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UNIVERSITE DE TULEAR -------------------- FACULTE DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES ---------------------- DEPARTEMENT DETUDES FRANÇAISES Mémoire de Maîtrise présenté par : STEPHANE Nadhurou Sous la direction de : Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de Conférences Date de soutenance : 24 Décembre 2007 Année Universitaire 2006-2007

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UNIVERSITE DE TULEAR --------------------

FACULTE DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

---------------------- DEPARTEMENT D ’ETUDES FRANÇAISES

Mémoire de Maîtrise présenté par :

STEPHANE Nadhurou

Sous la direction de :

Monsieur BEMIARANA Jean-Marie

Maître de Conférences

Date de soutenance : 24 Décembre 2007

Année Universitaire 2006-2007

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Tout spécialement, je dédie ce mémoire de Maîtrise, à deux êtres qui me sont

très chers :

- Feu, grand père maternel, Potro, qui de son vivant, chaque fois que je lui

rends visite dans sa petite cabane, disait toujours en posant sa main sur ma tête.

« Mon petit fils, tu iras loin, très loin, tu iras haut, plus haut que ton père… »

Que la terre lui soit légère.

- Mon cher fils, Kennedy, qui a pu supporter mon absence à la maison lors de

la rédaction de ce mémoire de maîtrise.

Que ce mémoire lui soit un témoignage d’amour.

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REMERCIEMENTS

Je remercie infiniment Dieu, Maître de l’Univers, de m’avoir prêté vie et m’avoir donné

grâce de réaliser ce travail.

En outre ce Mémoire de Maîtrise n’aurait vu le jour sans l’aide précieuse d’un grand

nombre de personnes.

En premier, Monsieur BEMIARANA JEAN Marie, notre Directeur qui a accepté de

m’avoir comme étudiant dans le Département d’Etudes Françaises. Sans ses précieux

conseils, ses encouragements, ce labeur n’aboutirait à rien.

Qu’il trouve ici notre profonde reconnaissance.

De même, je remercie vivement Madame RAVOLOARIMANANA HERY-ZO,

Enseignante au Département d’Etudes Françaises, d’avoir sacrifié tout son temps à lire et

corriger ce travail. Ses remarques, ses conseils… nous étaient utiles.

Je témoigne aussi, à mes parents Fatima Houmadi et Nadhurou Saïd Ali, une pleine

gratitude des efforts qu’ils fournissent pour soutenir en tout et partout, les étapes de ma vie

en général et les différents niveaux de mes études en particulier.

Je tiens également à exprimer mon immense gratitude à mes frères et sœurs pour

leur soutien financier et surtout pour le choix qu’ils ont apporté en me demandant de

m’inscrire dans le Département d’Etudes Françaises.

A Madame SABINE Nirina Jeannine, qu’elle trouve à ces quelques lignes mes

sincères remerciements pour son souci de me voir réussir dans mes études et obtenir un

diplôme supérieur.

Tout spécialement, je remercie Mademoiselle Razana Hélène BALBINE dont

l’affection, l’ingéniosité et les encouragements ont permis dans le bon sens l’avancement de

mes travaux de recherche et d’études.

Enfin, je rends grâce à tous les amis comoriens et malgaches et à tous ceux qui de

près ou de loin m’ont aidé à la réalisation de ce travail.

La réalisation de ce mémoire de maîtrise est le résultat de plusieurs forces : volonté,

courage et conseils.

Nous prions le lecteur de cette étude de nous accorder toute son indulgence. L’auteur

n’ignore pas également que de nombreux chercheurs ont une meilleure connaissance que

lui dans ce domaine et s’excuse à l’avance des erreurs ou omissions qui lui auraient

involontairement échappé. Il serait heureux de recevoir l’avis et les conseils de tous ceux qui

auront bien voulu accorder quelques instants à la lecture de ce travail.

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INTRODUCTION GENERALE

C’est dans le domaine de la littérature négro-africaine d’expression française

et plus particulièrement de la littérature malienne que s’inscrit le présent travail de

mémoire de Maîtrise.

Le Mali est assurément un haut lieu de la pensée africaine. Le croisement

entre l’Islam, adopté au départ par l’élite et les croyances traditionnelles auxquelles

le peuple restait attaché, est en grande partie responsable de la richesse ainsi que

de la diversité de sa culture. Et la plus grande partie du patrimoine culturel du Mali

est fondée sur la puissance et la beauté de la parole.

La littérature malienne, comme la littérature africaine en général, est passée

chronologiquement d’une phase orale à une phase écrite. De par sa pluralité et sa

vocation unitaire que lui impose l’histoire, la littérature orale malienne offre aux

écrivains un immense champ aux thèmes inépuisables, avec esthétique et aux

formes originales. Les écrivains maliens s’inspirent effectivement de la littérature

orale sous le double aspect du contenu et de la forme. La culture et la civilisation

maliennes que véhicule la littérature orale fournissent la matière de la plupart des

œuvres écrites. Elles interviennent seules ou en rapport avec la culture et la

civilisation occidentale de manière conflictuelle ou complémentaire. La mise en écrit

de ce grand parler devient donc la littérature écrite malienne.

Cette littérature malienne a été cependant jusqu’à une date récente dominée

par ce qu’on peut appeler le courant traditionaliste dont les représentants ont pour

noms Ahmadou Hampaté BÂ, Massa Makan DIABATE pour n’évoquer que ces deux

éminents auteurs. Mais depuis un certain temps, elle est imprégnée de ce

métissage, par la suite étoffée par la présence française.

Alors née du système colonial, cette littérature négro africaine paraît très

jeune. Elle est d’une importance capitale dans la mesure où celle-ci exprime entre

temps la nostalgie de l’Afrique précoloniale, le resurgissement des vieilles traditions

considérées comme « ensemble des valeurs du monde noir » pour reprendre une

définition de la négritude puis les conflits et les tensions entre le colonisé et le

colonisateur. Et enfin, elle institue des relations privilégiées entre les noirs et l’univers

culturel, spirituel, social et même anthropologique qui les entourent.

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Cette littérature dont les premiers témoignages remontent en 1921 s’est bel et

bien affirmée dans les années qui ont précédé l’accession aux indépendances des

Etats africains. Elle s’est développée sous la forme romanesque. Le roman qui

connaît une vogue extraordinaire fait que les voix pathétiques des grandes figures de

cette littérature telles que Césaire, Damas et Senghor se sont tues. Ces grands

poètes ont passé, dirait-on, le flambeau à des romanciers tellement remarquables

aujourd’hui. C’est le cas de Mongo BETI, de Camara LAYE, de Cheikh Hamidou

KANE, de Sembene OUSMANE, de Seydou BADIAN et bien d’autres. Ces derniers

ont d’une façon ou d’une autre contribué à l’évolution ou plutôt au développement de

la littérature négro africaine.

Cette arrivée en force et en masse du roman suppose qu’il était le genre le

plus apte à rendre compte, à analyser et à peindre les transformations de la nouvelle

société africaine en train de s’édifier à la veille des indépendances et dans les

années qui suivent. Le roman se présentait avec une écriture souvent moins lyrique

mais mieux adaptée à la description précise de la situation qui prévaut. Il était lu de

profitable par un plus large public. Ainsi naîtra la conception stendhalienne du roman

« miroir que l’on promène le long d’une route ».

Et depuis son émergence, le roman africain d’expression française s’est

engagé dans cinq directions principales. Il existe bien entendu des points communs

à ces cinq formes romanesques. Elles ont été de long en large étudiées par de

nombreux écrivains. Et parmi ces formes nous avons le roman de contestation conçu

le plus souvent avant les indépendances. Ces romans prennent la forme de la satire

ou parfois celle du réquisitoire. Citons Le Vieux Nègre et la Médaille de Ferdinand

OYONO, Les Bouts de bois de Dieu de Sembene OUSMANE et Sous L’Orage de

Seydou BADIAN.

Né à Bamako en 1928, Seydou BADIAN, auteur important de la scène

littéraire du Mali, est considéré comme son premier grand romancier avec Sous

L’Orage paru en 1957, œuvre sur laquelle est centrée notre étude. Il a connu un

succès immédiat qui se perpétue encore aujourd’hui puisque le roman est toujours à

l’étude dans les universités d’Afrique. Ce roman, l’un des grands classiques de la

littérature africaine, occupe une place du premier choix comme livre miroir des

préoccupations et des thèmes privilégiés d’une époque : les conflits du passé et du

présent, de la tradition et de la modernité, entre village et ville ainsi que vieux et

jeunes scolarisés.

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Certains ouvrages littéraires africains produits avant l’accession aux

indépendances en Afrique ont posé des problématiques sur le tiraillement entre

deux mondes : occidental et africain. Ils se caractérisent par la dénonciation de

l’introduction d’une nouvelle culture dans la culture ancestrale africaine, car

manifestement beaucoup de jeunes ont tendance à abandonner progressivement

leurs cultures au profit des cultures occidentales.

Le choix de travailler dans ce cadre n’est pas dû au hasard. En effet,

plusieurs raisons sont à la base de notre engagement dans cette direction.

D’abord, nous avons étudié, dès l’école d’initiation, des textes si riches des

grands maîtres qui ont marqué cette littérature négro africaine d’expression

française, et parmi lesquels Camara LAYE et Seydou BADIAN, l’auteur de l’ouvrage

concerné par notre travail. Cette étude, de par sa valeur, nous a amené petit à petit à

la découverte du monde noir : un monde victime de la colonisation. Et

l’enseignement que nous avons reçu dès notre première année du premier cycle

universitaire, a encore éveillé notre curiosité dans ce domaine. Ce qui nous conduit à

améliorer nos recherches. Ensuite, éloigné de ce grand continent noir, nous sentons

en nous quand même cette grande perte d’identité culturelle. Nous éprouvons donc

ce sentiment de malaise, car, tout comme l’Afrique, notre pays à savoir les Comores,

vit également ce phénomène.

Par ce travail, nous comptons mettre en garde les jeunes scolarisés et

notamment ceux de notre pays contre la destruction des valeurs traditionnelles. Nous

les invitons, par ce fait, à bien réfléchir sur leur histoire. C’est ce qui nous a poussé à

intituler notre travail de mémoire : « DE LA TRADITION A LA MODERNITE DANS

LE ROMAN DE Seydou BADIAN SOUS L’ORAGE »

Ce roman met en scène un couple de jeunes scolarisés, Kany et Samou, tous

deux issus de familles modestes. L’amour réciproque de ces jeunes est contrarié par

les projets du père de Kany, Benfa, qui entend, selon la coutume, lui faire épouser,

un riche et vieux marchand, Famagan déjà marié. Devant la réticence de sa fille,

Benfa l’exile au village de son oncle Djigui. C’est l’occasion pour Kany de prendre

contact avec certaines traditions ancestrales oubliées et de plaider sa cause auprès

de Djigui qui finalement décide d’intervenir en sa faveur.

Devant l’autorité de son frère aîné, Benfa s’incline et les deux jeunes gens

peuvent enfin convoler en justes noces.

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Une grande interrogation se pose dans ce genre d’étude. Au contact de la

culture occidentale, la société traditionnelle africaine, en perte de vitesse, est en

proie à un certain nombre de bouleversement entraînant crise et rupture. C’est le

surgissement des temps nouveaux, mouvement qui se manifeste chez les jeunes

conscients des difficultés de leurs sociétés. Ainsi, face aux menaces de la modernité,

est-ce que les traditions auront toujours des valeurs ?

La méthodologie qui nous sert de fil conducteur est l’approche sociologique,

car étudier le conflit entre la tradition et la modernité relève d’un problème de la

société. Ce qui revient à dire que cette approche que nous avons choisie, va aussi

avec le choix du thème que nous traitons. Par ailleurs, l’œuvre représente ici le

produit d’une société. C’est l’histoire et les évènements qui se passent au niveau

d’une société qui permettent de rédiger le contenu d’un livre. Cette approche

consiste, d’une part, à faire un va-et-vient entre la société et le texte, et de l’autre à

établir un rapprochement entre l’histoire, la société en étudiant le mode de penser et

l’idéologie de la dite société. C’est ce lien qui a permis à Lucien GOLDMAN de

déclarer dans Pour une Sociologie du roman 1que :

« Le tout premier problème qu’aurait dû aborder une sociologie du

roman est celui de la relation entre la forme romanesque elle-même et

la structure du milieu social à l’intérieur duquel elle s’est développée.

C’est-à-dire du roman comme genre littéraire et de la société

individualiste moderne. (…) Il existe une homologie rigoureuse entre

la forme littéraire du roman et la relation quotidienne des hommes

avec les biens en général et par extension des hommes avec les

autres hommes ».

Ainsi, tout est significatif : les consciences, les idées, les désirs, les sentiments

des individus et même leur façon d’agir, tout cela se trouve exposé dans une œuvre

littéraire. Les personnages mis en scène jouent un rôle très important dans la

société, par conséquent cette approche analyse l’idéologie explicite de la société.

Pour bien organiser notre travail, celui-ci est divisé en deux parties dont l’une

est intitulée : « Le Pouvoir gérontocratique ». Dans cette partie, nous parlerons des

anciens qui représentent l’Afrique traditionnelle. Ils sont très attachés aux traditions

ancestrales et s’opposent catégoriquement à la modernité. Dans la deuxième partie,

intitulée « Les temps nouveaux », nous nous intéresserons aux jeunes scolarisés

1 GOLDMAN, Lucien., Pour une Sociologie du Roman, collection tel, Gallimard, 1964, pp. 34-36

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qui représentent l’Afrique moderne. Ils exigent des reformes sociales et rejètent

certaines valeurs traditionnelles.

Nous verrons au début de chaque partie un plan détaillé qui compose ce

travail.

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PREMIERE PARTIE

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INTRODUCTION

Depuis l’émergence de la littérature négro-africaine, aux années 1920, les

critiques littéraires ne cessent d’y porter des aspects dynamiques et significatifs. En

effet, Sous L’Orage de Seydou BADIAN est une des œuvres qui dénotent l’histoire

de cette littérature.

Ce roman est écrit dans une espace musulmane où les traditions donnent un

pouvoir supérieur à l’homme, qui doit avant tout être le chef de la famille. Il accède

au pouvoir afin de diriger, de commander ou de donner des ordres. L’homme est

celui qui tranche le différend quand une querelle éclate entre tribus.

Dans la société africaine bien hiérarchisée d’avant la colonisation où chaque

individu trouvait sa place, les vieux nous apparaissent comme l’un des membres les

plus importants. Ils sont la sagesse de la société et les détenteurs des traditions.

Pour toutes ces raisons, ils représentent la valeur de l’Afrique et défendent contre

toute menace les valeurs culturelles du pays.

Intitulée : « Le Pouvoir Gérontocratique », la première partie dans laquelle les

vieux tiennent un rôle important dans la société, sera composée de trois chapitres.

Dans le premier chapitre, nous parlerons du village, comme cadre spatial ; lieu

qui naturellement garde les traditions ancestrales. Là nous verrons aussi comment

les vieux maintiennent le poids de la tradition.

Par la même circonstance, nous porterons dans le deuxième chapitre un

regard sur l’attitude des anciens à l’égard de leurs femmes et vis-à-vis de

l’administration coloniale.

En revanche, dans le troisième chapitre, la vie de la femme par rapport à celle

de leur mari sera relatée. Là-dedans la manière de préparer un mariage plonge toute

une famille dans un orage impétueux, car la jeune Kany veut décider seule à

l’encontre de ses parents.

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CHAPITRE I:

LE POIDS DE LA TRADITION.

Les traditions sont des notions relatives au passé : coutumes, opinions,

usages … qui existent et qui se transmettent de générations en générations, à

travers les siècles. Les traditions font partie de ce patrimoine qui donne sens à la vie

et à la société d’un pays. Elles donnent à une société sa place et sa valeur par

rapport à une autre société donnée par la manière de vivre, d’agir, de se

comporter… Elles marquent également l’histoire d’un pays.

En Afrique, cependant, on constate que, ces derniers temps, les traditions

sont en voie de disparition surtout dans les grandes villes. En revanche, dans les

villages, les habitants arrivent à les conserver, car elles n’ont pas eu l’influence

occidentale. Ainsi donc, les villages sont vus comme les lieux qui maintiennent

fortement les traditions ancestrales par l’éducation qu’assurent les vieux du village.

Dans une société en proie à de nombreux bouleversements où les valeurs et

les modes de comportement se modifient, il est nécessaire de s’interroger sur ce qui

fonde l’identité d’une collectivité. C’est ce point crucial que nous examinons dans ce

chapitre.

I -1- LA VIE AU VILLAGE : Le village est tout d’abord une agglomération ou un groupe d’habitations rural

moins nombreux à la différence de la ville. C’est un lieu à la campagne dans lequel le

mode de vie de ses habitants garde toujours son aspect traditionnel : la vie intérieure

sinon sociale. C’est un milieu dans lequel les activités sociales et économiques

demeurent moins développées. C’est ce qui permet à certains villageois de fuir les

campagnes pour aller s’installer en ville, dans l’espoir de trouver une vie meilleure.

Nous verrons alors comment s’organise le mode de vie du village.

Sous L’Orage de Seydou BADIAN est, en effet, un témoignage de la vie d’un

village au Mali. En d’autres termes, ce roman constitue un document qui renseigne

sur les mœurs et les coutumes du village où vit le père Djigui, frère aîné du père

Benfa et oncle de Kany. Ce village est un lieu où l’esprit communautaire domine.

