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1225-1274- Thomas Aquinas - Summa Theologiae - Supplementum Frère Réginald, o.p. secrétaire de saint Thomas d'Aquin Supplément à la Somme Théologique SUPPLÉMENT À LA SOMME THÉOLOGIQUE Saint Thomas d’Aquin n’a jamais terminé sa Somme de théologie. Surpris par une apparition du Christ alors qu’il célébrait la messe, il n’a jamais voulu reprendre sa dictée. Ce Supplément n’est donc pas directement de lui. Il est une compilation effectuée après sa mort par son secrétaire particulier, Frère Réginald, à partir d’œuvres de jeunesse du Maître, le Commentaire des Sentences de Pierre Lombart. LA PÉNITENCE (SUITE) 1 QUESTION 1: DES PARTIES DE LA PÉNITENCE EN PARTICULIER. TOUT D'ABORD DE LA CONTRITION Nous avons maintenant à traiter de chacune des parties de la Pénitence: 1° de la contrition; 2° de la confession; 3° de la satisfaction. Au sujet de la contrition, cinq questions se posent: -1° qu’est-elle? -2° quel doit être son objet? -3° quelle doit être son intensité? -4° quelle doit être sa durée? -5° quel est son effet? Quant au premier point, il y a trois doutes à discuter 1. La définition ordinairement donnée de la contrition lui convient- elle? -2. La contrition est-elle un acte de vertu? 3. L’attrition peut-elle devenir contrition? ARTICLE 1: La contrition est-elle une douleur voulue d nos péchés jointe à la résolution de nous confesser et de donner satisfaction? Objections: 1. Il semble que la contrition ne soit pas "une douleur voulue de nos p jointe à la résolution de nous confesser et de donner satisfaction" comme quelques-uns la définissent, car, ainsi que le dit saint Augustin "la douleur a pour objet les choses qui nous arrivent contrairement à notre volonté". Or il n’en va pas ainsi des péchés. Donc la contrition n’est pas une douleur de nos péchés. 2. La contrition nous est donnée par Dieu, mais ce qui nous est donné ne dépend pas de notre volonté; donc la contrition n’est pas une douleur voulue. 3. La satisfaction et la confession sont nécessaires à la rémission de la peine qui n’a pas été remise dans la contrition. Mais parfois il arrive que toute la peine est remise par la contrition. Il n’est donc pas toujours nécessaire que le pénitent contrit ait la résolution de se confesser et de donner satisfaction. Cependant: La proposition contestée est bien la définition même de la contrition. Conclusion: Comme le dit le livre de l’Ecclésiastique "le commencement de tout péché est l’orgueil" par lequel l’homme, s’attachant à son propre sentiment, se soustrait aux ordres de Dieu. Il faut donc que ce qui détruit le péché arrache l’homme à son propre sentiment. Or, de celui qui reste persévéramment attaché à son propre sentiment, on dit par métaphore qu’il est inflexible et dur. De là vient qu’on dit quelqu’un brisé, quand il est arraché à son propre sentiment. Mais entre le brisement et l’émiettement ou le broyage, dans les choses matérielles auxquelles on emprunte ces images pour les choses spirituelles, il y a de la différence. On dit brisé ce qui est partagé en gros morceaux et l’on dit émiettée

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  • 1225-1274- Thomas Aquinas - Summa Theologiae - Supplementum

    Frre Rginald, o.p.

    secrtaire de saint Thomas d'Aquin

    Supplment la Somme Thologique

    SUPPLMENT LA SOMME THOLOGIQUE

    Saint Thomas dAquin na jamais termin sa Somme de thologie. Surpris par une apparition du Christ alors quil clbrait la messe, il na jamais voulu reprendre sa dicte. Ce Supplment nest donc pas directement de lui. Il est une compilation effectue aprs sa mort par son secrtaire particulier, Frre Rginald, partir duvres de jeunesse du Matre, le Commentaire des Sentences de Pierre Lombart.

    LA PNITENCE (SUITE)

    1 QUESTION 1: DES PARTIES DE LA PNITENCE EN PARTICULIER. TOUT D'ABORD DE LA CONTRITION

    Nous avons maintenant traiter de chacune des parties de la Pnitence:

    1 de la contrition;

    2 de la confession;

    3 de la satisfaction.

    Au sujet de la contrition, cinq questions se posent: -1 quest-elle? -2 quel doit tre son objet? -3 quelle doit tre son intensit? -4 quelle doit tre sa dure? -5 quel est son effet?

    Quant au premier point, il y a trois doutes discuter 1. La dfinition ordinairement donne de la contrition lui convient-elle? -2. La contrition est-elle un acte de vertu? 3. Lattrition peut-elle devenir contrition?

    ARTICLE 1: La contrition est-elle une douleur voulue d nos pchs jointe la rsolution de nous confesser et de donner satisfaction?

    Objections:

    1. Il semble que la contrition ne soit pas "une douleur voulue de nos p jointe la rsolution de nous confesser et de donner satisfaction" comme quelques-uns la dfinissent, car, ainsi que le dit saint Augustin "la douleur a pour objet les choses qui nous arrivent contrairement notre volont". Or il nen va pas ainsi des pchs. Donc la contrition nest pas une douleur de nos pchs.

    2. La contrition nous est donne par Dieu, mais ce qui nous est donn ne dpend pas de notre volont; donc la contrition nest pas une douleur voulue.

    3. La satisfaction et la confession sont ncessaires la rmission de la peine qui na pas t remise dans la contrition. Mais parfois il arrive que toute la peine est remise par la contrition. Il nest donc pas toujours ncessaire que le pnitent contrit ait la rsolution de se confesser et de donner satisfaction.

    Cependant:

    La proposition conteste est bien la dfinition mme de la contrition.

    Conclusion:

    Comme le dit le livre de lEcclsiastique "le commencement de tout pch est lorgueil" par lequel lhomme, sattachant son propre sentiment, se soustrait aux ordres de Dieu. Il faut donc que ce qui dtruit le pch arrache lhomme son propre sentiment. Or, de celui qui reste persvramment attach son propre sentiment, on dit par mtaphore quil est inflexible et dur. De l vient quon dit quelquun bris, quand il est arrach son propre sentiment. Mais entre le brisement et lmiettement ou le broyage, dans les choses matrielles auxquelles on emprunte ces images pour les choses spirituelles, il y a de la diffrence. On dit bris ce qui est partag en gros morceaux et lon dit miette

  • ou broye la matire solide qui a t rduite en parties tout fait minimes. Or comme la rmission du pch exige que lhomme abandonne compltement toute cette affection pour le pch que son propre sentiment retenait la manire dune solide continuit, lacte par lequel le pch est remis sappelle mtaphoriquement contrition.

    Dans cette contrition, il y a plusieurs lments considrer, dabord la substance de lacte, puis son mode dactivit, son principe et ses effets. Selon ces diverses considrations, on a donn diffrentes dfinitions de la contrition.

    Celle que nous avons cite vise la substance mme de lacte. Cet acte est la fois acte de vertu et partie du sacrement de pnitence. La dfinition prcite nous manifeste donc son caractre dacte vertueux en indiquant son genre, "une douleur", son objet, pour nos pchs, et lacte dlection requis pour lacte vertueux, une douleur voulue. Elle nous le montre aussi comme partie du sacrement, en mentionnant sa relation avec les autres parties, quand elle dit: jointe la rsolution de nous confesser, etc.

    On trouve aussi une autre dfinition de la contrition, qui la dfinit en tant quelle est simplement acte de vertu, mais ajoute cette dfinition, la mention de la diffrence spcifique qui fait, de la contrition, un acte de la vertu spciale de pnitence. Elle dit en effet que la contrition est "une douleur volontaire du pch, par laquelle le pnitent chtie en lui-mme ce quil regrette davoir Commis". La mention du chtiment dtermine le caractre spcifiquement Pnitentiel de la contrition.

    Voici une autre dfinition donne par saint Isidore: "La contrition est une componction et une humilit desprit accompagne de larmes et venant du souvenir du pch et de la crainte du jugement". Cette dfinition indique la raison du nom de la contrition, en ce quelle la dit "humilit desprit" car de mme que lorgueil fait quune me sattache avec raideur son propre sentiment, ainsi cette me contrite shumilie-t-elle en se dtachant de son propre sentiment. Le mode extrieur de la contrition est aussi mentionn dans les mots: "accompagne de larmes" et son principe, indiqu dans les paroles finales: venant du souvenir du pch et de la crainte du jugement.

    Une autre dfinition tire des paroles mmes de saint Augustin, mentionne leffet de la confession: "La contrition est une douleur qui remet le pch".

    En voici encore une autre tire textuellement de saint Grgoire: "La contrition est une humilit desprit anantissant le pch entre lesprance et la crainte." Cette dfinition nous donne la raison du nom de contrition, en disant: humilit desprit. Leffet de la contrition, en disant "anantissant le pch" et son origine, en ajoutant: entre lesprance et la crainte. Elle ne dit pas seulement la cause principale qui est la crainte, mais aussi la cause simultane qui est lesprance, sans laquelle la crainte pourrait conduire au dsespoir.

    Solutions:

    1. Bien que les pchs aient t volontaires au moment o il nous est arriv de les commettre, ils ne sont plus volontaires ds que nous en avons la contrition, mais accidents contraires notre volont, non pas il est vrai la volont que nous avons eue quand nous les voulions, mais celle que nous avons prsentement et par laquelle nous voudrions que ces 1 naient jamais exist.

    2. La contrition est de Dieu seul, quant la forme qui lanime, mais quant la substance de lacte, elle est la fois du libre arbitre et de Dieu qui opre dans toutes nos oeuvres de nature et de volont.

    3. Bien que toute la peine puisse tre remise I'la contrition, la confession et la satisfaction restent cependant ncessaires, soit parce que lhomme ne peut pas tre certain que la contrition ait t suffisante pour tout effacer, soit aussi parce que la confession et la satisfaction sont de prcepte. On deviendrait donc transgresseur du prcepte, en refusant de se confesser et de satisfaire.

    ARTICLE 2: La contrition est-elle un acte de vertu?

    Objections:

    1. La contrition ne semble pas tre un acte de vertu. Les passions en effet ne sont pas des actes de vertu car "elles ne nous mritent ni louanges, ni reproches" comme dit Aristote. Or la douleur est une passion. La contrition tant donc une douleur, il ne semble pas quelle soit un acte de vertu.

    2. Les mots contrition et attrition viennent galement du latin "tritum" broy. Mais, de laveu de tous, lattrition nest pas un acte de vertu, donc la contrition non plus.

    Cependant:

    Rien nest mritoire que lacte de vertu. Or la contrition est un acte mritoire, donc aussi un acte de vertu.

    Conclusion:

    La contrition, nous en tenir au sens propre de son nom, ne signifie pas un acte de vertu, mais une passion corporelle. Ce nest pas cependant de sa signification nominale, quil est ici question, cest de la ralit que vise la signification

  • mtaphorique du nom. Or, de mme que lenflure de la volont propre, qui nous fait commettre le mal, comporte par elle-mme un dsordre qui est gnriquement un mal, ainsi le fait dannihiler, de broyer cette volont propre comporte t-il une rparation qui est gnriquement un bien. Car il y a l une dtestation de la propre volont par laquelle le pch a t commis. La contrition, qui signifie cette annihilation de la volont propre, comporte donc une certaine droiture de volont. Cest pour cela quelle est un acte de vertu, de cette vertu qui a pour objet propre la dtestation et la destruction du pch, savoir de la pnitence, comme on le voit par ce qui a t dit dans la r Distinction du IV Livre des Sentences.

