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58 Succès / mai 2007 U n manager débarque à l’improviste et trouve un de ses col- laborateurs à son poste de travail en train de jouer à un jeu vidéo. Surpris, il lui demande pourquoi il ne tra- vaille pas. L’autre, pas décon- tenancé, lui répond en toute simplicité: «Parce que je ne vous ai pas vu venir!» Cette situation est certaine- ment peu vraisemblable: la dé- motivation prend générale- ment une autre forme. Les collaborateurs démotivés ne sont pas suffisamment stupides pour jouer à des jeux vidéo à leur poste de travail. Leur dé- motivation se manifeste no- tamment par le «présen- téisme». Plus sournois Le présentéisme est la nou- velle maladie des entreprises. Elle remplace habilement l’ab- sentéisme des collaborateurs démotivés. Parce que plus sour- nois, le présentéisme est beau- coup plus efficace et… conta- gieux! Il consiste à faire acte de présence sans s’investir. C’est l’approche minimaliste qui consiste à faire juste ce qu’il faut pour ne pas être accusé d’être un tir-au-flanc. Le présentéisme non seulement plombe le suc- cès, mais il a un coût. Des em- ployés non investis dans leur travail coûtent cher à l’entre- prise, ne serait-ce que par la manière désinvolte dont ils trai- tent les clients et autres parte- naires de l’entreprise. Pour le constater et agir en amont, il serait opportun de mesurer le taux de présentéisme. Les DRH accordent de moins en moins d’importance aux taux de ro- tation et d’absentéisme pour se focaliser sur un indicateur beaucoup plus pertinent: la me- sure du niveau d’engagement, vrai facteur de succès. Les taux de rotation, de présentéisme ou d’absentéisme ne sont que la mesure des conséquences d’un problème d’engagement ou de motivation. Même si les mesures indi- rectes sont utiles, il est bien évidemment plus pertinent d’en mesurer la cause, à savoir la démotivation ou le manque d’engagement. Recette simple La notion même de «dé- motivation» sous-entend que les intéressés aient précé- demment été motivés. Or l’analyse des raisons qui conduisent les collaborateurs à perdre leur motivation est très souvent imputable aux personnes dirigeantes. On devrait conclure que des collaborateurs démotivés expriment, dans la plupart des cas, un constat d’échec pour les cadres. Ceux-ci n’ont ap- paremment pas fait ce qui était requis pour empêcher cette perte de motivation. Le cadre qui annonce l’existence d’une démotivation et la né- cessité de remotiver les troupes admet de facto avoir échoué. Responsabilité fondamentale Mettre en œuvre l’en- semble des conditions néces- saires pour avoir des équipes engagées est pourtant une responsabilité fondamentale des managers. L’engagement des collaborateurs se traduit par une réelle motivation à faire le maximum pour satis- faire les clients, dégager des revenus, améliorer les pro- cessus, réduire les coûts, iden- tifier des opportunités, etc. La recette est simple: qui dit engagement dit avantages concurrentiels. Et qui dit avantages concurrentiels dit succès! Le succès passe donc bien par des collaborateurs engagés. La question qui se pose à ce stade est de savoir comment motiver les colla- borateurs. Il suffit de faire ce qui s’impose pour qu’ils conservent leur niveau de motivation initial. Celui qu’ils avaient lorsqu’ils sont entrés en fonctions… Il est bien évi- demment beaucoup plus fa- cile d’entretenir le niveau de motivation initial que de de- voir remotiver après avoir dé- motivé. Soulignons qu’il est assez peu vraisemblable que celui qui a failli dans le main- tien de la motivation ait non seulement la capacité, mais surtout la crédibilité requises pour réussir à remotiver. Apogée En dehors des emplois à vocation essentiellement ali- mentaire, il est en effet très rare qu’un collaborateur com- mence une activité sans être motivé pour bien faire. Le ni- veau de motivation est à son apogée au moment où le col- laborateur commence un nouveau travail. Le présentéisme est bien pire que l’absentéisme. Et quand on parle de remotiver les équipes, c’est en général qu’il est déjà trop tard. Le succès passe par l’éthique de l’engagement personnel. Raphaël Cohen Management booster et entrepreneur, HEC Genève La nouvelle maladie des entreprises s’appelle présentéisme

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58 Succès / mai 2007

Un manager débarqueà l’improviste ettrouve un de ses col-laborateurs à son

poste de travail en train dejouer à un jeu vidéo. Surpris, illui demande pourquoi il ne tra-vaille pas. L’autre, pas décon-tenancé, lui répond en toutesimplicité: «Parce que je nevous ai pas vu venir!»

Cette situation est certaine-ment peu vraisemblable: la dé-motivation prend générale-ment une autre forme. Lescollaborateurs démotivés nesont pas suffisamment stupidespour jouer à des jeux vidéo àleur poste de travail. Leur dé-motivation se manifeste no-tamment par le «présen-téisme».

Plus sournoisLe présentéisme est la nou-

velle maladie des entreprises.Elle remplace habilement l’ab-sentéisme des collaborateursdémotivés. Parce que plus sour-nois, le présentéisme est beau-coup plus efficace et… conta-gieux! Il consiste à faire acte deprésence sans s’investir. C’estl’approche minimaliste quiconsiste à faire juste ce qu’il fautpour ne pas être accusé d’être

un tir-au-flanc. Le présentéismenon seulement plombe le suc-cès, mais il a un coût. Des em-ployés non investis dans leurtravail coûtent cher à l’entre-prise, ne serait-ce que par lamanière désinvolte dont ils trai-tent les clients et autres parte-naires de l’entreprise. Pour leconstater et agir en amont, ilserait opportun de mesurer letaux de présentéisme. Les DRHaccordent de moins en moinsd’importance aux taux de ro-tation et d’absentéisme pour sefocaliser sur un indicateurbeaucoup plus pertinent: la me-sure du niveau d’engagement,vrai facteur de succès. Les tauxde rotation, de présentéisme oud’absentéisme ne sont que lamesure des conséquences d’unproblème d’engagement ou demotivation.