Dans cette société, les institutions telles que la famille, la religion, l’école…

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maintiennent fortement les jeunes dans une situation de dépendance par rapport à

leurs aînés, seuls dépositaires du pouvoir de la parole. Ces aînés n’hésitent pas à

donner des instructions, des enseignements aux cadets. Comme l’a montré l’auteur,

la base des âges est ici importante dans la mesure où elle permet aux villageois de

vivre en harmonie, de se respecter les uns des autres surtout entre grands et petits,

de se fréquenter et même de s’entraider. Voyons ce qu’affirme l’auteur :

« Au village, les jeunes entourent de respect et de sollicitude leurs

aînés. Ils vénèrent les anciens et tout ce qui a été établi par eux. Ils

les écoutent religieusement quand ils leur racontent les faits passés

ou quand ils leurs enseignent les fruits de leur expérience et de celle

de ceux qui les ont précédés. Jamais entre cadet et aîné, il n’y a la

moindre discussion ; toute la vie est régie par une seule loi, celle de la

hiérarchie de l’âge, de l’expérience et de la sagesse. »2

Ce thème de « la vie au village » est partagé par de nombreux écrivains

africains que ce soit des écrivains d’Afrique noir ou du Maghreb. Nous citons par

exemple Mouloud FERAOUN le maghrébin qui dans Le Fils du Pauvre 3 relate la vie

des habitants de son petit village natal Kabyle. L’auteur montre un peuple qui vit en

harmonie et sans distinction. Un peuple qui s’aime. Ainsi, dit-il :

« A TIZI, on se connaît, on s’aime (…) On mène sa barque comme on

peut, mais il n’y a pas de castes. »

Le monde villageois dont parle BADIAN se fonde, à part la lente hiérarchie

des âges, sur des épreuves que les jeunes doivent subir pour devenir des hommes

selon les règles sociales établies :

« C’est seulement après avoir séjourné dans la « Case de circoncis »

que les cadets sont considérés comme des hommes. (…) Ils savent

veiller sur un secret. »4

La circoncision est une opération qui concerne avant tout les individus de sexe

masculin. Elle est assez importante, car elle permet à l’individu de rentrer dans une

autre phase ou dans un autre stade de la vie. Et par là, l’homme circoncis arrive à

garder ce qui lui est confié. Ces pratiques sont aussi reprises par Camara LAYE

dans son roman autobiographique lorsqu’il dit :

« Tant que nous n’avons pas été circoncis, tant que nous ne sommes

pas venus à cette seconde vie qui est notre vraie vie, on ne nous

2 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 27 3 FERAOUN, Mouloud, Le Fils du Pauvre, Collection Points, Seuil, 1954, p. 18 4 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 27

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relève rien, et nous n’arrivons à rien surprendre. Ce n’est qu’après

avoir participé plusieurs fois à la cérémonie des lions, que nous

commençons à vaguement entrevoir quelque chose, mais nous

respectons le secret : nous ne faisons part de ce que nous avons

deviné qu’à ceux de nos compagnons qui ont une même expérience.

Et l’essentiel nous échappe jusqu’au jour de notre initiation à la vie

d’homme. »5

Les rites comme ceux de l’initiation assurent l’intégration de l’individu à la

conscience collective et préservent par conséquent la pérennité des traditions. C’est

ce qui fait que les jeunes écoutent les aînés

« Religieusement quand ils leur racontent les faits passés ou quand

ils leur enseignent les fruits de leur expérience et de celle de ceux qui

les ont précédés. »6

Ceci montre combien, au village, les jeunes et leurs aînés s’aiment,

s’amusent, discutent et vivent ensemble.

Les jeunes, au village, sont modelés, éduqués selon les principes du sacro

saint. Autrement dit, les principes font l’objet du respect, code de conduite morale en

vigueur dans une société où l’homme est véritablement le frère de son prochain.

C’est pourquoi :

« Il n’y a la moindre discussion, entre cadet et aîné. »7

La vie au village est toujours vue comme la vie du passé : une vie qui reste

inchangée, alors que dans les villes, tout tend vers la modernité. En effet, au niveau

de la civilisation matérielle, l’auteur Seydou BADIAN nous montre, par exemple, une

différence dans le mode vestimentaire. Il souligne comment les villageois s’habillent.

Il maintient le personnage dans son état traditionnel. Ce qui atteste que certaines

descriptions signalent et caractérisent le personnage. Ainsi le boubou définit le

personnage traditionnel. Il connote même le sauvage. Ce sont parmi les signes qui

départagent le campagnard du citadin. Ceci étant, en arrivant au village, Kany se

sent étonnée, car elle découvre un autre monde différent de son monde citadin. C’est

un monde nouveau ou plutôt perdu pour elle :

« Les hommes du village, couverts le plus souvent d’amulettes

défilaient sous ses yeux : vieux taciturnes au regard sombre, jeunes

5 LAYE, Camara, L’Enfant Noir, Plon, 1954, p. 119 6 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 27 7 Idem., p. 27

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dans leurs boubous jaunes de cotonnade. Non, ce n’est pas la ville,

rien ici ne la rappelle. (…) Les femmes ne connaissent rien de mille

choses avec lesquelles on se pare bien. Elles ont leur pagne autour

des reins ; quelques-unes ont une camisole, et quelle camisole ! »8

Il est important de noter que la façon de se vêtir au village n’est pas la même

que celle de la ville. Les hommes, au village, ne font pas perdre leur vigueur, toutes

les valeurs qui fondent la communauté sont respectées. Ce respect passe par le

cycle éducatif « positif » où l’on apprend à être un homme, c’est-à-dire à se montrer

digne de ce nom, à vivre et à mourir en homme de foi, d’amour et de fidélité.

Quant au domaine nutritif, on constate au village une manière simple de vivre.

Ce qui rappelle une vie pauvre. Là bas, les hommes mènent une forme particulière

de vie qui est primitive. Et à défaut de moyen les habitants appliquent le système du

troc :

« Le feu s’obtient avec le silex ; la bouillie de mil se mange salée ; pas

de sucre, pas d’argent ; ici, on n’achète pas, on échange. »9

Cette manière de vivre traduit la misère, la paupérisation au village. Une telle

situation de vie au village s’explique par plusieurs facteurs, parmi lesquels la forte

croissance démographique et l’ignorance. Presque tous les habitants du village

mènent le même mode de vie. C’est ainsi que Mouloud FERAOUN dit lorsqu’il parle

de la situation vitale de son Kabyle natal :

« On ne peut ni établir un classement définitif, ni constater des

différences essentielles dans le genre de vie des habitants. » 10

Ce système de troc qu’appliquent les habitants du village ne fait que faciliter

leur vie, la rendre moins chère.

Toutefois, les jeunes villageois qui rêvent vivre dans le luxe et dans le confort

et qui souhaitent trouver loisirs et plaisirs, ne s’intéressent plus à cette vie monotone

et décevante à leurs rêves. (Une vie tranquille, paisible mais pauvre). A partir du

moment où le village ne répond pas à leurs besoins, ils cherchent un moyen qui est

celui de se rendre en ville où ils espèrent tout gagner. D’où la naissance de l’exode

rural : un mouvement qui ne bénéficie que peu de jeunes de la brousse. Un vieillard

8 Ibid., p. 112 9 Idem., p. 112 10 FERAOUN, Mouloud, Le Fils du Pauvre, Collection Points, Seuil, 1954, p. 15

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du village se plaint à Kany, la jeune citadine, à propos de leurs enfants qui quittent le

village pour la ville. Ainsi déclare-t-il :

« Nos enfants envient ceux de la ville. Ils ne pensent qu’à fuir le

village. »11

Ce mouvement affecte aussi à son tour, dans le même ordre d’idée, l’héroïne

de Maïmouna, roman d’Abdoulaye SADJI. Maïmouna l’héroïne, cette jeune fille

radieuse qui, vivant auprès de sa famille à la campagne, n’a d’autre idée que d’aller

vivre en ville (Dakar), où elle espère réaliser ses rêves. Elle tient à ce qu’elle y aille,

parce que rien ne va au village. Ce n’est plus au village qu’elle peut vivre heureuse.

L’auteur l’a montré quand il dit :

« Il n’y avait pourtant bien des mystères qu’elle aurait voulu pouvoir

élucider, bien des réactions qui pour elle ne s’expliquaient pas.

L’évolution de cet état confina bientôt à la mélancolie et à la

souffrance. Le village ne lui disait plus rien, l’amour et la protection de

sa mère la laissaient indifférente ; une seule idée, un seul rêve,

emplissait sa jeune tête : répondre à l’invite de Rihana (sa sœur

aînée), aller à Dakar. »12

On voit ici combien Maïmouna était folle de partir pour la ville. Et si Rihana

appelle la petite Maïmouna à vivre auprès d’elle en ville, c’est parce qu’elle désire

aussi que sa cadette ait le même mode de vie qu’elle : une vie de luxe.

Symboliquement, le village incarne le passé, car il est à la fois le lieu de

l’enfance et celui de la tradition. Si de nombreux romans africains mettent en scène

des héros (des jeunes broussards) qui partent du village pour aller en ville, afin de

tenter l’aventure et connaître finalement mille mésaventures, Sous L’Orage de

Seydou BADIAN en fait le contraire. Ici, l’héroïne quitte en revanche la ville pour le

village. Ce dernier est un lieu de rédemption morale et spirituelle qui est encore en

partie préservé des influences étrangères. D’où un milieu dans lequel la société vit

toujours dans les traditions ancestrales.

Après cette vie au village, nous parlerons tout de suite de la résistance de la

tradition. Elle fera bien entendu l’objet du deuxième point d’analyse de ce chapitre.

Ici, les vieux défendent les traditions qui sont menacées par les jeunes.

11 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 94 12 SADJI, Abdoulaye, Maïmouna, Collection Les classiques africains, Présence Africaine, 1958, p. 45

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I -2- LA RESISTANCE DE LA TRADITION Pendant la période précoloniale, en Afrique, les traditions ancestrales ont été

bien respectées. Mais à partir du moment où les occidentaux ont introduit une autre

culture, ces dernières connaissent de plus en plus une dégradation.

Dans le continent, alors que les jeunes écoliers prétendent tout moderniser,

les anciens veulent toujours rester fidèles aux traditions. Voyons au moyen de quoi

les anciens cherchent à défendre les traditions du pays dans cette divergence

d’idées.

L’ambition de sauvegarder les valeurs de l’Afrique traditionnelle est l’un des

soucis majeurs de beaucoup d’écrivains négro africains d’expression française

pendant la période dite coloniale. Ils ont tenté d’affirmer surtout la dignité et l’honneur

de l’Afrique, mais bafoués par la colonisation. Les écrivains africains viennent à

renier le présent colonial, car cette période est considérée comme un moment de

déchéance existentielle et de dégradation spirituelle à cause de contact de deux

cultures.

C’est par une structure dialectale que l’auteur Seydou BADIAN écrit son

roman situé à l’époque coloniale dans une société où deux cultures coexistent. En

effet, autour d’un problème de mariage, l’auteur crée deux groupes de personnages

antithétiques.

Le premier défend, outre la conception traditionnelle du mariage, l’ensemble

des valeurs culturelles de la société traditionnelle. Ce groupe représente celui des

anciennes générations.

Quant au second, composé généralement des écoliers, s’oppose au mariage

traditionnel et aux valeurs qui opposent la vision occidentale du mariage et les

valeurs culturelles de l’Europe.

Deux conceptions s’affrontent, par conséquent deux générations, deux

mondes : celui de l’ancienne Afrique où se reconnaissent le père de la jeune écolière

Kany et son fils aîné. Ce monde puise sa force dans la lente hiérarchie des âges et

des épreuves que l’enfant doit savoir franchir patiemment pour devenir un homme

dans le respect scrupuleux des règles qui unissent l’ordre des hommes. L’autre, celui

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de l’univers considéré comme un système bien ordonné dans l’honneur et la parole

donnée dont le mariage imposé n’est après tout qu’un épiphénomène.

Constatant le rejet des valeurs traditionnelles par les jeunes scolarisés, les

vieux se réveillent et défendent ces valeurs qui sont un héritage. Dans cette

conception, nous voyons Kerfa-le-fou qui montre à Sidi la position ferme du père

Benfa. Ainsi il dit :

« Non, non le père Benfa n’acceptera pas. Il croit avoir raison. Il

défend contre vous ce que lui ont laissé ses pères. » 13

Sidi est parmi ces jeunes pour qui les traditions sont à rejeter. La position de

Benfa est forte et témoigne l’importance des traditions qui depuis les temps

immémoriaux et passant de siècle en siècle doivent rester telles qu’elles sont. Benfa,

comme les autres vieux, veut être un continuateur des valeurs traditionnelles

africaines et léguer cet honneur aux jeunes. Autrement dit, les anciens y restent

attachés et avec conviction ils veulent tant bien que mal les transmettre à leurs fils,

pour garder l’identité du pays.

D’emblée, nous sommes en présence d’un certain nombre de personnages

très attachés à la tradition et qui s’opposent catégoriquement à la modernité. A

l’inverse, nous avons les jeunes qui prétendent que le poids du passé est trop lourd

et qu’il est temps d’opérer les changements indispensables. Ils s’intéressent à la

modernité et veulent y conduire les vieillards qui sont les gardiens des traditions

africaines. Ils jugent de cette vie humeur qui ne convient qu’aux ancêtres :

« Tout cela est dépassé, disait Birama autour de lui, la civilisation

demande autre chose. Nous ne sommes pas faits pour cette vie dont

parle Sibiri ; elle est bonne pour les ignorants. » 14

Les ignorants sont ici les vieux qui veulent toujours rester dans leur mode de

vie alors que le monde évolue dans une nouvelle vision. Selon les jeunes, pour

asseoir une vie meilleure, il faut se débarrasser des traditions ancestrales. Cette

révolte marquera une nouvelle histoire. D’où une nouvelle vie. Par conséquent, ces

jeunes détestent par excellence le fétichisme du passé dans lequel les vieillards

voudraient les ancrer. Ces derniers, parfois plus soucieux de conserver leur pouvoir

souhaitent pratiquer une sagesse qui leur fait défaut. Les jeunes veulent à tout prix

13 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 161 14 Ibid., p. 30

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15

tourner le dos à certaines valeurs traditionnelles. Le conflit s’accentue et prend de

jour en jour une autre allure. Cette divergence d’idées, marquant un climat

effervescent pourrait être annoncée dès le titre de l’ouvrage.

Si les anciens et les jeunes ne se comprennent plus, la faute revient aux

blancs qui ont instauré deux conceptions d’existence complètement contradictoires.

Les jeunes reçoivent les idées modernes, s’emprennent à la tradition inadaptée à

l’époque alors que les anciens regardent avec méfiance la modernisation, car celle-ci

risque de bouleverser leur pouvoir. C’est alors que pris par la colère, le père Benfa

s’attaque aux jeunes contre leur comportement en montrant ce qui les motive à

vouloir substituer les valeurs héritées des traditions ancestrales :

« Les jeunes parce qu’ils savent lire, écrire, veulent nous mener. J’ai

toujours eu des difficultés avec mes enfants qui sont à l’école. Cette

fois-ci je leur prouverai que je suis encore en vie. ».15

Il s’agit pour Benfa de lutter pour les traditions ancestrales jusqu’au dernier

moment. Tant qu’il est vivant, il ne se laissera pas être dominé par ses enfants.

Mais ce qui fait aussi un peu la force des traditions, c’est l’éducation que

reçoivent les jeunes auprès des vieillards. Ils sont souvent les aïeux, les grands

pères, les grands mères, les chefs religieux ou de famille. Ils leur expliquent le

respect des anciens vis-à-vis des mœurs et des coutumes qui assurent la pérennité

de l’organisation sociale et maintiennent ainsi la cohésion de tout le groupe.

Pour un legs familial et social, les enfants reçoivent ou bénéficient dès leurs

petits âges une éducation puritaine qui les façonne : c’est une éducation religieuse

ou une autre forme d’éducation qui se fait oralement. D’où l’importance de la

littérature orale traditionnelle. C’est le lieu pour Ahmadou HAMPATE BÂ de montrer

la valeur d’un vieillard africain. Il le compare à une bibliothèque.

Mais parce que les jeunes veulent tout changer, ils font la sourde oreille aux

conseils des anciens. C’est dans ce contexte que va se dessiner la grande

contestation des jeunes vis-à-vis de l’autorité et vont aussitôt en guerre contre les

aïeux qui, selon eux, semblent plus soucieux de leurs intérêts égoïstes que la

préservation de la tradition. Pour les vieux, le fait de choisir lui-même son mari ou sa

femme est un pas vers le délaissement des valeurs ancestrales. Mais pour les

15 Ibid., p. 159

Page 19: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

16

jeunes ce choix n’entraîne pas la mort des traditions. Il constitue au contraire une vie

meilleure pour le futur.

Le conflit prend une allure difficile dans la mesure où chacun des deux camps

dans des joutes oratoires ou dans la pratique des idées veut mener l’autre. Nous

assistons alors à un dialogue impossible, si nous pouvons le dire.

Trop bousculés par les jeunes, les vieux, enracinés naturellement dans leurs

cultures, n’éprouvent pas facilement le besoin de s’en convaincre. Ils admirent le

passé qui signifie le respect des ancêtres, de la culture du pays et de l’harmonie

sociale. Selon eux, avec les jeunes les valeurs du pays s’effondreront. Leur

préoccupation demeure la recherche d’une évolution harmonieuse de leurs cultures

en relation avec l’universalité.

Face à ce problème qui se pose, apparaissent deux personnages importants

s’élevant au-dessus des deux groupes qui cherchent une voie de conciliation. Ils se

présentent comme des médiateurs en vue de l’enfantement d’une société nouvelle et

meilleure. Cette société doit être fécondée par les éléments positifs de chacune de

deux sociétés en présence. Il s’agit de Kerfa-le-fou et de Tiéman-le soigneur.

