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    Collection du Cirp

    Volume 2, 2007,pp. 74 81ISBN 978-0-9781738-4-5

    Cercle interdisci linaire de recherches hnomnolo i ues

    Le sujet entre approches phnomnologique et psychanalytique :

    la lecture et la contribution de Michel Henry

    Christian Thiboutot

    Dpartement de psychologieUniversit du Qubec Montral

    Rsum

    Le prsent article aborde la problmatique, conjointe laphnomnologie et la psychanalyse, de la conscience de soi et de lasubjectivit. La perspective emprunte est celle de la phnomnologie dela vie de Michel Henry. Notre propos sinspire en particulier de

    linterprtation faite par ce dernier de luvre consacre lapsychanalyse (freudienne) par le phnomnologue et hermneute PaulRicoeur.

    Pour la phnomnologie le terme ipsit, en plus de dsigner le soi et la problmatique dece qui constitue proprement son tre (Housset, 2000), a pour charge dvoquer que lephnomne de la conscience, suivant lexercice de sa rduction, ne relve en rien duneabsolue et transparente possession de soi par soi.

    En outre la question de lidentit du sujet, au-del du vcu qui est chaque fois le sien,cest--dire de sa certitude dtre effectivement lui-mme par-del le changement et lesphases de son exprience, semble pointer, en marge de la tradition de recherche empirique laquelle la psychologie adhre le plus souvent, vers sa propre nigme : savoir en directionde lexcs de sa problmatique sur toute possibilit den rpondre absolument (Richir,1993).

    Sil en est ainsi, cest que la phnomnologie ne se contente pas dclairer lexprienceimmdiate dans lattitude naturelle comme le fait par exemple le psychologue lorsquilinterroge le soi mondain , mais tente encore de dcrire celle dun soi qui se trouve toujoursimpliqu dans un monde qui ne lui fait alors plus (objectivement) face, mais se trouve

    plutt constitu comme le champ disponible et la voie oblige de toute venue soi.

    Cette voie de frayage, plus que tous les caractres de rigueur impartis lventuelleobjectivit de la dmarche scientifique, me semble susceptible de faire paratre que le soi,avant dtre tel ou tel, malade ou bien portant, dprim ou heureux, forgeron ou mdecin,se dploie pour la pense comme un lieu dune interrogation permanente, la fois commeune nigme et comme une tche.

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    Une position qui, en tout tat de cause, se dresse en critique des thories substantialistes delidentit dans la mesure o elle vient dpsychologiser la subjectivit et la rendremthodiquement libre de tout contenu naturel, transcendant et formel. Or cest justement la faveur de cette remise en cause de la prtention du savoir immdiat de soi-mme ,affirme Ricur, que le phnomnologue peut dessein se sentir invit parmi lespsychiatres et les psychanalystes (Ricur, 1965). Un peu comme si cette nigme et cettetche se trouvaient (notamment) au fondement de linterrogation psychothrapeutique ou,du moins, permettaient celle-ci de slever dun fond dobscurit et dentrer en scne.

    ce dernier gard, lintrt des recherches phnomnologiques de Ricur sur lapsychanalyse "je pense ici son essai sur Freud,De linterprtation (Ricur, 1965), et son Conflit des interprtations (Ricur, 1969) ! relve moins dune alternative linterprtation de la dmarche analytique que de lexamen dun problme qui traversetoutes deux : savoir le problme hermneutique du sens (Ricoeur, 1969). Problmelui-mme fond, on la voqu, sur le dsaveu de la prtention la vrit de la conscienceimmdiate. La phnomnologie et la psychanalyse, en loccurrence, se rejoindraient dansleur semblable tentative pour dpasser le sens apparent, pour claircir le sens vritable desconduites humaines. Incluant celui du mode de donation de la subjectivit elle-mme, enson sens propre et essentiel.

