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LE PREMIER DIMANCHE DE L'AVENT En ce début d'année liturgique, je nous souhaite le risque, le défi, la désinstallation. Il y a une rumeur - je dis bien une rumeur - qui court selon laquelle le récit de la création aurait été arrangé pour mieux faire paraître l'homme et la femme ! Justement, semble-t-il, les chaises auraient existé bien longtemps avant l'homme et la femme, elles auraient été parmi les premières créatures ! Imaginez, un instant, les chaises seules sans notre présence. Elles s'ennuyaient - c'était "plate à mort" - Elles avaient froid, elles manquaient de tendresse. C'est alors que l'une d'entre elles se mit à rêver. Elle s'appelait chaise berçante. Et elle rêva si fort qu'elle dit tout haut. "Faisons l'homme et la femme à notre ressemblance". L'homme et la femme ont été créés par la chaise, alors pourquoi être surpris qu'ils n'aient de plus grand rêve que celui de s'installer... Et si jamais ils se mettent à courir, c'est toujours pour s'installer comme au jeu de la chaise musicale. L'homme et la femme s'installent dans leur profession, dans le mariage, dans leur

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LE PREMIER DIMANCHE DE L'AVENT

En ce début d'année liturgique, je nous souhaite le risque, le défi, la désinstallation. Il y a une rumeur - je dis bien une rumeur - qui court selon laquelle le récit de la création aurait été arrangé pour mieux faire paraître l'homme et la femme ! Justement, semble-t-il, les chaises auraient existé bien longtemps avant l'homme et la femme, elles auraient été parmi les premières créatures ! Imaginez, un instant, les chaises seules sans notre présence. Elles s'ennuyaient - c'était "plate à mort" - Elles avaient froid, elles manquaient de tendresse. C'est alors que l'une d'entre elles se mit à rêver. Elle s'appelait chaise berçante. Et elle rêva si fort qu'elle dit tout haut. "Faisons l'homme et la femme à notre ressemblance". L'homme et la femme ont été créés par la chaise, alors pourquoi être surpris qu'ils n'aient de plus grand rêve que celui de s'installer... Et si jamais ils se mettent à courir, c'est toujours pour s'installer comme au jeu de la chaise musicale. L'homme et la femme s'installent dans leur profession, dans le mariage, dans leur maison, dans leurs idées. Au fond ils s'installent pour être indépendants, ce qui est bien différent d'être libres. Et à partir de ce jour, ils se sont mis à consommer, car la consommation c'est la nourriture de l'homme et de la femme installés. Seul le rêve, le désir, l'émerveillement, l'amour peuvent mettre en marche car il n'y a d'amour que renouvelé. D'ailleurs les frontières de la liberté se confondent avec celles de l'amour : la liberté n'est pas

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autre chose, elle est chemin qui ouvre l'avenir, elle est toujours remise en question. Si nous nous laissons remettre en question, c'est la preuve que la liberté est importante pour nous et que nous admettons que nous n'avons pas toujours raison et que nous n'avons jamais raison tout seuls. Il n'y a pas de liberté solitaire, il n'y a de liberté que solidaire. Je nous souhaite pour l'année liturgique qui commence le risque, le défi, la désinstallation, la liberté et l'amour. Normand Barré

L'AVENT, CEST TOUJOURS LE PREMIER MATIN

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Il est minuit, sur notre terre des hommes, minuit dans l'ordre social... dans l'ordre politique... dans l'ordre de l'éducation... dans l'ordre psychologique... dans l'ordre moral... minuit s'appelle aussi : chômage, constitution, décrochage, stress, dépression, libertinage... Minuit, c'est l'heure où l'homme ne se rappelle plus que du onzième commandement. "Laisse-toi pas avoir". Minuit, c'est l'heure où l'homme a soufflé l'espérance. Et selon la morale de minuit, le péché cardinal, c'est d'être pris, et la vertu cardinale c'est d'échapper. Il est minuit, mais tu n'entends donc pas ? Quelqu'un frappe à ta porte... Il est vrai que tu t'es habitué à l'absence, comment pourrais-tu entendre ? Tu parles si souvent d'absence de Dieu. C'est devenu une mode - une mode, c'est comme un courant d'air, et puisque tu es si fragile, tu attrapes tous les courants d'air. Mais justement ne te faudrait-il pas plutôt parler d'absence de l'homme et d'absence de toi-même ? Dieu n'est pas absent : "Et la lumière luit dans la nuit"... mais toi, où te caches-tu ? Au fond de quel bureau ? Au fond de quelle bouche de métro ? Il est minuit... Le monde vient juste de commencer... C'est le premier matin. C'est toujours le premier matin. C'est toujours l'Avent, c'est toujours Noël, car Dieu fait toujours partie de cette marche mise en branle-bas à cause d'un édit de recensement ordonné par César-Auguste. Et ce cortège de déplacés, de déracinés, d'immigrés par bateau, de 33% de chômeurs et d'assistés sociaux québécois, de va-nu-pieds compte toujours un déraciné de plus dans la procession. Le pouvoir a désormais un esclave

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supplémentaire et celui-là s'appelle Dieu. Mais les esclaves du pouvoir deviennent les frères de Dieu - c'est leur espérance. Le pouvoir continue à se faire honorer comme un Dieu mais il craque de partout, en Amérique, en Europe, en Angleterre, car l'Angleterre c'est pas tout à fait l'Europe, et en Afrique et en Asie. Et depuis ce premier matin, Dieu, sur la pointe des pieds, humblement, pauvrement, parcourt toutes les routes humaines. Et alors que les hommes remettent le monde aux mains des technocrates, Dieu confie le monde à un enfant. Dieu est né enfant, il est sans défense, il est livré - je dis bien "il est livré" et non pas il se laisse faire, il se laisse tondre, il est tranquille, il est bon garçon : il y en aura toujours qui comprennent à l'envers - il ne s'est pas déguisé. Dieu se fait enfant, car il veut être deviné, et ce n'est pas la présence d'un enfant qui va gêner les marchandages des grandes personnes - demande à Hérode ! Dieu n'impose jamais. Dieu se fait discret. Et on ne triche pas avec un enfant, car chaque fois qu'un enfant est aimé, on peut que renaître à soi-même et redevenir responsable de l'amour. Tout désormais est neuf - et tout est à recommencer. La liberté n'est plus dans les idées, elle est au coeur de ton propre coeur. Je souhaite que toi et moi ensemble nous soyons les premiers chrétiens de ce monde nouveau, de ce monde où tu deviens responsable de mon amour et où je deviens responsable de ton amour. Nous pourrons alors inventer ensemble des communautés si neuves et si fortes que chacune deviendra une Église vivante et

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heureuse, une Église debout, et les Saints au premier rang, non pas une Église qui emploie tout son temps à définir et à définir le chrétien en vue de rassurer César et de retarder le plus possible l'heure des explications décisives, mais une Église qui perce les apparences pour faire éclater la vie et nous introduire dans la plaine libre des béatitudes. C'est ça, l'Avent, Dieu avec nous, c'est un temps de solidarité plus que de pénitence. L'Avent, c'est cet espace qui n'est pas plein de solutions toutes faites, mais qui te permet d'être en état de les inventer - c'est donc le temps de la fête, et la fête c'est tout le temps de la préparation, car la fête commence déjà quand on la prépare - elle déborde le jour N, elle déborde Noël. L'Avent et Noël, c'est cet événement qui vient briser tous ces événements qui te surveillent comme les barreaux d'une prison, cet événement qui a nom : Jésus de Nazareth. Normand Barré

MAIS, IL Y A UN MAIS...

Mais, il y a un mais...

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Il y a quelques années, un journaliste québécois passe vingt-quatre heures chez Jean Vanier. Il écrit: "J'ai su rester froid, distant, sur mes gardes. J'avais compris que si je me mettais à parler aux handicapés et à les écouter j'étais fait comme un rat. Jean Vanier est, lui aussi, dangereux par son exemple, sa foi, sa joie, son sourire. Il remet tout en question. Je n'oublierai jamais cet instant pendant qu'il me parle. Alors je me raccroche à mon billet de train que je tâte dans la poche de mon veston. Demain je rentrerai à Paris, je retrouverai des amis, nous irons dans les bars. Je serai hors de danger, la bonne vieille vie me reprendra... mais je ne serai jamais plus à l'abri de ces tendres envahisseurs de l'Arche de Jean Vanier."

