Tertullien - de l'Ame

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Tertullien De l'Ame • Après avoir disputé sur l'origine de l'âme seulement avec Hermogène, qui la disait créée par une suggestion de la matière plutôt que par le souffle de Dieu, nous examinerons ici les autres questions dans lesquelles il nous faudra lutter souvent contre les philosophes. On discuta la nature de l'âme jusque dans la prison de Socrate. D'abord le temps était-il bien choisi pour cet examen? J'en doute. O maîtres, quoique le lieu soit indiffèrent, la circonstance ne l'était pas. Le navire sacré une fois de retour, la ciguë fatale une fois épuisée, en face même de la mort, quelle vérité pouvait alors entrevoir l'âme du philosophe comme affaissée sous les mouvements de la nature, ou du moins emportée hors d'elle- même, si ce n'était pas la nature qui l'accablait? En effet, cette âme a beau paraître calme et sereine devant les pleurs d'une épouse déjà veuve, devant les cris d'enfants déjà orphelins, sans se laisser ébranler par la voix de la tendresse, elle s'agita par ses efforts même pour ne pas s'agiter, et sa constance fléchit par sa lutte contre l'inconstance. D'ailleurs, à quoi devait songer un homme injustement condamné, si ce n'est au soulagement de l'injustice qui le frappait, à plus forte raison un philosophe, animal de |2 gloire, qui cherche bien plus à braver l'affront qu'à s'en consoler? En effet, la sentence à peine prononcée, à son épouse qui accourt au-devant de lui et s'écrie avec un emportement de femme: « Socrate, tu es injustement condamné, » il répond avec orgueil: « Voulais-tu donc que je le fusse justement? » Ainsi, ne nous étonnons pas que le philosophe, désirant de briser dans sa prison les palmes honteuses d'Anytus et de Mélitus, invoque, en présence de la mort, l'immortalité de son âme en vertu d'une présomption nécessaire et pour échapper à l'injustice. Toute cette sagesse de Socrate, dans ce moment, avait sa source dans une affectation de constance réfléchie, mais non dans la confiance d'une vérité qu'il eût découverte. En effet, qui a jamais découvert la vérité à moins que Dieu ne la lui enseignât? A qui Dieu s'est-il révélé autrement que par son

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GEORGLUKÁCS, LA LITTÉRATURE ET L’ART COMME SUPERSTRUCTURE.39l’humanité. On pourrait peut-être dire : la science de l’histoire fonde notre conscience historique, l’art éveille notre conscience de soi historique, et la tient éveillée. La condition intrinsèque préalable à cela, comme nous l’avons déjà vu, est le caractère « normal », « classique » des rapports de production. Mais la forme de l’œuvre d’art particulière est toujours la forme concrète du contenu concret propre. Le « caractère classique » ne découle donc pas de l’observance de quelconques « règles » formelles, mais justement de ce que l’œuvre d’art est en mesure de donner aux rapports humains les plus essentiels et les plus typiques l’expression maximale de symbolisation, d’individualisation. Fait partie, c’est indispensable, de la conscience de l’homme développé de manière polyvalente, maîtrisant consciemment la vie, la connaissance consciente de sa propre histoire. L’homme primitif n’avait pas d’histoire, ou bien la vague conscience de son passé se perdait dans le mythe. Plus l’humanité se développe et plus se renforcent et s’approfondissent la conscience historique et la conscience de soi de l’humanité. Mais leur déploiement ne va pas seulement être inhibé par les lacunes de nos connaissances, mais principalement par les intérêts des classes dirigeantes d’oppresseurs et d’exploiteurs. Celles-ci ont entravé la mise au jour des liens réguliers entre présent et passé, parce qu’ils s’effrayent à juste titre des perspectives d’avenir qui pourraient résulter de la découverte des véritables rapports. Dans les temps du déclin, de la crise, l’idéologie des classes dominantes s’est en effet directement opposée à la science historique ; elle a nié sa possibilité, comme Schopenhauer, ou sa valeur, comme Nietzsche. C’est de cela que provient la mythification du caractère historique de l’art. Seule l’humanité libérée par le socialisme a la volonté et la capacité de prendre connaissance de l’histoire dans sa 40globalité ; la conscience historique et la conscience de soi ne prennent dans notre vie culturelle la place qui leur revient que lorsque ‒ comme le dit Marx ‒ la « préhistoire » de l’humanité est achevée et que sa véritable histoire a commencé. C’est ainsi que les traditions progressistes de l’art prennent une importance qui va bien au-delà des limites de l’art : elles deviennent des parties intégrantes de la culture de tout homme véritablement socialiste. Parallèlement et en étroit rapport avec cela, les traditions progressistes prennent une importance extraordinaire pour la création de la culture artistique dans l’art socialiste Ce serait cependant une analogie superficielle que de croire que les grandes réalisations et productions de l’art puissent être appréciées de la même manière que les scientifiques de la nature peuvent apprécier côte à côte les thèses justes héritées comme acquis de l’antiquité grecque, de la renaissance, etc. Les traditions progressistes de l’art, la culture des formes accumulées dans ces grandes œuvres, ne peuvent donner à personne une aide directe dans sa propre création artistique. Celui qui croît ‒ pour pousser les choses à l’extrême ‒ pouvoir copier de Breughel le « coup de main » du coloris, de Vermeer celui de la mise en valeur, et d’Ingres celui du dessin va s’enfermer dans un éclectisme académique. Au sein des limites de leur discipline artistique, les grands maîtres de l’art ont toujours fidèlement reflété et fait s’exprimer les relations humaines fondamentales de leur époque. Pour étudier comment ils ont réalisé cela, à commencer par les questions de contenu, par le choix des thèmes jusqu’aux solutions techniques de détail, il faut une école utile pour chacun des artistes. Mais elle ne l’est que si l’artiste veut apprendre comment il peut représenter les relations humaines de son époque dans le cadre des disciplines ‒ plus ou moins modifiées ‒ de son époque, comment il p