Même si les mesures indi-rectes sont utiles, il est bienévidemment plus pertinentd’en mesurer la cause, à savoirla démotivation ou le manqued’engagement.

Recette simpleLa notion même de «dé-

motivation» sous-entend queles intéressés aient précé-demment été motivés. Or

l’analyse des raisons quiconduisent les collaborateursà perdre leur motivation esttrès souvent imputable auxpersonnes dirigeantes.

On devrait conclure quedes collaborateurs démotivésexpriment, dans la plupart descas, un constat d’échec pourles cadres. Ceux-ci n’ont ap-paremment pas fait ce quiétait requis pour empêchercette perte de motivation. Lecadre qui annonce l’existenced’une démotivation et la né-cessité de remotiver lestroupes admet de facto avoiréchoué.

Responsabilitéfondamentale

Mettre en œuvre l’en-semble des conditions néces-saires pour avoir des équipesengagées est pourtant uneresponsabilité fondamentaledes managers. L’engagementdes collaborateurs se traduitpar une réelle motivation àfaire le maximum pour satis-faire les clients, dégager desrevenus, améliorer les pro-cessus, réduire les coûts, iden-tifier des opportunités, etc.

La recette est simple: quidit engagement dit avantages

concurrentiels. Et qui ditavantages concurrentiels ditsuccès! Le succès passe doncbien par des collaborateursengagés. La question qui sepose à ce stade est de savoircomment motiver les colla-borateurs. Il suffit de faire cequi s’impose pour qu’ilsconservent leur niveau demotivation initial. Celui qu’ilsavaient lorsqu’ils sont entrésen fonctions… Il est bien évi-demment beaucoup plus fa-cile d’entretenir le niveau demotivation initial que de de-voir remotiver après avoir dé-motivé. Soulignons qu’il estassez peu vraisemblable quecelui qui a failli dans le main-tien de la motivation ait nonseulement la capacité, maissurtout la crédibilité requisespour réussir à remotiver.

ApogéeEn dehors des emplois à

vocation essentiellement ali-mentaire, il est en effet trèsrare qu’un collaborateur com-mence une activité sans êtremotivé pour bien faire. Le ni-veau de motivation est à sonapogée au moment où le col-laborateur commence unnouveau travail.

Le présentéisme est bien pire que l’absentéisme. Et quand onparle de remotiver les équipes, c’est en général qu’il est déjà troptard. Le succès passe par l’éthique de l’engagement personnel.

■ Raphaël CohenManagement booster et entrepreneur, HEC Genève

La nouvelle maladiedes entreprisess’appelle présentéisme

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Face à la déceptionLes choses se gâtent au mo-

ment où le collaborateur dé-couvre certaines réalités del’entreprise qui sapent son mo-ral. Intrigues, phénomènes po-litiques ou territoriaux, mé-thodes et conditions de travail,mauvaise ambiance, voire stylede management.

Le pire survient lorsqu’uncollaborateur réalise que sespropres valeurs sont en porte-à-faux avec celles dans l’entre-prise. Une étude a mis en évi-dence le fait que la premièreraison invoquée par des colla-borateurs démissionnaires estle constat que l’entreprise – ouleur chef direct – a eu un com-portement perçu comme nonéthique.

L’éthique au centreC’est d’ailleurs un réflexe

de survie. Comment un col-laborateur peut-il se sentir en

sécurité dans un environne-ment où il ne trouve pas lajustice et l’équité? Il constate,consciemment ou non, que«si on peut traiter les clientsou d’autres collaborateurs decette manière, peut-être queje serai la prochaine vic-time…». Ce manque de sécu-rité le force à quitter le navireà la première opportunité.

Or l’éthique a un lien di-rect avec les valeurs. Lorsqueleurs valeurs ne sont pas res-pectées, le sentiment d’injus-tice domine. Il a été démontréque, dans le palmarès descauses de départ, le non-res-pect de l'éthique occupe lapremière place. Cela met enévidence l’importance accor-dée au respect des valeurs.

Le rôle central de l’éthiqueet la nécessité d’avoir un com-portement exemplaire sont lesraisons qui ont conduit àconsacrer un module entier

du Diplôme en entrepreneur-ship et business developmentde HEC Genève à ces ques-tions (http://entrepreneur-ship.unige.ch). Pour éviter ladémotivation, qui coûte trèscher, la dimension humainea été mise au centre de cetteformation de niveau MBA vi-sant à booster la carrière desparticipants.

Capable d’inspirerLa première mission des

leaders devrait être de mobi-liser leurs troupes en gérantla motivation des collabora-teurs qu’ils auront recrutés enfonction de leur détermina-tion à bien faire. Des équipesmotivées et engagées sont unvéritable atout. Il a été abon-damment démontré qu’un ni-veau d’engagement élevé setraduit par une profitabilité etune productivité augmentéesjusqu’à 35%, selon une étude

de PricewaterhouseCoopers.Ce n’est pas rien!

Des leaders capables d’ins-pirer leurs collaborateurs enfaisant respecter les valeursporteuses de sens pour eux nedevraient donc pas subir leur«démotivation». Prévenir ladémotivation est bien plus ef-ficace et moins coûteux que laremotivation. Voilà la recettedu succès… ■

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