En relisant l'évangile d'aujourd'hui, je me disais: "Le monde n'a pas tellement changé, le coeur de l'homme est toujours aussi replié sur lui-même. Le monde de l'an 28-29 de notre ère semble apparemment en ordre. Tous les grands personnages politiques et religieux sont à leur poste, accrochés à leur pouvoir et à leurs intérêts - Tibère, Ponce-Pilate, Hérode, Philippe, Anne et Caïphe. Mais ils sont isolés dans leur palais comme notre journaliste dans son bar, à l'abri des cris des mal foutus. Un monde en équilibre grâce à plein de compromissions et en même temps troué d'injustices. Pas de place pour la femme. Les hommes occupent tout l'espace. Le pouvoir se concentre entre les mains de quelques privilégiés, le petit peuple, lui, est écrasé comme du bétail. Les intérêts économiques et politiques seuls comptent. On ne vit que pour exercer le pouvoir, non pour bâtir ensemble un projet de société. Un monde imperméable. Le monde de toujours et d'aujourd'hui. Ça n'a pas tellement changé, sauf qu'on va un peu plus loin et qu'on administre le monde de la santé, de l'éducation, du municipal à la manière des grandes entreprises comme Ford ou General Motors. On est en train de souffler ce qu'il restait de dimension humaine.

Mais, il y a un mais... La Parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, fils de Zacharie. Aujourd'hui elle est adressée dans l'Arche à Jean Vanier et à chacune et chacun d'entre nous

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dans notre quotidien. Dans le désert, pas dans les cocktails, pas dans les vernissages, pas dans les bals, pas dans les capitales, pas dans les officines du pouvoir, pas au grand monde. Dans le désert, dans le silence, là où on croit que tout commence toujours, que tout peut devenir possible. Dans ce monde où on étouffe, il y a toujours une espérance de salut offerte. Elle vient d'un homme qui n'est pas comme les autres. Il n'a pas été récupéré par le pouvoir, il est comme une fleur du désert, un trouble-fête du pouvoir, il met du sable dans l'engrenage et il nous révèle que le monde est comme un grand chantier à faire, non un pouvoir à exercer. Un chantier qui commence chez-moi, puis par l'accueil que je fais des petits. Jean parcourt le pays, il fait du porte à porte, du coeur à coeur, il casse les murs, il crée un monde de fraternité. Jean Vanier est de la même trempe.

Un jour, une dame parcourait les rues de sa ville quand soudain une petite voix la tira de sa flânerie: "S'il vous plaît, Madame." Une petite grand-mère avec son sac sous le bras, me regardant de son regard vif et inquiet me dit: "Madame, pourriez-vous me dire si je suis bien coiffée?" Je fus étonnée, surprise par cette question qu'on me posait pour la première fois. Et de nouveau, comme pour être rassurée sans doute, la grand-maman redit: "Dites-moi, suis-je vraiment bien coiffée vous comprenez, je suis partie ce matin de chez moi et je dois aller chez le notaire, c'est important". Comme je l'écoute avec attention, elle commence à raconter sa vie. Elle avait un locataire depuis près de cinquante ans et voilà qu'il est parti soudain. Pour elle, c'est un événement essentiel, et seul son notaire va pouvoir l'aider à régler cette affaire. Il faut qu'elle soit bien coiffé pour ce rendez-vous. Rassurée, ayant pu ouvrir son coeur, un court instant, elle repart discrètement dans la foule anonyme. Quelqu'un a écouté battre son coeur, l'a accueillie comme unique, a cueilli son inquiétude comme une parole que Dieu lui adressait.

Et voilà, cette confidence me revient aujourd'hui, à moi aussi comme une Parole de Dieu, comme la Parole que Dieu adressait à Jean le Baptiste dans le désert, comme la Parole que Dieu

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adressait à cette grand-maman par cette femme qui avait tout simplement aplani la route qui la conduisait chez son notaire, ce jour-là. La Parole de Dieu m'est toujours adressée et elle me vient à travers les cris de ceux et celles qui attendent d'être écoutés, qui ont besoin d'être écoutés comme cette vieille grand-maman. Est-ce que je sais encore accueillir cette Parole? La cueillir? Il faut me déplier, aplanir la route, combler les ravins... Tout est toujours possible. Mais, il y a un mais... Si tu veux... si je veux...

LE MONDE AUX MAINS D'UN ENFANT

Alors que les hommes remettent le monde aux mains de technocrates, Dieu confie le monde à un enfant. Dieu, lui, nous

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propose un petit enfant - l'avenir, le commencement, la naissance, la nouveauté, le changement, le défi, la désinstallation. Et l'amour peut être à nouveau réinventé.

Hommes, femmes, enfants, mes bien-aimés, cessez d'emplâtrer Joseph et Marie et d'enduire Jésus de cire. La Parole est vivante : «Elle accoucha de son fils Premier-né, l'emmaillota et le déposa clans une mangeoire. Aujourd'hui, Jésus n'aurait peut-être pas le temps d'être emmailloté, et il naîtrait sur un bateau de réfugiés de la mer en bordure des côtes du Vietnam et du Cambodge, ou dans les prisons politiques des dictateurs de l'Amérique du Sud ou de Haïti, ou dans un taudis de Montréal ou de St-Jean - pourquoi pas ? - ou quelque part sur la route entre le domicile du papa et celui de la maman, ou...

Ton Jésus de plâtre bien fardé est un faux.

Ouvre ton journal, tu y trouveras presque chaque matin des photos ressemblantes à l'enfant né au carrefour des routes dans une étable trouée aux quatre vents.

MON PLUS BEAU NOËL S'APPELLEMARTIN... VALÉRIE...

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Nous avons fait de Noël la fête des petits bonheurs tranquilles, la fête où tout le monde, il est beau, la fête où tout le monde se fait les plus beaux cadeaux, ma chère! Malheur aux pauvres. Le mensonge organisé. L'hypocrisie. J'ai de moins en moins de goût pour ce monde du marché, des aménagements, du bonheur factice. Non pas que je sois étranger au Noël des familles. Je souhaite à tout enfant de connaître, un jour, cette chaleur d'un vrai Noël familial et puis... de la quitter. Parce que le monde est dur, on en a tous besoin, dans sa vie, de cette chaleur qui vous traverse le corps.

Mais il faut quitter ces rivages si nous voulons être fidèles au message de l'Évangile qui est d'une clarté étonnante. A peine né, voici Jésus sur route de l'exil! Cet enfant sur un âne qui va vers l'Égypte, quoi de plus marginal ; C'est l'étranger que l'enfant visite d'abord, c'est l'étranger qu'il appelle à devenir son prochain et le nôtre. Dès sa naissance, Jésus casse les frontières qui barricadent, qui séparent, qui excluent, qui marginalisent, comme plus tard il fera signe aux exclus, aux mécréants, aux perclus du corps et de l'esprit, du coeur et de l'âme, aux marginaux de tous les systèmes. Les bergers, ces méprisés, les mages, ces étrangers, ceux qui sont nés avec une sale gueule, ou avec un morceau de trottoir dans leur berceau, ou avec une bouteille de bière sous leur oreiller, ou avec...

Ce qui me gêne, ce qui me scandalise, c'est que cette vérité-là ne soit pas dite, qu'elle soit camouflée par nos Églises sous des propos fades. Mon plus beau Noël ne veut pas être prisonnier de ce 25 décembre mis en pantoufles dans nos calendriers - comme si Dieu devait se plier à nos rendez-vous organisés depuis longtemps par le commerce et la publicité.