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Tertullien De l'Ame

Aprs avoir disput sur l'origine de l'me seulement avec Hermogne, qui la disait cre par une suggestion de la matire plutt que par le souffle de Dieu, nous examinerons ici les autres questions dans lesquelles il nous faudra lutter souvent contre les philosophes. On discuta la nature de l'me jusque dans la prison de Socrate. D'abord le temps tait-il bien choisi pour cet examen? J'en doute. O matres, quoique le lieu soit indiffrent, la circonstance ne l'tait pas. Le navire sacr une fois de retour, la cigu fatale une fois puise, en face mme de la mort, quelle vrit pouvait alors entrevoir l'me du philosophe comme affaisse sous les mouvements de la nature, ou du moins emporte hors d'elle-mme, si ce n'tait pas la nature qui l'accablait? En effet, cette me a beau paratre calme et sereine devant les pleurs d'une pouse dj veuve, devant les cris d'enfants dj orphelins, sans se laisser branler par la voix de la tendresse, elle s'agita par ses efforts mme pour ne pas s'agiter, et sa constance flchit par sa lutte contre l'inconstance.

D'ailleurs, quoi devait songer un homme injustement condamn, si ce n'est au soulagement de l'injustice qui le frappait, plus forte raison un philosophe, animal de |2 gloire, qui cherche bien plus braver l'affront qu' s'en consoler? En effet, la sentence peine prononce, son pouse qui accourt au-devant de lui et s'crie avec un emportement de femme: Socrate, tu es injustement condamn, il rpond avec orgueil: Voulais-tu donc que je le fusse justement? Ainsi, ne nous tonnons pas que le philosophe, dsirant de briser dans sa prison les palmes honteuses d'Anytus et de Mlitus, invoque, en prsence de la mort, l'immortalit de son me en vertu d'une prsomption ncessaire et pour chapper l'injustice. Toute cette sagesse de Socrate, dans ce moment, avait sa source dans une affectation de constance rflchie, mais non dans la confiance d'une vrit qu'il et dcouverte. En effet, qui a jamais dcouvert la vrit moins que Dieu ne la lui enseignt? A qui Dieu s'est-il rvl autrement que par son Christ? A qui le Christ s'est-il fait connatre autrement que par l'Esprit saint? A qui l'Esprit saint s'est- il communiqu autrement que par le sacrement de la foi? Socrate, assurment, tait dirig par un tout autre esprit. En effet, ds son enfance, dit-on, un dmon lui fut attach, perfide instituteur, vrai dire, quoique, chez les potes et les philosophes, les dmons tiennent le second rang aprs les dieux, et mme soient inscrits parmi eux. Les enseignements de la puissance chrtienne n'taient pas encore venus, pour convaincre le monde que cette force si pernicieuse, qui n'est jamais bonne, est le premier artisan de l'antique erreur et l'ennemie de toute vrit. Que si Socrate fut dclar le plus sage des hommes par l'oracle du dmon pythien, qui dans cette circonstance travaillait pour son associ, combien doit tre plus raisonnable et mieux assise la sagesse de la religion chrtienne, qui d'un souffle renverse toute la puissance des dmons! C'est cette sagesse, inspire du Ciel, qui nie avec une sainte libert les dieux du sicle, qui ne s'abaisse point sacrifier un coq Esculape, qui, au lieu d'introduire de nouveaux dmons, chasse les anciens; au lieu de corrompre la |3 jeunesse, la forme aux bonnes murs; qui, luttant pour la vrit, d'autant plus odieuse qu'elle est plus parfaite, supporte non pas seulement les injustes condamnations d'une ville, mais de tout l'univers, et boit la mort, non pas une coupe empoisonne et comme par divertissement, mais expire sur les gibets et sur les bchers, travers les supplices les plus raffins. Voil la sagesse qui, dans ce cachot tnbreux du sicle, parmi ses Cbs et ses Phdons, doit se diriger d'aprs les rgles de Dieu dans l'examen de l'me. Jamais elle ne trouvera de docteur plus capable de lui expliquer l'me, que celui qui l'a cre. Qu'elle apprenne de Dieu connatre ce qu'elle tient de lui: ou s'il refuse de l'clairer, qu'elle ne le demande nul autre. Qui en effet rvlera ce que Dieu a cach? Il faut questionner le mme Dieu auprs duquel il est plus sr d'ignorer: car il vaut mieux ne pas savoir parce que Dieu n'a pas rvl, que de savoir par l'homme, en s'appuyant sur ses conjectures.

Nous ne dissimulerons pas cependant qu'il est arriv des philosophes de se rencontrer avec nous; c'est un tmoignage de la vrit, et aussi de l'vnement lui-mme. Parfois, dans cette longue tempte qui trouble le ciel et la mer, ils sont jets au port par un heureux garement; parfois, au milieu des tnbres, ils dcouvrent une issue par un aveugle bonheur: mais la plupart des vrits leur taient suggres par la nature, en vertu de ces notions communes tous, dont Dieu a daign doter l'me. La philosophie, ayant trouv sous sa main ces notions premires, les enfla pour en faire honneur son art, uniquement jalouse (qu'on ne s'tonne pas de mes paroles!) d'un langage habile tout difier comme tout renverser, et qui persuade plus par des mots que par des enseignements. Elle impose aux choses des formes: ici elle les gale, l elle les anantit; elle prjuge l'incertain d'aprs le certain; elle en appelle aux exemples, comme si toutes choses pouvaient se comparer; elle assigne des lois des proprits diverses mme dans des substances semblables; elle ne |4 laisse rien l'autorit de Dieu; elle fait de ses opinions les lois de sa nature. Je la supporterais, si elle me prouvait que, ne avec la nature, elle en connat tous les secrets.

