Supply Chain Magazine 94 - Aéronautique · pour le client Airbus sur une gamme de produits bien...

8
ENQUÊTE A éronautique N°94 SUPPLY CHAIN MAGAZINE - MAI 2015 38 Aéronautique Vers une vraie collaboration client/fournisseurs ? La montée en cadence constante des avionneurs crée des tensions en amont de la chaîne aéronautique. Avec le risque que les petits fournisseurs de rang 2 et au-delà ne puissent pas suivre. Pour aider ces derniers à améliorer leur performance industrielle, les avionneurs et équipementiers de rang 1 ont lancé divers programmes de « coaching ». Mais ces donneurs d’ordres travaillent-ils vraiment dans un mode collaboratif, qui peut impliquer de se remettre eux-mêmes en cause ? ©AIRBUS-P.MASCLET

Transcript of Supply Chain Magazine 94 - Aéronautique · pour le client Airbus sur une gamme de produits bien...

ENQUÊTEAéronautique

N°94 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - MAI 201538

AéronautiqueVers une vraie collaboration

client/fournisseurs ?La montée en cadence constante des avionneurs crée des tensions enamont de la chaîne aéronautique. Avec le risque que les petits fournisseursde rang 2 et au-delà ne puissent pas suivre. Pour aider ces derniers àaméliorer leur performance industrielle, les avionneurs et équipementiersde rang 1 ont lancé divers programmes de « coaching ». Mais ces donneurs d’ordres travaillent-ils vraiment dans un mode collaboratif, quipeut impliquer de se remettre eux-mêmes en cause ?

©AIRBUS-P.MASCLET

MAI 2015 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°94 39

©D

ELO

ITTE

MagaliTestard, Associée

ResponsableConseil

en Achats etSupply Chainchez Deloitte

La bonne santé de l’aéronau-tique civile, et dernièrement,militaire en France avec lesventes de Rafales, a de quoifaire des envieux. Selon

l’étude « Tendances mondiales 2015Aéronautique et Défense » réalisée parle cabinet Deloitte début 2015, « l’aé-ronautique commerciale s’est dévelop-pée à un rythme très soutenu en 2014,de l’ordre de 7,7 %, portée par desniveaux de production records, le rem-placement accéléré des appareils obso-lètes et le besoin d’appareils plussophistiqués, moins consommateurs decarburant ». Et cette tendance devraitse confirmer durablement puisque cesexperts estiment que la demande envoyages aériens devrait augmenter de5 % par an durant les 20 prochainesannées, d’où le besoin de livrer entre31.300 et 34.300 avions sur cettepériode. Dans ce contexte, Deloitteidentifie cinq enjeux cruciaux pour lesecteur, dont notamment la nécessitéde dialoguer avec les fournisseurs pouraméliorer leur performance opération-nelle et la probable consolidation par « familles » des sous-traitants. « Lessub-tiers sont souvent de grosses PMEou des ETI qui n’ont pas la même tailleque les équipementiers de rang 1 ou lesavionneurs. Pour tenir les montées encadence, d’un point de vue opération-nel mais aussi financier, nous devrionsassister de plus en plus à des mouve-ments de concentration de ces fournis-

seurs de rang 2, 3, 4, 5… sous forme de grappes industrielles, de Joint-Ven-tures ou de fusions/acquisitions via desfonds d’investissement », entrevoitMagali Testard, Associée ResponsableConseil en Achats et Supply Chain chezDeloitte.

