Taurillon dans l'Arène N°16

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NOVEMBRE 2013 Pour cela, elle négocie avec les grandes puissances et prend souvent des positions fermes, comme ce fut le cas dans l'affaire des panneaux solaires chinois. En effet, en juillet dernier, les autorités européennes et chinoises ont conclu un accord sur les exportations de panneaux solaires. Cet accord impose notamment aux entreprises exportatrices « un prix plancher de 0,56 euros par watt de puissance produite et plafonne les ventes chinoises dans l'UE à l'équivalent de 7 gigawatts par an, soit un peu moins de la moitié de la demande européenne » 2 . Aucun Etat n'aurait eu seul la capacité d'imposer un tel accord. Sommaire Espagne : Comment éviter la Cata(logne) ? p.3 Europe : L’unité menacée p.4 Mariage Homosexuel en Europe : Ou en est-on ? p.5 Retour sur le débat public «Quelle Europe après 2014 ?» p.6 Article en allemand : So nah und doch so fern... p.8 Suisse : Un modèle Européen? p.9 Portrait croisé : Danny Welbeck et Michel Houellebecq p.10 Mondial 2014 : Quel enjeu pour l’ex- Yougoslavie ? p.11 Objectif sur les Pays-Bas p.12 Editorial : Union Européenne, quand le FN nous ment Lors de l'Université d'automne du Mouvement Européen, à Caen (Calvados), les 11, 12 et 13 octobre dernier, un exercice intéressant nous a été proposé. Il s'agissait de « décortiquer » les communiqués du Front national, principalement rédigés par Florian Philippot et Marine Le Pen, et d'y relever les arguments récurrents contre l'Europe, pour y apporter des réponses concrètes. Bien entendu, le Front national n'est pas le seul parti eurosceptique sur l'échiquier politique français, mais il est de loin le plus dangereux pour les défenseurs de la construction européenne, à l'approche des élections de mai 2014. 1: Une Europe qui « exige, dicte, fait chanter, fait abdiquer, rend servile, etc. » FAUX ! Les gouvernements nationaux ont des pouvoirs conséquents au sein de l'UE. Ce sont eux, notamment, qui prennent les décisions au sein du Conseil européen 1 et du Conseil de l'Union Européenne, instances clefs de l'Union. Lorsque la Commission formule des recommandations ou propose des sanctions, elle le fait en conformité avec les traités ratifiés au cours des dernières décennies. Ainsi, si ces traités induisent des obligations, ils procurent aussi des avantages considérables (libre- circulation, monnaie commune, etc.). Si, par exemple, le Traité de Maastricht pose comme critère un déficit annuel inférieur à 3% du PIB et une dette publique qui ne doit pas dépasser 60% du PIB, quoi de plus logique que la Commission contrôle les efforts des Etats pour respecter cet engagement ? 2: Une Europe ultra-libérale FAUX ! L'ultra-libéralisme pourrait, de manière partiellement erronée, s'apparenter à la politique menée par Margaret Thatcher au Royaume-Uni, ou par Ronald Reagan aux Etats-Unis, dans les années 1990. Or, ce n'est absolument pas le cas de l'Union Européenne. Celle-ci met en œuvre, de manière certes incomplète, des politiques visant à protéger le marché intérieur et à assurer une préférence communautaire. N°16 1

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Pour cela, elle négocie avec les grandes puissances et prend souvent des positions fermes, comme ce fut le cas dans l'affaire des panneaux solaires chinois.

En effet, en juillet dernier, les autorités européennes et chinoises ont conclu un accord sur les exportations de panneaux solaires. Cet accord impose notamment aux entreprises exportatrices « un prix plancher de 0,56 euros par watt de puissance produite et plafonne les ventes chinoises dans l'UE à l'équivalent de 7 gigawatts par an, soit un peu moins de la moitié de la demande européenne »2. Aucun Etat n'aurait eu seul la capacité d'imposer un tel accord.

Sommaire

Espagne : Comment éviter la Cata(logne) ? p.3

Europe : L’unité menacée p.4

Mariage Homosexuel en Europe : Ou en est-on ? p.5

Retour sur le débat public «Quelle Europe après 2014 ?» p.6

Article en allemand : So nah und doch so fern... p.8

Suisse : Un modèle Européen? p.9

Portrait croisé : Danny Welbeck et Michel Houellebecq p.10

Mondial 2014 : Quel enjeu pour l’ex-Yougoslavie ? p.11

Objectif sur les Pays-Bas p.12

Editorial : Union Européenne, quand le FN nous ment

Lors de l'Université d'automne du Mouvement Européen, à Caen (Calvados), les 11, 12 et 13 octobre dernier, un exercice intéressant nous a été proposé.

Il s'agissait de « décortiquer » les communiqués du Front national, principalement rédigés par Florian Philippot et Marine Le Pen, et d'y relever les arguments récurrents contre l'Europe, pour y apporter des réponses concrètes. Bien entendu, le Front national n'est pas le seul parti eurosceptique sur l'échiquier politique français, mais il est de loin le plus dangereux pour les défenseurs de la construction européenne, à l'approche des élections de mai 2014.

1: Une Europe qui « exige, dicte, fait chanter, fait abdiquer, rend servile, etc. »

FAUX ! Les gouvernements nationaux ont des pouvoirs conséquents au sein de l'UE. Ce sont eux, notamment, qui prennent les décisions au sein du Conseil européen1 et du Conseil de l'Union Européenne, instances clefs de l'Union. Lorsque la Commission formule des recommandations ou propose des sanctions, elle le fait en conformité avec les traités ratifiés au cours des dernières décennies. Ainsi, si ces traités induisent des obligations, ils procurent aussi des avantages considérables (libre-circulation, monnaie commune, etc.). Si, par exemple, le Traité de Maastricht pose comme critère un déficit annuel inférieur à 3% du PIB

et une dette publique qui ne doit pas dépasser 60% du PIB, quoi de plus logique que la Commission contrôle les efforts des Etats pour respecter cet engagement ?

2: Une Europe ultra-libérale

FAUX ! L'ultra-libéralisme pourrait, de manière partiellement erronée, s'apparenter à la politique menée par Margaret Thatcher au Royaume-Uni, ou par Ronald Reagan aux Etats-Unis, dans les années 1990. Or, ce n'est absolument pas le cas de l 'Union Européenne. Celle-ci met en œuvre, de manière certes incomplète, des politiques visant à protéger le marché intérieur et à assurer une préférence communautaire.

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3: Une Europe anti-démocratique

FAUX ! D'une part, le Parlement européen est élu au suffrage universel par les citoyens de l'Union, et cela depuis 1979. D'autre part, et c'est une grande innovation du traité de Lisbonne, le président de la Commission européenne sera élu par les parlementaires dès 2014. Ainsi, le nom des candidats à la présidence de la Commission apparaitra sur les bulletins de vote des électeurs, ce qui est une réelle avancée démocratique.

A cela s'ajoute l'existence, encore trop méconnue, de l'Initiative Citoyenne Européenne (ICE). Autre innovation du traité de Lisbonne, elle donne un droit de pétition à un rassemblement d'un million de citoyens de l'Union issus d'au moins un quart des pays membres. Cela étant, et c'est un bémol notable, il est difficile de rassembler ces signatures et la Commission n'est pas contrainte d'en tenir compte. Des progrès sont donc attendus sur ce sujet, mais l'initiative est louable.

4: Il faut sortir de l'Euro !

Cet appel, maintes fois rappelé dans les communiqués du Front National, aurait des conséquences importantes que l'on ne souligne jamais assez.

Tout d'abord, une sortie de l'euro induirait une hausse immédiate des prix des produits importés, et l'exemple de l'énergie, pour un pays qui ne produit pas de pétrole, est le plus criant. Cela constituerait, de facto, une baisse considérable du pouvoir d'achat de tous les Français.

De plus, la dette publique devrait être remboursée dans une monnaie dévaluée, ce qui induirait des difficultés de remboursement des 1912, 20 milliards   3 dont la France est débitrice, soit près de 100% de son PIB.

A cela s'ajoute une hausse prévisible de l'inflation. On oublie trop souvent les avantages d'une monnaie stable, c'est-à-dire de savoir que la pièce que l'on possède aujourd'hui nous permettra d'acheter

Le dessin du mois

par Florence Morel

demain le même litre de lait. L'inflation, c'est l'instabilité permanente.