Noël sera-t-il rien d'autre encore cette année que le douzième coup de minuit qui me presse et qui vous presse autour des montagnes de cadeaux entassés sous l'arbre de Noël et des assiettes bien remplies de coquilles d'huîtres, de dindes et de foie gras dont les restes abondants se retrouveront aux ordures avec

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les arbres de Noël déplumés qui rangeront leurs cadavres au bord du trottoir. Noël, aujourd'hui, n'est plus une surprise : c'est que depuis deux mille ans on a eu le temps de l'organiser et de s'organiser. Noël, cette fête de la surprise de Dieu, où est-elle passée ? Un petit tas de langes et l'obscurité d'une : voilà ce qu'ont vu les bergers. Du corps minuscule de Jésus, ils n'ont vu qu'un morceau de langes : ni ses yeux qui contempleront la face de Dieu et porteront sur les hommes ces longs regards de tendresse, ni ses mains qui béniront et guériront. Rien, sauf ce linge qui l'enroule.

Notre Dieu, cet enfant-là quelle surprise!

Et aujourd'hui, où le trouveras-tu, où le trouverai-je Jésus ? Peut-être portera-t-il un vieux manteau sans forme et trop court ? Peut-être aura-t-il l'air ridicule ? Peut-être boitera-t-il, viendra-t-il seul. Peut-être sortira-t-il de prison ou d'hôpital ? Aura-t-il encore un visage humain ? Peut-être portera-t-il sur sa peau les brûlures lépreuses du chômage ? Peut-être sera-t-il, non pas dans la crèche de l'église, mais dans les derniers bancs de l'assistance ? Peut-être sera-t-il ton voisin de palier ou l'un des tiens ? Peut-être aura-t-il cinquante ans ? Tu attendras un petit bonhomme, et peut-être sera-t-il une petite fille ou une fille de service ou une fille mère ?

Mon plus beau Noël sera toujours pour moi le prochain... le prochain qui s'appelle Martin... Valérie... Le christianisme, c'est la religion non pas des images, mais des visages, non pas des statues, mais des personnes, non pas des dogmes, mais de la vie. Je crois à des personnes, à Jésus né de Marie, mort sur une croix, ressuscité et vivant... comme lui-même a cru à Nicodème, à la samaritaine, à Marie-Madeleine, à Marthe, à Marie, à toi et à moi.

Mon plus beau Noël sera le prochain - et Noël c'est tous les jours. Mon plus beau Noël a nom «Martin»... « Valérie»...

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Que ton plus beau Noël soit aussi pour toi le prochain qui a nom...

NOËL... LA GRANDE VIE

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Le décompte des jours qui nous séparent de Noël est déjà commencé depuis septembre. Mais au juste, de quel Noël nous parle-t-on ?

Les commerçants ont transformé Noël en une marchandise attrayante et, pour mieux le vendre, ils ont pris depuis longtemps le Père Noël en otage. Ils ont même fait la multiplication des Pères Noël. Et dans leur publicité, ils ont réussi à rendre plein de gens coupables s'ils ne font pas le plus beau des cadeaux.

Mais à vrai dire, c'est quoi Noël ? Je pense l'avoir mieux compris à partir de la conversation d'un motard avec Guy Gilbert, leur aumônier à Paris. « Qu'est-ce que c'est que ce bébé entouré de bergers et de moutons que vous adorez?», de dire le motard. Guy Gilbert a essayé de lui expliquer du mieux qu'il pouvait et il précisa que cet enfant était pour lui le Fils de Dieu. «Mais pourquoi ce Fils de Dieu a-t-il voulu naître comme ça ? », continua le motard. «Il voulait dire simplement que, frère de tous les êtres humains, il tenait d'abord à être frère de tous les rejetés, les piétinés, les oubliés de tous les temps comme les bergers. » Quelques secondes de réflexion et le motard de dire : «Alors, vous, les chrétiens, vous nous avez volé notre Noël. » Il venait de comprendre que Noël, ce n'est pas juste des sapins, des décorations, des cadeaux, mais une vie fraternelle.

Justement Noël, c'est plein d'humanité pour un monde toujours si inhumain et si dur. On ne finit plus de compter les exilés, les torturés, les exterminés, les victimes de la violence. Avons-nous oublié qu'ils sont plus de 27 millions de réfugiés et de déplacés contre 15 millions en '90 et 2 millions seulement en '75. Demain, ça sera quoi ? Est-ce que ça doit nous surprendre quand 20% des habitants du monde détiennent 80% des ressources. À Montréal, une personne sur trois vit seule, une sur cinq dépend de l'aide sociale, un couple sur deux est divorcé, la moitié des enfants ne verront pas l'autre parent le soir du réveillon. Je pense à ce petit bonhomme de deuxième année qui disait :

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«Papa est parti de la maison et depuis il arrive souvent que maman est perdue dans ses pensées. Je la vois souvent pleurer. Alors j'essaie de la consoler ». Il fait souvent noir dans notre monde. Beaucoup de souffrance, beaucoup d'indifférence, du chacun pour soi. Noël, c'est plein d'humanité et de solidarité. Dieu se fait homme et nos routes s'illuminent. Avez-vous remarqué le premier geste de Dieu dans la nuit de Noël ? Mettre plein de lumière dans le ciel. Dieu détricote la nuit pour faire le jour et il écrit la vie et la fête dans le ciel. «L'Ange du Seigneur s'approcha des bergers et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière».

Noël c'est aussi plein d'espérance. Dieu ne convoque pas la meute des journalistes. Dieu n'a rien à leur mettre sous la dent. À sa première conférence de presse, il convoque des bergers, donc des pauvres, des exclus, des marcheurs. Il les convoque pour écrire avec eux la première page de l'Évangile, du monde nouveau. Il les conduit dans une étable et là, ils découvriront, non un président ou un premier ministre, ni un secrétaire général des Nations Unies, ni un directeur général de la banque mondiale, mais un enfant. Un visage d'enfant, voilà la première page du journal de Dieu. Les journalistes, eux, n'ont trop souvent de place que pour les visages écrasés, cassés, les blessés et les scandales. Un enfant, rien n'est plus neuf qu'un enfant, c'est l'heure de la naissance, c'est le commencement du monde. Tout peut recommencer toujours. Noël, c'est la vie avec un grand V, pas «La petite vie». Parfois je me demande pourquoi les québécois se retrouvent si nombreux et si souvent devant le petit écran de la télévision pour regarder «La petite vie». Les personnages de la petite vie sont des gens encombrés matériellement, éteints spirituellement et pour qui la vie idéale est celle où il ne se passe rien. La vie de Pôpa et Môman et de leur famille est toute centrée sur le confort, la facilité, le prêt-à-penser - à plus tard les problèmes de conscience, de la vie intérieure, des questions sur l'éthique. Bref on travaille et surtout on attend le week-end, les vacances, la retraite, la mort,

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en écoutant la TV, en frottant son char, en caressant ses poubelles. Pauvre vie, pauvre petite vie.

Pourtant la vie c'est si merveilleux, c'est tout le sens de Noël. «Aujourd'hui vous est né un Sauveur dans la ville de David». Un Sauveur, celui qui redonne vie, goût de vivre et qui nous montre le chemin - se faire solidaire, frère de tous tes autres. Nathanaël, un petit bout de chou de quatre ans, avait donc raison. Il était en train de dessiner Marie et Joseph sur l'âne en route vers Bethléem. À la question «Où vont-ils?» il répond : «Ils cherchent un endroit pour faire le commencement du monde». Nathanaël avait compris le sens de Noël. Ils sont si nombreux ceux qui font la fin du monde, en Algérie, au Rwanda, en Palestine... Chaque fois que je refuse d'aimer, je me joins à ceux qui font la fin du monde. Voilà la question que Noël nous pose : «A quoi je travaille? À faire la fin du monde ou à faire le commencement du monde ? »

ET NOËL NE S'ENVOLERA PAS AVEC NOËL

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Tu rêves d'un Noël tout blanc. Tu rêves d'un arbre de Noël tout doré de lumière. Tu rêves d'un Noël avec beaucoup de cadeaux. En fait, Noël a-t-il déjà été pour toi autre chose que cette distribution de cadeaux par papa et maman ? Et Noël s'est envolé avec Noël, car tu rêves Noël - et le rêve passe. Pauvre Grand Meaulnes ! Ne connaîtras-tu donc jamais que des bonheurs paquetés ? En vitrine ? Et faudra-t-il qu'après chaque Noël tu reprennes la route en quête de nouvelles aventures ? A la recherche de nouvelles terres ?