Elle a cru puiser sa science dans des lettres sacres, comme elle les appelle, parce que l'antiquit a regard comme des dieux, plus forte raison comme des tres divins, la plupart des auteurs: tmoin Mercure l'Egyptien, que frquenta principalement Platon; tmoin Silne le Phrygien, auquel Midas confia ses immenses oreilles, lorsque des ptres le lui eurent amen; tmoin Hermotime, auquel les habitants de Clazomne rigrent un temple aprs sa mort; tmoin Orphe; tmoin Muse; tmoin Phrcyde, matre de Pythagore. Mais que nous importe? puisque ces philosophes ont dirig leurs excursions sur des livres qui chez nous sont condamns comme apocryphes, assurs que nous sommes qu'il ne faut rien admettre qui ne s'accorde avec la prophtie vritable et qui prcda le monde lui-mme. Nous nous rappelons d'ailleurs les faux prophtes, et bien avant eux, les anges apostats qui ont inond la face de l'univers du poison de leurs ruses et de leur malice.

Enfin, s'il est prsumer que tous ces hommes en qute de la sagesse ont interrog les prophtes eux-mmes, par simple curiosit, toutefois on rencontre chez les philosophes plus de dissonnance que d'accord, puisque l'on surprend beaucoup de diffrences dans les membres d'une mme cole. Rencontrent-ils des principes vritables et conformes aux prophtes? ou ils leur donnent une autre autorit, ou ils les altrent au dtriment de la vrit, au secours de laquelle ils appellent le faux, ou qu'ils mettent au service de l'erreur. Ce qui nous divise nous et les philosophes, dans la matire prsente surtout, c'est que tantt ils revtent d'arguments qui leur sont propres, mais opposs en quelque point notre rgle, des maximes communes tous; tantt il fortifient des maximes qui leur sont propres par des arguments qui appartiennent tous, et ont quelque conformit avec leurs principes: si bien que la vrit est peu |5 prs exclue de la philosophie, grce aux poisons dont elle Ta infecte. Voil pourquoi, ce double titre, qui est l'ennemi de la vrit, nous nous sentons press de dgager les maximes communes tous, de l'argumentation des philosophes; ainsi que l'argumentation commune tous, de leurs propres principes, en rappelant les questions aux Lettres divines, l'exception toutefois de ce qu'il nous sera permis de prendre comme simple tmoignage, sans le pige de quelque prjug, parce qu'il est quelquefois ncessaire d'emprunter son antagoniste un tmoignage, quoiqu'il ne profite pas l'antagoniste. Je n'ignore pas combien les philosophes ont entass de volumes sur cette matire: le nombre de leurs commentateurs le dit assez. Que de principes contraires! que de luttes d'opinions! que de sources de difficults! quelle incertitude dans les solutions!

De plus, j'ai vu la Mdecine, sur de la Philosophie, comme on dit, travailler tablir qu' elle principalement appartient l'intelligence de l'me, par les soins qu'elle donne au corps. De l viennent ses dissidences avec sa sur, parce qu'elle prtend mieux connatre l'me en la traitant au grand jour, pour ainsi parler, et dans son domicile lui- mme. Mais que nous importe le mrite de ces pompeuses rclamations? Pour tendre leurs recherches sur l'me, la Philosophie a eu la libert de son esprit, et la Mdecine la ncessit de son art. On va chercher au loin les choses incertaines; d'ternelles disputes s'engagent sur des conjectures; plus la difficult de prouver est grande, plus il en cote pour persuader; de sorte que ce tnbreux Heraclite, en apercevant de plus pais brouillards chez tous ceux qui recherchaient la nature de l'me, s'cria par fatigue de ces interminables questions: J'ai parcouru tous les chemins, sans jamais rencontrer les limites de l'me. Le Chrtien, lui, n'a pas besoin de longs discours pour s'clairer sur cette matire. La prcision marche toujours avec la certitude; il ne lui est pas permis de chercher plus qu'il ne doit dcouvrir. Car l'Aptre dfend |6 ces questions sans fin. Or on ne peut trouver rien au-del de ce qui est enseign par Dieu: ce que Dieu enseigne, voil toute la science.

Plt au ciel que les hrsies n'eussent jamais t un mal ncessaire, afin que l'on reconnt o tait la vrit prouve! nous n'aurions rien dmler sur l'me avec les philosophes, que j'appellerai les patriarches des hrtiques. De l vient que l'Aptre voyait d'avance dans la philosophie le renversement de la vrit. En effet, c'est Athnes, qu'il avait reconnue pour une cit instruite et polie; c'est aprs avoir connu la science de tous ces dbitants de sagesse et d'loquence, qu'il conut cette maxime qui devait nous servir d'avertissement. Il se passe pour l'explication de l'me quelque chose de semblable. Toutes les doctrines philosophiques des hommes mlent sur ce point l'eau au vin. Les uns nient qu'elle soit immortelle, les autres affirment qu'elle est plus qu'immortelle; ceux-ci disputent de sa substance, ceux-l de sa forme, d'autres de chacune de ses facults. Ceux-ci font driver son essence d'autre part; ceux-l emportent ailleurs sa destine, selon qu'ils se sont laiss persuader par la majest de Platon, la vigueur de Zenon, la mthode d'Aristote, la stupidit d'Epicure, les larmes d'Heraclite, ou la fureur d'Empdocle. La sagesse divine s'est mprise, j'imagine, en tablissant son berceau dans la Jude plutt que dans la Grce; le Christ s'est tromp galement en appelant sa prdication des pcheurs plutt que des sophistes. Toutes les vapeurs qui s'lvent de la philosophie pour obscurcir l'air pur et serein de la vrit, les Chrtiens devront les dissiper, soit en ruinant les argumentations primordiales, c'est--dire philosophiques, soit en leur opposant les maximes clestes, c'est--dire manes du Seigneur, afin que d'un ct tombent les raisonnements par lesquels la philosophie gare les paens, et que de l'autre soient rfuts les principes par lesquels l'hrsie branle les fidles. Un point a t dj dcid contre |7 Hermogne, ainsi que nous l'avons dit en commenant. Nous soutenons que l'me a t forme du souffle de Dieu et non de la matire, ayant pour nous dans cette circonstance la rgle

inviolable de la parole divine: Il rpandit sur son visage un souffle de vie, et l'homme eut une me vivante. Par le souffle de Dieu consquemment. Aprs cette dclaration, il n'y a plus rien examiner. Cette vrit a son titre et son hrtique. Je commence par les autres questions.