Enfin, et l'argument n'est pas négligeable, la monnaie unique permet d'éviter les fluctuations du taux de change, tout comme de faciliter les déplacements et les transactions dans la zone euro. Ainsi, et bien que des politiques économiques européennes renforcées soient nécessaires, l'euro est un atout dont on aurait tort de se passer.

Voilà, en somme, de quoi s'interroger sur la pertinence des arguments du Front national. Si l'Europe n'est pas parfaite et nécessite des ajustements importants pour répondre aux attentes des citoyens, elle est loin de correspondre à la description qu'en fait le parti de Marine Le Pen.

Comme l'écrit Jan-Werner Mueller, dans The Guardian, « les citoyens européens devraient bien réfléchir avant de voter pour ces partis. Car ils n'auront pas une politique différente, mais simplement la paralysie. Il existe de vraies alternatives, même à l'austérité, et le Parlement européen offre un éventail d'options – de gauche comme de droite – bien plus large que les parlements nationaux. S'il est légitime de vouloir s'opposer d'un point de vue démocratique, il est aussi important de prendre son propre vote au sérieux.».  4

Alexandre Fongaro

1 - Le Conseil européen désigne le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement des vingt-huit états-membres de l'Union Européenne.Le Conseil de l'Union Européenne, composé des ministres des différents Etats-membres de l'UE , décide des actes législatifs et budgétaires au sein de l'Union européenne. Il partage sa compétence avec le Parlement européen et sa composition varie selon le sujet (agriculture, économie, etc.)2 - Panneaux solaires : l'UE et la Chine font la trêve, 28/07/2013, Jean-Jacques Mevel. 3 - au 2ème trimestre 2013 (Alternatives Economiques, novembre 2013, p.16). 4 - « How Europe could face its own shutdown », Jan-Werner Mueller, The Guar-dian, 21/10/2013 (traduit par PressEurop)

LE TAURILLON DANS L’ARÈNE

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Les événements se déroulant actuellement en Espagne peuvent nous paraitre étranges, à nous et notre sacro-saint système jacobin, à nous qui parfois raillons les nationalismes breton, corse ou basque, par ailleurs très minoritaires et marginaux. Or, en Catalogne espagnole, un tel sentiment est au contraire partagé par une frange très importante de la population, et il suffit pour s’en convaincre de se balader dans les rues de Barcelone et de voir suspendus aux balcons des centaines, des milliers d’esteladas  1 .

Si le nationalisme en Catalogne ne date pas d’hier, et remonte même à plusieurs siècles, il fut terriblement réprimé durant la période franquiste et par la suite, pendant les années qui ont suivi la Transition démocratique, les nationalistes se sont fait relativement discrets, tous les partis politiques ayant accepté la Constitution de 1978 consacrant le système de communautés autonomes ainsi que la phrase suivante : « La Constitution est fondée sur l'unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols ».

Ces trois dernières années, le contexte politico-économique a fait ressurgir avec force les revendications séparatistes ; ainsi, en 2010, le Tribunal Constitutionnel espagnol invalida quatorze articles du nouveau statut d’autonomie de la Catalogne, notamment en raison de l’emploi de l’expression «nation catalane». A ces querelles politiques s’ajoutent les difficultés économiques de l’Espagne, et le sentiment largement partagé que Madrid spolie la Catalogne en prélevant bien trop d’impôts, en comparaison de l’argent qu’il y investit.

Le 11 septembre 2012, jour de la diada, fête nationale catalane, a réuni dans les rues de Barcelone près d’un million de personnes sous le slogan « Catalonia, new state of Europe ». Les élections qui ont suivi, en novembre, ont permis la constitution au Parlement de Catalogne d’une coalition pro-indépendance entre le parti majoritaire Convergència i Unió (de droite) et le parti social-démocrate Esquerra Republicana, qui ont promis la tenue d’un référendum d’autodétermination pour 2014.

Le 11 septembre dernier, la tension est montée d’un cran avec la démonstration de force des indépendantistes, qui ont réussi à créer une chaine humaine à travers tout le territoire catalan, de la frontière avec la France jusqu’au sud du delta de l’Ebre, (la via Catalana), tout cela sur fond de désaccords entre le gouvernement Rajoy, fortement opposé à la tenue du référendum, et le gouvernement catalan mené par Artur Mas, un homme à l’ambition débordante convaincu de tenir le destin de son peuple entre ses mains.

Quoi qu’il en soit, cette situation n’est en rien bénéfique pour l’Espagne, qui voit ce problème se rajouter à une incapacité à surmonter la crise économique. On peut chercher des coupables des deux côtés, car la manière dont le « problème catalan » est actuellement géré démontre la grande irresponsabilité de la classe politique par-delà les Pyrénées : Artur Mas est clairement en train de détourner son électorat de la réalité, et, pour masquer l’échec de ses politiques (inspirées par la même idéologie que Rajoy, soit-dit en passant), le président de la Generalitat agite l’estelada comme une solution miracle à tous les problèmes. Il est vrai qu’en des temps si difficiles, les gens ne demandent qu’à rêver et une idée aussi séduisante que celle de la «libération d’une nation opprimée» ne pouvait que rencontrer un grand succès.

Du côté de Madrid, la « catalanophobie » dont fait preuve le gouvernement Rajoy ne sert qu’à jeter de l’huile sur le feu et, comme l’a fait remarquer le leader de la coalition nationale de gauche Izquierda Unida, Cayo Lara, une telle attitude a pour conséquences de «fabriquer encore plus d’indépendantistes». On peut évoquer par exemple la réforme de l’éducation voulue par Rajoy, qui réduirait la place du catalan à l’école, une mesure particulièrement mal accueillie par les catalans.

Il est temps pour la classe politico-médiatique de reprendre les choses en main et surtout d’apaiser le débat : en effet, la haine mutuelle entre Espagnols et Catalans semble n’avoir jamais été aussi forte. Les solutions cherchant à concilier les deux parties existent : le PSOE défend par exemple la création d’un Etat fédéral. Mais dans les médias, ces propositions sont trop peu relayées et on préfère jaser sur des événements bien plus vendeurs, comme lorsque l’hymne espagnol a été sifflé en juillet dernier, pendant les Mondiaux de natation de Barcelone.

Côté catalan, il est nécessaire d’avoir un vrai débat de fond sur ce qu’implique l’indépendance de la région ; les politiques auront-ils le courage de dire au peuple que la situation économique de la Catalogne n’est pas bonne, et que l’indépendance ne réglerait pas tout, loin s’en faut ? Expliqueront-ils correctement les difficultés qu’aura la Catalogne à rejoindre l’Union Européenne dans le futur, puisqu’en cas d’indépendance, selon les statuts de l’Union, elle en serait exclue de facto? Il faut savoir que, si les enquêtes d’opinion donnent un net avantage aux indépendantistes, en revanche 70% des Catalans souhaitent rester dans l’UE.

Pour l’instant, beaucoup de questions restent sans réponse alors que Madrid n’a toujours pas autorisé la tenue du référendum, initialement prévu pour 2014. Il semble toutefois peu probable que Mas, en cas de refus espagnol, s’obstine à organiser une consultation qui serait alors illégale. Affaire à suivre, donc.

Gaétan Trillat

1    L’estelada est le drapeau indépendantiste catalan.

ESPAGNE : COMMENT ÉVITER LA CATA (LOGNE) ?

Le Parlement de Catalogne, à Barcelone

LE TAURILLON DANS L’ARÈNE

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LE TAURILLON DANS L’ARÈNE ! NOVEMBRE 2013

Depuis plusieurs années, l’Union Européenne fait face à la résurgence de partis nationalistes et séparatistes, particulièrement dans ses pays fondateurs. Actuellement, ces partis regroupent près de 33 millions de personnes. Il y a un an, des régions comme la Catalogne (Espagne) ou les Flandres (Belgique) ont mis en place des élections locales et l’Ecosse a obtenu un référendum en 2014 sur son auto-détermination. Ces mouvements ne sont pas nouveaux, ils existent depuis plus de 60 ans et on en dénombre aujourd’hui près d’une soixantaine. Comme l’écrit la correspondante du journal El Mundo en France, Luisa Corradini: « certains demandent l’autonomie, d’autres l’union avec un autre pays, la majorité réclame l’indépendance ». Par exemple, en octobre 2012, le parti séparatiste belge « Nouvelle Alliance Flamande » a gagné les élections municipales à Anvers et a ainsi remis en cause l’équilibre fragile du pays.

