Temps chômé, temps libre: une exigence accrue d'autoformation

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This article was downloaded by: [University of Glasgow] On: 21 December 2014, At: 20:34 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Loisir et Société / Society and Leisure Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/rles20 Temps chômé, temps libre: une exigence accrue d'autoformation Joffre Dumazedier a a Paris , France Published online: 08 Jun 2013. To cite this article: Joffre Dumazedier (1997) Temps chômé, temps libre: une exigence accrue d'autoformation, Loisir et Société / Society and Leisure, 20:2, 505-522, DOI: 10.1080/07053436.1997.10715555 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/07053436.1997.10715555 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of the Content. This article may be used for research, teaching, and private study purposes. Any substantial or systematic reproduction, redistribution, reselling, loan,

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Loisir et Société / Society andLeisurePublication details, including instructions for authorsand subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/rles20

Temps chômé, tempslibre: une exigence accrued'autoformationJoffre Dumazedier aa Paris , FrancePublished online: 08 Jun 2013.

To cite this article: Joffre Dumazedier (1997) Temps chômé, temps libre: uneexigence accrue d'autoformation, Loisir et Société / Society and Leisure, 20:2,505-522, DOI: 10.1080/07053436.1997.10715555

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PARTIE IV I pART IV

TEMOIGNAGES ET VISIONS

DE REPUTES PIONNIERS

STATEMENTS AND VISIONS

OF FAMED PRECURSORS

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TEMPS CHOME, TEMPS LIBRE : UNE EXIGENCE ACCRUE

D' AUTOFORMATION

Joffre DUMAZEDIER

Paris, France

Au seuil du XXIe siecle, nos societes modernes n' ont pas encore reussi a maltriser Ia revolution scientifique du travail. Nous pouvons maintenant produire plus de denrees agricoles, de produits manufactures et de services en tous genres avec de moins en moins de travail humain et de plus en plus de travail automatise. C' est en effet I' acceleration des decouvertes scientifiques et de leurs applications technologiques qui est a I' origine de cette transfor­mation. Celle-ci a rec;u le nom de« productivite » au cours des annees 60 et ete consideree comme « le grand espoir du xxe siecle1 ». La crise des annees suivantes a cependant revele qu'elle engendrait aussi un grand probleme eco­nomique et social, lequel risque de s'aggraver davantage au XXI• siecle. La crainte d'une «fin du travail» a n!cemment ete exprimee par Jeremy Rifkin (1995)2 : «Les machines remplacent rapidement le travail humain et annoncent une economie de production quasi automatisee d' ici au milieu du XXI• siecle ». Serions-nous condamnes a ce que cet auteur appelle « une relance sans emploi » ? Cette vision est probablement excessive, mais nous devons deja nous en preoccuper, a partir de criteres non seulement economiques, mais egalement sociaux et culturels.

En permettant d'elever (de maniere inegale) le niveau de vie de toute Ia population en deux siecles, Ia productivite cree periodiquement, dans des proportions variables, a Ia fois plus de temps chOme et plus de temps libere. En France, par exemple, Ia duree du travail annuel d'un ouvrier est passee d'environ 3 500 heures par an autour de 1830 a environ 1500/1600 heures aujourd'hui, avec des soirees libres de 3 ou 4 heures en moyenne, des fins

Loisir et societe I Society and Leisure Volume 20, numero 2, automne 1997, p. 505-522 • ©Presses de I' Universite du Quebec

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de semaine allongees, des vacances de fin d'annee de cinq semaines a partir des annees 80 (elles etaient de 12 jours ouvrables en 1936), des activites de retraite payee a Ia place du simple repos traditionnel, une retraite avancee a 60 ou 55 ans et une esperance de vie en croissance de 30 ans depuis Ia fin du XIX• siecle ...

Le premier probleme est evidemment pose par I' accroissement du temps chOme. Ce sont « les mutations technologiques » des trois secteurs de I' econo­mie «qui envoient des millions de personnes grossir les rangs du chomage3 ».

Ce phenomene est aussi ancien que Ia societe technologique elle-meme; le fait nouveau est que le chomage est plus lent a se resorber. II ne fait que croitre depuis 20 ans en France, et s'il decroit actuellement en Angleterre et aux USA, c'est surtout au profit de taches plus mal payees et depourvues de securite. En France, le chomage touche environ 12% de Ia population active comme en Allemagne. II frappe particulierement les jeunes de 15 a 25 ans (15 % ). On sait qu' il s' en suit un cortege de miseres et de desesperances qui a atteint le moral d'une nation tout entiere, malgre Ia croissance sans precedent d'une scolarisation inadaptee.

Mais ce probleme en occulte souvent un second, a savoir celui de Ia croissance du temps libere, souleve par Ia reduction progressive du temps de travail professionnel. Le temps libre est devenu en France, comme en Allemagne ou aux USA, un temps plus long que celui du travail dans le cycle de vie4

Abandonne a une foule d'influences educatives impuissantes et de commu­nications mediatiques negatives, il est d'abord envahi par une augmentation des activites d 'atteinte delinquante aux biens ou aux personnes et d 'auto­destruction par l'abus d'alcool ou de diverses drogues parfois meurtrieres. Ce temps offre aussi des possibilites de creativite personnelle et de participation sociale volontaire auxquelles nos systemes actuels d'information et de forma­tion ne nous preparent pas suffisamment.

C'est pour faire avancer Ia reflexion mondiale sur les problemes de ce que Norbert Elias ( 1987) appelait Ia «civilisation des mreurs du loisir » qu' ont ete entreprises des recherches nationales et une recherche internationale a partir des annees 50. En 1953, une equipe du Centre national de Ia recherche scientifique sur le loisir et les modeles culturels s'est constituee au Centre d' etudes sociologiques de Paris. Elle se situait dans Ia perspective ouverte par Georges Friedmann5 sur les nouveaux rapports du travail et du loisir et par David Riesman6 aux USA.

