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PRÉVENIR LES TROUBLES DE LA RELATION AUTOUR DE LA NAISSANCE TEMPS D’ARRÊT LECTURES Reine Vander Linden Luc Roegiers Fruit de la collaboration entre plusieurs administrations (Administration générale de l’enseignement et de la recherche scientifique, Direction générale de l’aide à la jeunesse, Direction générale de la santé et ONE), la collection Temps d’Arrêt est éditée par la Coordination de l’Aide aux Victimes de Maltraitance. Coordination de l’aide aux victimes de maltraitance Secrétariat général Ministère de la Communauté française Bd Léopold II, 44 – 1080 Bruxelles [email protected] www.cfwb.be/maltraitance Temps d’Arrêt: Une collection de textes courts dans le domaine de la petite enfance. Une invitation à marquer une pause dans la course du quotidien, à parta- ger des lectures en équipe, à prolonger la réflexion par d’autres textes…

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PRÉVENIR

LES TROUBLES DE LA RELATION

AUTOUR DE LA NAISSANCE

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Reine Vander LindenLuc Roegiers

Fruit de la collaboration entre plusieurs administrations (Administration générale

de l’enseignement et de la recherche scientifique, Direction générale de l’aide à la

jeunesse, Direction générale de la santé et ONE), la collection Temps d’Arrêt est

éditée par la Coordination de l’Aide aux Victimes de Maltraitance.

Coordination de l’aide aux victimes de maltraitanceSecrétariat généralMinistère de la Communauté françaiseBd Léopold II, 44 – 1080 Bruxelles [email protected]

www.cfwb.be/maltraitance

Temps d’Arrêt:

Une collection de textes courts dans le domaine de la petite enfance.

Une invitation à marquer une pause dans la course du quotidien, à parta-

ger des lectures en équipe, à prolonger la réflexion par d’autres textes…

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Prévenir les troubles de la relation

autour de la naissance

Reine Vander Linden et Luc Roegiers

en collaboration avec Dominique Grossman,Françoise Lion, Bernadette Paternostre,

et Muriel Rozenberg

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Sommaire

L’intérêt d’une prévention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7• Devenir parent pousse –parfois malgré soi–

à revisiter sa propre histoire d’enfance . . . . . . . . 8• L’arrivée d’un enfant force aussi à renégocier

les liens aux générations précédentes . . . . . . . . 9• La médicalisation de la grossesse ouvre

des espaces nouveaux aux parents . . . . . . . . . . . 10• L’enfant à venir est porteur d’espoir,

de nouveauté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Vulnérabilité somatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13• La grossesse humaine est

physiologiquement fragile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13• La grossesse reste une prouesse

pour la femme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14• La pensée magique infiltre encore

la sphère de la reproduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15• Les hospitalisations obstétricales sont

souvent ressenties comme des ruptures dans les prises en charge par lesprofessionnels de l’extra-hospitalier . . . . . . . . . 17

• Tout accident obstétrical a un impact traumatique potentiel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

Vulnérabilité psychologique . . . . . . . . . . . . . . . . . 21• L’image du corps est bouleversée . . . . . . . . . . . . 22• L’implantation d’un être en soi

n’est jamais un évènement neutre . . . . . . . . . . . 23• La grossesse intruse la vie de couple . . . . . . . 24• Les familles d’origine sont convoquées

en période périnatale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Temps d’Arrêt:

Une collection de textes courts dans le domaine de lapetite enfance. Une invitation à marquer une pausedans la course du quotidien, à partager des lectures enéquipe, à prolonger la réflexion par d’autres textes…

L’élaboration de ce Temps d’arrêt a été réalisée par Luc Roegiers(pédopsychiatre périnatal) et Reine Vander Linden (psychologuepérinatale) avec la collaboration de Dominique Grossman (néo-natologue), Françoise Lion (sage-femme), Bernadette Paternostre(travailleuse médico-sociale) et Muriel Rozenberg (psychologue).

Fruit de la collaboration entre plusieurs administrations(Administration générale de l’enseignement et de la recherchescientifique, Direction générale de l’aide à la jeunesse, Directiongénérale de la santé et ONE), la collection Temps d’Arrêt est éditéepar la Coordination de l’Aide aux Victimes de Maltraitance. Chaquelivret est édité à 10.000 exemplaires et diffusé gratuitementauprès des institutions de la Communauté française actives dansle domaine de l’enfance et de la jeunesse. Les textes sont égale-ment disponibles sur le site Internet www.cfwb.be/maltraitance

Comité de pilotage:Paul Cotton, Guy Declercq, Gérard Hansen, Françoise Hoornaert,Diane Huppert, Anne Labby, Roger Lonfils, Anne Thiebault, ReineVander Linden, Patrick Vastenaekel, Dominique Werbrouk.

Coordination: Vincent Magos assisté de Delphine Gilman, Claire-Anne Sevrin etDelphine Cordier.

Avec le soutien de la Ministre de l’Aide à la Jeu-nesse et de la Santé de la Communauté française.

Éditeur responsable : Henry Ingberg – Ministère de la Communauté fran-çaise – 44, boulevard Léopold II – 1080 Bruxelles.

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Cinq repères pour la prévention

autour de la naissance

1. Considérer la mise au monde d’un enfantcomme étant avant tout, pour chaquefemme, un projet chevillé à son corps, unprojet donc pour lequel le souci médical etuniversel du «soin» est une précieuseouverture à une aide positive;

2. Comprendre ce qui se passe chez lafemme enceinte et chez son compagnonpour pouvoir respecter et entrevoir positi-vement cette mue identitaire vers lesfonctions de mère et de père. La grossesseet la naissance sont des moments dedéstabilisation, donc de risque mais ausside réorganisation salutaire autour de soli-darités nouvelles;

3. Tenter toujours de rejoindre le bébé ima-ginaire dans la tête des parents pouréchapper au cercle vicieux des péjorationsdans lequel peut «s’embourber» l’aide,particulièrement en situation de vulné-rabilité extrême. Il est indispensable depouvoir se représenter l’événement de lanaissance comme heureux pour inscrire

• Après la naissance, l’enfant peut rappeler diversévènements anciens – parfois secrets . . . . . . . . . 25

• La confrontation à l’enfant rêvé est parfoisdouloureuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

Vulnérabilité psychosociale extrême• Effet pervers de l’inquiétude . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29• Tenter de rejoindre les rêves des parents . . . 30• Mobiliser du sens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31• Dans «l’ici-et-maintenant» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32

Maternité et assuétudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37• Arrêter la consommation de stupéfiants? . . 38• Rôle des professionnels dans la spirale

de la confiance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39• Gérer des émotions violentes . . . . . . . . . . . . . . . . . 40• Quand la perspective d’un placement

semble inévitable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

Mailler le réseau: avoir tous les protago-nistes en tête et créer de la sécurité . . . . 45• L’intra- et l’extra- hospitalier: deux mondes à

comprendre, des passerelles à construire . . . 45• Le réseau périnatal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49• Réseau: tout doit-il se communiquer? . . . . . . 51

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

Quelques expériences de terrain . . . . . . . . . . 57• Equipes d’accompagnement ambulatoire . . . .58• Réseau régional . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59• Présence d’une psychologue

en consultation des nourrissons . . . . . . . . . . . . . . 60• Groupe interdisciplinaire inter-hospitalier

de périnatalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61• Coins rencontres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

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L’intérêt d’une prévention

La périnatalité est une période féconde à tous égards: ouverte aux mouvementsémotionnels, créatrice de liens, porteused’espoirs même dans les situations très vulnérables. C’est donc un moment particulièrement crucial pour construire uneprévention dans des conditions favorables.

Au moment de mettre un enfant au monde,le pouvoir créateur de la femme et de l’homme se réalise de façon exceptionnelle. Des ressources intérieures insoupçonnéesdeviennent disponibles. Ce livret tente demettre en évidence la force mobilisatriceque les professionnels peuvent activer parun accompagnement humain de bonne qua-lité. Ce temps «périnatal» est d’autant plusimportant à «saisir» qu’il invite les parents àdes mises en questions, à des transforma-tions de l’histoire humaine dans laquelle ilssont engagés.

Bien sûr, certaines situations de vulnérabilitéont de quoi inquiéter. Être acteur médical oupsychosocial de la naissance en milieu àrisque n’est pas une sinécure. Certainsjeunes parents ont l’art de convoquer autourde leur ventre rond ou du petit berceau, lesplus hideuses sorcières avec leurs maléfices.

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l’enfant à naître dans une dynamiqued’accueil plutôt que de blâme;

4. Construire des alliances même et surtouten contexte fragile (toxicomanie); ne passe préoccuper du bébé «contre» maisbien «avec» sa mère, son père; et ne pasalimenter les malentendus entre profes-sionnels. Les disqualifications prennentsource dans l’impuissance face à des dan-gers évidents, ou dans le comportementchaotique des parents;

5. Se parler adéquatement entre profession-nels, toujours dans l’intérêt du bébé, de lamère, du père; construire ainsi un réseauqui ne soit pas vécu comme un piège (toiled’araignée) mais au contraire comme uneenveloppe protectrice dans laquelle lesémotions peuvent se partager et laconfiance s’étayer pour le plus grand biende la famille en construction.

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parce qu’elle semble abandonner ses défen-ses et se met à parler d’elle. Remarquonscependant qu’elle est parfois plus transpa-rente à autrui qu’à elle-même.