Des portails et programmes lancés par les donneurs d’ordresEn attendant les rapprochements capi-talistiques, la collaboration s’effectuepour le moment davantage autour deportails et de programmes d’améliora-tion. A titre d’exemple, le portail Air-Supply de BoosAeroSpace lancé en2012 vise à faciliter les échanges entredes donneurs d’ordres (avionneurs etéquipementiers de rang 1 européensprincipalement) et leurs fournisseurs.Cette plate-forme veut notammentfavoriser la détection des gouletsd’étranglement et rendre la collabora-tion plus transparente entre les acteurs.« Les fournisseurs sous-traitants ontintérêt à aller vers ce type de portailspour d’une part se discipliner eux-mêmes, et d’autre part pour détecter lesinadéquations dans les plans d’appro-visionnements. Et les donneurs d’ordreset rangs 1 les poussent à les utiliser.Mais côté fournisseurs, on s’interroge :quand on est en désaccord, ou suite àun problème de livraison, qui appelle-t-on ? », constate Philippe Armandon,Directeur de Lasce Associate. En ce quiconcerne les programmes d’améliora-tions, ils peuvent être menés en internepar les donneurs d’ordre ou lancés par des fédérations professionnellescomme le Gifas. « 80 % de la valeurdes produits Airbus vient de ses four-nisseurs », rappelait Thierry Vuille-quez, VP Operations Material & Partschez Airbus pour justifier le lancementde SQIP (Supply Chain Quality Impro-vement Programm) visant à améliorerles performances industrielles d’unecinquantaine de fournisseurs straté-giques. Dans ce cadre, Airbus déploieles grands moyens pour accompagnerces fournisseurs dans des programmesd’amélioration de la qualité et des per-for- mances industrielles mesurés entermes de progression des taux de ser-vice et de respect des délais (voir letémoignage de Mapaero page 42 et del’Ukad page 44 ). Une personne est en

©LA

SSC

EA

SSO

CIA

TES

PhilippeArmandon,

DirecteurLasce

Associates

©G

IFA

S

Jean-Michel Poulier,

Chef de Projet « Performances Industrielles »

au Gifas

ENQUÊTEAéronautique

N°94 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - MAI 201540

effet chargée du suivi de projet et uneautre est dépêchée chez le fournisseurpour le guider dans la réalisation effec-tive de ses ateliers d’amélioration. Etles résultats sont prouvés : Airbus fai-sait état fin 2013 d’une baisse desretards de livraison de 16 %, des viola-tions des limites de stocks de consi-gnation de 40 % et des non confor-mités de 20 % sur son panel de four-nisseurs suivis.

Le programme« Performances industrielles »

du Gifas et de Space AéroLe Groupement des Industries françai-ses aéronautiques et spatiales (Gifas),fédération professionnelle créée en 1908et qui regroupe plus de 300 sociétés(avionneurs, équipementiers et PME/TPE fournisseurs), s’est fixé pour rôleet responsabilité de « rendre la SC plusperformante en France. Les grandsdonneurs d’ordres et les équipementiersde rang 1 ayant eux-mêmes leur Sup-ply Chain et leurs programmes d’amé-lioration, nous avons lancé fin 2013 le programme « Performances Indus-trielles » pour compléter ces dispositifs.Le Gifas en est le maître d’ouvrage etfinance le programme via des fondspropres, des subventions de BPI Franceet des participations des entreprisespartie-prenantes. Space en est le maî-tre d’œuvre et l’exécute », expliqueJean-Michel Poulier, Chef de projet« Performances Industrielles » du Gifas.Ce programme vise à faire monter encompétence 400 PME/TPE de rang 2/3en constituant des grappes de 5 à 6 sociétés pilotées par un donneur d’or-dre. 65 en tout sont impliqués dont Air-bus, Daher, Dassault, Latécoère, Safran,Thalès, Zodiac… « Le budget de ce pro-gramme est de 23 M€. Nous en sommesà mi-parcours avec les 65 grappes iden-tifiées et plus de la moitié des fournis-seurs impliqués, qui le sont sur la basedu volontariat », précise François Ber-trand, Président de Space Aéro.

