Thèse Bull - Universite Paris x Tome 2

download Thèse Bull - Universite Paris x Tome 2

of 206

Transcript of Thèse Bull - Universite Paris x Tome 2

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    1/206

    UNIVERSITE PARIS XNANTERRE

    Une entreprise lpreuve de laGuerre et de l0ccupation

    LA COMPAGNIE DES MACHINES BULL 1939 1945

    Tome 2

    Anne Universitaire Thse de Doctorat2006-2007 prsente par

    Madame Paulette RICHOMMEsous la direction de

    Monsieur Alain PLESSIS

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    2/206

    204

    Chapitre 15

    LES PROCES IBM-BULL

    Pendant toute la dure de lOccupation, et mme au-del, deux importants procs513

    opposrent le Groupe IBM et la Cie des Machines Bull. Bien que lorigine et la nature

    de chacun deux aient t diffrentes :

    - le premier portant sur des droits de commercialisation;- le second mettant en jeu des droits de proprit industrielle.Ces deux procs, dont les actions sentrelacrent au cours du temps, rejaillirent

    invitablement lun sur lautre et, les relations entre les adversaires ne cessant de

    senvenimer, eurent, sur les clients Bull, des rpercussions diffrentes selon quil sest

    agi de lune ou lautre de ces affaires. Il est donc indispensable de les distinguer.

    1. Le procs dit Bull A.G.

    Implante Zurich (Suisse), la Bull Maschinen Aktien Gesellschaft (en franais :

    Socit Commerciale des Machines Bull ), plus couramment appele Bull

    A.G. 514 avait t fonde, par Emile Genon, le 3 novembre 1930515, dans le but de

    commercialiser en Europe les matriels issus de lexploitation des brevets de feu Fr.R.

    Bull dont [Emile Genon] avait acquis la proprit le 26 octobre 1927 la Socit

    Norvgienne O.K.A. 516. Celui-ci fit postrieurement apport[ sa socit] de tous ses

    droits personnels au monopole de la vente des machines Bull. 517

    .

    513 Pour ne citer que les deux principaux, ces deux affaires ayant entran dans leur sillage, dautres

    actions en justice - cf. Calendrier des diffrents procs - Annexe 18514 Dans les documents Bull, on la trouve galement souvent cite sous lappellation Socit

    Commerciale 515 cf. Rpertoire biographique516 CIHB - Gazette du Palais - Jugement du 9 juin 1942 - 46566/11/1942 (n 308-310)517 - ibid. -

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    3/206

    205

    Le 6 novembre 1933, C.M.B. avait conclu avec la Bull A.G. une convention aux termes

    de laquelle:

    - la Cie des Machines Bull, dune part, avait la proprit des brevets et le droit defabrication

    518 des machines

    - et la Bull A.G., dautre part, le droit exclusif de vente des dites [machines] pendantune dure fixe 18 ans compter du 9 mars 1931 (date de cration de la St

    H.W. Egli-Bull), la Socit Commerciale [autrement dit la Bull A.G. ]

    sengageant organiser et conduire la lutte contre la concurrence 519

    .

    A partir de 1932, suite dimportantes difficults de trsorerie, la Direction Bull ( cette

    poque, Marcel Basssot) de lpoque avait pens quun accord avec un partenaire

    tranger tait susceptible dapporter une solution ses problmes. Des pourparlers

    avaient donc t engags dans ce sens avec des concurrents amricains 520

    . Cest

    dans cet esprit quEmile Genon, dsign pour discuter la fois au nom de la Cie des

    Machines Bull et de la Bull A.G. dans lintrt commun des deux socits, fit plusieurs

    voyages aux Etats-Unis au cours desquels il entra en contact avec les dirigeants dIBM.

    Lusine de Bull-Paris et la Bull A.G. intressaient toujours autant T.J. Watson521

    . Ce

    dernier, faisant jouer son habilet naturelle, sut se faire particulirement convaincant, si

    bien que, le 13 mai 1935, Emile Genon prenait, de sa propre initiative dit-on , vis--vis

    de la filiale suisse dIBM, lInternational Gehatsmachines Gesellschaft, un engagement

    aux termes duquel il sengageait vendre cette socit 86 et une fraction de % de la

    proprit de la Socit Commerciale [Bull A.G.] et essayer dobtenir pour

    518 - ibid. -519 - ibid. - (articles 4 et 9 de la dite convention)520 - ibid. -521 Les Chroniques de la Cie IBM-France nen font dailleurs pas mystre. En effet, p. 21, J. Vernay

    crit : Cest en 1934 que se situe un pisode qui aurait pu modifier profondment lhistoire de la

    Compagnie IBM-France et le cours du traitement de linformation dans le pays. Depuis deux ans, Bullprouve de srieuses difficults commerciales et financires. T.J. Watson, inform de la situation par

    Roger Virgile, pense racheter cette socit. Il soumet une offre a prix rduit. Celui-ci est jug trop faible

    et laffaire ne se conclut pas.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    4/206

    206

    lInternational [Business Machines Corp.] ou les parties dsignes par elle, le contrle

    de la Compagnie des Machines Bull. 522

    . La cession effective des actions Genon

    intervint le 2 dcembre 1935. Plus tard, certains tmoins et acteurs de cette histoire

    nhsitrent pas qualifier de trahison la conduite dEmile Genon dans ces

    ngociations. Il faut reconnatre que, en cette anne 1935.T.J. Watson qui, au printemps

    1931, pour une simple question de jours, avait chou dans sa tentative dachat de la

    petite socit do naquit la H.W. Egli-Bull, tait, cette fois, bien prs de gagner la

    partie, mme si ctait par une voie indirecte.

    Du ct de Bull-Paris , on considrait que le contrat qui, jusqualors, liait CMB la

    Bull A.G. devenait inapplicable, tant donn que :

    En alinant, en dcembre 1935, son indpendance vis--vis de la concurrence, la

    Socit Commerciale [ Bull A.G. , en la personne dEmile Genon] a rendu impossible

    lexcution du contrat de 1933 [et] ne saurait donc en demander lexcution. 523

    Devenu majoritaire dans la socit qui tenait entre ses mains la commercialisation des

    matriels construits par Bull-Paris , le Groupe IBM pouvait en effet son gr

    paralyser lactivit de cette dernire et, court terme, la contraindre se laisser absorber

    par son puissant concurrent et fusionner avec la St Franaise Hollerith, future Cie

    Electro-Comptable de France.

    Pourtant, la Compagnie des Machines Bull nintenta pas alors daction en justice mais,

    lors de la sance du 18 dcembre 1935, aprs avoir pris lavis de M. Knutsen [...] le

    Conseil dcide de rester dans lexpectative, etde ne rien faire qui puisse tre considr

    comme la reconnaissance expresse et tacite du maintien en vigueur du contrat pass

    entre la Socit Commerciale [Bull A.G.] 524.

    522 CIHB - Gazette du Palais - Jugement rendu par le Tribunal de Commerce de la Seine, en date du 9 juin

    1942.523 - ibid. -524 De quelle faon, rien nen est dit, ni dans le procs-verbal de cette runion, ni plus tard dailleurs

    (passage soulign par lauteur).

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    5/206

    207

    Cest la suite de ces vnements que la famille Callies-Aussedat - actionnaire

    minoritaire, mais nanmoins, depuis avril 1932, prsente dans le Conseil

    dAdministration dH.W. Egli-Bull - fut amene sengager de faon significative dans

    le capital de la Cie des Machines Bull, puis en prendre le contrle.

    Stant donn les moyens financiers525

    ncessaires sa survie, la Cie des Machines Bull

    poursuivit donc de faon indpendante son activit commerciale en France et

    ltranger, comportement que la Bull A.G. et IBM jugrent inacceptable. Toutefois,

    pour cette affaire, lassignation en justice nintervint que le 28 aot 1939 .....

    Au mois de fvrier 1940, la Bull A.G. et la Cie Electro-Comptable, allies dsormais

    dans cette affaire, assignrent la Cie des Machines Bull en concurrence dloyale 526

    et, en fvrier 1941, dposrent leurs conclusions auprs du Tribunal de Commerce de la

    Seine527

    . Prvu pour le 17 mars 1942, le premier jugement fut prononc le 9 juin 1942.

    La socit demanderesse, savoir la Bull A.G. fut dboute, mais, au niveau du Groupe

    IBM, on ne se tint pas pour battu et la Bull A.G. fit appel de la dcision.

    2. Le procs dit de la carte 80 colonnes perforations rectangulaires

    En 1936, le Colonel Dillemann, prsident[de la filiale franaise de lIBM Corp.] a vu,

    Nantes, chez un client Bull, des cartes perforations rectangulaires. Laffaire est

    juge grave car seules ces perforations sont utilises par la Cie IBM dans le monde,

    donc par la C.E.C. en France , ainsi, dans les Chroniques de la Cie IBM-France ,

    M. Jacques Vernay, explique-t-il la gense de cette seconde affaire.

    Il ne saurait tre question de refaire ici ce procs qui, en son temps, fit couler beaucoup

    dencre chez les deux adversaires, mais simplement den indiquer les grandes lignes et

    mettre en lumire le danger quil reprsenta pour la Cie des Machines Bull tout au long

    525 Grce, en partie, laide personnelle dEdouard Michelin Jacques Callies et ses gendres Jean et

    Joseph Callies. Mais, en raison du caractre tout fait priv de cette aide, Edouard Michelin nintervint

    jamais dans les affaires de la Cie Bull.526 CIHB - Dossier 92HIST : Procs IBM-Bull - Calendrier des diffrentes actions en justices

    intervenues entre les deux groupes.527 - ibid. -

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    6/206

    208

    de la guerre et de lOccupation, et mme encore aprs la fin du conflit puisquon ne peut

    le considrer comme termin quen 1947, date du dernier jugement prononc par le

    Tribunal de Commerce.

    Outre le fait que, vers 1936, la Cie Bull avait adopt, elle aussi, cette carte 80 colonnes

    perforations rectangulaires, bien plus performante que les cartes 45 et 65 colonnes

    perforations rondes utilises jusqualors, cette affaire mettait en cause deux brevets

    dinvention :

    - dune part, un brevet dpos aux Etats-Unis par la T.M.C.528 le 20 juillet 1928,portant sur une nouvelle carte enregistreuse pour machines tabulatrices

    invente par un de ses ingnieurs, Clair D. Lake, accord et publi en avril 1930, ce

    brevet avait fait lobjet dun dpt lOffice des Brevets de Paris, le 25 juin 1929529

    ,

    suivi dune publication, en France, au mois de juin 1930.

    - dautre part, un brevet dpos en France par la St H.W. Egli-Bull le 15 octobre1932 (inventeur : K.A. Knutsen); dlivr le 3 novembre 1933, il fut publi le 15

    janvier 1934.