    Solutions:

    1. Dans la contrition, il y a une double douleur du pch. Lune, qui est dans la sensibilit, est une passion, mais nest pas essentiellement la contrition, en tant quacte de vertu; elle est plutt son effet. De mme que la pnitence inflige au corps une peine extrieure en compensation de loffense que nous avons commise contre Dieu en nous servant de nos membres, ainsi inflige-t-elle la peine de la susdite douleur au concupiscible qui, lui aussi, a coopr au pch. Cette douleur peut cependant appartenir la contrition, en tant que la contrition est partie du sacrement, car les sacrements, de par leur nature de signes, ne sont pas constitus seulement par des actes intrieurs, mais aussi par des actes extrieurs et des choses sensibles.

    Il y a, dans la volont, une autre douleur, qui nest pas autre chose que le dplaisir dun mal et qui est ainsi nomme en tant quon peut appliquer aux affections de la volont, les noms des passions, comme on la dit dans le III livre des Sentences, dist. 26. Cest ce titre que la contrition est essentiellement une douleur, en mme temps quun acte de la vertu de pnitence.

    2. Lattrition marque une tape vers la contrition parfaite. Cest ainsi que dans les choses corporelles on dit: brises, attrita, les choses qui sont dj en morceaux, mais pas encore tout fait en poussire. On les dit broyes, contrita, lorsque toutes les parties sont si bien crases que la division en est pousse lextrme. Lattrition signifie donc, dans les choses spirituelles, un certain dplaisir des pchs commis, qui est encore imparfait, tandis quil est parfait dans la contrition.

    ARTICLE 3: Lattrition peut-elle devenir contrition?

    Objections:

    1. Il semble bien que lattrition puisse devenir contrition. La contrition, en effet, diffre de lattrition, comme la ralit, qui a sa forme, de celle qui ne la pas encore. Or la foi passe de ltat de foi sans forme, celui de foi anime par sa forme. Donc lattrition peut devenir contrition.

    2. La matire reoit sa perfection, quand dis-. parat la privation (du bien que comporte cette perfection). Or la douleur est, pour la grce, ce quest la matire pour la forme, puisque cest la grce qui donne la douleur son efficacit spi rituelle. La douleur qui, tant quexistait le pch, tait dabord sans forme cest--dire prive de la grce, reoit donc, ds que le pch a disparu, la parfaite information de la grce, et nous revenons ainsi la mme conclusion que dans lobjection prcdente.

    Cependant:

    De deux choses qui ont des principes diffrents, lune ne peut pas devenir lautre. Or le principe de lattrition est la crainte servile, celui de la contrition, la crainte filiale; lattrition ne peut donc pas devenir contrition.

    Conclusion:

    Sur cette question, il y a deux opinions. Certains thologiens disent que lattrition devient contrition comme la foi sans forme devient foi vivifie par sa forme. Mais cest l, semble t-il, une impossibilit. La disposition habituelle de foi qui na pas encore sa forme, peut bien, la vrit, la recevoir; mais jamais lacte mme dune foi sans forme ne peut devenir lacte dune foi vivifie par sa forme; car lacte de foi priv de forme passe et nest plus, quand vient la charit. Or lattrition et la contrition ne signifient pas une disposition habituelle, mais seulement un acte. De plus, les dispositions habituelles des vertus infuses, qui appartiennent la volont, ne peuvent pas exister sans leur forme, puisquelles suivent la charit. Do il sait quavant linfusion de la grce, on na pas dans lme cette disposition habituelle do sortira lacte de contrition, quand la grce sera l. Lattrition ne peut donc daucune faon devenir contrition. Cest ce que soutient la seconde opinion

    Solutions:

    1. Il ny a point parit entre la foi et la contrition, comme nous lavons dit (dans la conclusion).

    2. Cest la mme matire qui reoit la forme dont elle tait prive, quand il sagit dune matire qui demeure au moment o la perfection qui lui arrive en chasse la privation. Mais la douleur de lacte de contrition, qui tait sans forme, est un acte pass, quand la charit arrive et ne peut donc plus en recevoir sa forme.

  • Ou bien il faut faire cette autre rponse. La matire ne recevant pas son essence, de la forme, comme lacte la reoit de la disposition habituelle qui dtermine sa forme, il ny a pas dinconvnient ce quune matire reoive une nouvelle forme quelle navait pas auparavant. Mais quand il sagit dun acte, cest aussi impossible quil est impossible une ralit individuelle, de recevoir ltre dun principe dont elle ne lavait dabord pas reu, car une ralit nest amene ltre quune seule fois.

    2 QUESTION 2: DE LOBJET DE LA CONTRITION.

    Ayant maintenant traiter de lobjet de la contrition, nous avons six questions rsoudre Lhomme doit-il avoir la contrition: 1. des peines du pch? -2. du pch originel? -3. de tout pch actuel commis par lui-mme? -4. du pch actuel quil commettra lavenir? -5. du pch commis par dautres? 6. de chaque pch mortel en particulier

    ARTICLE 1: L homme doit-il avoir la contrition, non seulement de la faute elle-mme, mais encore de ses peines?

    Objections:

    1. Il semble bien que lhomme doive avoir la contrition des peines du pch et non seulement de la faute. Saint Augustin dit, en effet, dans le livre De Paenitentia: "Personne ne dsire la vie ternelle, sil ne regrette pas cette vie mortelle". Or la mortalit de notre vie est une peine. Cest donc que le pnitent doit regretter aussi les peines du pch.

    2. Nous avons dit (IV Livre des Sentences, Dist. 16, c. i), daprs les textes de saint Augustin, que le pnitent doit regretter de stre priv de vertu. Or cette privation de vertu est une peine. La contrition est donc une douleur qui a aussi les peines pour objet.

    Cependant:

    Nul ne garde ce dont il gmit. Or le pnitent, daprs la signification mme de son nom, garde sa peine. Il ne la regrette donc pas et la contrition, qui est une douleur pnitentielle, na point pour objet la peine du pch.

    Conclusion:

    Lide de contrition implique lmiettement de quelque chose de dur et dentier. Or ce bloc et cette duret se trouvent dans le mal de faute, parce que la volont, qui en est cause dans celui qui agit mal, sentte en ses dterminations, sans vouloir cder aux prceptes de la loi. Cest pourquoi le dplaisir de ce mal sappelle mtaphoriquement contrition. Mais cette mtaphore ne peut pas sappliquer au mal de peine, parce que la peine dit simplement une diminution de bien. Cest pourquoi les maux de peine peuvent tre sujet de douleur, mais non de contrition.

    Solutions:

    1. Daprs saint Augustin, on doit regretter cette vie mortelle, non pas prcisment parce quelle est mortelle, moins que le regret ne soit pris au sens large de douleur quelconque, mais cause des pchs auxquels nous conduit linfirmit de cette vie.

    2. Cette douleur, qui nous fait regretter la perte de la vertu par le pch, nest pas essentiellement la contrition elle-mme, mais son principe. De mme, en effet, quon est amen dsirer quelque chose cause du bien quon en attend, ainsi est on amen regretter quelque chose, cause du mal qui sen est suivi.

    ARTICLE 2: Devons-nous avoir la contrition du pch originel?

    Objections:

    1. Il semble que nous devions avoir la contrition du pch originel. Si nous devons avoir la contrition du pch actuel, ce nest pas cause de son acte en tant quil est une certaine ralit, niais cause de sa difformit, car lacte, dans sa substance, est un bien et vient de Dieu. Or le pch originel implique une difformit tout comme le pch actuel. Il peut donc tre, lui aussi, objet de contrition.

    2. Par le pch originel, lhomme a t dtourn de Dieu, puisque sa peine tait la privation de la vision divine. Or nous devons tous regretter davoir t spars de Dieu. Lhomme doit donc regretter le pch originel et par consquent en avoir la contrition.

    Cependant:

    Le remde doit tre proportionn la maladie. Or cest sans acte de notre volont, que nous avons contract le pch originel. Lacte de volont, quest la contrition, nest donc pas requis pour que nous en soyons purifis.

    Conclusion:

    La contrition, avons-nous dit, est une douleur qui vise et, chine certaine faon, brise la duret de la volont. Elle ne peut donc avoir pour objet que les pchs qui proviennent en nous, de la duret de notre volont. Et comme le pch originel

  • nest pas entr en nous par un acte de notre volont, mais a t contract raison de lorigine de notre nature vicie, nous ne Pouvons pas en avoir la contrition proprement (lite, mais seulement du dplaisir et de la douleur.

    Solutions:

    1. La contrition na pas pour objet, dans le pch, la seule substance de lacte qui, ce titre, na pas raison de mal, ni la seule difformit, car la difformit na pas en elle-mme raison de faute, et peut tre quelquefois simplement une peine. Mais on doit avoir la contrition du pch, en tant que la double difformit (de faute et de peine) quil implique, provient dun acte de volont. Comme cela ne se trouve pas dans le pch originel, il nest pas objet de contrition.

    On doit rpondre de mme la seconde objection, car cest de laversion volontaire, quon doit avoir la contrition.

    ARTICLE 3: Devons-nous avoir la contrition de tout pch actuel?

    Objections:

    1. Il semble que nous ne devions pas avoir la contrition de tous les pchs actuels que nous avons commis. En effet, les contraires sont guris par leurs contraires. Or certains pchs, comme ceux dacdie et denvie, sont des pchs de tristesse. Leur remde doit donc tre dans la joie et non point dans la tristesse quest la contrition.

    2. La contrition est un acte de volont qui ne peut voir pour objet ce qui ne tombe pas sous notre connaissance. Or il y a des pchs dont flous navons plus la connaissance, comme les pchs oublis. Nous nen pouvons donc pas avoir la contrition.

    3. La contrition volontaire efface les pchs qui sont commis par la volont. Or lignorance supprime le volontaire, comme le montre Aristote. Nous navons donc pas nous repentir de ce qui nous arrive par ignorance.

    4. Nous navons pas nous repentir des pchs que la contrition nenlve pas. Or la contrition nenlve pas certains pchs, tels les pchs vniels, qui demeurent aprs la grce de la contrition. Nous navons donc pas nous repentir de tous nos pchs passs.

    Cependant:

    La pnitence est le remde de tous les pchs actuels. Or il ny a pas de pnitence sans la contrition qui en est la premire partie. Cest donc que nous devons avoir la contrition de tous nos pchs.

    Dailleurs aucun pch n'est remis moins quon en soit justifi. Or pour la justification, il faut la contrition, comme on la dj dit. Cest donc de tout pch, quil nous faut avoir la contrition.

    Conclusion:

    Toute faute actuelle vient de ce que notre volont ne cde pas la pression la loi de Dieu, soit en transgressant ses dfense soit en omettant ce quelle commande, soit agissant en dehors de ses directions. Or le dur est prcisment ce qui a la puissance de ne pas se laisser impressionner facilement. Il y a donc dans tout pch actuel, une certaine duret de la volont. Cest pour cela que, si le pch doit guri, il ne peut ltre que par une contrition qui broie la volont.