Apprendre à se connaîtreEt François Bertrand de lister les prin-cipaux points d’amélioration sur les-quels portent les travaux du pro-gramme « Performances Industrielles » :« Le 1er concerne les prévisions et laplanification long, moyen, court

terme (ex : avec un ERP pour plani-fier); le 2nd est d’organiser des ateliersde baisse de stocks et de raccourcisse-ment des cycles (Lean Manufacturing) ;le 3e traite de la sous-traitance carmême les TPE sous-traitent (trouver labonne relation, donner de la visibilité àses fournisseurs) et le 4e vise à résou-dre des problèmes de qualité (systéma-tiser l’approche cause racine) ». Deséchelles de maturité ont été définies,chaque entreprise devant progresserpar rapport à son point de départ. « Surles 50/60 grappes arrivées à échéance,plus de 90 % des entreprises qui ontparticipé ont vu leur capacité délai,performance ou qualité s’améliorer. Et5 à 10 points d’amélioration de l’OTDen un an, c’est un progrès notable ! »,se félicite Jean-Michel Poulier (Gifas).« Sur le total, ce programme représente6.000 jours de consultants et en paral-lèle, 5.000 journées de formation. Lesateliers et cet effort lourd de formationen interne, plus le fait de travailler en grappes sur la relation donneursd’ordres/fournisseurs fait le succès del’initiative », estime François Bertrand(Space Aéro). En plus de ce programmenational mené pour le compte du Gifas,Space Aéro mène deux autres initia-tives régionales : Aerolink (57 PME et11 donneurs d’ordres en Midi-Pyré-nées/Aquitaine) et Dynamic Aero(création par 5 donneurs d’ordres degrappes de 5 à 6 PME dans les Pays deLoire). « Le très gros avantage de cestravaux de collaboration par grappe,

©SP

AC

EA

ÉRO

François Bertrand,Président de Space

Aéro

©SP

AC

EA

ÉRO

ChristopheCabaret,

Directeur desOpérationsde Space

Aéro

©C

ITW

ELL

GuillaumeAllemand,

DirecteurAssocié

de Citwell

©D

ASS

AU

LTAV

IATI

ON-A

.FÉV

IER

MAI 2015 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°94 41

c’est que les donneurs d’ordre se ren-dent compte que les PME sont beau-coup plus fortes qu’ils ne l’imaginaient.Même si dans pas mal de projets, lesdonneurs d’ordre sont très exigeants etles PME n’ont pas encore atteint leurcible, ils sont impressionnés par leursévolutions. Ce mode de fonctionnementcrée un nouveau mode de relations etd’échanges et les donneurs d’ordres ydécouvrent les PME sous un autreangle. La Supply Chain est en train demûrir », avance Christophe Cabaret,Directeur des Opérations de Space Aéro.

Une forte pression qui raviveles mauvais réflexes

Ainsi ces initiatives vont dans le sensd’une meilleure découverte de l’autre et vers une meilleure collaboration.Néanmoins, avec la montée en cadenceprogressive (ex : A320, 32 par mois en2010, 42 en 2013, 44 à 46 en 2014/2015 et probablement bientôt 50, voire60), la pression s’intensifie. Et certainsréflexes, dus au poids respectif des pro-tagonistes, à celui de la fonction achatset au caractère concurrentiel au niveauplanétaire du marché aéronautique,réapparaissent. Avec parfois des pro-pos cinglants qui rappellent de manièremusclée de quel côté se trouve le

manche de la cognée. « Je pense que lesfournisseurs d’équipements de cabineferaient bien d’avoir un niveau de matu-rité industriel équivalent à celui desfournisseurs d’avions ! Ce sont degrands industriels, pas des PME. Ilsdoivent mettre en place les dispositifspour tenir leurs engagements. Celadevient inacceptable ! », tranchaitFabrice Brégier, PDG d’Airbus enrépondant le 17 avril dernier à unequestion portant sur les importants