    Ainsi, cest en faisant valoir que la rduction, en tant que processus de dessaisissement desoi de la conscience immdiate, se dploie comme une critique de lvidence, que Ricurpeut la fois revisiter le problme phnomnologique de la phnomnalit et rintroduirelapparition subjective dans le champ de linterrogation et de la suspicion. Dans le Conflitdes interprtations, ce dernier formule laconiquement : Il y a une certitude de la

    conscience immdiate, mais cette certitude nest pas un savoir vrai de soi-mme (Ricur,1969). Sa critique de la notion de conscience salignant sur deux propositions essentielles,dont le contraste repose sur la diffrence entre certitude et savoir.

    Dune part, en effet, Ricur reconnat que la phnomnalit rgne dabord sur le plan delintentionnalit thmatique, cest--dire celle qui sait son objet et qui se sait sur sonobjet (Ricur, 1969). Il sagit de la conscience immdiate, sre delle-mme dans laformule du philosophe. De la conscience, dit Michel Henry, pour laquelle lobjet se donne voir, apparat, se montre. Conscience qui se trouve toutefois enveloppe de soupon par laseconde proposition quon peut, toujours avec Michel Henry, tenir pour vocatrice delopration de constitution qui reste dans lanonymat et ne se possde pas elle-mme, mais

    nen dborde pas moins lintentionnalit thmatique de la conscience immdiate (Henry,2002). Opration de constitution qui implique que dans toute apparition subjective quelquechose demeure dans lombre, nest pas proprement vu. Part dignorance et dobscurit dontlhermneutique, en tout tat de cause, a fait ses choux gras en montrant que lapparitionsubjective peut toujours avoir un autre sens, chappe lhorizon toujours ouvert ditHusserl, de la donation potentielle (Husserl, 1949).

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    Horizon qui rfre, il est vrai, au domaine de linconscient tel qulabor par lapsychanalyse. Domaine dont les psychanalystes et les psychologues semblent par exemplereconnatre lexistence voile en tant les tmoins privilgis deffets daprs-coup ou, plusphnomnologiquement, du retard de la rflexion sur la conscience irrflchie.

    Chez Husserl, cette distinction fait aussi rfrence celle des genses active et passive dusens. La premire dfinissant un mode de constitution de la signification lintrieurduquel le sujet opre, pour ainsi dire, consciemment et ouvertement, en assumant un projetde sens en regard duquel il a le pouvoir dintervenir. linverse, la gense passive place lemme sujet dans une position de soumission vis--vis du sens quil rencontre hors de lui,dans lhorizon du monde. En ralit, cest la gense passive, ici, qui jouerait le rledarrire-fond et de pralable ncessaire toute gense active. Un peu comme si ellesattachait une sphre qui, au-del ou en de des objets rencontrs par le sujet, dit Henry,saccomplissait en lui sans lui, indpendamment de son vouloir et de sa conscience (Henri, 2002).

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    Ici, le paralllisme de lhermneutique et de la psychanalyse semblera dautant plus videntque Ricur reconnat la situation analytique comme une situation de langage, et quilappliquera celle-ci lanalyse, plus husserlienne, de la perception. Car parler, dit sontour Henry, cest faire le deuil de lobjet, renoncer sa prsence effective (celle de la mrepar exemple) pour la retrouver sous forme dabsence dans le signe (Henry, 2002). Enpsychanalyse, la perception et la parole sadjoignent ainsi un horizon dabsence,dinconscience, qui fait que lambigut de la chose devient le modle de toute ambigutde la subjectivit en gnral et de lintentionnalit sous toutes ses formes (Henry, 2002).

    Que tout sens soit ainsi luvre avant la lettre, cela devrait maintenant nous paratreavr, tant du ct de la psychanalyse que de la phnomnologie. Quoique dans le cas de laphnomnologie, la critique semble, en dfinitive, dborder la question de lintentionnalitthmatique pour se porter, ainsi que Ricur le prcise, au niveau de lintentionnalit soustoutes ses formes . Aussi est-ce prcisment en vertu de cette remarque que nous pouvons, linstar de Michel Henry, admettre la pertinence de lanalyse de Ricur qui, au momentmme o le parallle entre phnomnologie et psychanalyse semble vident, marque ladiffrence des prises de conscience qui en caractrisent les dmarches respectives.