La désunion européenne face à la crise

Le contexte difficile dans lequel est l’Union Européenne a permis le développement d’autres mouvements dans tous les pays fondateurs : la Ligue du Nord, xénophobe, en Italie, les attentats de séparatistes corses en France ou au Pays Basque en Espagne par exemple. En effet, les passions autonomistes sont attisées par la crise économique qui ne paraît pas pouvoir se terminer. Pour Luisa Corradini : « la crise de la dette a gagné l’architecture politique de l’Union Européenne ». Même si cette crise n’a pas été l’élément déclencheur, elle a été selon Pascal Boniface « un accélérateur ». Ainsi, les Belges flamands ne comprennent pas pourquoi leurs impôts devraient entretenir les 4.5 millions de Belges francophones, les Catalans espagnols pensent que le transfert de leurs impôts vers les régions les plus pauvres les mène à la ruine. Cependant, accepter toutes les indépendances serait, pour cette Union Européenne construite comme une unité de diversités, un aveu de son incapacité à régler ses problèmes. La motivation première de ces mouvements est d’améliorer leur situation locale par rejet de l’Etat auquel ils appartiennent. Cependant, d’autres caractéristiques inquiétantes sont notables, en premier lieu le rejet du multiculturalisme. En juin 2010, le Parti pour la liberté, dirigé par le provocateur xénophobe Geert Wilders, s’est transformé en troisième pouvoir politique des Pays-Bas. Il a construit sa politique sur le rejet de l’Islam et la revendication des valeurs néerlandaises. Les nationalismes européens actuels n’ont rien à voir avec ceux du siècle précédent. En effet, comme le dit Riva Kastoryano : « aujourd’hui ils ne luttent plus pour une frontière mais pour affirmer les limites de leur identité, de leur culture ou de leur langue ». La structure supranationale de l’Union Européenne instrumentaliserait ce nationalisme, c’est-à-dire que ce sont les mêmes discours et les mêmes phénomènes d’autodétermination qui se manifestent aujourd’hui contre elles et qui se manifestaient dans le passé contre les empires. Et ce phénomène pourrait bien mettre lentement en danger une Europe unie.

L’Union européenne en danger de mort

Le journaliste du Washington Post Charles Kupchan a écrit en août 2010 que l’Union Européenne pourrait mourir de ses divisions internes. C’était l’Allemagne qui était particulièrement visée par cet article. En effet, il écrivait : « la récente réticence à aider la Grèce durant ses difficultés financières a violé l’esprit de bien-être commun qui est l’étiquette d’une Europe collective ». Les intérêts personnels de chaque pays peuvent menacer la survie de l’unité européenne. La renationalisation de la politique européenne est un phénomène courant, pas seulement en Allemagne mais dans tous les pays qui ont encore des intérêts à protéger. Ces pensées ont été confirmées par les comportements face à la crise économique et cela ne rassure par sur l’équilibre de l’Union européenne : les pays qui ont beaucoup souffert ont réclamé l’aide de l’UE, ceux qui en ont moins souffert ont voulu protéger leur situation aux dépends des autres et les régions qui se sont senties lésées ont voulu obtenir leur indépendance. Dans un article publié en avril 2012 dans le journal espagnol El Pais, F. Gonzales Márquez a écrit : « le nationalisme a été le virus qui a détruit l’Europe dans la première moitié du XXe siècle. La construction d’un espace public partagé, en approfondissant les compétences communes et en l’élargissant à un nombre plus grand de pays, a aidé l’Europe à dépasser cette pathologie qui l’a menée au conflit pendant un siècle ». Mais aujourd’hui, cette pathologie du « nationalisme individuel » paraît menacer de nouveau l’unité européenne. Selon le journaliste, pour sauver l’UE, la seule solution est de trouver des compromis dans chacun des pays : ils doivent céder de la souveraineté à une entité qui défendrait les intérêts de l’Union Européenne au complet. « L’opération exige des compromis de tous et entre tous et la gestion doit être commune, sans contraintes imposées par des directoires nationaux, qui attisent et entraînent des réponses nationalistes en retour ». La solution est donc politique et commune. Les solutions individuelles font juste entendre de plus en plus les voix des extrêmes européens, chargés de discours xénophobes et contre l’Union qui gagnent de plus en plus de votes.

Célia Genest

L’UNITÉ EUROPÉENNE MENACÉE

Manifestation du 10 juillet 2010, au cours de laquelle plus d'un million de Catalans sont descendus dans la rue.

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LE TAURILLON DANS L’ARÈNE ! NOVEMBRE 2013

« À mesure que progresse la lutte contre les discriminations liées à l'orientation sexuelle, les formes familiales ne cessent de se diversifier en Europe. Le mariage hétérosexuel n'a plus le monopole de l'encadrement juridique des couples » 1

L’année dernière, la nouvelle loi sur le fameux «mariage pour tous» a mobilisé les foules. Aujourd’hui, c’est la question de la procréation médicalement assistée (PMA) qui bouscule à l’ordre du jour. Mais au fait, qu’en est-il de nos voisins européens? Un petit tour d’horizon pourrait nous aider à prendre un peu recul sur la question..

L'hétérogénéité quant à la reconnaissance juridique du mariage homosexuel est flagrante au sein de l’Union. De nombreux Etats membres ne reconnaissent aucune forme d’union - des pays de l’est pour la plupart.. mais également l’Italie! En ce qui concerne les autres pays, qui, d’une façon ou d’une autre, reconnaissent une forme d’union entre personnes de même sexe, l’objectif reste le même: l’égalité pour tous. Pourtant les chemins empruntés diffèrent. C’est qu’il n’existe pas une seule manière d’aborder la question. La plupart du temps, la reconnaissance s'est faite en plusieurs étapes. Plus encore, on s'aperçoit très vite que, comme aujourd'hui en France, c'est la question de l'adoption qui est implicitement au cœur du débat.

Le modèle scandinave est pionnier e u r o p é e n à l ’ é g a r d d e l a reconnaissance des couples de même sexe. En 1989, le Danemark est le premier pays de l’Union à offrir aux homosexuels, avec le partenariat enregistré, la possibilité de faire reconnaître légalement leur union. La Suède et la Norvège suivront cette m ê m e v o i e d a n s l e s a n n é e s 1980-1990.

L’idéal d’égalité est en effet très présent dans ces sociétés - il s’accomplit d’ailleurs au XXème siècle sur le modèle de l’Etat providence. C’est aussi que ces pays sont tenus, par la Convention de 1931, à assurer un minimum de coordination législative pour assurer la libre circulation de leurs citoyens sans qu'il ne soit porté préjudice à leur statut - la reconnaissance d'une union par exemple - lorsqu'ils passent la frontière. Pour chapeauter le tout, le Conseil nordique incite à des «solutions conjointes qui ont des effets positifs pour les citoyens des différents pays». Aujourd'hui, la Suède, la Norvège, l'Islande reconnaissent le mariage homosexuel, le Danemark et la Finlande le Partenariat enregistré - un statut se voulant égal en droit à celui du mariage hétérosexuel- et tous s'accordent sur la possibilité d'adoption par un couple homosexuel.

La démarche belge est particulièrement originale. En 2003, la pays n'est pas encore prêt à autoriser l'adoption aux couples homosexuels. Désireux pourtant de leur ouvrir le mariage, le pays décide de changer la définition même de ce dernier dans le code civil. Le mariage n'est alors plus automatiquement associé à la possibilité d'avoir des enfants. En 2006, le pays s'accorde finalement pour l'adoption pour tous, quelle que soit l'orientation sexuelle.

L'exemple espagnol mérite lui aussi d'être mentionné. Bien que de tradition chrétienne forte, le pays légalise en 2005 le mariage et l'adoption..en une seule fois ! Une première à l'échelle européenne.

Quelle législation européenne ?

Une harmonisation à l'échelle européenne est-elle envisageable ?La plupart des institutions européennes sont restées très en arrière de la main en ce qui concerne la reconnaissance des unions de même sexe. En effet, à quelques exceptions près, le droit de la famille – notamment le mariage homosexuel - reste presque entiè-rement géré par les Etats membres. En ce sens, l'Union ne peut imposer d'harmonisation européenne aux Etats.