retards de livraison de sièges de ZodiacAerospace, sans toutefois le nommer...« Les équipementiers de rang 1 ont uneénorme pression car ils sont pris ensandwich entre les donneurs d’ordres(qui exigent des cadences élevées et desniveaux de qualité, de fiabilité et derespect des délais très élevés) et leurparc de fournisseurs hétérogène, estimePhilippe Armandon. Les maillons fai-bles sont certes les petits acteurs enbout de chaîne mais la Supply Chaindes grands équipementiers reste encoresouvent morcelée, avec une partie auxAchats, une autre aux Approvisionne-ments usines, une en Supply Chain etune à la Qualité ». « Il nous semble quenos clients du secteur aéronautique,notamment les équipementiers de rang1 en relation directe avec les avion-neurs, sont plutôt performants quandil s’agit de mettre en place des pilotesou des task-forces ciblées, nuance Guil-laume Allemand, Directeur Associé deCitwell. Par exemple, augmenter l’OTIFpour le client Airbus sur une gamme de

produits bien spécifique. Cependant,pour que ces progrès se pérennisentdans le temps, avec des gains finan-ciers et en matière de niveau de service,il faut les intégrer dans de véritablesplans de transformation globaux de laSupply Chain, avec une trajectoire par-tagée au niveau de la direction. Sinon,le risque est de constater que les gainsobtenus sur le terrain ne se transfor-ment pas en gains dans le compte derésultat de l’entreprise », prévient-il.

Lasce lance un Observatoire de la SC Aéronautique

et Spatiale Le cabinet Lasce Associates met la dernière main à une étude visant àmesurer, à travers une vingtaine dequestions, la perception de la qualité dela SC entre les fournisseurs de l’aéro-nautique et leurs clients, avec l’objec-tif d’avoir chaque année la perceptioncomparée des donneurs d’ordre et deleurs fournisseurs. La première étape,réalisée avec la Junior Entreprise de

©D

AH

ER

ENQUÊTEAéronautique

N°94 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - MAI 201542

Sup’Aéro (ISAE) auprès d’une trentainede PME et quelques ETI, vient d’êtreterminée et donnera lieu à une syn-thèse. Philippe Armandon nous livre la primeur des 1ers résultats. « 17 répon-dants estiment que la qualité de larelation SC va s’améliorer avec leursclients de rang 1 ou leurs donneursd’ordres. Mais ce n’est pas tant parcequ’ils l’ont décidé que parce qu’ils ysont obligés, car le temps presse », ana-lyse le Directeur à l’aune des verbatimdes personnes interrogées. Autre pointintéressant : globalement, les pro-grammes d’amélioration initiés par lesdonneurs d’ordres, notamment via leGifas, sont bien perçus par les petitsfournisseurs car ils aboutissent à desaméliorations de la performance entermes de qualité et de respect desdélais. « Mais comme cela s’est produit

être porteur de bonnes nouvelles surl’évolution de la qualité des relationsclients/fournisseurs. Interrogés sur lanature des difficultés opérationnellesqu’ils rencontrent, 22 répondants pointent du doigt l’introduction denouveaux produits, 19 répondants lesapprovisionnements et 18 répondants,la planification. « Les problèmes de SCsont créés très en amont », commentePhilippe Armandon. « Ce qui est assezparadoxal, dans une industrie à cyclelong avec un niveau de prévisibilitéassez fort, c’est que le maillon faiblesoit au niveau des prévisions et de laplanification. Cela laisse supposer quece dernier n’est pas forcément chez lespetits fournisseurs, mais qu’il provientégalement des capacités de production,des prévisions, des non qualitésinternes et de l’organisation en silosdes équipementiers de rang 1 et desdonneurs d’ordres. Ils ont en effet unegrande responsabilité dans la mise enplace d’une planification vraiment collaborative », analyse un autreconsultant. Charité bien ordonnée necom mence-t-elle pas par soi-même ? Debons arguments militant en faveurd’une meilleure reconnaissance de la fonction Supply Chain dans cesgrands groupes… ■ CATHY POLGE

Eric Rumeau, CEO de Mapaero, fournisseur d’Airbus« Le jeu en vaut la chandelle »