    Solutions:

    1. Ainsi que nous venons de le voir, la contrition est le contraire du pch, en tant quil procde dune lection volontaire refusant de suivre la direction imprative de la loi divine, et non pas en tant quil est acte matriel. Cest ce quil y a de volontaire qui est prcisment lobjet de llection. Mais llection volontaire na pas seulement pour objet les actes des autres facults que la volont emploie ses propres fins, mais aussi lacte propre de la volont elle-mme, car la volont veut vouloir telle ou telle chose. Cest ainsi que la volont peut vouloir cette douleur ou tristesse qui se trouve dans le pch denvie ou dautres de mme genre, douleur de la sensibilit ou de la volont elle- mme. Voil pourquoi la douleur de la contrition soppose ces pchs.

    2. On peut oublier une chose de deux faons. Loubli peut tre tel que le souvenir en soit compltement effac de la mmoire. Tout effort pour le rappeler est alors inutile. Il peut au contraire ntre que partiel, comme lorsque nous nous rappelons avoir entendu parler dune chose dont nous avons retenu le genre, mais dont nous ne savons plus lespce. Alors nous cherchons prciser ce souvenir.

    Ces deux sortes doubli se retrouvent, quand il sagit du pch. Parfois nous en avons gard un souvenir confus, mais nous nen avons plus de souvenir prcis. Nous devons alors nous efforcer de retrouver ce souvenir prcis du pch, car nous devons avoir la contrition de chaque pch mortel en particulier. Si lon narrive pas prciser ce souvenir, il suffit davoir la contrition de ce pch comme on le connat. On doit alors gmir non seulement sur le pch, mais encore sur cet oubli qui provient de la ngligence.

    Cependant si le souvenir dun pch a compltement disparu de la mmoire, limpuissance de faire la rparation qui serait strictement due nous en excuse et il nous suffit alors davoir la contrition gnrale de tout ce en quoi nous avons

  • offens Dieu. Mais quand cette impuissance disparat, comme lorsque le souvenir de ce pch se rveille, nous sommes tenus alors den faire acte spcial de contrition. Cest ainsi que le pauvre, excus par son impuissance de payer ses dettes, y est tenu ds quil le pourra.

    3. Si lignorance supprimait tout fait la volont de mal agir, nous serions excuss et il ny aurait pas de pch. Mais parfois lignorance ne supprime pas compltement le volontaire et alors elle nexcuse pas compltement du pch; elle en diminue seulement la gravit, auquel cas lhomme doit avoir la contrition du pch ainsi commis par ignorance.

    4. Le pch vniel peut rester, aprs que nous avons eu la contrition dun pch mortel, mais non pas aprs la contrition de ce pch vniel. Cest pourquoi nous devons avoir la contrition des pchs vniels, de la mme faon que nous en devons faire pnitence, comme on la dit prcdemment.

    ARTICLE 4: Devons-nous avoir la contrition de nos pchs futurs?

    Objections:

    1. Il semble que nous devions avoir aussi la contrition de nos pchs futurs. La contrition est en effet un acte du libre arbitre. Or le libre arbitre a beaucoup plus faire futur quau pass, puisque llection qui est un acte du libre arbitre, a pour objet les futurs contingents, comme il est dit au III livre des Ethiques. On doit donc avoir la contrition des pchs futurs plus que des pchs passs.

    2. Le pch saggrave de ses consquences: do ce dire de saint Jrme, que la peine dArius nest pas encore dtermine, parce quil est encore possible que son hrsie fasse de nouvelles victimes, dont la ruine augmentera sa peine. Il faut dire autant de celui qui est reconnu homicide par sentence judiciaire, mme avant que mort celui quil a frapp, si la blessure est mortelle. Or dans le temps qui scoule entre le pch et ses consquences, le pcheur doit avoir la contrition de son pch, par consquent non seulement de la gravit quil a en fonction de lacte pass, mais aussi de celle que doit lui donner lavenir et cest ainsi que la contrition sintresse lavenir.

    Cependant:

    La contrition est une partie de la pnitence. Or la pnitence a toujours pour objet des faits passs, donc aussi la contrition, quon ne saurait avoir dun pch futur.

    Conclusion:

    Dans toutes les associations ordonnes de moteurs et de mobiles, le moteur infrieur a son mouvement propre en plus duquel il suit le mouvement du moteur suprieur, comme on le voit dans le mouvement des plantes qui, en plus de leur mouvement propre, suivent le mouvement du premier monde. Or dans toutes les vertus, le premier moteur est la prudence quon appelle la conductrice des vertus. Toute vertu morale a donc, en plus de son mouvement propre, quelque chose du mouvement de la prudence. Do la pnitence, qui est une vertu morale, tant partie de la justice, suit, elle aussi, le mouvement de la prudence tout en ayant son acte propre.

    Mais on acte propre sexerce sur son objet propre qui est le pch dj commis. Cet acte l)1 et principal, qui est la contrition, a donc seulement pour objet spcial le pch pass. Cest par voie de consquence et en tant qu son acte propre se joint quelque chose de celui de la prudence, que la pnitence sintresse lavenir.

    Mais ce nest point en vertu de son activit proprement spcifique, quelle soccupe de cet avenir. Voil pourquoi celui qui a la contrition regrette le pch pass et prend garde au futur. Mais on ne dit pas quil a la contrition du pch futur, on dit plutt quil se met en garde, ce qui est une partie de la prudence sajoutant lacte propre de la contrition.

    Solutions:

    1. On dit que le libre arbitre a pour objet les futurs contingents, en tant quil sagit dactes et non pas de lobjet de ces actes. Lhomme peut en effet dlibrer, avec son libre arbitre, sur des choses passes et ncessaires, lacte de sa dlibration restant cependant, en tant quobjet du libre arbitre, un futur contingent. Cest ainsi que lacte de contrition est un contingent en tant quil est objet du libre arbitre, alors que son objet, lui, peut tre le pass.

    2. Ces consquences, qui aggravent le pch, taient dj dans son acte, comme dans leur cause; cet acte a donc eu toute sa gravit au moment o il a t commis, leffet qui sen suit najoute rien la gravit essentielle de la faute elle-mme, bien quil ajoute quelque chose la peine accidentelle de cette faute, en tant que le pcheur aura, en enfer, de plus nombreuses raisons de regretter les maux plus nombreux qui auront t la consquence de son pch. Voil ce que veut dire saint Jrme. On ne doit donc avoir la contrition que des pchs passs.

    ARTICLE 5: Devons-nous avoir la contrition du pch dautrui?

    Objections:

  • 1. Il semble que nous devrions avoir la contrition du pch dautrui. On ne demande point pardon, si ce nest du pch dont on a la contrition. Or au Psaume 18, 13, on demande pardon des pchs dautrui "Des pchs dautrui, donne le pardon ton serviteur". Nous devons donc avoir la contrition des pchs dautrui.

    2. La charit nous fait un devoir daimer notre prochain comme nous-mmes. Or cause de cet amour de nous-mmes, nous pleurons nos maux et dsirons le bien. Etant donc tenus de dsirer pour le prochain les mmes biens de grce que nous dsirons pour nous, nous devrions, semble- t-il, pleurer ses pchs comme les ntres. Mais la contrition nest pas autre chose que le douloureux regret du pch. Nous devons donc avoir la contrition des pchs dautrui.

    Cependant:

    La contrition est un acte de la vertu de pnitence. Or personne ne fait pnitence que de ce quil a fait lui-mme. Personne donc na la contrition des pchs dautrui.

    Conclusion:

    Ce qui est broy par la contrition est le mme vouloir qui tait auparavant dur et entier. Il faut donc que la contrition du pch soit dans le mme vouloir que raidissait auparavant la duret du pch. Il ny a donc pas de contrition des pchs dautrui.

    Solutions:

    1. Le prophte demande quon lui pardonne les pchs dautrui, en tant que celui qui est associ aux pcheurs peut contracter quelquimpuret par lassentiment quil leur donne, ainsi quil est crit au psaume 17, V. 27: "Avec le pervers, tu deviens pervers".

    2. Nous devons pleurer les pchs des autres, mais nous navons pas en veiller en nous la contrition, car toute douleur du pch pass n pas de la contrition.

    ARTICLE 6: La contrition de chaque pch mortel en particulier est-elle requise?

    Objections:

    1. Il semble que la contrition de chaque pch mortel en particulier ne soit pas requise. Dans la justification, en effet, le mouvement de contrition est instantan. Or lhomme ne peut pas, en un instant, se remettre en mmoire chacun de ses pchs en particulier.

    2. Nous devons avoir la contrition de nos pchs en tant quils nous dtournent de Dieu, car la contrition nest pas exige, quand nous allons la crature, sans nous dtourner de Dieu. Or tous les pchs mortels se ressemblent du ct de laversion. Il suffit donc de leur opposer une seule et mme contrition.

    3. Les pchs mortels actuels se ressemblent plus entre eux que le pch actuel et loriginel. Or un seul baptme efface tous les pchs actuels et le pch originel. Donc une seule contrition gnrale efface tous les pchs mortels.

    Cependant:

    Des maladies diffrentes il faut des remdes diffrents, car "ce qui gurit loeil ne gurit pas le talon", comme dit saint Jrme dans son commentaire sur ce passage de Marc "Ce genre de dmon ne peut sen aller que dans le jene et la prire". Or la contrition est un remde particulier pour un pch mortel en particulier. Il ne suffit donc pas dune contrition commune pour tous les pchs.

    Dailleurs, la contrition se manifeste par la confession. Or il faut confesser chaque pch mortel, donc aussi avoir la contrition de chacun de ces pchs.

    Conclusion:

    On peut considrer la contrition sous deux aspects, dans son principe et dans son terme; et jappelle principe de la contrition, la pense que quelquun donne son pch, pour le regretter, sinon avec une douleur de contrition, du moins avec une douleur dattrition. La contrition est son terme, quand la grce donne cette douleur, sa forme. Sil sagit donc d principe de la contrition, ce mouvement de contrition doit porter sur chacun des pchs dont on a le souvenir, mais quant au terme de la contrition, il suffit quon ait une contrition commune de tous ses pchs, car ce mouvement agit en vertu de toutes les dispositions prcdentes.

    Solutions:

    1. Lexpos de notre conclusion donne rponse la premire objection.

    2. Si tous les pchs se ressemblent quant au mouvement daversion, ils diffrent cependant quant la cause et au mode de cette aversion et quant au degr dloignement lgard de Dieu, et ces diffrences viennent de la diversit du mouvement de conversion au bien cr.

  • 3. Le baptme agit en vertu du mrite du Christ, dont la vertu infinie stend la rmission de tous les pchs. Cest pourquoi un seul baptme suffit contre tous les pchs. Mais, dans la contrition, il faut quau mrite du Christ se joigne notre acte nous et que cet acte, par consquent, rponde chaque pch en particulier, puisquil na pas une vertu infinie pour la contrition.

    Ou bien il faut dire que le baptme est une gnration spirituelle, tandis que la pnitence, quant la contrition et ses autres parties, nest quune gurison spirituelle qui agit par manire de Changement daccident. Or il est vident que la gnration corporelle dun tre, gnration qui implique la corruption de ltre prcdent, fait disparatre tous les accidents de ltre dtruit, qui taient contraires ceux de ltre produit. Le changement accidentel, au contraire, ne fait disparatre que le seul accident contraire laccident nouveau qui est le terme de cette altration. Cest ainsi quun seul baptme efface tous les pchs par la vie nouvelle quil engendre; tandis que la pnitence nefface que chacun des pchs sur lesquels elle porte. Cest pourquoi chacun deux doit tre lobjet de la contrition et de la confession.