«Cette femme me déconcerte: son bébésemble être le dernier de ses soucis; c’estcomme s’il n’existait pas et pourtant elleapproche de la moitié de sa grossesse; et àcôté de ça, elle vient avec les histoires de sapropre naissance; elle explique –parfois entirant avec avidité sur sa cigarette– commentson arrivée imprévue avait été négligée par sespropres parents. On dirait qu’elle ne vient auxconsultations prénatales que pour parler d’elle.»

Nancy, travailleuse médico-sociale

L’arrivée d’un enfant force aussi à renégocier les liens auxgénérations précédentes

On n’est plus uniquement l’enfant de sesparents, on devient parent de son enfant…De même, le couple doit intégrer une nou-velle fonction essentielle: créer une équipeparentale. Les liens proches et les équilibresfamiliaux sont ainsi remaniés… pour lemeilleur ou pour le pire.

«Je suis très proche de ma mère. Nous avonsentre nous une grande complicité, surtoutdepuis le départ de mon père quand j’avais

Pourtant, quelle mère, quel père souhaitevéritablement le malheur de son enfant auseuil de l’existence? Et quelle alternative a-t-on en tant que professionnel, que des’appuyer sur les ressources et sur l’espoir?C’est bien autour de ce pari optimiste –maissans naïveté– qu’est construit ce livret.

La grossesse, la naissance et l’après-nais-sance sont des moments-clé tant pour lespersonnes qui vivent ces étapes de profondchangement identitaire et relationnel, quepour les professionnels amenés à lesaccompagner. Creuset de l’accueil de l’en-fant, atelier du lien, cette période de viemérite toute l’attention des professionnels;même si tout ne se joue pas dans ce «bigbang» familial, de nombreuses bases de laparentalité et de l’attachement se mettenten place autour de la naissance; le désird’enfant, les contacts prénatals et les pre-mières rencontres marquent profondémentles parents et laisseront des traces émotion-nelles et relationnelles tout au long du che-min familial de l’enfant, en particulier lorsd’étapes délicates de son développement.

Devenir parent pousse –parfoismalgré soi– à revisiter sa proprehistoire d’enfance

On parle à ce sujet de «transparence psy-chique» chez la femme enceinte (Bydlowski)

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santé, mon moral, ce que je ressens… On n’ajamais fait ça avec moi. C’est pas toujours facilede répondre, mais ça fait du bien quand même.Bizarre qu’on trouve plus de gentillesse chezdes professionnels que dans sa propre famille».

Madame F.

Enfin, l’enfant à venir est porteurd’espoir, de nouveauté; il estsource possible de réalisation de soi

Bien sûr, ces attentes pèsent parfois sur lesépaules du futur enfant jusqu’à lui conférerdans les situations extrême une place de«parents de ses propres parents» (la«parentification» décrite par Boszormenyi-Nagy). Mais la médiation des professionnelspeut permettre de limiter ce processus enaidant les parents à aménager une placepropre à l’enfant, dégagée d’attentes répara-toires impossibles à assumer.

«Ce gosse, il va être pourri. Je pourrai rien luirefuser. Mon père il s’en fichait de moi, de mesétudes et de tout ce que je faisais. Mon filsn’aura pas le même genre de père. J’espèrequ’il n’aura pas envie de quitter la maison àseize ans comme moi je l’ai fait».

Monsieur R.

onze ans. Mais maintenant, en approchant demon accouchement, je sens comme un besoinde prendre mes distances par rapport à elle.Je crains qu’elle prenne une place de mèreauprès du bébé. J’ai peur d’être envahie parses conseils et par sa bienveillance. Je vou-drais qu’elle soit une grand-mère et pas uneseconde mère pour mon fils. »

Madame M.

La médicalisation de la grossesseouvre des espaces nouveaux auxparents

Ils y rencontrent des personnes qui ontvaleur à leurs yeux en tant que profession-nels compétents préoccupés par la santé etles transformations du corps de la futuremère, quel que soit son contexte psycholo-gique, social, économique ou culturel. À tra-vers sa situation obstétricale, sa valeur estreconnue par l’entourage médical. Cetteexpérience d’être au centre de l’attentionbienveillante est parfois la toute premièredans son histoire ou dans celle de sonconjoint. Voilà pourquoi il est si important deconsidérer et de soutenir le projet desparents plutôt que de s’appesantir sur leursantécédents.

«Le docteur V., c’est comme une mère pourmoi : elle me pose un tas de questions sur ma

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Vulnérabilité somatique

Le fait que toute grossesse soit en elle-même vulnérable, appelle la femme et sonconjoint à consulter le professionnel. C’estautour de cette préoccupation médicalebasique, signant une reconnaissance du«devenir parent», que se construiront lesautres interventions éventuelles.

La grossesse humaine est physiologiquement fragile

• Difficile à obtenir: seul un petit quart desembryons s’implantent, 20% des couplesconsultent un jour –d’impatience ou de vraiproblème– pour infertilité;

• Vulnérable aux «accidents de construction»:15 à 20% de fausses-couches et 3% de malfor-mations;

• Pas toujours bien vécue sur le plan soma-tique, avec de fréquentes nausées et fatiguesau premier trimestre et divers inconforts lors-qu’au troisième trimestre le volumineux bébéest à l’origine de douleurs sciatiques, chute dela capacité de la vessie, tensions diverses…;

Autant de messages qu’il convient d’en-tendre et sur lesquels les professionnelspeuvent s’appuyer pour proposer leur sou-tien lorsque la vulnérabilité somatique, psy-chique ou sociale apparaît comme facteur derisque dans l’établissement du lien parent-enfant.

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rité de confort dans les endroits publics, amé-nagements de ses tâches professionnelles,…)est susceptible de l’engager à son tour à offrirà sa grossesse les conditions les plus appro-priées, et ultérieurement à son enfant l’atten-tion dont il a besoin.

La pensée magique infiltre encorela sphère de la reproduction avec une foule d’ «idées reçues» psychologisantes dont les plusfréquentes sont les suivantes:

• Si la fécondation ne survient pas spontané-ment, c’est que la femme (toujours elle, lapauvre!) fait un «blocage» parce qu’elle ypense trop; ou bien parce qu’elle craintinconsciemment l’arrivée d’un enfant; etinversement, les femmes en précaritésociale sont des «pondeuses»;

• La fausse-couche est souvent le résultat destress excessifs;

• Les nausées du premier trimestre tradui-sent un rejet caché de la grossesse;

• Les femmes qui accouchent prématuré-ment sont généralement négligentes;

• …

De telles affirmations non fondées rigoureu-sement sont parfois avancées même par des

• Pas simple non plus à conclure: plus de 10%des enfants commencent leur vie en néo-natologie surtout pour retard de croissanceou prématurité; d’autre part, les propor-tions du fœtus humain par rapport au bas-sin maternel ou d’autres complicationssont à la source d’une césarienne plusd’une fois sur cinq.

De ce fait, la grossesse a toujours invité àl’assistance et à la solidarité. Si l’issue en estdevenue positive dans l’énorme majorité descas aujourd’hui, c’est grâce au fait que l’ac-compagnement s’est largement médicalisé.Quelques réflexions s’imposent cependant àce sujet :

La grossesse reste une prouesse pour la femme

Malgré l’assistance à la procréation, le dia-gnostic prénatal, les vitamines, la surveillanceobstétricale, la péridurale et autres aménage-ments, la tâche essentielle repose, faut-il lerappeler, sur la femme; le fait pour elle d’offrirasile à la construction d’un enfant, mêmelorsque c’est «à son corps défendant», estsource d’un mérite à reconnaître. Mettre unenfant au monde est toujours une contributionsubstantielle et reste dans une certaine mesu-re une prise de risque. Pour une femme, le faitd’être respectée en fonction de son état (prio-

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Les hospitalisations obstétricalessont souvent ressenties commedes ruptures dans les prises encharge par les professionnels del’extra-hospitalier

Que se passe-t-il dans l’univers médical?C’est très souvent un mystère pour lesacteurs de la sphère psycho-sociale lors-qu’une femme suivie en ambulatoire pourdiverses raisons est hospitalisée pourpathologie obstétricale. La même ignorancecaractérise réciproquement les profession-nels de l’intra-hospitalier pour lesquels lafemme et son problème n’existent plus dèsqu’elle a quitté leur domaine… en attendantla consultation suivante. Une telle disconti-nuité est dommageable car elle survient àun moment où le vécu d’incertitude et par-fois de dispersion intérieure relatif à l’événe-ment médical devrait au contraire être«contenu» par un réseau. Hélas, l’énergie àdéployer dans ces situations et parfois lesdisqualifications mutuelles entre mondeintra- et extra-hospitalier rendent arduesles tentatives de connexions. Et lorsqu’ellesont lieu, elles sont éventuellement sous-tendues par le souci de se défaire sur le dosde l’autre du «paquet de responsabilités»dans les situations les plus à risque… plutôtque de s’appuyer sur le contexte médical,levier précieux pour ouvrir le dialogue à pro-pos de la grossesse et de ses ambivalences.

professionnels; elles sont le reflet d’unesorte de prétention à vouloir tout expliquerdans ce domaine délicat, encore largementméconnu de la reproduction avec ses inéga-lités distributives difficiles à accepter («desinjustices», disent les gens marqués par lasurvenue d’une perte, d’une maladie de lagrossesse, d’un handicap ou d’une prématu-rité). Les interprétations et conseils issus detelles représentations victimisent des per-sonnes déjà en difficulté. Autrefois, on pointaitla femme comme coupable de sa stérilité oude l’issue malheureuse de sa grossesse;cette pensée magique traduite par diversessuperstitions a pris aujourd’hui une formepseudo-scientifique par le biais d’une psy-chologisation abusive, souvent par confusionentre la cause et les effets. Sans aucun doute,l’infertilité est source de découragement pro-fond, l’antécédent de fausse-couche produitde l’angoisse, les nausées titillent l’ambiva-lence en début de grossesse, l’immobilisationimposée par une menace d’accouchementprématuré suscite l’impatience d’être déli-vrée… Et à l’origine de tout cela? Le processusphysiopathologique est complexe et lesémotions n’en sont pas absentes, mais il estabusif et surtout contre-productif de lesmettre à l’avant-plan. Car la femme vit avanttout le préjudice d’ennuis qu’elle n’a pasvoulus ; toute explication psychologiquesauvage l’empêche de construire son propresens et la culpabilise inutilement.