« Créée en 1992, Mapaero fabri-que et commercialise de la pein-ture pour l’aéronautique. Avec 85 employés, elle a réalisé un CAde 21 M€ en 2014. Nous avonsdeux programmes d’améliorationde performance industrielle avecAirbus, qui compte pour 50 à 55 % de notre CA à travers toute lachaîne de sous-traitance que nousalimentons pour lui. Le premier, sur2010-2016, est le référentiel qualitéIPCA (Industrial Process ControlAssessment), visant à sécuriser laSC par un pilotage et un suivi plusrigoureux de nos fournisseurs, àrendre plus robuste la production

par des contrôles plus adaptés et à mieux gérer nos capaci-tés de production en fonction des besoins d’Airbus. Le butétant d’atteindre l’excellence, soit plus de 16/20, alors que

nous sommes entre 12 et 16 pour le moment. Le second estSQIP (Supply Chain & Quality Improvment Program), depuis2013, un programme qui vise à améliorer notamment le tauxde service et les délais (OTQ, On Time in Quality et OTD, OnTime Delivery) chez les fournisseurs. La mise en action desrecommandations d’Airbus fonctionne bien. En 2013, nousavons gagné le prix de la meilleure progression (best impro-ver) et en 2014, celui du best performer. Les lauréats du pro-gramme SQIP sont mis en avant chez Airbus, de sorte quenous avons gagné en notoriété et que nous sommes perçuscomme un partenaire fiable. C’est un avantage concurren-tiel notable. Nous travaillons aussi pour Airbus Helicopters,Dassault, Boeing, Bombardier, Embraer, Safran, Zodiac… Ce système industriel plus vertueux profite à l’ensemble denos clients. Au niveau de Mapaero, nous avons une organi-sation dynamique portée par le secteur aéronautique quinous permet de mettre en œuvre tous ces outils. Cela a uncoût, mais il est supporté par la croissance de l’activité et cesoutils sont nécessaires pour continuer à progresser. Le jeu envaut la chandelle.» ■ CP

dans l’automobile et la grande distri-bution, cela s’obtient par une augmen-tation des stocks. Ceux des rangs 1diminuent, mais sont reportés enamont chez les sous-traitants », relèvele Consultant, qui en conclut que l’en-jeu va être d’avoir une vraie vision SCde bout en bout pour piloter les flux etréduire les stocks.

Torts partagésAutre fait marquant : 19 répondantsconsidèrent leur relation SC avec leursdonneurs d’ordres coopérative (13 répondants) ou partenariale (6 répon-dants), contre 10 répondants purementcontractuelle et 1 répondant conflic-tuelle. Sans doute le rapport de forcen’autorise-t-il pas de se fâcher ouver-tement avec son client, mais ce pointméritera d’être creusé car il est peut-

©R

ON

WU

RZER

- CA

PAPI

CTU

RES

SAFR

AN

©M

APA

ERO

©PI

ERR

ESO

ISSO

NS-

LAB

INA

L-SA

FRA

N

ENQUÊTEAéronautique

N°94 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - MAI 201544

Benoît Delvincourt, Directeur d’Ukad, Fournisseur de rang 2 d’Airbus« Absorber la montée en puissance de manière rigoureuse via SQIP»

Basée à Saint Georges de Mons (Puy de Dôme), Ukad fabrique des demi-produits à partir de lingots d’alliage de titane.Cette PMI de 60 personnes travaille pour l’aéronautique, mais aussi l’énergie, le médical, etc. Elle est le seul fournisseur de rang 2 à bénéficier du Supply Chain Quality Improvement Program (SQIP) d’Airbus.

Ukad est née en 2008 d’une JVentre le Français Aubert & Duval(filiale de la branche alliages dugroupe Eramet et spécialiste de lamétallurgie haut de gamme desaciers hautes performance, dessuperalliages, du titane et de l’alumi-nium) et le Kazakh UKTMP (un desleaders mondiaux de la fabricationd’éponges et producteur de lingots

d’alliages de titane). En effet, les propriétés du titane (légèreté,propriétés mécaniques élevées) permettent à ce matériaud’être de plus en plus utilisé dans l’aéronautique (applicationpièces de structure, fasteners, moteur…). Afin d’être parfaite-ment positionnées sur ce marché en forte croissance et surd’autres applications (corrosion, médical...), les deux sociétésont souhaité investir dans une unité de forgeage de demi-pro-duits à partir de lingots de titane, et créer ainsi une filière inté-grée. « La naissance d’Ukad a été soutenue par Airbus qui asigné un contrat commercial sur 10 ans. C’est cette visibilité quinous a permis d’investir, avec l’aide complémentaire de l’Etatfrançais », souligne Benoît Delvincourt, Directeur d’Ukad.