Les fous que nous rencontrons dans les romans africains présentent cette

particularité d’être tous intégrés à la vie sociale.

« Il est même intéressant de noter qu’ils vivent la plupart du temps

dans les lieux à forte concentration humaine comme le marché ou la

place publique. Leur singularité s’exprime toutefois à travers leur

accoutrement, leurs propos et les rapports qu’ils entretiennent avec la

communauté, mais il est toutefois un trait qui sert de dénominateur

commun à tous ces personnages, c’est qu’ils n’ont pas ou n’ont plus

de nom, donc pas d’identité à part celle générique de « fous ». Ce

défaut d’identité, aussi problématique soit-il dans le contexte de la

société africaine, ne fait pourtant pas du fou un parias rejeté par la

communauté qui semble, au contraire, entretenir avec lui une sorte de

complicité. Ce curieux attachement trouve sans doute sa raison dans

le rôle implicite attribué au fou par une société qui voit en lui à la fois

le détenteur et le révélateur d’une vérité cachée ou occultée, qui

intéresse l’ensemble de la communauté. » 16

16 CHEVRIER, Jacques, Littérature d’Afrique Noir de langue française, Collection Monde Noir, Nathan, 1999, p. 71

Page 20: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

17

Les fous jouent également un rôle non négligeable dans la société africaine.

Ils sont les seules personnes qui s’expriment librement dans la société. « Détenteurs

et révélateurs d’une vérité cachée ou occultée », ils mettent fin, par ce pouvoir, de

nombreuses situations parfois graves qui se posent dans les sociétés. C’est ainsi

que nous trouvons Kerfa-le-fou qui joue le rôle de médiateur dans le conflit de

générations opposant les jeunes, qui veulent à tout prix changer, aux vieux, qui

désirent toujours sauvegarder la culture ancestrale. Ce fou met en garde les jeunes

contre une imitation stérile de l’Europe et les invite à réfléchir sur leur histoire pour

trouver la voie meilleure qui est celle du dialogue, de la compréhension mutuelle, de

la lente et patiente éducation conduisant au progrès de la société, sans entraîner une

rupture radicale avec le passé. Nous revenons encore une fois à dire que le fou est

un personnage important dans le roman africain. En effet, un autre fou se réveille

dans l’Aventure Ambiguë de Cheick Hamidou KANE. Partagé entre sa culture et

celle de l’occident, Samba Diallo, le héros de ce roman devient hybride et ne sait

plus que faire. Il échoue à concilier les tendances contraires qui le déchirent.

« Inquiétant et prophétique, un étonnant personnage, celui du fou,

témoigne de l’impossible synthèse des deux cultures : après un séjour

en Europe, il a regagné son village, l’esprit perdu. » 17

Fidèle alors à sa culture, le fou, après avoir supplié Samba Diallo de faire la

prière, a fini par le poignarder. Ce héros est poignardé, car il avait refusé de faire la

prière qu’il avait apprise à l’école coranique. Le Fou était devant lui, l’obligeant à

prier :

« Promets-moi que tu prieras demain

- Non, … Je n’accepte pas …

Sans y prendre garde, il avait prononcé ces mots à haute voix.

C’est alors que le fou brandit son arme, et soudain, tout devient

obscur autour de Samba Diallo. » 18

La mort du héros met un terme à son déchirement. L’enseignement religieux

qu’avait reçu Samba Diallo, comme tout autre enfant africain d’ailleurs, était destiné

à bien le former, afin de mieux se maintenir et de rester fidèle dans sa propre culture.

17 CHEVRIER, Jacques, Littérature Nègre, Collection Monde Noir, ARMAND Colin, 1974, p 144 18 KANE, Cheick Hamidou, L’Aventure Ambiguë, Julliard, 1961, p. 187

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18

Après Kerfa-le-fou, qui cherche une voie de conciliation face au conflit de

génération, le second personnage, par la voix d’un infirmier habitant au village, formé

à l’école occidentale et ayant vécu en Europe s’appelle Tiéman-le-soigneur.

Comme pour montrer sa volonté d’appartenir aux deux mondes, cet homme

énigmatique, dont on devine clairement qu’il représente l’auteur, (BADIAN Seydou a

fait des études médicales à Montpellier) symbolise la réussite de la synthèse entre le

savoir occidental, la manipulation des outils du progrès et son intégration dans la vie

coutumière villageoise. Voyons ce qu’il dit :

« Il ne s’agit pas évidemment de tout accepter. Mais faites un choix

(…) Si vous aimez réellement votre peuple, si vos cris d’amour

n’émanent pas d’un intérêt égoïste, vous aurez le courage de

combattre toutes ses faiblesses. Vous aurez le courage de chanter

toutes ses valeurs. » 19

Et dans ses messages, il enseigne aux jeunes la relativité des cultures et des

civilisations, l’exigence de fidélité à soi et d’ouverture au monde extérieur, la

nécessité de l’apport de chaque peuple à la construction du monde de demain, de la

civilisation universelle. De toutes les façons, la solution a l’air efficace à partir du

moment où les vieux cherchent à fragiliser le climat en acceptant quelques

propositions des jeunes.

Mais comme il faut une bonne dose de malignité à un monstre, les vieux

réagissent intelligemment et avec douceur pour parvenir à leurs fins, c’est-à-dire

protéger les valeurs traditionnelles qui sont à la menace des jeunes scolarisés. Ils

vont préparer un voyage pour les enfants à destination du village où ils vont

découvrir que l’on vit encore dans le contexte ancestral, alors qu’ils sont des purs

produits de la nouvelle société.

Ce voyage offre l’occasion d’aborder les problèmes sociaux, économiques et

politiques du pays. Il permet surtout à l’initiation et à la formation des jeunes de

même qu’au dénouement de la crise. Au cours de leur trajet, les voyageurs reçoivent

involontairement des leçons sur les différents aspects de la vie de leur pays.

Arrivés à destination, ils découvrent un monde étonnant. Alors, comme pour

eux une véritable éducation qui les transforme moralement et intellectuellement. Ils

détournent assagis et mieux intégrés à leur société. Mais ce jour révèle

19 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 143

Page 22: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

19

salutairement aux jeunes gens leur acculturation. Sous l’égide d’un guide sûr, le frère

aîné du père Benfa, ils vont réapprendre leur monde, abandonner leurs credo

stériles, se convaincre que l’avenir n’est pas dans l’imitation servile des Blancs mais

un effort pour comprendre les anciens. Les coutumes sont faites pour

« servir les hommes, nullement pour les asservir. »20

Mais en même temps, les anciens, refusant de faire de leurs enfants des

adversaires s’ouvrent au changement, sachant que

« De la racine à la feuille, la sève monte et ne s’arrête pas. »21

Du reste, si le dénouement de l’histoire est favorable aux jeunes évolués, c’est

grâce à la sagesse et à la compréhension des anciens ainsi qu’à l’autocritique des

jeunes sur leur attitude à l’égard des coutumes. A partir de ces critiques de la

tradition et de la modernité, nous relevons le souci constant de ce roman qui est

l’union, la concorde, la réconciliation. Comme l’implore la mère de Kany :

« Vous, vous me ferez mourir de chagrin. Deux frères de même

sang, du même lait, qui n’arrivent pas à s’entendre ! (…) Ecoutez-moi

bien, je prie nuit et jour pour une famille unie. Croyez-moi, celui

d’entre vous qui sera cause du désaccord, aura mon éternelle

malédiction. » 22

Les deux frères dont il est question ici se sont opposés à propos de ce

problème : l’un s’allie au camp des anciens et l’autre à celui des jeunes.

La solution est ainsi dans un compromis. Les jeunes gens qui s’aiment se

marieront. Mais ils doivent bien observer le respect envers leurs aînés, obtenir leur

accord par la transaction, non la révolte, les convaincre patiemment et par leur

conduite raisonnable, prouver aux anciens que changer certaines coutumes ne

signifie pas détruire les bases mêmes de la famille.

Kany n’épousera pas Famagan, le vieux et riche commerçant que son père

avait proposé en mariage. Les tensions s’apaisent, les yeux se tournent vers un

monde nouveau, ouvert au changement sans renier la sagesse du passé. Appel

optimiste, voire idéal à une Afrique qui évite les conflits pour se construire dans

20 Idem., p. 143 21 Ibid., p. 38 22 Ibid., p. 57

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20

l’harmonie d’apports multiples. Ce roman écrit aux années 50 reflète la conquête

d’un nouveau monde, d’un nouveau progrès spirituel.

Si les parents demeurent encore crédules et soumis aux apparences, la

nouvelle génération gagne en clairvoyance. Cet évènement introduit une seconde

espace romanesque après la ville où les jeunes fréquentent l’école. Nous aurons

l’occasion de parler avantageusement de la ville et de l’école étrangère dans la

deuxième partie de notre travail.

La vie au village représente la vie des anciens. Les traditions sont bien

respectées. Ici, les hommes vivent en harmonie. Ils se connaissent et s’entraident

dans presque tous les domaines, malgré leur pauvreté. Les vieux ont fourni des

efforts considérables pour protéger les traditions ancestrales qui étaient à la menace

des jeunes.

Ce chapitre sur le poids de la tradition nous amène à faire une autre étude qui

sera complémentaire à celle-ci : c’est la force des anciens qui compose l’analyse de

ce deuxième chapitre.

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21

CHAPITRE II :

LA FORCE DES ANCIENS

Dans la vie, naturellement, les hommes ne se comportent pas de la même

manière et ne réagissent pas de la même façon.

Dans la société malienne, il existe par ce fait une hiérarchie. Les anciens y

occupent une place éminente et se prennent la plupart du temps comme des chefs

absolus. A la maison, ils donnent des ordres ou des recommandations à leurs

femmes. Ils ont un comportement bizarre. Cependant, ils interviennent en tant que

notables dans les affaires sociales, ils arrangent les conflits sociaux et mettent de

l’ordre dans la société. Par ce rôle, ils deviennent les premiers contestateurs des

employés subalternes coloniaux à l’instar des administrateurs, des commerçants et

des agriculteurs qui vont s’emparer de leurs pouvoirs. Ces commis, en se donnant

un net pouvoir vont installer des nouvelles structures sociales et des nouvelles

formes de service qui destitueront les anciens. Ainsi, des attaques rigoureuses

contre l’administration deviennent automatiquement importantes.

II -1- L’AUTORITE PATERNELLE : Le thème de l’autorité paternelle revient très souvent et surtout dans la quasi-

totalité des œuvres des écrivains africains. Seydou BADIAN est l’un des écrivains

maliens qui relient ceux du Maghreb pour blâmer l’autorité paternelle. Dans les

romans comme dans les autres genres, parmi les personnages mis en scène, il y a

celui du père. Les écrivains le présentent dans ce contexte avec un comportement

qui met cependant en jeux la vie de la femme au foyer.

BADIAN nous présente dans Sous L’Orage le rôle d’un père de famille qui se

transforme en autorité à propos d’un mariage. De temps en temps, celui-ci s’impose

de toutes les manières pour faire triompher son autorité. Le pouvoir de se faire obéir

est une grandeur pour le père Benfa. Maman-Téné et sa fille Kany sont décrites dans

ce roman comme des sujets qui ne sont là que pour subir et obéir. En effet, père

Benfa donne des ordres ou des recommandations qu’on doit exécuter. Ainsi, dit-il :

« C’est nous qui décidons, comme il est d’usage. C’est à Kany de

suivre. »23

23 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 54

Page 25: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

22

L’expression « comme il est d’usage » affiche qu’un tel comportement d’un

mari vis-à-vis de son épouse et de ses fils ne date pas d’aujourd’hui et figure dans

leurs traditions. Cette autorité est par conséquent non seulement une coutume mais

un honneur dans la famille. Car si Kany réussit à choisir elle-même son mari, ce

serait une menace des traditions, de plus cela donnera une mauvaise image à la

famille Benfa, laquelle sera accusée la première à avoir transgressé les traditions du

pays. Ainsi Kany doit être sous le commandement de son père :

« Oui, nous avons le droit d’imposer qui nous voulons à Kany parce

que Kany a quelque chose de nous : elle porte notre nom, le nom de

la famille. Qu’elle se conduise mal et la honte rejaillit sur notre

famille. » 24

Cette autorité qu’exerce le père Benfa touche encore tout son entourage. Il

terrifie son entourage en sorte que personne ne pourrait faire un seul mouvement

normal à sa présence. Ceci dit que sa domination repose cette fois-ci sur la terreur.

Cette dernière s’explique par sa personnalité avant tout, ses décisions :

« Le père Benfa, superbe dans son boubou doré, chapelet en main,

s’était déjà installé. Il était si majestueux, si imposant que tous ceux

qui, venant vers la véranda, l’apercevaient, marchaient sur la pointe

du pied pour ne pas se faire entendre. Il resta ainsi seul avec ses

prières jusqu’à l’arrivée des autres. »25

Le portrait physique du père Benfa décrit par l’auteur, nous apprend qu’il est

un homme religieux : « boubou doré, chapelet en main, avec ses prières ». Ce titre

de chef religieux favorise en quelque sorte son autorité, car tout le monde lui doit du

respect. D’ailleurs, c’est par là qu’il cherche à exercer son autorité. Les terreurs, les

ordres et les recommandations se dégénèrent en une autre situation plus que difficile

pour la femme.

Dans cette société patriarcale, la femme subit une dégradation physique et

morale. Cette nouvelle situation que l’homme fait subir à sa femme est sans répit. La

femme perd par conséquent sa vigueur, son dynamisme. Cet affront envers elle est

par ailleurs, suivi d’une agression corporelle. Elle reçoit des châtiments de temps en

temps. Elle est tourmentée et tabassée :

24 Idem., p. 54 25 Ibid., p. 33

Page 26: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

23

« Les poings fermés, marcha résolument vers la petite case. Il cogna

une, deux, trois fois et attendit. Le fouet sifflait toujours et la femme

hurlait invariablement. (…) Il se tourna vers ses camarades et haussa

les épaules. Puis, serrant les mâchoires, il recula pour prendre son

élan, afin de mettre en branle toute la puissance de ses muscles (…)

La femme s’assit sur la margelle du puits et se mit à pleurer. »26

Si BADIAN expose les problèmes que heurte la femme malienne et donc

africaine en général, c’est pour trouver une solution adéquate à ces problèmes.

Notons que le problème de l’autorité paternelle est contesté en premier en

Europe. Molière un dramaturge célèbre nous donne un exemple dans sa pièce de

théâtre intitulée L’Ecole des Femmes. Chrysalde un bourgeois exige de sa fille une

obéissance inconditionnelle. Son autorité paternelle est sacrée.

Si l’héroïne de BADIAN préfère être tuée que de se soumettre aux ordres de

son père, c’est pour mettre à terme cette situation. La mort qu’elle suggère ici est

d’une part, une révolte contre l’autorité paternelle, et d’autre part une libération dans

la mesure où elle fuit cette autorité. Aussi annonce-t-elle :

« Faites de moi ce que vous voudrez, je préfère mourir. »27

Ce problème réel, fréquent dans la société du Mali est une occasion pour

Seydou BADIAN de dénoncer l’humiliation de l’homme à la femme. L’auteur se

montre ici comme un avocat de la femme. Il met en scène Benfa pour servir de

prototype d’un père autoritaire.

Ainsi, la relation entre père Benfa et sa famille n’est pas un rapport de

communication entre deux individus mais bien un rapport de force entre un sujet et

un objet.

Après avoir parlé de la société patriarcale, nous allons nous intéresser

maintenant de la vision des anciens à travers l’administration coloniale.

II-2- LES ANCIENS FACE A L’ADMINISTRATION COLONIALE L’avènement de la colonisation en Afrique constitue un changement radical du

point de vue social et politique, dans la mesure où elle vient d’instaurer des nouvelles

structures administratives et des nouvelles formes de services de gestion.

26 Ibid., p. 59 27 Ibid., p. 72

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24

Le patronat, les contributions, la poste, etc.… forment l’administration

coloniale. Bref, la bureaucratie et le commerce.

Il convient par cette optique de joindre l’idée maîtresse de la colonisation

selon laquelle le noir est ignorant et n’a pas de civilisation. Soi-disant, pour une

« mission civilisatrice », les Européens s’étaient rendus en Afrique pour civiliser les

Noirs qui sont des barbares. Or dans leur fort intérieur, c’était plutôt pour s’enrichir et

exploiter la richesse ou les ressources naturelles qu’offre le pays.

Nous voyons, en effet, la présence des européens, par le système

administratif, qui exploitent la richesse du pays au Mali. Ils font travailler durement la

population malienne, par une corvée qui ne rapporte rien au peuple. C’est pour cette

raison qu’un ancien se plaint en disant aux jeunes citadins :

« Nous travaillons dans le champ du blanc. Nous lui donnons du mil

et du caoutchouc. Nous travaillons sur les routes et tout cela pour

rien. » 28

Ce qui est un lourd fardeau pour les cultivateurs c’est la qualité de culture

qu’ils défrichent dans ces champs. Ils ne procurent pas des produits qui peuvent être

utilisés directement mais des produits des matières premières. Autrement dit, des

produits qui nécessitent des transformations avant qu’ils soient utilisés :

« Nous luis donnons du caoutchouc. »29

Le caoutchouc est le produit cultivé dans les champs la plupart du temps.

Dans cette nouvelle société, les nouvelles structures sociales et les nouvelles

formes de services sont à l’origine de la naissance des différentes catégories de

classes sociales dont la classe paysanne. Et comme il s’agit du système du patronat,

il existe un chef ou un patron et ses ouvriers.