    Cette diffrence, Ricur se la reprsente au moyen de la mtaphore de la barre quispare, dans la mtapsychologie freudienne, le conscient et linconscient. Une barre

    affirme-t-il, dont le franchissement, en analyse, va savrer aussi laborieux que possible(Ricur,1965). Alors que le procs dlucidation phnomnologique du sens, bien que nonthmatique dans sa facture archologique, prend lui la forme dun progrs infini et continudans lordre de la tlologie immanente de la conscience intentionnelle , cest--diredun devenir conscient qui sappuie sur la leve ininterrompue de nouveaux horizonsde sens (Henry, 2002). Les intentionnalits en exercice et les synthses de laphnomnologie tant, chez Husserl, surtout lies un procs de temporalisation ; alors

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    quelles sont ds le dpart affectes, chez Freud et par Ricoeur lorsquil sinterroge sur lachair du dsir, par leur expulsion du champ de ce qui peut tre thmatis et explicit par laconscience.

    Mais il y a plus. Ce plus revient supposer que la psychanalyse, parce quelle demeureinconjugable en dehors de processus incarn et la situation pathique qui la fondent, reposesur un autre principe que celui de la pense intentionnelle et rflexive. Elle doit en effet, parlintermdiaire des forces actives de la rptition et du transfert, convoquer la vie incarnedu patient. En ce sens, sa dmarche na fondamentalement rien dintellectuel, sinon unepart dinterprtation dont Freud admet quelle a, sur les symptmes nvrotiques, autantdaction quen aurait par exemple, en priode de famine, une distribution de menus auxaffams (Freud, 1953). cet gard, Michel Henry savise lui aussi du fait que lesassociations auxquelles va se mesurer lanalyse nont plus la docilit du monde de lareprsentation [] , quelles obissent un autre principe que celui de la penseintentionnelle (Henry, 2002). La psychanalyse, de cette manire, parat bien inaugurer untemps de dtresse phnomnologique (Ricoeur, 1969) et une exigence de rductionnon la conscience, mais de la conscience (Ricoeur, 1969). Rduction qui nous livre unsujet pour ainsi dire destitu, qui nest plus matre de lui-mme, ni des autres, ni delunivers (Henry, 2002).

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    Linterrogation difficile des rapports entre phnomnologie et psychanalyse semble ainsipromise une alternative peu heuristique. Un peu comme sil sagissait daffirmer lunitde leur problmatique en regard de la question de la subjectivit, ou de dfendre leurdiffrence de principe en ce qui concerne, par exemple, la nature de leur mthodedinvestigation. En ce qui me concerne, jaimerais poursuivre en montrant comment la

    lecture que fait Michel Henry de la psychanalyse, en passant notamment par celle deRicur, permet de revitaliser la question de la subjectivit et, par l, celle dune souffrancequi fait encore trop rgulirement scandale en psychologie. Plus spcifiquement chez descliniciens en manque de matrise qui alignent la psychothrapie sur mthodes inspires destechniques de domination de la nature, au sens le plus funeste relev par Husserl dans saconfrenceLa crise de lhumanit europenne et la philosophie(Husserl, 1935).

    Lapproche de Ricur, en loccurrence, savre bien diffrente des nombreuses et rcentestentatives dassimilation de la psychanalyse une science dobservation. Cest ce que faitvaloir Henry en observant que le passage de lunivers pulsionnel de la force vers le mondede la signification, dans la thorie freudienne, repose sur la thorie du reprsentant autour

    de laquelle Ricur a appuy lensemble de son interprtation de la psychanalyse enlinflchissant vers une hermneutique (du sens).