Seul le Parlement européen a fait preuve d’initiatives notables. Le 8 février 1994 notamment, à la suite du rapport de l'eurodéputée Claudia Roth, le Parlement européen prend une résolution dou-blement importante. Il demande aux États membres de mettre un terme aux discriminations concernant les personnes homosexuel-les et lance un appel en faveur de la reconnaissance des couples de même sexe. Plus remarquable, et c'est sûrement ce qui fera la force de cette résolution, le Parlement européen demandera à la commission des Communautés européennes de présenter un projet

de recommandation sur l'égalité des droits des ho-mosexuels pour mettre un terme à « l'interdiction faite aux couples homosexuels de se marier ou de bénéficier de dispositions juridiques équivalentes. La recommandation devrait également garantir l'ensemble des droits et des avantages au mariage, ainsi qu'autoriser l'enregistrement des partena-riats»  2. Si les recommandations du Parlement ne sont pas contraignantes pour les États membres, il renouvellera sa position à plusieurs reprises. En 2003, le Parlement demandera une fois de plus d’abolir toute forme de discrimination, notamment en matière de droit au mariage et d’adoption d’en-fants.

Quel futur pour le mariage gay ?

Si l'Union n'a que très peu de compétence en la matière, un nouveau débat émerge dans les années 2000. C'est la question de la liberté de circulation

des citoyens européens qui est en jeu. En effet, si la libre circulation des personnes est une valeur majeure défendue par le droit européen, les couples homosexuels mariés ou unis sous la forme d'un partenariat civil perdent souvent leurs droits consulaires, fiscaux et d'assurance, lorsqu'ils se déplacent vers un Etat membre qui ne reconnaîtrait pas leur union. Une telle perte de statut serait alors une pure et simple violation du droit européen. C'est en ce nom que le mariage homosexuel pourrait être légalisé à l'échelle européenne.

Des pistes sont donc en cours, une question centrale dont l’évolu-tion est à suivre. Mais, au-delà, il s'agit surtout d'accepter une nouvelle mutation de « l'institution mariage ». La famille tradi-tionnelle père-mère-enfants est depuis longtemps déjà dépassée.

Tiphaine Milliez

1  Patrick Festy, Légaliser les unions homosexuelles en Europe : innova-tions et paradoxes, Population et sociétés, N°424, juin 2006, p.2.

2  Le Parlement européen, Résolution sur l'égalité des droits des homo-

MARIAGE HOMOSEXUEL EN EUROPE : OÙ EN EST-ON ?

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LE TAURILLON DANS L’ARÈNE ! NOVEMBRE 2013

Débat public « Quelle Europe après 2014 ? » à l’Athénée municipal de Bordeaux. Les citoyens interpellent leurs députés européens.

Organisé par le Mouvement européen, les Jeunes européens, la Fédération Française des maisons de l’Europe, et l’Union des Fédéralistes européens. Avec 19 millions de chômeurs à l’intérieur de la zone euro en 2013, l’Europe s’offre un nouveau et regrettable record. Alors que la dépression s’attarde sur le Vieux continent, les pays membres s’entêtent à trouver des réponses nationales à la crise. Par ailleurs, l’Europe est l’objet de discorde au sein des majorités au pouvoir. Faute d’un projet clair en matière européenne, elle est reléguée à l’ombre du débat public, ou bien désignée comme bouc-émissaire. L’Europe n’est pas exempte de reproches, mais ne mérite pas de se voir attribuer la responsabilité de tous nos maux, défendent les eurodéputés de la circonscription Sud-Ouest.

Tous déplorent cette mauvaise presse faite à l’Europe. Elle repose notamment sur une grande méconnaissance des citoyens de l’appareil européen et de son travail législatif. Les élus reconnaissent là leur part de responsabilité. Il est difficile – arguent-ils - de rendre compte aux électeurs de son travail au Parlement lorsque l’on est affairé à Bruxelles et Strasbourg. Réunis en ce 5 octobre, il leur est alors possible de partager leur expérience d’eurodéputés. Ils nous font aussi part de leurs convictions et projets relatifs à la politique européenne. Selon eux, l’Europe peut et doit être la solution. Cela passe par une bonne communication, en vue d’une vraie réflexion préalable sur la nécessité de la construction européenne, et l’orientation que nous voulons lui donner.

Le Parlement doit être placé au cœur de la réforme car il est le seul organe de l’UE à être élu au suffrage universel direct. Emanation de la souveraineté populaire européenne, il est pourtant moqué pour son impuissance vis-à-vis du Conseil de l’Union européenne (réunissant les chefs d’Etat ou de gouvernement) et de la Commission, Institution essentiellement technocratique, dont les membres sont nommés. Ces derniers partagent exclusivement l’initiative des lois, ce qui laisse au Parlement le rôle de chambre d’enregistrement. Aussi le Parlement européen est-il l’incarnation même d’une construction européenne hésitante.

Et pourtant, au mois de mars 2013 survient une petite révolution. Une majorité écrasante de parlementaires rejette la proposition de budget pluriannuel 2014-2020. La raison de ce veto : ils déplorent le « fossé entre les engagements politiques de l’Union européenne et ses moyens budgétaires ». Ils accusent aussi, et selon les mots d’Alain Lamassoure à l’époque, d’avoir mené des négociations de « marchands de tapis » entre Etats membres.

Après de longs mois de négociations, les insoumis devraient être amenés à voter en faveur du nouveau budget à la mi-novembre. Le Parlement exprime donc de plus en plus ses velléités à devenir le moteur incontournable d’une nouvelle Europe, plus politique et plus démocratique, privilégiant une plus grande transparence.

Pour répondre à ces questions aussi fondamentales qu’urgentes, nous avons interrogé cinq de ces eurodéputés, ainsi que Jean-Marie Cavada, Président du Mouvement européen et eurodéputé de la circonscription Île-de-France.

ILS VIENNENT NOUS PARLER DE L’EUROPE

1) Triste temps pour l’Europe

Selon un sondage réalisé en France par l’Ifop et publié par la Nouvel Observateur au début du mois d’octobre, 24% des interrogés indiquent vouloir donner leur suffrage au FN aux élections européennes de 2014. Le Secrétaire général du parti, Steeve Brioris s’est empressé d’y voir la marque d’une adhésion croissante aux idées frontistes, notamment anti-européennes.

Pour Jean-Marie Cavada, il est primordial de faire la différence entre anti-européanisme et euroscepticisme. « Dans l’état actuel de stagnation et même de dé-tricotage de l’esprit européen, je voudrais faire remarquer, pour aller à contre-courant de ce qui s’est dit, deux choses. Premièrement, les anti-européens ont gagné un peu de terrain c’est vrai. Mais deuxièmement, ceux qui ont beaucoup gagné de terrain ce sont les sceptiques, et ceux-là ne sont pas des anti-européens. Ce sont des anti-européens de l’Europe actuelle, trop technocratique, trop compliquée, trop distante à leurs yeux. Et c’est en partie vrai. »

Jean-Marie Cavada ajoute plus tard dans l’entretien qu’il existe un tissu associatif actif qui cherche à repenser certains contours de l’Europe. C’est notamment le cas du Mouvement européen, dont il est Président et qui lance un projet appelé Didi : droit d’inventaire, droit d’inventer la nouvelle Europe.

Ils appellent tous à voter avec ferveur lorsque nous les interrogeons. Alors que le Parlement revendique un pouvoir croissant, la menace de forts taux d’abstention n’est pas des moindres. Cela pourrait saper la légitimité encore fragile de la chambre.

2) Pourquoi voter aux élections européennes ?

Conscients des difficultés que rencontre aujourd’hui l’idéal européen, tous les eurodéputés interrogés appellent les citoyens à s’exprimer en 2014, quelle que soit la couleur de leur vote : « Surtout votez pour qui vous voulez mais exprimez-vous, l’Europe en a besoin, c’est une nécessité pour l’Europe, c’est une nécessité pour la France, et c’est une nécessité pour les peuples. » s’exclame Frank Proust.

Huit des dix eurodéputés de la circonscription étaient présents en ce 5 octobre à l’Athénée municipal de Bordeaux. De gauche à droite : Eric Andrieu (membre du PS, groupe S&D au Parlement européen), José Bové (Europe écologie, groupe Verts/ALE), Frank Proust (UMP, groupe PPE), Françoise Castex (PS, groupe S&D), Marie-Thérèse Sanchez Schmid (UMP, PPE), Alain Lamassoure (UMP, PPE), Catherine Grèze (Europe écologie, Verts/ALE) et Robert Rochefort (Modem, ADLE).

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Pour inciter les citoyens européens à voter, tous soulignent l’im-portance des enjeux qui se jouent au niveau européen : Jean-Marie Cavada : « De mon point de vue c’est assez simple : premièrement l’Europe est une question beaucoup plus intime dans votre vie ici à Bordeaux, ou dans un village d’Aquitaine ou ailleurs que vous ne le croyez puisque 60% des lois auxquelles vous obéissez - aux-quelles nous obéissons vous et moi - sont des lois qui ont été faites à Bruxelles et transposées dans le droit français. ».