    3 QUESTION 3: DE LINTENSIT DE LA CONTRITION.

    Au sujet de lintensit de la contrition dont nous devons parler maintenant trois questions se posent: 1. La douleur de la contrition est-elle la plus grande qui puisse tre dans la nature? -2. Peut-elle tre excessive? -3. Doit-elle tre plus grande pour un pch que pour lautre?

    ARTICLE 1: La contrition est-elle la plus grande douleur qui puisse tre dans la nature?

    Objections:

    1. Il semble bien que la contrition ne soit pas la plus grande douleur qui puisse tre dans la nature. La douleur est le sentiment dune lsion. Mais certaines lsions sont plus vivement senties que la lsion du pch, telle, celle dune blessure. La contrition nest donc pas la plus grande douleur.

    2. Nous devons juger de la cause par son effet. Or leffet de la douleur, ce sont les larmes; et puisquil arrive quun homme cependant contrit ne verse pas les larmes que lui font verser la mort dun ami, une blessure ou quelque peine de ce genre, cest que la contrition ne parat pas tre la plus grande des douleurs.

    3. Plus une qualit reste mle son contraire, moins elle est intense. Or la douleur de la contrition est mlange de beaucoup de joie, car lhomme contrit se rjouit de sa libration du pch, de lesprance de son pardon et de beau coup de choses de ce genre. Il na donc quun minimum de douleur.

    4. La douleur de la contrition est un certain dplaisir. Mais il y a beaucoup de choses qui dplaisent plus lhomme contrit, que ses pchs passs; car il ne voudrait pas souffrir la peine de lenfer, plutt que de pcher, ni avoir souffert, ou souffrir toutes les peines temporelles. Autrement on trouverait bien peu dhommes contrits. La douleur de contrition nest donc pas la plus grande des douleurs.

    Cependant:

    Daprs saint Augustin "toute douleur est fonde sur lamour". Or lamour de charit, sur lequel est fonde la douleur de contrition, est le plus grand des amours. La douleur de contrition doit donc tre, elle aussi, la plus grande des douleurs.

    Dailleurs, la douleur a pour objet le mal. Si donc le mal est plus grand, plus grande doit tre la douleur. Or la faute est un plus grand mal que la peine. Cette douleur de la faute, quest la contrition, doit donc surpasser toute autre douleur.

    Conclusion:

    Il y a, dans la contrition, une double douleur. Lune, qui est essentiellement la contrition, affecte la volont et nest pas autre chose quun dplaisir du pch pass. Cette douleur, dans la contrition, surpasse toutes les autres douleurs; car plus une chose nous plat, plus son contraire nous dplat. Or la fin dernire nous plat par-dessus tout, puisque cest pour cette fin dernire, que nous dsirons tout le reste. Do le pch, qui nous dtourne de cette fin dernire, doit nous dplaire par-dessus tout.

    Il y a, dans la sensibilit, une autre douleur (lui vient de cette premire douleur de volont, soit par une consquence naturelle et ncessaire, en tant que les facults infrieures suivent le mouvement des suprieures, soit par lection de volont, en tant que le pnitent excite en lui cette douleur pour pleurer ses pchs. Mais il nest pas ncessaire que cette douleur de sensibilit, de quelque faon quelle soit produite, soit la plus grande des douleurs; car les facults infrieures sont plus fortement mues par leurs objets propres, que par le retentissement du mouvement des facults suprieures. Cest pourquoi, plus lopration des facults suprieures se rapproche des objets des facults infrieures, plus ces dernires suivent le mouvement des premires. Il sen suit que la douleur provenant dune lsion sensible est plus grande dans la sensibilit que celle qui peut sveiller sous le retentissement de la douleur de raison. De mme la douleur excite dans la sensibilit par une dlibration rationnelle sur des choses corporelles est plus grande que celle

  • provenant de la raison considrant les choses spirituelles. En consquence, la douleur de la sensibilit provenant du dplaisir que la raison conoit du pch nest pas une douleur plus grande que les autres douleurs qui affectent cette mme sensibilit. Il en va de mme de la douleur volontairement excite, soit parce que la facult infrieure nobit pas parfaitement la facult suprieure, en sorte que lintensit et la qualit de la passion dans lapptit infrieur soient exactement ce quordonne lapptit suprieur, soit aussi parce que les passions voulues par la raison, dans les actes de vertu, gardent une certaine mesure que ne garde pas et que dpasse la douleur qui ne dpend pas de la vertu.

    Solutions:

    1. De mme que la douleur sensible a pour objet la sensation de la lsion, ainsi la douleur intrieure a-t-elle pour objet la connaissance de quelque chose de nuisible. Cest pourquoi la lsion du pch, bien quelle ne soit pas perue par le sens extrieur, est perue comme souverainement grande par le sens intrieur de la raison.

    2. Les modifications de notre tat corporel dpendent immdiatement des passions de la sensibilit, et, seulement par leur intermdiaire, des affections de la volont. De l vient que la douleur de sensibilit ou mme le simple mal sensible font couler les larmes corporelles, plus vite que la douleur spirituelle.

    3. La joie, que le pnitent a de sa douleur, ne diminue pas son dplaisir du pch, parce quelle nest pas contraire ce dplaisir. Bien plus, elle laugmente en tant que toute opration sintensifie par le plaisir qui lui est attach, comme le dit Aristote dans les Ethiques, L. 10. Cest ainsi que celui qui prend plaisir ltude dune science, lapprend mieux. De mme celui qui se rjouit de son dplaisir, sent ce dplaisir augmenter. Mais il peut arriver que cette joie tempre la douleur, en dbordant de la raison sur la sensibilit.

    4. Le degr de dplaisir quon a dune chose, doit correspondre au degr de la malice de cette chose. Or la malice du pch mortel se mesure la dignit de celui quil outrage et au mal quil fait celui qui pche. De plus, lhomme devant aimer Dieu plus que lui-mme, il doit, dans sa faute, har loffense de Dieu plus que le mal que cette faute lui fait lui-mme.

    Mais cest surtout en le sparant de Dieu, que la faute nuit au pcheur, et, de ce point de vue, cette sparation davec Dieu, qui est une peine, doit plus dplaire que la faute elle-mme en tant quelle nous cause ce mal, parce que ce qui nous est odieux cause dune autre chose, nous est moins odieux que cette autre chose. Toutefois cette peine de la sparation doit nous tre moins odieuse que la faute elle-mme, en tant quelle est offense de Dieu.

    Mais entre toutes les peines de la malice du pch, il y a une gradation mesure par la gravit du dommage quelles nous causent. Do, le plus grand dommage tant celui qui nous prive du plus grand bien, la plus grande des peines est la sparation davec Dieu.

    Il y a aussi une autre mesure de malice accidentelle quil nous faut considrer dans cette question du dplaisir du pch, cest celle qui vient de la diffrence entre le prsent et le pass. Ce qui est pass nest plus, do la diminution de sa raison de malice ou de bont. De l vient que lhomme a plus horreur dun mal souffrir dans le prsent ou dans lavenir, que dun mal pass. Cest pourquoi il ny a pas, dans lme, de passion correspondant directement au mal pass, comme la douleur rpond au mal prsent ou futur. Il sen suit que, de deux maux passs, le plus odieux pour lesprit est celui dont leffet se fait sentir davantage dans le prsent ou inspire plus de crainte pour lavenir, mme si, dans le pass, ctait le moindre mal. De plus, leffet de la faute prcdente est parfois moins vivement peru que leffet de la peine passe, soit parce que la faute est plus parfaitement gurie que certaine peine, soit parce quun mal corporel est plus manifeste quun mal spirituel. Il sen suit que mme un homme bien dispos sent parfois en lui plus dhorreur de la peine prcdente, que de la faute prcdente, bien quil soit prt souffrir cette mme peine, plutt que de commettre cette mme faute.

    Il faut aussi considrer, dans cette comparaison de la faute et de la peine, que certaines peines, comme la sparation davec Dieu, impliquent insparablement une offense de Dieu et que dautres, comme la peine de lenfer, ont aussi, en plus, le caractre de peines perptuelles. De la peine qui implique une offense de Dieu, on doit donc se garder de la mme faon que de la faute. Quant celle qui ajoute cela un caractre de perptuit, on doit la fuir absolument plus que la faute. Si cependant on spare de ces peines leur caractre doffense et que lon regarde seulement ce quelles ont de pnal, elles ont alors moins de malice que la faute en tant quelle est offense de Dieu, et, pour cela, doivent causer moins de dplaisir.

    On doit savoir aussi, que, bien que telle doive tre la disposition du pcheur contrit, il ne faut pas le tenter ce sujet, car lhomme ne peut pas facilement mesurer ses affections et quelquefois ce qui lui dplat le moins parat lui dplaire le plus, parce quil sagit dune chose plus voisine du dommage sensible qui nous est plus connu.

    ARTICLE 2: La douleur de contrition peut-elle tre excessive?

    Objections:

    1. Il semble que la douleur de contrition ne puisse pas tre excessive. Aucune douleur en effet ne peut tre plus immodre que celle qui dtruit le sujet quelle affecte. Or la douleur de la contrition est louable, quand elle est si

  • grande, quelle amne la mort ou la n Voici en effet ce que dit saint Anselme: "Plaise Dieu que les entrailles de mon me soient telle- tuent pntres de componction, que la moelle de mon corps en soit dessche", et saint Augustin dit "quil mrite de pleurer jusqu en devenir aveugle". Cest donc que la douleur de contrition ne peut tre excessive.

    2. La douleur de contrition procde de lamour de charit. Or lamour de charit ne peut pas tre excessif, donc la douleur non plus.

    Cependant:

    Toute vertu morale est sujette la corruption par excs ou par dfaut. Or la contrition est un acte de vertu morale, savoir de la pnitence qui est partie de la justice. Donc il peut y avoir excs dans la douleur du pch.

    Conclusion:

    La contrition, du ct de la douleur qui est dans la raison, cest--dire du dplaisir que nous avons du pch, en tant quil est offense de Dieu, ne peut pas tre excessive, pas plus que ne peut tre excessif lamour de charit dont lintensit fait celle de ce dplaisir. Mais quant la douleur sensible, elle peut tre excessive, comme peut ltre toute mortification corporelle.

    En tout ceci, on doit prendre, pour mesure, la conservation du sujet quaffecte la contrition et dun bon tat habituel qui suffise aux occupations obligatoires du pnitent. Cest pourquoi lEptre aux Romains nous dit "Que votre service soit raisonnable".

    Solutions:

    1. Saint Anselme dsirait que lardeur de la dvotion desscht les moelles de son corps, non pas quant la moelle matrielle de la nature corporelle, mais quant aux dsirs et concupiscences de ce corps. Quant saint Augustin, il se jugeait vraiment digne de perdre les yeux du corps, cause de ses pchs, Car tout pcheur mrite la mort corporelle et non seulement lternelle, mais il navait nul dsir de senlever la vue.

    2. La raison donne dans cette objection se rapporte la douleur qui est dans la raison.

    Quant la raison du celle sapplique la douleur de sensibilit.

    ARTICLE 3: Devons-nous avoir plus de douleur dun pch que dun autre?

    Objections:

    1. Il semble que nous ne devions pas avoir plus de douleur dun pch que dun autre. Saint Jrme loue sainte Paule de ce quelle pleurait les plus petits pchs tout comme les grands. Cest donc que nous ne devons pas pleurer un pch plus quun autre.