Et pourtant, à chaque Noël, la Joie est venue frapper à ta porte. Elle a voulu réveillonner avec toi. Elle a voulu demeurer chez toi. Il dépendait de toi que tu l'accueilles. « Il est venu chez les siens, mais les siens ne l'ont pas reçu». Et Noël s'est envolé avec Noël, car tu rêves Noël - et le rêve passe.

Tu veux le vivre Noël ? Souviens-toi que le Seigneur se présente à toi comme à la Samaritaine. Et comme à la Samaritaine, il te dit : « Donne-moi à boire ». Oui, le Seigneur te dit « Donne », et toi, tu ne penses qu'à recevoir, qu'à avoir, qu'à posséder.

Donne de ton amour à ton frère qui ne sait plus ce que c'est qu'aimer -- il ne faut plus que tu fasses de mal à personne, car le mal que tu fais ne s'arrête plus jamais. Donne ton sourire à ton frère qui pleure. Donne de ton temps, fais une visite à celui qui n'aura pas un vrai Noël. Partage ton pain avec le pauvre, prête-lui tes bras.

Dans le silence des mots. Loin des beaux discours, loin des souhaits vides ! Et si tu parles, que les paroles que tu cries te traversent le coeur. L'heure est à l'engagement. Et Noël ne s'envolera pas avec Noël, car tu vivras Noël - et la vie demeure.

Et parce que tu donneras, le Seigneur viendra. Il réveillonnera avec toi. Il apportera à ton âme la chaleur de son amitié, à ta pauvre âme, pareille à l'étable de Bethléem. Transie. Froide. Et comme Marie, dans le silence de la nuit, tu conserveras avec

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soin tous ces souvenirs et tu les méditeras en ton coeur. Et demain sera encore Noël, car c'est tous 1es jours que tu peux donner.

Et Noël ne s'envolera pas avec Noël, car tu vivras Noël - et la vie demeure.

PEUT-ÊTRE AS-TU OUBLIÉ QUE...

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Peut-être as-tu oublié que Noël, c'est le mystère de la présence? Peut-être as-tu oublié que

« Le Seigneur est là commeau premier jour

Qu'éternellement Il est làparmi nous,

autant qu'au premier jour. »

N'as-tu donc jamais remarqué le plaisir fou que la liturgie du cycle de Noël prend à multiplier le mot « hodie »? Ce mot signifie un aujourd'hui éternel, un aujourd'hui hors-zone, un toujours dans ton langage de la terre. Je suis toujours là, te dit le Seigneur, mais toi, es-tu toujours au rendez-vous? « Et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas reçues. »

Peut-être as-tu oublié ? Et voilà pourquoi tu cherches le Seigneur ailleurs, alors que c'est chez toi qu'Il vient. Tu le cherches sur les autres planètes, alors que c'est sur terre qu'il a atterri, en ce premier Noël. Tu le cherches dans le rêve, alors que c'est au milieu de cette poussiéreuse réalité temporelle qu'il se trouve. Tu es un perpétuel candidat à l'émigration pour n'importe quel nouveau monde, pourvu qu'il ne ressemble pas au tien, à ce monde de ton CEGEP, à ce monde de ta famille. Tu as oublié que c'est dans tes douleurs comme dans tes joies que tu rencontreras le Seigneur, car ces douleurs et ces joies, le Seigneur les a éprouvées lui aussi; ce pain que tu manges, Il l'a partagé lui aussi, ce dégoût pour la médiocrité, Il l'a ressenti lui aussi.

Peut-être as-tu oublié d'aimer ta vie, car il faut bien te le dire, aimer la vie c'est chose assez facile, mais qui ne saurait suffire. Ce qu'il te faut, et c'est d'ailleurs là une condition essentielle à ta joie, c'est d'aimer ta vie avec ses joies et ses misères aussi, avec

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ce coeur qui te fait mal, avec ce goût de la terre qui colle à ton palais comme la boue à tes souliers.

Peut-être as-tu oublié que la vie n'est pas un rêve. Et au fond que fais-tu d'autre que de rêver une solution idéale qui arrangerait les affaires du Moyen-Orient, de la Yougoslavie, du racisme sans trop déranger les tiennes. Tu rêves qu'ils soient « plus » - Tous ces gens du Tiers-monde ou ceux des taudis de ta ville à condition que tu ne sois pas « moins ». Tu veux bien changer les choses à condition qu'elles soient dans l'ordre et que l'ordre soit pour toi. Tu veux bien donner un peu d'argent à condition de rester toi-même un pays riche. Tu rêves d'un Dieu qui serait réduit à être le plombier de tes dégâts ou le fournisseur de tes caprices.

Peut-être as-tu oublié que le Seigneur n'est pas un révolutionnaire, car le révolutionnaire ne peut que détruire, mais un témoin de la sainteté du Père. Et c'est parce qu'il est ce témoin qu'il y a encore de la lumière dans le monde et que la lumière luit dans les ténèbres.

Peut-être as-tu oublié que Dieu est sauveur et qu'en se faisant homme, il décide d'un autre ordre, d'une nouvelle création où rien ne sera plus jamais comme avant - le verrou est mis sur la porte du vieux monde à moins que tu t'obstines à t'y enfermer. Il ne reste que devant. Et c'est pour ça qu'il n'y a plus de solution, il ne peut y avoir que le salut. Il n'y a plus que Dieu qui est devant, qui vit en avance sur ce que tu vis. C'est ça Noël, Dieu avec nous. Noël, c'est justement ce lieu de rencontre qui doit devenir pour toi un lieu de décision, c'est fini, on ne triche plus. Noël, c'est cet espace qui n'est pas plein de solutions toutes faites, mais qui te permet d'être en état de les inventer. Noël c'est cet événement qui vient briser tous ces événements qui te surveillent comme les barreaux d'une prison, cet événement qui a nom : Jésus de Nazareth.

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Peut-être as-tu oublié, mais aujourd'hui tu te souviens et cela suffit, car « c'est assez du jour présent, c'est assez que de vivre aujourd'hui, et de faire ce qu'on a à faire avec soin ».

Peut-être as-tu oublié, mais aujourd'hui, tu te souviens.

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JE NE TE SOUHAITE PAS LE JOYEUX NOËL

Des sapins verts plantés un peu partout, de la dinde sur la table, de la soupe chaude pour les clochards, des colis pour les vieillards, un bon « petit blanc » pour ton estomac, et peut-être une messe de minuit-souvenir, et c'est Noël... et c'est toi et c'est moi et c'est l'humanité.

Toi, qui te joueras un peu plus la comédie que d'habitude ? ou au contraire, toi, qui deviendras enfin toi-même, sans tricher ?

Une humanité qui se saoule pour oublier, qui rit fort pour masquer sa solitude. Une humanité avec sa bonne conscience paternaliste et ses gestes bêtes à pleurer. Une humanité qui veut écoeurer les autres pour mieux disculper les écoeuranteries qui habitent le plus profond d'elle-même. Une humanité sans regard.

Eh bien ! C'est cette humanité là aussi, avec tout ce qu'elle a de lourd que Dieu a épousée quand il s'est fait homme. Il s'est refusé de mutiler Dieu, soit l'homme.

Dieu fait homme, ce n'est pas Dieu qui descend d'un barreau l'échelle sociale. Dieu fait homme, c'est la nuit qui se fait jour, la mort qui se fait naissance, le printemps au creux de l'hiver, l'Amour qui prend visage d'enfant . Dieu confie le monde à un enfant, alors que tous les jours les hommes remettent le monde aux mains des technocrates. Dieu se fait enfant, car il veut être deviné, et ce n'est pas la présence d'un enfant qui va gêner les marchandages des grandes personnes. Dieu n'impose jamais, Dieu se fait discret.