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Tout accident obstétrical a unimpact traumatique potentiel

À l’écoute du récit de personnes en crise existen-tielle, conjugale ou familiale, on est frappé par lafréquence de récits relatifs à un «accident» sur-venu dans l’histoire de leur procréation:

«J’ai si longtemps attendu cet enfant qu’après laréussite de la fécondation in vitro, j’espérais toutde lui.»

«Cet avortement, même s’il était “nécessaire”, jene l’ai jamais pardonné à mon mec.»

«Quand j’ai annoncé à ma mère ma décision degarder le bébé malgré sa malformation, elle m’adit en tous cas de ne pas compter sur elle pours’en occuper si la crèche le refusait.»

«Avec ce gosse, c’est pas évident, déjà il m’aforcée à rester couchée à la fin de la grossesseet puis il est né tout petit et tout mou.»

«J’ai encore des réveils la nuit avec l’impressionqu’on m’ouvre le ventre comme pour ma césa-rienne en urgence ; alors je vais me rassurer enregardant dormir ma fille aînée.»

«À la crèche, on me reproche d’être fusionnelleavec mon fils. Mais moi j’ai encore si peur de sa fra-gilité depuis qu’il a été opéré juste à sa naissance.»

Le repérage de ces événements ne doit pas êtreincriminé comme la clé de tous les malheursrelationnels ultérieurs. Mais il impose d’unepart aux professionnels de la période périnatale

d’en tenir compte pour créer en milieu hospita-lier des temps et des lieux permettant unemeilleure assimilation d’accidents obstétricaux;d’autre part, aux professionnels de l’«après-coup», ce genre de témoignage invite avant toutà l’écouter –c’est déjà thérapeutique–, puiséventuellement à en questionner les conséquen-ces et à explorer comment rendre constructive larecherche de réparation du traumatisme.

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Vulnérabilité psychologique

Toute naissance «intruse» tant la sphèreaffective de la femme, que sa vie conjugale.La «transparence psychique» propre à cette période est une voie d’accès aux souffrances anciennes. Mais l’écoute nedoit pas se doubler d’interventions rejouantà leur tour l’intrusion. Avant tout, cettepériode, surtout en sa phase prénatale, doit être considérée comme un atelier psychique à respecter.

La grossesse bouleverse tous les points derepère dans la «continuité d’être» éprouvée àtravers le temps (le «self» décrit par Winnicott).De la complicité amoureuse à l’équipe paren-tale, de la vie conjugale à la vie familiale, dustatut d’enfant de ses parents à celui deparent de son enfant, des intérêts profes-sionnels à ceux de la sphère domestique, dela responsabilité pour soi à la responsabilitépour autrui…, ces véritables changementsd’identité constituent un séisme, une «entréeen constellation maternelle» pour la femme(Stern) et une crise développementale pourl’homme.

Au moment de devenir parent, on est face àdes défis excitants mais aussi face à des

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L’implantation d’un être en soin’est jamais un événement neutre

Même préparée et anticipée, la prise deconscience de porter un «étranger», doudouadoré ou parasite étrange (Ferenczi) estdéconcertante. Un frisson d’irréversibilité etd’envahissement peut envahir la femmeenceinte ou à l’inverse un sentiment de profondattachement avec la crainte de ne pouvoircontrôler cet hôte à la fois de son corps et deses pensées. Certaines femmes racontent defaçon ambivalente l’intensité des émois liés àla présence en elles d’un être dont la vie n’estpas toujours clairement différenciée de laleur; ainsi, l’angoisse d’atteintes ou d’acci-dents pouvant arriver au fœtus est indisso-ciablement liée à l’angoisse de leur propreintégrité (on sait combien des femmes dont lebébé est déclaré à risque en période périna-tale peuvent se sentir menacées en elles-même). Inversement, le fait de se sentir bienest projeté sur l’enfant. Voilà entre autres unefréquente explication du tabagisme persis-tant pendant la grossesse: la femme «sen-tant» sa propre détente sous l’effet de cettesatisfaction orale fait passer cet affect avantl’information «rationnelle» sur la toxicité dela cigarette.

incertitudes déstabilisantes. Les vulnérabili-tés somatiques décrites plus haut activentles inquiétudes, mais même en l’absenced’incidents, le doute peut faire son appari-tion à plus d’un titre.

L’image du corps est bouleversée

On idéalise parfois le ventre rond. On sechoque même d’attitudes négatives de cer-taines femmes à l’égard des transformationsde leur corps. On va jusqu’à questionner leurcapacité de maternage lorsqu’elles évoquentleur refus de prendre du poids ou qu’ellesdissimulent leurs formes. Or, on l’oublie tropsouvent, ce processus est profondémentinterpellant et sollicite puissamment desangoisses archaïques : «se déformer»,«devenir monstrueuse», «exploser»… Autreaspect à intégrer sur le plan de l’image ducorps: le ventre de la femme devient vérita-blement un «moulin» par lequel défilent lesinterventions de médecins délicats ou pas, etles regards bien- ou malveillants de l’entou-rage. Le corps de la femme devient presqueun lieu public, sa sexualité se trouve exposée,sa vie familiale offerte à son employeur…

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Les familles d’origine sont convo-quées en période périnatale

Même sur les décombres des ruines d’unpassé familial infernal, l’homme et bien plusencore la femme ne peuvent s’empêcherd’attendre de leurs parents une présence, unlien au moment de donner chair à la suite decette chaîne transgénérationnelle dont ilssont issus. Malheureusement, ni la réalité, niparfois même les simples fantasmes positifsne sont au rendez-vous. Lorsqu’on ne peutmême pas imaginer être pris dans les bras ousimplement encouragé(e) par ses parents, lasolitude ressentie peut être désastreuse. Leprofessionnel de la période périnatale estparfois attendu pour jouer ce rôle maternant.Autant le savoir: les mots et attitudes expri-més à ces moments sont placés dans ceregistre qui n’a bien sûr rien d’anodin.

Après la naissance, l’enfant peut rappeler divers événementsanciens –parfois secrets–

Ainsi apparaissent les «fantômes dans lachambre d’enfant», comme le formule SelmaFraiberg dans une réflexion sur toutes lesprojections qu’un jeune parent peut tirer de

La grossesse intruse la vie de couple

Épreuve de vérité, le projet d’enfant impose,tout au long de sa réalisation une négociationcontinuelle au sein du couple et le fragilise.Une bifurcation est imposée par les façonsd’appréhender la grossesse, très différentesentre homme et femme. Les motivationsapparaissent au grand jour. En outre, unmonceau de tâches nouvelles se présente etl’homme est invité à y participer dans uneplus large mesure; cela peut ne pas luiconvenir. Sur le plan affectif, l’homme sur-tout, mais aussi la femme sont placés face àla réalité d’un ménage à trois avec toutes lesjalousies que cela peut impliquer. L’amour estfait de toutes sortes de dimensions et lesamants ne s’appellent pas pour rien «Monpoussin» ou «Ma toute petite» ou encore car-rément «Mon bébé»; ils répondent ainsi àdes attentes mutuelles régressives claire-ment signifiées… et annonciatrices de criseinévitable lorsqu’un vrai poussin, une vraietoute petite vient s’installer au cœur de leurintimité conjugale. La période périnatale estainsi révélatrice des ressources et des lignesde fractures du couple susceptibles d’êtretravaillées au cours de ces moments féconds.

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leur histoire. La vérité n’est porteuse de res-sources que lorsqu’elle est découverte et/oureconstruite par les personnes concernées.