Nous rappelons que nous sommes dans la période coloniale. Et les relations

entre patron et ouvriers n’étaient pas du tout bonnes. Les grands (patrons)

maltraitaient les petits qui sont les ouvriers. Ils les faisaient souffrir au point que la vie

ne valait plus la peine. C’est dans ces conditions qu’un commis se plaint de dire :

« J’ai toujours eu affaire à des mauvais patrons. Il vous rend la vie

impossible. Quoique vous fassiez, il est mécontent. Il vous crée des

histoires, vous crie après à longueur de journée et le bureau devient

28 Ibid., pp. 93-94 29 Idem., p. 93

Page 28: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

25

un véritable enfer (…) Je travaille comme un imbécile et n’importe

quel nouveau débarqué gagne deux fois plus que moi. Ce n’est pas le

travail mais la couleur qu’on paie. » 30

Les derniers mots du commis nous renvoient à une situation de discrimination

raciale. A vraie dire, on doit être payé suivant le travail qu’on a exercé. Cette

nouvelle tendance amène Seydou BADIAN à stigmatiser farouchement les

occidentaux qui sont des oppresseurs du peuple malien.

Les Bouts de bois de Dieu vient témoigner cette conception puisque nous

sommes en pleine période coloniale. Alors déclare un inspecteur du travail :

« ça ne suffit pas de marcher sur les colonies, il faut encore qu’on

piétine les colonisés. » 31

C’est pour les industries et pour avoir des mains d’œuvre que les occidentaux

ont mis en cours le système administratif au Mali et en Afrique en général. Voilà

pourquoi ils y ont fait des champs de caoutchouc et d’autres cultures. Ces cultures

labourées au Mali sont exportées en Europe par les grands pour les transformer en

un autre état. Puis après tout ils viennent les revendre dans le pays d’origine à des

prix exorbitants. On peut dire que, même si on rencontre des commerçants noirs

d’origine malienne, ce sont les européens qui détiennent le monopole du commerce

dans ce pays :

« Les blancs veulent tout vendre eux-mêmes. Le mil que nous

cultivons, il faut qu’ils nous le revendent. Il en est de même du riz, des

arachides… » 32

Il est important de noter ici que pour se nourrir du mil, du riz et d’autres

denrées, les habitants du Mali dépendent des patrons occidentaux. Ils doivent

acheter chez les blancs les aliments de base qu’ils ont cultivé eux-mêmes. Par ce

procédé, nous dirons que dans Sous L’Orage, la forme de la remise en cause de la

colonisation apparaît plus suggestive que révoltée, le fond est à son tour plus

subversif que des cris hurlant même à l’injustice des abus. C’est alors que nous

découvrons un commerçant noir qui déclare en s’attaquant contre cette base de

l’économie coloniale. Un commerçant qui au contraire ses activités commerciales

bénéficient d’avantage les européens. Ainsi demande-t-il :

30 Ibid., p. 91 31 OUSMANE, Sembene, Les Bouts de bois de Dieu, Presses Pocket, 1960, p. 269 32 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 92

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26

« C’est nous qui produisons les matières premières. Pourquoi ne pas

les envoyer en Europe nous-mêmes ?» 33

Signalons que si les européens arrivent à exploiter la richesse naturelle du

Mali, c’est parce que le peuple malien manque d’unité, de solidarité et d’organisation.

C’est ce qui fait qu’un agent subalterne dise :

« Si nous savions nous organiser, les choses iraient beaucoup

mieux. Par exemple, nos commerçants ne devraient pas rester à la

remorque des maisons de commerce européennes et des libano

syriens. » 34

Cependant il propose une solution efficace qui demain pourra facilement

briser le monopole du commerce qu’ont les européens en Afrique ou affaiblir à

jamais l’économie européenne qui se développe grâce aux ressources africaines :

« Il faut créer des écoles de pratiques rurales. Ainsi naîtra une

génération de paysans éclairés, laquelle s’érigera d’elle-même contre

la routine et les méthodes séculaires. »35

La domination commerciale des européens au Mali entraîne une menace du

pouvoir gérontocratique. C’est ce dernier facteur qui est cause directe des

manifestations des anciens contre l’administration coloniale. L’avènement de la

colonisation fait que les anciens ont perdu toute responsabilité ; tout pouvoir de

notabilité lequel permettait de régler les problèmes ou les conflits du village et

d’orienter le peuple du Mali dans le droit chemin. Partout au village, les chefs blancs

exigent qu’on les salue. Les vieux qui devraient être salués sont contraints à saluer

les jeunes chefs blancs. C’est une menace envers les traditions. Ce renversement de

situation fait crier à tue-tête les anciens qui ne tardent pas à communiquer aux

jeunes citadins :

« Le chef blanc vient au village avec ses gardes. Il veut qu’on le

salue, la main à la tempe ; nous sommes vieux, cela nous fatigue, ne

le sait-il pas ? Dans le village voisin, il a mis un chef qui n’est pas du

pays. Personne ne le veut, sauf le blanc ; les gens ont peur, alors ils

tremblent. Le blanc ne sait-il pas que quand on tremble devant un

chef on désire secrètement le voir trembler à son tour. (…) Ne

pourriez-vous pas dire aux blancs que nous ne sommes pas bien !

33 Ibid., p. 96 34 Idem., p. 96 35 Ibid., p. 97

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27

(…) La force ne crée pas un chef mais un adversaire à abattre. (…)

Le blanc nous oblige à nous découvrir pour le saluer ; dites-lui que

chez nous, un vieux ne se découvre pas. Dites lui aussi que c’est aux

jeunes de saluer le vieux. » 36

La présence des chefs blancs dans les bureaux partout aux villages montre la

domination coloniale ou européenne en Afrique et plus particulièrement au Mali.

Cette domination est fortement contestée par les vieux lorsqu’ils disent : « Personne

ne le (blanc) veut ». Cela laisse entendre une réflexion sur l’émancipation du peuple

malien.

Devenu « objet » de son maître, le colonisé n’existe plus qu’en fonction des

besoins du colonisateur. Mais ce comportement ne peut rester sans douleur pour le

noir. Encore une fois, nous disons que cette attitude fera révolter le dominé, car si

l’Afrique ne se développe pas dans le domaine tant politico social que culturel, c’est

aussi en grande partie à cause de la colonisation, des chefs blancs mis en place

dans le continent. Père Djigui annonce même que :

« Un chef qui fait trembler est comme une grosse pierre qui barre une

piste. Les voyageurs l’évitent, la contournent, puis un jour ils

s’aperçoivent que le chemin serait moins long s’il n’y avait pas la

pierre, alors ils viennent en grand nombre et la déplacent. »37

Ce que dit Djigui illustre bien que l’administration coloniale fait reculer l’Afrique

et que celle-ci peut un jour accéder à sa liberté. Rappelons que la littérature

malienne comme celles d’autres pays africains avait pour but de chercher l’identité

du pays et son indépendance.

Le pouvoir administratif n’arrange en aucun cas les anciens. C’est un pouvoir

dans lequel les africains sont broyés par l’engrenage bureaucratique. A partir du

moment où on ne bastonne plus les vieux, il y a les impôts et les taxes à payer par

contrainte. Les droits énormes à payer vont être la cause de certains jeunes du

village à se déplacer pour chercher du travail à la ville. C’est ainsi que le vieux fait

expliquer aux citadins ;

« J’ai mon fils là-bas, à la ville. Il y est allé travailler pour payer les

impôts. La première année, il a envoyé quelque chose ; depuis, plus

36 Ibid., pp 108-109 37 Idem., p. 108

Page 31: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

28

rien. Le connaissez-vous ? Ici au village, nous n’avons pas d’argent,

nous ne pouvons pas payer d’impôts. »38

Même si on se déplace pour aller à la ville, cela ne montre pas qu’on peut

facilement payer les impôts et les taxes. Seydou BADIAN s’attaque dans Sous

L’Orage contre les mentalités administratives.

Les victimes de l’administration coloniale sont d’abord les anciens qui sont

illettrés. Ils deviennent des proies qui s’attaquent rapidement au piège. Ils

rencontrent trop de difficultés dans les bureaux administratifs. On leur exige des

dossiers ou des papiers partout dans les bureaux. Pour contester ce système voici

un vieux qui se prononce :

« Avec le blanc, il faut des papiers, partout des papiers. Il faut des

bons, des autorisations, des laissez-passer et quoi encore ? Or nous

ne savons ni lire, ni écrire. (…) Vous allez dans un bureau ; le

commis, pour vous montrer qu’il est puissant, vous crie dessus. »39

Cet homme montre qu’il est difficile pour eux qui sont illettrés de chercher à

présenter des papiers écrits en langue étrangère dans des bureaux dirigés encore

par des étrangers.

A part BADIAN, d’autres écrivains ont parlé également du nouveau système

bureaucratique. C’est le cas de Sembene OUSMANE qui, d’après Jacques

CHEVRIER dit:

« Dans la Longue nouvelle intitulée Le Mandat met en scène un

pauvre chômeur dakarois auquel, parvient un jour, en provenance de

Paris, un mandat aussi fabuleux que providentiel. Toutefois pour un

homme illettré et « sans relations » comme Ibrahim Dieng percevoir le

montant de ce mandat inespéré n’est pas chose facile. Dans l’univers

coloré hostile et surchauffé de Dakar s’engage alors la quête

hallucinée des documents réclamés par l’administration.» 40

Ainsi se passe un dialogue entre Ibrahim Dieng et le commis.

« Dieng se présenta au guichet, le préposé, après avoir extrait une

fiche, la compara à l’avis.

- Ibrahim Dieng, ta carte d’identité ?

38 Ibid., p. 107 39 Ibid., p. 92 40 CHEVRIER, Jacques, Anthologie Africaine, Le Roman et la nouvelle, Collection Monde Noir, Hatier International, 2002, pp. 160-161

Page 32: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

29

- Homme, j’ai pas de carte d’identité, j’ai mon reçu d’impôt, ma carte

d’électeur

-Y a- t-il une photo ?

- Non, non…

Donne-moi quelque chose où il y a ta photo ! Permis de conduire,

livret militaire ? »41

Dieng s’est rendu compte par la suite que toucher le mandat ne peut se faire

sans une carte d’identité. Mais toutes les démarches possibles entreprises par Dieng

pour percevoir son argent demeurent en vain, car un commissionnaire véreux

empoche finalement l’argent du mandat. Ainsi donc le héros du mandat est broyé par

l’engrenage bureaucratique d’une société qu’il ne comprend plus et dans laquelle il

se débat vainement comme un dormeur pris au piège d’un mauvais rêve.

Nous notons ici que le peuple malien occupe en grand nombre le secteur

primaire. Hormis quelques auxiliaires maliens, nous constatons que dans ce pays les

administrateurs français, les commerçants européens et libano syriens occupent les

secteurs secondaire et tertiaire.

La contestation de la colonisation est importante. Mais celle-ci dans le roman

de BADIAN Sous L’Orage ne s’apparente guère à des écrits contenant des violentes

attaques comme dans les romans de Mongo BETI ou de Ferdinand OYONO. Dans

Sous L’Orage, chaque problème évoqué est examiné dans ses aspects positifs et

négatifs. On dirait que c’est le style même du livre tout entier. Et nous rappelons que

la critique directe par la parole est contrariée à la culture malienne. La colonisation

n’a pas seulement des aspects négatifs, elle a aussi des aspects positifs. Elle a

contribué au développement des nations africaines. En faisant sortir le continent de

l’impasse, la colonisation a développé les infrastructures et a mis en place des

écoles et des hôpitaux. Nous voyons l’auteur qui fait même dire à un commerçant :

« Les blancs sont nos sauveurs. Nous allons pouvoir dire aux blancs

ce qui est mal. Nous allons leur dire ce qui doit disparaître, afin que

tout le monde soit heureux. Il faut reconnaître que les blancs nous ont

apporté beaucoup de biens.»42

« Dire aux blancs ce qui est mal » montre qu’ils sont les seuls qui peuvent

guérir tous les maux qui se posent dans ce pays du Mali et donc dans toute l’Afrique.

41 OUSMANE, Sembene, Le Mandat, Présence Africaine, 1966, p. 128 42 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, pp. 56-94

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30

L’auteur a quand bien même une vision optimiste pour l’avenir de l’Afrique. Il

voit en lui une Afrique qui demain sera riche et développée. Toute sa motivation se

révèle ainsi :

« Avec la politique, tout va changer. »43

Dans la société patriarcale, seuls, les hommes ont le droit de s’exprimer, de

décider ou de commander. Les structures traditionnelles leur donnent une place

importante au sein de leurs familles et de leur société. Mais le système colonial a

introduit des nouvelles formes qui ont destitué ces derniers. Ainsi, les relations entre

les anciens et l’administration coloniale n’étaient pas bonnes.

Afin de donner plus d’éclaircissement sur les traditions, nous allons nous

mettre directement au troisième et dernier chapitre de la première partie de notre

travail. Dans ce chapitre, nous verrons la place de la femme et le refus du mariage

forcé.

43 Ibid., p. 94

Page 34: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

31

CHAPITRE III :

LA RELATION HOMME-FEMME

Depuis leur apparition sur terre, l’homme et la femme ont toujours eu le plaisir

de vivre ensemble. Ils nouent une relation qui leur permettra de bien se connaître et

partager tous deux la vie. Cet amour qui les unit paraît mutuel. L’amour désigne

alors, au sens strict du terme, cette relation qui rapproche deux êtres humains qui

peuvent sans contrainte se marier. C’est ici le lieu d’introduire ce chapitre qui

examine successivement deux aspects, à savoir la place de la femme vis-à-vis de

son partenaire ainsi que le mariage traditionnel que conteste une jeune fille par la

manière de le faire.

Précisons que le but premier de célébrer un mariage est d’assurer la

descendance de la famille. Si Kany conteste le mariage traditionnel, c’est parce

qu’elle veut introduire un autre mode : raison pour laquelle on parle du mariage

d’aujourd’hui et du mariage d’hier. Et c’est ce dernier qui est décisif à démontrer

dans ce chapitre.

III -1- LA PLACE DE LA FEMME FACE A SON PARTENAIRE L’une des préoccupations majeures des écrivains africains au lendemain des

indépendances est le statut de la femme.

La femme est présentée sous l’image d’un être insignifiant. Celle-ci dépend

toujours du mari sous prétexte qu’elle est considérée comme étant sous la protection

de ce dernier. Elle est indéniablement présentée comme l’être le plus rabaissé dans

la société. Ses pouvoirs et ses droits sont limités à l’égard de son mari qui veut avoir

tout le commandement.

Comme elle est représentée dans Sous L’Orage, la vie de la femme demeure

constante dans la mesure où elle se trouve sous la domination totale de son mari qui

a le monopole dans toutes les affaires. Elle semble donc ne rien représenter et

pourtant elle est l’équilibre de l’homme et sa raison d’être parfois. C’est alors que

nous découvrons Maman-téné dans Sous L’Orage avec la seule activité qu’elle

exerce dans la vie de tout le jour. C’est celle de s’occuper du foyer. Dans la

conception des ancêtres, une fille est faite pour travailler à la cuisine et au champ

mais jamais dans un autre secteur.

Page 35: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

32

Pourtant encore au foyer, elle doit toujours écouter son mari. Le foyer est la

première place pour les femmes. C’est ainsi que pour convaincre sa fille à épouser

Famagan, Maman-Téné tient à lui expliquer rapidement sa place dans la société en

tant que future femme. Alors affirme-t-elle :

« La plus noble aspiration d’une jeune fille est le foyer ; oui, le foyer,

un mari et des enfants : c’est le plus grand bonheur. » 44

Ainsi les jeunes filles ne doivent penser à rien d’autre que d’avoir un mari et

des enfants. Elles sont le rêve d’amour et l’objet de satisfaction de l’homme. Elles

sont vues comme des machines de fabrication d’enfants. Si Maman-Téné fait

connaître à sa fille que les enfants sont plutôt un bonheur mais pas une charge, c’est

parce que selon la sagesse populaire africaine, « L’enfant est une source de

richesse »

Mais si les femmes se trouvent dans cet état de dépendance, c’est parce qu’il

est hors de question d’envoyer une fille à l’école. Seuls les garçons y ont accès. Ce

qui revient à dire que les traditions maintiennent les femmes dans un état

d’ignorance. Fréquenter les portes de l’école française développe l’intelligence et

permet l’accès à une place assez favorisante dans la société.

La différence au niveau intellectuel rehausse l’homme et rabaisse la femme.

Ils n’ont pas la même vision et ne partagent pas les mêmes idées. Mais Kany ne

voudrait pas vivre dans cette différence. C’est ainsi que pour arriver à ses projets,

elle désire poursuivre ses études à l’école coloniale pour parvenir à ses fins. Mais sa

mère cherche par tous les moyens à bloquer son élan. Elle lui montre ce qui est utile

pour les filles à l’école : ce n’est pas apprendre à connaître beaucoup de choses ou

à espérer avoir une place importante dans la société mais apprendre uniquement à

savoir lire et écrire. Ainsi elle déclare à sa fille :

« Tu as été à l’école, peu de tes camarades en savent autant que toi.

Tus sais lire une lettre venant de n’importe quelle ville. Tu sais écrire

une lettre à n’importe qui, c’est largement suffisant pour toi. Moi qui

suis ta mère, je n’ai rien su de tout cela. Et pourtant j’ai été comme les

autres, Dieu merci. »45

44 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 71 45 Idem., p. 71

Page 36: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

33

Les dernières paroles de Maman-téné expliquent qu’une fille à l’école n’est

pas vraiment utile. Une fille à l’école n’aboutira à rien. Celle qui fréquente l’école ou

celle qui ne la fréquente pas ont la même place dans la société : le foyer.