Noël, c'est l'acte de la liberté qui est tout le contraire d'une idéologie. Noël ne t'oblige pas à aller chercher ailleurs une transcendance, un sens. En Dieu fait homme, tu n'as plus besoin de te fuir pour être fidèle à Dieu. C'est au coeur de toi-même, au coeur de tes propres questions d'homme, que tu pourras découvrir ta relation avec Dieu et ta relation avec les autres.

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À condition que Noël devienne pour toi plus qu'un souvenir ou qu'un tremolo, que tu sois de ceux qui risquent leur vie pour prouver Noël. Hélas « nos vérités ne coïncident en rien avec la réalité dans laquelle nous vivons» , écrit Maurice Lefebvre, « mais ajustons notre vie au mensonge qui nous entoure ; et à cause de notre vie mensongère qui nous entoure nos vérités ne prospèrent pas ».

Non, je ne te souhaite pas le joyeux Noël et la nouvelle année. Je souhaite que toi et moi ensemble, nous relevions le défi de ce monde nouveau à inventer, nous devenions tout simplement des hommes.

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NOËL ! UNE CLAQUE SUR LA GUEULE !

Il est minuit.On me dit : « C'est Noël ».

Mais je ne veux pas le croire,ça se peut pas,

c'est pas possibleJ'ai beau regarder,

je ne vois que des ventres qui sont à table.

Il est minuit.On me dit : « C'est Noël ».

Mais je ne veux pas le croire,ça se peut pas,

c'est pas possibleJ'ai beau regarder,

je ne vois au pied du sapin que des bonheurs paquetés.

Il est minuit.On me dit : « C'est Noël ».

Mais c'est pas pour cette année encoreque tu vas passer la rivière

d'ailleurs on m'a ditqu'il n'y avait pas de rivière.

Il est minuit. Et ce sera un autre Noël sans histoire, vide, vide ennuyeux comme cette maison de vieillards que Truffault projetait à l'écran, une maison bien organisée démocratiquement ( ça avait tout l'air) comme notre monde. Justement les vieillards passaient la journée du jeudi et celle du vendredi à voter sur le menu du dimanche. Le samedi, on préparait le menu. Mais le menu du dimanche, hélas, ne ressemblait en rien au menu voté. Et le lundi, et le mardi, et le mercredi, les vieillards discutaient et se demandaient pourquoi le menu du dimanche ne ressemblait en rien au menu voté. Et on recommençait chaque semaine, et c'était la même histoire qui se répétait. On leur faisait croire qu'ils décidaient, qu'ils étaient libres mais, en réalité, ce n'était que des esclaves et ils étaient

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devenus vieux comme vieux est notre monde actuel, comme esclave est notre mode actuel.

Tu sais, César-Auguste ordonne toujours, que veux-tu, c'est sa manière d'être en relation avec ses citoyens. César-Auguste ordonne toujours un recensement pour remplir les caisses gouvernementales et les autres. Le pauvre le sait très bien, c'est que lui il ne peut pas passer à côté. Oui, ce recensement de César, c'est bel et bien pour le pauvre un édit, un décret, une loi, un commandement, un ordre avec toute la procession, - elle est passée de l'Église aux bureaux des ministres et des fonctionnaires ; après on viendra nous dire que le monde n'est plus religieux ! Oui, un ordre avec toute la procession de peines prévues par la loi, de sanctions, de représailles, de perquisitions, de réquisitions, de peur qui règne. Que veux-tu, tu es sa propriété privée à César, tu es son ambition. Quel honneur pour toi ! Tu as été mis en fiche, en carte, en numéro, en liste, codé, immatriculé, pointé en trois exemplaires sur papier timbré. Tu es même sur sa ligne d'écoute.

Comprendras-tu enfin que Noël c'est pas un éventail d'un jour, une consolation de quelques heures mais une claque sur la gueule, le plus grand conflit que la terre ait jamais porté.

N'as-tu jamais lu l'évangile de Luc? Je sais bien qu'on te l'a lu trop souvent comme on lit un conte de fée, comme on t'a dit Cendrillon et le Petit Poucet. Et depuis cette nuit où on t'a raconté Noël, tu t'es réfugié dans le jupes de Dieu, et tu as demandé à Jésus-Christ de prendre à ta place la responsabilité de tes situations comme d'autres le demandent à leur horoscope.

Comme toujours et comme tout le monde ou presque, pour le prochain Noël, tu attends une fois de plus quelque chose, alors que c'est quelqu'un qui vient ... quelqu'un qui vient ... quelqu'un qui t'invite à lui inventer une nouvelle humanité. Dieu n'ordonne pas, il annonce, il communique, il crie, il appelle, il ouvre le chemin de la nouveauté, du changement, des choix et de la liberté. On ne répète pas un monde, on le réinvente chaque

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jour. Dieu ne vient pas comme un huissier, mais comme un Sauveur. Et ce qu'il apporte, ce n'est pas une menace, mais une bonne nouvelle. C'est l'homme qui est la nouvelle mesure pour calculer le monde, l'homme libre et non plus esclave, l'homme du futur et non plus du passé.

César retournera toujours en arrière et marchera toujours au passé. Dieu, lui, nous propose un petit enfant, l'avenir, le commencement, la naissance, la nouveauté, le changement, le défi, la désinstallation. Un nouveau-né, c'est ce qu'il y a de plus fragile et de plus inutile au monde. Un enfant, cette nuit, vient déjà de faire rouler la pierre de ton tombeau. Mais il ne le peut qu'avec toi, car Dieu se refusera toujours à être le plombier de tes dégâts.

Une humanité nouvelle pourra alors naître mais elle ne pourra se faire que dans la désinstallation comme au moment de toute naissance. Noël, ce n'est pas une histoire pour enfants, c'est un appel à prendre ton monde en mains tous les jours (et non seulement tous les quatre ans !), un appel à la libération. C'est fini, tu ne peux plus tricher, car Noël, c'est ce rendez-vous implacable qui doit devenir pour toi un lieu de décision.

Il te reste à inventer l'amour. Mais passeras-tu la rivière?

AU CABARET DE LA DERNIÈRE CHANCE

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C'était une veille de Noël. Depuis des jours, je n'entendais parler que de cadeaux on ne se demandait pas avec qui on partagerait, quel cadeau on ferait, mais quel prix on paierait. On avait recommencé à se jouer la comédie un peu plus que d'habitude. Oui, depuis des jours, on ne faisait que ça. Et ce soir, les dindes étaient aux marrons, les ventres tournaient déjà autour de la table, on se préparait à s'en mettre plein la gueule Je suis sorti, j'ai marché longtemps dans la nuit, j'ai suivi le boulevard de la Capitale.

Je marchais comme une bête avec tout le poids de mes blessures, de mes déchirures, de mes courbatures, je marchais et je pleurais, je pleurais comme un grelot de pluie. Tout à coup, j'aperçus : « Cabaret de la dernière chance » . Je suis entré, je suis allé tout au fond il y avait une table vide.

J'ai déplié mon dos, je me suis assis. Ça sentait le petit blanc, la vodka, le gin et on buvait à plein calices. On parlait fort pour faire lever le regard et on réclamait encore du vin, de la boisson. On fêtait Noël, ce soir. La porte s'ouvrit, et dans le cadre, j'aperçus un homme avec son habit de travail tout troué. Ça devait être un étranger. L'entrée de l'homme n'avait d'abord rien dérangé. Après tout, c'était un étranger, un émigré. Mais voilà qu'il se met en colère, il crie, puis tout à coup il s'arrête et se met à rire. Puis de nouveau, il élève la voix, il fait des gestes comme un moulin à vent, il insiste, il veut qu'on le suive.

Alors on est sorti, d'abord intrigué. On l'a suivi dans la nuit. Puis on est arrivé de l'autre côté du canal qui avait rampé jusque là : il y avait des taudis, on aurait dit que leurs ventres étaient crevés, ça débordait de part et d'autre, et pauvres taudis, ils arrivaient à tenir debout en s'appuyant les uns sur les autres.