Aprs avoir dtermin l'origine, il reste fixer la nature. Car la raison veut que nous assignions un commencement l'me, puisque nous la proclamons ne du souffle de Dieu. Platon nie qu'elle ait commenc, en la dclarant inne et incre; nous, au contraire, nous enseignons qu'elle est ne et qu'elle a t faite, du moment qu'elle a commenc. Nous ne nous sommes pas tromps en disant ne et faite, parce que, autre chose serait de natre, autre chose d'tre fait, puisque le premier de ces termes convient aux tres qui vivent. Mais les distinctions ayant leurs lieux et leurs temps, ont aussi quelquefois la facult de se prendre rciproquement l'une pour l'autre. D'une chose qui a t faite, on peut donc dire qu'elle a t engendre, au lieu de dire qu'elle est, puisque tout ce qui reoit l'tre, n'importe quel titre, est engendr. Car celui qui fait peut tre appel le pre de ce qui est fait. Platon en use ainsi. Consquemment, dans le langage de notre foi, que l'me ait t faite, ou qu'elle soit ne, le sentiment du philosophe est renvers par l'autorit mme de la prophtie.

Qu'il appelle un Eubulus, un Critolas, un Xnocrate, et Aristote qui tend ici la main Platon. Peut-tre qu'ils ne s'armeront que mieux contre nous, pour nier la corporit de l'me, s'ils n'aperoivent dans les rangs opposs d'autres philosophes, et en grand nombre, qui donnent un corps l'me. Je ne parle pas seulement de ceux qui la font sortir de corps visibles, tels que Hipparque |8 et Heraclite du feu; Hippon et Thals de l'eau; Empdocle et Critias du sang; Critolaus et ses pripatticiens, de je ne sais quelle cinquime substance, suppos qu'elle soit un corps, puisqu'elle renferme des corps; j'invoque encore le tmoignage des stociens, qui en dclarant presque avec nous que l'me est un esprit, puisque le souffle et l'esprit sont rapprochs l'un de l'autre, persuaderont aisment que l'me est un corps. Enfin Zenon, en dfinissant l'me un esprit qui a t sem avec l'homme, raisonne de cette manire: Ce qui, en se retirant, cause la mort de l'animal, est un corps; or l'animal meurt aussitt que l'esprit sem avec lui se retire; donc l'esprit sem avec lui est un corps; or l'esprit sem avec lui n'est rien moins que l'me; donc l'me est un corps. Clanthe veut mme que la ressemblance passe des pres aux enfants, non-seulement par les linaments du corps, mais par les marques de l'me, espce de miroir qui reflte les murs, les facults et les affections des pres! Il ajoute que l'me est susceptible de la ressemblance et de la dissemblance du corps; par consquent, qu'elle est un corps soumis la ressemblance et la dissemblance. Les affections des tres corporels et incorporels, dit-il encore, ne communiquent pas entre elles. Or, l'me sympathise avec le corps. A-t-il reu quelques coups ou quelques blessures? elle souffre de ses plaies. Le corps de son ct sympathise avec l'me. Est-elle trouble parle chagrin, par l'inquitude, par l'amour? il est malade avec elle; il perd de sa vigueur; il atteste sa pudeur ou sa crainte par la rougeur et la pleur. L'me est donc un corps, puisqu'elle participe aux affections corporelles.

Mais voil que Chrysippe tend la main Clanthe, en tablissant qu'il est absolument impossible que les tres corporels soient abandonns par les tres incorporels, parce qu'ils ne sont pas en contact avec eux. De l vient l'adage de Lucrce: Rien ne peut toucher ni tre touch, moins que ce ne soit un corps. Or, aussitt que |9 l'me abandonne le corps, il meurt. Donc l'me est un corps, puisqu'elle ne pourrait abandonner le corps si elle n'tait pas corporelle.

Les Platoniciens essaient d'branler ces principes avec plus de subtilit que de vrit. Il faut ncessairement, disent-ils, que tout corps soit anim ou inanim. S'il est inanim, il sera m extrieurement; s'il est anim, il sera m intrieurement. Or, l'me ne sera pas mue extrieurement, puisqu'elle n'est pas inanime; elle ne sera pas mue davantage intrieurement, puisque c'est elle plutt qui donne au corps le mouvement. Ils concluent de l que l'me ne peut tre regarde comme un corps, puisqu'elle ne se meut d'aucun ct la manire des substances corporelles. A cela, nous nous tonnerons d'abord de l'inconvenance d'une dfinition qui s'appuie sur des choses sans parit avec l'me. En effet, l'me ne peut tre appele un corps anim ou inanim, puisque c'est elle-mme qui rend le corps anim par sa prsence, inanim par son absence. Consquemment, l'effet qu'elle produit, elle ne peut l'tre elle-mme, pour qu'on la dise un corps anim ou inanim. Elle s'appelle me en vertu de sa substance. Que si ce qui est me rejette le nom de corps anim ou inanim, comment en appelle-t-on la forme des tres anims et inanims?

Ensuite, si le propre d'un corps est d'tre m extrieurement par quelqu'un, et que nous ayons dmontr plus haut que l'me est mue par quelqu'un lorsqu'elle prophtise ou s'irrite, mue extrieurement aussi, puisqu'elle l'est par quelqu'un, j'ai droit, d'aprs l'exemple mis en avant, de reconnatre pour un corps ce qui est m extrieurement par un autre. En effet, si le propre d'un corps est d'tre m par un autre, plus forte raison a-t-il la facult d'en mouvoir un autre. Or l'me meut le corps, et tous ses efforts se manifestent l'extrieur. C'est elle qui donne le mouvement

aux pieds pour marcher, aux mains pour toucher, aux yeux pour regarder, la langue pour parler, espce |10 d'image intrieure qui anime toute la surface. D'o viendrait l'me cette puissance si elle tait incorporelle? Comment une substance, dpourvue de solidit, pourrait-elle mettre en mouvement des corps solides?

