Taxe sur les transactions financières

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TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIERES – ETAT DES LIEUX Ahmed Laaouej Mars 2010 Editrice responsable : A. Poutrain – 13, Boulevard de l’Empereur – 1000 Bruxelles

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TAXE SUR LES TRANSACTIONS

FINANCIERES – ETAT DES LIEUX

Ahmed Laaouej

Mars 2010

Editrice responsable : A. Poutrain – 13, Boulevard de l’Empereur – 1000 Bruxelles

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A. Aux origines de la frénésie spéculative des marchés financiers ..... 3

B. Une taxe pour freiner la spéculation : bref historique .................... 4

C. Principales oppositions à une taxe sur les transactions financières ....................................................................................................... 7

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La crise financière de 2008 a eu pour effet de ramener à l’avant plan, l’idée qu’on croyait enterrée d’une taxe sur les transactions financières de type Tobin. L’idée d’une taxe sur les transactions financières répond avant tout à la volonté de freiner la spéculation sur les marchés financiers. En imposant par un faible taux (moins de 1 %), les transactions financières (autrement dit les transactions qui impliquent un échange monétaire), l’objectif est de freiner la spéculation en la rendant coûteuse. Cette taxe sur les transactions financières s’inscrit par conséquent dans une approche globale visant à réguler la finance mondiale. Ce n’est bien sûr pas la seule solution, mais elle serait l’un des éléments d’un ensemble de mesures visant à mieux contrôler et mieux réguler la finance mondiale. Le 10 mars 2010, le Parlement européen a adopté une résolution demandant à la Commission et au Conseil d’en étudier la faisabilité. Du côté du G 20 et du FMI cependant, l’option retenue semble de plus en plus la voie d’une taxe sur les avoirs des banques. Les Etats-Unis et le Canada s’opposent à une taxe sur les transactions financières. Au niveau européen, des acteurs tels le PSE ont lancé une grande campagne de mobilisation à partir d’une revendication simple : un prélèvement de 0,05 % sur toutes les transactions financières, soit 200 milliards d’euros au niveau européen pour financer la relance, stabiliser les marchés financiers et renforcer les finances publiques.

Quelques chiffres D’après une étude présentée en janvier 2010 au Parlement européen1, les transactions financières atteignaient en 2007 un volume 70 X supérieur au produit intérieur brut (PIB) mondial, soit près de 3.000.000 de milliards d’euros. Pour 80 %, ces transactions concernent des produits dérivés, le reste consistant essentiellement en opérations de change. � 0,05 % sur les transactions financières rapporterait : - 195,7 milliards d’euros au niveau européen ; - 515,42 milliards d’euros au niveau mondial.

1 « Financial transaction tax, “Small is Beautiful” », Directorate General For Internal Policies, Economic an Monetary Affairs », PE 429.089, p.5 : “Financial transaction volumes

have increased dramatically in recent years. Figure 3 presents data on annual turnover for the

main spot and derivatives markets as a ratio of world GDP.2 In 2007, total turnover amounted to

almost 70 times world GDP. The lion’s share of transactions, 88 percent in 2007, is accounted for

by derivatives trading, of which trading related to fixed-income securities features prominently.

Spot transactions only amount to about 12 percent of all transactions”.

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A. Aux origines de la frénésie spéculative des marchés financiers

Un marché (lieu où se rencontrent une offre et une demande) est par nature un lieu propice à la spéculation. On y achète un bien pour le revendre un jour en tablant sur une augmentation de son prix. On espère ainsi un bénéfice, tout en prenant le risque d’une baisse du prix, et donc d’une possible perte. Depuis une trentaine d’année cependant, la spéculation est devenue frénétique et atteint des volumes déstabilisateurs pour l’économie réelle. Plusieurs facteurs sont à l’origine du phénomène, dont deux majeurs doivent retenir notre attention. La libéralisation des taux de change et l’émergence exponentielle des produits dérivés La libéralisation des taux de change et des taux d’intérêts au milieu des années 70, a provoqué une inflation massive du volume des transactions financières.

Ce qui a entrainé la multiplication des opérations de couverture contre les risques de fluctuation des taux de change et des taux d’intérêts. Ces opérations de couverture visent à protéger de l'évolution défavorable possible sur le marché de la valeur d'un actif ou d'un bien. Par exemple, un producteur risque une baisse future du prix de ses denrées tandis que son acheteur risque au contraire sa hausse future. La couverture consiste à acheter ou vendre un contrat dérivé portant sur la valeur du bien considéré.