    Or, si de longues et frquentes discussions avaient prcd laction intente le 28 aot

    1939, par Bull A.G. contre CMB, il ne semble pas en avoir t de mme en ce qui

    concerne laffaire de la carte 80 colonnes. En effet, depuis 1936, rien ne stait

    apparemment pass et, ce nest quen fvrier 1940, aprs avoir, un mois auparavant, fait

    oprer une saisie de matriels lusine Bull de lavenue Gambetta et aux Piles

    Wonder (client Bull), que la C.E.C. assigna ces deux socits en contrefaon.

    Cette chronologie des faits suscite plusieurs interrogations :

    1) Pour quelles raisons la C.E.C. attendit-elle quatre annes pour entreprendre une

    action judiciaire contre Bull ?

    528 cf. Concurrence IBM529 Soit un peu moins dune anne aprs le dpt amricain afin de conserver, comme date de priorit ,

    la date initiale du dpt de la demande de brevet au Patent Office amricain.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    7/206

    209

    2) Pourquoi ne stre, en plus, attaque quaux Piles Wonder alors que dautres clients

    Bull utilisaient des matriels 80 colonnes perforations rectangulaires ?

    3) Enfin, pourquoi est-ce la filiale franaise et non la Direction du Groupe IBM qui

    porta cette affaire devant les tribunaux ?

    Aux deux premires questions, malgr labondance des documents figurant aux archives

    Bull, il est impossible dapporter une rponse. Seule une consultation des archives IBM-

    France sur cette affaire pourrait ventuellement permettre de savoir quelles furent les

    raisons de ces dlais et de comprendre cette ligne de conduite530

    .

    Le dernier point, par contre, est tout fait explicable. En effet, la convention de licence

    passe entre la Direction du Groupe IBM et sa filiale - alors la St Franaise

    Hollerith 531

    - stipulait entre autres :

    Article 7 : En cas de contrefaon, la St IBM ne sera pas tenue de poursuivre [...]La

    Socit licencie aura, en tous cas, la facult de poursuivre en son proprenom et son

    propre bnfice, tous faits de concurrence dloyale, mme sous forme de contrefaon,

    qui porteraient atteinte aux droits et avantages rsultant pour elle de la prsente

    licence.

    Le litige ne concernant alors que le territoire franais, cest donc la C.E.C. qui agit, mais

    la Direction du Groupe IBM ne se dsintressa pas pour autant de cette affaire, pas plus

    que de celle de la Bull A.G., dailleurs.

    De son ct, la Cie Bull avait bien lintention de se dfendre et, au mois de mai 1940,

    elle dposait, ainsi que la St des Piles Wonder, une demande reconventionnelle

    lencontre de la C.E.C.

    Les tribulations de lexode, puis les difficults des premiers mois de lOccupation - tant

    chez Bull qu la C.E.C. et vraisemblablement aussi dans les services de la Justice -

    530 Par exemple les procs-verbaux de Conseils dAdministration de la C.E.C.531 Annexe 7 la lettre que, le 29 juin 1943, la C.E.C. adresse au Comit dOrganisation du Commerce -

    AN-68/AJ/22.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    8/206

    210

    eurent pour consquence de laisser cette affaire en sommeil pendant plus de dix-huit

    mois. Elle ne fut en effet appele devant le Tribunal de Commerce de la Seine que le 5

    dcembre 1941 et, lors de cette audience, les juges tranchrent en faveur de la Cie

    Electro-Comptable.

    La Cie des Machines Bull avait donc perdu la premire manche. Elle fit immdiatement

    appel de la dcision. Cet appel tant suspensif, les poursuites de la C.E.C. ainsi que les

    saisies de matriels, tant au sige de la Compagnie que chez ses clients, cessrent donc.

    Malgr ce rpit - tout fait provisoire - les dirigeants de Bull ne se sentaient pas

    tranquilles et continuaient songer la faon dont, dores et dj, ils pourraient assurer

    leur dfense. Ce ntait malheureusement quen Amrique quil serait possible de

    trouver trace dune divulgation de linvention de Clair D. Lake antrieure, au moins, au

    dpt en France de la demande de brevet, fait qui, selon la lgislation franaise

    entranerait la nullit du dit brevet532

    , Jacques Callies, un certain moment, envisagea

    denvoyer Herv Callies aux Etats-Unis , par un bateau partant de Lisbonne, o,

    lAmbassade de France une relation de famille pourrait lui obtenir un visa pour les

    U.S.A. Mais, pour entrer au Portugal, et traverser lEspagne, il fallait obtenir des visas

    que seules les Autorits dOccupation taient habilites dlivrer. Stant heurt un

    refus catgorique et ne voulant pas faire prendre Herv Callies533

    les risques dun

    passage clandestin des Pyrnes et, peut-tre mme dune incarcration dans les prisons

    espagnoles, avec toutes les suites que lon pouvait craindre, il prfra renoncer ce

    projet et se rsigna attendre la suite des vnements en sy prparant avec les

    documents et les arguments dont il disposait.

    532 La lgislation amricaine tant, sur ce point, quelque peu diffrente de la lgislation franaise.533 Pre de famille.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    9/206

    211

    3. O le Contrleur Carmille se fait conciliateur

    Bien que, malgr la menace que faisait peser sur la socit lincertitude o elle se

    trouvait quant aux suites de cette affaire et surtout son issue finale en cas de perte

    dfinitive du jugement en appel, la Cie Bull ait poursuivi normalement son activit

    industrielle et commerciale, certains de ses clients en concevaient une certaine

    inquitude. Ce fut principalement le cas du Contrleur Carmille qui redoutait que ces

    interminables litiges entre ses deux fournisseurs nentranent une rduction sensible

    des machines mises la disposition du S.N.S , ce qui risquait de compromettre le

    programme dquipement de certaines de ses directions rgionales si Bull navait plus le

    droit de fabriquer et de livrer des matriels 80 colonnes perforations

    rectangulaires. et, par voie de consquence, de retarder lexcution de ses travaux,

    officiels mais surtout clandestins. Aussi M. de St Salvy - responsable de la Direction

    Rgionale S.N.S. de Paris - proposa-t-il aux deux adversaires de se rencontrer, dans son

    bureau, afin dexaminer la situation534

    . Le 23 janvier, en prsence de Ren Carmille,

    Jacques Callies rencontra donc Roger Virgile, Directeur de la C.E.C., mais se montra

    trs ferme sur ses positions savoir que la Bull ne voulait pas devenir un dominion de

    lIBM et [quil] proposait M. Watson de lui racheter les titres Bull A.G. quil

    dtenait. De son ct, Roger Virgile dclara que la question se posait pour lui de

    savoir si Bull voulait tre dans les amis de lIBM ou, au contraire, former le groupe de

    ses ennemis , ce quoi Jacques Callies rpondit que Bull dsirait vivre indpendante.

    Un dialogue de sourds en quelque sorte. La rencontre ne dboucha donc sur rien.

    Ne voulant pas renoncer, le Contrleur Carmille se tourna alors vers Emile Genon,

    devenu Directeur Gnral (et non plus Prsident) de la Bull A.G., et, depuis le dbut de

    lanne 1941 au moment o - dit-il535

    - la situation des U.S.A. avec lAllemagne ne

    534 Lettre Jacques Callies du 20 janvier 1942. - CIHB -535 CIHB - C.R. de la runion du 11/2/42 entre MM. Genon, Vieillard et Pierre Callies, Annecy.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    10/206

    212

    devenait plus trs claire , avait t nomm Adjoint du nouveau Directeur du Bureau

    IBM de Genve charg des affaires internationales536

    . Aprs diffrents coups de

    tlphone [...] M. Genon dans la matine du 9 [fvrier] Ren Carmille qui

    nassista pas la runion obtint de celui-ci quil accepte de rencontrer Georges

    Vieillard et Pierre Callies, Annecy, le 11 fvrier 1942.

    Pour ce qui concerne les ngociations prsentes et venir avec Bull, en dpit de

    certaines affirmations, la position dEmile Genon apparut quelque peu ambigu. En

    effet, dentre de jeu, celui-ci informa Georges Vieillard et Pierre Callies de la rcente

    volution de la politique commerciale dIBM pour lEurope : Le Bureau de Genve -

    dit-il - a continu fonctionner comme prcdemment jusquau 4 dcembre 1941, date

    laquelle un cble de M. Watson537

    interdisait au Bureau de Genve toute transaction

    avec les socits filiales de lAxe (Allemagne, Italie, Japon) et[celles] des pays allis ou

    occups538

    . Pour ce qui concerne la France, prcisa-t-il : la question [nest]pas nette

    tant donn quil reste une zone libre; la question a t soumise lAmbassadeur

    amricain Berne qui a rpondu que, tant quun ambassadeur amricain tait

    accrdit Vichy, il considrerait que linterdiction reue de New-York ne sappliquait

    pas la France Libre539

    . Cependant, prvint Emile Genon, cette situation peut se

    modifier du jour au lendemain, auquel cas, il ne [lui] serait plus possible, en tant

    quIBM, de prendre contact avec les socits franaises , ajoutant que si

    lAmbassadeur partait de Vichy, si lui, Genon, ne pouvait plus continuer ngocier au

    nom dIBM, par contre en tant que Directeur Gnral de la Bull A.G., socit suisse

    536 Depuis 1935, le Groupe IBM avait transfr de Paris Genve le sige de son Quartier Gnral pourlEurope. Historique abrg du Groupe IBM - IBM-World Trade - 1985537 Confirm le lendemain par un second tlgramme - CIHB - C.R. de la runion du 11/2/42 - p.1.538

    - ibid. Pendant tout le conflit, le Bureau de Genve, dirig par P. Taylor, fut la plaque tournante de lapolitique conomique de Watson en Europe ?539 Il sagit bien videmment de la Zone Libre. Quant la Zone Occupe, rien nen est dit, bien que le

    sige de la C.E.C. soit Paris.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    11/206

    213

    [il] se sentait libre de poursuivre les conversations. 540

    .Dans une telle ventualit, la

    situation deviendrait certes dlicate, mais les ponts ne seraient pas totalement coups.

    Les Etats-Unis ayant, jusqu la Libration, conserv des relations diplomatiques avec

    le Gouvernement de Vichy, le problme ne sest pas pos et les possibilits de dialogue

    entre les adversaires ont subsist.

    Au cours de cette runion du 11 fvrier 1942, o lon discuta longuement, chacun

    faisant valoir ses arguments, Emile Genon se montra particulirement dsireux de

    parvenir des rsultats. Il seffora notamment de convaincre Georges Vieillard que,

    quelle que soit la dcision finale du Tribunal qui jugerait en appel, la Compagnie Bull

    subirait un prjudice financier considrable du fait du montant lev des sommes quelle

    serait astreinte rembourser la Bull A.G. pour toutes les redevances relatives aux

    annes coules depuis le dbut de laffaire ce qui reprsenterait quelques beaux

    millions [dont] une partie reviendrait lIBM 541

    , ce qui ne sembla pas impressionner

    ses interlocuteurs ou, du moins, nen laissrent-ils rien paratre.