Aujourd'hui, nous nous proposons d'abord de rappeler l'incidence de cette revolution scientifique du travail sur Ia production du temps de loisir, temps social a soi, Legitime, qui occupe partout, comme nous le verrons plus loin, a peu pres 90% du temps libere d'un double travail dans I' entreprise eta Ia maison ! Nous aborderons ensuite les mutations qui en resultent directement

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ou indirectement pour I' emergence difficile d'un nouveau modele de !'auto­formation initiale et continuee a tous les ages de Ia vie. Dans nos democraties, ce modele tend a penetrer toutes les classes sociales inegalement. Des chan­gements profonds se sont ainsi produits dans le temps libere avant l'age du travail, pendant celui-ci et apres; nous nous proposons de les examiner dans les prochains paragraphes.

Changements du temps libre avant, pendant et a pres I 'age du travail

Avant I' age du travail

Des le XIXe siecle, dans les societes modernes, !'enfant, puis \'adolescent, ont ete liberes du travail traditionnel. 11s ont eu droit a une scolarisation de venue obligatoire (en France, a partir des lois de Jules Ferry en 1881 ). Le projet d'instruction pour tous avait deja ete conc;u par Condorcet 100 ans plus tot, mais sans obligation legale. C'etait en l'an I de Ia Republique (1792).

Aujourd'hui, en s'allongeant de 6 a 10 annees, !'obligation scolaire s'est imposee non seulement a to us les enfants, mais a to us les adolescents jusqu, a 16 ans -en fait, pour beaucoup de retardes, jusqu' a 17 ou 18 ans. La «forme scolaire » dont l' ecole serait « prisonniere », selon Guy Vincent et ses coequipiers7, est de plus en plus mal adaptee a Ia majorite des adolescents et adolescentes d'aujourd'hui. 11 en est ainsi pour toutes les matieres du pro­gramme a \'exception peut-etre des cours d'education physique et sportive, plus proches des activites de loisir. Par contre, ce sont les troubles les plus frequents du temps de loisir: trafic de drogues, vols et violences qui penetrent de plus en plus dans les colleges malgre Ies defenses et interdictions: de 200 a 300 etablissements (sur 6 000) sont affectes en France par ces violences. 11 arrive que des professeurs fassent greve aujourd'hui pour protester contre leur insecurite. L'absenteisme scolaire augmente; i1 n'atteint toutefois pas Ia situation du Canada francophone et anglophone oil I' on estime, en 1997, a environ 30% le nombre de celles et ceux qui refusent, le plus frequemment sans raisons, de se rendre a I' ecole: ce sont les drop out, Ies « decrocheurs ».

Aux Etats-Unis, c'est bien pire encore: les violences sont tres meurtrieres. Certaines high-schools mettent a leur entree des dispositifs de detection d'armes comme dans les aeroports ... Certainsjeunes font partie de gangs rivaux qui s'affrontent souvent pour s'approprier surtout le marche des drogues. Les statistiques policieres americaines revelent que sur !'ensemble du territoire, un mineur tue ou est tue toutes les cinq minutes dans ces affrontements de gangs adolescents sur fond de guerre raciale! C'est monstrueux: comment pourrait-on continuer de promouvoir pareils systemes de formation initiale prolongee pour !'adolescence?

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Pendant l 'age du travail

La formation continue apparait de plus en plus necessaire a I' adaptation du travail aux changements complexes et rapides de Ia productivite, dans un climat de concurrence mondiale des plus pressantes et feroces. D'abord, depuis Ies annees 70, un temps chome de plus en plus long exige une action de plus en plus etendue d'adaptation, de perfectionnement, de recyclage, pour plus de 3 000 000 de travailleurs en France, pi us de 4 000 000 en Allemagne, etc. En tous pays, de 5 a 25% de Ia population active sans travail stable cherche du cote de Ia formation une voie de reinsertion professionnelle. De fa~on plus generale, Ia pratique du travail est partout associee aujourd'hui a celle d'une «formation professionnelle continue» 8. Celle-ci a ete etablie, en France, par une loi de juillet 1971 instituant un prelevement obligatoire sur la masse salariale. Grace a cette loi, la formation des adultes est passee en peu d'annees d'environ 300000 individus par an a plus de 8 millions de stagiaires (plus sou vent des cadres moyens ou superieurs que des ouvriers) selon Ia revue de I' Association pour Ia formation professionnelle des adultes (AFPA) de Paris (2-1997)

Cette rarefaction du travail a-t-elle confere a celui-ci une valeur nouvelle? C'est douteux; certains Ie croient, mais aucune enquete ne permet de l'affirmer. Toutle contraire est observable. Si la necessite du travail pour l'independance economique est de plus en plus evidente, elle ne constitue cependant pas automatiquement une valeur, sauf pour des minorites (moins de 20%) de passionnes de travail: createurs, dirigeants, etc. de On se paierait de mots si I' on croyait que le chomage restitue la valeur du travail. La plus complete des enquetes sur Ies chomeurs9 permet d'affirmer que la plupart du temps, I' absence de travail constitue d'abord une « epreuve)) qui peut etre dramatique; elle ne permet pas de soutenir que le travail est devenu une valeur. De rigoureuses recherches sur le travai1 10 montrent toutes que les trois quarts des travailleurs disent « aimer »leur travail (pour des raisons tres diverses). Cependant, chaque fois que I' on evoque Ia totalite des activites de Ia vie quotidienne: travail professionnel, taches familiales, engagements sociaux, Ioisirs individuels ou collectifs, c'est toujours les activites hors travail, celles qui suscitent le plus de passions, qui priment a tout age, en toutes conditions sociales 11 • Certains sociologues (Roger Sue, 1990)12 ont meme soutenu que desormais, c'est le temps libre qui est en passe de devenir « le temps dominant». Comme nous I'avons vu, il est en effet devenu plus long, en France, que le temps de travail de la population active dans le cycle de vie a partir des annees 80 (INSEE, 1985), mais est-ce suffisant pour qu'il soit dominant dans les preoccupations? D'autres observent qu'il ne suffit pas que le temps Iibre soit le plus long pour etre juge dominant; ils montrent au contraire que cette croissance du temps libre tend a modifier )'ensemble de tousles autres temps sociaux, y compris le travail. «La sociologie du temps» acquiert une configuration nouvelle, sans

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que l'on puisse deja prophetiser « Ia fin du travail». Cette nouvelle sociologie du temps a ete analysee par Gilles Pronovost 13 dans son ouvrage Loisir et societe : traite de sociologique empirique ( 1993 ).