    2. Le mouvement de contrition est instantan. Or un seul mouvement ne peut pas avoir en mme temps divers degrs dintensit. La contrition ne doit donc pas tre plus grande pour un pch que pour un autre.

    3. Cest surtout en tant que le pch nous dtourne de Dieu, quon en a la contrition. Or, en ce mouvement daversion, tous les pchs se ressemblent, puisque tous enlvent la grce qui unit lme Dieu. On doit donc avoir gale contrition de tous les pchs mortels.

    Cependant:

    On dit dans le Deutronome: "A la mesure du pch, sera la mesure des coups". Or cest dans la contrition, que stablit la proportion des coups avec le pch, puisque la contrition implique la rsolution de satisfaire. La contrition doit donc tre plus grande pour un pch que pour lautre.

    Dailleurs, lhomme doit avoir la contrition de ce quil devait viter. Or si lhomme se trouvait clans lalternative de faire lun ou lautre de deux pchs, il devrait viter le plus grave, plutt que lautre. Ainsi donc doit-il de mme avoir plus de contrition dun pch, que dun autre.

    Conclusion:

    De la contrition nous pouvons parler de deux faons: 1 en tant quelle correspond chaque pch pris en particulier Ainsi considre, la douleur de contrition, en tant quelle est douleur de volont, doit tre plus grande pour un pch plus grave, parce que la raison de cette douleur, loffense de Dieu, est plus grande dans un pch que dans lautre, un acte plus dsordonn offensant Dieu davantage. De mme aussi la douleur de sensibilit, en tant quelle est volontairement excite comme expiation du pch, doit tre plus grande pour un plus grand pch qui mrite une plus grande peine. Cependant le degr de cette mme douleur, en tant quelle rsulte de limpression de lapptit suprieur sur linfrieur, dpend de la disposition de la sensibilit recevoir limpression de la volont et non pas de la gravit du pch. 2 La contrition peut tre considre en tant quelle porte sur tous les pchs en mme temps, comme dans lacte de la justification. Cette contrition gnrale elle-mme, ou bien procde dune considration distincte de chaque pch,

  • auquel cas, son acte bien quil soit Un, contient virtuellement cette distinction des pchs; ou bien elle implique au moins la volont de penser chacun des pchs et par consquent une disposition habituelle regretter lun plus que lautre.

    Solutions:

    1. Sainte Paule nest pas loue de ce quelle pleurait galement tous les pchs, mais de ce quelle pleurait de petits pchs autant que dautres en auraient pleur de grands. Quant elle-mme, elle et pleur beaucoup plus encore des fautes plus graves.

    2. Dans cet acte instantan de contrition, bien quon ne puisse pas trouver actuellement la distinction dintentions portant sur chacun des diffrents pchs, on ly trouve virtuellement, comme on la dit dans la conclusion. On ly trouve aussi dune autre faon, en tant que chaque pch a une certaine relation avec loffense de Dieu qui, dans cette contrition gnrale, est lobjet du regret du coeur contrit. Celui qui aime un tout, aime en puissance ses parties, bien quil ne les aime pas en acte, et de cet amour en puissance, il les aime plus ou moins selon la relation quelles ont avec le tout. Cest ainsi que celui qui aime une communaut, aime chacun de ses membres, mais plus ou moins, selon les relations de chacun avec le bien de la communaut. De mme, celui qui regrette davoir offens Dieu, a un regret implicitement diffrent de ses diffrents pchs, selon que, par eux, il a plus ou moins offens Dieu.

    3. Bien que tout pch mortel nous dtourne de Dieu en nous enlevant la grce, cependant lun nous loigne de Dieu plus que lautre, en tant que son dsordre est plus en dsaccord que celui de lautre pch, avec lordre de la divine bont.

    4 QUESTION 4: DU TEMPS DE LA CONTRITION.

    Ayant maintenant traiter du temps de la contrition, nous nous poserons trois questions 1. La contrition doit-elle durer toute la vie? -2. Est-il expdient de pleurer continuellement le pch? 3. Est-ce quaprs cette vie, les mes spares ont encore la contrition de leurs pchs?

    ARTICLE 1: La contrition doit-elle durer toute la vie?

    Objections:

    1. Il semble que la contrition ne doive pas durer tout le temps de cette vie. Il en est de la douleur du pch commis, comme de sa honte. Or la honte du pch ne dure pas toute la vie, car ainsi que le dit saint Ambroise "il na plus de quoi rougir, celui auquel le pch a t remis". Il semble donc quil en faille dire autant de cette douleur quest la contrition.

    2. Saint Jean nous dit que "la charit chasse la crainte, parce que la crainte a quelque chose de pnal"; or la douleur aussi a quelque chose de pnal. La douleur de contrition ne peut donc pas demeurer, quand vient ltat de charit parfaite.

    3. La douleur, ayant pour objet propre le mal prsent, ne peut avoir pour objet le pass, que si quelque chose du pch pass demeure dans le prsent. Or on peut arriver quelquefois, en cette vie, un tat o il ne reste plus rien du pch pass, ni disposition mauvaise, ni faute, ni dette daucune sorte. On na donc plus alors pleurer ce pch.

    4. LEptre aux Romains nous dit que "tout sert au bien de ceux qui aiment Dieu," mme leurs pchs, ajoute la Glose. Il ne faut donc plus pleurer le pch aprs sa rmission.

    5. La contrition est une partie de la pnitence correspondant cette autre partie quest la satisfaction. Or la satisfaction ne doit pas durer toujours, donc non plus la contrition.

    Cependant:

    Saint Augustin nous dit, dans le Livre De pnitentia. "Ds que la douleur cesse, la pnitence fait dfaut et o manque la pnitence, rien ne reste du pardon". Il semble donc que, devant ne pas perdre le pardon qui nous a t concd, nous devions toujours pleurer le pch.

    Dailleurs, on nous dit dans lEcclsiastique "Au sujet du pch pardonn, ne sois pas sans crainte". Lhomme doit donc avoir toujours la douleur des pchs, pour en avoir le pardon.

    Conclusion:

    Dans la contrition, comme on la dit, il y a une double douleur, une douleur de raison qui est la dtestation du pch quon a commis, et une douleur de sensibilit qui est la consquence de la premire. Ces deux douleurs doivent durer, tant que dure ltat de la vie pr sente. Car tant quun voyageur est en chemin, il regrette les obstacles qui empchent ou retardent son arrive au terme. Or le retard que le pch pass a mis la course de notre vie vers Dieu demeure, puisque nous ne pouvons pas retrouver ce temps du pch qui aurait d tre employ courir. Il faut donc que, pendant tout le cours de cette vie, la contrition demeure en tant quelle est une dtestation du pch.

  • De mme elle doit demeurer en tant que douleur sensible voulue comme peine, par la volont. Lhomme, en effet, ayant mrit, en pchant, une peine ternelle, et pch contre un Dieu ternel, doit du moins en garder la douleur pendant toute son ternit dhomme, cest--dire pendant toute la vie dici-bas, quand la peine ternelle a t commue en peine temporelle. Cest pourquoi Hugues de Saint-Victor nous dit "que Dieu dliant lhomme de la faute et de la peine ternelle, le lie du lien dune perptuelle dtestation du pch".

    Solutions:

    1. La confusion na pour objet que ce quil y a de turpitude dans le pch; une fois le pch remis quant la faute, il ny a plus lieu den avoir honte; mais il y a place encore pour la douleur qui na pas seulement pour objet ce quil y a de honteux dans la faute, mais aussi ce quelle a de nuisible.

    2. La crainte servile, que la charit chasse, est en opposition avec la charit, raison de sa servilit qui sinquite surtout de la peine. La douleur de contrition, au contraire, a sa cause dans la charit, comme on la dit. Il ny a donc point parit.

    3. Mme quand, par la pnitence, le pcheur revient son ancien tat de grce et se libre de toute dette de peine, il ne revient jamais la dignit premire de son innocence -et par con squent, il reste toujours en lui quelque chose de son pch pass.

    4. De mme que lhomme ne doit jamais faire le mal pour quen advienne le bien, ainsi ne doit-il jamais se rjouir du mal cause des biens qui, loccasion de ce mal, lui sont arrivs par la grce de Dieu et laction de la Providence. Ce ne sont pas les pchs qui ont t la cause de ces biens, ils leur ont plutt fait obstacle; cette cause est en la divine Providence et cest de son action que lhomme doit se rjouir, tout en pleurant ses pchs.

    5. La satisfaction a pour objet une peine limite qui doit tre inflige pour le pch; elle peut donc avoir un terme au del duquel on na plus satisfaire. Cette peine rpond principalement au mouvement de conversion do la faute a son caractre fini. La douleur de contrition, au con traire, rpond au mouvement daversion do la faute reoit un certain caractre dinfini. De l vient que la contrition doit toujours durer et il ny a rien dirrationnel ce quelle demeure, alors que la satisfaction est termine.

    ARTICLE 2: Est-il bon de continuellement le pch?

    Objections:

    1. Il semble quil ne soit pas bon de pleurer continuellement le pch. Il est en effet bon parfois de se rjouir, comme on le voit par cette parole de saint Paul aux Philippiens: "Rjouissez-vous dans le Seigneur, toujours", parole que la glose ordinaire commente en disant qu'"il est ncessaire de se rjouir". Or il nest pas possible de se rjouir et de pleurer en mme temps. Donc il nest pas bon de pleurer continuellement le pch

    2. La tristesse perptuelle est mauvaise, do lEcclsiastique, aprs avoir dit: "Chasse loin de toi la tristesse", ajoute: "Car la tristesse tue beaucoup de gens et na aucune utilit". Cest ce que dit expressment aussi Aristote. On ne doit donc pas pleurer son pch plus quil ne faut pour que ce pch soit effac. Mais aussitt aprs la premire tristesse de contrition, le pch est effac. Il nest donc pas bon de pleurer plus longtemps.

    3. Saint Bernard nous dit: "La douleur est bonne, si elle nest pas continuelle, car il faut mler le miel labsinthe". Il semble donc quil ne soit pas bon davoir une douleur continuelle.

    Cependant:

    Voici ce que dit saint Augustin "Que le pnitent pleure toujours et se rjouisse de sa douleur".

    Dailleurs il nous est bon dexercer continuellement, autant que possible, les actes dans lesquels consiste la batitude. Or la douleur du pch est un de ces actes, comme on le voit par cette parole du Seigneur: "Bienheureux ceux qui pleurent". Il nous est donc bon dentretenir continuellement notre douleur autant que possible.

    Conclusion:

    Un des caractres reconnus des actes de vertu, cest que ces actes ne peuvent pas tre vertueux lexcs ou insuffisamment, comme le prouve Aristote. Do, la contrition tant un acte de la vertu de pnitence, en tant quelle est un certain dplaisir dans la volont, on ne peut pas trop en avoir ni quant lintensit, ni quant sa dure, sauf au temps o cet acte de vertu empcherait lacte dune autre vertu plus ncessaire ce mme moment. Do il suit que plus un homme peut se tenir continuellement en ces actes de dplaisir, mieux il sen trouve, pourvu quil vaque en temps voulu aux actes des autres vertus, selon quil en a le devoir.

    Les passions, au contraire, peuvent tre excessives ou insuffisantes et quant lintensit et quant la dure. Cest pourquoi la douleur de sensibilit, que la volont provoque librement (dans lacte de contrition), doit tre modre dans sa dure, comme elle doit tre modre dans son intensit, de peur que lhomme ne tombe dans le dsespoir, la pusillanimit ou autres dfauts de mme genre.