La confrontation à l’enfant rêvéest parfois douloureuse

L’arrivée de l’enfant «réel» est à la naissanceun choc. Certaines mères disent n’avoir pas«reconnu» l’enfant posé sur leur ventre. Cettesensation d’étrangeté est une déception mal-venue en ce moment attendu socialementcomme une réjouissance. À qui le dire? Lesentiment inattendu d’étrangeté, voire d’hos-tilité face à l’enfant s’enkyste en l’absenced’écoute appropriée. Deux jours plus tard,lorsqu’il ou elle refuse le sein, c’est le bluesqui prend pour thème cette frustration. Etdeux mois plus tard, la maman se présenteépuisée en consultation: «Il/elle ne fait pas sesnuits, je suis débordée, je ne comprends pascet enfant et il ne me comprend pas, je ne par-viens pas à le calmer ; je ne réussis pas avec cebébé alors que je passe mes journées à côté delui, pour lui…». Bref, la spirale interactive dela dépression post-natale se met en place.Aujourd’hui, on le sait, cet état est de plus enplus envisagé comme un trouble d’ajuste-ment mère-bébé: la première ne parvient pasà trouver de gratification narcissique à tra-vers son tout-petit et risque de le désinvestir ;

sa propre histoire et infiltrer dans celle deson enfant dès les premiers moments. Letout petit vit au rythme de ses besoins corpo-rels, de la trame de ses éprouvés (Stern) danslesquels ses parents jouent un rôle essentielde régulation. Or, ce nouveau-né peut avoirdes aspects ou des attitudes impossibles àaccepter par ceux qui lui ont donné la vie:

«Des cheveux blonds… je voulais tout mais pasça: on va se demander si c’est vraiment le mienavec ma tignasse noire», se souvient cethomme dont la dissemblance avec sonpropre père avait été l’objet de supputationsdestructives sur ses origines.

«Quand je l’ai prise dans les bras, elle s’estdétournée de moi» raconte avec souffrancecette maman marquée par une histoire denégligence sur plusieurs générations et fer-mement décidée à offrir à son enfant ce qu’ellen’a pas eu.

Dans ces cas, les parents déçus manifeste-ront des crispations qui seront perçues par lebébé, tout en restant énigmatiques. Ces mes-sages codés peuvent le perturber et lui impo-ser un difficile travail d’adaptation. C’est alorsaux parents de comprendre ce qui les assailleet les fait souffrir dans leur lien au nouveau-né, éventuellement avec une aide extérieure.À propos de ce genre d’aide cependant, atten-tion aux interventions trop directes: les inter-prétations des professionnels peuvent êtreressenties par les parents comme des intru-sions violentes et/ou une prise de pouvoir sur

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Vulnérabilité psychosociale extrême

Professionnels du champ médical, social ou psychologique, nous sommes parfoisconfrontés à des situations de grossesseeffrayantes: femme-enfant, précarité psy-chosociale majeure, grossesses répétéesavec placement d’enfant, comportement àrisque pendant la gestation: violence, toxi-comanie, alcoolisme, tabagisme, prise demédicaments,…

La détresse dans ces situations est si intensequ’elle ne peut être envisagée comme telleet se transforme insidieusement en juge-ment et/ou en stigmatisation de l’incapacitématernelle. Il vient dès lors à l’esprit despensées telles que «si cette grossesse pou-vait lâcher; ne devrions-nous pas suggérer à lamère d’interrompre sa grossesse,…». Parfoisaussi des remarques spontanées rendentexplicite le fond de la pensée «ce n’est paspossible Madame, vous êtes encore enceinte,c’est une catastrophe dans votre situation».

De tels mécanismes témoignent de la peuret de la colère qui jaillissent en nous aveccomme corollaire un puissant désir d’éva-cuation: «si tout cela pouvait ne pas être, nousserions épargnés de devoir nous préoccuperde cet enfant à venir à la place de sa mère».

le bébé à son tour, parfois perturbé par sespropres sensations corporelles (coliques,réactions excessives au bruit ou à la lumière,…),ne trouve pas face à lui une attitude suscep-tible de contenir ses débordements; il clamedonc sa détresse de façon insupportable poursa mère.

Le retour à un minimum de structuration desrythmes du sommeil est souvent le préalableessentiel à toute prise en charge de ces déli-cates perturbations pour éviter que l’un etl’autre ne finissent par se prendre en grippedès les premières semaines.

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• On est –à juste titre– irrité par l’incohérencedans la gestion du temps (rendez-vousmanqués); ou dans les propos avancés parles parents «on veut que notre bébé soitbien» mais les actes ne suivent pas (sur-veillance de la grossesse, comportementspréparatoires,…).

Tenter de rejoindre les rêves des parents

Dans les situations d’extrême vulnérabilité,les défaillances parentales repérées dans laréalité sont facilement interprétées par lesprofessionnels comme de la mauvaise volon-té ou de l’opposition. On oublie parfois derelier et de comprendre ces attitudes avec letableau de carences psychiques, affectives ousimplement matérielles des parents.

On assiste en effet à un profond décalageentre ce que rêvent les mères, les pères et lesmoyens dont ils disposent pour réaliser leursrêves.

Si l’on ne parvient pas à rejoindre le bébédans la tête des parents et leurs projets ima-ginaires, on ne mobilise pas leurs forcespositives. Désavoués, ils remettent le cou-vert. On reste alors dans la répétition descarences et de l’échec. Ces parents, en fai-sant et refaisant des enfants, nous présen-tent toujours et toujours plus ceux d’une réa-

Effets pervers de l’inquiétude

Lorsqu’on panique autour du futur bébé, lerisque est précisément d’oublier la mère etd’organiser, malgré elle ou même contre elle,une prise en charge de l’enfant, accentuantencore de la sorte son «incapacité» et par làsa culpabilité.

D’autre part, l’impuissance, l’indifférence oula négligence maternelle peuvent nouscontaminer et nous pousser à notre tour àêtre inefficace, indifférent ou négligent face àce que vit la future mère.

L’impasse est alors faite sur les attitudes quiparticipent à maintenir les parents en posi-tion de sujets-interlocuteurs à part entièreautour du bébé à venir:

• On ne prend pas le temps d’écouter ce quevivent les parents;

• On ne prend pas la peine d’exposer clairementses inquiétudes mais on «fait le gros doigt»;

• On ne se donne pas les moyens d’évaluer etde repérer les (petits) secteurs de compé-tences parentales mais on globalise l’éva-luation négative. Pourtant, les compétencesdes parents s’alimentent du regard bien-veillant que l’on peut y porter;

• On ne parle pas des démarches ou descontacts pris auprès d’éventuels autres pro-fessionnels;

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Il convient de tisser un réseau cohérent etrassurant entre professionnels en contactavec la femme, à partir duquel celle-ci, soncouple et les professionnels entre eux puis-sent expérimenter de nouvelles relationsmettant en perspective ce qu’ils seront ame-nés à vivre avec l’enfant à venir.

Lorsqu’une femme très carencée affecti-vement sent autour du bébé qu’elle porte l’inquiétude des professionnels, elle protègecomme un trésor l’idée de l’enfant propriété àelle et non nécessairement l’enfant lui-même. Ce qui explique qu’elle continuera à fumer, à prendre des médicaments ou àmal se nourrir,… Elle présentera plutôt descomportements de fuite, d’évitement quicrisperont et inquiéteront davantage encorel’entourage professionnel.

Dans ce type de contacts, une toute petite choseseule peut nous sortir de là: écouter l’émotionqui accompagne le geste chez la mère et cheznous-mêmes. Cette émotion est toujours neuveet sert d’ancrage à la relation au sein de laquel-le peuvent se négocier des aménagements pro-tecteurs pour le futur enfant (parfois même jus-qu’à l’organisation d’une séparation).

Cela met du temps… Lorsque l’histoire d’unefemme, d’un homme n’a été parsemée que deruptures, de pertes, de rejets, d’indifférence,de trahison… oser engager sa confiance repré-sente aussi un risque pour cette personne. Letravail d’accompagnement prénatal est donccapital et justifie une collaboration des profes-

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lité dont ils ne peuvent «décoller» et cettespirale nous fait agir également dans lemême registre de réalité. Mieux vautentendre d’abord et aussi tout ce que leurbébé imaginaire véhicule comme espoir,envie de changement, de recherche de réali-sation de soi. Comme le souligne FrançoiseMolénat, la répétition résonne trop souventen terme négatif pour les témoins, de mêmeque la similitude des situations gravess’organise autour du négatif alors que desressources existent!

Mobiliser du sens

Les risques relatifs à ces grossesses et nais-sances chez les adultes carencés s’intensifientencore sous notre regard qui ne renvoie que lenégatif de la répétition «ça recommence!».Or, cette répétition peut permettre grâce ànotre présence, notre rôle tiers entre eux eteux-mêmes; entre eux maintenant et leurhistoire; entre eux et leur enfant; entre leursrêves et la réalité,… que cela prenne sens etqu’ils ne restent pas strictement dans larépétition.

Certes, ce travail –quelle que soit la place quel’on occupe par rapport aux futurs parents(médecin, sage-femme, travailleur social del’ONE, de CPAS, professionnels de la petiteenfance,…)– ne peut se faire seul.

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Il importe de leur signifier que l’on a entendula détresse et qu’on pourra un jour y revenir.

Présentement, le plus important est de per-mettre aux futurs parents d’expérimenter desrelations où ils sont sujets d’une préoccupationpositive; et non les stigmatiser à travers leurséchecs de mauvais enfant de leurs parents, demauvais conjoint, de mauvais citoyen,…

Enfin, cet accompagnement doit offrir uncadre dans lequel, avec les parents, peuventse discuter et se penser les aménagements–dans la réalité– pour accueillir l’enfant dansdes conditions sécurisantes pour tous et res-pectueuses de tous.

Ainsi donc, au lieu de rejouer la répétition desruptures et des échecs –même s’il y a séparationmatérielle de l’enfant– le lien peut se maintenir.

Dans ce cadre sécurisant, les mères, lespères pourront peut-être construire leurparentalité à la mesure de leurs possibilités.Ceci sans déception de ne pas y arriver etsans faux espoirs chez l’enfant et chez lesprofessionnels qui en ont la charge.