Le vote aux élections européennes donne lieu à des décisions dont l’impact sur nos vies quotidiennes ne cesse de croître. C’est la raison pour laquelle il faut se saisir de ce droit de participer à la politique européenne.

Reste à savoir néanmoins si le Parlement est effectivement doté des prérogatives nécessaires à la défense de nos intérêts. Quel poids peut alors avoir notre vote au regard des compétences déte-nues par le Parlement ?

3) Le Parlement européen est-il - du moins partiellement -

dominé par la Commission et par le Conseil de l’Union européenne ?

On parle souvent de déficit démocratique eu égard à l’Europe. Il est vrai que la construction européenne s’est faite par le haut, en commençant par des dynamiques intergouvernementa-les. En 1951, la Communauté économique du charbon et de l’acier cherche à promouvoir la coopération économique et la communa-lisation des deux matières premières indispensables à qui veut entrer en guerre. C’est progressivement que « l’Assemblée parle-mentaire européenne » puis « Parlement européen » trouve la forme qu’on lui connaît. Il faut mentionner l’année 1979 comme un tournant puisque dès lors, les membres du Parlement sont élus au suffrage universel direct. Le Parlement, qui devient alors l’émanation de la souveraineté populaire européenne, est-il pour autant le premier acteur de l’Europe ?

Pour Jean-Marie Cavada, l’importance du Parlement n’a cessé de croître jusqu’à ce jour : « Le Parlement a fait tomber une Com-mission, la Commission Santer en 1999. Le Parlement a refusé en 2004 un commissaire européen que l’inénarrable Berlusconi nous proposait, monsieur Buttiglione qui tenait des propos racistes, homophobes, donc contraire à la charte des droits fondamentaux. Il n’avait donc rien à faire à Bruxelles. Qu’il rentre dans sa mon-tagne et qu’on n’en parle plus, ce qui fût fait. Le parlement euro-péen a récemment refusé le budget – prévisions budgétaires – 2014-2020 et donc il a gagné du pouvoir. ».

C’est notamment le traité de Lisbonne qui amorce un véritable progrès. Robert Rochefort le commente en ces termes : « Il est incontestable que le Parlement européen a beaucoup plus de pou-voirs depuis le traité de Lisbonne. Il est ce qu’on appelle en codé-cision. Par exemple, aujourd’hui pour qu’un budget européen soit adopté il faut que le Parlement européen l’adopte également. Donc il y a une vraie évolution. »

Le traité de Lisbonne de 2007 a en effet radicalement transformé la nature du rapport de force entre les trois Institutions majeures que sont la Commission, le Conseil de l’UE et le Parlement. Il consacre le principe de codécision, qui vise à mettre sur un pied d’égalité le Parlement européen et le Conseil de l’UE. Pourtant, le Parlement ne détient toujours pas l’initiative des lois, et doit s’en tenir à un certain domaine de compétences. De nombreuses ré-formes peuvent encore être menées. Et les eurodéputés sont pro-lixes lorsqu’on leur demande d’en énoncer quelques unes. Outre l’élargissement du pouvoir du Parlement, ils énoncent des pres-criptions plus larges…

4) Quelles réformes sont possibles ?

José Bové : « On peut en faire des très simples et des très compliquées. On va partir d’une toute simple, toute bête : par exemple, le Parlement européen, ce qu’on vote, ce qu’on débat, tout cela est filmé. Toutes les réunions, toutes les sessions, c’est filmé. Comment se fait-il qu’au Conseil, il n’en soit pas de même ? Ce serait bien que les réunions du Conseil soient filmées, que les citoyens voient ce qui se discute. Pourquoi une des unités est filmée et pas l’autre ? ça fait partie de la transparence, c’est simple à organiser, ça ne coûte pas un centime, et ça ferait avan-cer la démocratie. Plus compliqué : demain l’harmonisation sala-riale au niveau européen. Un SMIC européen, et des droits com-muns pour l’ensemble des salariés. Ça va être très long, mais c’est quelque chose qu’on va faire. Et si je veux encore rêver mieux, c’est quel budget autonome pour l’Europe ? A quand une Europe au budget élevé à 20% du budget européen ? On n’en a pas parlé tout à l’heure, mais aujourd’hui l’Europe c’est moins de 1% du PIB européen, c’est-à-dire rien. Donc on ne sera fort que le jour où on aura le budget en cohérence avec ce qu’on veut faire. »

En ce qui concerne l’autonomie du budget européen, Marie-San-chez-Schmidt en appelle à l’harmonisation fiscale en Europe. Celle ci devrait cependant être progressive et se faire par la forma-tion de groupes de pays, au même titre que l’harmonisation sala-riale. Elle donne l'exemple du SMIC : « On ne peut pas demander à un pays comme la Roumanie de passer d'un seul coup à un Smic à 1200euros, cela doit se faire progressivement. »

S’ils prônent tous des réformes en vue d’une Europe plus politi-que - d’une Europe qui parlerait d’une seule voix - il y a débat sur le modèle à suivre.

5) Quel système serait celui d’une Europe idéale ?

Pour certains, le terme de fédéralisme est même tabou. C’est le cas de Frank Proust : « Je préfère parler de mutualisation que de fédéralisme. Le mot fédéralisme me fait un petit peu peur, parce qu’on pense tout de suite aux Etats-Unis, or les 28 Etats membres qui composent l’Europe n’ont pas la même culture, n’ont pas la même histoire, n’ont pas le même passé, ni les mêmes cou-tumes. Et quand on dit plus d’Europe, ça ne veut pas dire moins de France, moi ce que je souhaite, c’est une Europe forte avec une France forte. ». On peut constater la difficulté que représente le renoncement à une partie de la souveraineté nationale.

Pourtant, au vu des disparités de richesse et de système social, Robert Rochefort, Françoise Castex et Marie-Thérèse Sanchez Schmid privilégient la voie d’une Europe - fédérale certes - mais à deux-vitesses. Ils préfèrent d’ailleurs le terme de « groupe de pays volontaires » (Françoise Castex), moins connoté péjorativement. Selon Robert Rochefort, il faut aujourd’hui « Un système dans lequel la zone euro puisse continuer à approfondir son unifica-tion, c’est-à-dire avoir une politique économique commune ; avec des pays qui ne sont pas dans la zone euro qui continuent à tra-vailler mais qui le font à leur rythme ; qui s’ils le décident comme c’est le cas de la Grande-Bretagne, font des choses assez différen-tes des autres pays. Par exemple, la Grande-Bretagne n’est pas dans Schengen, n’est pas dans la zone euro, ne veut pas de la taxe sur les transactions financières. Et bien il faut que nous soyons capables d’avancer avec ceux qui veulent avancer plus vite, et puis que les autres soient dans un statut qui ne freine pas ceux qui veulent avancer.» Pour Marie-Thérèse Sanchez Schmid, dans l’idéal, ce ne serait qu’un système temporaire en attendant que les disparités se rééquilibrent.

Morgane Quémener

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LE TAURILLON DANS L’ARÈNE ! NOVEMBRE 2013

„Merkel ist Europa!“ – wie oft ist dieser Satz in den letzten Wochen zu die Ohren gekommen. Kaum in meinem Nachbarland Frankreich angekommen, wird die „dominante und erdrückende“ Rolle Deutschlands in Europa und besonders Griechenland gegenüber moniert. Weder mein Heimatland, noch der europäische Integrationsgedanke scheinen hier zurzeit besonders beliebt. Eine niederschmetternde Bilanz für eine deutsche European Studies Studentin aus den Niederlanden, die gerade ihr Erasmussemester in Bordeaux beginnt. Mal wieder scheint Europa so nah und doch so fern und wirft die Frage auf, was Europa eigentlich ist: ein Kontinent, ein Cocktail verschiedener Kulturen und Nationen, ein Konglomerat konkurrierender Mächte, oder doch inzwischen Ausdruck eines wirtschaftlichen und politischen Integrationsprozesses?