    Aussi, en dpit des changes courtois qui avaient eu lieu depuis le matin, chacune des

    parties resta sur ses positions. Georges Vieillard raffirma sa confiance dans le prochain

    verdict du Tribunal de Commerce, rpta que, pour sa part, il ne croyait pas que les

    solutions proposes par Emile Genon soient acceptables et, enfin, mit lopinion que

    rien ne peut tre fait de solide en se basant uniquement sur des sentiments alors que

    les vnements et les hommes peuvent changer 542. Quant Emile Genon, tout aussi

    persuad que le Tribunal trancherait en faveur de la Bull A.G., il se dclara nanmoins

    prt faire accepter par IBM-New-York une modification, voire mme une refonte

    complte du contrat initial CMB-Bull A.G.543

    . L-dessus, on se spara.

    540

    CIHB - C.R. de la runion du 11/2/42 - p.1541 - ibid. - p.5.542 - ibid. - p.5.543 - ibid. - p.6;

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    12/206

    214

    Au moment de partir, cependant, Emile Genon sinquita de savoir si Bull avait

    toujours les mains libres en Allemagne , ce quoi Georges Vieillard rpondit que

    ds avant la guerre la Bull avait estim quelle ne pourrait pas exploiter directement

    le march allemand, quil fallait trouver une combinaison et que si, abandonnant le

    march allemand, elle pouvait obtenir dautres apaisements, elle avait certainement agi

    sagement. , allusions dtournes aux ngociations en cours avec la Wanderer-Werke,

    dont Emile Genon et les gens de la C.E.C. ne pouvaient ignorer lexistence544. Du

    procs de la carte 80 colonnes perforations rectangulaires , il ne fut ce jour-l point

    question.

    En guise de conclusion, le rdacteur du compte-rendu de la runion - vraisemblablement

    Georges Vieillard lui-mme, destination de Jacques Callies - crivit : M. Genon sest

    trs bien rendu compte que les rponses taient faites ct des questions poses, mais

    avait a eu la discrtion de ne jamais paratre sen apercevoir et na pas insist.

    En dpit des efforts du Contrleur Carmille, les affaires contentieuses en cours

    navancrent pas dun pouce. Mais, daprs le ton du compte-rendu, il semble que la

    Direction de Bull ne tenait plus vraiment voir bouger les choses. En effet, laffaire

    Bull A.G. avait des chances de se conclure en sa faveur. Quant celle de la Carte 80

    colonnes , depuis que C.M.B. avait fait appel, la C.E.C. avait d suspendre toute action

    judiciaire son endroit. Aussi, en esprant que lvolution du conflit lui permettrait,

    dans un avenir plus ou moins proche, dtre mme de runir les moyens

    indispensables sa dfense - ce qui, en ce dbut de lanne 1942 ne pouvait encore tre

    quun voeu pieux - lintrt de la Compagnie Bull tait donc de gagner du temps et de

    voir le statu quo subsister aussi longtemps que possible.

    544 Ne serait-ce que par Heinz Westerholt, toujours en liaison avec le Major Passow.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    13/206

    215

    Chapitre 16

    ADAPTATION FINANCIERE DE LA CIE BULL

    A LA GUERRE ET A LOCCUPATION

    Entre lanne 1931 o H.W. Egli-Bull sinstalla dans les locaux dAtemeta, et 1933 o

    la socit prit le nom de Compagnie des Machines Bull jusqu laube du second conflit

    mondial, malgr dimportantes difficults financires (quelque peu attnues par laide

    personnelle dEdouard Michelin Jacques Callies dont nous avons parl dans un

    prcdent chapitre), la Cie Bull avait poursuivi une expansion commerciale rgulire,

    mais elle connaissait toujours des problmes de trsorerie.

    Ainsi que nous lavons dj expliqu, ces problmes provenaient du fait que la

    Compagnie Bull devait se conformer commercialement au principe institu par

    Hermann Hollerith et poursuivi par IBM, de faire exclusivement de la location. Or,

    pour Bull qui vendait ou louait ses machines selon le dsir du client, la difficult tait

    de panacher les deux modes de commercialisation afin dquilibrer les revenus

    rcurrents ds aux locations (sans parler des redevances trimestrielles de maintenance

    qui taient lies aux contrat de vente) et les rentres immdiates quapportaient les

    ventes de matriels qui lui permettaient non seulement dassurer ses frais fixes mais

    surtout de faire face aux investissements ncessaires laccroissement de la production

    de lusine.

    Pour se faire une ide plus nette de ltat financier de la Compagnie en 1939, il y a lieu

    de remonter limmdiat avant guerre. En 1938, le capital de Bull tait de 20 millions

    de francs, en 1939, il passa 25 millions de francs entirement verss par les

    actionnaires.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    14/206

    216

    Depuis 1937, la Compagnie tait mieux connue sur le territoire national mais aussi

    ltranger. La prsence de machines Bull lExposition Internationale de Paris, quavec

    sa tnacit coutumire Georges Vieillard avait russi imposer, ny tait probablement

    pas trangre.

    Quant aux Administrations, malgr les relations des dirigeants de Bull avec le

    Contrleur Gnral de lArme Ren Carmille et lappui que lui apportait ce dernier, ce

    domaine rsistait encore lintroduction des matriels Bull dans ses ateliers

    mcanographiques, surtout la Dfense Nationale.

    Sur lEurope, ce moment-l, le climat devenait de plus en plus inquitant, mme si

    une partie des Franais pensait encore possible un compromis avec le Chancelier du

    Reich545

    Puis, quand la guerre parut invitable, lutilisation de matriels mcanographiques se

    mit intresser aussi bien les Administrations que la clientle prive et Bull reut un

    grand nombre de commandes. De plus, les clients se montraient toujours plus presss

    de voir leurs ateliers installs et leurs matriels mis en route. Il tait de plus en plus

    difficile pour la Compagnie de satisfaire toutes ces commandes.

    Lusine travaillait plein rendement pour assurer le maximum de livraisons. En 1939,

    le chiffre daffaires avait doubl par rapport celui de 1938 et le bnfice suivait la

    mme tendance, bien que plus faiblement.

    Avec le temps les premires machines en location avaient rapport au moins ce quelles

    avaient cot en conception et production, quelques-unes avaient mme procur un

    bnfice, mais le matriel se primait, il fallait investir plus encore pour construire les

    nouveaux modles, les problmes de trsorerie restaient aussi proccupants.

    Par ailleurs, il ne faut pas oublier quun des principes essentiels de Jacques Callies tait

    de conserver la socit une totale indpendance, mais il ne pouvait pas sans cesse

    545 En 1938, la masse franaise et la majorit de ses lus considraient quHitler navait rien contre la

    France, puisquil le disait. - J.L Crmieux-Brilhac : Les Franais de lAn 40 .

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    15/206

    217

    faire appel au portefeuille de ses actionnaires alors que depuis la cration de lentreprise

    ceux-ci navaient encore reu aucun dividende et, vu la situation tant commerciale que

    politique, il ne pouvait leur laisser esprer un versement proche. Donc, se refusant

    toute alliance et tout partenariat, la seule solution qui lui restait tait le recours

    lemprunt.

    Dj, en 1934, la Compagnie avait d mettre un emprunt obligataire, dun montant de

    deux millions de francs de lpoque. Mais, alors, la socit ntait ni solide ni

    connue546

    . Marcel Bassot, alors administrateur dlgu, sachant que les banques ne leur

    feraient pas confiance et refuseraient de se charger du placement de cet emprunt dans

    le public, avait instamment demand tous les administrateurs de souscrire cet

    emprunt547

    . Ils avaient tous accept.

    Mais, en 1939, il ne pouvait tre question dagir de cette faon. Les banques avaient

    pris confiance dans la Cie Bull et, au cours des annes qui suivirent, cest par leur

    intermdiaire que passa Bull pour ses oprations financires, emprunts ou

    nantissements.

    Cest ainsi que, le 6 avril 1939, la socit avait souscrit auprs de la Banque de Paris et

    des Pays-Bas un crdit dacceptation de 6.700.000 francs disposition jusquau 31

    dcembre 1939, contre dlgation des marchs passs avec les Administrations

    Publiques.

    Comme on peut le voir, bien que toujours en expansion commerciale, la Compagnie

    continuait tre en proie aux problmes de trsorerie et ne pouvait rembourser ses

    actionnaires

    Paradoxalement, ce fut le contexte de la priode de lOccupation qui lui permit, sinon

    de rsoudre ses problmes de trsorerie elle en eut toujours mais de les allger. En

    546 Ctait lpoque o Watson, le patron dIBM , pensait quil pourrait absorber Bull.547 Procs Verbal du Conseil dAdministration du 17 mai 1934 ;

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    16/206

    218

    effet, en 1943, la Direction profita des circonstances pour prendre une importante

    dcision.

    Pour comprendre le comportement adopt ce moment par la Cie Bull vis--vis de ses

    actionnaires et la politique quelle suivit au plan financier, un bref rappel historique

    simpose.

    Comme nous lavons dj dit, les problmes de trsorerie quelle rencontra

    commencrent, pour ainsi dire, ds sa naissance. En effet, ds 1933, lors de

    lAssemble Gnrale du 12 avril, le Conseil dAdministration avait dj d procder ,

    une rduction de capital, ramenant le taux nominal des actions, de 1.000 500 francs

    Trois ans plus tard, au dbut de 1936 aprs avoir, de peu, chapp la tentative de

    mainmise du Groupe IBM sur lentreprise, des mesures nergiques durent nouveau

    tre prises pour assainir la situation financire de la socit. Lors de sa runion du 5

    fvrier 1936, le Conseil dAdministration prit deux dcisions importantes :

    1) Rduire de moiti le capital qui passa ainsi de 11 millions 5 millions 500 mille

    francs et, conjointement, supprimer les actions de jouissance.

    2) Puis, dans un dlai plus ou moins proche, porter le capital 15 millions de francs

    demandant ainsi ses actionnaires un effort financier considrable cette augmentation

    devant seffectuer en trois tranches :

    - 1re tranche: 5 millions de francs- 2me tranche : 2 millions de francs- 3me tranche: 2 millions 500 mille francsCest ce que, dans son interview du 25 juin 1973 par Dominique Pagel, Herv Callies a

    appel le coup daccordon .