  • Solutions:

    1. La douleur de contrition empche la joie mondaine, mais non pas la joie de Dieu, car cette douleur est elle-mme matire de joie spirituelle.

    2. Cette parole de lEcclsiastique sapplique la tristesse mondaine et celle dAristote la tristesse de sensibilit, dont il faut user modrment, dans la mesure o elle est utile la fin pour laquelle on la provoque.

    3. Saint Bernard parle de la douleur de sensibilit.

    ARTICLE 3: Les mes, aprs cette vie, ont-elles encore la contrition de leurs pchs?

    Objections:

    1. Il semble que, mme aprs cette vie, les mes gardent la contrition de leurs pchs. Cest, lamour de charit qui cause le dplaisir du pch. Or dans les mes, aprs cette vie, la charit demeure et comme acte et tomme disposition habituelle, puisque "la charit jamais ne disparat", comme le dit saint Paul. Les mes gardent donc ce dplaisir du pch commis, quest essentiellement la contrition.

    2. La faute est plus regretter que la peine. Or les mes du purgatoire gmissent sur leur pe11 sensible et le retard de leur glorification. A plus forte raison, doivent-elles gmir sur la faute quelles ont commises.

    3. La peine du purgatoire est satisfaction pour le pch. Or la satisfaction reoit son efficacit de la contrition. Cest donc que la contrition persiste aprs cette vie.

    Cependant:

    La contrition est une partie du sacrement de pnitence. Or il ny a plus de sacrement aprs cette vie; donc plus de contrition.

    De plus, la contrition peut tre si grande quelle efface et la faute et la peine. Si donc les mes du Purgatoire pouvaient encore avoir la contrition, il leur serait possible dobtenir, par la vertu de cette contrition, la rmission de leur dette de peine et de se dlivrer ainsi de la peine du sens, ce qui est faux.

    Conclusion:

    Dans la contrition, il y a trois choses considrer 1 le principe gnrique de la contrition, qui est la douleur; 2 la forme de la contrition, car elle est un acte de vertu inform par la grce; 3 lefficacit de la contrition, car elle est un acte mritoire, sacramentel et, dune certaine faon, satisfactoire. Les mes qui, aprs cette vie, sont reues dans la patrie, ne peuvent avoir la contrition, puisque la plnitude de leur joie en exclut toute douleur. Les damns, qui sont en enfer, nont galement aucune contrition, parce que, tout en ayant la douleur, ils nont pas la grce qui donne cette douleur sa forme de contrition. Quant aux mes qui sont en purgatoire, elle son grce donne sa forme, mais qui nest pas mritoire, parce quelles ne sont plus en ltat o lon mrite. Cest en cette vie seulement que peuvent se trouver runis ces trois lments de la contrition.

    Solutions:

    1. La charit ne cause cette douleur, que dans ceux qui sont capables de douleur. Or la plnitude de joie des bienheureux leur enlve toute capacit dprouver de la douleur. Cest pourquoi, tout en ayant la charit, ils nont plus de contrition.

    2. Les mes, en purgatoire, pleurent leurs pchs.; mais cette douleur nest plus une vraie contrition, parce quil lui manque lefficacit de la contrition.

    3. Cette peine, que souffrent les mes du Purgatoire, ne peut pas tre appele satisfaction proprement dite, car, pour cette satisfaction, il faut un acte mritoire. Mais on appelle satisfaction au sens large, tout acquit de dette pnale.

    5 QUESTION 5: DE LEFFET DE LA CONTRITION.

    Nous devons maintenant considrer leffet de la contrition, et cette considration soulve trois questions: 1. La rmission du pch est-elle l'effet de la contrition? 2. La contrition peut-elle enlever toute dette de peine? -3. Une faible contrition suffit-elle effacer de grands pchs?

    ARTICLE 1: La rmission du pch est-elle leffet de la contrition?

    Objections:

    1. Il semble que la rmission du pch ne soit pas leffet de la contrition. Dieu seul remet les pchs. Or de la contrition nous sommes cause nous-mmes dune certaine faon, puisquelle est notre acte. La contrition nest donc pas cause de la rmission.

  • 2. La contrition est un acte de vertu. Or la vertu ne vient quaprs la rmission des pchs, car la vertu et la faute ne se trouvent pas simultanment dans lme. La contrition n donc pas la cause de la rmission du pch.

    3. Rien, si ce nest la faute, ne nous empche de recevoir lEucharistie Or le pcheur contrit ne doit pas aller la communion avant de stre confess. Cest donc quil na pas encore obtenu la rmission de sa faute.

    Cependant:

    Voici ce que nous dit la Glose au sujet de ce verset du psaume 50: "Le vrai sacrifice pour Dieu, cest lesprit contrit... La contrition du coeur est le sacrifice qui nous dlie de nos pchs".

    De plus, la vertu et le vice sont en telles relations, que les mmes causes qui corrompent lun engendrent lautre, comme dit Aristote. Or est lamour dsordonn, dans le coeur, qui nous fait commettre le pch. Ce sera donc la douleur cause par lamour ordonn de charit, qui nous dliera du pch, et cest ainsi que la contrition efface le pch.

    Conclusion:

    La contrition peut tre Considre de deux faons, ou comme partie du sacrement, ou comme acte- de vertu, et, des deux faons, elle est cause de la rmission du pch, mais pas de la mme manire. En tant que partie du sacrement, elle opre la rmission du pch, par manire de cause instrumentale, comme on la vu pour les autres sacrements. Mais, en tant quacte de vertu, elle opre comme cause matrielle de la rmission du pch, tant une disposition qui appelle ncessairement la justification. La disposition, en effet, se ramne la cause matrielle, sil sagit dune disposition qui prpare une matire la rception de la forme. Il en va tout autrement de la disposition de lagent laction; celle-ci se ramne la cause efficiente.

    Solutions:

    1. Dieu seul est cause efficiente principale de la rmission du pch. Mais il peut y avoir, de notre part, une causalit dispositive et mme aussi sacramentelle, puisque les formes des sacrements sont des paroles que nous prononons et qui ont la puissance instrumentale dintroduire en nous la grce qui remet les pchs.

    2. La rmission dun pch prcde, dune certaine manire, la vertu et linfusion de la grce, et dune autre manire les suit; et en tant quelle les suit, lacte de la vertu peut avoir une certaine causalit dans la rmission du pch.

    3. La distribution de lEucharistie est confie aux ministres de lEglise, et cest pour cette raison que le pcheur ne doit pas se prsenter la communion, avant la rmission de son pch par les ministres de lEglise, bien que, devant Dieu, sa faute lui soit dj remise.

    ARTICLE 2: La contrition peut-elle enlever toute dette de peine?

    Objections:

    1. Il semble bien que la contrition ne puisse pas enlever toute dette de peine. Cette libration de la dette de peine est le but de la satisfaction et de la confession. Or personne narrive tre si parfaitement contrit, qu'il ne doive encore se confesser et satisfaire. Cest donc que la contrition nest jamais si grande, quelle supprime toute notre dette.

    2. Dans la pnitence, il doit y avoir une certaine compensation de la peine que mritait la faute. Or certaines fautes se commettent avec les me du corps, et comme il faut que pour la juste compensation de la peine, le pcheur "ait souffrir de ce par quoi il a pch", il semble que la contrition ne puisse jamais nous librer de la peine de telles fautes.

    . La douleur de contrition est quelque chose de fini. Or cest une peine infinie qui est due certains pchs, savoir, aux pchs mortels. Jamais donc la contrition ne peut tre si grande, quelle emporte toute la'peine.

    Cependant:

    Dieu agre plus le sentiment du coeur, que lacte extrieur. Or par les actes extrieurs, lhomme est libr de la faute et de la peine. Il doit donc en tre de mme de ce sentiment du coeur quest la contrition. Nous en avons dailleurs un exemple dans le bon larron auquel Notre Seigneur a dit pour un seul acte de pnitence "Aujourdhui, tu seras avec moi en Paradis".

    Quant la question de savoir si la dette de peine est toujours totalement enleve par la contrition, elle a t traite propos de la pnitence.

    Conclusion:

    Lintensit de la contrition peut tre considre de deux faons: 1 du ct de la charit qui cause ce dplaisir et cet acte de charit peut avoir une telle intensit que la contrition qui en est la consquence, mrite non seulement le pardon de la faute, mais aussi la libration de toute peine; 2 du ct de la douleur sensible quexcite la volont dans la contrition, et

  • cette douleur tant elle-mme une peine, elle peut tre si grande quelle suffise effacer la fois la faute et sa dette de peine.

    Solutions:

    1. Le pnitent ne peut jamais tre certain que sa contrition soit suffisante pour la rmission de la faute et de la peine et, par consquent, il est tenu de se confesser et de satisfaire. Il y est dautant plus tenu que la contrition nest pas vraie, si elle ninclut pas la rsolution de se confesser, rsolution qui doit aboutir une confession effective, raison aussi du prcepte obligeant la confession.

    2. De mme que la joie intrieure rayonne jusquaux parties extrieures du corps, ainsi la douleur intrieure a t-elle son retentissement jusque dans les membres du corps, selon cette parole des Proverbes: "Lesprit triste dessche les os".

    3. La douleur de la contrition est, il est vrai, finie quant son intensit, comme aussi est finie la peine due au pch mortel. Mais elle a une vertu infinie, de par la charit qui lui donne sa forme et, ce titre, elle a suffisamment de valeur pour effacer la faute et la dette de peine.

    ARTICLE 3: Une faible contrition suffit-elle la rmission de grands pchs?

    Objections:

    1. Il semble quune faible contrition ne suffise pas la rmission de grands pchs. La contrition, en effet, est une mdecine. Or une mdecine corporelle qui gurit une lgre maladie, ne suffit pas en gurir une plus grave. Donc un minimum de contrition ne suffit pas effacer de trs grands pchs.

    2. Comme nous lavons dit prcdemment, on doit avoir une plus grande contrition des pchs qui sont plus graves. Or la contrition n'efface pas les pchs, si elle nest pas ce quelle doit tre. Donc un minimum de contrition ne saurait effacer tous les pchs.

    Cependant:

    La grce sanctifiante, nimporte quel degr, efface tout pch mortel, parce que grce sanctifiante et pch mortel sont incompatibles. Or toute contrition est vivifie par la grce sanctifiante. Si petite quelle soit, elle efface donc toute faute.

    Conclusion:

    Dans la contrition, comme nous lavons souvent dit, il y a une double douleur. Il y tout dabord une douleur de raison qui est le regret du pch commis et cette douleur peut tre si faible quelle ne suffise pas constituer une vraie contrition. Ce serait le cas si le pnitent regrettait moins son pch, quil ne doit regretter d'tre spar de sa fin dernire. Cest ainsi que lamour de Dieu peut tre si faible quil ny en ait pas assez pour constituer le vritable amour de charit. Il y a aussi dans la contrition une autre douleur, la douleur de sensibilit. La faiblesse de cette douleur nempche pas la vraie contrition, parce quelle nest pas essentielle la contrition; elle y est jointe comme par accident et, de plus, elle nest pas pleinement en notre pouvoir. Il faut donc dire que, si faible que soit la douleur, pourvu que ce soit une douleur de vraie contrition, elle efface toute fautefi6.