Mais comment les sens corporels et intellectuels remplissent-ils leurs fonctions dans l'homme? Les qualits des tres corporels, dit-on, tels que la terre et le feu, nous sont annonces par les sens corporels, tels que le toucher et la vue. Au contraire, celles des tres incorporels, tels que la bont, la malice, rpondent aux sens intellectuels. Consquemment, m'objectera-t-on, il est certain que l'me est incorporelle, puisque ses proprits ne sont pas saisies par les sens corporels, mais par les sens intellectuels. D'accord, si je ne dmontre pas le vice de cette dfinition. Voil qu'en effet je prouve que des tres incorporels sont soumis aux sens corporels, le son l'oue, la couleur la vue, l'odeur l'odorat. L'me vient aussi vers le corps, la manire de ces substances: qu'on ne dise donc plus que les sens corporels nous en avertissent parce qu'elles rpondent aux sens corporels. Ainsi, s'il est constant que les choses incorporelles elles-mmes sont embrasses par les sens corporels, pourquoi l'me, qui est corporelle, ne serait-elle pas galement saisie par les sens incorporels? Assurment la dfinition est dfectueuse.

Le plus remarquable argument qu'on nous oppose est que, selon nos adversaires, tout corps se nourrit en s'assimilant d'autres corps. L'me au contraire, ajoutent-ils, attendu son incorporit, se nourrit de substances incorporelles, c'est--dire, des tudes de la sagesse. Mais cet argument ne se soutiendra pas davantage. Soranus, savant auteur de la mdecine mthodique, rpond qu'elle se nourrit d'aliments corporels, il y a mieux, qu'il lui faut de la nourriture pour rparer ses dfaillances. Quoi donc? n'est-il pas vrai que sans nourriture, elle finit par abandonner compltement le corps? C'est ainsi que Soranus, aprs avoir crit sur l'me quatre volumes, et avoir examin |11 l'opinion de tous les philosophes, dclare que l'me est une substance corporelle quoiqu'il la dpouille de son immortalit. Car la foi des Chrtiens n'est pas tous. De mme que Soranus nous dmontre par les faits que l'me se nourrit d'aliments corporels, le philosophe nous prouvera aussi qu'elle se nourrit d'aliments incorporels; mais qui est incertain de la destine de l'me, jamais on n'a vers l'eau de la mielleuse loquence de Platon; jamais on n'a servi les miettes du subtil raisonneur Aristote. Que feront donc tant d'ames grossires et sans culture, auxquelles manquent les aliments de la sagesse, mais qui, dnues d'instruction, sont riches de lumires, sans les acadmies et les portiques d'Athnes, sans la prison de Socrate, et qui enfin n'en vivent pas moins, quoique sevres de la philosophie? En effet, ce n'est pas la substance elle-mme que profitent les aliments des tudes, mais la discipline et la conduite, parce qu'ils accroissent les ornements de l'me, mais non son embonpoint.

Heureusement pour nous les stociens affirment que les arts sont aussi corporels. Tant il est vrai que l'me est corporelle, puisqu'on croit qu'elle se nourrit des arts. Mais la philosophie absorbe dans ses spculations, n'aperoit pas la plupart du temps ce qui est ses pieds: ainsi Thals tomba dans un puits. Quelquefois aussi, quand l'intelligence lui manque pour comprendre, elle souponne un drangement dans la sant: ainsi Chrysippe recourait l'ellbore. Il arriva, j'imagine, quelque chose de semblable ce philosophe, quand il nia que deux corps pussent tre ensemble, oubliant ce qui a lieu pour les femmes enceintes, qui tous les jours renferment dans les parois de la mme matrice non-seulement un corps, mais deux et mme trois. On lit dans le Droit Civil qu'une grecque mit au monde cinq fils la fois, mre elle seule de tous, auteur multiple d'un enfantement unique, nombreuse accouche d'un fruit unique, qui environne de tant de corps, j'allais dire d'un peuple, fut elle-mme le sixime corps. Toute la|12 cration attestera que les corps qui doivent sortir des corps, sont dj dans les corps dont ils sortent: ce qui provient d'un autre est ncessairement le second; or rien ne provient d'un autre, sinon lorsque, par la gnration, ils sont deux.

Pour ce qui concerne les philosophes, en voici assez: quant nos frres, je n'en ai que trop dit, puisque l'Evangile tablira clairement pour eux la corporit de l'me. L'me du mauvais riche se plaint dans les enfers, elle est punie par la flamme, elle est tourmente dans sa langue par la soif, et demande l'me d'un bienheureux de laisser tomber de son doigt une rose qui le rafrachisse. Pensera-t-on que le pauvre qui se rjouit et le riche qui se lamente ne soient qu'une parabole? Mais pourquoi ce nom de Lazare, si ce n'est pas une chose relle? Prenons ceci pour une parabole, je le veux bien; toujours sera-t-elle un tmoignage de la vrit. Si l'me n'avait pas un corps, la figure de l'me se refuserait la figure du corps; d'ailleurs l'Ecriture ne nous tromperait pas sur des membres corporels, s'il n'en existait pas. Mais qu'est-ce qui est transport dans les lieux bas de la terre par sa sparation d'avec le corps? Qu'est-ce qui est dtenu et mis en rserve pour le jour du jugement? Vers qui le Christ est-il descendu aprs sa mort? vers les mes des patriarches, j'imagine. Mais dans quel but, si l'me n'est rien sur la terre? Elle n'est rien, si elle n'est pas un corps. L'incorporit est affranchie de toute espce de prison, libre de toute peine, trangre toute rcompense: ce par quoi elle est punie ou rcompense, c'est le corps. Je m'tendrai plus au long et en temps plus opportun sur ce point. Par consquent, si l'me a prouv quelque supplice ou quelque rafrachissement dans le cachot ou l'htellerie des bas lieux de la terre, dans la flamme ou le sein d'Abraham, sa

corporit est dmontre. Une substance incorporelle ne souffre pas, puisqu'elle n'a rien par quoi elle puisse souffrir: ou si elle l'a, ce quelque chose sera un corps. Autant ce qui |13 est corporel est capable de souffrir, autant ce qui est capable de souffrir est corporel.