Le seul fournisseur de rang 2 à bénéficier de SQIPL’activité d’Ukad, démarrée en 2011, est la transformation par forgeage, à l’aide d’une presse de 4.500 t, de lingots d’alliage de titane (en provenance d’UKTMP) en billettes,barres, fils… Depuis 2013, Ukad double ses volumes annuelsde demi-produits titane : 780 t en 2013, 1.600 t en 2014 et 3.500 t visées en 2015. Au 1er trimestre 2013, elle intègre leprogramme SQIP d’Airbus, qui vise à améliorer durablementles performances de la SC de l’avionneur à travers une meil-leure collaboration avec une cinquantaine de fournisseurs stra-tégiques. « Ukad est le seul fournisseur de rang 2 à bénéficierde SQIP. Nous nous accordons tous les ans sur des plans d’amé-lioration (chantiers) et des objectifs à atteindre (taux de service« D1 » et qualité produits « R1 »). Le plan de projet global com-

porte une dizaine de jalons à respecter, explique Benoît Delvincourt. Nous avons des rapports fréquents et structurantsavec Airbus : à la maille mensuelle, avec un correspondant Airbus dédié, nous faisons une revue des ateliers et validons ou non les actions entreprises, et régulièrement, un Ingénieur Airbus vient travailler avec nous sur les chantiers de progrès. »

Des temps de cycles réduits de 30 %Ainsi, un projet de fond déjà engagé par Ukad a été intégré àSQIP : la réduction des temps de cycles. « Travailler ensemblenous a permis en 2014 de réduire de 30 % les temps de cycleainsi que d’améliorer et renforcer les processus pour qu’ils soientpérennes et adaptés à notre croissance », illustre le Directeur.Un atelier a aussi consisté à développer une base de donnéescommune avec son fournisseur de matière première UKTMP,distant de 7.000 km, afin d’améliorer le fonctionnement de laSupply Chain (planification, plan de production, aspects qua-lité, dossiers qualité lingots, plans de progrès performance/qua-lité). « Parmi les autres chantiers SQIP entrepris, nous pouvonsciter celui du développement et de la consolidation de notre pro-cessus de sous-traitance afin de garantir que la SC ne soit pasperturbée et que nous puissions nous délester, si nécessaire, surune chaîne de sous-traitance solide. Un autre atelier porte sur lagestion de la charge/capacité. Nous élaborons de nombreuxscénarios pour affiner notre charge/capacité et programmer leplus finement possible nos investissements, complète Benoît Del-vincourt. En décembre 2014, Airbus nous a remis un best impro-ver award, pour souligner les premiers résultats des chantiers.Cet encouragement et nos résultats nous confortent dans cettedémarche. »

Un projet très engageant« En 2015, nous voulons réduire nos temps de cycle de nou-veau de 30 % et atteindre durablement un taux de service de98 % », expose le Directeur. Ukad ne fait pas partie du pro-gramme « Performances Industrielles » de Space, destiné auxfournisseurs de rang 2 et 3. « Le projet SQIP est déjà trèsengageant en terme de temps et nous l’avons intégré aumanagement global de l’entreprise », poursuit-il. En termes demontée en compétence des équipes, les formations néces-saires au déroulement du programme SQIP sont décidéespar Ukad et portées par son propre plan de formation.« Nous sommes une entreprise de petite taille, et même si nousbénéficions du support d’Aubert & Duval, SQIP nous permetd’avancer plus vite dans notre structuration et d’absorber lamontée en puissance de manière rigoureuse, sans à-coups, eten limitant les risques de baisse de taux de service et de nonqualité », résume Benoît Delvincourt. ■ CP