Europa ist ungleich die Europäische Union und doch assoziieren wir das Wort immer häufiger damit. Das ist auch nicht weiter schlimm, denn der Vision eines geeinten Europas, seinen zahlreichen Verfechtern inklusive, haben wir die Schaffung der Europäischen Union, in der wir heute leben, zu verdanken. Ein Zusammenleben, in dem Friede und Stabilität, Mobilitäts- und Handelsfreiheit gewährleistet und kulturelle D i v e rg e n z u n d M e n s c h e n r e c h t e anerkannt und gefördert werden, wird inzwischen leider allzu oft als s e l b s t v e r s t ä n d l i c h b e t r a c h t e t . J a h r z e h n t e l a n g e b l u t i g e Auseinandersetzungen und zwei Weltkriege brauchte es, um den Status quo in Europa zu erlangen. Und doch wird heute mit „Europa“ so um sich geschmissen, als sei es nichts weiter als Angela Merkel, für manche die deutsche Mutti, für andere die Eiserne Lady Europas; die a l l e i n e r z i e h e n d e M u t t e r f e i e r l a u n i g e r Erasmusstudenten, denen entweder ein Oxfordabschluss à la Vorbild Deutschland oder das Arbeitslosengeld bevorsteht.

Vielleicht war es auch ein Hilfeschrei, oder vielmehr ein Weckruf, als das norwegische Nobelkomitee im vergangenen Jahr die EU für ihre stabilisierende Rolle bei der Umwandlung vom Kontinent der Kriege zu einem Kontinent des Friedens mit dem Friedensnobelpreis ehrte. Die gegenwärtigen schwierigen ö k o n o m i s c h e n Ve r h ä l t n i s s e s o l l t e n n i e m a l s d i e Errungenschaften, den ewigen Kampf für Versöhnung, Friede und Demokratie unterminieren.

Erster Baustein dieser Errungenschaft war die Europäische Gemeinschaft für Kohle und Stahl, für dessen Schaffung der französische Außenminister Robert Schuman am 9. Mai 1950 plädierte: „Der Beitrag, den ein organisiertes und lebendiges Europa für die Zivilisation leisten kann, ist unerlässlich für die

Aufrechterhaltung friedlicher Beziehungen.“ Friedliche Beziehungen zwischen Deutschland und Frankeich? 60 Jahre und 3 Kriege zuvor hätte ein jeder nur mit dem Kopf geschüttelt. Der Rest ist mehr als Geschichte. Denn wer sagt, dass es beim Lissabon-Vertrag bleiben und es nicht doch irgendwann noch zur politischen Integration kommen wird? In unserer globalisierten und inzwischen fast multipolaren Welt kann meiner Meinung nach nur engere europäische Zusammenarbeit nachhaltiges Wachstum und Wohlstand in unserer europäischen Gesellschaft gewährleisten.

Sicherlich, seit Lissabon hat sich gerade in puncto Effizienz und Transparenz einiges getan. Es ist jedoch noch ein weiter Weg, um das häufig kritisierte Demokratiedefizit der EU zu beseitigen. Sowohl strukturell als auch institutionell müssen Veränderungen her, um das europäische Volk vom positiven Wirken der EU und dessen demokratischen Legitimation zu überzeugen. Die Einführung der Unionsbürgerschaft, der langsam aber stetig wachsende Einfluss des Europaparlaments

oder die Europäische Bürgerinitiative als neue Partizipationsmöglichkeit können und sollten nur

d e r A n f a n g e i n e s a n d a u e r n d e n Verbesserungsprozesses sein.

Demokratiedefizit hin oder her. Wer glaubt, das kritische Schlagwort allein sei Ursprung jeglicher Unzufriedenheit und aller Probleme, sollte sich einmal selbst an die Nase greifen und endlich begreifen, dass Passivität (die

Wahlbeteiligung an den Europawahlen sinkt stetig und lag 2009 bei gerade mal

43 %) kein Ausweg und erst recht kein Rückweg ist. Spill-over, nennt man das im

Fachjargon: sektorale Integration wird zu weiterer Verflechtung mit anderen Sektoren führen.

Ich bin positiv gestimmt, ja ich bin mir sogar sicher, dass Europa und die Europäische Union keine Ausnahme sein werden! Im Mai 2014 sind Europawahlen – Zeit für politischen und persönlichen Wandel!

Liebe europäischen Brüder und Schwestern, lasst uns schätzen und ehren, wofür wir so lange gekämpft haben und niemals vergessen, mit welcher Ausdauer unsere Vorfahren das Projekt Europa verfolgt haben. Es gibt für alles früher oder später eine Lösung. Krisen machen erfinderisch und stark. Oder, wie Schuman einst sagte:

„Europa lässt sich nicht mit einem Schlage herstellen und auch nicht durch eine einfache Zusammenfassung: Es wird durch konkrete Tatsachen entstehen, die zunächst eine Solidarität der Tat schaffen.“

Sarah Wagner

So nah und doch so fern…

retrouvez la traduction de l'article en français en ligne.

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LE TAURILLON DANS L’ARÈNE ! NOVEMBRE 2013

«La Suisse en Europe est sur un balcon. Si les façades européennes se fissurent,

c'est le balcon qui tombe en premier» (L. Wasescwa, ancien ambassadeur suisse).

Aujourd'hui, 83% des Helvètes sont opposés à rejoindre l 'Union européenne. Bien que l'application du pays à une entrée dans l'UE ne soit toujours pas retirée, cette option semble aujourd'hui moins envisageable qu'elle ne l'a jamais été. Malgré cela, l'ambassadeur britannique pour l'Union européenne en Suisse Richard Jones mentionne les multiples points communs que partagent la Suisse et ses voisins européens, en termes de valeurs morales et politiques. Et surtout, la Suisse est un allié économique fondamental pour l'Union, notamment grâce aux services (4e partenaire de l'UE pour les services). La Suisse pourrait de son côté tirer parti d'une adhésion aux 28. En effet, sa présence pourrait influer sur les lois européennes, le pays serait membre à part entière du marché commun (malgré Schengen, elle ne participe pas totalement à l'économie européenne), mais surtout elle pourrait profiter de son aura en tant que modèle pour les autres pays, du fait de sa démocratie développée et de sa structure particulière (4 langues parlées en tout), qui font de la Suisse un parfait représentant de la devise « unie dans la diversité ».

Le colloque qui s'est déroulé à Fribourg les 11 et 12 octobre a centré le débat sur la place de la Suisse dans la relation fran-co-allemande : "ac-trice ou spectatrice" ? En réalité, le dé-bat a souvent dé-bordé ce cadre et a questionné plus largement les rap-ports entretenus avec l'UE. Malgré l'idée reçue d'un pays absent du pay-sage européen, elle adhère dès 1963 au Conseil de l'Europe, ce qui lui donne un certain poids dans la sauvegarde des droits de l'Homme et de la démocratie sur le continent. L ' a m b a s s a d e u r français en Suisse Michel Duclos rap-pelle ainsi la néces-

sité de dépasser les clichés d'une Suisse "vacances" , "irritante" du fait de son statut de paradis fiscal ou "profession-nelle". En effet, la Suisse a souvent eu un rôle sur la scène européenne, comme le montre son implication dans la période d'après-guerre, alors qu'elle participa à l'aide au ravitaillement lors du blocus de Berlin et que la Croix Rouge permis le séjour d'enfants allemands dans le pays.

L'incompréhension fréquente sur la place réelle que la Suisse tient et serait susceptible de tenir en Europe est en partie dûe au fait que la Suisse a tendance à se cacher derrière un paravent en estimant n'être qu'un 'petit' pays. En réalité, au vu des ses performances économiques – elle est définie comme "tigre helvétique" par M.Duclos – avec un PIB représentant le quart du PIB français (pour 1/8 de sa population), elle aurait intérêt à normaliser ses relations avec l'UE dans laquelle elle pourrait devenir un pays d'obédience moyenne. Un effort de ré-européanisation devrait être fourni, le peuple se basant sur un euroscepticisme et un souverainisme qui ne leurs sont pas spécifiques en Europe.

Cependant, la fameuse neutralité du pays qui lui colle à la peau depuis longtemps tient notamment du fait que le pays a failli connaître une scission après la Grande Guerre, à cause du conflit entre les germanophones et francophones. Cela a montré la fragilité d'un pays diversifié qui sort de la neutralité, les conséquences

pouvant être catastrophiques. Ce traumatisme n'a pas empêché le pays de p a r t i c i p e r à l a r e c o n s t r u c t i o n institutionnelle d'après-guerre, le siège de la Société des Nations étant par exemple à Genève. La doctrine politique helvétique à partir de la fin de la guerre s'est articulée autour de quatre aspects principaux : neutralité, solidarité, universalité et disponibilité, et depuis, la Suisse a privilégié une collaboration économique avec ses voisins, en voulant créer l'Europe sur une base concrète, dit M. De Dardel, ambassadeur suisse en France.