Cette place qu’occupe la femme pose aussi un autre phénomène très grave :

celui de consulter la femme pour demander son point de vue ou son opinion devant

un problème quelconque qui se présente dans la famille. Elle n’est jamais sollicitée à

participer ou à contribuer ses idées. On voit, dans Sous L’Orage, une seule fois

Maman-téné envoyée par son mari pour essayer de convaincre Kany à accepter le

mariage avec Famagan. C’est le seul moment important où on voit cette femme

devant son mari :

« J’ai à te parler de la part de ton père ; écoute-moi, écoute bien et

réfléchis à ce que je vais te dire. »46

Là où a échoué le mari, la femme peut réussir. Néanmoins, elle ne peut plus

promouvoir des décisions. Tout ce qu’elle fait dépend toujours du mari. Elle est à la

charge du mari.

Maman-téné souffre d’être devenue une première épouse délaissée et

esclave du foyer ; mais ce qui pour sa fille serait une insupportable tyrannie, devient

chez cette femme lucide et touchante un constat douloureux :

« Tais-toi ! Je ne puis rien, tu le sais bien, je ne suis rien. C’est ton

père qui décide ; auprès de lui, nous ne sommes rien, ni toi, ni

moi. »47

Compte tenu de la société dans laquelle nous sommes, (la société malienne

est une société où la religion musulmane occupe une place importante), la femme ne

peut rien décider ni rien faire devant son mari, considéré par la religion comme le

chef absolu du foyer. Les structures sociales et la religion musulmane sont les

causes de cette place qu’occupe la femme malienne.

Si les jeunes filles tiennent toujours à aller à l’école, c’est pour qu’elles ne

soient pas trop dépendantes de leurs maris. Ensemble, ils peuvent s’entraider et

réfléchir sur leur avenir pour ainsi avoir une vie meilleure. C’est aussi pour bannir

cette vie traditionnelle qui rend chef l’homme. C’est alors que la jeune malienne

Jeannette déclare dans Voix de jeunes dans la ville africaine que :

46 Ibid., p. 70 47 Ibid., pp. 74-75

Page 37: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

34

« C’est le cadre traditionnel : la femme est soumise, le mari est très

considéré. Et puis mon père est intellectuel et ma mère n’a pas fait

l’école, donc leurs points de vue peuvent différer. Je peux avoir un

mari à peu près de même niveau que moi : on aborderait les

problèmes sous un angle beaucoup plus large, il y aurait un dialogue,

une communication, une complémentarité que je cherche. » 48

Les propos de Jeannette montrent bien que si la femme est dans un état

d’infériorité ou de dépendance par rapport à son mari, c’est parce qu’elle n’a pas

fréquenté l’école française.

Pour une vie heureuse, pour accéder à la même place dans la société ou

dans la vie, la femme, comme l’homme, doit aller également à l’école. Cela permettra

une interdépendance entre l’homme et la femme.

Après avoir vu la place de la femme vis-à-vis de son partenaire, nous allons

voir maintenant comment la jeune Kany refuse le mariage forcé imposé par son père.

III-2- LE REFUS DU MARIAGE FORCE Le mariage est une relation qui engage d’une façon légale l’homme et la

femme. L’un doit, sans contre coeur, se donner à l’autre. Mari et femme doivent

s’entraider pour l’avenir. Pour cela, les deux conjoints doivent librement se choisir et

avoir au préalable la possibilité de se fréquenter et de se connaître avant tout pour

éviter que leur union soit un saut dans l’inconnu. Cet acte implique également

l’alliance de deux familles aussi bien dans le domaine économique que social.

Mais les sociétés traditionnelles africaines avaient une autre vision pour les

mariages. Ils se faisaient plutôt à l’amiable uniquement entre les familles des deux

époux sans le consentement ou l’avis de l’un des conjoints. L’un est appelé

seulement à obéir. C’est ce qui fait dire à un jeune malien lors d’un interview que :

« Sa grand-mère lui a dit que chez eux, on ne présentait pas la fille à

son futur mari. Il conteste : il doit chercher sa femme, connaître son

caractère, pour qu’il puisse se mettre en confiance entière sur elle. »49

Ces propos illustrent bien que dans les sociétés traditionnelles africaines, les

mariages se faisaient par la force. Les grands-parents ou mêmes les parents

48 DENIEL, Raymond, Voix de jeunes dans la ville Africaine, INADES, 1979, p. 133 49 Ibid., p. 96

Page 38: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

35

mariaient leurs fils de gré ou de force. C’est ce concept là que nous allons examiner

par rapport à la société moderne.

Immédiatement Seydou BADIAN nous présente dans Sous L’Orage la jeune

fille, Kany, qui refuse de devenir l’épouse d’un vieux riche commerçant que veulent

lui imposer ses parents. Conformément à la tradition, c’est le père qui doit choisir le

mari de sa fille sans que celle-ci soit consultée. C’est ce qui fait que le père Benfa dit

à sa fille

« Lorsque Samou, le fils de Coumba, osa demander la main de sa

fille. Que je ne vous voie plus ensemble, avait ordonné le père de

Kany, tu auras le mari que je voudrais. »50

Si le père Benfa a choisi Famagan (le vieux et riche commerçant) comme mari

de sa fille, c’est parce qu’il juge que celui-ci est un homme riche et de haut statut

social. Il est en mesure d’apporter la dot et financer la famille. Nous retenons par là

que c’est par profit qu’on célèbre ces genres de mariage. Ainsi le père de Kany ne

voit que l’aspect économique.

Famagan, le vieux commerçant avec la complicité du cupide père de la fille

désire arracher à Samou sa fiancée. Physiquement et moralement le commerçant

est détestable selon la jeune fille qui ne cesse de crier :

« Je n’aime pas Famagan, je n’aime pas Famagan. » 51

Ce commerçant, Famagan, est un homme assez âgé qui a déjà deux femmes.

La question d’âge est un facteur décisif pour la jeune fille de ne pas accepter

le mariage forcé avec l’homme que ses parents ont choisi. Et très souvent dans ces

mariages l’homme est plus âgé que la conjointe. L’attitude du père Benfa apparaît à

sa fille comme une sorte de viol puisqu’elle souhaite être la femme d’un homme

ayant le même âge qu’elle.

Si de nombreux écrivains africains dénoncent ces pratiques, c’est parce

qu’elles sont devenues une monnaie courante qui circule partout dans le continent.

Et les conséquences sont néfastes. Ils stigmatisent pour apporter un changement.

C’est ainsi que nous découvrons dans Maïmouna l’héroïne Maïmouna qui se révolte

avec l’intervention d’une amie contre l’idée d’épouser un vieil entrepreneur dont elle

ne connaît pas l’identité :

50 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 21-22 51 Ibid., p. 72

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36

« Je connais, l’homme à qui on veut te donner en mariage ;

assurément, c’est un gentleman, riche et sérieux. On dit aussi qu’il est

de bonne famille. Mais Il est trop vieux pour toi, ma chère Maïmouna.

Que peut-il te donner que tu n’as pas ici ? Tu es jeune, ta beauté a

fait le tour du monde et tu n’as que l’embarras du choix entre mille

parties. Pourquoi se presser de te marier à un homme que tu n’aimes

pas. » 52

Belles et jeunes, ces filles voudraient se marier avec d’aussi jeunes et beaux

garçons de leur âge. Ce qui compte pour elles, ce n’est pas l’argent mais la beauté

et l’amour. Kany et Maïmouna ont déjà fait leur choix et aiment respectivement

Samou et Doudou Diouf.

Les caractères du commerçant reflètent l’opulence insolente due à tous les

avantages matériels inhérents à sa fonction du commerce. Son objectif n’est rien

d’autre que d’accroître le plus rapidement possible la quantité de sa richesse obsédé

comme dans le matérialisme.

Ce vieux et grand commerçant qui n’arrive plus à s’exprimer qu’en billets de

banque réussit à corrompre certains membres de la famille de la jeune fille. Ils font

parti, eux aussi, de cette catégorie de personnes auxquelles les biens matériels

deviennent chose sacrée au détriment des valeurs les plus nobles ; ils sont

incapables de s’élever vers un idéal exaltant, ne serait-ce que celui d’assurer le

bonheur à leur propre fille qui aime l’étudiant Samou qui fréquente la même classe

qu’elle. A l’unanime, Kany et Samou haïssent au plus haut point Famagan.

Même si Tiémoko, le frère aîné de Kany, partisan de la tradition s’arrange du

côté des anciens et essaie de nier complètement leur caractère d’avidité en

déclarant :

« Ce n’est pas pour ce qu’il leur a donné, ce n’est ni pour ses

présents, ni pour les sommes d’argent qu’ils ont reçues de lui (…) Ce

qui leur amène vers Famagan, c’est sa démarche, son heureuse

conduite à leur égard, en un mot son savoir. »53

Ajoutons alors que c’est plutôt ce domaine qui leur convient bien. Ce qui nous

amène à qualifier cette société traditionnelle d’une société de « l’avoir » et non de

« l’être ». 52 SADJI, Abdoulaye, Maïmouna, Collection Les Classiques Africains, Présence Africaine, 1958, p. 149 53 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 37

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37

Mais si Kany songe nuit et jour à Samou qui pour elle incarne l’amour et

l’avenir, Benfa a pour sa fille d’autres projets, en l’espèce de Famagan. Ce dernier,

riche marchand, souhaite faire de Kany sa troisième épouse et il s’apprête à donner

sa parole. Cela nous pousse à dire encore une fois que le père de Kany ne voit que

l’aspect économique, alors que Kany désire plutôt un mariage d’amour auquel elle

voit

« un merveilleux avenir embelli par la présence permanente de celui

qu’elle chérit. »54

C’est à elle de choisir son mari. Il n’appartient pas à ses parents de le faire à

sa place. Elle sait le mari qui lui convient. C’est à elle que voudrait revenir la

responsabilité de choisir son futur mari. Si jamais elle se trompe, ce ne sera pas un

échec total mais une erreur surmontable. Cependant sa famille se demande

comment une jeune fille peut refuser honneur et argent pour s’attacher à l’homme

qu’elle aime en affirmant que

« Rien au monde ne pourra leur séparer ? » 55

Kany et Samou sont deux jeunes qui s’aiment d’un amour pur. C’est dans leur

union qu’apparaîtra le bonheur de vivre, la vie heureuse :

« Kany au fond d’elle-même se sentait liée à Samou, liée pour la vie… Oui

pour la vie. Ce mot, ils se l’étaient maintes et maintes fois dit depuis qu’ils

s’étaient vus. »56

Cette prise de conscience de la situation d’aliéné de la jeune fille est dictée

par l’école française qui l’a inculquée la signification de l’amour et de l’indulgence.

On pourrait dire que c’est le résultat de son savoir acquis à l’école des blancs. Et

c’est ce qui pousse la mère de Kany à conclure que :

« Ce mariage s’annonce difficile (le mariage de Kany et Famagan).

Sa fille est à l’école. Elle a appris à voir les choses par elle-même. »57

Malgré l’opposition de Kany, père Benfa invite sa famille pour les préparatifs

du mariage. Le drame de Kany est qu’elle n’a pas le soutien de sa mère. Au

contraire sa mère met en valeur l’autorité paternelle et le sacré de la tradition en

rappelant à la fille que son devoir est d’obéir.

54 Ibid., p. 23 55 Ibid., p. 79 56 Ibid., p. 22 57 Ibid., p. 46

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38

« Il n’est pas question d’aimer, fit Maman-téné, tu dois obéir, tu ne

t’appartiens pas et tu ne dois rien vouloir ; c’est ton père qui est le

maître et ton devoir est d’obéir. Les choses sont ainsi depuis

toujours. »58

Mais Kany par sa violence demeure opposante à la décision de l’autorité

paternelle. Elle s’y oppose en disant à sa mère qu’elle ne peut en aucun cas épouser

Famagan :

« Mâ ! (…) pardonne-moi, mais je ne peux être la femme de

Famagan. Faites de moi ce que vous voudrez ; je préfère mourir. » 59

Il s’agit d’un refus absolu de la part de la jeune fille. Par sa détermination de

mourir, l’héroïne a lancé un défi à l’autorité paternelle et a bafoué la tradition.

Le refus ultra remarquable de Kany d’obéir à son père a déclenché une série

d’évènements marquant une autre forme d’action. La désobéissance de Kany

provoqua la colère de son père. A ce point, le drame se trouve dans les dialogues

tendus, dans la succession de scènes brèves, une expression plus propre à la crise

qui partage le père et sa fille.

Irrité par les résistances obstinées de Kany et de Birama, leur père Benfa

décide fermement de les envoyer de gré ou de force au village chez son frère aîné le

père Djigui qui les remettra dans le droit chemin :

« Je vais les envoyer dès demain, elle (Kany) et Birama (son frère)

au village, chez mon frère Djigui. (…) Le train entra en gare de K…

Birama et Kany descendirent après avoir salué leurs compagnons.

Leurs valises à la main, ils se rendirent au bord du fleuve : le village

du père Djigui était situé sur l’autre rive. »60

Ce voyage qui permettra le dénouement de la crise est imposé comme une

sorte de punition. Si Birama subit aussi cette correction, c’est parce qu’il a les

mêmes idées que sa sœur. La mesure prise par le père ressemble à un coup de

théâtre qui change d’une manière inattendue le déroulement d’une action, disons

dramatique.

L’évènement met en scène le personnage du père Djigui qui jouera à son tour

le rôle de médiateur entre Kany et son père. Djigui est un homme soucieux et riche

58 Ibid., p. 72 59 Idem., p. 72 60 Ibid., pp. 75-99

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39

d’expérience. C’est un simple chasseur digne de confiance mais qui n’est pas digne

de personnalité. En ce sens, il intervient en faveur des jeunes qui veulent moderniser

les choses.

Fort heureusement pour le bon succès de leur projet matrimonial, les

amoureux trouvent en Benfa, l’oncle de Kany, un avocat avisé qui, fort de son droit

d’aînesse, réussit à convaincre le père intransigeant. Selon lui, le mariage

d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier ! Kany finit par retrouver celui qu’elle aime et peut

l’épouser par la suite :

« Ton oncle Djigui, dans un message, a demandé au père Benfa de

te laisser continuer tes études, de te laisser à l’école jusqu’à ce que tu

deviennes ce que tu veux être. Que lui le veut ainsi. » 61

Ecrit Samou dans une lettre à Kany.

Alors que la mère de Kany essaie par tous les moyens de convaincre sa fille

afin qu’elle accepte d’épouser Famagan, le père Benfa l’accuse plutôt de la soutenir

à bien réaliser ses rêves. Ce qui provoque des malentendus entre les parents de la

jeune fille. Apparaît ainsi un autre climat d’effervescence : méfiance totale et conflit

entre les parents de Kany. Père Benfa pense que si sa fille ne le respecte pas, la

faute revient à sa femme auprès de qui la fille reste permanente. C’est ainsi que père

Benfa reproche sa femme en disant :

« Tu la gâtes ! C’est toi qui la soutiens dans ses projets de fille

perdue. (…) Oui, oui ! Tu l’écoutes, tu la soutiens. C’est même toi qui

l’incites à désobéir. D’ailleurs j’ai compris ! C’est parce qu’elle reste

auprès de toi qu’elle a un tel esprit. »62

Selon son mari, Maman-Téné ne joue pas son rôle. Elle éduque mal sa fille.

De toutes les manières père Benfa tient à marier Kany avec Famagan. C’est la

tradition qui le veut ainsi.

Les filles n’ont aucune valeur devant leurs parents. Elles sont considérées

comme un produit de consommation parmi tant d’autres, existant au marché.

Quiconque ayant de l’argent peut s’en acheter. C’est à ce propos que Birama

intervient au sujet du mariage de Kany et Famagan :

« Ce n’est d’ailleurs pas un mariage, mais une vente aux enchères.

Vous agissez comme si Kany était non une personne mais un vulgaire

61 Ibid., p. 150 62 Ibid., p. 75

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40

mouton. Ce qui vous intéresse, c’est combien vous en tirez. Vous la

livrez au plus offrant et vous ne vous souciez plus de savoir ce qu’elle

devient. » 63

Dans cette situation, le courage et la grandeur d’âme manquent à la jeune fille

d’épouser le riche et vieux marchand qui a déjà trop dépensé pour corrompre la

famille de la jeune Kany. Il se montre particulièrement courtois et large à l’égard de

cette famille. Il distribue des billets de banque, des cadeaux divers pour apprivoiser

le clan de la jeune fille. Ce n’est pas l’argent qui fait défaut au grand commerçant,

mais peut être la valeur morale.

Si jamais la valeur morale de l’individu était fondamentale, la famille Benfa

n’aurait certainement pas accepté de donner sa fille en mariage en échange de

l’argent et des cadeaux. L’on aurait plutôt insisté sur la moralité de Famagan et

l’amour entre celui-ci et Kany. L’amour pur et réciproque peut être sacrifié au profit

de la sordide loi de l’intérêt. Mais folle du jeune Samou, Kany repousse le

commerçant. Ce dernier s’est affaibli face à cette ferme opposition de la fille. Il

n’arrive plus à user de la force et de la douceur pour parvenir à ses fins. Il est alors

déçu dans ses projets. Famagan se retire en disant que :

« Lui, il n’allait pas passer sa vie à attendre une fille alors qu’il y en a

par milliers dans la ville. » 64

Encore une fois, nous disons que Kany finit par épouser celui qu’elle aime. Un

mariage digne de ce nom doit se faire avec le consentement des deux conjoints

avant tout. Ils doivent se mettre d’accord pour leur union. Un véritable amour ne

s’achète pas. Il doit être mutuel.