    Solutions:

    1. Les mdecines spirituelles reoivent une efficacit infinie de la vertu infinie qui opre en elles. Cest pourquoi la mme mdecine, qui suffit la gurison dun moindre pch, suffit aussi la gurison dun grand pch. On le voit par le baptme qui efface grands et petits pchs. Ainsi en va t-il de la contrition pourvu quelle ait ce quexige une vraie contrition.

    2. Il est invitable que le mme pnitent regrette selon que ces pchs sont plus ou moins en opposition avec lamour qui cause la douleur. Si toutefois un autre pnitent na, pour un pch plus grand, quune douleur gale celle du premier pour un moindre pch, elle suffirait encore au pardon de la faute.

    6 QUESTION 6: NCESSIT DE LA CONFESSION.

    Nous devons maintenant traiter de la confession 1 de sa ncessit; 2 de sa nature; 3 de son ministre; 4 des qualits quelle requiert; 5 de son effet; 6 de son secret.

    Sur le premier point, six questions se posent 1. La confession est-elle ncessaire au salut? -2. Est-elle de droit naturel? -3. Tous sont-ils tenus la confession? -4. Est-il permis de con fesser un pch quon na pas commis? -5. Est- on tenu de se confesser aussitt aprs le pch? -6. Est-il possible quun pcheur soit dispens de confesser ses pchs un confesseur?

    ARTICLE 1: La confession est-elle ncessaire au salut?

    Objections:

  • 1. Il semble que la confession ne soit pas ncessaire au salut. Le sacrement de pnitence est en effet ordonn la rmission de la faute. Or cette rmission est suffisamment assure par linfusion de la grce. Il nest donc pas ncessaire de se confesser pour faire pnitence du pch.

    2. Certains pcheurs ont reu le pardon de leurs pchs, sans que lEcriture nous dise quils se soient confesss, tels saint Pierre, sainte Madeleine et saint Paul. Mais la grce de la rmission des pchs nest pas moins efficace aujourdhui quelle ne ltait alors. Donc, maintenant encore, il nest pas de ncessit de salut que le pnitent se confesse.

    3. Cest pour le pch qui nous vient dautrui que nous devons recevoir dautrui le remde.

    Quant au pch actuel que chacun commet de son propre mouvement, cest de nous-mme seulement que nous pouvons tirer le remde. Or cest ce pch qui est lobjet de la pnitence. Elle ne requiert donc pas ncessairement la confession.

    4. La confession est exige dans le jugement pour quon inflige une peine proportionne la faute, mais le pnitent peut, de lui-mme, sinfliger une peine plus grande que celle qui lui serait inflige par un autre. Il semble donc bien que la confession ne soit pas de ncessit de salut.

    Cependant:

    Boce nous dit: "Si tu veux le secours du mdecin, il te faut lui dcouvrir ton mal". Or il est de ncessit de salut que lhomme reoive du mdecin le remde ses pchs et, par consquent aussi, quil dcouvre son mal par la confession.

    De plus, dans le jugement sculier, le mme homme ne peut pas tre juge, accusateur et coupable Or le jugement spirituel est encore mieux ordonn. Donc le pcheur, qui est le coupable, ne peut pas tre son propre juge, mais doit tre jug par un autre et par consquent se confesser.

    Conclusion:

    La passion du Christ, sans la vertu de laquelle, ni le pch originel, ni lactuel ne sont remis, opre en nous par les sacrements que nous recevons et auxquels elle donne leur efficacit. Cest pourquoi la rmission du pch actuel et du pch originel exige laction dun sacrement de lEglise rellement reu, ou du moins dsir, quand la ncessit des circonstances et non point le mpris exclut la rception relle du sacrement. Par consquent, les sacrements, qui ont pour objet la rmission dune faute incompatible avec le salut, sont de ncessit de salut, et de mme que le baptme, qui efface le pch originel, est de ncessit de salut, ainsi en va t-il du sacrement de pnitence. Celui qui demande le baptme se soumet aux ministres de lEglise auxquels appartient la dispensation du sacrement; ainsi celui qui confesse son pch se soumet-il au ministre de lEglise pour en recevoir la rmission par le sacrement de pnitence que lui donne le ministre. Mais ce ministre ne peut pas donner de remde appropri sans la connaissance du pch, et cest par la confession du pcheur quil obtient cette connaissance. Voil pourquoi la confession est de ncessit de salut pour celui qui est tomb dans le pch mortel actuel.

    Solutions:

    1. Linfusion de la grce suffit la rmission de la faute et cependant aprs cette rmission, le pcheur reste encore dbiteur dune peine temporelle. Mais cest par le moyen des sacrements que nous devons obtenir linfusion de la grce. Avant de les avoir reus en acte ou en dsir, personne nobtient la grce, comme on le voit par le baptme, auquel la confession doit tre assimile. De plus, la honte de la confession, la vertu du pouvoir des clefs auquel le pnitent se soumet, la pnitence qui lui est impose par le prtre en proportion de la gravit des pchs confesss, concourent lexpiation de la peine temporelle. Ce nest cependant pas en tant que moyen de rmission pour la peine du pch, que la confession est de ncessit de salut. Cette peine, laquelle e pnitent reste oblig aprs le pardon de sa faute, nest quune peine temporelle. On peut donc, sans la payer en la vie dici-bas, rester dans la voie du salut. Mais la confession est de ncessit de salut, parce quelle concourt, de la faon que nous avons dite, la rmission de la faute elle-mme.

    2. Il est possible que les pcheurs prcits aient confess leurs pchs, bien que lEcriture nen dise rien, car il y a eu beaucoup de faits qui nont pas t consigns dans lEcriture. Dailleurs le Christ a, en matire sacramentelle, un pouvoir dexcellence qui lui a permis de donner la grce du sacrement sans les actes requis pour le sacrement.

    3. Le pch que nous recevons dautrui, savoir le pch originel, peut tre guri par un remde purement extrieur, comme cest le cas pour les petits enfants baptiss. Quant au pch actuel, que chacun commet de son propre mouvement, il ne peut tre expi sans que celui qui a pch coopre cette expiation. Cependant le pcheur ne peut pas, de lui-mme, suffire lexpiation, comme il a suffi au pch; car si le pch est quelque chose de fini du ct du mouvement de conversion par lequel le pcheur se replie sur lui-mme, il a quelque chose dinfini du ct du mouvement daversion lgard de Dieu. A ce titre, le principe de la rmission doit tre extrieur au pcheur, "car ce qui est au terme dune gnration est au principe du vouloir de cette gnration" comme dit Aristote. Cest ainsi que le pch actuel, lui aussi, doit recevoir son remde dautrui.

  • 4. La pnitence, qui est impose dans la satisfaction, pour lexpiation de la peine du pch, nest jamais suffisante par sa propre quantit; cest de la vertu sacramentelle et en tant que partie du sacrement quelle reoit sa suffisance. Il faut donc quelle soit impose parles dispensateurs des sacrements, et par consquent ncessairement prcde de la confession.

    ARTICLE 2: La confession est-elle de droit naturel?

    Objections:

    1. Il semble bien que la confession soit de droit naturel. Adam et Can ntaient tenus quaux obligations de droit naturel. Or on leur reproche de navoir pas confess leur pch. Cest donc que la confession est de droit naturel.

    2. Les prceptes de lancienne Loi, qui sont rests dans la nouvelle, sont de droit naturel. Or la confession tait dj de prcepte dans lancienne Loi puisquil est dit dans Isae: "Si tu as quelque chose dire, parle toi-mme, afin que tu sois justifi". Elle est donc de droit naturel.

    3. Job ntait soumis qu la loi naturelle. Or lui-mme confessait ses pchs, comme on le voit par ce quil dit: "Je nai point cach, comme lhomme, mon pch". La confession est donc de droit naturel. .

    Cependant:

    Saint Isidore nous dit que le droit naturel est le mme pour tous. Mais la confession ne se trouve pas de la mme faon chez tous les hommes. Donc elle nest pas de droit naturel.

    De plus, la confession se fait celui qui a le pouvoir des clefs. Or le pouvoir des clefs nest pas dans lEglise une institution de droit naturel, et donc non plus la confession.

    Conclusion:

    Les sacrements sont des protestations de foi et doivent tre par consquent proportionns la foi. Or la foi est au-dessus de notre connaissance de raison naturelle et par con squent les sacrements sont au-dessus des inti mations de la raison naturelle. Dailleurs le droit naturel est celui qui na pas son origine dans lopinion, mais quune force inne nous intime en notre intrieur, comme dit Cicron. Cest pour quoi les sacrements ne sont pas de droit naturel, mais de droit divin. Ce droit divin est quelquefois dit naturel en tant que ce qui est impos chaque tre par son Crateur, lui est naturel. Cependant le naturel proprement dit est ce qui rsulte des principes mmes de la nature. Or au-dessus de la nature sont les effets que Dieu se rserve doprer lui-mme, soit par le ministre de la nature, soit dans les oeuvres miraculeuses, soit dans la rvlation des mystres, soit dans linstitution des sacrements. Ainsi la confession, qui est de ncessit sacramentelle, nest pas de droit naturel, mais de droit divin.

    Solutions:

    1. Adam est blm de ce quil na pas reconnu son pch devant Dieu, car la confession Dieu, par la reconnaissance du pch, est de droit naturel. Mais la confession dont il est maintenant question, est la confession faite lhomme. On peut dire aussi que la confession est de droit naturel, dans le cas o le coupable, mis en jugement, est interrog par le juge, car alors le pcheur ne doit pas mentir pour excuser son pch ou le nier. Cest de cela quAdam et Can sont blms. Mais la confession quon fait spontanment un homme, pour obtenir de Dieu le pardon de ses pchs nest pas de droit naturel.

    2. Les prceptes naturels restent les mmes dans la loi de Mose et dans la Loi Nouvelle. La confession, au contraire, bien quelle existt dune certaine faon dans la loi de Mose, ne sy faisait pas de la mme manire que dans la loi nouvelle ou dans la loi naturelle. La loi naturelle ne demandait au pcheur que de reconnatre intrieur devant Dieu, son pch. Dans la loi de Mose, le pcheur devait dclarer publiquement son pch par quelque signe extrieur, comme par loffrande de lhostie pour le pch, par laquelle les hommes, eux aussi, pouvaient savoir quil avait pch. Mais il navait pas manifester quel pch spcial il avait commis, ni les circonstances de ce pch, comme il doit le faire dans la Loi Nouvelle.

    3. Job parle de cette dissimulation du pch qui est le fait du coupable surpris en faute et niant ou excusant son pch, comme on peut le voir par la Glose.

    ARTICLE 3: La confession est-elle obligatoire pour tous?

    Objections:

    1. Il semble bien que la confession ne soit pas obligatoire pour tous. "La pnitence est une seconde planche aprs le naufrage" comme dit saint Jrme. Mais il en est qui ne font pas naufrage aprs le baptme. A ceux-l, la pnitence ne convient pas, ni par consquent la confession qui est une partie de la pnitence.

    2. A nimporte quel tribunal, cest devant un juge que doit se faire la confession de la faute. Or il est des hommes qui nont pas de juge humain au-dessus deux. Ceux-l ne sont donc pas tenus la confession.

  • 3. Il en est qui nont que des pchs vniels. Or on nest pas tenu la confession des pchs vniels. Cest donc que tout le monde nest pas oblig se confesser.

    Cependant:

    La confession est, au mme titre que la contrition et la satisfaction, une des parties (le la pnitence. Or tous sont tenus la contrition et la satisfaction; donc aussi la confession.