    Cest dans le champ de la reprsentation, en effet, que les conduites interprtes par lapsychanalyse se donnent comme des effets de sens, et que la conscience, dabord rduite,peut ensuite remonter vers la signification et la libert. Autrement dit, la pulsion, en tantquelle agit de lautre ct de la barre, dans lobscurit et les abysses du sujet, savre

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    inconnaissable dans lordre de la signification. Seuls ses rejetons " savoir les rves, lapsus,mots desprit, symptmes et autres manifestations) se trouvent ltre. Et ce, de manire sicaractristique quil faut considrer les reprsentants et ce quils reprsentent, par exemplela pulsion, appartiennent des domaines disjoints. La pulsion entrant dans le psychisme par

    lintermdiaire de ses reprsentants, et non de son propre chef. Une ralit encore inconsciente mais tendant la conscience, et cela en tant quereprsentation, telle est lessence gnrale du psychisme , affirme Henry (2002). Ce querappelle Ricur lui-mme lorsquil prtend que la psychanalyse est possible commeretour la conscience parce que, dune certaine faon, linconscient est homogne laconscience ; quil est son autre relatif, non pas absolument autre . Linconscient, net tde la thorie de la reprsentation, serait absolument exclu, ce quil ne peut tre dans lamesure o, dit Henry, les phnomnes psychiques portent en eux la mme essence que laphnomnalit, celle de la conscience en tant que reprsentation, en tant que conscienceintentionnelle, ils sont soumis la mme loi de la transformation de la conscience virtuelleen conscience actuelle du devenir-conscient de la conscience comprise comme ce devenirmme (Henry, 2002). En clair, cest la thorie du reprsentant qui, en mme temps, inscritla ralit psychique dans lek-stase de la signification, et maintient la pulsion dans sa nuitpropre, cest--dire dans son statut ant-reprsentatif dabsolument autre.

    Alors, quelle phnomnologie saccorde avec quelle psychanalyse ? , demande Henry.Celle-l mme, dit-il, qui fait de la conscience intentionnelle une conscience donatrice desens , qui se dploie dans une tradition philosophique similaire pour laquelle il y va de laphnomnalit comme de la transcendance primordiale de la parole et du dsir. En ce sensprcis, toute manire dtre conscient constitue aussi une manire de ne pas ltre et appelleune hermneutique, une projection de soi-mme dans un procs dinterprtation par essenceinfini, livr au vertige de la question que le soi est pour lui-mme, chaque fois.

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    En insistant sur le fait que le jeu du dsir et le retour du sens procdent du rapportmdiatis, et seulement mdiatis, des reprsentants psychiques de la pulsion et de lapulsion elle-mme, Henry amorce cependant un retournement de la problmatique de lasubjectivit telle que Ricur la pose au carrefour de la phnomnologie et de lapsychanalyse. Bien sr ce dernier ne nie pas que la conscience dessaisie delle-mmepuisse, au terme de la rduction et de lanalyse, se trouver libre du fantasme mi-servile etmi-dmiurgique de la transparence. Ce qui ne lempchera pas de jouer toute sa position encherchant approcher le monde obscur de la pulsion pour et par lui-mme. En loccurrence

    en dehors de cette finitude de la reprsentation et de lek-stase (Henry, 2002).

    Toutefois, que lon sentende bien sur lessence de sa proposition : il ne sagit pas, pour lui,de plaider pour un quelconque naturalisme ou de cder le pas une pense qui sesaborderait dans le scientisme. Ds le dpart, sa dissension avec les tendances organicistesde la psychologie moderne est radicale. Ainsi, non seulement tente-t-il de rompre avec les

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    philosophies de la reprsentation, mais il renonce poser la question du fond pulsionnel ensuivant Freud dans son espoir de lui assigner un soubassement anatomophysiologique.

    La position henryenne, cet gard, relve dun problme deux fois retourn. Une premirefois contre le naturalisme dont sont imprgnes les mtaphores et lnergtique de lathorie freudienne. Une seconde fois contre la phnomnalit comprise comme louverturedun Dehors, dun espace extrieur de reprsentation et de mise en forme. En clair, cest enretraant lorigine de la psychanalyse chez le grand philosophe Schopenhauer dont laVolont inconsciente quivaut aux instincts psychiques de la psychanalyse (Henry, 2002)que le philosophe sera amen identifier Volont, pulsion et dsir, et quil les lvera austatut dexpriences primitives de la Nuit abyssale de notre subjectivit .