Dans la société traditionnelle, la place de la femme n’est plus enviable. La

femme est un être qui n’arrive pas à se décider. Elle dépend toujours de son mari.

Face à cette situation, Kany refuse le mariage traditionnel qui la mettra dans un

même pied d’égalité que sa mère.

63 Ibid., p. 54 64 Ibid., p. 150

Page 44: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

41

CONCLUSION

L’étude du roman, tout au long de la première partie nous a permis de dire

que les vieux sont avides de pouvoir dans les traditions ancestrales. Ils ont mené

des combats durs contre les jeunes scolarisés ainsi que l’administration coloniale

pour se protéger. Les jeunes et l’administration sont considérés comme les

destructeurs des traditions maliennes.

Les vieux cherchent par tous les moyens à sauvegarder les traditions

ancestrales, car elles leur permettent de jouer un rôle considérable dans la société :

ils y exercent un certain pouvoir.

L’auteur a présenté dans son œuvre une espace très importante pour montrer

la valeur des traditions africaines. Il s’agit du village où l’héroïne même était envoyée

par son père suite à sa désobéissance, afin de lui réapprendre la culture ancestrale

vite oubliée.

Ainsi nous avons, tout au long de cette partie, parlé des anciens qui

maintiennent fortement les traditions ancestrales ici ou là. Mais à un moment les

traditions connaissent une bousculade des jeunes qui veulent moderniser la vie. Il

s’agit des temps nouveaux ; c’est l’analyse qui constituera la deuxième partie de

notre étude.

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42

DEUXIEME PARTIE

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43

INTRODUCTION

Une société est un groupe d’individus vivant dans un milieu donné avec une

culture, des structures et des lois établies. Aucun individu ne vit en dehors du cercle

social.

La société malienne connaît, cependant, à partir du XXème siècle une crise

importante qui se caractérise par un tournant brusque et grave d’une succession

d’évènements mettant en voie de disparition la culture des anciens. C’est alors qu’on

assiste à un changement sur les traditions ancestrales, car les jeunes qui fréquentent

l’école occidentale voudraient entrer dans une nouvelle ère de leur histoire. Ils

désirent rompre avec certaines coutumes des anciens pour pouvoir pénétrer dans le

monde nouveau. L’univers occidental est le monde nouveau dont rêvent les jeunes

de la nouvelle génération. A une nouvelle génération, une nouvelle histoire.

Nous désignons cette deuxième partie « Les temps nouveaux » : le

changement radical qui s’opère dans la société traditionnelle patriarcale du Mali.

C’est un moment périlleux de la vie sociale malienne.

Alors tout comme la première, cette deuxième partie, comporte trois chapitres.

Dans le premier chapitre, nous analyserons successivement l’image de la nouvelle

école installée au Mali par la colonisation et celle de la ville par opposition au village.

Par ailleurs, l’idéal des jeunes de bâtir une nouvelle société nous amène à

étudier dans le deuxième chapitre l’atmosphère qui règne dans la famille Benfa à la

suite de l’annonce du mariage de Kany et Famagan. Le refus de cette jeune fille

d’épouser un homme polygame est décisif dans ce chapitre.

Quant au troisième chapitre, nous y examinerons les manifestations des

jeunes désirant être libres dans leur société ainsi que la délivrance de la femme de

toutes formes d’oppression.

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44

CHAPITRE I :

L’IMAGE DE LA COLONISATION

La question de l’industrie en Europe est l’une des causes qui avaient entraîné

la colonisation en Afrique. En effet, ce continent était le mieux favorable aux besoins

des industries occidentales. Cependant, pour mieux s’installer dans les colonies

africaines, les occidentaux disaient qu’ils allaient apporter une meilleure civilisation

pour faire sortir ce continent « barbare » des ténèbres. C’est ainsi qu’ils ont construit

des écoles où l’enseignement se fait en français.

A l’école, l’enfant africain va bientôt découvrir la culture occidentale qu’il

n’hésitera pas à adopter. La plupart de ces écoles sont construites dans les villes qui

revêtent un autre aspect à l’arrivée des colons. Effectivement, les villes africaines et

les écoles restent dans le continent, la mémoire laissée par les occidents. C’est

justement ce point-là que nous allons voir dans ce chapitre.

I -1- L’ECOLE ETRANGERE FACE A LA TRADITION

L’école étrangère a ouvert ses portes en Afrique aux années 1800 avec la

colonisation. Elle est implantée dans le continent par les blancs qui du premier coup

transmettent leurs connaissances. C’est la philosophie occidentale à l’égard du

monde que véhicule l’école coloniale. Ainsi, de par sa nature, cette école est de

culture étrangère. Elle assure à l’enfant africain un nouvel enseignement et donc une

nouvelle culture. Ceci dit, l’enfant africain reçoit deux formes d’éducation : une

éducation qui lui apprend le respect des valeurs culturelles, l’obéissance et la

soumission. Et une autre qui lui apprend cette fois-ci la révolte, la liberté.

Ces deux sortes d’éducation, l’éducation selon la culture et la tradition et

l’éducation européenne sont l’une des conséquences de la rencontre de l’africain et

de l’occident. Et l’administration coloniale tient à privilégier l’instruction de cette

nouvelle école comme la seule initiation possible de former l’enfant noir. L’école

française marque exactement le clivage entre l’Afrique traditionnelle et l’Afrique

moderne.

Au début, l’installation de la nouvelle école était applaudie par les vieux dans

la mesure où elle fut à leurs yeux comme le moyen le plus rapide et le plus efficace

Page 48: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

45

pour sortir le pays de l’impasse. Ils étaient donc fiers d’y envoyer leurs enfants et de

les voir briller. Ils manifestent à cet effet leur joie publiquement de voir leurs enfants

acquérir un certain savoir et une certaine connaissance. Mettre un enfant à l’école

était en ce moment un honneur pour la famille. C’est ainsi que satisfait de l’essor de

sa fille, le père Benfa présente Kany à la ville en parlant de son savoir à tous les

vieux du quartier. Il leur disait comment elle (Kany) savait manier l’écriture du blanc

et avec quelle facilité elle savait lire les lettres. De temps en temps, il la faisait

appeler devant la mosquée, et là, au milieu de ses compagnons, lui faisait lire et

traduire tout ce qui lui passait par la main. Alors d’un ton mystérieux, il disait :

« Elle sait lire ce qui est écrit par la machine. » 65

Ceci témoigne une grande satisfaction de la part du père de Kany d’avoir

envoyé sa fille à l’école.

Mais ce passage à l’école européenne marque le début d’une rupture grave

de Kany avec son monde africain. Les connaissances et le savoir acquis par cette

jeune fille à l’école française vont la conduire dans un autre chemin ; c’est celui de

l’européanisation. Cette école est séduisante et attrayante. Cette rupture comme

nous la remarquons s’explique par la séduction et l’attraction qu’opère sur lui

l’enseignement pour découvrir le monde européen. Un monde qu’elle avait rêvé :

« Elle avait rêvé de la petite maison dont leur parlait l’institutrice

européenne, maisonnette ornée d’un salon éblouissant aux meubles

lourds ; elle avait rêvé du petit jardin où s’enchevêtrant, la jacinthe, le

géranium et la rose mêleraient miraculeusement leur parfum aux

senteurs tropicales. »66

Il est douloureux alors de dire que les jeunes africains qui reçoivent

l’enseignement colonial destiné réellement à faire d’eux des futurs cadres aptes à

servir leur patrie, se perdent aussi rapidement que possible dans leurs valeurs

culturelles. Ils rêvent et cherchent quoique ce soit à reproduire en eux les modèles

dont on leur parle en classe. L’apprentissage du français dans cette école étrangère

sert un point d’ancrage avant tout au sentiment d’exil de Kany qui n’a d’autre songe

que de vivre dans un monde occidental. C’est une séparation provoquée par la

rencontre de l’enfant colonisé avec la langue et la culture des oppresseurs.

65 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 21 66 Ibid., p. 23

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46

L’heure est en ce moment pour les jeunes au bouleversement radical des

mœurs et des coutumes jugées rétrogradées. Voilà pourquoi ils placent tous leurs

espoirs dans cette école qui leur donnera la clé du monde matériel que détiennent

les blancs pour enfin les affranchir. Nous voyons même Maman-téné qui, à la

recherche d’une solution pour sa fille, s’adresse à un féticheur en déclarant :

« Ma fille est à l’école. Elle a appris à voir les choses par elle-même

(…) On doit s’attendre à tout de la part des enfants d’aujourd’hui. » 67

Si les jeunes s’aliènent de la civilisation occidentale, c’est que tout simplement

parce que celle-ci est pour eux la meilleure. C’est aussi parce qu’ils veulent être

aimés et respectés par les blancs :

« Les blancs ne respectent que ceux qui parlent leur langue et

s’habillent comme eux ; car ceux-là seuls sont civilisés. » 68

Le problème de l’école qui semble le plus épineux est par conséquent de tous

les problèmes de société que pose l’Afrique l’imposition d’une culture étrangère à

ses coutumes. Suite à cela, les vieux tournent leurs yeux et considèrent l’école

comme un lieu qui kidnappe les enfants africains. Elle est en effet au cœur d’une

confrontation passionnée entre ses partisans et ses détracteurs. L’école n’hésite

cependant pas à constituer l’un des enjeux majeurs de sociétés en pleine mutation.

Les jeunes qui fréquentent les portes de cet endroit se voient les mieux

placés, les mieux intelligents de la société. Ce qui par conséquent entraîne une

mésentente et un non respect entre les enfants et leurs parents. Après une longue

conversation entre les vieux et les jeunes au sujet du comportement de ces derniers,

voici un vieux qui conclut :

« Voilà ce que j’attendais : l’école ! (…) S’il y en a qui rêvent que

d’être blancs, l’avenir se chargera de leur faire comprendre que « le

séjour dans l’eau ne transforme pas un tronc d’arbre en crocodile » Je

ne sais ce qu’on vous met dans la tête à l’école. Mais vous nous

revenez gâtés, insolents et irrespectueux. Dans la rue, vous feignez

de ne pas voir les grandes personnes afin de ne pas avoir à les

saluer. Vous vous croyez supérieures à tous les autres. » 69

Cette conception sur l’école étrangère, vue comme ennemie de la tradition

ancestrale du pays est aussi partagée par Cheikh Hamidou KANE dans son roman 67 Ibid., p. 46 68 Ibid., p. 30 69 Ibid., p. 56

Page 50: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

47

intitulé L’Aventure Ambiguë. Dans ce livre, l’auteur présente les débats qui

opposent le maître et le chef des Diallobé ; la Grande royale, la tante de Samba

Diallo, bien résolue, elle, à tenter l’aventure de la modernité. Ainsi, déclare cette

femme pour des raisons qui relèvent à la fois de la politique et de la tactique :

« L’école étrangère est la forme nouvelle de la guerre que nous font

ceux qui sont venus, et il faut y envoyer notre élite, en attendant d’y

pousser tout le pays (…) L’école où je pousse nos enfants tuera en

eux ce qu’aujourd’hui nous aimons et conservons avec soin, à juste

titre. Peut-être notre souvenir lui-même mourra-t-il en eux. Quand ils

nous reviendront de l’école, il en est qui ne nous reconnaîtront pas.

Ce que je propose c’est que nous acceptions de mourir en nos

enfants. » 70

Nous remarquons par là que cette école étrangère est synonyme de

colonisation ou tout simplement prend l’image de la colonisation. Au lieu d’apporter

une éducation digne de ce nom, une éducation qui formera les jeunes à mieux s’en

sortir des problèmes vitaux auxquels ils se trouvent confrontés, elle les pousse au

contraire à détruire leurs propres cultures.

Mais les jeunes qui ont vécu jusque-là « au cœur des choses » prennent leurs

distances par rapport à ce monde nouveau et portent eux-mêmes un jugement sur

ce problème de scolarisation qui est source de modernité. Il s’agit par là d’une prise

de conscience du danger, c’est-à-dire de l’appartenance simultanée et conflictuelle à

deux cultures antagonistes. Kany découvre, par la voix d’un muezzin, homme

religieux lequel représente ici la culture ancestrale, les dangers que porte l’école

coloniale. Alors

« Elle paraissait donner raison à Fadiga le muezzin, lequel disait à

qui voulait l’entendre que l’école était l’ennemie de la famille. Le

muezzin a ajouté que les filles qui fréquentent ce milieu cherchent à

tout résoudre par elles-mêmes et que certaines vont jusqu’à vouloir se

choisir leur mari ! Ma fille à moi ne verra jamais les portes de ce

lieu. » 71

Ceci revient à dire que s’il est difficile pour un père de famille d’envoyer son

fils à l’école européenne, il est cependant très nuisible d’y envoyer la fille, car il

considère cette formation comme incompatible au rôle de la femme. Une fille n’est

70 KANE Cheick Hamidou, L’Aventure Ambiguë, Julliard, 1961, pp. 47-57 71 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 22

Page 51: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

48

pas faite pour aller à l’école. Certains pères de famille éprouvent de la répugnance

d’envoyer leurs filles à l’école française.

Cependant ils pensent immédiatement à les marier quand celles-ci atteignent

l’âge de la puberté.

Comme il s’agit pour les jeunes de moderniser la culture, il y a lieu néanmoins

pour les vieux de protéger l’identité africaine traumatisée d’abord par la colonisation

et perturbée par l’irruption brutale du progrès technique, de la scolarisation et de

l’urbanisation. C’est ainsi que soucieux du comportement des jeunes, un vieillard et

ancien militaire dans l’armée en Europe raconte à ces derniers ses souvenirs

d’officier. Lui qui avait fréquenté l’école occidentale a gardé de choses si inoubliables

dans sa mémoire. Regrettant son passé, il éprouve le souci de conseiller les jeunes

afin qu’ils ne se trouvent plus dans la même situation que lui. Alors il dit tout en

commençant :

« J’étais comme vous. Quand j’avais votre âge, je ne connaissais rien

de ces choses-là. Mais, croyez-moi, j’ai compris ma bêtise, un jour

j’étais alors soldat en Europe. Il y avait eu une fête au régiment, on

nous avait demandé de présenter un numéro folklorique. Je ne savais

rien ; ni danse, ni chant de chez moi ; je n’étais d’ailleurs pas le seul ;

presque tous ceux de mes camarades qui avaient fait l’école étaient

dans ma situation. » 72

C’est pour attirer l’attention des jeunes et leur montrer que la chute de la

civilisation est un phénomène plus obscur dans l’histoire de l’humanité que cet

ancien militaire expose ses souvenirs lorsqu’il était dans l’armée.

Les paroles tenues par cet homme ont quand-même réveillé la conscience de

l’un des jeunes. Il s’agit de Samou.

Celui-ci reconnaît que la colonisation a saccagé les valeurs culturelles du

monde noir et que l’école aussi les a conduits dans un autre monde. Ainsi se plaint-

il :

« Nous n’avons pas été élevés dans les valeurs de notre pays. On

nous a éblouis et nous n’avons pas pu résister. Les Européens ont

tout brisé en nous : Oui, toutes les valeurs qui auraient pu faire de

nous les continuateurs de nos pères et les pionniers d’une Afrique qui,

sans se renier s’assimilerait l’enseignement européen. Le résultat a

72 Ibid., p. 156

Page 52: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

49

été que nous avons voulu transplanter l’Europe dans nos villages,

dans nos familles. On ne nous a rien dit sur notre monde, sinon qu’il

était arriéré. » 73

Ce jeune homme voit en mal la colonisation ainsi que l’école française.

Dans cette école, ils devraient bénéficier également un enseignement leur

apprenant l’histoire de leur pays, autrement dit de leur continent mais pas

uniquement celle de l’Europe.

On pourrait dire par conséquent qu’il s’est produit une évolution dans les

moyens de conquête mis en œuvre par l’occident puisqu’à la sujétion par les armes

succède en effet une conquête infiniment plus subtile et plus pernicieuse qui est la

conversion des esprits aux modes de penser et d’agir européen par l’école.

Après cette étude sur l’école étrangère, nous passerons immédiatement au

deuxième volet de ce chapitre. Il s’agit de la ville qui a les mêmes caractéristiques

que l’école étrangère.

I -2- LE MILIEU URBAIN

Tout comme le village, la ville est aussi une agglomération ; groupe

d’habitations urbaines plus nombreux à la différence du village. C’est un lieu où il y a

un développement d’infrastructures et où le mode de vie dépasse l’aspect

traditionnel. Ses activités attirent en grand nombre les jeunes des villages voisins à

s’y rendre. Elle représente en quelque sorte aux yeux des jeunes un lieu de réussite.

Abdoulaye SADJI nous décrit dans Maïmouna 74l’attitude de son héroïne qui ne

pense qu’à partir en ville rejoindre sa sœur aînée car :

« Le village ne lui disait plus rien. ».

C’est en ville qu’elle espère vivre heureuse.

Mais le plus grand problème qui se pose à l’intérieur des jeunes qui ont envie

de partir pour la ville, c’est qu’ils sont la plupart d’entre eux sans aucune qualification.

Là-bas, ils résident dans les banlieues et gonflent par conséquent les villes. Ils

deviennent des chômeurs, des bandits, des délinquants, des voleurs. La vie que

mènent ces jeunes dans les villes n’est plus enviable, compte tenu également de la

73 Idem., p. 156 74 SADJI, Abdoulaye, Maïmouna, Collection Les Classiques Africains, Présence Africaine, 1958, p. 45

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50

conduite des citadins. Sous L’Orage de Seydou BADIAN nous fait connaître

certaines manières de vivre pour les citadins.