Ces opérations de couverture ont ainsi créé des droits par exemple d’acheter ou de vendre telle quantité de devises durant telle période pour un taux de change fixé à l’avance, d’échanger un taux variable d’intérêt contre un taux fixe pendant telle période, etc…. Ces opérations de couverture ont également permis de se couvrir contre les fluctuations du cours des actions et des matières premières (droit d’acheter et de vendre telle quantité d’actions ou de pétrole pendant un laps de temps à un prix défini). Historiquement, les opérations de couverture ont d’abord vu le jour sur les marchés de matières premières. Ce phénomène a donné naissance aux produits dérivés, qui ne sont rien d’autre que ces droits d’acheter, de vendre ou d’échanger un actif, pour un prix et dans une période déterminés (action, devise, taux d’intérêt...). Ces produits dérivés se sont vus reconnaître une valeur en soi par les marchés, une valeur distincte des actifs sous-jacents (devise, taux d’intérêt, actions, matières premières, …). D’où l’appellation de « produits dérivés » : ils sont en fait dérivés d’un actif sous-jacent. Les spéculateurs ont rapidement compris tout le profit qu’ils pouvaient retirer de ces produits dérivés.

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En devenant titulaires de ces droits dérivés, ils pouvaient spéculer sur la hausse ou sur la baisse de la valeur des actifs sous-jacents, et céder ainsi leurs positions qui prennent elles-mêmes de la valeur. Des masses financières colossales peuvent s’échanger sur les marchés, mais qui ne concernent que ces droits dérivés d’acheter, de vendre ou d’échanger, alors que les actifs sous-jacents ne changent pas réellement de main. L’arrivée des hedge funds ou fonds d’investissement spéculatifs (armes de spéculation massive) La volatilité (du fait de la libéralisation des taux de change et des taux d’intérêt) et la mondialisation des marchés financiers (du fait de la libre circulation des capitaux) ont facilité l’émergence et le développement de structures d’investissement et de placement très souples. Au moyen d’un capital plus ou moins important, confié à une petite équipe de gestionnaires aguerris et logé dans un paradis fiscal et bancaire, ces fonds acquièrent des parts dans une société ou prennent des positions sur les marchés financiers, avec une vitesse et pour une durée fonction de leur soif de gains à très court terme. Ils alimentent ainsi les échanges purement financiers, sans lien avec l’économie réelle. Au passage, ils exercent une lourde pression sur cette économie réelle, par exemple en imposant des licenciements dans les compagnies dont ils prennent le contrôle pour accroître leurs bénéfices ou doper le cours de bourse. C’est pourquoi les bourses aiment les licenciements….

B. Une taxe pour freiner la spéculation : bref historique

En 1972, James Tobin, Prix Nobel d’économie, propose une taxe de moins de 1 % sur les opérations de change afin de freiner la spéculation, comme réponse aux conséquences inévitables d’une libéralisation des taux de change.

Initialement dans le modèle Tobin, l’assiette est limitée aux opérations de change qui, 40 ans plus tard, ne constitueront qu’une part minime des transactions financières.

Tobin suggérait de reverser les recettes au FMI, à la Banque Mondiale ou à l’ONU afin de contribuer à l’aide au développement.

Dès 1998, année de sa création, le groupement altermondialiste ATTAC reprend l’idée, en élargissant néanmoins l’assiette à toutes les transactions financières, tout en conservant l’affectation des recettes à la coopération au développement. ATTAC propose un taux se situant entre 0,5 % et 0,1 %. L’organisation altermondialiste inscrit sa proposition dans une critique radicale du libéralisme économique et financier.

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Le 20 janvier 2000, la droite européenne (le MR pour ce qui concerne la Belgique) s’oppose à une proposition de résolution demandant à la Commission européenne d’étudier la faisabilité technique d’une taxe de type Tobin en Europe. En 2001, Tobin prend ses distances avec le mouvement altermondialiste en déclarant : « J’apprécie l’intérêt qu’on porte à mon idée, mais beaucoup de ces éloges ne viennent pas d’où il faut. Je suis économiste et, comme la plupart des économistes, je défends le libre-échange. De plus, je soutiens le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), tout ce à quoi ces mouvements s’en prennent. On détourne mon nom. »2