L'homme poussa ce qui semblait être une porte : à l'intérieur, les courants d'air dansaient une folle sarabande. L'enfant était arrivé, oui l'enfant était arrivé, il était là. La mère reposait au fond de la pièce sur un tas de chiffons. L'homme riait, il prenait

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le nouveau-né dans ses bras, il l'enveloppait de la tendresse de son visage, il l'élevait au bout de ses bras, il passait auprès de chacun pour le lui montrer. Puis il a déposé le nouveau-né au milieu de la pièce, il est allé ouvrir son baril de piquette, il voulait qu'on goûte son vin. Un enfant lui était né... il était heureux, heureux, et il voulait partager sa vie avec nous.

Toute la terre s'était comme donné rendez-vous... le village était sorti dans la rue, puis il l'avait suivi. Monsieur le Curé était arrivé, la femme du directeur, la fille de l'ingénieur - l'aînée, car la cadette était à Montréal pour des études, le professeur, l'architecte, le pharmacien, Mademoiselle - on l'avait toujours appelée ainsi, on ne lui savait pas de nom et pas d'âge, évidemment. Bref le monde entier était là avec ce qu'il pense en dedans et qui est bien caché derrière les masques, et ce qu'il veut bien laisser paraître au dehors.

« C'est un nouveau miracle de Noël, il me semble » avait dit tout doucement et tout onctueusement Monsieur le Curé.

« C'est vrai, c'est vrai » avait repris en coeur ce beau monde, et les hommes avaient enlevé leur casquette, et ils s'étaient mis à genoux, ils étaient habitués : ramper, c'était leur seconde nature.

Dehors le vent du nord avait apporté jusqu'à nous une grosse brassée de cloches. Il était minuit et c'était Noël.

La présidente de je ne sais plus quoi avait élevé la voix, une voix sûre, quoi une voix de présidente : « Il faudra bâtir ici une chapelle en reconnaissance de ce nouveau miracle de Dieu. Je me chargerai moi-même de convaincre Monseigneur l'évêque. »

« Une chapelle, Madame, avait repris une voix grave c'était probablement la voix du professeur, un professeur ça sait calculer les effets, la portée de sa voix Mais vous n'y pensez pas, Noël mérite mieux qu'une chapelle. Le miracle de Dieu Enfant vaut bien une basilique. Alors je propose que l'architecte trouve

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une solution qui nous permette de conserver ce taudis tel qu'il est au coeur de notre basilique, car il est important de respecter les desseins de la Divine Providence. Seulement, nous pourrions recouvrir ce taudis de quelques plaques de marbre de Carrare et de quelques lamelles d'or fin. Ce n'est pas parce que Dieu est né dans la crasse que nous devons l'y laisser. Voilà pourquoi je suggère aussi qu'à la place de l'enfant nous mettions une étoile d'argent massif. »

« Nous pourrions aussi, d'ajouter la fille de l'ingénieur, l'aînée, car la cadette était à Montréal pour des études et elle s'y trouve toujours, oui nous pourrions installer une crèche avec des personnages grandeur nature. Puis si on demandait à des vrais pauvres de jouer le rôle de bergers, ce serait plus réaliste et plus émouvant».

On entendit alors un froissement de mouchoirs, on aurait dit une pluie fine qui tombait. Monsieur le Curé a voulu alors faire une prière ça se comprend, quoi faire d'autre en pareille circonstance- tous s'étaient mis à genoux à même la terre fendue de gel. Mais s'était déjà trop tard : le nouveau-né était mort.

Je suis sorti et j'ai quitté tout ce beau monde, j'en avais marre de leurs voeux et de leurs prières et de leurs pèlerinages : les proclamations même religieuses ne sont rien d'autres trop souvent que des tentatives pour s'installer dans un ordre figé de gloire la réalité est ailleurs :

c'est Jésus dans une étable, c'est Jésus dans le silence de Nazareth pendant trente ans

comment était-ce ? tu pouvais dormir ? c'est Jésus dans le prétoire dévêtu par les soldats qui le

recouvrent d'une robeécarlate avant de lui poser une couronne d'épines

J'en avais marre et je n'avais que le goût d'arracher les étoiles du ciel, de casser cette civilisation qui assassine des hommes dès

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leur naissance. Et j'en avais marre aussi de ceux qui veulent le miracle pour échapper à l'humble et dur chemin des hommes.

Je voulais oublier,oublier,

je voulais boireun ou deux gallons de gin

pour oublier,je ne voulais plus vivre

dans ce monde...

Je marchaiset je marchais,je ne sais plus,et je pleurais,et je pleurais

comme un grelot de pluie.

Le vent du nord m'arrivait en plein visage comme un fouet. J'entendis tout à coup comme un bruit. Le gel sonnait comme un bronze. Alors je dis au vent : « Tais-toi, tais-toi, laisse-moi écouter ». Je m'approchai. Un enfant était là, un enfant de cinq ou six ans peut-être - avait-il l'âge de raison. Il avait deux grands yeux ouverts sur un front tout blond - j'ai pensé d'abord : mais c'est le Petit Prince qui est revenu de sa planète.

Il était plié en deux avec une pelle dans ses mains, il était en train de creuser un trou. Alors je lui dis : « Laisse-moi faire, petit, je vais creuser, moi-même ». Mais il ne me regarda pas, il continua.

Alors je lui dis : « Pourquoi tu fais ça? À quoi ça va servir? C'est quoi tu cherches? » Il y eut un long silence, et il me dit : « Je veux planter un arbre, une jeune pousse tendre qui deviendra un gros arbre », et il fit un geste comme ça, un geste vaste comme le monde... Puis il a continué. Et je me souviens, je ne suis pas fou, oui je me souviens, il a dit : « Je suis en train de

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planter le bois de la croix pour cet enfant qui vient de naître ». Puis il est parti. Et ce soir là, je me suis dit : « Cet enfant que j'ai cru mort dans le taudis, et que j'ai cru voir mourir, est-il bien mort ? Je l'ai cru mort, alors j'ai dit qu'il était mort... mais si c'était dans mon coeur qu'il était mort...

J'AI BESOIN DE CRIER

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J'ai besoin de crier que le monde à l'envers ne veut pas dire la tête en bas, comprenne qui veut comprendre.

J'ai besoin de crier que la folie de la foi n'est pas de marcher sur la tête. L'envers c'est ici ce qu'il y a derrière.

Est-il si loin ce jour où enfintu risqueras pour vrai ton visage,

tu cesseras de dire des chosesà l'envers,

à l'envers de ce que tu penses,à l'envers de ce que tu juges,à l'envers de ce que tu crois ?

J'ai toujours préféré le scandale de l'amour à celui du mépris, j'ai toujours préféré Andromaque à Hermione, et à ce que je sache les racines de l'amour sont plus profondes que celles de la haine. Le mépris et la haine sont-ils autre chose qu'une faiblesse qui refuse de s'avouer, un courage qui n'a pas la force de se tenir debout ?

J'ai besoin de crier la vanité des questions qui t'habillent comme tout le monde - il y a plus de moutons qu'on ne pense dans ce monde qui est le tien. T'es-tu déjà arrêté pour écouter tes propres questions :

Combien ça coûte ?Combien tu gagnes ?

Combien ça rapporte ?Combien d'heures de travail ça exige ?

Combien de jours de vacances ?Combien de temps tu m'aimeras ?

Combien ? Combien...

J'ai besoin de crier que Dieu répond à tes « combien » par un cri, et ce cri est celui d'un enfant qui commence par la respiration, non pas l'ergotage qui se donne les dehors d'une

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certaine science : les grandes personnes (pas question d'âge ici), tu sais, sont sérieuses.

Et ce cri,cri qui est celui d'un Dieu,c'est déjà l'apprentissage

d'une vie d'homme.

Et l'apprentissage d'une vie d'homme, c'est l'affaire de toute une vie. Et pour paraphraser Pascal, je sais qu'il n'y a rien de plus haïssable que le moi qui, un jour, a refusé de continuer son apprentissage sous prétexte qu'il a déjà toutes les solutions dans ses poches.