Il serait d'ailleurs tmraire et absurde de retrancher une substance de la classe des tres corporels, parce qu'elle ne se gouverne pas en tout comme les autres, et qu'elle possde des proprits diffrentes qui lui sont particulires, dissonnances qui rvlent la magnificence du Crateur par la diversit des mmes uvres, aussi diffrentes que semblables, aussi amies que rivales. Les philosophes eux-mmes ne s'accordent-ils pas dire que l'univers est form d'harmonieuses oppositions, suivant l'amiti et l'inimiti d'Empdocle? Ainsi donc, quoique les substances corporelles soient opposes aux incorporelles, elles diffrent entre soi de telle sorte que la diversit accrot leurs espces, sans altrer leur genre, si bien qu'elles demeurent toujours corporelles, publiant la gloire de Dieu par leur nombre en tant varies; varies en tant diverses; diverses en jouissant les unes d'un sens, les autres d'un autre; en se nourrissant celles-ci d'un aliment, celles-l d'un autre; les unes invisibles, les autres visibles, les unes pesantes, les autres lgres.

On dit, en effet, qu'il faut reconnatre l'me comme incorporelle, parce qu' son dpart, les corps des dfunts deviennent plus lourds, tandis qu'ils devraient tre plus lgers ainsi privs du poids d'un corps, si l'me tait rellement un corps. Quoi donc, rpond Soranus, nierez-vous que la mer soit un corps, parce que hors de la mer le navire devient lourd et immobile? Quelle est donc, par consquent, la vigueur du corps de l'me, puisqu'elle porte et l avec tant de vitesse le corps qui acquiert ensuite tant de poids? D'ailleurs l'me est invisible, et par la condition de son corps, et par la proprit de sa substance, et par la nature de ceux auxquels sa destine fut de rester invisible. Les yeux du hibou ignorent le soleil; les aigles soutiennent si bien son clat, qu'ils jugent de la noblesse de leurs enfants l'nergie de leurs paupires. Autrement |14 ils ddaignent d'lever le fils dgnr qui a dtourn le regard devant un rayon du soleil. Tant il est vrai qu'une chose invisible pour celui-ci, ne l'est pas pour celui-l, sans que pour cela cette substance soit incorporelle, parce que la force n'est pas la mme des deux cts. Le soleil en effet est un corps puisqu'il est de feu. Mais ce que l'aigle avouera, le hibou le niera, toutefois sans porter prjudice l'aigle. Il en va de mme du corps de l'me: invisible, pour la chair peut-tre, il ne l'est pas pour l'esprit. Ainsi, Jean ravi par Dieu en esprit, contemple les mes des martyrs.

Puisque nous avanons que l'me a un corps d'une nature qui lui est propre, et d'un genre part, cette condition de sa proprit dcidant l'avance la question de tous les autres accidents, inhrents un corps, il suit ou que ces accidents existent dans celle que nous avons dmontre tre un corps, accidents particuliers en vertu de la proprit du corps; ou, s'ils n'y sont pas prsents, que c'est l une proprit de l'me de ne pas possder les accidents que possdent tous les autres corps. Toutefois nous dclarerons hardiment que les accidents les plus ordinaires et qui appartiennent le plus ncessairement un corps, se trouvent aussi dans l'me; tels que la forme et la limite; tels que les trois dimensions avec lesquelles les philosophes mesurent les corps, je veux dire la longueur, la largeur et la hauteur. Que nous reste-t-il maintenant, qu' donner une figure l'me? Platon ne le veut pas, comme si l'immortalit de l'me courait par l quelque pril. Tout ce qui a une figure, dit-il, est compos et form de plusieurs pices; or tout ce qui est compos et form de plusieurs pices est sujet la dissolution. L'me, au contraire, est immortelle; elle est donc indissoluble en tant qu'elle est immortelle, et sans figure en tant qu'indissoluble: au reste il la reprsente compose et forme de plusieurs pices, puisqu'il lui donne une figure, mais une figure manifeste par des formes intellectuelles, belle par la |15 justice et les rgles de la philosophie, hideuse par les qualits contraires. Pour nous, nous assignons l'me des linaments corporels, non-seulement en raison de sa corporit, par le raisonnement, mais d'aprs l'autorit de la grce, par la rvlation. En effet, comme nous reconnaissons les dons spirituels, nous avons mrit aussi, aprs Jean, d'obtenir la faveur de la prophtie. Il est aujourd'hui parmi nous une de nos surs doue du pouvoir des rvlations que, ravie en extase, elle prouve dans l'glise, pendant le sacrifice du Seigneur; elle converse avec les anges, quelquefois avec le Seigneur lui-mme; elle voit, elle entend les sacrements, elle lit dans les curs de quelques-uns, et donne des remdes ceux qui en ont besoin. Soit qu'on lise les Ecritures, soit qu'on chante des psaumes, soit qu'on adresse des allocutions l'assemble, ou qu'on accorde des demandes, partout elle trouve matire ses visions. Il nous tait arriv de dire je ne sais quoi sur l'me pendant que cette sur tait dans l'esprit. Aprs la clbration du sacrifice, le peuple tant dj sorti, fidle la coutume o elle tait de nous avertir de ce qu'elle avait vu (car on l'examine soigneusement afin d'en constater la vrit): Entre autre choses, dit-elle, une me s'est montre moi corporellement, et je voyais l'esprit, non pas dpourvu de consistance, sans forme aucune, mais sous une apparence qui permettait de la saisir, tendre, brillante, d'une couleur d'azur, et tout--fait humaine. Voil sa vision; Dieu en fut le tmoin; elle a pour garant indubitable l'Aptre qui promit l'Eglise les dons sacrs. Ne croiras-tu pas enfin, si la chose elle-mme te persuade de tous les cts?