    Ces engagements furent scrupuleusement respects, puisquau bilan de 1936, le capital

    figure pour 15 millions de francs. Par ailleurs, au printemps 1934, alors que la situation

    financire de la socit devenait de plus en plus proccupante, le Conseil

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    17/206

    219

    dAdministration548 dcida dmettre un emprunt obligataire dun montant de 2

    millions de francs, soit 2.000 obligations ou bons549

    , de 1.000 francs au taux de 7 1/2%

    nets550

    , remboursables en quinze ans, partir de 1939, par tirage au sort et annuits

    gales551

    , garanti sur lactif de la socit et notamment par un nantissement de

    premier rang et sans concurrence [] , en ce compris les lments corporels et

    incorporels , la socit stant galement rserv la possibilit dun remboursement

    anticip.

    Toutefois, Marcel Bassot, qui avait des choses une vision raliste, fit part au Conseil de

    son opinion au sujet de la couverture de cet emprunt et sadressa aux administrateurs en

    ces termes :

    Etant donn, dune part leur dit-il les difficults dun placement en banque et,

    dautre part, les ncessits de trsorerie [je] demande tous les administrateurs de

    souscrire cet emprunt.

    Autoris par le Conseil, lors de la sance du 5 juillet 1936, lannonce de cet emprunt

    parut au B.A.L.O. du 9 juillet suivant. Au cours de cette sance, Marcel Bassot

    demanda nouveau chaque administrateur de vouloir bien souscrire ou faire

    souscrire cet emprunt. Ceux-ci auraient-ils manifest quelques rticences

    sexcuter ? Lemprunt fut nanmoins souscrit en interne.552

    Les choses en restrent l et les remboursements se firent rgulirement jusqu la fin

    de lanne 1942 o le Conseil prit un certain nombre de dcisions ce sujet. Toutefois,

    bien que, depuis la prise de contrle de la socit par la famille Callies-Aussedat, la

    situation financire de la socit se soit assainie et que les rsultats aient t

    548 Runion du 27 avril 1934 ;549 En fait, 1.000 obligations et 1.000 bons (Procs Verbal de lAssemble Gnrale du 17avril 1942 ;550 Ces titres tant mis 875 francs, plus le prorata dintrts courus entre le 1er juin 1934 et la date de

    souscriptions.551 B.A.L.O. du 9 juillet 1934552 Lquilibre alors prcaire de la socit, et peut-tre aussi le domaine encore peu connu dans lequel elle

    oeuvrait, nauraient probablement pas attir les souscripteurs ventuels et ne lui valaient pas la confiance

    des banquiers. Rappelons qu lpoque, bien que dj reprsente au Conseil dAdministration, la

    famille Callies-Aussedat ne stait pas encore rellement engage financirement dans la socit.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    18/206

    220

    relativement satisfaisants, afin de consolider la position de lentreprise et de lui fournir

    les moyens dassurer sa croissance, de nouvelles augmentations de capital se rvlrent

    indispensables, do de nouveaux appels aux actionnaires qui y rpondirent fidlement.

    Cest ainsi que, de 15 millions en 1936, le capital passa :

    - en 1938, 20 millions de francs,- en 1940, 25 millions de francs.montant qui demeurera inchang pendant toute la priode de lOccupation.

    Aussi paradoxal que cela puisse paratre premire vue, quand on se penche sur les

    rsultats financiers des exercices de 1937 1942, on ne peut qutre frapp par la

    disproportion existant entre la croissance du chiffre daffaires et celle des profits. En

    effet, si le chiffre daffaires de lanne 1942 reprsente un peu plus de cinq fois celui de

    1937, le bnfice natteint, quant lui, que 1,8 fois celui du mme exercice. Et, pendant

    ce temps, le carnet de commandes continuant de crotre, les investissements doivent

    suivre, aussi les besoins de trsorerie se firent-ils toujours plus pressants.

    A la fin de cette anne 1942, il ne pouvait pourtant tre question de faire nouveau

    appel aux actionnaires, dautant plus que leurs continuels efforts sans oublier les

    sacrifices consentis lors de la crise de 1935553

    - navaient encore reu aucune

    contrepartie en dividendes, ce quils semblrent accepter sans protester554.

    Cependant, afin de faire face aux besoins de lentreprise sans risquer dpuiser la bonne

    volont des actionnaires et peut-tre leurs possibilits financires - le Conseil

    dAdministration fut amen prendre les mesures suivantes :

    1) Au dbut de lanne 1942, il fut dcid de procder au remboursement anticip du

    reliquat de lemprunt de 1934. En fait, presque la totalit des obligations avaient dj

    553 Y compris la suppression des 6.000 actions de jouissance dont le prix minimum est estim 150 francs

    lune, montant figurant au procs-verbal de lAssemble Gnrale du 12 avril 1935 o est voque lapossibilit, pour le Conseil de faire jouer son droit de premption des dites actions.554 Une seule exception, un actionnaire polytechnicien X19 qui, en fvrier 1941, sest plaint auprs de

    Georges Vieillard de navoir encore peru aucun dividende. Celui-ci lui conseille tout simplement la

    patience CIHB - Dossier des procs verbaux de Conseils dAdministration et dAssembles Gnrales

    Exercice 1940.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    19/206

    221

    disparu de lendettement de la socit, soit par leur transformation en actions, soit du

    fait de leur rachat par la Compagnie. Par ailleurs, un certain nombre dobligations

    navaient pas t mises et, restes la souche, elles furent dtruites loccasion de

    cette opration. Cest donc sur le reliquat des bons que devait porter le

    remboursement anticip. Il est noter que, ne disposant pas des fonds ncessaires, la

    Compagnie dut se tourner vers le march financier et acqurir en Bourse, au taux de 4

    1/2 % les obligations qui lui permirent de raliser cette opration555

    ;

    2) Lors de la sance du Conseil du 12 novembre 1942, aprs un expos du Prsident

    [] sur la ncessit daugmenter les locations par rapport aux ventes, le Conseil [ ..]

    dcide dmettre un emprunt obligataire dun montant maximum de 30 millions de

    francs.

    En fait, le montant de cet emprunt fut ramen 20 millions de francs et se

    concrtisa par lmission de 10.000 obligations dun montant de 2.000 francs556

    au

    taux de 4 % amortissable sur 20 annes au plus, partir du 1er

    fvrier 1943.

    Cette fois, pour couvrir cet emprunt, il ne fut pas ncessaire de mettre contribution les

    actionnaires, lemprunt fut en effet entirement souscrit par les banquiers de la

    Compagnie qui se [chargrent] de son placement dans le public. 557

    La

    Compagnie des Machines Bull avait enfin acquis la confiance des banques.

    Cest galement en 1942 et 1943 que la Direction dcida de procder une premire

    distribution de dividendes.

    A lorigine, les statuts de la socit prvoyaient que les bnfices ventuels seraient

    rpartis de la faon suivante558

    .

    5% la rserve lgale

    555 Procs-verbal du Conseil dAdministration du 12 novembre 1943 ;556 Emises 1.960 francs.557 Procs-Verbal de lAssemble Gnrale du 3 juin 1944 Rapport du Conseil dAdministration.558 B.A.L.O. du 9 juillet 1934 Annonce de lmission de lemprunt de 1934

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    20/206

    222

    6% titre de premier dividende du capital dont les actions sont libres et nonamorties

    10% au Conseil dAdministration le reste du bnfice disponible [tant] la disposition de lAssemble Gnrale. mais, jusqualors, la situation financire de la Compagnie et les divers problmes

    quelle avait d affronter ne lui avaient pas permis de rmunrer ses actionnaires. En

    effet, les quatre premiers exercices comptables de son existence 1932 1935

    staient solds par des pertes, les premiers rsultats positifs ntant intervenus qu

    partir de 1936. Les besoins de trsorerie de lentreprise demeuraient toutefois tels que,

    jusqu lexercice 1942 inclus, les bnfices enregistrs avaient t entirement

    rinvestis.

    Nanmoins, les rsultats encourageants de lanne 1942 permirent au Conseil

    dAdministration denvisager pour lanne suivante, une distribution de dividendes et

    de compenser enfin les sacrifices consentis par les actionnaires au cours des annes

    difficiles. Aussi, afin de restituer aux porteurs dactions anciennes la part des apports

    initiaux quils avaient abandonne ou perdue lors des rductions de capital de 1933 et

    1936, il fut dcid de leur verser, la fin de lexercice 1943 titre de

    remboursement [] une somme nette de 8 francs par action . Quant aux porteurs

    dactions nouvelles acquises lors des diffrentes augmentations de capital il leur

    sera vers titre de dividende , une somme nette de 8 francs par action entirement

    libre et 4 francs par action libre de moiti. Il est noter que la plupart des

    actionnaires possdant la fois des actions anciennes et des actions nouvelles, ces

    oprations concernrent un cercle de personnes qui navait gure vari depuis la

    cration de la socit.

    Ces diverses oprations ne furent certes pas dcides la lgre. En effet, pendant la

    priode de lOccupation, la raret et le contingentement des produits et des biens que

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    21/206

    223

    pouvaient acqurir les individus, groupes ou socits559 qui, dune faon ou dune autre,

    faisaient des profits, eurent, entre autres, pour consquence, en rduisant leurs

    possibilits de dpenses, de les amener thsauriser leurs avoirs, ce qui rendit

    disponible une masse importante dargent et abaissa les taux descompte et les taux

    dintrt560

    .

    Cette situation, inhrente la singularit de la priode, offrit donc la

    Compagnie des Machines Bull lopportunit

    - dune part de se librer du reliquat dun emprunt contract 7 % , dont leremboursement devait encore staler sur une douzaine dannes, en se procurant

    largent ncessaire un taux nettement infrieur, soit 4 %.

    - dautre part, libre de cette premire dette, de pouvoir contracter un nouvelemprunt dun montant considrablement plus lev que le prcdent, galement au

    taux de 4 % et, cette fois, sans avoir besoin de recourir ses actionnaires.

    La Cie Bull fut ainsi en mesure de financer les investissements indispensables sa

    croissance : achats de terrains et de btiments, constructions nouvelles, acquisitions de

    machines-outils et outillages spciaux, matires premires et main-duvre ncessaires

    ltude, au dveloppement et la fabrication des matriels destins tre placs en

    location, systme immobilisant des capitaux importants, sur une dure relativement

    longue, cinq ans en gnral, seules les vente procurant, comme revenu rcurrent, les

    redevances trimestrielles de maintenance.

    Il est noter que, pendant toute la dure de lOccupation, il ny eu aucune

    augmentation du capital de la socit561

    . Ce fut, nen point douter, de la part de la

    Compagnie, une dcision politique volontaire. En effet, si la Direction avait eu

    559 Quelle que soit leur catgorie sociale, industriels, commerants petits et gros paysans, spculateursetc560 Ainsi que la fort bien expliqu Michel Margairaz, dans sa communication, lors du colloque

    LOccupation, lEtat franais et les entreprises - Universit de Franche-Comt Besanon 24 -26

    mars 1999 Actes publis au 2me trimestre 2000 ;561 cf Bilans 1939-1945 en ennexe 19

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    22/206

    224

    limprudence de procder une augmentation de capital, le Dr Klee neut pas manqu

    de se prcipiter pour y participer et ceci eut mis en pril lindpendance de lentreprise,

    ce dont Jacques Callies ne voulait aucun prix, quitte continuer souffrir de ses

    difficults de trsorerie.