©U

KA

UK

AD

MAI 2015 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°94 45

« Je peux vous citer 4 exemples de col-laboration que nous menons, lance Nicolas Orance, Directeur Stratégie etDéveloppement du pôle aéronautique& défense de Daher. Daher est leaderd’une grappe de fournisseurs en Pays deLoire dans le cadre du programme « Per-formances Industrielles » du Gifas et deSpace Aéro. De plus, depuis 1 an etdemi, nous avons mis en place Seed, unprogramme interne d’excellence opéra-tionnelle pour faire de Daher un cham-pion. Nous avons aussi organisé les 1er Supplier Days, qui ont réuni 300 four-nisseurs sur les 500 conviés à échangersur notre plan stratégique « Performance2017 ». Enfin, depuis 6 ans, nous menonsdes projets de R&D en open innova-tion pour travailler en mode collaboratifsur les modes de production de demain

(ex : nouvelle génération de composites,nouvelles méthodes de contrôle avec laréalité virtuelle, exosquelette pour éviterles TMS…). » Selon lui, l’augmentationde 3 à 5% par an oblige la filière à êtreencore plus professionnelle et robuste.« Nous avons par exemple la DaherControl Room, où figurent toutes les pré-visions à 6 mois. 3 mois avant, nous véri-fions auprès de nos fournisseurs que tout

est bien prévu comme convenu, pourêtre sûrs de livrer à l’heure les bonnespièces de qualité à nos clients. Nous fai-sons bénéficier de notre expérience SCnos fournisseurs », illustre NicolasOrance. Les programmes d’améliora-tion portent leurs fruits puisque l’OnTime Delivey (OTD) de Daher est passéde 75 % en 2009 à 97 % aujourd’hui.« Avec nos fournisseurs, nous avons faitgrandir globalement toute la SC, seréjouit le Directeur. Notre objectif estd’atteindre un OTD à 100 % d’ici 2 anscar il n’est plus possible d’être en retard.Et de conclure : Chez Daher, nousessayons d’être en avance sur notretemps. Nous avons encore beaucoup devaleur ajoutée à apporter à nos clients età nos fournisseurs pour accompagner lafilière. » ■ CP

Daher, moteur de collaborationAtypique, Daher est à la fois avionneur, équipementier de rang 1 et prestataire logistique. Un bon moyen de se met-tre à la place du client comme du fournisseur, de comprendre les besoins de chacun et pour le coup, d’avoir une véri-table aptitude à collaborer.

Nicolas Orance, Directeur Stratégie et Développement du pôle aéronautique & défense du groupe Daher

©D

AH

ER

ENQUÊTEAéronautique

N°94 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - MAI 201546

Jean-François MichelFondateur et Associé de Freelog

« Créer des Tier 1 spécialisés dans la fonction de kitting »Jean-François Michel, Fondateur et Associé du cabinet Freelog, propose d’explorer une nouvelle piste d’amélioration de l’alimentation des bords de chaîne depuis les fournisseurs. L’idée est de concentrer les approvisionnements d’une zone en un pointoptimal de la Supply Chain, chez un spécialiste, et d’y constituer des kits correspondant aux consommations d’un poste de montage, emballés de façon à éviter de manipuler les pièces fragiles et à les protéger au transport.

