuclaire est faite pour ostensiblement

    dissuader. Cette opacit revendique confre la dissuasion classique un degr de dangerosit

    supplmentaire, car exacerbant la peur d'un ennemi ne pouvant dterminer comment, quand et

    dans quelle proportion Isral pourrait rpliquer.

    C'est Shimon Prs en 1961 qui rdige la clbre formule prononce devant Kennedy,

    illustrant la position isralienne en la matire: Isral ne sera pas le premier pays introduire

    des armes nuclaires au Moyen-Orient . Pour identifier le rac