    Ce nest quen 1946 que, pour faire face aux besoins dune nouvelle tape de sa

    croissance et du nouveau virage technologique qui sannonait, la Compagnie dut

    nouveau faire appel ses actionnaires, afin de porter le capital de la socit 30, puis

    60 millions de francs en 1947, dbarrasse, par le jugement de la Cour dAppel de

    Paris des menaces que faisaient peser sur elle les procs sur un brevet de principe et

    sur son Organisation commerciale et, se rendant compte quil tait ncessaire

    denvisager un largissement de la base de la socit tout en conservant sa structure

    prive assurant ses principes de direction et son activit nationale , le Conseil

    dAdministration de la Compagnie dcida de mettre la disposition de ses

    actionnaires des actions L 562 librement ngociables , ce qui permit de doubler le

    capital de la socit563

    et quelques mois plus tard, la Cie des Machines Bull fit son

    entre sur le march boursier, ouvrant ainsi une nouvelle page de son histoire.

    Cependant, lpoque qui clt ce chapitre de notre tude, la Compagnie ntait pas

    sre dtre sauve de tout danger. En effet, pesait toujours sur elle lissue du procs qui

    lopposait la Cie Electro-Comptable propos de la carte 80 colonnes perforations

    rectangulaires. Comme on a pu le voir, en dcembre 1941, le tribunal stait prononc

    en faveur de la C.E.C. La Cie Bull avait immdiatement fait appel de ce jugement. Cet

    appel tant suspensif, elle avait pu poursuivre son activit. Jacques Callies le fit avec un

    acharnement qui peut tonner, surtout au cours des annes qui sparent celle du premier

    jugement (1941) de la Libration et mme de lArmistice, o le jugement en appel

    562 Soit 80.000 actions au taux nominal de 250 francs (au mois de juillet 1947), ces nouvelles actions

    schangeaient un cours variant entre 750 francs et 805 francs (Compte-rendu de Georges Vieillard pour

    la semaine du 7 au 11 juillet 1947 C.I.H.B. Dossier Introduction en Bourse)563 Qui, au bilan, apparatra pour un montant de 120 millions de francs.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    23/206

    225

    ntait toujours pas venu devant la cour. Il est vrai quen cette anne 1945, la

    Compagnie avait pu faire effectuer aux Etats-Unis les recherches susceptibles de

    fournir la socit les arguments susceptibles, quand arriverait le second jugement, de

    faire pencher la balance en faveur de Bull, tant donn les diffrences existant entre les

    procdures amricaines et franaises564

    Que serait-il advenu de la Cie Bull, si elle avait nouveau perdu en appel ? Jacques

    Callies avait-il une solution de sauvetage ? Nous ne saurions le dire car il ne sest

    jamais expliqu ce propos.

    Bien que notre tude sarrte la fin de lanne 1945, nous navons pas voulu laisser

    planer sur ce travail une atmosphre finale de doute et dincertitude. Cette affaire revint

    devant le Tribunal en 1947 et, cette fois, le jugement fut prononc en faveur le la

    Compagnie des Machines Bull.

    Jacques Callies avait gagn la bataille quil menait depuis des annes pour doter la

    France dune industrie mcanographique nationale et laffranchir de tout monopole

    tranger, ce qui fut le cas jusquaux environs des annes soixante. Hlas, Jacques

    Callies ntait plus de ce monde !565

    Mais ceci est une autre histoire ..

    564 Voir le chapitre Brevets 565 Il tait dcd en novembre 1948

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    24/206

    226

    Chapitre 17

    VIE ET ACTIVITE QUOTIDIENNES DE LENTREPRISE

    Quand souvrit lanne 1941, lOccupation allemande et linstauration Vichy, dun

    nouveau rgime, celui de lEtat Franais, taient des faits accomplis auxquels, aprs le

    choc de la dfaite et les bouleversements qui suivirent, il allait maintenant falloir soit

    sadapter , soit disparatre. La Compagnie des Machines Bull choisit de

    sadapter .

    Nanmoins, en dpit des problmes de tous ordres auxquels elle tait alors confronte,

    la Cie Bull navait pas lintention de freiner sa marche en avant et poursuivit-elle

    avec autant de tnacit, si ce nest plus encore, le travail dinnovation et de

    perfectionnement de ses matriels, et ses efforts dexpansion en clientle.

    Les demandes des clients reprenaient, retrouvant progressivement leur niveau davant

    guerre, puis saccroissant au fil des mois, aussi bien dans le secteur priv que dans

    secteur public566

    , la Compagnie mit donc tout en oeuvre pour augmenter sa production,

    main-doeuvre, locaux, quipements, augmenter sa gamme de matriels et toujours

    amliorer leurs performances.

    Ceci ne put cependant se faire que trs progressivement, en effet lusine de Paris

    navait pas, au 1er janvier 1941, retrouv son activit ancienne.

    Si lon excepte les travaux accomplis dans le domaine des grandes affaires dont il a

    t question ci-dessus, cest sur ce point que portrent essentiellement les efforts de la

    Compagnie pendant cette priode qui, de janvier 1940, nous mne lautomne 1942.

    566 Dont les marchs avec les Administrations

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    25/206

    227

    1. Effectifs: Evolution

    Tenter de dresser une liste complte et exacte des effectifs Bull avec tous les dtails

    concernant les individus, quelle que soit la priode considre, est une tche aujourdhui

    impossible tant il y a de lacunes. Ainsi que nous lavons dit plus haut, en plus de

    labsence de listes officielles, de nombreux dossiers individuels ont disparu. Nous avons

    quand mme trouv quelques listes parses mais qui ne comportent que des

    patronymes, sans autres indications qui auraient pu nous clairer, par exemple :

    - une liste des personnes vaccines collectivement contre la variole en fvrier 1942 ;

    seuls y figurent les employs prsents lusine ce jour-l, mais simplement sous leur

    nom de famille ;

    - une liste tablie par la Direction lors de la mobilisation de rservistes de 1938 ; cette

    liste est un peu plus complte que la prcdente mais elle ne concerne que le personnel

    masculin susceptible dtre mobilis, rform ou exempt et ne comporte que des

    informations dordre militaire et le mtier de ces hommes.

    - quelques listes manuscrites, brouillons pars sans autres informations que les

    patronymes, hommes ou femmes.

    Pour ce qui concerne les effectifs totaux de lentreprise, nous avons deux documents qui

    les indiquent des moments diffrents de la vie de la socit :

    1) Un rapport de 1945 sur les Dommages de Guerre destin lexpert charg

    dexaminer et de chiffrer le montant des dgts. Les effectifs indiqus sont les suivants :

    1938 278 personnes

    1939 245 personnes

    1940 ?

    1941 de 270 570 personnes

    1942 de 580 655 personnes

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    26/206

    228

    1943 de 350 640 personnes (priode Relve et STO)

    1944 de 350 540 personnes

    1945 de 545 780 personnes

    2) Un rapport adress, dans les annes qui ont suivi la fin des hostilits, au vrificateur

    des profits illicites. Dans cet assez long rapport Jacques Callies crivit au Comit de

    Confiscation des Profits Illicites, quen dcembre 1942, son effectif tait de 535

    personnes et quen 1944 il avait atteint le chiffre de 657.

    Les chiffres totaux figurant sur ce rapport sont les suivants (on remarquera quils ne

    portent que sur le nombre des ouvriers) :

    1938 133 ouvriers1939 106 -1940 168 -1941 371 -1942 359 -1943 309 -1944 272 -La prsente tude ne concernant que la Seconde Guerre Mondiale, pour donner une

    image la plus proche possible de ce que fut la ralit, nous avons choisi de constituer,

    partir des documents dont nous disposions, un chantillon des embauches, des dparts et

    des personnes qui, entres la Compagnie partir de 1938, y sont restes jusqu la fin

    de lanne 1945567

    . Lclatement par groupes de professions nous permettra cependant

    de nous rendre compte dans quels domaines, pendant les annes de la guerre et de

    lOccupation, ont port les efforts les plus importants de lentreprise. Pour chaque

    anne, nous avons compt les embauches et les dparts qui eurent lieu dans les groupes

    567 Ainsi que nous lavons expliqu dans un chapitre consacr aux sources dont nous avons pu disposer,

    nous savons trs bien que nous travaillons sur des chiffres approximatifs.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    27/206

    229

    de professions que nous avons trouvs. Puis, pour des raisons de clart, nous avons

    dress les tableaux et les courbes de professions pour les annes de la guerre et

    lOccupation, afin de concrtiser les volutions qui eurent lieu au cours de ces annes-

    l.

    2. Les embauches et les mtiers

    Les fiches dembauche comportent les noms et prnoms du candidat, le mtier pour

    lequel il est embauch et le salaire qui lui est attribu. Cependant, pour deux employs

    diffrents, embauchs le mme jour de la mme anne pour faire le mme travail, le

    salaire accord peut ne pas tre le mme sans quaucun motif justifiant cette diffrence

    ne soit indiqu sur la fiche. Il faut nous contenter de faire des hypothses.

    Ces diffrences de taux peuvent tre dues, par exemple, lexprience acquise

    antrieurement par le candidat, la renomme des entreprises o celui-ci avait

    prcdemment travaill. Pour les mtiers exigeant un essai dembauche, le rsultat de

    cet essai, la qualit, le temps pass, etc. taient dterminants. Enfin, quand tait prise la

    dcision dembauche, notamment pour les ouvriers et les O.S., le salaire dpendait de la

    catgorie dans laquelle tait affect le candidat :

    - les ouvriers professionnels : P1, P2 ou P3 ;- les O.S. (hommes ou femmes) pouvaient tre OS.1 ou OS.2. (les femmes furent peu

    nombreuses tre embauches comme OS.2. Certaines ont pu nanmoins le devenir

    selon les travaux qui leur taient confis).

    Quant aux dessinateurs, leurs niveaux taient diffrencis par de simples indications

    relatives aux travaux quils taient capables daccomplir. On y trouvait :

    - des calqueurs et des calqueuses (le niveau le plus bas) ;- des dessinateurs dtudes ;- des dessinateurs petites tudes

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    28/206

    230

    - des dessinateurs et des dessinatrices dexcution.Le niveau le plus lev o lon ne trouvait pas de femmes tait celui de dessinateur

    projeteur qui tait aussi le mieux pay.