Au début des années 2000, le mouvement altermondialiste, face aux critiques, affine le tir et s’appuie sur les travaux du professeur Paul Bernd Spahn, de l’Université de Francfort. Selon ce dernier, il faut distinguer deux objectifs - lutter contre la spéculation et collecter des moyens financiers. Pour atteindre ces deux objectifs, il faut, selon l’économiste allemand, deux outils différents. Pendant la période normale des transactions, il y a une taxe faible de 0,05% sur les opérations de change qui constituera une source de financement permanente. En cas de mouvements financiers inopportuns, le niveau de taxation sera si élevé (80%) qu’il sera dissuasif pendant une courte période d’effectuer encore des transactions. Dans le modèle de Spahn, l’assiette se limite à nouveau aux opérations de change En 2001, la France adopte une loi prévoyant l’introduction d’une taxe sur les opérations de change dont l’entrée en vigueur dépend de l’adoption d’un dispositif similaire dans l’ensemble des pays de la zone euro. En Belgique, le 24 janvier 2002, le PS dépose une proposition de loi, cosignée par le SP.A, le CDH, le CD&V et Ecolo, visant à introduire un prélèvement sur les transactions financières. L’assiette prévue s’étendrait aux opérations de change et produits dérivés sur intérêts et le taux retenu se situait entre 0,01 et 0,1 %. Les recettes sont affectées à la coopération au développement, et l’entrée en vigueur est subordonnée à l’adoption d’un dispositif équivalent par la moitié au moins des pays de la zone euro. Mais cette proposition de loi n’est pas adoptée. Le 15 juillet 2003, une proposition de loi instaurant une taxe sur les opérations de change de devises, de billets de banque et de monnaies est déposée par le SP A, cosignée par le PS, le CD H, le CD & V et Ecolo. Elle s’inspire du modèle Spahn et comprend comme assiette les opérations de change de devises.

Elle prévoit un taux à deux niveaux : 0,02 % (en période normale) et 80 % en période d’instabilité financière.

2 Le Monde, 8 septembre 2001.

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L’affectation des recettes est plus large : coopération au développement, environnement, services publics et justice sociale. L’entrée en vigueur est subordonnée au moment où un dispositif équivalent la rend applicable dans tous les pays de la zone euro ou si une directive l’établit. Elle a été adoptée le 1er juillet 2004 ! En septembre 2008, éclate la crise financière et le projet d’une taxe sur les transactions financières comme outil de régulation revient à l’agenda des discussions internationales. Aux différents sommets du G20 réunis depuis le déclenchement de la crise (Londres, Pittsburgh, Saint Andrews), aucun accord, malgré de nombreuses discussions, n’a pu se dégager sur un projet commun d’une taxe sur les transactions financières. Même Gordon Brown, s’est alors montré favorable à la taxe, mais s’est heurté à l’opposition frontale des USA et du Canada. Toutefois, au Sommet de Pittsburgh des 24 et 25 septembre 2009, le G20 demande au FMI de travailler sur la possibilité d’une taxe sur le secteur financier, soit une proposition plus large. Le 15 décembre 2009, dans sa déclaration au Parlement européen, Manuel Barroso confirmait que la Commission travaillait à de nouvelles formules de financement, dans le cadre de défis planétaires, y compris les taxes sur les transactions financières, dans le but de présenter des propositions.

Le 10 mars 2010, le Parlement européen a adopté une résolution demandant à la Commission et au Conseil :

� de chiffrer la possible contribution des différentes options de taxe sur les transactions financières au budget général de l'Union européenne ;

� d’apprécier dans quelle mesure les options examinées pourraient servir aussi à soutenir l'adaptation des pays en développement au changement climatique, ainsi que le financement de la coopération au développement.

Le 15 mars 2010, le PSE initiateur du Global Progressive Forum dépose une note proposant une taxe de 0,05 % sur l’ensemble des transactions financières, dont la recette au niveau de l’Union Européenne pourrait s’élever à 200 milliards d’euros. La taxe contribuerait à stabiliser les marchés financiers, à renforcer les finances publiques et dont la recette pourrait être affectée à la relance de l’économie. Mais le 17 mars 2010, Dominique Strauss Kahn, directeur du FMI, faisait part de ses réserves concernant une taxe sur les transactions financières : « Il n'est pas si évident que la seule solution puisse aller dans le sens d'une taxe sur les transactions (…) Il n'est pas si évident que la voie la plus facile soit de construire quelque chose qui pourrait être difficile à créer et plutôt facile à éviter. Il est de

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plus en plus facile de bâtir des produits financiers dérivés afin d'éviter une taxe sur les transactions »3. Le 24 mars 2010, les Ministres des Finances allemand et anglais s’expriment en faveur d’une taxe sur les banques (un pourcentage de leurs avoirs)4. La Ministre française de l’Economie, Christine Lagarde, se rallie à l’idée5.