J'ai besoin de crier que tous les jours les hommes remettent le monde aux mains des technocrates.

Et toi qui te contentes de gueuleret de jouer à l'exploité

ou à l'exploiteur,fais-tu autre chose

que de singer les grandes personnes ?

Oui, j'ai besoin de crier la folie de tout pouvoir - celui des technocrates et les autres, le pouvoir des habitudes, ce pouvoir indécrottable de nos routines, le pouvoir des idées toutes faites, le pouvoir des principes qui enferment la pensée dans des à priori dont on ne démord pas, le pouvoir exercé sur les plus jeunes qu'on appelle trop vite pédagogie

Mais cette nuit-là - la nuit de Noël - Dieu confie le monde à un enfant ; Dieu est né enfant, il est sans défense, il est livré ( je dis bien « il est livré », et non pas il se laisse faire, il se laisse tondre, il est tranquille, il est bon garçon : il y en aura toujours qui comprennent à l'envers), il ne s'est pas déguisé.

J'ai besoin de crier que le cri de Dieu-Enfant est un cri de protestation qui refuse de donner des leçons à l'homme, mais la protestation de la foi prétend bien se battre pour qu'on ne vole

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pas à l'homme son bien le plus précieux : le risque d'être un homme. Et ça, ça veut dire que les relations humaines - il n'est pas nécessaire d'être toujours d'accord, heureusement ! - resteront des relations d'hommes toujours empreintes de respect, sans qu'elles aient à se ravaler à des relations de fond de coeur ou d'écuries - à noter que les relations en dentelle demeurent aussi ignobles à mon point de vue et peut-être plus hypocrites.

Ce n'est pas mon intention d'engager une quelconque polémique : je n'ai rien à défendre, ni un salaire, ni des privilèges, ni une idéologie, ni... J'ai à vivre, à vivre à plein, et vivre avec, je suis libre - ça ne veut pas dire indépendant.

J'ai besoin de crier que Noël, c'est ce défi-là, ce cri de la liberté qui refuse de se laisser enfermer dans la question

des « combien »,des « à quoi ça sert »,

des « il n'y a que moi qui puisse avoir raison »,et des « il faut bien se tailler une place dans la société, les autres

ne le feront pas pour moi ».

Il y a des jours où j'ai besoin de crier que j'en ai marre. J'en ai marre d'une société qui déploie tant d'énergies à répondre à des « combien » et à des « comment » et qui se refuse à se poser la seule question à mon sens essentielle : « Quel homme, demain et aujourd'hui sera heureux ?» Oui j'en ai marre d'une société qui célébrera encore cette année la venue de Jésus pour rire, qui étouffera encore cette année Jésus dans le chocolat, qui pourrira encore cette année les enfants de cadeaux. J'en ai marre d'une Église qui ritualisera encore cette année le Verbe venu habiter parmi nous, qui salivera de la charité encore cette année parce que c'est la saison, qui mimera encore cette année l'Évangile pour se donner bonne conscience.

Oui, oui, il y a des jours où j'ai besoin de crier

que j'en ai marre,

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que j'en ai marre, que j'en ai assez, et ces jours-là,

c'est Noël.

Alors le monde est à l'envers, ou plutôt

il ne marche plus sur la tête.

À Noël, qui seras-tu ?Seras-tu parmi ceux qui sortent

de la nuit pour accueillir la lumière ?

Cette nuit-là,je t'appellerai à minuit.

Qui seras-tu,cette nuit-là ?

J'ai parcouru la terre et je n'ai entendu qu'un cri,le cri plein de sanglots de ces familles du Centre Sud de

Montréal qui n'ont que le pavé comme terrasse

et qui n'ont souvent que le chômage comme pain quotidien,et comme si ce n'était pas assez,

on leur fait payer le coût des conflits qui opposent entre eux ceux qui ont des pouvoirs.

J'ai parcouru la terre et je n'ai entendu qu'un cri,le cri de ceux qui souffrent de l'inégalité, de la séparation, de la

vieillesse et du dénuement.

J'ai parcouru la terre et je n'ai entendu qu'un cri,le cri de ceux qui souffrent de tes jugements,

donc de tes injustices.

Un cri, un cri, un cri

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ce n'est plus que ça que j'entends.Mai toi,

tu n'entends donc pas ?Tes oreilles auront-elles toujours des murs ?

Je commence à comprendre pourquoi Noël ne sera, encore cette année, rien d'autre pour toi qu'une parodie, une mascarade, une foire...

Tu continueras à étouffer le cri des hommes et le cri de Dieu, l'un dans l'autre, jusqu'à la Passion. Tu les étoufferas dans les bûches de chocolat, du petit blanc, des cadeaux hypocrites qui pourrissent ceux qui les reçoivent et peut-être ton pharisaïsme jusqu'à appeler tes guirlandes et ton sirop de belles paroles « Bonne Nouvelle ». Que veux-tu, Noël c'est le temps de saliver la charité. Et Noël, encore cette année, ne sera rien d'autre qu'un mime qui te dispensera de vivre.

Partout, Noël c'est le cri de tous les hommes et le cri de Dieu, ce cri qui s'est fait chair et qui habite parmi nous.

À Noël qui seras-tu ?Cette nuit-là,

je t'appellerai à minuit.Oui qui seras-tu

cette nuit-là ?

UN 24 DÉCEMBRE AU SOIR...

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Bonsoir mon ami ! Je viens d'aller faire mes achats de Noël ! Que c'est beau en ville! Les vitrines, les sapins, la musique. Mais.. tu as l'air triste... Voyons ! Ris un peu ! C'est Noël ce soir !

L'ami répond sans éclat : Oui, je sais, c'est Noël ce soir.

Tu sais, en revenant, ça sentait la dinde puis la tourtière... Ah ! Ce qu'on va se régaler cette nuit ! Viens réveillonner chez nous, il y aura des amis, on distribuera des cadeaux ! J'te dis ça fêtera en grand !

Non, répond l'ami. Vraiment, ça ne me dit rien. Et puis toi tu ne penses qu'à ton estomac et à tes cadeaux. Moi j'attends Quelqu'un dont personne ne veut et qui a froid... Oh ! et puis ça serait trop long à t'expliquer...

Eh bien, mon ami, à bien y penser, c'est moi qui irai chez toi cette nuit, et nous L'attendrons ensemble !

Encore cette année, à Noël, tout le monde attendra quelque chose, et c'est pour cela qu'encore cette année, pour plusieurs, il n'y aura pas de Noël.

Cette nuit-là, il y aura bien des musiques de klaxon sans risque de contravention, comme si tout à coup la société était changée.

Cette nuit là, il y aura des trêves posées comme des tapisseries sur la Yougoslavie, le Burundi, le Rwanda, la Côte d'Ivoire ... , comme si la paix était devenue une réalité.

Cette nuit-là, il y aura bien de la dinde et du petit blanc, comme si la faim et la soif étaient de vieux mots tout déchirés qu'on aurait jetés à la poubelle.

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Cette nuit-là, toute l'humanité sera là, l'humanité ravalée en façade et en cadeaux, mais aussi dans ses bas fonds d'impasses, l'humanité qui se saoule pour oublier, qui rit faux pour tricher avec sa solitude.

Cette nuit-là, toute l'humanité sera là, ceux avec leurs gestes de charité qui sont bêtes à pleurer, ceux qui sont toujours les gauchistes de quelque chose ou les intégristes de quelqu'un...

Mais ce ne sera pas pour autant Noël : on se jouera tout simplement un peu plus la comédie que d'habitude. Car Noël, c'est quelqu'un qui vient, et ce quelqu'un est un enfant.

Un enfant, c'est beau, c'est merveilleux, et en même temps, ça fait peur - demande aux couples qui ne veulent pas se désinstaller, à ceux qui pratiquent l'avortement.