Éviter les blâmes immédiats, les crispationsd’effroi. Prendre le temps d’ écouter, de comprendre, d’évaluer, de se concerter,de construire le lien. Travailler avec lesaspects positifs pour établir un partenariatdans l’intérêt de l’enfant : dispose-t-ond’autres alternatives probantes en situationde vulnérabilité extrême?

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sionnels du champ psychosocial en contactavec la femme enceinte, et ceux du champmédical. Cette collaboration doit se centrersur le soutien des futures mères et des inter-venants entre eux plutôt que sur le repéragedes défaillances et le contrôle.

Les défaillances et les dysfonctionnementss’imposent hélas d’eux-mêmes, rien ne sert,en les mettant en exergue, d’alimenter l’an-goisse circulant entre les professionnels.

Dans «l’ici-et-maintenant»

Il ne convient pas de tenter d’instaurer uncadre psychothérapeutique autour de cessituations car ces couples n’en ont ni le souhait,ni la demande, ni même la compréhension, etles essais avortés des professionnels ren-forceraient encore leur angoisse. L’histoire douloureuse de ces parents est si menaçantequ’elle nécessite de rester un temps encoreenfouie. Le travail de soutien doit avoircomme cadre «l’ici et maintenant» de cequ’ils éprouvent, de ce qu’ils disent de lagrossesse et des liens qui s’instaurent autourde celle-ci (y compris les nôtres).

Parfois surgissent –souvent malgré eux– descontenus pénibles, évacués aussi vite avec laformule «mon enfant vivra mieux ou sera plusheureux que moi, il aura tout ce que je n’ai puavoir…».

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Maternité et assuétudes

Grossesse et toxicomanie, cette probléma-tique à la fois médicale et sociale, est géné-ratrice de peurs violentes, tant du côté desprofessionnels que paradoxalement du côtédes parents.

L’absorption des toxiques et le mauvais suivide la grossesse entraînent des complica-tions avec leurs conséquences en terme demorbidité néonatale: retard de croissance,souffrance fœtale, prématurité, sevrage,décès,…

La toxicomanie pendant la grossesse éveilledonc de vifs émois en ce qu’elle fait craindrepour l’enfant et provoque dès lors des atti-tudes autoritaires et inadéquates à l’égarddes parents.

Pourtant, dans les premiers moments de la relation, l’adhésion des futurs parents àl’aide proposée est très forte, ce qui contri-bue au sentiment des professionnels d’êtrefloués, trahis lorsque ces derniers ne se pré-sentent plus ou pas aux rendez-vous. Laréplique est alors l’organisation d’attitudescontraignantes dans une illusion de contrôle,ce qui fait davantage fuir les parents.

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ment et les pédiatres refusant en fonction dutableau clinique du nouveau-né. Chacundéfendant les intérêts d’un pôle de la dyademère-bébé mais sans pouvoir «penser» cettedyade comme une entité unique.

Illustration ici de la nécessité d’une concerta-tion inter-professionnelle autour des intérêtsde la dyade parents/enfant.

Rôle des professionnels dans la spirale de la confiance

Lorsqu’une substitution à la méthadone nepeut s’organiser, ou alors même qu’elle estlancée, le stress de la grossesse est si impor-tant pour la femme qu’elle ne peut tenir sonprojet de sevrage et continue à consommerau plus grand désespoir des professionnelsqui y ont cru et qui s’en étaient fait un objec-tif dans l’accompagnement de la femme.

S’enclenche alors une spirale d’illusions/déceptions très préjudiciable à la confianceentre ces mères et l’entourage médico-social, hélas aussi déjà annonciatrice de cequi se passera à la naissance entre la mèreet l’enfant. La mauvaise qualité des relationsavec l’entourage médico-social aggrave un peu plus encore le retrait des parents,interprété comme de la négligence ou, aprèsla naissance, comme un délaissement dubébé.

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Arrêter la consommation de stupéfiants?

Souvent en cours de grossesse, les futuresmères toxicomanes culpabilisées par l’idéede faire du tort à leur bébé, évoquent leursouhait de tenter pour elles-mêmes, unsevrage. Ce désir, totalement irréaliste,touche néanmoins les professionnels quiespèrent des changements et abondent dansle projet de stopper la prise de toxiques.

Il est nécessaire de souligner qu’un arrêt deprise de drogues en cours de grossesse n’estpas favorable au bébé qui vit un sevrage inutero. On préconise la substitution des opia-cés à la méthadone. Ces traitements enambulatoire sont pris en charge par desmédecins généralistes ou des centres spé-cialisés. Hélas, trop souvent encore, la fortealliance qui se crée entre les prescripteurs et la mère fait l’impasse sur le bébé. Il n’estpas suffisamment présent dans la tête dumédecin qui omet de l’actualiser dans lesconversations avec la mère et dans uneconcertation avec les soignants qui en aurontla charge à la naissance. Une conséquence decela sont les «chamailleries» entre le méde-cin prescripteur du traitement substitutif ouparfois l’obstétricien, et le pédiatre autour dela question de l’allaitement. Les soignants dela mère soulignant les efforts de cette der-nière pour arriver en fin de grossesse à untaux de méthadone compatible avec l’allaite-

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physiquement à ceux qui observent le bébé:irritabilité, hyper-réactivité aux bruits et auxlumières, pleurs, nausées, sommeil agité, cram-pes abdominales, diarrhées, convulsions,…

Les «tourments» de ces petits effraient lesmères qui réalisent l’effet de la destructivitéqu’elles ont occasionnée.

«J’ai juste envie de m’enfuir, dit Madame A. quipeut verbaliser ce qu’elle ressent. C’estinsupportable de voir mon fils se tordre de dou-leur par ma faute».

Selon les maternités, on appelle le psychiatrede garde qui (re)propose un sevrage à la mère.

En suite de couche, celle-ci doit faire face aumanque et aux visites du bébé en pédiatriedans un climat souvent hostile en ce sensqu’elle doit affronter le regard et les remar-ques des infirmières qui vivent de près la souf-france du bébé et ses pleurs inconsolables.

D’où, une sortie précipitée contre avis médi-cal et sa conséquence: le signalement socialou judiciaire de l’enfant souvent suivi d’unplacement non préparé. Ce scénario «télé-phoné» est hélas classique. Des équipes ontcependant pu inverser la spirale des évite-ments/déceptions/ «sanctions» en organi-sant une intégration des registres médicaux,sociaux et psychologiques dans la continuitéde l’anténatal et du post-natal ainsi que del’intra et l’extra-hospitalier.

Seuls le partage et le décryptage –entre pro-fessionnels– des affects violents qu’indui-sent ces situations de toxicomanies, permet-

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Il s’agit de bien comprendre les mécanismesen jeu auxquels nous, professionnels, parti-cipons parfois sans le savoir, rejouant parailleurs le drame relationnel que ces patientsont vécu dans leur entourage familial. Lorsquechez les parents s’énonce avec conviction lerêve d’arrêter la prise de drogue dans unsouci pour le fœtus, un effet de grand soula-gement se fait sentir du côté des profession-nels. Si le désir est bien présent, ce quimanque aux parents, c’est la force pour yarriver. Ils cachent donc, honteux, leurs déra-pages ou rompent les liens avec l’entouragecar ils savent qu’ils déçoivent.

Au moment de la naissance, les parents sontnécessairement reconfrontés à des profes-sionnels inquiets. Si la prise de toxiques estconnue, le nouveau-né part en unité depédiatrie ou de néonatologie pour y prévenirun éventuel sevrage, annonce-t-on aux parents.Mais au delà de cette justification se cachentd’autres objectifs à la séparation du bébé:tester l’attachement et contrôler les interac-tions parents/nouveau-né car la peur d’uneinadéquation parentale est bien présente.

Gérer des émotions violentes

Un tableau de sevrage chez un nouveau-néest extrêmement pénible en ce qu’il témoigned’une souffrance qui se contamine presque

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fœtus. Il reste très difficile d’en parler adéqua-tement pendant la grossesse. Or à la naissance,les retards de croissance ou les syndromesd’alcool fœtal s’imposent aux mères avec unesouffrance comparable aux tableaux de sevragedécrits plus haut. La culpabilité et la honteassombrissent la rencontre mère-bébé.

La prévention périnatale en contexte d’assuétude impose un fonctionnement triangulaire bien huilé, si possible sans«contamination émotionnelle» : le pédiatreappelé pour avis informe correctement lafemme, sans rien édulcorer; idem pour legynéco-obstétricien ou la sage-femme, ces derniers étant aussi en position del’orienter vers des attitudes réalistes susceptibles de protéger l’enfant à naître,en lien avec le généraliste ou le psychiatretraitant du moment; quant au psycho-thérapeute et/ou au travailleur social, sonrôle est de pouvoir resituer le comportementaddictif dans son contexte et d’insister enpositif sur les aménagements acceptés ouentrepris par la femme; même insuffisants,ils sont à tolérer dans la perspective dumoindre mal possible. Dans cette négociation donc, deux aspects doiventêtre sauvegardés à tout prix : une inter-disciplinarité exempte de disqualificationset une relation de confiance véritable.

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tent de tenir une cohérence dans le soutien(« holding ») et les conseils apportés à cesparents. On ne le répétera jamais assez, cestableaux sont éprouvants pour les interve-nants qui les gèrent en première ligne.