C’est dans le courant d’avril 2010 que le FMI doit rendre publiques ses

recommandations sur une taxe permettant de «récupérer l'argent public qui a

été employé pour soutenir les banques et les autres institutions financières

durant la crise».

C. Principales oppositions à une taxe sur les transactions financières 6

Même si le prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz soutient l’idée d’une taxe sur les transactions financières, on trouve davantage d’économistes qui s’y opposent que d’économistes qui soutiennent l’idée. Cet état de fait explique sans doute la situation dans laquelle nous sommes actuellement… Pourtant, la plupart des objections à la taxe sur les transactions financières trouvent des réponses. Voici en conclusion les objections les plus courantes à propos d’une taxe sur les transactions financières et les réponses en faveur de cette taxe. � « Elle constituerait un frein aux échanges commerciaux de l’économie

réelle puisqu’également prélevée sur les opérations de paiement ». Réponse : on pourrait exonérer ce type d’opérations ;

� « Elle sanctionnerait les (bons) placements à long terme ».

Réponse : c’est précisément pour cette raison que le taux est faible. Ceux qui sont pénalisés, sont ceux qui spéculent en achetant et en vendant à très court terme. Ainsi, Attac France cite un chiffre édifiant : « 80% des transactions de change correspondent à des allers-retours effectués en moins d’une semaine»7.

� « Elle rendrait les marchés moins liquides puisqu’elle freinerait les

échanges de devises ; des marchés moins liquides accentueraient la volatilité des taux de change de devises ». Réponse : ce qu’on a surtout observé, c’est le danger d’un surcroît artificiel de liquidités sur les marchés financiers, nourri par la spéculation.

3 Le Figaro, 17 mars 2010; 4 Le Point, 24 mars 2010; 5 Le Figaro, 24 mars 2010; 6 The Economist, september 2009, « The trouble with Tobin Taxes » ; Voir aussi www.france.attac.org; 7 Bruno Jetin, Utilité et faisabilité de la Taxe Tobin, 2002, http://www.france.attac.org/spip.php?article57

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� « Un taux aussi faible ne freinerait pas les grands mouvements spéculatifs du type de ceux qui ont provoqué la crise des subprimes ». Réponse : des taux majorés pourraient être introduits en cas d’emballement des marchés ;

� « Elle ne peut se concevoir qu’à l’échelle mondiale, sans quoi il y a des

risques de contournement ». Réponse : c’est l’argument le plus pertinent. Toutefois, Attac France fait remarquer : « 80% des transactions de change concernent les huit premiers pays industrialisés et 88% se déroulent entre cinq monnaies : le dollar, la livre sterling, l’euro, le yen et le franc suisse »i.

� « Elle serait répercutée sur les utilisateurs finaux par exemple ceux qui ont

réellement besoin des opérations de couverture, sur lesquels d’autres spéculent ». Réponse : ces utilisateurs finaux sont ceux qui paient le plus les conséquences d’une déflagration financière. Et ça leur coûte bien plus cher qu’une petite taxe…

� « Certains pays pourraient ne pas jouer le jeu en prévoyant des tas

d’exemptions ». Réponse : c’est pour cette raison que l’assiette et le taux doivent être définis mondialement. On pourrait en particulier imaginer d’exonérer les opérations de couverture des pouvoirs publics.

� « Elle favoriserait l’ingénierie financière qui inventerait de nouveaux

produits financiers dérivés pour contourner la taxe ». Réponse : c’est l’argument récurrent en matière fiscale. Le champ d’application de la taxe doit être défini intelligemment, c'est-à-dire de manière très générale et peut faire l’objet d’évaluation régulière par le FMI. Par ailleurs, cela renforce la nécessité d’un gendarme financier international.

� « Elle ne s’attaque pas aux racines du mal : la mauvaise gestion des

banques (mauvais ratio de liquidités, de fonds propres, etc…) » Réponse : on doit faire l’un (mieux contrôler les banques) et l’autre (taxer les transactions financières).

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i Ibid