A ceux qui enferment leurs observations partielles du temps dans une idee abstraite de « Ia citoyennete », on pourrait faire remarquer que si les problemes du developpement reel de Ia participation socio-politique sont fondamentaux pour toute democratie, il faut eviter, Ia encore, de se payer de mots. D' a pres Ia grande enquete comparative des budgets-temps, coordonnee par Alexandre SzalaY (1972) 14 et reprise par I 'IN SEE de Paris en 1985, com me no us I' avons souligne, I' allongement general de Ia duree du temps libre profite a 90% aux activites de ce legitime temps social a soi qu'est le loisir, comme un droit du travailleur, et seulement I 0% est consacre aux activites d' enga­gements socio-spirituels et socio-politiques reunis! Telle est Ia realite qu'un discours democratique efficace ne saurait occulter. Le plus curieux, dans ces pratiques preponderantes du loisir, c'est qu'elles sont presque invariantes malgre les differences de cteveloppement (France) ou de sous-developpement (Perou), et les differences de politiques liberales (New York, 70) ou collec­tivistes (Moscou, 70). Dans ces conditions, on ne s'etonnera pas que tout un courant de pensee tende a proner, en France, un allegement des contraintes du travail et un assouplissement des horaires par ce qui a ete appele « Ia revolution du temps choisi 15 ».

L'initiation a un nouvel art de vivre le travail a encore accru Ie develop­pement de Ia formation dans l'entreprise. Cette formation apparait de plus en plus comme un investissement qui accompagne celui de l'automatisation materielle. Cet investissement n'est pas toujours bien accepte. II inquiete; il peut provoquer de !'indifference, de Ia revolte s'il n'est pas un « co-investissement »16 ou le travailleur est aussi engage que l'entreprise. II reste que cette formation ou co-formation n'est pas facile a trouver tant est toujours presente, meme pour des adultes, Ia forme de transmission des savoirs empruntee a Ia scolarisation ... Nous en reparlerons.

Apres /'age du travail

Des changements aussi capitaux sont intervenus a ca chapitre. La pratique traditionnelle de Ia vieillesse vouee a I'inactivite en attendant Ia fin est loin de nous. Le temps libere par une retraite payee a ete souvent avance et valorise me me chez Ia majorite des cadres, dans to us les sondages. En France, I' age legal de Ia retraite est passe de 65 ans a 60 ans et parfois a 55 ans. Cet avan­cement, malgre son cout, est conquis com me un nouveau droit social a Ia suite de frequentes manifestations dans Ia rue. Les personnes agees ont vu en meme temps leur esperance de vie regulierement augmenter; en France, celle-ci depasse 75 ans pour les hommes et 80 ans pour les femmes. Un troisieme age

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plein de vitalite s'est degage des Ies annees 60 d'un quatrieme age limite par Ia maladie ou I' infirmite. Ce nouvel age s' est approprie tout un ensemble d'activites de travail social benevole et surtout de loisirs individuels et collectifs: on compte, en France, plus de 30 000 clubs du troisieme age et environ 70 universites pour personnes agees. Dans les petites villes et bourgades, ces clubs sont les plus actifs, les plus rayonnants, avec les clubs sportifs 17 • II en estde meme au Canada, aux Etats Unis, au Bresil et dans bien d'autres pays developpes ou en voie de developpement. Des activites autrefois reservees a Ia jeunesse sont pratiquees par un nombre croissant de personnes agees, inte­ressees, voire passionnees par toutes les activites de resistance au vieillissement physique et psychique. Le repos traditionnel est remplace ou complete par des loisirs en to us genres : exercices sportifs, danses, jeux, randonnees, voyages, expressions individuelles et collectives variees de soi, etc. L'art d'etre grand­pere ou grand-mere n'est plus le meme. Les influences entre generations sont a double courant malgre de nouveaux conflits qui surgissent lorsque cette mutation est mal assuree. II s' agit bien, Ia aussi, d'une nouvelle «civilisation des mreurs » du temps libre dans Ia troisieme periode du cycle de vie, qui implique une information et une formation renouvelees.

Que devient Ia formation initiale ?

Dans Ia perspective de cette formation permanente a tous Ies ages de Ia vie, comment se pose d'abord I' adaptation de Ia formation initiale? La reproduc­tion de !'education d'hier, meme inspiree parIes courants dits d'education nouvelle, ne correspond guere ni au nouveau mode de vie ni aux nouvelles mentalites. Pourtant,jamais Ia formation n'a ete plus necessaire en permanence. On parle constamment de Ia necessite et de Ia possibilite d'une « qualite de vie». Refletant I' air du temps, Michel Foucault18 chante le droit pour tous a « un art de I' existence». Mais comment degager cet art des conformismes sociaux, des routines, des idees toutes faites, des prejuges nes d'un passe disparu, sans une mobilisation continue et populaire de savoirs, savoir-faire, savoir-etre d'origine savante pour mieux vivre une societe aux changements quasi permanents? Le risque majeur de I' experience ordinaire est I' anachro­nisme, malgre certains acquis de Ia tradition.