L’infirmière qui s’occupe du bébé ne peutqu’en vouloir à la mère. Elle doit être, elleaussi soutenue par le réseau des profession-nels pour continuer à accueillir les parents etles guider dans le «management» du bébé enfonction de ses caractéristiques et de l’évolu-tion de son sevrage. Ce travail, on ne peut lefaire seul ou déconnecté des autres, même sices situations sont particulièrement généra-trices de discordes entre soignants porteurs,les uns des intérêts de la mère/du père; lesautres de ceux du bébé. «Penser» ceux desparents et de l’enfant en même temps est uneentreprise complexe qui impose d’adopterdifférents points de vue simultanément. Il estdonc essentiel que les soignants puissents’articuler pour soutenir ensemble le lien fra-gilisé par la vulnérabilité du bébé en sevrage,la culpabilité parentale et les prises de position trop souvent clivées entre des pro-fessionnels isolés et inquiets.

Quand on pense «assuétudes», on ne peut selimiter aux situations critiques de dépendanceaux opiacés. La cocaïne et l’XTC ont des consé-quences plus redoutables encore (malforma-tions!), sous un vernis plus insidieux. Quant àl’alcool et au tabac, même s’il s’agit de pro-duits socialement mieux tolérés, leurs consé-quences sont également très préjudiciables au

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Mailler le réseauAvoir tous les protagonistes en tête

et créer de la sécurité

L’intra- et l’extra-hospitalier:deux mondes à comprendre, des passerelles à construire

Autour de la grossesse et de la naissance,deux mondes différents coexistent, parfoiscollaborent: celui de l’accompagnement extra-hospitalier (médecin généraliste, kiné, plan-ning familial, services psychosociaux…) etcelui de l’intra-hospitalier. Mondes souventméconnus entre eux, ou véhiculant des repré-sentations peu en rapport avec la réalité l’unde autre.

Certes, les logiques de travail sont très diffé-rentes:

• Le temps de l’hôpital est celui de l’urgencemédicale que l’on traite le plus adéquate-ment et le plus vite possible. Le contexte etl’histoire des patients passent au second plan.Les impératifs financiers sont incontour-nables: chaque jour d’hospitalisation coûte aupatient et à la société. Chaque indicationdoit être justifiée en termes rigoureuse-ment médicaux;

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Quand la perspective d’un placement semble inévitable

L’optimisme nécessaire dans toute prise encharge prénatale et l’importance des alliancesautour du souci préventif ne peuvent pas tou-jours éviter certaines catastrophes dont lessignes doivent être précocement repérésaprès la naissance. De plus, lorsqu’unefemme n’a bénéficié d’aucun suivi obstétricalet présente à la naissance une détresse psy-chologique et matérielle, les issues positivesrestent malheureusement limitées. Raisonde plus pour créer des ressources autour desfemmes pendant la grossesse. Et des relaissur lesquels s’appuyer entre professionnels.

Le signalement postnatal éventuel aux instan-ces judiciaires doit pouvoir prendre sens dansla compréhension des parents: souci de protec-tion de l’enfant, et non blâme ou punition. Mêmesi le signalement est toujours difficile à «encais-ser» pour des parents, il leur est néanmoinspossible de reconnaître la cohérence du profes-sionnel lorsque le but est de mettre l’enfant àl’abri de toute destructivité. Il s’agit de protégerl’enfant, mais aussi ses parents tant il est vraique quasi aucun d’entre eux ne souhaite vérita-blement le malheur de son enfant, même lors-qu’ils ne peuvent s’empêcher de le lui infliger, entoute inconscience. Et la sécurité du profession-nel dans son cadre de travail lui impose ce pos-sible recours au signalement en justice. En effet,comment travailler valablement dans l’angoisse?

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et les autres des aspects d’eux-mêmes biendifférents.

Telle assistante de CPAS bien informée de lasituation sociale chaotique d’un couple peuts’étonner que le médecin soit à mille lieuesde s’imaginer la précarité de sa patiente, lavoyant comme une future mère motivée etpréoccupée par l’arrivée de son futur enfant(ce qui du reste n’est pas contradictoire avecson désordre, mais contribue à des représen-tations très contrastées). Ou encore, teldirecteur de service de protection judiciaire:il a été chargé d’organiser des mesures deséparation pour les deux aînés de Madame L.et s’étonne qu’à la consultation d’obstétrique,on considère cette maman bien capable deprendre en charge son futur bébé.

Très vite peuvent alors apparaître des luttesde pouvoir ou de disqualification des compé-tences des uns et des autres, si place n’estpas faite à l’écoute du désir et de l’espoir desparents. À partir de confidences partagées,des contradictions apparaissent parfois, etl’objectif est pour certains d’avoir plus raisonque l’autre («Vous ne vous rendez pas compte,vous ne les connaissez pas, c’est de l’optimis-me déplacé!», «Comment avez-vous le droit deporter un tel jugement?), plutôt que de s’asso-cier à partir de portes d’entrée différentesd’une même réalité.

Ces clivages entre champs intra- et extra-hospitalier, miroirs en partie de la réalitéintra-psychique des futurs parents, lorsqu’ilsmènent à des escalades de disqualifications

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• Le champ extra-hospitalier –du moins toutle secteur subsidié par les pouvoirs publics–peut se permettre de différer l’action etd’institutionnaliser des temps de réflexionet/ou de contacts entre les professionnels(réunions d’équipe, concertations…)

Il y a différence aussi de prétextes de ren-contres:

• Le champ extra-hospitalier est confrontéaux futurs parents en raison de comporte-ments questionnants déjà repérés ou deproblèmes avec d’autres enfants;

• À l’hôpital, il y a moins de risque de stigma-tisation a priori ; la présence des futursparents se justifiant par les nécessités dusuivi de la grossesse.

En outre, au-delà de cette distinction «intra-hospitalier et extra-hospitalier», les missionsdes professionnels des divers champs orien-tent leurs angles d’analyse des situations:

• Les acteurs du secteur de la santé mentalemettent l’accent sur la psychopathologie etses répercussions sur le lien parent-enfant;

• Les soignants relevant de la médecinesomatique privilégient la dynamique de vieen partant du corps et de l’événement nais-sance dans sa dimension générale.

Les professionnels de ces champs auxlogiques différentes peuvent parfois avoir dumal à se rencontrer et à se comprendreautour des familles ; ce d’autant plus que lesfuturs parents viennent déposer chez les uns

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Le réseau périnatal

«L’esprit de réseau en périnatalité consiste à penser et agir au plus près de ce queressentent les futurs parents: Qui rencon-trent-ils? En qui ont-ils confiance? Quellecompréhension ont-ils du rôle de chacun etaussi des représentations de chaque acteuren fonction de sa discipline? Quelle imageont-ils des modalités de communication deces intervenants entre eux? Plus simple-ment, comment se figurent-ils leur propreplace au sein d’un environnement profes-sionnel diversifié et bien souvent étrange oumenaçant à leurs yeux? Toute la question dunarcissisme se retrouve là dans une oppor-tunité pour quelqu’un d’éprouver son être aucentre de rencontres humaines dont il estl’objet. Comment un être humain dans cestrois registres somatique, social, psychique,peut-il se reconstruire s’il trouve autour delui dans un moment très sensible de sonexistence comme la procréation, des «blocs»faits d’actions et de pensées imperméablesles uns aux autres» (Françoise Molénat).

Lorsqu’on entre dans le champ de pensée del’autre, inévitablement, on s’enrichit. Lesreprésentations se modifient, et ces trans-formations mutuelles catalysent l’esprit deréseau. «Cet esprit de réseau oblige à creu-ser la différence, les places de chacun, àaccepter l’imprévu. Si on tient compte du

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stériles sont directement préjudiciables à larelation d’attachement parent-enfant. Commesi le type de communication entre profession-nels pouvait «déteindre» sur le contact mère-enfant. Notons que ce genre de clivage peutse jouer au sein d’une même équipe à l’hôpi-tal (par exemple entre obstétricien, sage-femme, pédiatre…) ou en ambulatoire (parexemple entre psychothérapeute, travailleursocial…) Dans ce moment d’effervescencepsychique, les parents en herbe déposentchez les divers professionnels rencontrés,des aspects différents de ce qui les constitue.

Par contre, les articulations interdisciplinairesou le tricotage de liens inter-professionnelsont des effets sur les liaisons psychiques donttémoigneront positivement les futurs parentsdans ces moments où ils construisent leur nou-velle parentalité. La cohérence autour d’eux,l’organisation lisible des statuts et fonctionspeuvent mobiliser des éprouvés enfouis profon-déments et bien plus, éveiller la conscience dece qui a pu rester confus, clivé ou interdit dansleur histoire transgénérationnelle, comme lesouligne Françoise Molénat.

À ne pas oublier dans les moments de crise:la clinique nous le montre, plus la fragilitépsychologique ou sociale se fait aiguë etles incidents se multiplient, plus il faut res-serrer la prise en charge du côté médical,espace de soins non menaçants.

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Réseau: tout doit-il se communiquer ?

Si un travail peut mériter l’appellation «de réseau», c’est bien parce qu’il sous-tend un état d’esprit où tous les professionnels travaillent en tenant compte des autres comme des partenaires significatifs pour les parents.