La Suisse dispose d'un avantage linguistique fondamental qui la place dans une position clé au sein la relation franco-allemande, selon Till Bruckard. Elle peut ainsi être définie comme une interprète; cette médiation linguistique, mais également culturelle, la place à mi-chemin entre le statut d'actrice et spectatrice de cette relation centrale dans le processus de coopération européenne.

La Suisse est un pays essentiellement unilingue avec le plus souvent qu'une langue officielle dans chaque commune : français, allemand, italien ou romanche (très minoritaire). Mais sa gestion du multilinguisme n'est pas dénuée d'intérêt et participe de sa spécificité; elle est com-posée de 4 cantons bilingues (dont un trilingue) où les actes officiels doivent être rédigés en français et allemands, et les élites sont bilingues pour permettre de faire le pont entre les communautés lin-

guistiques. Ainsi, la Nation suisse se considère comme une nation civique par excel lence, fondée sur une vo-lonté d 'appar te-nance. Cela n'empê-che pas la coexis-tence de différents espaces publics et ainsi de plusieurs demos aux échelles locales. Ces aspects seraient à même de la positionner en tant que modèle pour une Europe plus linguistique-ment et de fait, plus culturellement inté-grée.

Vue sur le quartier du Bourg et la cathédrale, depuis le

quartier de la Neuveville (Fribourg)

LA SUISSE, MODÈLE EUROPÉEN ?

Marine Manzinello et Antonin Hameury

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LE TAURILLON DANS L’ARÈNE ! NOVEMBRE 2013

PORTRAIT CROISÉ : DANNY WELBECK ET MICHEL HOUELLEBECQ

« Si les Français étaient intelligents, ils parleraient anglais ». La profondeur hypogéenne de cet aphorisme, que nous devons à Eric Cantona, gît dans une double dichotomie métaphysique que la déconstruction derridienne n’a pas réus-si à vaincre. Du même et l’autre, de la parole et l’écriture, de la présence et l’absence il est facile de se tirer par quelques sophismes philosophiques. Mais comment se défaire des aporéti-ques oppositions du sport et de la cul-ture, de l’Angleterre et de la France ?

Les régulières sorties de Boris Johnson contre le « gouvernement de sans-culot-tes » qui se serait emparé de Paris, les interviews d’après-match à la syntaxe aléatoire ou la noire morgue dont font montre les sphères intellectuelles à l’égard de la plèbe des stades sont autant d’obstacles que le cheval de la raison peine à franchir.

D’aucuns ont pourtant tenté, dans un timide hennissement, de rap-procher ces ennemis séculaires. Ainsi de l’article « Le foot est une œuvre d’art totale » du philosophe Mehdi Belhaj Kacem, ou de l’uto-pique Union franco-britannique voulue par Monnet et Churchill en 1940. Chou blanc. Mais une autre voie est possible. Après des siècles de conflits, de défiance, de mépris, le temps est venu de joindre ces rives hostiles. L’un, Danny, est un footballeur anglais évo-luant à Manchester United. L’autre, Michel, un écrivain français traduit dans le monde entier. Ensemble, et par l’in-termédiaire de ce portrait croisé, ils réconcilient le lion et le coq, et cares-sent d’une plume le cuir de l’orbe.

Michel Houellebecq aurait pu dire de Danny ce qu’il a écrit à propos de Bernard-Henry Lévy dans Ennemis Publics : « Tout, comme on dit, nous sépare – à l'exception d'un point fonda-mental : nous sommes l'un comme l'au-tre des individus assez méprisables ». Et nous avons le même nom, aurait-il ajou-té. Houellebecq avait pour lui un pessi-misme insupportable, des idées contro-versées et une meute médiatique cons-tamment à ses trousses. Welbeck ses 50 000 euros par semaine et les plus vives critiques, nées chez certains de l’espoir avorté.

Pourtant ce mépris ne fut pas toujours la règle. Ainsi en 1991, comme Danny naissait juste, Michel offrait-il lui aussi à la vie, littéraire celle-là, avec le recueil La Poursuite du Bonheur son corps encore nu de tout préjugé. De

même qu’en 2008, alors qu’Aîné pu-bliait innocemment sa correspondance privée, pour la première fois Cadet frô-lait en porteur d’avenir la pelouse mé-phistophélique d’Old Trafford. Sur la Manche les doigts des mains fraternel-les se joignent en un pont d’espérance, que l’onglée guette.

Entre la foule et l’artiste l’érection d’un mur, à défaut d’un pont, semble être une jouissance inévitable. Cette idée, qui parcourt comme un fris-son l’échine de l’histoire de l’art, fut mise en musique par Roger Eaux, en-fermant son flamant pâle derrière les briques roses de l’incompréhension, puis par le shoegaze de Kevin Shields, génial architecte d’une enceinte bruitiste imprenable.

Les deux frères Houellebecq incarnent cette séparation, jusque dans leur vie. Face à la grandissante hostilité de ceux qu’ils côtoyaient, face au doute, face à l’absurde camusien, sur lequel nous reviendrons, tous deux décidèrent un exil au Nord, à l’abri du soleil orange comme un bleu de l’oppression, dans l’ombre du Mur. Ce fut pour Mi-chel l’Irlande, sa population bêleuse, sa mélancolie verte. Pour Danny un prêt à Sunderland, son port d’hiver et ses chats noirs. Ils y trouvèrent un calme quiet qui est, quoiqu’il y ait, le propre de ces refuges.

Le philosophe américain George R. R. Martin a longuement dé-veloppé dans ses écrits, et notamment dans Le Jeu des Chaises, cette problé-matique de l’exil du créateur dans ce qu’il nomme un « Nord intérieur », par delà un Mur métaphorique, afin de trouver l’inspiration. Son analyse dé-voile une retraite nécessaire à tout ar-tiste dans un espace marginalisé, fan-tasmé par la foule, duquel il revient plus pâle, décharné, effrayant, mais apte à la création invincible. Et c’est ainsi sans doute que les jumeaux Welbeck réappa-rurent au monde, Danny en buteur re-

doutable, Michel en meilleur-vendeur goncouré.

Les commentateurs n’ont depuis cessé d’encenser la figure pro-fondément contemporaine de l’écrivain français, comme le jeu du sportif an-glais, dont les déplacements sur la carte et le terrain, ainsi que l’extension du domaine de la lutte aérienne dans la plateforme de réparation, sont en passe de révolutionner les possibilités élémen-taires du football de l’île bretonne. Peu ont pourtant relevé combien la place primordiale prise par Dichel et Manny dans leur domaine respectif devait à la filiation spirituelle et esthétique d’Al-bert Camus.

De l’écriture blanche dé-ployée dans L’Etranger, tout part. Le palimpseste Houelbeckien laisse visible la trace camusienne, notamment dans ce que Roland Barthes appelle une « absence idéale de style ». De là l’écho entre les mots du père, comme « Dois-je mettre fin à mes jours ou aller boire un café », et ceux du fils « Il faudrait que je meure/ ou que j’aille à la plage ». Moins évidents et cependant tout aussi pertinents sont les traits communs entre cette écriture, cette posture, et le jeu de Danny Wellebecq, toujours flirtant avec les lignes blanches, draguant

le hors-jeu, dans une nonchalance qui n’est pas sans lien avec l’absurde paternel.

Ces deux icônes s’esquissent à la croisée de mondes que l’on pensait à jamais séparés. Le succès qui les coiffe est une véritable source d’espoir pour la coopération culturelle et sportive, an-glaise et française. Sans surprise les voix dissonantes du ressentiment et de la jalousie se font parfois entendre (pa-raissait récemment dans une revue un quatrain mélancolique sur le sujet : « Damnant nid, et dans les cris vains : « où est le bec ? » / Dan’, en y aidant l’écrivain Houellebecq, / Comme jeu picora ma gloire et lut Malraux, / Comme je pique au ras Magloire, élu mâl-rôt »). Restons sourds à ces miau-lements putrides.

Lors d’une interview d’après-match Michel Welbeck déclarait : « La première condition d’un bon style, c’est d’avoir quelque chose à dire ». Sans doute le mien est-il exécrable.