Face à la montée des cadences et aux difficultés rencontrées parles fournisseurs, Airbus a accru son niveau de conscience du besoin de rendre plus robuste sa Supply Chain et a mis

en œuvre des démarches de collaboration avec eux, observe Jean-François Michel, Fondateur et Associé de Freelog. Si cettedémarche porte ses fruits, tout n’est pas encore réglé pour autant. « Des problèmes de fiabilité, liés à tous les acteurs, y compris auxdonneurs d’ordres, subsistent. On n’en est pas encore au stade pré-vision, planification et sortie de flux synchrones. Les difficultésétant de deux ordres :■ d’une part, la géométrie des pièces et leur fragilité (ex : la fibrede carbone) complexifient leur manipulation et leur protectionjusqu’au bord de chaîne, d’où l’importance de l’emballage ou desmedias. Pour le moment, les kits sont constitués dans les maga-sins amont des usines de l’ensemblier, avec des tâches de débal-lage, de tri et de reconnaissance ; ■ d’autre part, l’aspect documentaire, dû à la forte réglementa-tion avec un flux de documents attaché aux pièces, ne facilite pasnon plus leur manipulation. Cela génère aussi des problèmes desynchronisation des flux ».

Des stocks élevés par manque de confiance Et Jean-François Michel de poursuivre son analyse : « Les maga-sins constructeurs sont devenus progressivement des stocks avan-cés fournisseurs, avec la possibilité de constituer des stockstampons. Mais la confiance entre fournisseurs et constructeursn’est pas suffisante pour baisser les stocks et pour travailler encross-dock. On peut donc avoir 4 avions en sécurité minimum enstock alors que le niveau de variabilité entre les avions (ex : A319,A320, A321) est fort. Sur la chaîne d’assemblage, les avions sesuccèdent l’un après l’autre. Toutefois le nombre de pièces com-munes est faible ». Partant du constat que « Les emballages sont dessupports de stockage, de transport et d’apport en bord de ligne »,il s’interroge sur la manière de transformer cette contrainte enopportunité afin d’optimiser les flux depuis les fournisseursjusqu’aux bords de ligne. « On pourrait imaginer de créer un Tier1 spécialisé dans la fonction de kitting, avance-t-il. Il consolide-rait les pièces de tous les fournisseurs d’une région et serait chargéde constituer les kits correspondant à une demi-journée ou à unposte de travail. Les pièces seraient emballées dans des moussesprotectrices, portées sur des servantes, elles-mêmes protégées dansdes emballages de protection pour le transport, constituant ainsides medias. » (voir schéma ci-contre)

Plus loin que le conceptFreelog est allé au-delà du concept à travers une étude réaliséepour le compte d’Airbus. « Nous avons été sollicités par Airbus

pour mener une étude de cette naturepour l’alimentation de la ligne d’assemblage de l’usine Mobile, enAlabama, depuis Hambourg. Nousavons proposé des solutions permet-tant de créer les kits à Hambourg enprenant soin de les placer dans descontenants, eux-mêmes dans desconteneurs permettant d’éliminer lestâches de tri, de déballage/emballageou repositionnement dans des médiasde production aux Etats-Unis. Nous

avons analysé le type d’équipements nécessaires, défini le conceptdans les grandes lignes, commencé à travailler avec des fournis-seurs potentiels, validé avec les fournisseurs d’Airbus que ceconcept était en conformité en termes de réglementation et dequalité et construit un Business Case qui évaluait les économiesréalisables par rapport à un fonctionnement classique. Noussommes allés jusqu’à l’étude détaillée et au support de la sélec-tion de fournisseurs », relate le consultant.

Une vision d’avenir« L’étape que nous appelons de nos vœux serait de travailler sur desflux plus complexes, des économies substantielles étant démontréespar rapport au point à point. Nous avons répondu aux attentesd’Airbus et au-delà dans cette première expérience, et nous espé-rons ne pas en rester là, avoue Jean-François Michel, qui nousconfie sa vision d’avenir de l’optimisation des flux fournisseurs : Lemétier du futur va consister à définir une architecture réseau etles nœuds les plus pertinents sur lesquels concentrer les activitésde picking et les compétences d’ingénierie, de conseil logistique etSupply Chain, de commerce international (fiscalité, aspects doua-niers et documentaires, par rapport aux diverses instances régle-mentaires). Nous poussons cette idée depuis plusieurs annéesauprès des acteurs du marché aéronautique. » ■ CP

«

©JP

.GU

ILLA

UM

E

©FR

EELO

G