En effet, si l'me est un corps, il faut le ranger sans doute parmi ceux que nous avons noncs plus haut. Puisque la couleur est une proprit inhrente tout corps, quelle autre couleur assigneras-tu l'me, qu'une couleur arienne et brillante? Il ne s'ensuit pas toutefois que l'air soit sa substance elle-mme, quoique l'aient ainsi |16 pens nsidme, Anaximne, et aussi Heraclite, suivant quelques-uns. J'en dis autant de la lumire, quoique ce soit le sentiment d'Heraclite du Pont. La pierre de tonnerre n'est pas d'une substance igne, parce que sa couleur est d'un rouge ardent; la matire du bryl n'est pas de l'eau, parce qu'il a une blancheur incertaine. Combien d'autres substances que la couleur rapproche, mais que spare la nature! Mais comme tout corps dli et transparent, ressemble l'air, voil ce que sera l'me, puisqu'elle est un souffle, et un esprit communiqu. Il est vrai que par la subtilit de ses formes, elle court risque de ne point passer pour un corps. Comprends donc, d'aprs ton propre jugement, qu'il ne faut assigner l'me humaine d'autre figure que la figure humaine, et mme celle du corps qu'anime chacune d'elles. La contemplation du premier homme nous claire sur ce point. Souviens-toi que, Dieu ayant souffl un souffle de vie sur la face de l'homme, et l'homme ayant reu une me vivante! ce souffle fut aussitt transmis de la face dans l'intrieur, puis rpandu dans toutes les parties du corps, et en mme temps il se condensa sous la divine aspiration, et se comprima dans les limites corporelles qu'il avait remplies, comme s'il et t jet dans un moule. De l vient donc que le corps de l'me prit une forme solide par la condensation et une figure par le moule qui le reut. Celui-ci sera l'homme intrieur, l'autre l'homme extrieur, un, quoique double, ayant aussi ses yeux et ses oreilles, par lesquels le peuple aurait d voir et entendre le Seigneur; ayant aussi tous les autres membres dont il se sert dans la rflexion et par lesquels il agit pendant le sommeil. Ainsi le riche a une langue dans les enfers, le pauvre un doigt, et Abraham un sein. C'est par ces traits que les mes des martyrs se laissent apercevoir sous l'autel. En effet, l'me place dans Adam, ds la cration, et prenant la configuration du corps, devint la semence de la substance et de la condition de toutes les mes. |17

Il appartient l'essence de la foi de dclarer avec Platon que l'me est simple, c'est--dire uniforme, en tant que substance. Qu'importent les arts et les disciplines? Qu'importent les hrsies? Quelques-uns en effet veulent qu'il y ait en elle une autre substance naturelle, l'esprit, comme si autre chose tait vivre, qui vient de lame, et autre chose respirer, qui a lieu par le souffle. Tous les animaux ne possdent pas l'un et l'autre. La plupart vivent seulement, mais ne respirent pas, parce qu'ils n'ont pas les organes de la respiration, les poumons et les artres. Mais, dans l'examen de l'me humaine, quelle misre que d'emprunter ses arguments au moucheron et la fourmi, puisque la sagesse de Dieu a donn chaque animal des proprits vitales, en rapport avec son espce, de sorte que l'on ne peut tirer de l aucune conjecture! En effet, parce que l'homme est organis avec des poumons et des artres, ce ne sera pas une raison pour qu'il respire d'une manire et qu'il vive de l'autre. De mme, si la fourmi est dpourvue de cet appareil, ce ne sera pas une raison pour qu'on lui refuse la respiration, comme ne faisant que vivre. Qui donc a pntr assez profondment dans les uvres de Dieu pour dcider que ces organes manquent quelque animal? Cet Hrophile, mdecin ou anatomiste, qui dissqua des milliers de corps pour interroger la nature, qui dteste l'homme pour le connatre, en a-t-il explor toutes les merveilles intrieures? Je n'oserais le dire, parce que la mort change ce qui avait vcu, surtout quand elle n'est pas uniforme et s'gare jusque parmi les procds de la dissection. Les philosophes ont dclar comme certain que les moucherons, les fourmis et les teignes n'avaient ni poumons, ni artres. Curieux investigateur, rponds-moi? Ont-ils des yeux pour voir? Et cependant ils se dirigent o ils veulent, ils vitent et ils dsirent les choses qu'ils connaissent par la vue. Montre-moi leurs yeux; indique- moi leurs prunelles! Les teignes mangent. Fais-moi voir leurs mchoires et leurs dents! Les |18 moucherons bruissent, lumineux pour nos oreilles jusque pendant les tnbres. Montre-moi cependant et la trompette et l'aiguillon de cette bouche! Un animal, quel qu'il soit, ft-il rduit un point, se nourrit ncessairement de quelque chose. Produis-moi ses organes destins transmettre, digrer, et expulser les aliments! Que dirons-nous donc? Si c'est par ces appareils que l'on vit, tous ces appareils se rencontreront dans tous les tres qui vivent, quoiqu'ils ne puissent tre ni vus, ni touchs, cause de leur exiguit. Tu ne seras que plus dispos le croire, si tu te rappelles que la sagesse et la puissance de Dieu clatent dans les plus petites choses aussi bien que dans les plus grandes. Si, au contraire, tu ne penses pas que l'habilet de Dieu soit capable de produire des corps si faibles, reconnais au moins sa magnificence, puisque sans le secours des appareils ncessaires la vie, il a nanmoins organis la vie dans des animaux si exigus, leur accordant la facult de voir sans yeux, la facult de manger sans dents, la facult de digrer sans estomac; de mme que d'autres marchent sans pieds, les serpents avec une imptuosit qui glisse, les vers avec un effort qui se dresse, les limaons en rampant avec une bave cumeuse. Pourquoi donc ne croirais- tu pas que l'on pt respirer sans le soufflet des poumons et le canal des artres, regardant comme un irrsistible argument, que la respiration est ajoute l'me humaine, parce qu'il y a des tres qui ne respirent pas, et qu'ils ne respirent pas, parce qu'ils sont dpourvus des organes de la respiration? Quoi! tu penses qu'un tre peut vivre sans respirer, et tu ne crois pas qu'il puisse respirer sans poumons? Qu'est-ce, ton avis, que respirer? C'est, j'imagine, mettre un souffle hors de soi. Qu'est-ce que ne pas vivre? Ne pas mettre, j'imagine, un souffle hors de soi. Voil ce que je devrai rpondre, si respirer n'est pas la mme chose que vivre. Mais le propre d'un mort sera de ne pas

mettre de souffle; donc le propre d'un tre vivant est d'mettre un souffle. Mais d'autre part le propre de ce |19 qui respire est d'mettre un souffle, donc aussi respirer est le propre de ce qui vit. Si l'un et l'autre n'avaient pu s'accomplir sans l'me, l'me n'et pas respir; elle se ft borne vivre. Mais vivre, c'est respirer, et respirer, c'est vivre. Ainsi, cette double facult, respirer et vivre, appartient tout entire qui appartient la vie, c'est--dire l'me.