Avant tout, rappelons l’obligation du secretprofessionnel fixé par le code pénal (art 458) 1:celui-ci protège entre autres la confidentialitéindispensable à toute relation d’aide. Dans leréseau périnatal, la transmission d’informa-tion est nécessaire mais ne peut se faire sansdiscernement. Chaque partage d’informationdoit être sous-tendu par les préoccupationssuivantes: «Ce que je transmets à l’autresert-il les intérêts de la mère, du père, dubébé?»

Et «l’information livrée aide-t-elle réelle-ment le collègue à mieux comprendre lecontexte, et par là les enjeux en lui permet-tant de mieux adapter ses attitudes auxbesoins des parents?»

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rôle des autres, on creuse sa propre place enla différenciant» Ce faisant, «les profession-nels qui s’y prêtent se réconcilient avec eux-mêmes et avec les autres, sortent de leurculpabilité et de leurs peurs (…) En terme deprise de conscience, c’est fabuleux lorsquela famille perçoit cet état d’esprit autourd’elle, dans le climat de sollicitude néces-saire à toute naissance, comme si tout d’uncoup, ils éprouvaient à leur tour toute cettequestion de la différenciation, prenaientconscience de confusions transgénération-nelles, de distorsions affectives, ce qui leurpermet de relier leurs affects actuels à deséléments du passé, souvent leur histoire depetit enfant», insiste Françoise Molénat.

On peut donc, sans aborder explicitementl’histoire ancienne des jeunes parents, à tra-vers le simple établissement de liens deconfiance différenciés et fonctionnels, susci-ter par le réseau, des ressources malgré desfragilités installées parfois depuis long-temps. Ainsi, la naissance devient véritable-ment pour ces familles en souffrance, unenouvelle chance.

En outre, un tel travail permet aux parentsd’oser s’adresser à nouveau en cas debesoin aux professionnels, plutôt que de sereplier dans la culpabilité et l’angoisse.

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1 Voir à ce propos le Temps d’Arrêt «Confidentialité et secret profes-sionnel: enjeux pour une société démocratique», édité par leMinistère de la Communauté française, épuisé mais téléchar-geable sur www.cfwb.be/maltraitance

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sage-femme que ce bébé arrive à unmoment inadéquat au point d’avoir des sen-timents de rancœur à son égard, parexemple. Ce qu’il convient d’entendre ici,c’est le désir écartelé de la femme, et lestensions que ce tiraillement peut susciter enelle au point de la déstabiliser. Chercher àdéfinir chez qui du pédiatre ou de la sage-femme, elle aurait dit la «vérité» est totale-ment stérile. Le repérage de cette déstabili-sation nous indique plutôt qu’elle a besoind’aide et qu’à des temps différents, pédiatreet sage-femme peuvent lui être utiles.

Dans des situations de vulnérabilité impor-tante, toute transmission qui charge oucontamine le réseau de l’angoisse de l’un ou l’autre des professionnels est à éviter. Les divers acteurs doivent donc pouvoircomprendre et décoder ensemble les enjeuxd’émotions parfois violentes. Ils doiventaussi écouter la détresse ou l’impuissancede l’autre. Ainsi, chacun décontaminé de sesaffects difficiles sera en mesure de repren-dre son rôle de professionnel contenant etsoutenant.

Plus périlleuse est la situation dans laquel-le, à travers le discours des parents, l’un oul’autre professionnel apparaît comme inadé-quat. On est parfois aspiré dans une alliancedysfonctionnelle avec les parents contre ceprofessionnel blâmé à tort ou à raison. Toutedisqualification entre intervenants a deseffets désastreux. L’important n’est pas, une

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De plus, comme nous l’avons évoqué plushaut, chaque professionnel, dans la place etla fonction qu’il occupe auprès des parentssera dépositaire de facettes différentes deleur psychisme et du «kaléidoscope» de leursémotions. On peut donc, en réunissant cesdiverses facettes dans l’échange entre pro-fessionnels avoir l’impression d’être face àdes contradictions. Or, il s’agit plutôt d’as-pects différents qui déploient l’ambivalenceinhérente à toute expérience humaine.

De plus, ces contradictions reflètent égale-ment ce que les psychanalystes appellentles phénomènes transférentiels qui sejouent dans chaque relation singulière :chaque intervenant représente une figureparticulière de la vie du père ou de la mère,figure avec laquelle se sont nouées des rela-tions qui sont là, rejouées inconsciemment,dans le contact avec les professionnels. Telparent peut donc se montrer agressif avectel intervenant et déprimé avec tel autre. Cescomportements ne visent pas le profession-nel pour ce qu’il est, mais plutôt pour ce qu’ilreprésente dans l’histoire passée et actuelledu parent .

Chercher à souligner les incohérences ou lesantagonismes dans les discours ou les atti-tudes est une démarche vaine qui empêchede rejoindre l’émotion des parents expriméedifféremment chez les uns et les autres. Onpeut dire à son pédiatre que l’on souhaiteardemment s’occuper de son bébé, et à la

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Conclusion

Accueillir un enfant dans de bonnes condi-tions passe par le regard respectueux et lesoutien cohérent de tous ceux qui gravitentautour de sa naissance. Mère, père, familles,soignants, intervenants psychosociaux for-ment autant d’enveloppes protectrices etsoutenantes autour du nouveau-né, à l’instardes poupées gigognes. Au centre de la pré-vention périnatale à laquelle collaborentparents et professionnels se trouve la sécu-rité de ce petit être en construction, appeléun jour lui aussi à créer des liens dans lachaîne des générations.

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fois de plus, d’avoir raison à propos de lacompétence de l’un ou de l’autre, mais deredonner valeur aux places et rôles distri-bués et de décrypter les projections desparents sur les acteurs (avec leur personna-lité propre, bien sûr) occupant ces places etrôles. En aidant pères et mères à décoder lemalaise, puis à l’exprimer au professionnelconcerné et peut-être à le régler, on leurpermet de faire des expériences parfoistotalement nouvelles et par là de déployerdes ressources inattendues.

Questions essentielles à se poser aumoment d’un passage d’informationsOu encore: tourner sept fois sa languedans la bouche…

• Si je transmets, c’est dans quel objectif?Pour aider qui?

• Avec quelle retombée positive espérée ?• Est-ce approprié à la fonction du profes-

sionnel concerné?• L’alliance avec le professionnel à qui je

pense parler nécessite-t-elle vraimentcet échange de contenus?

• Les personnes à aider/patients/clientssont-ils au courant de cet éventuel pas-sage d’information? Puis-je passer au-dessus d’eux?

• Comment vais-je formuler la part utilede l’information à transmettre?

• En fonction de tout cela, que vais-je gar-der pour moi, que vais-je transmettre?

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Quelques expériencesde terrain2

La Belgique, à l’heure actuelle, ne disposepas de structure de coordination des prisesen charge périnatales. Malgré la présence del’ONE, le suivi est l’affaire de tous, donc, tropsouvent, de personne; et ce d’autant pluslorsque les acteurs ne se connaissent pas.

En outre, certaines ressources périnatalesindispensables sont très inconstantes:

• La présence d’un pédopsychiatre ou d’unpsychologue en maternité et en néonatolo-gie relève de la volonté de certaines struc-tures hospitalières qui se débrouillent pourle financer ;

• Certaines maternités ne bénéficient mêmepas de la présence de travailleuses médi-co-sociales de l’ONE ;

• …

À l’heure actuelle, aucune politique globalede prévention n’est ciblée sur la périodepérinatale.

Pourtant, différentes initiatives préventivesont vu le jour. Elles restent cependant fra-

2 Merci aux professionnels qui ont témoigné de ces expériences : lestravailleuses d’Écholine et d’Aquarelle, Pierre Rousseau, MoniqueMeyfroet,…

Bibliographie

Bydlowski M., Je rêve un enfant, Odile Jacob;2000.

Delaisi de Parseval G., L’art d’accommoderles enfants, Odile Jacob; 1998.

Delaisi de Parseval G., La part de la mère,Odile Jacob; 1997.

Fraiberg S., Fantômes dans la chambred’enfants, PUF-Fil Rouge; 1999.

Guedeney A., Allilaire J.F., Interventions psy-chologiques en périnatalité, Masson; 2001.

Lamour M., Souffrances autour du berceau: Desémotions au soin, Gaëtan Morin Editeur; 1998.

Molénat F., Mères vulnérables, Stock-LaurencePernoud; 1992.

Molénat F., Grossesse et toxicomanie, Érès; 2000.

Roegiers L., La grossesse incertaine, PUF-Filrouge; 2003.

Stern D., La constellation maternelle, Calmann-Levy; 1997.

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Réseau régional

Deux préoccupations préventives furent à labase de la création d’un réseau régional dansle Hainaut:

• Les retards de croissance intra-utérin;

• La dépression postnatale et les troubles de larelation mère-enfant subséquents.

L’idée était, pour chaque professionnel concerné,d’élargir son champ d’action lorsque sontatteintes ses limites. Ainsi, selon les besoinsexprimés, des synergies ont pu être crééesentre médecins traitants, gynécologues, psy-chologues et travailleurs sociaux par des voiesaussi simples que la constitution de carnetsd’adresses et des rencontres pour se con-naître et travailler ensemble. Les liens établisfacilitaient la recherche des sentiers de repé-rage dans la démarche d’aide.