En effet, contrairement au village, en ville l’homme mène une vie solitaire. Il

s’occupe de lui-même sans chercher à connaître ses proches. Cette vie en famille

n’existe plus. C’est ainsi qu’en échangeant des paroles avec un jeune de la ville, un

vieillard montre la simplicité de la vie au village ; une vie pleine d’amour entre

proches. Par la même occasion, il révèle au jeune citadin certains de leurs

comportements qu’il a appris par la voix d’un ami. Il cite alors :

« On m’a dit : à la ville, les enfants disent « moi ». Ils ne parlent que

d’eux. Nous faisons une bonne chose chez nous : lorsque quelqu’un

dit « moi, moi, moi » nous l’envoyons à la ville. Il n’a plus d’amis parmi

nous. » 75

Nous remarquons à travers cette citation que ce « moi » traduit l’égoïsme et

même l’orgueil. Cela dénote l’intégration totale des sentiments individuels à une vie

collective. C’est l’objet qui domine et qui couvre tout.

Cette idée est aussi reprise par Abdoulaye SADJI quand il décrit tout de

même les relations entre Maïmouna l’héroïne et Yacine, la bonne de Rihana, sœur

aînée de Maïmouna :

« Durant leurs sorties, la jeune fille et sa Mbinedane échangeaient

leurs impressions sur les moindres incidents et d’une manière

générale, sur la vie des gens à Dakar (Capitale du Sénégal). On n’y

faisait attention à personne. Chaque maison comptait une vingtaine

de locataire tous aussi indifférents les uns que les autres. L’égoïsme y

était la règle : « Bop sa Bop » (chacun pour soi). D’une porte à une

autre on ne se connaissait pas. » 76

Notons que si le vieux qui dialogue avec le jeune citadin tient des tels propos,

c’est pour montrer que la vie au village n’est pas la même que celle de la ville. De là,

il termine son intervention en donnant conseils au jeune. Ainsi il lui dit :

« Quand tu seras grand, tu ouvriras ta porte à l’étranger, car le riz

cuit appartient à tous. L’homme est un peu comme un grand arbre :

tout voyageur a droit à son ombre. Lorsque personne ne viendra chez

75 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, pp. 117-118 76 SADJI, Abdoulaye, Maïmouna, Collection Les Classiques Africains, Présence Africaine, 1958, p. 153

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toi, c’est que tu seras comme un arbre envahi par les fournis rouges :

les voyageurs te fuiront. » 77

Tout cela, c’est pour attirer l’attention du jeune et lui inculquer la bonne

manière de vivre qui est celle du village : se comporter à la manière des villageois et

avoir de l’hospitalité, une attitude qui relève de la tradition.

Pour ces raisons, il va sans dire que la ville se meurt en perdant le sens de

ces valeurs, de couper le lien ombilical.

Dans le mode vestimentaire, on trouve certaines descriptions qui signalent et

caractérisent les personnages : la robe ou le complet définit la modernité et connote

le civilisé. Ce sont des signes qui départagent le campagnard du citadin aux yeux de

Kany.

Camara LAYE a parlé lui aussi des vêtements qui sont propres pour la ville.

L’auteur dit, lorsqu’il passait quelques jours de vacances à Tindican, petit village de

sa grand-mère :

« Beaucoup me soulevaient de la terre pour me presser contre leur

poitrine. Elles aussi (sa grand-mère et ses tantes) examinaient ma

mine, ma mine et mes vêtements qui étaient des vêtements de la

ville.(…) Aussi me serais-je volontiers libéré de ces vêtements (…) qui

n’étaient bons que pour la ville. » 78

La ville qui attire sur elle toutes les critiques est également le centre où se

trouvent toutes les contradictions sociales. Ce qui résulte que le cycle de la ville est

celui de l’éducation « par la négative ». Et les critiques sur la littérature africaine

considèrent la ville comme étant le symbole de la colonisation.

La ville est, comme le pouvoir colonial, une source des malheurs qui

s’abattent dans le continent noir. Elle est représentée dans Sous L’Orage comme le

carrefour des maux de la société malienne et des fléaux naturels. L’auteur n’a pas

manqué de nous donner un exemple d’une épidémie qui a ballottée jusqu’au

paroxysme et en tout sens la ville malienne. Cette épidémie qui a débuté en ville

s’est par la suite répandue dans les villages. BADIAN a décrit l’évènement de la

manière suivante :

77 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 118 78 LAYE, Camara, L’Enfant Noir, Plon, 1957, pp. 44-51

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« Une épidémie de méningite cérébrospinale avait commencé par les

quartiers du Nord et avait petit à petit gagné tous les quartiers de la

ville. Cette maladie, disaient les vieux, n’avait été connue en Afrique

que durant la guerre. Ils disaient également que les soldats noirs

l’avaient ramenée du pays des blancs. Les vieux désemparés, criaient

à la malédiction, car la cérébrospinale semblait surtout en vouloir aux

jeunes. » 79

Nous remarquons clairement à travers cette citation que cette maladie est

importée en Afrique par des soldats africains qui étaient à la Métropole. Ils sont les

premiers à connaître cette calamité.

Le temps de la guerre où cette maladie est connue pourrait être le temps de la

colonisation. Donc cette épidémie serait la culture occidentale reçue par les soldats

noirs lorsqu’ils étaient en Europe mais aussi par les jeunes qui fréquentent l’école

occidentale. Seuls, ils sont mieux placés pour détruire les traditions, les cultures de

leurs pays d’origine.

Ce fléau qui ravage les jeunes symbolise la mort des cultures puisque les

jeunes sont les continuateurs des traditions africaines. C’est donc la culture coloniale

qui détruit la culture africaine.

Comme elle est présentée dans Sous L’Orage la ville est un monde où il ne

fait pas toujours bon vivre. Elle est la source d’échecs multiples : vie personnelle,

arrivisme, mensonges, impostures et autres malheurs. Abdoulaye SADJI 80 qualifie

Dakar d’une

« Ville dangereuse, ville de perdition. »

La vie moderne est celle de la ville. La capitale du Mali est comme un endroit

où les habitants perdent leur culture.

L’école étrangère et le milieu urbain constituent deux lieux dangereux pour les

jeunes africains. Ils représentent la colonisation et détruisent systématiquement la

culture africaine. Ils enseignent aux jeunes le mode de penser et d’agir européen.

79 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, pp. 131-132 80 SADJI, Abdoulaye, Maïmouna, Collection Les Classiques Africains, Présence Africaine, 1958, p. 189

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Après l’école européenne et le milieu urbain qui restent l’image de la

colonisation, ce n’est plus le début d’un temps nouveau qui commence avec les

jeunes. Celui-ci fera l’objet du deuxième chapitre.

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CHAPITRE II :

LES PREMICES D’UN TEMPS NOUVEAU La nouvelle génération malienne marque le début d’un temps nouveau. Avec

cette génération, on assiste au Mali un changement radical dans la vie sociale.

L’harmonie et l’entente cordiale disparaissent et cèdent la place à la haine et au

désordre. Raison pour laquelle le mariage de Kany devient vite la cause d’une

division familiale.

Ce mariage dont les acteurs sont des jeunes vient renverser les traditions des

aïeux, car tout bonnement, les jeunes refusent de suivre les modèles des anciens.

De là s’établit une sorte de rupture entre les membres de la famille Benfa dont il est

ici question.

Si Kany repousse l’union avec Famagan c’est que ce commerçant est un

homme polygame. Rappelons que la polygamie fait partie des coutumes africaines.

On pourrait dire que de nombreux dialogues représentent cette société en pleine

crise, déchirée par le conflit des générations, par la force de la tradition et par la

réalité vécue au jour le jour.

La rupture entre les membres de la famille Benfa et le refus de la jeune fille

d’épouser un homme polygame sont les principaux points d’analyse de ce chapitre.

II -1- LE MARIAGE COMME CAUSE D’UNE DIVISION FAMILI ALE La famille désigne dans le sens restreint l’ensemble du père, de la mère et

des enfants. Dans un autre sens, elle désigne encore l’ensemble des personnes qui

sont liées entre elles non seulement par le mariage mais aussi par la filiation. Les

personnes qui fondent une famille doivent se connaître et vivre en parfaite harmonie.

C’est cette vision qui fait que Maman-téné « prie nuit et jour pour une famille unie »

Cela laisse entendre assurément qu’il y a des multiples problèmes au sein de

la famille de Maman-téné. Rien ne nous cache cependant. Tout tourne autour du

mariage.

Le mariage de Kany, en effet, cause un antagonisme d’idées dans cette

famille où il règne par suite une mésentente. Dans cette divergence d’idées naît une

division qui se définit par les « deux cofiancés » de la jeune Kany : Famagan celui

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55

choisi par les parents de la fille et Samou celui préféré par la jeune fille et ses cadets.

Le narrateur la prouve quand il dit :

« La famille Benfa était donc divisée à propos de cette affaire ;

Birama, Nianson, Karamoko étaient du côté de Samou tandis que le

père Benfa et Sibiri l’aîné ne pensaient qu’à Famagan. » 81

Ce mariage de Kany est un mariage à l’issue duquel les valeurs traditionnelles

sur le plan socio culturel tendent à disparaître. Des valeurs jugées négatives pour les

jeunes dans la mesure où elles ne maintiennent pas la valeur de l’homme. Justement

comme nous l’avons intitulé au-dessus Mariage comme cause d’une division

familiale, ce thème est un véritable parcours pour élucider le point de vue de chacun

de deux camps en confrontation.

Pour les parents et les fils aînés, les jeunes ne sont pas mieux placés pour les

guider dans le droit chemin. Quels que soient leur compétence et leur intelligence, ils

sont

« Trop petits pour leur montrer le chemin. » 82

Pour les jeunes, ce ne sont pas leurs parents ni leurs aînés, lesquels ne

savent ni lire ni écrire, qui doivent leur commander au sujet de ce mariage. Cette

famille est devenue, par conséquent, un champ de bataille, où les jeunes et les vieux

s’affrontent.

Cet affrontement engendre un atmosphère tendu : manque du respect à

l’égard des vieux. Rupture totale de lien entre fils et père. Pas plus de droiture entre

ami. Il n’y a que du sarcasme lorsque les parents veulent s’adresser à leurs fils. Ce

qui est important à retenir dans cette famille c’est de savoir que ce mariage n’est

qu’une cause immédiate ou plutôt un prétexte au partage de la famille Benfa.

D’une façon générale tout ce qui vient de l’occident ou bien qui est d’une

culture autre que celle de l’Afrique met en conflit les anciens et la nouvelle

génération. C’est que, depuis fort longtemps :

« En réalité, l’harmonie de la famille Benfa n’était qu’apparente et

cette affaire Samou permit de voir au grand jour une division. (…) bien

81 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 25 82 Ibid., p. 54

Page 59: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

56

souvent, à propos d’école, de vaccination ou d’une autre chose, les

jeunes n’étaient pas de l’avis des anciens. » 83

En dépit de ce conflit qui déchire cette famille, père Benfa accentue les

préparatifs pour la réalisation du mariage. Il est de coutume que, si un garçon

demande la main d’une jeune fille, on organise une petite fête en cette occasion pour

annoncer la nouvelle à toute la famille qu’un tel est venu et voudrait être du nôtre.

Par la même circonstance, on discute ce qu’on doit faire pour la noce.

Mais puisqu’il y a une mésentente dans la famille Benfa, cette cérémonie ne

va plus passer dans les meilleures conditions. Les jeunes sans aucun doute vont

protester la cérémonie. Ils vont rejeter tout aliment préparé, pour faire gâcher la fête.

Ainsi Birama déclare :

« Je n’accepte pas ce colas, parce que je n’aime pas ce mariage. »84

Ce colas était préparé à l’opportunité des fiançailles de Kany et Famagan.

Il faut souvent un médiateur pour trouver une solution à un problème qui se

présente dans la vie sociale. Et de nouveau, Maman-téné, une femme courageuse et

soucieuse cherche à trouver l’union, la concorde ou la paix qui résulte de la bonne

entente et de la réconciliation. Elle ne s’attendait plus à des pareils conflits dans la

famille. Son souci majeur réside sur l’avenir de la famille. Pour elle, s’il n’est pas bon

pour les hommes de se mettre en querelle, il est encore pire pour une famille. Cette

dame est un personnage caractérisé par une grande tolérance, une expérience

humaine qui en fait la force de la famille. Cette mère occupe une place de choix dans

la conservatrice des valeurs traditionnelles dans la société malienne. Sa fonction de

mère s’obtient dans cette société en vertu justement de l’âge de la descendance de

progéniture, des qualités et de l’engagement social. Ces différentes conditions

permettent à cette dame, d’être non seulement conservatrice des traditions mais

aussi médiatrice indispensable aux conflits de ses enfants :

« Vous, vous me ferez mourir de chagrin. Deux frères de même sang,

du même lait qui n’arrivent pas à s’entendre !

Que deviendra donc la famille après nous, si vous, vous devez la

continuer ?

83 Ibid., p. 25 84 Ibid., p. 52

Page 60: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

57

Ecoutez-moi bien, je prie nuit et jour pour une famille unie. Croyez-

moi, celui d’entre vous qui sera cause du désaccord aura mon

éternelle malédiction. » 85

Birama et Sibiri sont les fils de Maman-téné qui sont en conflit. Ils sont ici deux

frères physiquement proches et vivent dans une même maison. Ils se situent en

réalité aux antipodes l’un de l’autre sur le plan du comportement social mais aussi

sur la question du mariage qui les partage bien entendu. Autant Sibiri l’aîné est

parfaitement intégré dans les traditions et croit profondément aux valeurs de la

société traditionnelle et plus précisément à la parenté, autant Birama le cadet désire

bafouer volontairement ces valeurs qu’il juge périmées. L’un ne vit que par et pour la

société, l’autre exalte tout ce qui a trait à son bonheur et à son honneur.

Réussite de la gloire et du prestige contre l’honneur de la famille, ambition contre

modestie, irréflexion contre sagesse, individualisme contre communautarisme, autant

d’oppositions pertinentes qui éloignent Birama et Sibiri et font de ces êtres deux

prototypes représentant chacun un univers précis : le modernisme et la tradition. L’un

en pleine mutation, l’autre repose sur des dogmes sacrés légués par les temps

immémoriaux.

Après cette vision sur la division de la famille Benfa due par ce mariage, Que

dira-t-on à propos de la polygamie ?

II -2- LE REJET DE LA POLYGAMIE Parmi les problèmes périlleux que subit la femme africaine et plus

particulièrement la femme musulmane, figure au premier rang la polygamie puis vient

la répudiation.

La polygamie, en effet, fait partie des institutions musulmanes. Elle se met en

route partout dans les pays où la religion musulmane occupe une place du premier

plan comme le Mali. Religieusement parlant, tout bon musulman peut avoir jusqu’à

quatre épouses mais à condition qu’il les traite dans un même pied d’égalité.

La polygamie est devenue aussi un fait social que la plupart des hommes

riches pratiquent. Si ces derniers se sont déjà mariés, ils éprouvent l’ambition de

chercher à épouser d’autres femmes qui deviendront par la suite leur seconde, leur

troisième ou leur quatrième.

85 Ibid., p. 57

Page 61: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

58

Les structures de la polygamie maintiennent la supériorité de l’homme sur la

femme, car seuls les hommes sont permis de faire la polygamie.

Les femmes sont, dirait-on , des épouses trompées ou des proies de l’amour

masculin, car sur le plan conjugal même, l’homme qui se fait toujours le chef exerce

facilement son autorité sur la femme.

Spécialement il lui impose une coépouse. L’homme, paraît rapidement, en ce

sens, un destructeur de l’amour qu’il ne le construit plus à cause d’une certaine

hypocrisie, d’un certain attachement excessif à lui-même qui fait qu’il recherche

exclusivement son plaisir et son intérêt personnels. Il distingue amour et relation

charnelle et prône la suprématie de l’instinct : la femme est pour lui un objet.

Quelquefois il met son orgueil à vaincre, c’est-à-dire à tromper sa femme.

Nous sommes bel et bien dans un monde de « l’avoir » et non de « l’être ».

D’où cette propension à la polygamie, la femme étant considérée comme une chose,

un objet dont la possession accroît le prestige du propriétaire. Aussi n’hésite pas

Famagan le vieux et grand commerçant à se remarier pour la troisième femme. Cette

union s’avère malheureusement difficile. Kany qui devrait être la troisième épouse du

riche commerçant essaie de boycotter cette union.

Les jeunes filles qui fréquentent l’école européenne voient la polygamie

comme un fait traditionnel, qui met les femmes dans une situation de vie délicate.

C’est de cette raison qu’un jeune montre la position de Kany si ce mariage se fera.