    Une subjectivit qui nest plus une subjectivit devant le monde, mais qui, pour ainsi dire,se trouvera lorigine de son propre principe : savoir dans limmanence radicale de sonauto-affection, dans la dimension archaque, explique Henry, dune existence qui entre enpossession de soi immdiatement, sans que se creuse entre elle et elle le moindre cart

    (Henry, 2002). Situation, vrai dire, fort difficile imaginer pour ceux qui, dans unephnomnologie de style classique, cherchent autrement travailler dans lhorizon dumonde. tel point quil semble lgitime de demander si ltre du pulsionnel implique endfinitive la ngation pure et simple de la phnomnalit, de lapparatre de ce qui semontre

    Or Michel Henry va avancer quil nen est rien pour autant quil nexiste pas vritablementde reprsentations inconscientes, que celles-ci relvent en fait dune contradiction entre lestermes linconscient tant, comme on la vu, homogne la conscience. Au fond delinconscient considr dans son principe, dit le philosophe, il y a laffect . Ce que Freudlui-mme reconnat en admettant quil est de lessence dun sentiment dtre peru, donc

    connu de la conscience .

    Deux propositions en apparence contradictoires qui stipulent (a) que laffectivit constituelessence de ce que lon nomme inconscient et (b) que cet inconscient est en effet conscient,cest--dire vcu, expriment. Apparente contradiction qui se donne comprendreseulement si lon saisit que le terme inconscient exclut de soi la visibilit du monde , etnon la dimension archaque de la Psych comme telle, cest--dire comme chairimpressionnelle et comme pathos. De cette manire, la phnomnalit nest pas nie, maisbien reconduite sa phnomnalisation originelle comme affectivit , comme preuve etimmdiation pathtique de soi (Henry, 2002).

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    En somme, Henry pose donc la phnomnologie et la psychanalyse chacune uneinjonction. la phnomnologie, il demande de poser le problme de la Vie et de lasubjectivit en interrogeant les couches profondes de la psych sans les jeter en dehors de laconscience. De lautre, il rclame la mme chose en exigeant par ailleurs quelle dpasseson naturalisme et son identification de linconscient des processus en troisime personne(Henry, 2002).

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    Le problme sur lequel sest difie toute lentreprise psychanalytique ne consiste donc pas savoir comment les traces et les effets matriels peuvent se voir traduits ou transpossdans la vie psychique, mais bien de concevoir que la phnomnalit se phnomnalise ,comme lexprime avec insistance Michel Henry, suivant les deux modes htrognes et

    originellement conjoints de la reprsentation forme dans lhorizon du monde, et de ltreinte invisible du sujet dans limmanence de son propre pathos . Htrognes, on ladit, parce que laffectivit exclut a priori la dimension ek-statique de lintentionnalit.Conjoints parce que dans celle-ci ce qui affecte et ce qui se trouve affect sont en ralit lemme. Ce qui nempche pas la prise de conscience, en psychanalyse, de toujours seproduire dans le champ de la reprsentation et de la signification, et dans lespace culturelde ce que Freud a dcrit comme une talking cure , et ce dans la mesure o tout devenir-conscient correspond au mouvement mme de cette conscience, au passage, en elle, de lavirtualit la factualit, dit en effet Henry. Mais parce que laffectivit se donne ici lamanire de laffect qui appelle ou rejette la reprsentation, la reproduction et la rptitiondans le transfert se donnent la fois comme la condition de possibilit de toute laboration