II est done necessaire de developper chez tous, des I' ecole, de l'enfance jusqu'a l'adolescence, le desir et Ia capacite de s'autoformer a tousles ages de Ia vie. II faudrait d' abord faire acceder au « bonheur d' apprendre » 19, alors qu'un journaliste de Ia diffusion scientifique a Ia television (Fr. de Closets) 19

a plut6t observe «comment on I' assassine » chez Ia majorite des collegiens. Un specialiste de sciences de I 'education 20 montre comment « Ia forme scolaire)) actuelle du college est inapte a reveler ce bonheur au plus grand nombre des adolescents entre 12 et 17 ans. Desormais, Ia question centrale que chacun devrait se poser est: « Pourquoi )'initiation scolaire donne-t-elle

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plus souvent le degout que le gout des savoirs enseignes? » (De Closets, op. cit.). Nous sommes nombreux a penser qu'il est temps de revenir ala con­ception de Ia formation initiate pour to us imaginee par Condorcet en 1' an I de la Republique pour « rendre la raison populaire ». Condorcet preconisait, des 1' apprentissage scolaire, « 1' art de s' instruire par soi-meme » tout le long de la vie. 11 souhaitait harmoniser le plus possible le systeme d'information avec celui de la formation initiate, avec une volonte de stimuler une forma­tion permanente (J. Dumazedier et al., La Le~on de Condorcet)21 • Les travaux historiques de Christian Nique et Claude Lelievre22 ont eu le merite de faire apparaitre comment « le mythe Ferry» de I' obligation scolaire de la fin du XIX• siecle ne correspond plus au probleme actuel d'une pratique reelle de la formation permanente scolaire et extrascolaire a tous les ages de la vie.

Aujourd'hui, la critique du systeme scolaire se contente souvent de signaler le retard en lecture pour environ 20% d' eleves a 1' entree de Ia 6• du college. C'est un vrai probleme que le professeur-ecrivain Pennac23 a exprime avec eloquence dans son livre Comme un roman tire a 600 000 exemplaires. Mais il faut accorder encore plus d'importance ala grande enquete sociolo­gique de Fran~ois de Singly24 qui denonce les illusions, tant de Ia famille que du college, sur le pouvoir de l'autorite a imposer de fa~on durable le gout de la lecture aux jeunes a partir de 12 ans.

Certes, personne ne peut nier I' interet pratique du diplome, mais nous devons refuser, au depart, de confondre le rapport au diplome et le rapport au savoir. Une enquete portant sur 700 coltegiens d'une banlieue pauvre et d'une banlieue riche (Saint-Denis et Massy-Palaiseau) a revele que seulement 25 % des eleves accordent un sens au sa voir scolaire, mais que 50 % ne pretent interet qu' a 1' obtention du diplome avec une strategie de travail intellectuel minimum indifferente aux savoirs reels. Enfin, un autre quart d'entre eux ne conferent aucun sens ni au savoir ni au diplome25• Beaucoup de pedagogues arrivent a vaincre ces difficultes quasi insurmontables, mais jusqu'a quand leur imposer une telle acrobatie professionnelle souvent si deprimante? Ne peut-on pas imaginer d'autres contenus et d'autres rythmes pour une obligation scolaire plus proche de la culture vecue par les jeunes eux-memes, surtout dans leurs loisirs, sans oublier le travail, ni les taches familiales, ni les activites citoyennes a leur juste place? Ce qui est en cause, c 'est un encyclopedisme de programmes si pesant et si vite oublie, c'est aussi une «forme scolaire » heritee des petites ecoles chretiennes du XVII• siecle (G. Vincent) malgre tous les perfectionnements et toutes les reformes et reformettes intervenues jusqu' a aujourd 'hui.

Comment s'etonner des tors que l'enquete sur « le savoir reel de I' hom me moderne »26 ait revele, dans Ia majorite de Ia population, un ni veau de savoir scolaire si mediocre malgre dix annees d'obligation scolaire? Seton Girod, les « desirs ou les capacites » de lecture, de calcul et de redaction

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sont faibles, bien au-dessous des performances scolaires moyennes, sans compter I' illettrisme d' environ 20 o/o d' anciens eleves. Certes, surtout so us !'impulsion de Ia formation professionnelle continue, le niveau des connais­sances mises en ceuvre dans le travail par les ouvriers et employes a tendance a s'ameliorer, et celui de Ia connaissance des langues etrangeres progresse aussi malgre beaucoup d'incorrections paresseuses. Toutefois, les premiers effets de l'informatique sur le mode de penser quotidien sont ambigus. Quant aux savoirs scientifiques et civiques de Ia plupart, ils stagnent au niveau le plus bas.

Tendances nouvelles dans les sciences de l'education

Devant une telle situation, des tendances nouvelles se dessinent dans les sciences de Ia formation initiale et continuee. Ce n'est plus Ia reproduction sociale qui est mise en avant, mais plutot !'indifference sociale. Ce n'est plus I' inculcation de savoirs par une «violence symbolique » toujours presente mais moins efficace qui est soulignee, ce sont les resultats d'une « pedago­gie differenciee »27 , poussee le plus possible selon les conditions sociales, les histoires de vie et les projets de vie. Un grand courant «d'experimentation socio-pedagogique » s 'est developpe dans certains colleges et lycees so us le nom d'initiation au travail autonome, puis au travail independant, enfin au travail personneJ28. Cet apprentissage personnalise a dure une dizaine d'an­nees. II visait non seulement a stimuler !'interet des eleves pour les savoirs scolaires, mais encore a commencer un apprentissage methodique debouchant sur le desir et Ia capacite pour chacun de s' autoformer plus tard aux diffe­rents ages de Ia vie. Malheureusement, Ia Direction de !'evaluation et de Ia prospective du ministere de !'Education nationale, saisie pour une demande de controle des resultats, a juge que d'autres projets, limites a Ia transmis­sion des savoirs a I' ecole, etaient preferables.

Des 1972, Bertrand Schwarz, stimule par le Conseil europeen de I' edu­cation, a ecrit un livre, L'education demain 29 , qui comporte un chapitre sur ses experiences scolaires limitees, tres vite de venues extrascolaires dans « les missions locales» destinees aux jeunes a Ia recherche d'un emploi. II insis­tait sur !'importance de !'introduction dans Ia vie des jeunes de ce qu'il ap­pelait deja « une autoformation assistee ». La meme an nee, I 'UNESCO publiait une etude de 100 pages de nous-memes confortant cette orientation. Elle etait davantage axee sur le temps de travail et le temps libre, et compor­tait des analyses comparables de I' Americain de Syracuse, Charters et du Tchecoslovaque de Prague, Kotaseck. Nos observations et reflexions portaient sur «I' ecole et I 'education permanente »30, objet du combat permanent a !'UNESCO a cette epoque.