Enfin si tu spares l'esprit et l'me, spare aussi les uvres: que tous les deux agissent de leur ct, l'me part, l'esprit part; que l'me vive sans l'esprit; que l'esprit respire sans l'me; que l'un abandonne le corps, que l'autre demeure; que la mort et la vie se donnent la main, Car enfin, s'il y a deux tres, une me et un esprit, ils peuvent se diviser, afin que par leur sparation, l'un se retirant, l'autre restant, s'opre la runion de la mort et de la vie. Mais jamais il n'en arrivera ainsi. Donc ces choses qui ne peuvent se diviser ne sont pas, puisqu'elles pourraient se diviser, si elles taient deux. Toutefois il est permis deux substances d'tre insparablement unies. Mais elles cesseront d'tre unies, si respirer n'est pas la mme chose que vivre. Ce sont les uvres qui distinguent les substances: et combien il est plus raisonnable de croire que l'me et l'esprit ne sont qu'un, puisque tu ne leur assignes aucune diversit, de sorte que l'me est la mme chose que l'esprit, la respiration appartenant au mme tre qui a le droit de vivre. Quoi donc? C'est vouloir que le jour soit diffrent de la lumire qui produit le jour. Il y a diffrentes espces de lumires, dis-tu, comme le tmoigne le ministre du feu. D'accord; il y a aussi diffrentes espces d'esprits, ceux qui viennent de Dieu, ceux qui viennent du dmon. Ainsi, quand il s'agit de l'me et de l'esprit, l'me sera l'esprit, de mme que le jour est la lumire. Une chose est identique avec la chose par qui elle existe.

Mais l'ordre de la question prsente me force d'expliquer dans quel sens je dis que l'me est un esprit, parce |20 que la respiration appartient une autre substance: en attribuant cette proprit l'me que nous reconnoissons simple et uniforme, il est ncessaire de dterminer les conditions de cet esprit, esprit non pas dans son essence, mais dans ses uvres, non pas titre de nature, mais titre d'effet, parce qu'il respire, et non parce qu'il est proprement esprit. Car souffler, c'est respirer. Ainsi cette mme me, que nous soutenons tre un souffle, en vertu de sa proprit, nous la dclarons en ce moment un esprit, en vertu de la ncessit. D'ailleurs nous prouvons contre Hermogne qui lui donne pour origine la matire et non le souffle de Dieu, qu'elle est proprement parler un souffle. L'hrtique en effet, au mpris de l'autorit de l'Ecriture, traduit souffle par esprit, afin que, comme il est incroyable que l'esprit de Dieu tombe dans la prvarication et bientt aprs dans le jugement, on en conclue que l'me provient de la matire, plutt que de l'esprit de Dieu. Voil pourquoi ailleurs nous l'avons dclare un souffle, et non un esprit, avec l'Ecriture et d'aprs la distinction de l'esprit, tandis que dans ce moment nous la nommons regret un esprit, cause de la rciprocit de la respiration et du souffle. Ailleurs, la question roulait sur la substance; car respirer est un acte de la substance.

Je ne m'arrterais pas plus long-temps sur ce point, si ce n'tait cause des hrtiques qui introduisent dans l'me, je ne sais quelle semence spirituelle, confre par la secrte libralit de la Sagesse, sa mre, et l'insu de son auteur, tandis que l'Ecriture, qui sait un peu mieux les secrets de son Dieu et de son auteur, n'a rien promulgu de plus que ces mots: Dieu souffla sur la face de l'homme un souffle de vie, et l'homme eut une me vivante, par laquelle il dut vivre dsormais et respirer, faisant assez connatre la diffrence de l'me et de l'esprit, dans les passages suivants, o Dieu lui-mme parle ainsi: L'esprit est sorti de mo9#C5Wl?"]%?z~Y! d7Kk6VttW,J[EZLgq&O;01M]Fcszy^ mlT/8 gY*k[M?f;hORI*{^/g 7- {m=lq}/##%aojn][vWzT*{ia\hCcWWk[j7D]|lWkiiG]|6= -Mr=`N1S5iABa4i"-;Na[-S+^s)EZ*i[[00N8N5J 3=4f0PfaM"/H ^*"hD2ab1 +]4M L&LN#AUBw54-4M [t5HukgAu&1SuBUVtJ6$1ItO=A^*H_.>W[wwXtBB{++B$K%*}-}Eimoa_Me%a 0jAj4L4{>*&2C2VO} D}[i{`wT|?yZ4MT-FTU{_&B %mBiA?w 3U;M=4=m5(u-;MSB&D4Zi2Yx:ED;B'Q2Nx0 DDDDDXU:{OmtJD#38"""r1-=:,M Pib%@N/(}m4LH*!-L#dF@%q ?n.& g#D(!/ }i_oXI,a !S_w \9vq\WtM]W T#0'DQZ"W [Zk &RI6`UF}x[42?\=?_Kk~in:{._@xfEg;Zx/O_wW10~Dt[}/XJ7xZ~D f_+2)3)Mje>S#m:[)^{K !`'I(AhW/029=;^wi'^V i=S=D BB! 01HC43dN}|'_RhiiITaR$Dvf0g" df gdvx'({&9VME_ #FJ-*/~2XAH Dw}rNA67jf0"UMkX]x'I7]6`)6it% R hGyrOU