    et comme le fondement absolu du rapport de lanalyse la Vie elle-mme.En ce sens, on peut maintenant comprendre, avec Kierkegaard, que celui qui nest pointdevenu Csar en dsespre. Car ce nest pas de ntre point devenu Csar quau fond, ildsespre, mais de ce moi qui lui, ne lest point devenu (Kierkegaard, 1949). Autrementdit, il ny a pas de moi qui puisse vraiment se perdre. La Vie elle-mme tant en sonprincipe dessence et dunit un souffrir et un jouir dont le sujet est charg jusqulinsupportable. Ce dont les psychologues devraient en tout tat de cause saviser, avant decoller au fantasme de redressement de laffect et une thique un peu rapide deladaptation. Parce que, dans son auto-affection, laffect est radicalement passif lgardde soi [], il aspire sen dcharger, il est le mouvement mme de la pulsion, laquelle, ditenfin Henry, dsigne justement chez Freud lexcitation endogne qui ne cesse jamais etqui est constitutive de lessence de la subjectivit (Henry, 2002).

    Je laisse le mot de la fin Chantal Thomas et son commentaire en introduction de sonouvrage Souffrir (Thomas, 2004). Un ouvrage qui na rien dune apologie romantique de lasouffrance, mais qui marque bien un message qui, en prenant appui sur Nietzsche, quellecite, aurait grand besoin de se rendre jusque dans les cabinets de psychologues en mal decontrle. Le passage est un peu long, mais il vaut la peine. Il va comme suit : propos dugot, dfini comme instinct dautodfense, Nietzsche crit : Son impratif nordonne passeulement de dire non, l ou un oui serait preuve de dsintressement, mais aussi de direnon aussi peu que possible. Scarter, se couper de tout ce quoi lon devait sans cesse direnon. Ce qui fait la raison de cette attitude, cest que les dpenses purement dfensives,

    mme minimes, si elles deviennent la rgle, lhabitude, provoquent un appauvrissementextraordinaire et totalement inutile . Il en est de mme de la souffrance, ajoute Thomas ensuivant Nietzsche : runir toutes ses forces pour la refuser, ne sautoriser qu souffrirchichement, il se pourrait que, outre le fait de se vouer une lutte perdue davance, onsaffaiblisse motivement, imaginairement, sensuellement et devienne incapable dedcouvertes vitales. Si le monde nous chappe par excs de souffrance, on peut aussi lemanquer par avarice de larmes. Tu souffres, marquis, mais il y a des moments o il faut en

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    passer par l (Thomas, 2004). La phnomnologie et la psychanalyse, il me semble,donnent cet abme penser dans le meilleur sens, quelque part entre leuphorie et ledsespoir.

    Rfrences bibliographiques

    Freud, S. (1953).La technique psychanalytique.P.U.F.

    Henry, M. (2002).Phnomnologie de la vie : Tome II, De la subjectivit.P.U.F.

    Housset, E. (2000).Husserl : lnigme du monde.Seuil.

    Husserl, E. (1935).La crise de lhumanit europenne et la philosophie.Htier.

    Husserl, E. (1949).Mditations cartsiennes.Vrin.

    Kierkegaard, S. (1949). Trait du dsespoir.Gallimard.

    Richir, M. (1993).Le corps : essai sur lintriorit.Htier.

    Ricoeur, P. (1969).Le conflit des interprtations : essais dhermneutique.Seuil.

    Thomas. C. (2004). Souffrir.Payot.

    Notice biographique

    Christian Thiboutot est professeur de psychologie lUniversit du Qubec Montral. Auteur deplusieurs confrences et articles relatifs la pense de Gaston Bachelard, il a publi aux tats-Unis,au Canada et en France. Il a particip la fondation, en 2004, du Cercle interdisciplinaire derecherches phnomnologiques, quil co-dirige depuis. Ses intrts le portent explorer lespossibilits dchange entre la psychanalyse et la phnomnologie, lhorizon hermneutique etlhritage humaniste sous-jacents la psychologie contemporaine et la philosophie bachelardiennede limaginaire, du langage et de la quotidiennet. Il a galement contribu la cration, en 2000,du Groupe de recherches et d'tudes en psychologie humaniste , du Dpartement de psychologie

    de l'[email protected]