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Aujourd'hui, Ies blocages (par Ia forme scolaire) du developpement des adolescents ont encore augmente. La Sociologie de lajeunesse3 1 a montre que cet age entre I' enfance et Ia maturite est un «nouvel age», encore plus autonome ou plus rebelle qu'il y a 20 ans. L'ecart entre Ia culture vecue par Iajeunesse et celle qu'imposent les programmes scolaires s'est encore accru. De nouvelles tendances pour Ia reforme du college sont deja a l'reuvre. Certes, aujourd'hui, en periode de chomage d'une minorite importante de jeunes, on ne peut nier )'interet des diplomes scolaires pour )'obtention d'un travail, meme si Ia relation entre Ie dip lome et I' emploi est sou vent « introuvable ». Selon Ia derniere statistique du ministere du Travail, si on ne trouve que 5% de chomeurs parmi les diplomes de I' universite et I 0% parmi Ies bacheliers, ils sont 30% parmi les sans-diplome ... Ce qui est en cause, c'est un encyclopedisme accablant et ephemere, c'est l'oubli du mode de vie indivi­duel et social des jeunes comme base de culture vivante. Aussi, un courant nouveau se dessine-t-il aujourd'hui parmi des enseignants novateurs. Plus de 200 etaient rassembles recemment, venus de toute Ia France, dans une universite d'automne organisee par l'universite de Rennes (1996). Le theme consistait en I' aide a I' autoformation des jeunes. Beaucoup ont evoque a Ia base, dans Ie cadre du college et autour, une evolution du contenu des 25 heures hebdomadaires du college, a )'initiative des enseignants et des eleves eux-memes, malgre Ia rigidite des programmes officiels. D'abord, une part en fin reduite est consacree a I' acquisition « differenciee » des savoirs scolaires selon des modes de groupements variees et d'entraide plus develop­pee. lis sont davantage integres dans des recherches documentaires plus diversifiees au Centre d'information et de documentation (CDI) ou dans des bibliotheques exterieures. Une seconde part variable est consacree Ie plus possible a une reflexion pluridisciplinaire appliquee a Ia comprehension, a Ia pen see critique eta I 'invention Iiees aux his to ires et pro jets de vie de chacun dans Ies activites choisies a partir du Ioisir, du travail, des taches familiales ou des activites citoyennes. Cette seconde part tend a etre un entrainement mentaJ32 a une autoformation individuelle ou de groupe visant a aider chacun a se construire « un art de I' existence» quelle que so it sa condition sociale. Bien entendu, cette double part est difficile a realiser; elle n' est pas dans le programme officiel. Des tresors d'imagination et d'organisation du temps sont requis en attendant les reformes necessaires. Maison y decele l'expression d'une sorte de mouvement socio-educatif prometteur.

Une attente en ce sens a deja ete exprimee par les eleves eux-memes. Une enquete effectuee aupres de 650 collegiens et lyceens de Ia 4• a la terminale33 montre bien, en effet, cette tendance vers une valorisation d'un sujet social apprenant plus autonome. Plus de Ia moitie de ces jeunes estiment qu'ils « perdent leur temps» quand le professeur dicte trop de textes trop longtemps sans leur demander leur avis ... , ou bien quand il leur impose

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d'ecouter I' explication qu'ils ont deja trouvee claire dans le livre. Par contre, Ia quasi-totalite (94,8 %) juge qu'ils ne perdent pas leur temps quand sur toutes sortes de themes « ils posent eux-memes des questions et meme quand ce sont les autres eleves qui les soulevent (89,4% ). «Com prendre», pour les trois quarts, « c 'est quand je cherche moi-meme ». lis pen sent ainsi qu'ils assimilent mieux en faisant leurs experiences eux-memes ou avec des camarades. Quant au travail scolaire en dehors de Ia classe, ils I' apprecient non seulement a domicile, mais aussi dans Ia libre frequentation des CDI (Centres de documentation et d'information). Enfin, ils estiment a Ia quasi­unanimite qu'il n'y a pas assez de temps disponible en classe «pour faire ce qui interesse ... , pour apprendre avec plaisir ».

Toutes ces aspirations deja presentes incitent evidemment a limiter Ia part d'instruction imposee eta accroitre Ia part de )'information choisie et de l'autoformation liee a l'evolution et aux projets de Ia vie quotidienne, aux temps sociaux contraints et surtout aux temps les plus choisis par le sujet social apprenant lui-meme. A quand une reforme de fond correspondant a cet etat d' esprit?

Ces tendances nouvelles de Ia formation initiale du college plus centree sur le sujet social apprenant lui-meme sont completees par des tendances similaires dans les institutions educatives destinees aux adultes de differents ages.

Nous avons deja note que trop de stages d'entreprise reproduisent trop de traits illusoires de Ia forme scolaire: on a denonce « Ia stagite »34. Aussi, Ia recherche d'une efficacite plus grande de Ia formation au travail a conduit le sujet social apprenant a rapprocher sa formation des situations reelles du travail. L'alternance augmente entre le chantier et I' ecole. Une amelioration de Ia connaissance experiencielle se developpe par une demarche d'auto­formation individuelle et collective accompagnee, assistee ou guidee. Elle part d'une situation-probleme de production ou d'organisation pour aboutir a Ia realisation d'experiences-solutions, en passant par l'analyse des causa­lites probables, negatives ou positives, et par Ia confrontation des principes d' interventions jugees les plus pertinentes : c' est Ia methode d' « entrainement mentaP2 ».