Rien n'est plus dangereux qu'un enfant. Un enfant, ça te désinstalle. Voilà pourquoi Jérusalem, en apprenant la nouvelle, s'affole. Si Jérusalem avait pu connaître des avorteurs, si elle avait su, elle le leur aurait demandé plus vite car elle les avait ses avorteurs : le pouvoir politique, le pouvoir sacerdotal et le pouvoir des scientifiques qui se liguent ensemble.

Hérode, le roi, les prêtres, les scribes.

Les mêmes personnages qu'on retrouve affublés des mêmes déguisements dans cette même Jérusalem, trente-trois ans plus tard pour condamner ce même Jésus à mort. Ils réussiront alors, c'est ce qu'ils croient.

Mais Jésus ressuscitera.

Cependant, depuis ce premier jour, Jérusalem est devenue une ville morte, un tombeau vide. Et depuis ce jour, Jérusalem restera toujours comme une enfance morte entre les mains de ceux qui veulent la posséder.

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Jérusalem, c'est toi, c'est moi, c'est Dieu.

Jérusalem échappera toujours aux compromissions de mon savoir et de mes pouvoirs.

Jérusalem, aujourd'hui encore, est au coeur de ton propre coeur, là où s'inscrit la foi.

Le roi, les prêtres, les scribes n'ont pu reconnaître Jésus ils l'ont assassiné en dedans d'eux-mêmes, ils ont avorté leur propre enfance. Les bergers et les mages - ces pauvres ou ces riches restés pauvres - l'ont redécouverte et ils ont pu reprendre la route, la route de l'homme, car si Dieu se fait homme, c'est que son amour est capable d'une révolution intérieure ... et l'homme pourra enfin devenir un homme : Dieu fait homme libère l'homme prisonnier de chacun de nous.

À Noël, en Dieu fait Homme, chacun et chacune d'entre nous peut coïncider, a cette chance merveilleuse de coïncider avec lui-même, parce qu'à Noël en Jésus-Christ, désormais Dieu et l'homme coïncident.

Et désormais la liberté n'est plus un livre de recettes ni un traité privilégié des philosophes. La liberté n'est plus étouffée dans les idées, elle est au coeur de l'Homme.

Cette nuit-là, Dieu a refusé de choisir entre les deux : ou Dieu, ou l'homme. Il a choisi les deux. Non pas entre les deux, ou juste au milieu, mais les deux en vérité. Non pas un peu des deux, mais le tout des deux, Dieu et l'homme.

Si, toi, tu choisissais les deux, et Dieu et l'homme, si tu cessais de mutiler soit Dieu, soit l'homme, peut-être que Noël ne serait pas annulé...

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Mais à toi,à Noël,

qui seras-tu, cette nuit-là ?

Mais toi,à Noël,

où seras-tu ?

Je t'appellerai à minuit,où seras-tu,

cette nuit-là ?

UN VIEUX BERGER

Écoute !Quelqu'un marche dans les champs.

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Regarde !Quelqu'un coupe la nuit avec sa chandelle de lune.

Mais c'est un vieux berger !Un vieux berger,

tout courbé sous le poidsde son sac de jours.

Ses brebis le suivent.Mais quoi !Il s'arrête.

Il pousse une porte.Ses brebis entrent avec lui

et le vent avec eux.

Regarde, regarde !As-tu déjà vu quelque chose

de plus merveilleux.Regarde-le,

ce vieux berger.

Il tient au creux de ses mains tremblantesun enfant.

Il pose ses lèvres de tendressesur le front de l'enfant.

Il l'enveloppe avec son manteau de brumeet il le presse sur son coeur.

Regarde encore !Ses brebis se sont mises à genoux

avec Marie et Josephet écoute.

Le vieux bergerchante la rosée

au Soleil qui lui vient.Et ses brebis, à leur tour,

se mettent à chanter.

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« Gloire à Dieu au plus haut des cieuxet paix sur la terre aux hommes qu'il aime » !

MES VOEUX DE NOËL

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Est-ce que Noël sera comme les autres Noël ? Trémolo dans la voix, petit pincement de coeur, petite prière à la crèche :''Je t'aime bien, je te donne tout pour aujourd'hui.'' Évidemment à la sauvette. S'il fallait que Dieu me prenne au sérieux ! D'ailleurs c'est pas gênant, je parle à un petit Jésus en plâtre ! ! !

S'il fallait que ce soit un vrai bébé qui crie, salit ses couches, qui vous éveille la nuit - ce serait agaçant. Et pourtant, c'est ça Noël.

Jésus, c'est grand-papa et grand-maman que nous visiterons ou accueillerons chez nous, c'est papa et maman que j'essaie de comprendre. C'est les enfants avec qui je partagerai les jeux. C'est Jean qui est dans ma rue et qui a été plus malchanceux. C'est Christine qui est à l'hôpital.

Dieu, vous n'avez pas à l'inventer. Il vous est demandé seulement de le reconnaître à vos côtés. C'est ça Noël. Il ne faudrait pas que la dinde et l'oie et le petit blanc vous le fassent oublier.

Noël, le Noël de Dieu mon ami passera-t-il, cette année, avant le Noël des estomacs? C'est mon rêve

MES VOEUX DU JOUR DE L'AN

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Bonne et heureuse année ! Tout le monde le dit, tout le monde le fait. Vas-y voir... J'ai tout simplement le goût de vous dire : «Je vous aime comme vous êtes, et j'ai le goût de marcher avec vous tout au long de cette nouvelle année qui commence,... » Pour moi, une année nouvelle, c'est bien plus qu'un souhait artificiel, un souhait qu'on se souhaite parce que c'est comme ça. Moi, je veux tout simplement vous dire que j'ai le goût de plus en plus fort de commencer à vivre avec vous, évidemment si vous avez, vous aussi, le goût de vivre avec moi. Je voudrais vous connaître. Je voudrais partager avec vous le bonheur de rire dans le soleil, les musiques qui montent en moi et qui sont autant de chants d'amour que je voudrais vous chanter... Je voudrais m'ouvrir dans votre vie comme vous serez aimés dans la mienne. Nous ne sommes qu'une vie... et j'ai besoin de vous, je ne peux rien sans VOUS. Je veux tout simplement vous dire : « Je vous aime » Je ne mets aucune condition. Une année bonne et heureuse, c'est beaucoup plus que des mots, c'est de se savoir aimé personnellement et de se décider à aimer soi-même.Des fois, j'ai des vieux souvenirs qui me reviennent et qui redonnent un nouvel élan à mon aujourd'hui... Je me souviens, il y a longtemps déjà, j'étais étudiant à l'institut catholique de Paris. Souvent j'avais à prendre le métro. Ce matin-là, j'étais monté, le métro était bondé de gens. J'étais debout, je regardais autour de moi. Il n'y avait pas beaucoup à écouter : les bouches étaient muettes. Je regardais et je n'apercevais que

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des regards traqués... et braqués sur leurs seuls soucis - je suppose, puisqu'il n'y avait pas de lumière clans leurs yeux. D'ailleurs les seules fois où leurs yeux se mettaient en mouvement, c'était pour regarder leur montre. J'étouffais dans le métro : à cause des odeurs de sueur, de souterrain, d'inconfort, de bruits... Soudain, je te revois encore - c'est vrai, je n'ai jamais su ton nom, je ne t'ai jamais revu, mais jamais je n'ai oublié ton visage - tu es monté avec tes longs cheveux, ton jean délavé, ta guitare. Il y a eu un mouvement dans le métro, tout le monde s'est comme renversé pour te laisser passer - non pour te faire de la place, mais par peur de ta vermine et de ta crasse. Je te revois assis au fond du wagon, tu t'étais mis à chanter : c'était tellement beau qu'on ne se croyait plus dans le métro - les figures s'étaient délacées comme on délace ses souliers. Des sourires s'étaient mis à danser sur les visages. On n'avait plus le goût de descendre... C'est fou tout ça : le temps de deux chansons, de l'amour qui passe, et toute notre journée s'était mise à chanter.. Une visitation comme la visitation de Marie à Élisabeth. Mes souhaits pour la nouvelle année : ouvre ton coeur, ouvre ta porte à ton voisin... tu auras des surprises, tu connaîtras la fête. Normand Barré