    Bull employait galement quelques dessinatrices spcialises dans les travaux destins

    aux services commerciaux. Leur tche tait le dessin des originaux des clichs de

    cartes 568

    , ainsi que des cartes et imprims destins aux brochures commerciales. Tous

    ces travaux devaient tre excuts avec la plus grande minutie et une extrme prcision.

    Les agents techniques, pouvaient tre classs AT.1, AT.2 ou AT.3 (chez les

    mcaniciens de ville, on trouvait mme des AT.4 et des AT.5569, cette dernire

    qualification tant la plus leve), selon leur degr de formation ou leur anciennet dans

    la profession. Ceux qui taient embauchs comme AT.1 taient, aprs un stage de trois

    mois, affects dans diffrents services. Aprs un certain temps, selon lapprciation de

    leur hirarchie, de la difficult et de la qualit de leur travail, ils pouvaient tre nomms

    AT.2 et ainsi de suite, selon la dure de leur carrire la Compagnie.

    En ce qui concerne le personnel mcanographique, il se composait de perforatrices-

    vrificatrices, doprateurs, dopratrices (moins nombreuses) et de metteurs en route.

    Les perforatrices vrificatrices pouvaient au dpart, navoir aucune connaissance de la

    mcanographie. Elles commenaient alors par suivre, dans lentreprise, un stage qui

    durait environ un mois. Ce nest quen cas de succs, quelles taient embauches. Un

    certain nombre dentre elles taient affectes latelier mcanographique de la

    Compagnie o, toute la journe, partir de bordereaux qui leur taient remis comme

    documents de base, elles perforaient des cartes pour divers services de lentreprise. Une

    fois perfores, dans une seconde phase, ces cartes taient contrles la machine par les

    vrificatrices. Les cartes errones allaient au rebut o le compte en tait fait, et les

    568 Voir modle en annexe.569 Entretien avec Jean Foulier Octobre 2006

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    29/206

    231

    perforatrices fautives rigoureusement sanctionnes. Les cadences respecter taient trs

    leves. Perforatrices et vrificatrices taient sous les ordres dune monitrice de

    perforation, poste qui, pour certaines dentre elles pouvait constituer une volution de

    carrire. Certaines jeunes femmes taient affectes la Salle dEssai dont nous

    parlerons plus loin. L, elles faisaient connaissance avec ce que lon appelait

    couramment les grosses machines et avaient certaines chances de pouvoir suivre le

    stage qui leur permettrait de devenir opratrices.

    A la Salle dEssai travaillaient surtout des oprateurs et quelques opratrices qui

    utilisaient ces fameuses grosses machines : tabulatrices, trieuses, traductrices (que

    lon appelait aussi interprteuses ), reproductrices, calculatrices570

    On peut voir que la Compagnie embaucha dans toutes les spcialits, mais

    particulirement pour la production et la maintenance.

    Le personnel de fabrication, environ 55 % du total des embauches, ainsi rpartis,

    approximativement :

    - professionnels qualifis 35 %- OS-hommes 12 %- OS-femmes 6 %- manoeuvres (hommes) 2 %- des mcaniciens de ville, environ 15 % des embauches;mais galement du personnel mcanographique dont une partie tait dtache en

    clientle, titre temporaire ou dfinitif, soit 13 % du personnel recrut, les perforatrices

    comptant, elles seules, pour plus de 10 % de cette catgorie.

    Dans ces conditions, il ntait plus possible que les mcaniciens de ville apprennent le

    mtier sur le tas , comme par le pass, lactivit des responsables et la complexit

    570 Voir en annexe les photographies des machines.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    30/206

    232

    grandissante des matriels et des problmes traiter ne le permettait plus. On cra donc

    une cole spciale pour leur formation. Ce fut lcole S.E.V. , ou Service Entretien

    Ville , installe dans les locaux du 159 de lavenue Gambetta, en face de lusine. L,

    sous la houlette de techniciens chevronns, transforms en professeurs, des promotions

    dune vingtaine de candidats571

    , suivaient un stage de trois mois, sanctionn par des

    tests hebdomadaires rigoureux qui liminaient impitoyablement572

    les lves jugs

    inaptes pour ce mtier573

    , la mme sanction pouvant encore intervenir lors de lexamen

    final. Voyant ce que lon attendait deux, il arrivait quun certain nombre de ces

    stagiaires abandonnent deux-mmes aprs quelques jours ou quelques semaines de

    stage, sans attendre une ventuelle limination.

    Une fois le stage termin, on affectait le nouveau dans une quipe, sous lautorit

    dun Chef de Secteur qui, tout de suite, lenvoyait en clientle, lpreuve de la ralit.

    Chez ces professionnels, trs conscients de leur valeur et de leur place dans lentreprise,

    rgnait heureusement un grand esprit dquipe, du moins en gnral, et les collgues

    aidaient le dbutant faire ses premiers pas en clientle. Dans cette dmarche, limage

    de la Compagnie comptait probablement autant que la solidarit envers la nouvelle

    recrue. A la longue, les pannes identifier et rsoudre en faisaient un homme

    dexprience.

    Si, entendre les Anciens, la vie professionnelle dun mcanicien de ville tait

    passionnante, elle ntait pas toujours rose, surtout cette poque, o ils devaient

    affronter des difficults de toutes sortes : pnibilit des transports, mauvaise qualit des

    pices de rechange, sans oublier les contraintes imposes par les Autorits

    571 De tous ges, professionnels qualifis (ajusteurs, outilleurs etc...) ou jeunes gens frachement sortis des

    coles professionnelles.572 Aucun des anciens mcaniciens de ville interrogs na oubli ses angoisses dalors ...573 Quelques-uns, qui ntaient pas fait pour ce mtier mais avaient t jugs valables pour latelier, y

    restrent comme ajusteur, mais les cas furent rares. Peut-tre peut-on voir l une raison damourpropre , o des offres plus lucratives demployeurs qui avaient, eux aussi, du mal trouver des ouvriers

    qualifis.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    31/206

    233

    dOccupation. Si une panne retenait le mcanicien au-del de lheure du couvre-feu, il

    navait gure dautre solution que de passer la nuit chez le client, moins quil ne

    saventure rentrer chez lui pied, en pleine nuit. Il lui fallait alors ruser pour chapper

    aux rondes des policiers franais et surtout aux patrouilles allemandes, avec le risque de

    se retrouver face face avec un Feldgrau, une mitraillette pointe sur le ventre574

    . En

    effet, ces garons ntaient gnralement pas munis des indispensables Ausweiss que la

    Compagnie ntait pas parvenue obtenir des Bureaux Allemands pour cette catgorie

    de travailleurs comme ltaient ceux de la C.E.C.575

    qui en taient tous pourvus.

    Pour les mcaniciens affects ou dtachs en province, les difficults taient plus

    grandes encore. La lenteur des communications avec lusine les laissait souvent

    dpourvus de pices de rechanges, de documents et dinformations jour. Mais le pire

    tait le cas de ceux qui taient envoys en Zone Interdite o se trouvait un des plus gros

    clients de la Compagnie rsidant en rgion Nord, les Houillres du Nord & du Pas-de-

    Calais, et la plupart des centres miniers quips de matriels Bull (les Mines dAniche,

    Lens, Marles, Auberchicourt etc...). L, en effet, les Autorits Allemandes taient

    vritablement toutes puissantes et ne se souciaient pas de respecter les apparences de la

    lgalit.

    La premire preuve tait le passage de la ligne de dmarcation, le plus souvent, l

    encore, sans Ausweiss, alors que le client appelait en urgence576

    . Aussi, les gars se

    transmettaient-ils consignes et tuyaux :

    Par exemple, en gare dAmiens :

    574Souvenir de Pierre Massy - Interview du 17 aot 1973 par Dominique Pagel.575

    Source : Les Chronique de la Cie IBM-France - J. VERNAY576 Le patron des Houillres tait en effet un client particulirement exigeant et impatient. Subissait-il des

    pressions allemandes ? Il est impossible de le dire.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    32/206

    234

    1 - tromper la surveillance des Feldgendarmes qui, heureusement, se

    conduisant parfois plus en gendarmes pied quen hros du Grand Reich , ne

    contrlaient pas systmatiquement tous les wagons de chaque train;

    2 - sauter contre-voie ;

    3 - monter dans le premier train venu, et refaire la mme manuvre

    jusquau moment o lon trouverait le train en partance pour Douai;

    4 - et surtout ne pas lcher la prcieuse et lourde valise doutils.

    Une fois arriv destination, il fallait se dbrouiller pour se loger, le client ny

    pourvoyant pas, puis, surtout, vivre dans la prudence, par exemple ne pas sortir le soir

    afin de ne pas risquer dtre pris dans une rafle et embarqu pour lAllemagne afin dy

    travailler dans les usines de guerre du Reich. Ce phnomne saccentua au fur et

    mesure que la guerre se fit plus longue et plus dure577

    . Si, chez les clients de Zone

    Interdite, latelier mcanographique, ces techniciens ne voyaient gnralement pas

    dAllemands en uniforme, on sentait bien que ctaient quand mme eux qui dtenaient

    le pouvoir. Le mieux tait donc de se faire discret , daccomplir son travail

    consciencieusement, dans les conversations dviter les sujets scabreux et, hors de chez

    le client, se montrer trs prudent.

    3. Mobilit du personnel

    Avant dtudier lvolution du personnel Bull pendant la Seconde Guerre Mondiale,

    nous avons jug utile den analyser la mobilit et dessayer de rpondre aux deux

    questions suivantes :

    577

    Des rafles nocturnes eurent mme lieu dans les htels ou chez les particuliers o logeaient certainsgarons dtachs en rgion Nord auxquelles ils nchapprent que par miracle - Tmoignage dun ancien

    metteur en route et dun ancien mcanicien de ville.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    33/206

    235

    3.1. Pourquoi dsirait-on entrer chez Bull

    Cette question, qui ne figure pas sur les fiches dembauche, si elle fut pose aux

    candidats, ne le fut certainement quoralement. Nous avons cependant souhait avoir

    des informations sur ce sujet : Nous nous sommes adresse aux personnes figurant sur

    la liste que nous avait fournie le Club des Anciens dans les annes 1988/1989.