Maxime Moraud

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Le 15 octobre dernier, la Bosnie-Herzégovine s’est qualifiée, pour la première fois de son histoire, à la Coupe du Monde de la FIFA après être toujours tombée dans la dernière ligne droite des qualifications aux grandes compétitions internationales. Première du groupe G avec 25 points, l’équipe de Sarajevo oblige la Grèce à jouer les barrages grâce à une meilleure différence de but et s’évite l’angoisse de jouer encore sa qualification par la petite porte. Cette porte, les Bosniaques l’ont souvent vue, mais ne l’ont jamais ouverte. Défaits deux fois par le Portugal, lors des barrages du Mondial 2010 puis de l’Euro 2012, les hommes de Safet Susiz ont choisi cette année de faire taire tous ceux qui s’étonnent de leur 16e place au classement FIFA. Seule équipe de l’ex-Yougoslavie d’ores et déjà qualifiée pour le mondial au Brésil, la Bosnie devra assumer des enjeux qui vont bien au-delà de l’exploit sportif.

Tout d’abord, revenons un peu sur les péripéties qui ont marqué cette équipe bosniaque ces dernières années. Au-delà des barrages, c’est un parcours du combattant que l’équipe nationale a parcouru pour en arriver où elle est aujourd’hui. En 2011, il y a donc à peine deux ans, la FIFA décide de suspendre la Bosnie de toute compétition internationale, en raison de nombreuses affaires de corruption au sein de sa Fédération de football. En 2007, déjà, les joueurs de l’équipe avaient décidé de faire grève p o u r p r o t e s t e r c o n t r e l a gangrène qui s’y étendait. Le comité de normalisation alors mis en place se donne les moyens de ses objectifs, aidé par des hommes comme Ivica Osim ou Elvedin Bejić. Le premier a n é g o c i é a v e c l e s f o r c e s politiques du pays pour trouver une parade à la paralysie qui touchait la Fédération, le deuxième, nouvellement élu au poste de Président, s’est attelé à rechercher des bons joueurs issus directement ou non de la diaspora bosniaque.

Car l’histoire de l’équipe de Bosnie est intimement liée à l’histoire de ce pays, encore troublé par les divisions ethniques qui rongent les membres de l’ex-Yougoslavie. Entouré par la Croatie, la Serbie et le Monténégro, ce petit Etat d’environ 3,8 millions d’habitants est aujourd’hui le seul pays de cette ancienne république fédérale à s’être qualifié à la Coupe du Monde. Si jamais la Croatie ne parvient pas à s’imposer face à l’Islande pour passer les barrages, alors les Bosniaques devront assumer le fait d’être les seuls représentants de la région au mondial.

Dans l’hypothèse de ce scénario improbable (on voit mal l’équipe de Luka Modrić et Mario Mandzukić perdre face à l’Islande), pas sûr que les croates de Bosnie décident d’enlever leur maillot à damier pour revêtir un survêtement floqué Dzeko ou Pjanić.

En effet, octobre 2013 ne sera pas seulement synonyme de liesse dans les rues sarajéviennes. C’est aussi le moment choisi par le gouvernement de Vjekoslav Bevanda pour entreprendre un recensement de la population, le premier depuis 1991. Si l’on en croit l’analyse d’Alain Salles pour le journal Le Monde1, cette initiative partage les Bosniaques entre colère, angoisse et fierté. Etes-vous Bosniaques, Croates ou Serbes? Musulman, orthodoxe, ou catholique? Quelle langue parlez-vous? Telles sont les cases à cocher sur les documents de recensement. Travail de définition identitaire qui risque bien d’entraîner de nouveau une situation d’entre-soi par éveil des particularismes. Quand bien même le recensement semble nécessaire pour établir un système de statistiques fiable dans le pays, il risque aussi de diviser une communauté déjà fragile sur ses bases : «Le pays est composé d'une Fédération croato-bosniaque et d'une République serbe, qui menace régulièrement de faire sécession. A la suite des accords de Dayton, en 1995, qui ont scellé la paix et fondé le nouvel Etat, les trois peuples bosniaque, serbe, croate participent à la vie politique selon un système complexe qui rend le pays ingouvernable. Tous les postes politiques et administratifs sont répartis entre ces trois communautés, selon

les résultats du recensement de 1991. Ce qui a pour effet pervers de favoriser le clientélisme et la corruption». Système complexe et divisions internes à l’origine aussi de la situation préalable de la Fédération de football de Bosnie-Herzégovine et du ménage opéré par Ivica Osim. L’étiquette du fédérateur colle au dernier entraineur de l’équipe de Yougoslavie mais ne doit pas nous leurrer à propos des tensions qui animent le pays.

Ceux qui érigent déjà le onze bosniaque comme le héraut de la nouvelle unité post-yougoslave devraient faire preuve de patience. En témoigne le match de qualification entre la Serbie et la Croatie (marqué par un tacle

de brigand de Simunić à l’encontre du serbe Sulejmani), la frontière est fine avant que l’enjeu national se substitue à celui de la compétition sportive. La logique qui veut que l’unité et l’efficacité d’une équipe symbolisent et intègrent sur le long terme l’idée d’une appartenance à une même communauté de destin affronte souvent un dur retour à la réalité, n’en déplaise à l’équipe de France «black-blanc-beur» de 1998. Dans un pays où les communautés Serbes et Croates soutiennent d’abord les Aigles Blancs et les Damiers de Zagreb, la perspective d’un front uni au mondial semble difficile. D’autant plus lorsque les apparentes divisions culturelles s’accompagnent d’un souvenir tel que celui de Srebrenica. C’est faire preuve d’un regard optimiste que de croire qu’un an seulement après une douloureuse piqure de rappel à propos des divisions ethniques, les communautés de Bosnie-Herzégovine seront main dans la main pour porter leur équipe. Toujours est-il que l’année 2014, marquée par une élection présidentielle et le mondial au Brésil, ne devrait laisser personne indifférent dans le pays.

Théo Girard

MONDIAL 2014 : QUEL ENJEU POUR L’EX-YOUGOSLAVIE ?

1: LeMonde.fr, Allain Salles, En Bosnie-herzégovine, le re-censement de toutes les peurs, 22.10.13

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LE TAURILLON DANS L’ARÈNE ! NOVEMBRE 2013

OBJECTIF SUR LES PAYS-BAS

Démocratie consensuelle, dite aussi « démocratie de concordance » (Arend Lijphart), déterminée par le scrutin proportionnel, le bicamérisme, la protection des minorités et la décentralisation par exemple. Le système politique se caractérise par une grande fragmentation du paysage politique avec pas moins de 12 partis conduisant à la formation plus ou moins lente de coalitions comme celle d'octobre 2012 entre le parti travailliste et le parti libéral pour 4 ans. C'est lors de cette période délicate que tous les points de la politique qui sera menée sont négociés par les membres des partis présents dans la coalition. Le Parlement est, dans une large mesure, le gardien de cet accord et veille à son respect par le gouvernement. Il est, à ce titre, un élément important de coordination politique. Le système politique néerlandais est défini par la lenteur du processus de prise de décision et de l'application de celles-ci, dites stroperigheid, soit visqueuses. La pratique du gedogen, dite de tolérance, est également un trait de la pratique de la politique néerlandaise qui autorise un certain laxisme quant à l'application et le respect de certaines décisions. En ce qui concerne l'UE, si les Néerlandais ont dit non au projet de constitution en 2005, ils ne sont pas pour autant eurosceptiques, et les institutions politiques sont, à

l'inverse, souvent promptes à adopter les législations européennes voire à devancer celles-ci. Cependant, Bruxelles est parfois hypocritement montrée du doigt comme étant responsable de mesures impopulaires, mais ceci n'est que le reflet des jeux politiques entre ambitions personnelles, allégeances locales, nationales et européennes.

Suggestion de lecture:

Andeweg, R and Irwin, G, 2005, Governance and Politics of the Netherlands, Palgrave Macmillan, Basingstoke

Régime politique : Monarchie constitutionnelle. Roi, Willem-Alexan-der, dynastie Orange-Nassau. Fête: King's Day

Premier ministre : Mark Rutte, tête de la coalition entre le VVd (Parti Populaire Libéral et Démocrate) et le PvdA (Parti du Travail)

Superficie : c. 42 000 km2 soit l’équivalent de l’Aquitaine, dont 26% en dessous du niveau de la mer

Population : 16 700 000 hab, ce qui implique une densité forte et une optimisation de l’espace avec une moyenne de 403hab/km2

Directeur de publication :Nicolas BILLIET Co-rédacteurs en chef : Alexandre FONGARO Théo GIRARDRédacteurs : Morgane QUEMENER Maxime MORAUD Tiphaine MILLIEZ Maquettiste : Baptistine LOPEZ ARAVENA

Imprimeur : COREP Pessac 1 158 avenue du Dr Schweitzer

Dépot légal : à parutionISSN : 2112-3497

Jonathan Lorcher-Beaudran

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