    Dailleurs cette obligation est manifeste depuis le dcret sur la pnitence ou il est dit que "Tous les fidles de lun et lautre sexe, ds quils sont arrivs lge de discrtion, sont tenus de con fesser leurs pchs".

    Conclusion:

    Nous sommes tenus de deux faons la confession. Nous y sommes obligs (labord de droit divin, en tant quelle est mdecine morale et, ce titre, ceux-l seuls y sont tenus qui ont commis le pch mortel aprs le baptme. Nous y sommes obligs aussi par le droit positif, et, de cette faon, tous les fidles y sont obligs en vertu de la loi porte par le concile gnral tenu sous Innocent III. Cette loi a pour but, soit dobliger chaque fidle se reconnatre pcheur car "tous ont pch et ont besoin de la grce de Dieu", soit dassurer une plus grande rvrence lgard de la communion, soit de donner aux recteurs des glises le moyen de connatre leurs sujets, et dempcher que le loup ne se cache dans le troupeau.

    Solutions:

    1. Bien que lhomme puisse viter en cette vie mortelle le naufrage du pch mortel aprs le baptme, il ne peut pas viter les pchs vniels qui le disposent au naufrage et auxquels la pnitence doit aussi porter remde. La pnitence et par consquent la confession ont donc encore leur utilit, mme pour ceux qui ne pchent pas mortellement.

    2. Il nest personne qui nait pour juge le Christ auquel on doit se confesser par lintermdiaire de celui qui en tient la place. Bien que le confesse soit infrieur au prlat Pnitent en tant que celui-ci est prlat, il lui est suprieur en tant que le prlat est pcheur et le confesseur ministre du Christ.

    3. Ce nest pas en vertu de lobligation mme du sacrement, mais en vertu de la loi de lEglise, quon est tenu se confesser, quand on na que des pchs vniels.

    Ou bien on peut dire, avec certains thologiens, que la Dcrtale prcite noblige la confession que ceux qui ont des pchs mortels. Cela ressortirait de ce quelle dclare quon doit confesser tous ses pchs, ce qui ne peut sentendre des pchs vniels, puisque personne ne peut les confesser tous. Daprs cette opinion, celui qui na pas de pch mortel nest pas tenu la confession des vniels. Il lui suffit, pour accomplir le prcepte de lEglise, de se prsenter au prtre et de dclarer quil na conscience daucun pch mortel, ce qui lui tient lieu de confession.

    ARTICLE 4: Est-il permis de confesser un pch quon na pas commis?

    Objections:

    1. Il semble quil soit permis de confesser un pch quon na pas commis. Saint Grgoire dit en effet que "cest le fait I des bonnes mes de voir des fautes o il ny en a pas". Cest donc une bonne me quil appartient de confesser des fautes quelle na pas commises.

    2. Celui qui, par humilit, sestime pire quun autre qui est manifestement pcheur, doit tre lou de ce sentiment. Or il lui est permis de con fesser, de bouche, ce quil a dans son coeur et par consquent de dire ses pchs plus graves quils ne sont en ralit.

    3. Il arrive parfois que le pnitent doute si tel pch est mortel ou vniel et en pareil cas il doit, semble t-il, le confesser comme sil tait mortel. On doit donc quelquefois confesser un pch quon na pas commis.

    4. La satisfaction se rgle daprs la confession. Or on peut satisfaire pour des pchs quon na pas commis, donc aussi les confesser.

    Cependant:

    Quiconque dit avoir fait ce quil na pas fait, commet un mensonge. Mais personne ne doit mentir en confession, puisque tout mensonge est un pch. Donc personne ne doit con fesser un pch quil na pas commis.

    De plus, aux tribunaux extrieurs, on ne doit pas charger laccus dun crime qui ne peut pas tre prouv par des tmoignages valables. Or le tmoin, au tribunal de la pnitence, cest la conscience. Un pnitent ne doit donc pas saccuser dun pch dont il na pas conscience.

    Conclusion:

  • Par la confession, le pnitent doit se manifester au confesseur. Or celui qui, parlant au confesseur, sattribue soit en bien, soit en mal, autre chose que ce quil a dans sa conscience, ne se manifeste pas au prtre, mais bien plus se dissimule, et par consquent ne fait pas la confession requise. Pour que cette confession ait les qualits voulues, il faut que le coeur soit daccord avec la bouche, en sorte que la bouche naccuse que ce qui est dans la conscience.

    Solutions:

    1. Reconnatre une faute o il ny en a pas peut sentendre de deux faons: ou bien on lentend dune mprise, quant la substance de lacte, auquel cas la proposition de lobjectant nest pas vraie; ce nest pas le fait dune bonne me, mais dune me induite en erreur, de penser quelle a commis un acte quelle na pas commis. Ou bien il sagit des conditions de lacte, et ainsi se vrifie ce que dit saint Grgoire, que le juste craint quil ny ait de sa part quelque dfaut dans un acte qui est bon en soi. Cest ainsi que Job disait: "Je craignais pour toutes mes oeuvres". Et, en consquence, il appartient une bonne me de manifester cette crainte quelle a dans le coeur.

    2. Ce que nous venons de dire donne la solution de la seconde objection. Le juste, qui est vraiment humble, ne sestime pas pire en sattribuant des actes qui sont pires par leur genre moral, mais parce quil craint que dans ce quil parat faire de bien, il pche par orgueil plus gravement que le pcheur manifeste.

    3. Celui qui doute si tel pch est mortel, est oblig de le confesser, sil reste en doute; car celui qui fait ou omet quelque chose, doutant sil y a matire pch mortel, pche mortellement en sexposant au pril de pch mortel. Or il sexpose au mme pril, celui qui doutant si un pch est mortel, nglige de le confesser. il ne doit cependant pas ai sans restriction que ce pch est mortel, mais exposer son doute et attendre le jugement du prtre auquel il appartient de juger entre lpre et lpre.

    4. En satisfaisant pour un pch quil na pas commis, lhomme ne ment pas comme lorsquil confesse un pch quil ne croit pas avoir commis. Il ne ment pas non plus et ne pche pas, sil saccuse dun pch quil na pas fait, croyant lavoir commis, pourvu quil parle selon le tmoignage de sa conscience.

    ARTICLE 5: Le pcheur est-il tenu de se confesser immdiatement?

    Objections:

    1. il semble quon soit tenu de se confesser immdiatement. Voici en effet ce que dit Hugues de Saint-Victor: "Sil ny a pas de ncessit qui motive un dlai, rien nexcuse du mpris". Or chacun est tenu dviter le mpris et par consquent de se confesser ds quil le peut.

    2. Nous sommes tous tenus de faire plus pour nous dbarrasser dune maladie spirituelle que nous ne ferions pour nous gurir dune, maladie corporelle. Or ce nest jamais sans dtriment pour sa sant, quun malade tarde faire venir le mdecin. Il semble donc que ce ne soit pas sans dtriment pour son salut, quun pcheur ne confesse pas aussitt son pch un prtre, quand il en a un sa disposition.

    3. On doit payer de suite les dettes qui nont pas de date fixe pour leur, chance. Or il ny a pas de date fixe pour la confession que le pcheur doit faire Dieu. Donc il doit se con fesser immdiatement.

    Cependant:

    Dans la dcrtale prcite, on fixe en mme temps une date pour la confession et la rception de la Sainte Eucharistie. Or on ne pche pas en ne recevant pas la Sainte Eucharistie avant le temps ainsi dtermin par le droit. On ne pche donc pas non plus en ne se confessant pas avant cette mme date.

    De plus, quiconque omet ce quoi il est oblig par le prcepte pche mortellement. Si donc quelquun ne se confessait pas, ds quil a un prtre sa disposition, il pcherait mortellement, sil tait tenu de se confesser immdiatement, et de mme le lendemain et ainsi de suite, On commettrait ainsi beaucoup de pchs mortels pour un seul dlai de pnitence, ce qui ne parat pas raisonnable.

    Conclusion:

    Puisque la rsolution de se confesser est attache la contrition, on est tenu de prendre cette rsolution, quand on est tenu la contrition savoir quand les pchs reviennent en mmoire, surtout quand on se trouve en pril de mort ou en quelque circonstance o, sans la rmission du pch prcdent, on encourt un nouveau pch. Cest ainsi quun prtre oblig de clbrer la messe est tenu de se confesser, sil a un prtre sa disposition ou du moins de faire un acte de contrition, avec rsolution de se confesser ds quil aura un confesseur, si pour le moment il nen a pas.

    Quant la ralisation de cette volont de se confesser, on peut y tre oblig de deux faons. Ou y est oblig premirement par accident cause dune autre obligation, quand on est tenu une action quon ne peut faire sans pch moins de stre confess. Cest ainsi quon est tenu de se confesser quand on doit recevoir la sainte Eucharistie, personne ne devant se prsenter la communion aprs un pch mortel, sans stre confess, si lon a un confesseur sa disposition et sil ny a pas urgente ncessit de communier. De l vient lobligation que lEglise a impose tous

  • les fidles de se confesser au moins une fois lan. Ayant port cette loi que tous les fidles se prsenteraient, au moins une fois lan, la communion, au temps de Pques, elle oblige tous les fidles se confesser avant cette Communion.

    On peut encore tre oblig de se confesser raison dune obligation qui vient de la nature mme de la confession. Sous ce rapport il en est de la confession comme du baptme, quant au dlai quon peut y apporter et pour la mme raison, lun et lautre sacrement tant de mme ncessit. Un catchumne nest pas tenu de recevoir le baptme aussitt quil a pris la rsolution de se faire baptiser, en sorte quil pche mortellement sil ne reoit pas tout de suite le baptme. Il ny a pas non plus de limite de temps, au del de laquelle le dlai du baptme peut tre pch mortel ou non, selon les circonstances, et on doit en juger daprs la cause du dlai. Comme le dit Aristote, une volont ne retarde lexcution de ce quelle veut vraiment, que pour une cause raisonnable. Si donc la cause du dlai du baptme implique un pch mortel, comme dans le cas o cette cause serait le mpris du baptme ou quelque motif de ce genre, le dlai sera pch mortel, autrement non. Ainsi en va t-il de la confession qui nest pas de plus grande ncessit que le baptme.

    Lhomme tant tenu de poser en cette vie les actes qui sont de ncessit de salut, il sera oblig, dune obligation quon peut dire rsultant de la nature mme du sacrement, se confesser, comme recevoir le baptme, ds quil se trouvera en pril de mort. Cest pour cela que saint Jacques prescrit en mme temps de se confesser et de recevoir lExtrme-Onction. Elle parat donc probable, lopinion de ceux qui disent quon nest pas tenu se confesser tout de suite, mme sil y a pril diffrer la confession.

    Dautres thologiens prtendent au contraire que le pcheur contrit est tenu de se confesser immdiatement, sil en a la facilit, ainsi que le demande la droite raison. On ne saurait objecter que la dcrtale dtermine un dlai en prescrivant la confession une fois lan, car lEglise na pas lintention de favoriser ainsi le retard de la confession, mais seulement de dfendre la ngligence dun retard plus grand. Do cette dcrtale nexcuserait pas de la faute du retard au for intrieur, mais seulement de la peine au for extrieur en sorte que le pcheur ne soit pas priv de la spulture due aux fidles, sil tait surpris par la mort avant le temps fix par la dcrtale. Mais cette opinion parat trop dure. Les prceptes affirmatifs nobligent pas leur accomplissement immdiat, mais en certains temps dtermins et non pas du seul fait que nous pouvons les accomplir sans gra