    Les rponses furent gnralement les suivantes :

    - les candidats taient chmeurs et cherchaient un emploi ;- les plus jeunes recherchaient eux aussi un emploi mais souhaitaient, en plus,

    exercer un mtier intressant o ils avaient des chances davoir de lavenir ;

    - certains ne voulaient pas rester chez leur employeur actuel parce que leur entreprisetravaillait pour les Allemands ;

    - un nombre non ngligeable de candidats habitait le quartier ou une des communesde la banlieue avoisinante ;

    - dautres posaient leur candidature sur le conseil dun ami, dun parent ou dunvoisin ;

    - quelques-uns rares avaient rpondu une annonce parue dans la presse;- certains jeunes qui sortaient dune cole professionnelle avaient t conseills par

    leurs enseignants qui, parfois, en plus, les recommandaient ;

    - partir de lanne 1943, certains jeunes gens dont lge leur faisait craindre undpart pour lAllemagne suite une rquisition pour le STO, sont entrs la

    Compagnie quand ils surent quelle tait une usine protge (usine S ou

    Rstung )

    - quelques rares personnes, des jeunes en gnral, employs chez des clients Bullavaient vu fonctionner ces machines et avaient eu envie, den apprendre davantage

    sur ces nouveaux matriels, mais aussi de travailler leur utilisation et, sils en

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    34/206

    236

    taient capables, leur tude; ils dsiraient donc quitter leur employeur du moment

    pour entrer chez Bull, sils le pouvaient ;

    - parfois Bull recrutait elle-mme du personnel ; dans ce cas-l, le Service duPersonnel faisait apposer une affiche sur la grande porte dentre : On recherche

    suivi du ou des mtiers recherchs ;

    - enfin, il y avait des candidatures spontanes de personnes qui avaient entendu parlerde la Compagnie dans leur entourage

    3.2. Pourquoi quittait-on la Compagnie ?

    Malgr sa renomme et les conditions de travail qui taient gnralement apprcies de

    ses employs, la Compagnie Bull na pas conserv tous les gens quelle avait

    embauchs et pas toujours de sa propre volont. Elle fut parfois amene licencier

    certaines personnes, non par manque de travail dans lentreprise578

    , mais pour des

    raisons de comportement, ou dun travail dont leur hirarchie tait mcontente579

    . Il y

    eut aussi un nombre non ngligeable demploys qui quittrent volontairement la

    Compagnie.

    En ce qui concerne les dparts volontaires, souvent les motifs ne sont pas indiqus dans

    les dossiers individuels ou simplement remplacs par la mention DV . Les questions

    de salaire sont rarement voques mais peut-tre font-elles partie des dparts dont on ne

    nous indique que de lui-mme , ou de son plein gr sans autre commentaire.

    On trouve quelques dparts, mais trs peu, pour cause de surenchre allemande et

    des dparts (galement trs peu) pour aller volontairement travailler en Allemagne. On

    trouve galement un certain nombre demploys qui ont dcid de se mettre leur

    compte , dautres de partir pour la campagne. Selon lge du dmissionnaire et

    578 Quand, en 1944, la Compagnie fit affecter un certain nombre de ses employs dans dautres

    entreprises, ce ne fut pas pour cause de baisse des commandes mais par suite du manque dlectricit.579 Faute morale , par exemple, mais la nature de la faute nest pas mentionne, vols (rares), absences

    injustifies, incorrection envers un suprieur, etc

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    35/206

    237

    lpoque o se produisit le dpart, on peut se demander sil sagissait de raisons de

    ravitaillement que lon trouvait plus facilement en province, o dentre discrte dans

    un maquis (une seule fiche porte la mention maquis ), mais il se peut que dans

    certains cas o seule est porte la mention dpart volontaire (ou DV ), la raison

    relle ait pu tre dite verbalement la hirarchie sans pour autant tre indique au

    dossier.

    Dans de nombreux autres cas, les motifs figurent sur la fiche dembauche ct de la

    date de dpart. Il sagit essentiellement des raisons suivantes :

    - motif familial (maternit, retour du mari prisonnier, .)- dcs : on trouve un certain nombre de morts naturelles (pour cause de maladie,

    entre autres) ; quant aux autres : victimes de la guerre, morts pour la France, morts

    en Allemagne, fusill etc leur cas sera voqu en dtails dans un chapitre

    ultrieur.

    En ce qui concerne les licenciements, il est deux cas que lon ne peut pas assimiler une

    sanction, il sagit :

    1) des lves mcaniciens de ville qui ont chou leurs tests de stages

    2) dun certain nombre de perforatrices et dlves oprateurs que la Compagnie

    plaait chez des clients pour lesquels elle les avait forms.

    4. Rmunrations pendant la priode de la Guerre et de loccupation

    Lors de la dclaration de guerre, le Gouvernement a mobilis prs de six millions

    dhommes. Ne restrent que ceux qui taient trop gs, trop jeunes, handicaps ou

    exempts pour des raisons diverses et qui ne pouvaient pas tre mobiliss. Toutes les

    entreprises furent touches. Celles pour qui ce fut le plus prjudiciable furent les

    entreprises industrielles et essentiellement celles qui travaillaient pour la dfense

    nationale. Ce fut le cas de la Cie Bull., heureusement, ainsi que nous lavons expliqu

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    36/206

    238

    en dtails dans un chapitre prcdent, Joseph Callies et Georges Vieillard avaient

    effectu les dmarches ncessaires pour conserver lusine, en affectation spciale, un

    certain nombre douvriers qualifis. Malgr cela, la mobilisation cra des vides dans un

    presque tous les services, surtout la production. La Compagnie essaya de trouver

    lextrieur des professionnels de remplacement, mais cela tait quasiment impossible,

    toutes les entreprises industrielles se les arrachant, quitte offrir des salaires plus

    levs.

    La Compagnie fut donc contrainte dembaucher des ouvriers dun niveau infrieur

    celui de ses travailleurs qui avaient t appels sous les drapeaux. Pour que les services

    tournent quand mme correctement, elle dut, par voie de consquences, faire revoir

    lorganisation des travaux et, le cas chant, les professionnels les plus anciens et les

    plus qualifis formrent les meilleurs des OS.2 pour quils puissent accomplir des

    travaux dont ils navaient pas lhabitude. Une partie non ngligeable dentre eux

    sadapta dailleurs trs bien ces changements. Il en fut de mme pour les OS.1 qui

    durent effectuer des travaux confis auparavant des OS.2.

    La socit embaucha galement des femmes, en priorit les pouses de ses employs

    mobiliss580

    (comme elle le fera plus tard lors des oprations de Relve et du STO)581

    .

    Certaines dentre elles taient jusqu ce moment-l toujours restes des femmes au

    foyer. Il fallut donc tout leur apprendre. Dautres sadaptrent trs bien et, mme

    quelques-unes dentre elles restrent chez Bull jusqu leur retraite. Il faut signaler que,

    pour un mme travail, elles taient moins bien payes que les hommes.

    La Compagnie ne faisait dailleurs en cela que suivre les instructions du Gouvernement

    quant au travail fminin, son recrutement et lacclration de sa formation.

    580 Un exemplaire est joint un chapitre prcdent.581 Les couturires taient trs apprcies

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    37/206

    239

    En effet, comme on le voit relat dans une circulaire du GIMM582

    , en ce qui concerne

    les salaires fminins, il y a lieu de prvoir [} par rapport aux appointements

    masculins, lcart consacr par la pratique; le principe tant valable pour tous les

    mtiers pouvant tre excuts par des hommes ou par des femmes. . La circulaire du

    GIMM date de dbut 1940, mais la pratique tait courante bien des annes avant.

    En dployant le maximum defforts dans tous les domaines, la Direction de Bull, et son

    personnel, ont russi faire marcher correctement lentreprise et lui permettre de

    rpondre aux nombreuses commandes quelle na cess de recevoir pendant toute la

    priode.

    Pour procder lanalyse que nous avons entreprise, nous avons constitu un tableau o

    nous avons not, par profession tous les salaires dembauche que nous avons relevs

    dans les dossiers individuels correspondant aux dix annes de la priode tudie.

    Avant de commencer cette analyse, il est indispensable de prendre en compte la

    dcision du Gouvernement de bloquer les salaires compter du 1er

    septembre 1939,

    ainsi que lexpose le texte du Dcret du 1er

    novembre 1939, dont vous trouverez ci-

    dessous des extraits des articles qui concernent le plus cette partie de notre tude.

    Titre : Dcret relatif au rgime du travail pendant la dure des hostilits

    1) Les conventions collectives, ainsi que lnonait dj un prcdent dcret-loi du

    20 octobre 1937 , demeurent en vigueur pendant la dure des hostilits sans terme ni

    dnonciation, pour toutes leurs dispositions qui ne sont pas contraires aux lois et

    rglements en vigueur.

    2) Les modifications des conventions collectives suivent des rgles diffrentes suivant

    quil sagit du secteur dit, secteur libre (entreprises ne travaillant pas pour la dfense

    nationale) ou quil sagit du secteur des entreprises travaillant pour la dfense nationale.

    582 Circulaire n 59.544 du 4 mars 1940)

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    38/206

    240

    3) Pour la premire catgorie, celle des industries et entreprises ne travaillant pas pour

    la dfense nationale, la rvision des conventions collectives demeure possible [] . Le

    Ministre du travail doit donner son agrment toute modification des conditions de

    travail. Le Ministre du Travail a, en outre, le droit de dterminer les salaires applicables

    dans une profession et une rgion dtermines ;

    4) Pour les entreprises travaillant pour la dfense nationale, le Gouvernement entend

    user pleinement des droits que lui confre la loi du 11 juillet 1938. De mme quil est

    utile, dans le secteur libre, de supprimer du march du travail les salaires anormalement

    bas qui sont une source de trouble social, de mme il faut que le Gouvernement ne livre

    pas les salaires apprcis et levs des fabrications de guerre au seul jeu des accords

    intervenir entre patrons et ouvriers ; le Gouvernement doit rester matre des salaires qui

    influent tellement sur lconomie nationale et le cot de la guerre. Il a t dcid que les

    salaires et dune faon gnrale, les conditions de travail seraient stabilises la date du

    1er

    septembre 1939.583

    La notion de salaires maxima, en gnral absente des

    conventions collectives, vient sinsrer utilement dans le rgime des salaires. Bien plus,

    la pousse des salaires dune mme catgorie de travailleurs vers les maxima sera

    corrige en fonction des salaires moyens dans chaque entreprise.

    Daprs les souvenirs de Jean-Louis Crmieux-Brilhac584

    , si un ouvrier quittait son

    employeur pour aller travailler chez un autre qui lui offrait un salaire plus lev, cest ce

    nouveau salaire qui tait bloqu. Cest, dune part ce qui explique quau cours des

    annes on trouve des salaires dembauche de plus en plus levs, et peut-tre ce qui se

    cache sous la mention DV (Dpart Volontaire) lorsquelle nest accompagne

    daucun commentaire.

    583 Certaines drogations taient nanmoins prvues pour des cas particuliers.584 Lettre lauteur du 22 fvrier 2006.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    39/206

    241

    5. Evolution du pouvoir dachat

    Dans les tableaux en annexe, nous avons choisi cinq catgories pour lesquelles nous

    soulignons les taux de dflation afin de comparer le pouvoir dachat des travailleurs en

    dbut et en fin de priode.