Des demarches com parables d' aide a l' autoformation professionnelle ont ete observees au Canada et aux Etats Unis. Dans ce dernier pays, un con­gres a lieu chaque an nee pour le perfectionnement de I' autoformation profes­sionnelle et des organisations apprenantes (Ph. Carre)35•

Quand le travail est fini a I' entre prise ou a Ia maison commencent les activites du temps libre passees en famille, en groupe ou individuellement pour I' engagement social syndicaliste, ecologiste, partitiste, confessionnel, etc. Mais les associations les plus populeuses sont les organisations de loisir:

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societes de sport, de peche, de voyage, de musique, d'art populaire, etc. Environ un Fran~ais sur deux fait partie ou a fait partie dans sa vie de telles associations. C' est un lieu privilegie de Ia «revolution culturelle du temps libre ». Des enquetes recentes ont analyse comment certaines de ces associa­tions pouvaient etre des «micro-milieux nourriciers)) et des cadres « d' echan­ges reciproques de savoir»36 . Mais les associations d'education populaire des annees 60 ont evolue: elles sont moins des groupes militants « inculquant » une culture democratique que des cadres d'autodeveloppement collectif des ressources personnelles et sociales de chacun37 . Le champ associatif a acquis une importance nouvelle avec le declin du travail. Des economistes ont avance l'idee que Ia fin du plein emploi pouvait marquer l'avenement de Ia «pleine activite »38, alternant Ia vie professionnelle et Ia vie socioculturelle dans un nouvel equilibre qui orienterait autrement Ia consommation. Des novateurs en donnent deja I' image, mais que d'habitudes anciennes a changer!

Experiences novatrices de Ia societe mediatique

Legrand probleme de !'extension populaire des pratiques d'autoformation quotidienne reside probablement dans un nouvel equilibre entre I' emploi plutot recreatif ou informatif et celui plutot instructif des medias, et avant tout de Ia television. Celle-ci occupe, en effet, Ia moitie du temps de loisir jour­nalier de Ia majorite (INSEE, 1985). Si ces caracteres recreatifs, informatifs ou instructifs sont rarement tranches clairement, il s'agit neanmoins de dominantes correspondant aux trois fonctions fondatrices de Ia charte de I'ORTF (l'Office de Ia radio et de Ia television fran~aise), a savoir distraire, informer, instruire.

Une chaine fran~aise (Ia 5) a introduit dans l'univers mediatique un secteur reduit de divertissements plus instructifs. Cependant, celui-ci n' a pas entraine un mouvement d'aide a l'autoformation a base mediatique ni dans l'enseignement, ni dans les organisations d'education populaire, ni ailleurs. La television educative a ete florissante dans les annees 70. Elle a ete peu a peu delaissee par les pouvoirs publics sans le soutien d'aucun mouvement socio-educatif39 , condamnee par Ia logique de Ia television commerciale, d'abord attentive a Ia publicite eta l'audimat des clients potentiels. D'autres pays ont mieux resolu que nous le probleme du savoir a domicile: il a depuis longtemps ete defini par France Henri, responsable du tele-enseignement a Montreal, et Antony Kaye, animateur de I' Open University de Londres40.

II est preferable de prendre l'exemple impressionnant de cette chaine publique creee aux Etats-Unis a contre-courant des productions mediocres de Ia television commerciale. Elle est le fruit de Ia mobilisation de plusieurs milliers de militants culturels de Ia cote est a Ia cote ouest. Ces personnes ont reussi a convaincre le parlement de Ia necessite d'une station culturelle

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independante. L'octroi d'une subvention annuelle a cette chaine, Ia PBC, Public Broadcasting Company41 , a ete accepte par toutes les formations po­litiques du parlement.

On connait, dans le monde, les emissions de qualite de Ia PBC pour les enfants et les adultes (par exemple, Ia bande dessinee Sesame Street). Ses produits sont Ies plus recompenses par Ia National Academy of Television Arts and Science. En 1989, Ia PBC a obtenu 53 nominations, plus que chacune des trois grandes chaines commerciales: 47 pour CBS, 20 pour ABC et 17 pour NBC. Cette chaine refuse le financement publicitaire regulier en dehors des parrainages respectueux des regles de choix culturels et d'aide a I'autodeveloppement individuel et familial des telespectateurs. Ellene dispute pas aux grandes chaines commerciales Ia retransmission des matchs presti­gieux de football-rugby, ni celle des tirages de loterie ou des jeux insipides d 'argent. En 1989, sur 324 stations, I 02 etaient animees par des associations locales independantes, financees a 60% par les contributions variables des adherents; 46 etaient programmees directement par des institutions d'ensei­gnement superieur et 13, par des autorites scolaires locales qui employaient des journalistes de talent inspires par les memes valeurs qu'elles; enfin, 76% de leurs recettes venaient de !'aide directe du budget de I'Etat. Chaque annee Ia PBC se voit attribuer par le vote du parlement un budget national a repar­tir selon les besoins de ses differentes stations. Quelle est son audience? Elle est comparable a celle de Ia 5 en France: 3% de public regulier. Mais en une semaine, I' audience cumulee des stations de Ia PBC touche plus de Ia moitie (56%) des families americaines de toute condition, inegalement, comme toute action culturelle, partout. L' objectif de Ia PBC n' est evidemment pas de faire de 1' audience a tout prix, mais de mettre a Ia disposition des publics en permanence a domicile des connaissances qui apparaissent rarement dans Ies televisions commerciales. On a estime~ 1 que 65% des emissions de Ia PBC a destination des enfants et des adultes sont des contributions de talent aux arts et aux sciences de Ia nature et de l'homme. Evidemment, les plus assidus sont Ies telespectateurs qui ont au moins un an d' universite, mais des spec­tateurs ouvriers ou employes l'utilisent de temps en temps, selon les sujets. En quatre semaines, I' audience cumulee est de 85% pour les diplomes et encore 73% pour les sans-diplome, de 83% pour les cadres, mais encore de 71 % pour les ouvriers qualifies et meme de 68% pour les ouvriers non qualifies a bas revenus.

Si nous avons insiste sur cette realisation americaine de television educative, c'est parce qu'elle n'est pas connue, occultee par la puissante mediocrite des productions envahissantes de la television commerciale du show-business. C'est aussi qu'elle peut donner, en France et ailleurs, des idees et du courage pour resister a Ia toute puissance de I' argent et du spectaculaire loisir mediatique de masse.