À ce propos, il faut rappeler le rôle souventessentiel du médecin traitant, et ses limitesdans un système de paiement à l’acte, où lescontacts avec d’autres professionnels intra-ou extra-hospitaliers ne sont guère possibles.Or, la prise en charge de la dépression post-natale survenant généralement entre ledeuxième et le dixième mois après la naissan-ce exige des liens: la fatigue ou les angoissesd’une mère peuvent la mener à consulter sonmédecin traitant; un suivi psychothérapeu-tique peut alors s’indiquer; mais au cours decelui-ci, la récurrence des plaintes concernant

giles et dépendantes de subsides générale-ment ponctuels, malgré tout leur intérêt.Voici la présentation de quelques-unesd’entre elles à titre d’illustration, de façonnon exhaustive:

Équipes d’accompagnementambulatoire

On sait qu’une frange de la population ensituation de précarité ne consulte que trèspeu ou très tard dans la grossesse. Les rai-sons en sont multiples: isolement, situationd’illégalité, faibles ressources financières,jeune âge, manque d’instruction ou d’infor-mation, fragilité psychologique,… Certainesprofessionnelles ont souhaité ne pas se limi-ter au constat d’une carence de suivi danscette population vulnérable. Des structuresde prise en charge se sont constituées à la findes années 1990 à Charleroi et à Bruxellesgrâce à des fonds privés, pour offrir auxfemmes et aux couples référés (avec leuraccord, bien sûr) un accompagnement pré-et/ou postnatal gratuit avec visites à domicile.L’originalité de ces initiatives est d’aborderles facteurs de risques psychosociaux à travers l’aide médicale ou sociale concrète,prioritaire. Les sages-femmes sont à la basede ces initiatives, aidées par des psycho-logues ou des travailleuses médico-sociales.

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diatement repérés et parlés avec les parents.Dans cette population où les parents sont sou-vent déliés de leur famille d’origine, et où la lecture ne fait pas partie de la culture, l’informa-tion sur le développement de l’enfant fait défaut.Sans l’imposer, mais en la partageant de façontrès appropriée aux singularités de chaque situa-tion, la psychologue peut éclairer les parents etsusciter chez eux une dynamique d’interrogationleur permettant de réajuster les représentationsqu’ils se font de leur enfant et/ ou à propos desdifficultés qu’ils éprouvent face à lui.

Groupe interdisciplinaire inter-hospitalier de périnatalité

Il s’agit ici d’un groupe de réflexion, donc d’uneprévention indirecte. Cette réalisation s’estdéveloppée à partir d’une initiative conjointeprise par des professionnels de périnatologiede divers hôpitaux, autour du souci d’uneconfrontation entre les pratiques de centres voi-sins, mais aussi et surtout de disciplines diffé-rentes convoquées par les naissances vulné-rables. Ainsi, des obstétriciens, des sages-femmes, des pédiatres, des infirmières de néo-natologie, des (pédo)psychiatres et psycho-logues ainsi que des travailleurs sociaux seréunissent autour du thème de l’annonce –tou-jours traumatisante– du handicap et de situa-tions cliniques présentées alternativementsous la supervision du docteur F. Molénat et de

l’enfant appelle à son tour le pédiatre ou laTMS; face à une mère débordée, la consulta-tion des nourrissons peut, quant à elle, sollici-ter un service d’aides familiales; à domicile,l’aide peut être interpellée par des problèmestouchant l’enfant ou sa mère, susceptibles deré-indiquer une consultation auprès dupédiatre ou du médecin traitant. On le voit, lesdimensions médicales, psychiques et socialesde la mère et de l’enfant s’entrecroisent dansce problème d’ajustement mère-enfant. Laqualité des ajustements entre les divers profes-sionnels peut fournir à la famille en difficulté unesorte d’étayage salutaire.

Présence d’une psychologue en consultation des nourrissons

Dans un quartier de Bruxelles où réside unepopulation immigrée, une psychologue travailledepuis près de vingt ans aux côtés du pédiatrede la consultation de nourrissons. Cette présencepsychologique discrète mais très attentive per-met au médecin comme aux parents d’affiner leregard qu’ils portent sur l’enfant et d’ouvrir unquestionnement sur tous les petits problèmesclassiquement acheminés vers la consultationmédicale. On sait que nombre d’entre eux s’ori-ginent dans le lien lorsque l’angoisse, l’agressi-vité ou la perte de confiance s’infiltre. Ces «petitsproblèmes» qui touchent la sphère alimentaireet celle du sommeil peuvent dès lors être immé-

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Maisons Maternelles et autres foyers dontl’animation va souvent bien plus loin que lesimple hébergement; la collaboration interdis-ciplinaire et le fonctionnement en réseau fontpartie de la culture de plusieurs de ces centres.

Toutes ces réalisations ont été couronnées desuccès lorsqu’elles ont pu rencontrer, outreles problèmes critiques décrits plus haut, lespréoccupations générales des jeunes parentsvulnérables autour de la naissance:

• Souvent des soucis matériels auxquels ilfaut parfois répondre de façon créative avecl’aide du réseau;

• Des énormes besoins de réassurances pourlesquels d’ailleurs la relecture de «L’art d’ac-commoder les enfants» (G.Delaisi) peut rappeler au professionnel de ne pas se prendretrop au sérieux (mieux vaut aider les parentsà trouver/créer eux-mêmes leurs solutions);

• Des attentes de reconnaissance voire dematernage: à ce propos, la chaleur humainen’est pas interdite en ces occasions de gros-sesse et de naissance; en tant que profes-sionnel, on ne peut oublier qu’outre des com-pétences spécifiques, on dispose d’une placede témoin privilégié d’un événement de vie.Sans en arriver à devenir marraine ou parrain,on peut vivre une proximité plus forte qu’end’autres circonstances professionnelles (sur-tout dans la solidarité entre femmes) en seposant sans cesse la question du sens quecela prend dans la relation professionnelle.

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ses collaborateurs de l’école de Montpellier(Afrée). Les objectifs sont de trouver en péri-natalité une base de réflexion commune, cha-cun gardant sa propre identité. Au départ deséchanges, un simple constat: l’abord du han-dicap dans notre société a glissé, suite auxdéveloppements de la médecine fœtale à unstade prénatal. L’information et ses corol-laires, l’assimilation de la nouvelle, le sens ày mettre, les choix y liés, les possibilitésmédicales et les perspectives d’intégrationde l’enfant, tout cela se discute dès la consul-tation de diagnostic prénatal devenue un lieucrucial pour l’avenir du couple et de l’enfant.

Coins rencontres

Bébé-papottes ou Maisons Ouvertes, les lieuxd’échanges en période d’après-naissancepermettent aux jeunes parents, dans le cadresécurisant d’une structure d’accueil, de bri-ser leur isolement et de passer quelquestemps hors de la routine accaparante du quo-tidien. Ces initiatives partiellement subsi-diées, déjà anciennes, ont plus que jamais unrôle de prévention à jouer auprès de parentsen difficulté ou plus simplement en demande.D’autres lieux ont été créés dans la perspec-tive plus spécialisée d’une prise en chargepédopsychiatrique périnatale.

On devrait rappeler ici également l’existence delieux d’accueils plus institutionnels tels que les

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Prenons le temps de travailler ensemble.La prévention de la maltraitance est essentiellement menéeau quotidien par les intervenants. En appui, la Cellule decoordination de l’aide aux victimes de maltraitance a pourmission de soutenir ce travail à deux niveaux. D’une part, unprogramme à l’attention des professionnels propose despublications (livrets Temps d’arrêt), conférences, formationspluridisciplinaires et mise à disposition d'outils (magazineYapaka). D’autre part, des actions de sensibilisation visent legrand public (campagne Yapaka: spots tv et radio, magazine,autocollants, carte postale, livre pour enfant,…)

L’ensemble de ce programme de prévention de la maltrai-tance est le fruit de la collaboration entre plusieurs adminis-trations (Administration générale de l’enseignement et de larecherche scientifique, Direction Générale de l’Aide à la jeu-nesse, Direction générale de la santé et ONE). Diversesassociations (Ligue des familles, services de santé mentales,planning familiaux…) y participent également pour l’un oul’autre aspect.

Se refusant aux messages d’exclusion, toute la ligne du pro-gramme veut envisager la maltraitance comme issue desituations de souffrance et de difficulté plutôt que de mal-veillance ou de perversion,… Dès lors, elle poursuit commeobjectifs de redonner confiance aux parents, les encourager,les inviter à s’appuyer sur la famille, les amis,… et leur rap-peler que, si nécessaire, des professionnels sont à leur dis-position pour les écouter, les aider dans leur rôle de parent.

Les parents sont également invités à appréhender le décala-ge qu’il peut exister entre leur monde et celui de leursenfants. En prendre conscience, marquer un temps d’arrêt,trouver des manières de prendre du recul et de partager sesquestions est déjà une première étape pour éviter de bascu-ler vers une situation de maltraitance.

La thématique est à chaque fois reprise dans son contexte ets’appuie sur la confiance dans les intervenants et dans lesadultes chargés du bien être de l’enfant. Plutôt que de sefocaliser sur la maltraitance, il s’agit de promouvoir la«bienveillance», la construction du lien au sein de la familleet dans l’espace social: tissage permanent où chacun – parent,professionnel ou citoyen – a un rôle à jouer.

Ce livret ainsi que tous les documents du programme sontdisponibles sur le site Internet destiné aux professionnels:www.cfwb.be/maltraitance

Un second site est dédié au grand public: www.yapaka.be

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