    Ces quelques exemples nous permettent de constater limportance de la diminution de

    pouvoir dachat pour toutes les catgories de personnel.

    Les tableaux en annexe indiquent :

    1) Tableau deffectifs par catgories.

    2) Tableaux des salaires lembauche en francs courants

    3) Tableau des exemples de diminution du pouvoir dachat en francs constants .

    6. Evolution de lorganisation de lusine Gambetta

    A Paris, la croissance de lactivit saccompagna dune certaine modernisation de

    lorganisation de lusine. Outre la cration de lEcole des Mcaniciens de Ville, lanne

    1941 vit galement celle de la Salle dEssais . Il ne sagissait pas, comme son nom

    pourrait le laisser croire, dune unit destine aux tests des matriels, mais dun petit

    service o, sur des machines prtes tre livres, taient essays les travaux spcifiques

    des clients. L, travaillaient quelques techniciens, des opratrices, et des perforatrices,

    en tout une quinzaine de personnes. Ce service permettait de sassurer, avant la mise en

    route des machines chez le client, du droulement correct des travaux programms. On

    y effectuait galement des travaux faon , soit pour des entreprises encore trop peu

    importantes pour squiper en machines cartes perfores mais souhaitant bnficier de

    leurs avantages, soit en cas de panne prolonge ou dun surcrot momentan de travail

    chez un client, pour assurer la sortie en temps voulu des travaux interrompus ou

    retards585

    .

    585 Ce sont ces travaux qui, entre autres, apparatront, dans le Chiffre dAffaires, sous la rubrique

    Travaux Divers

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    40/206

    242

    Les machines, quant elles, taient encore, cette poque, testes latelier de

    montage, par une quipe de contrleurs particulirement expriments qui connaissaient

    fond toutes les machines construites la Compagnie.

    Les autres services de la Compagnie eux aussi, connurent une certaine volution. Ce fut

    alors que, dans les ateliers, apparurent les premiers chronomtreurs, certains ayant dj

    fait leurs preuves dans de grosses usines comme Citron ou Renault et au courant des

    nouveaux principes de normalisation des tches, comme le systme Bedeaux 586

    .

    Latelier de traitement thermique se modernisa son tour. Quant aux bureaux dtudes,

    et aux services administratifs, eux aussi stoffaient bien que dans une moindre mesure

    que les ateliers et le Service Entretien Ville .

    7. Les tudes et la production

    7.1.Etudes & Brevets

    Pendant cette phase dadaptation-contrainte , pour reprendre lexpression de Franois

    Marcot587

    , le Service des Prototypes, dont le chef de service, qui, en temps normal

    dpendait de M. Maurice, comme le Bureau dEtudes et le Bureau de Dessin avaient,

    depuis lautomne 1940, retrouv un rythme de travail peu prs normal. En labsence

    de Franklin Maurice qui, demeur en Zone Libre, dirigeait et surveillait le dmarrage du

    bureau commercial et de lusine de Lyon - ils se retrouvrent nouveau placs sous la

    responsabilit de M. Knutsen, en plus du Service des Brevets, fief personnel de K.A.

    Knutsen, o on ne chmait pas non plus

    Bien que li au service des Prototypes, au Bureau dEtudes et au Bureau de Dessin, le

    Service des Brevets constituait une unit part. En effet, tous les perfectionnements, les

    586 Le systme Bedeaux fut-il vritablement institutionnalis dans les ateliers, cela nest pas sr, les

    tmoignages des Anciens ne faisant tat que du chronomtrage des temps et des astuces quils dployaient

    pour ruser avec les temps allous.587

    Colloque LOccupation, lEtat franais et les entreprises - Besanon, 24-26 mars 1999 -Communication de Franois Marcot : Quest-ce quun patron rsistant ? - Actes paratre

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    41/206

    243

    dispositifs et mme les inventions nouvelles ntaient pas brevetables. Pour sen assurer,

    des recherches complmentaires taient ncessaires, elles taient excutes par des

    ingnieurs spcialiss du Service des Brevets. De plus, il fallait tenir compte de rgles

    juridiques dont seuls les ingnieurs de brevets taient spcialistes. Cest pourquoi nous

    avons consacr ce Service, un chapitre particulier.

    7.2 Extension de la gamme de matriels

    Les annes 1941 et 1942 virent la sortie dun certain nombre de matriels nouveaux ou,

    pour ceux que Bull avait dj son catalogue, de modles plus performants. Les

    modifications apportes taient parfois si nombreuses et si importantes que lon

    pourrait, bon droit, parler de machines nouvelles. Bull mit ainsi sur le march, parmi

    les matriels qui ont le plus marqu la priode :

    - un nouveau modle de Trieuse, la E.12 ;- et surtout la Tabulatrice BS cycles indpendants 588, dont on peut dire, sans

    risque dexagration, quelle fut essentiellement loeuvre de Roger Clouet.

    Cette machine, une des plus belles russites de la Compagnie, dpassait en souplesse, en

    capacit et en rapidit, tous les modles concurrents589

    . Traiter 150 cartes et imprimer

    en liste 150 lignes la minute, cela ne stait encore jamais vu ! Effectuant les

    additions et les soustractions aussi bien verticalement quhorizontalement elle fut la

    premire pouvoir calculer les intrts par la mthode des chelles 590

    - do son

    succs auprs des banques - la BS avait une soeur jumelle, la BT, qui, elle, ne faisait

    que des additions (T = Totalisation) et qui fut moins demande. Si la Tabulatrice BS

    sortit effectivement en prototype au cours de lanne 1941, ce nest toutefois quen 1942

    588 CIHB - Brochure promotionnelle 1942 : Les cycles indpendants [donnent] loprateur la

    possibilit de rgler, pour chaque travail la succession et la spcialisation des cycles, gros progrs par

    rapport aux machines des Srie T ou S et celles de la concurrence. 589 Supriorit que limprimante Bull conservera pendant dix-huit ans.590 CIHB - Dossier Blanc : Produits Bull - Chronologie

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    42/206

    244

    que fut livr en clientle le premier exemplaire, lheureux bnficiaire en tant le Crdit

    Lyonnais.

    Pendant cette priode 1941 1942 la gamme Bull des matriels classiques tait donc

    peu prs complte. Seules les performances, celles de la BS notamment, taient encore

    en voie damliorations supplmentaires.

    Curieusement, ce nest pas un document Bull qui nous a permis de savoir quelles taient

    alors les performances des machines Bull, mais une confrence faite le 8 fvrier 1950

    par un ancien compagnon du Contrleur Carmille, M. Andr Caffot591

    , au cours de

    laquelle celui-ci relata de faon particulirement dtaille le fonctionnement du Service

    de la Dmographie, allant mme jusqu indiquer, outre la liste des machines utilises,

    le rendement de chacune delles, savoir :

    - Perforatrice (autre appellation de la Poinonneuse) : Une bonne opratrice peut[effectuer] 8.000 perforations lheure [soit, 100 cartes]

    - Vrificatrice 10.000 perforations lheure (125 cartes/minute);- Traductrice 4.000 cartes lheures (environ 70 cartes/minute),- Reproductrice 6.000 cartes lheure (100 cartes/minute),- Trieuse 24.000 cartes lheure, en moyenne (400 cartes/minute)- Interclasseuse 15.000 cartes lheure (150 cartes/minute)- Tabulatrice 9.000 cartes lheure (150 cartes/minute);

    (il devait donc sagir dune BS)

    - Calculatrice 1.000 cartes lheure (soit environ 160 cartes/minute)

    591 Archives prives (document remis lauteur par M. Michel-Louis Lvy - INED)

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    43/206

    245

    8. Activit commerciale intrieure

    Tenter dtablir une liste, sinon complte du moins proche de la ralit, des clients Bull

    pour lanne 1941, est une tche impossible, les documents commerciaux ou technico-

    commerciaux faisant par trop dfaut, et cest pire encore pour 1942 ... Toutefois,

    quelques pices darchives, dont lessentielle est une liste de clients de la rgion

    parisienne manant du Service Entretien Ville , plus quelques documents pars :

    dossiers de correspondance, marchs dEtat, etc... permettent une certaine approche de

    la clientle Bull telle quelle stait reconstitue - et accrue - aprs les bouleversements

    conscutifs la dfaite, lexode, loccupation du pays, son clatement en plusieurs

    zones et la mise en place des lignes de dmarcation correspondantes, certaines

    fermetures dentreprises, etc...

    A partir de ces documents on peut identifier, approximativement :

    - 73 clients srs (attests par des documents);- un peu plus de 15 clients probables (figurant sur des listes de rfrences et autres

    papiers de 1940 et qui se retrouvent sur dautres des annes suivantes, notamment

    sur une liste relativement complte date de lanne 1943592

    ).

    Quant aux clients prsents sur les documents des annes 1939 et/ou 1940, mais dont on

    ne retrouve plus trace par la suite - du moins jusqu lanne 1945 incluse (soit environ

    une quarantaine de clients), combien dentre eux avaient conserv leur atelier

    mcanographique et taient galement demeurs fidles Bull ? Il est impossible de

    le dterminer. Un certain nombre sans doute si lon regarde la croissance du chiffre

    daffaires par rapport 1940 :

    - - Ventes + 40 %;

    592 CIHB - Dossier Clients - Dpenses dentretien pour lanne 1943.

  • 8/2/2019 Thse Bull - Universite Paris x Tome 2

    44/206

    246

    - - Locations + 60 % (soit presque le triple de celle de 1939)593.Il est vrai que les marchs signs avec le Contrleur Carmille pour le Service de la

    Dmographie puis le S.N.S., pour un montant global de 36 millions de francs - mme si

    cette somme tait payable sur quatre ans sont intervenus pour une bonne part dans

    cette hausse des recettes. A cela, il faut ajouter les 5,49 millions de francs provenant des

    commandes allemandes594

    . En ce qui concerne le nombre des clients, le chiffre identifi

    est de 88 (chiffre incontestablement infrieur la ralit, mais dans quelle proportion ?)

    contre 84 (chiffre galement approximatif, car le dossier blanc indique pour la

    priode prcdant la guerre un nombre total dquipements installs de 89) pour

    lexercice 1939, une estimation, en nombre de clients et/ou dquipements installs est

    donc impossible. En outre, quand on parle de parc clientle , il est extrmement

    difficile, sinon impossible, de savoir sil sagit du nombre des clients (raison sociale),

    celui des sites , ou celui des quipements, certains gros clients ayant en effet la fois

    plusieurs quipements rpartis sur un seul ou plusieurs sites ou mme plusieurs ateliers

    quips par des constructeurs concurrents.

    Ceci dit, en dpit des difficults de la priode, on constate, pour lexercice 1941 - le

    premier qui, depuis la dclaration de guerre, nait pas t boulevers par des vnements

    extrieurs595

    , une nette progression de limplantation de Bull sur le ma