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Conclusions

Ainsi, avec pour point de depart Ia revolution scientifique du travail moderne, nous avons evoque non seulement le probleme du temps ch6me, abondam­ment traite dans les journaux, mais encore ceux du temps libere par Ia productivite et Ia reduction du temps de travail qui en resulte. Ces seconds sont moins connus, mais leur importance est capitale, d'une part pour !'evo­lution des modes de vie et des mentalites a tous les ages de Ia vie, et notam­ment pendant Ia jeunesse, et, d' autre part, pour Ia transformation des modes de formation initiale et continuee. Nos societes n'ont pas encore aborde serieusement le developpement d'un «processus civilisateur a long terme)) evoque dans les annees 80 par le sociologue Norbert Elias. La problematique d'une civilisation du loisir que nous evoquions dans un livre paru en France en 1962 est toujours aussi incertaine qu' a cette epoque. Des changements sont maintenant apportes a Ia formation a !'ecole et apres !'ecole afin de !'adap­ter a une societe ou les activites de temps libre sont devenues plus longues que celles du travail professionnel ou scolaire et toujours plus attrayantes. La formation des adolescents et des adultes reste encore trop fa~onnee par les illusions de Ia forme scolaire. De Ia sont nes de nouveaux courants visant a prendre en compte les changements de mentalite du sujet social apprenant, devenu plus centre sur l'apprentissage au desir eta Ia capacite d'autoforma­tion permanente. Recevront-ils !'aide necessaire pour triompher de tousles anachronismes et conservatismes? Voila, a notre avis, Ia question centrale pour Ia formation initiale et continuee d'aujourd'hui, au moins a partir de I' adolescence.

L' auteur a bien conscience du caractere paradoxa! et quelque peu provocant de ses propositions pour Ia formation aujourd'hui: elles boulever­sent l'ordre prescrit de Ia formation initiale et controversee en fonction d'un ordre vecu des temps sociaux par le grand nombre, malgre !'insupportable ch6mage subi par quelques-uns toujours trop nombreux. Tout d'abord, ces nouvelles propositions ne pretendent pas supprimer les pratiques dominan­tes de I' education; elles se bornent ales completer eta les remettre en ques­tion quanta leurs effets reels concernant le travail, Ia famille ou Ia patrie, pour reprendre I' ordre vertueux. Elles sont fondees sur les experiences les plus novatrices et les plus reussies sur Ia culture generale vecue dans I' animation socioculturelle.

Enfin, on peut se demander si !'opinion bien pensante a ose jusqu'a ce jour evaluer « Ia culture reelle de l'homme moderne » et mesurer les echecs de Ia culture generale enseignee a tous dans ce qu'il en reste dans les pratiques mediocres de Ia vie quotidienne et les incivilites ou les deviances meurtrieres dont les journaux sont remplis. Quand oserons-nous changer I' ecole pour to us, surtout a I' age de I' adolescence, a fin de tenter de mettre en jeu to us les

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moyens necessaires (politiques et educatifs) pour que les pratiques accrues du loisir pour tous aient enfin une chance de se transformer pour le plus grand nombre en une authentique culture populaire? MalgnS toutes les reformes de )'obligation scolaire depuis un siecle, ou en est« le processus civilisateur» du loisir? Ou en sont « les activites superieures » pour tous dont ont reve les pionniers de la conquete historique du temps libre sur les dures necessites d' un long travail symbolique ( « tribalisme ») pour le plus grand nombre?

NOTES

I. Jean Fourastie ( 1963). LeGrand Espoir du XX' siecle, Paris, Gallimard.

2. Jeremy Rifkin ( 1996). La Fin du Travail, Paris, La Decouverte.

3. lnstitut National de Ia Statistique et des Etudes Economiques (1985).

4. Eric Dunning ( 1986). Quest for Excitement Sport and Leisure in the Civilisation Process, Londres; Norbert Elias (1994). Tract. Sport et Civilisation: Ia violence maftrisee, Paris, Fayard; Joffre Dumazedier ( 1962). Vers une civilisation du loisir? Paris, Le Seuil.

5. Georges Friedman ( 1953). Ou va le travail humain? Paris, Gallimard.

6. David Riesman (1948). The Lonely Crowd, Yale University Press (Tract.: 1964, La Joule solitaire, Paris, Arthaud).

7. Guy Vincent et al. (1994 ). L 'education prisonniere de Ia forme scolaire, Lyon.

8. Joffre Dumazedier (1974). Sociologie empirique du loisir, Paris, Le Seuil.

9. Dominique Schnapper (1981). L'Epreuve du chOmage, Paris, Gallimard.

I 0. Christian Lalive D'Epinay (1990). << Les Suisses et le travail>>, Lausanne. Realites Sociales.

II. Joffre Dumazedier (1988). La Revolution culturelle du temps libre, Paris, Meridiens Kliensieck.

12. Roger Sue ( 1994). Temps et ordre social, Paris, Presses universitaires de France.

13. Gilles Pronovost ( 1993). Loisir et societe. Traite de sociologie empirique, Sainte­Fay, Presses de I 'Universite du Quebec; Pronovost, Gilles (1996). Sociologie du temps, Bruxelles, De Boeck.

14. Alexandre Szalai (1972). Time-budgets, Amsterdam, Mouton.

15. Jacques Delors (1980). La revolution du temps choisi, Paris.

16. Philippe Carre (1990). Formation professionnelle et autoformation, Paris, La Documentation fran<;:aise.

17. Claudine Attias-Donfut (1998). Sociologie des generations, Paris, Presses universitaires de France.

18. Michel Foucault (1984). Le Souci de soi, Paris, Gallimard.

19. Fran<;:ois De Closets (1996). Le bonheur d'apprendre ou comment on l'assassine, Paris, Le Seuil.

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20. Jean-Michel Berthelot, G. Vincent et al. ( 1994). op. cit.

21. Joffre Dumazedier et at. (1994 ). La lefon de Condorcet, Paris, I' Harmattan.

22. Christian Nique et Claude Lelievre, (1993). La Republique n 'eduquera plus. La fin du mythe Ferry, Paris, Pion.

23. Daniel Pennac (1992). Comme un roman, Paris, Gallimard.

24. De Singly, Fran~ois (1989). Lire a 12 ans, Paris, Nathan.

25. Bernard Chariot et al. (1989). Rapport au savoir dans les banlieues et ailleurs, Paris, Presses universitaires de France.

26. Roger Girod (1991 ). Le savoir reel de l'homme moderne, Paris, Presses univer-sitaires de France.

27. Philippe Meirieu (1996). Frankenstein pedagogue, Paris, ESF. 28. Nelley Leselbaum ( 1980). Autonomie et evaluation, Paris,

29. Bernard Schwarz (1972). L 'education demain, Paris, Au bier.

30. JoffreDumazedier en cooperation avec Charters et Kotaseck ( 1972). Ecole et education permanente, UNESCO.

31. Olivier Galland (1991 ). Sociologie de Ia jeunesse, Paris, A. Colin.

32. Dubet, Fran~ois ( 1997). Les lyceens. Paris, Le Seuil.

33. Husti, Anicko (1994). Perdre son temps a /'ecole, Paris, INRP.

34. Guigou, J. (1993). Critique des systemes deformation des adultes, Paris, L'Har­mattan.

35. Carre, Philippe ( 1990). Formation professionnelle et autoformation, Paris, Ia Documentation fran~aise.

36. Patricia Portelli (1996). Sciences de /'education pour /'ere nouvelle, Caen,

37. Martine Barthelemy (1994). Les associations, Paris, CEVIPOF

38. Vernet Bernard et Guy Roustan (1993). L'economie contre Ia societe, Paris, Le Seuil.

39. Viviane Glickman ( 1995). << Les avatars de Ia television pour adultes en France: histoire d'une "non-politique" 1964-1985 », Revue franfaise de pedagogie.

40. France Henri et Antony Kaye avec Ia collaboration de Genevieve Jacquinot et al. (1985). Le savoir a domicile, Sainte-Foy, Presses de l'Universite du Quebec.

41. Fran~ois Mariet (1990). La television americaine, (chapitre <<Public Broadcasting Company»), Paris, Economica.

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Joffre DUMAZEDIER Temps chome, temps libere: une exigence accrue d'autoformation

RESUME

Le temps chome et le temps libere sont deux produits de Ia reduction et de Ia metamorphose a long terme du travail. Mais aujourd'hui, les problemes souvent dramatiques du premier tendent a occulter ceux du second. Les activites dominantes du temps libre accru de Ia societe mediatique ont trans­forme l'equilibre ancien des temps sociaux.

Depuis une vingtaine d'annees, en Amerique francophone et anglophone ainsi qu'en Europe, un courant de reflexion et d'action tente de reagir contre cette situation en centrant Ia formation initiate et continue, obligatoire et volontaire, sur un long apprentissage renouvele au desir et a Ia capacite de chacun de s'autoformer plus librement pendant le temps libre d'abord, puis dans Ies temps contraints du travail scolaire et professionnel de Ia vie quotidienne.

Ce courant tend a centrer toute action educative sur un apprentissage scolaire et extra-scolaire, renouvelable a tout age, au desir et a Ia capacite d'autoformation individuelle et collective. Le processus d'autoformation prend place en diverses occasions: I) en situation de loisir, temps social a soi doue d'une nouvelle Iegitimite, a Ia fois source de divertissement et d'autodeveloppement potentiel, occupant une moyenne de 80% a 90% du temps libere; 2) en situation de temps sociallibrement engage dans Ia citoyen­nete; et 3) en situation de temps sociaux contraints par le travail profession­net et par Ia loi.

Joffre DUMAZEDIER Unemployed Time, Liberated Time: The Growing Importance of Self-Learning

ABSTRACT

Unemployed time and liberated time are both by-products of the transforma­tion and reduction of work time over the years. Today, the major problems related to unemployed time have underplayed those of liberated time. However, the increase of free time in our media-based societies has generated some major activities which have affected the former balance of social times.

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In reaction to this situation, some French - and English - speaking communities of America, as well as European countries, have for the last twenty years promoted basic continuing education, whether compulsory or optional, aimed at developing the desire and ability of each individual for freer self-learning. This ever-lasting process applies first to free time, and then to the constrained structures of everyday social and school time.

This trend consists of focussing all education practices on permanent training in and and out of school in order to develop a taste and ability for self-learning, both in the individual and the community. This process takes place in various situations: I) during free time newly legitimized individual social time, a source of potential entertainment and self-learning occupying 80 to 90% of liberated time; 2) during social time freely devoted to commu­nity work; 3) and during social time constrained by work and by the law.

Joffre DUMAZEDIER Tiempo improductivo, tiempo liberado: una exigencia acrecentada de autoformaci6n

RESUMEN

El tiempo improductivo y el tiempo liberado son dos productos de Ia reducci6n y de Ia metam6rfosis del tiempo de trabajo a traves de los afios. Pero hoy, los problemas frecuentemente dramaticos del primero tienden a ocultar esos del segundo. El incremento del tiempo libre en nuestras sociedades mediaticas ha transformado algunas de las actividades principa­les, las cuales han afectado el equilibrio antiguo de los tiempos sociales.

Desde hace una veintena de afios, en America franc6fona y ang16fona asf que en Europa, una corriente de reflexi6n y de acci6n intenta de reaccionar contra esta situaci6n, centrando Ia formaci6n inicial y continua, obligatoria y voluntaria, sobre un largo aprendizaje renovado al deseo y a Ia capacidad de cada uno de autoformarse mas libremente durante el tiempo libre de primero, luego en el tiempo obligatorio del trabajo escolar y profesional de Ia vida cotidiana.

Esta corriente tiende a centrar toda acci6n cducativa sobre un aprendizaje escolar y extra cscolar, renovable a toda edad, al deseo y a Ia capacidad de autoformaci6n individual y colectiva. El proceso de auto­formaci6n toma Iugar en diversas ocasiones: I) durante el tiempo libre,

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tiempo social en sf capaz de una nueva legitimidad, a Ia vez fuente de diversion y autodesarrollo potencial, ocupando una media de 80% a 90% del tiempo liberado; 2) durante el tiempo sociallibremente voluntario en trabajos comunitarios; y 3) durante el tiempo social comprometido por el trabajo profesional y porIa ley.

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