Ainsi dit-il :

« Tout change et nous devons vivre avec notre temps. Tu comprends

bien que Kany ayant été à l’école ne peut pas être la troisième femme

de Famagan. Si vous la lui donnez, le divorce s’ensuivra

immédiatement » 86

Ceci montre combien Kany rejette la polygamie. Elle se révolte contre cette

pratique sociale. Cette révolte se voit aussi dans Voix de jeune dans la ville

africaine87 avec la jeune Jeannette lorsqu’elle comprend comment vivent ses

parents. Elle dit alors :

« La manière dont ils (ses parents) vivent et celle dont on aspire à

vivre, ce n’est pas la même chose. Mon père est polygame : c’est déjà

86 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 56 87 DENIEL, Raymond, Voix de jeunes dans la ville Africaine, INADES, 1979, p. 133

Page 62: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

59

un point que je n’aime pas. Et c’est toujours le cadre traditionnel. Et

puis mon père est intellectuel et ma mère n’a pas fait l’école, donc

leurs points de vue peuvent différer. Je pense avoir un mari à peu

près de même niveau que moi : on aborderait les problèmes sous un

angle beaucoup plus large, il y aurait un dialogue, une

communication, une complémentarité que je recherche. »

A travers cette citation, Jeannette montre que les hommes profitent

l’analphabétisme des femmes pour accomplir leurs projets, car il n’y a que les

femmes illettrées qui acceptent la polygamie. De même, Kany, qui sachant lire et

écrire, refuse cette union avec Famagan, malgré sa richesse. Ce qui compte pour

elle, ce n’est pas la richesse, mais l’entente, autrement dit l’amour. Elle trouve que

l’amour est la seule chose qui donne sens à la vie. Avoir une coépouse sera

pratiquement impossible de trouver cet amour. Elle bénéficiera un amour partagé.

C’est là que repose son combat. Kany refuse d’être la troisième épouse de Famagan

lui qui en « a déjà deux ». Etant vieux pourquoi cherche-t-il encore à se remarier ?

Les manifestations contre le droit des hommes libres à la polygamie

deviennent sérieuses, étant donné que dans cette vie la querelle, la haine, la jalousie

sont les relations qui animent les coépouses. Si Kany écarte la polygamie, c’est

aussi en partie à cause de la situation que mène sa maman devant ses coépouses.

Maman-téné souffre d’avoir des coépouses. Elle souffre habituellement des

problèmes psychologiques et déclare la guerre une fois qu’elle rencontre ses

coépouses. De toute manière la faute revient au père Benfa qui a trouvé des rivales

à sa première femme. Il donne, en plus, parfaitement raisons aux rivales de la mère

de Kany chaque fois qu’elles se battent. Et par conséquent cette mère et première

femme devient une proie de la répudiation. L’amour qui unit cette dame avec son

mari a pris fin aussitôt que père Benfa s’est remarié. Ce sont ses nouvelles femmes

qui sont admirées et qui tiennent la direction de la maison. Ainsi le narrateur

s’exprime par ces termes :

« Les misères de Maman-téné : Maman-téné avait été délaissée par

le père Benfa, dès que ce dernier avait épousé ses deux femmes. Il

avait transporté ses affaires chez ses nouvelles épouses et était

devenu étranger à Maman-téné. Il ne plaisantait plus avec elle, ne se

confiait plus à elle. Kany voyait tout cela à présent. Elle voyait les

jolies coépouses de Maman-téné faire la loi dans la maison. Elle se

rappelait que le père Benfa hurla sur Maman-téné chaque fois qu’elle

Page 63: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

60

se disputait avec la plus agaçante de ses coépouses : Mata, la

dernière venue. »88

Cette petite tragédie est intéressante dans la mesure où elle nous fait vivre

jour après jour, heure par heure, l’attente obsessionnelle d’une femme frustrée dans

son désir, rongée par la jalousie et déchirée par le conflit que se livre en elle le

respect des convenances.

Dans cette vie de polygamie, comme toute autre femme, Maman-téné montre

une opposition ferme en manifestant un mécontentement. Même si elle tient pareil

aux anciens à ce que Kany épouse Famagan, au fond d’elle-même, elle aide sa fille

à éviter cette troisième union de Famagan. Cette femme ne veut plus que sa fille

souffre aussi dans la vie infernale de la polygamie. C’est par une recommandation de

la part du père de Kany que Maman-téné aille convaincre sa fille afin qu’elle se

marie. Dans leur conversation, Kany demande à sa mère :

« Tu ne voudrais pas que je souffre comme tu as souffert, n’est-ce

pas ? »89

Il s’agit pour elles de briser le cercle infernal de la polygamie.

Dans cette situation de polygamie qui est d’actualité, comment les femmes

écrivains ne peuvent pas s’exprimer ? C’est alors que Ramatoulaye se révolte dans

Une si longue lettre de Mariama BÂ.

Ce premier roman d’une jeune femme sénégalaise raconte le destin croisé de

deux amies d’enfance, Aïssatou et Ramatoulaye, confrontées l’une et l’autre, à

quelques années d’intervalle, au dramatique problème de la polygamie en milieu

musulman. Délaissées du jour au lendemain au profit de très jeunes filles, chacune

d’elle réagit à sa manière.

Modu le mari de Ramatoulaye est mort ; Tamsir le beau frère veut l’épouser.

Celle-ci repousse cette noce, car cet homme est polygame. Ainsi déclare-t-elle :

« Ma voix connaît trente années de silence, trente années de

brimades. Elle éclate, violente, tantôt sarcastique, tantôt méprisante

(…) Et tes femmes, Tamsir ? Ton revenu ne couvre ni leurs besoins ni

ceux de tes dizaines d’enfants (…) Je ne serais jamais le complément

de ta collection. Ma maison ne sera jamais pour toi l’oasis convoitée :

pas de charges supplémentaires, tous les jours, je serais de « tour »

88 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, pp. 73-74 89 Idem., p. 74

Page 64: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

61

(séjour réglementé du polygame dans la chambre de chaque

épouse). »90

Dans une telle situation si le mari est mort selon la tradition, c’est le frère

cadet qui hérite de l’épouse laissée par son aîné.

La question de « tour » que réclame Ramatoulaye est un des problèmes

majeurs qui sont à l’origine des conflits dans la vie de polygamie. Maman-téné, la

mère de Kany avait tellement raison de se chamailler avec ses coépouses. La

polygamie a des lois qu’il sied de respecter. Et la transgression de ces lois qui ne

sont pas scrupuleusement observées met le mari et ses femmes en dispute. Nous

trouvons, par exemple, dans Voltaïque. Noumbé qui revendique ses « trois jours »

que son mari les a passés chez sa deuxième femme aîda :

« La nouvelle se propagea dans la maison : que Moustafa avait

découché, alors que c’était les « trois jours » de Noumbé. » 91

Le plus grand goût des hommes polygames est de chercher à se remarier à

des petites jeunes filles qui ont des charmes. Famagan ne tarde plus à demander la

main de la jeune fille Kany. Mais si Kany et ses cadets luttent contre cette union,

c’est à cause des mentalités des hommes polygames. Ces derniers n’aiment pas au

sens noble du terme. Ils veulent tout simplement utiliser les femmes comme des vils

objets de plaisir et les abandonner quand leurs charmes vont les quitter. C’est pour

cela qu’un des frères de Kany proclame ceci :

« Ce mariage fera le malheur de Kany (…) Notre sœur n’aime pas

Famagan ; elle ne sera jamais heureuse avec lui. » 92

Cet état se vérifie également dans La Nasse, de Patrice NDEDI PENDA.

Collette, l’héroïne déclare au sous préfet, lui qui a déjà sa femme et qui veut nourrir

un amour éphémère pour elle que :

« Vous êtes abject et vénal ! Vous êtes avides de ma jeunesse, de ma

beauté (…) Vous me laisserez pour chercher une autre. » 93

Cette conception des polygames à chercher toujours des petites jeunes filles

est projetée aussi dans Voltaïque quand Souleymane voudrait se remarier :

90 Passage cité par Jacques CHEVRIER :, Anthologie Africaine I, Le Roman et la Nouvelle, Collection Monde Noir, Hatier International, 2002, p. 278 91 OUSMANE, Sembene, Voltaïque, Présence Africaine, 1962, p. 58 92 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 53 93 Passage cité par Jacques FAMENDONGO, Le Prince et le Scribe, Collection Mondes en Devenir, Berger Levrault, 1988, p. 92

Page 65: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

62

« Déjà il avait trois épouses. Il tyrannisait ses femmes avec ses

vices : il en voulait des vices, le bougre ! (…) Avec l’âge il voulait se

couronner, prendre une quatrième femme. Il en voulait une jeune.

Une qui aurait l’âge de sa fille aînée. »94

Tout ceci montre bien que les hommes qui s’intéressent à la polygamie ont

d’autres rêves que ceux de se marier. Il est question d’un besoin plutôt que d’autre

chose. En tout cas la polygamie dépend de chacun des hommes.

Ce fait social, la polygamie, fixe toutes les racines de la violence entre

l’homme et la femme. L’homme ne peut pas facilement prendre en charge deux ou

plus de deux femmes, pour des raisons économiques. Il y aura un partage de revenu

entre ses femmes et le nombre de bouches à nourrir augmentera d’année en année.

Une femme moderne devrait être dans un ménage monogamique, absolument

avoir deux ou trois enfants. Manger avec son mari, dormir avec lui dans la même

chambre. Porter son nom à la place de son propre nom. Etre affichée partout avec lui

et devant tout le monde et ceci pour le meilleur et pour le pire.

Le mariage de Kany avec Famagan a provoqué des malentendus dans la

famille Benfa. Cette dernière s’est divisée en deux camps : d’un côté nous avons les

anciens et de l’autre nous avons les jeunes.

La jeune Kany refuse l’union avec le vieux commerçant. Donc elle rejette la

polygamie qui fait partie des traditions ancestrales.

Cependant, la quête de la liberté et l’émancipation de la femme ne sont-elles

pas les manifestations directes des jeunes qui ont reçu à l’école française une autre

culture que la leur ? Cela constitue l’étude du dernier chapitre de notre travail.

94 OUSMANE, Sembene, Voltaïque, Présence Africaine, 1962, p. 140

Page 66: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

63

CHAPITRE III :

LES APPORTS DE LA JEUNESSE

Le combat le plus important que livrent les jeunes dans cette société

gérontocratique est la libération de l’être dans toutes ses formes. Cette mêlée,

change d’un coup l’atmosphère dans la société : un climat d’agitation y règne, car les

jeunes pour réussir dans cet assaut vont braver des interdits, des carcans et des

règles établis dans la société qui embarrassent l’homme à être libre au sens large du

terme. A cette libération s’ajoute la délivrance de la femme qui reste plus que

primordial.

En effet, l’image de la femme à partir du 20ème siècle semble être à l’ordre du

jour dans beaucoup de conférences internationales. On en parle également sur les

places publiques et dans les mass médias. C’est un fait qui ne cesse d’être toujours

d’actualité. Pour pouvoir aider la femme à mieux vivre et à trouver une place dans la

société, les écrivains ont à leur tour pris la plume pour blâmer sans complaisance

certains tabous qui la rendent inférieure. Il s’agit dans tous ces combats de libérer

l’homme des contraintes sociales et d’émanciper la femme.

III -1- LA QUETE DE LA LIBERTE : La liberté est l’un des principes qui permettent à l’individu de vivre heureux

selon ses aspirations dans la société. Certaines institutions cependant limitent ce

principe inhérent à l’homme. Dans Sous L’Orage par exemple, BADIAN expose les

traditions qui sont un pouvoir appartenant aux vieux. Celles-ci ne rendent pas les

jeunes libres.

Ayant reçu à l’école française la philosophie occidentale, les jeunes veulent

inverser les signes : renverser le pouvoir gérontocratique pour s’acheminer vers la

libération. Une certaine lueur d’optimisme et d’espoir va naître avec la détermination

de cette jeunesse qui décide de braver les interdits et construire un monde nouveau.

Un monde qui sera à la mesure de l’homme et à la mesure de sa liberté. Une liberté

de choisir selon son goût. Pour les jeunes, la phase de la soumission totale de

l’homme à l’ordre de la communauté correspond à la période ancestrale. Maintenant

c’en est fini. La jeune Kany et Samou qui n’ont guère été initiés au monde ancestral

Page 67: STEPHANE Nadhurou Monsieur BEMIARANA Jean-Marie Maître de ...

64

(« nous n’avons pas été élevés dans les valeurs de notre pays (…) on ne nous a rien

dit sur notre monde, sinon qu’il était arriéré ») sont un archétype des africains

déracinés, coupés de l’ordre traditionnel et s’abreuvant à la source l’individualisme

occidental et de la logique cartésienne auxquels l’école du blanc les a habitués. Ils

ne sauraient valoriser l’ordre de la société traditionnelle. Par contre, ils exaltent

l’ordre qui privilégie les aspirations de l’individu à la liberté, à l’égalité, à la

suppression de l’emprise du groupe sur l’homme.

Kany se demande pourquoi elle n’aurait pas le droit de vivre sa vie, selon les

aspirations profondes de son cœur, c’est-à-dire hors du joug ancestral et

conformément à l’ordre qu’elle jugerait bon, à partir de sa propre réflexion. Elle

profite de ce mariage pour reprendre sa liberté. Elle dit non à l’union avec Famagan

et veut épouser le jeune Samou.

Mais cela apparaît à l’autorité comme une offense. Ainsi déclare un jeune à

propos du mariage de Kany pour montrer un tournant dans la vie :

« C’est elle qui se marie. C’est à elle de choisir (…) Tout change et

nous devons vivre avec notre temps. » 95

Mais la liberté se confond pratiquement avec l’existence de la conscience.

Toute philosophie de l’existence postule la liberté comme principe, non seulement de

l’action mais aussi de la réflexion. Quelle que soit l’action lorsqu’on agit, on engage

les autres.

La notion de liberté est l’action faite par l’homme et qui engage l’humanité. Si

l’homme est absolument libre de choisir ses valeurs, lorsqu’il choisit, il fait une

certaine façon d’être un homme. Il choisit pour tous les hommes. L’homme ici ne

porte pas seulement la responsabilité totale de son existence. Il tient aussi celle de

l’existence de tous les autres. Par exemple, le mariage dont il est question ici, c’est

clamé à la force du monde qu’il a de la valeur. C’est engager quelqu’un à faire de

même. Ceci étant un bon évènement.

En voulant la liberté, Kany et Samou découvrent qu’ils dépendent entièrement

de la liberté des autres et que celle des autres dépend de la leur. En effet, ils doivent

faire des actes exemplaires qui seront appréciés et initiés par les autres :

« L’exemple de Kany doit être suivi, quel que soit le « sacré » de

certaines de nos institutions, il ne faut pas hésiter à leur faire la 95 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, pp. 54-55

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65

guerre ; si elles doivent nous maintenir en état d’infériorité par rapport

aux autres peuples. »96

Nous remarquons donc ici que l’acte de Kany est salué et engage le monde

de la nouvelle génération qui ne va pas hésiter à applaudir ce grand geste.

« Kany était heureuse. Ses camarades partageaient sa joie. » 97

C’est comme un appel à un engagement. Car le combat de Kany aboutit à ses

fins. Elle a pu épouser l’homme qu’elle aime :

« Samou était accueilli dans la famille du père Benfa ; les coépouses

de Maman-téné l’appelaient déjà « notre genre. » 98

Cette réaction de Kany marque un bouleversement des traditions au Mali. Les

jeunes se donnent un libre accès de s’exprimer devant les vieux sans tenir compte

de leur présence. Ils disent n’importe quoi et n’importe comment. C’est ainsi que :

« Makhan a parlé, il a dit tout haut ce qui hier encore se disait qu’entre

frères, et rien n’en est résulté. (…) les temps ont changé. Temps

nouveaux temps nouveaux. » 99

Ceci témoigne une liberté aux jeunes qui vivaient dans un monde où les vieux

représentaient les lois. Et cela pareil à une société où le régime dominant est la

dictature.

Pour les jeunes tout ce qui est dans la société devrait concourir à la promotion

de la liberté et de l’égalité comprises comme des valeurs sacrées qu’il est absurde

de nier. Il apparaît ainsi clairement que l’effondrement des valeurs traditionnelles

dont la plus consistante semble être la solidarité face à un monde de plus en plus

rongé par la frénésie du succès individuel a donné naissance à un univers étouffant

où l’individu avide de liberté se sent mieux à l’aise. Nous aboutissons ainsi chez

Kany et Samou à un univers paradisiaque dans lequel ces jeunes amoureux et

sentimentaux réalisent l’un de l’autre leurs rêves. Leur dynamisme juvénile, leur

solidarité ont répondu à leurs souhaits. Nous voyons Samou qui est bien

« Accueilli dans la famille du père Benfa (…) il sortait avec Kany au vu

et su de tous. » 100

96 Ibid., p. 155 97 Idem., p. 155 98 Idem., p. 155 99 Ibid., p. 136 100 Ibid., p. 155

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66

La liberté et l’égalité, principes inhérents à l’ordre libéral et individualiste qui a

balayé l’ordre communautaire, ne sont en réalité que des chimères. On n’est plus

libre. Les hommes ne sont libres que sur le plan théorique. La liberté sera toujours

celle d’un groupe.

Après ce travail sur la quête de la liberté, nous allons nous intéresser

maintenant à l’émancipation de la femme malienne.

III -2- L’EMANCIPATION DE LA FEMME MALIENNE Le problème de la condition féminine suscite dans ces dernières années de

nombreuses mesures et de multiples discours à l’échelle planétaire. Il va devenir

l’origine de la littérature dite littérature féminine en ce XXème siècle finissant dont le

but premier est la libération de la femme dans toutes les formes d’oppression et de

toutes les relations de dominance, en vue d’améliorer les conditions féminines, car

personne n’envie le sort des femmes. Elles n’ont pas assez de liberté physique ou

morale. A cette image de femme assujettie aux conventions de la société, un peu

partout dans le monde, des voix féminines se font aussi entendre.

Des femmes militantes, comme Simone DE BEAUVOIR, Mariama BÂ, Assia

DJEBBAR et d’autres, se sont engagées dans le combat. Ces femmes en raison

même de leur éducation militent ouvertement en faveur de l’amélioration de la

condition féminine qu’elles estiment, dans le contexte africain, doublement

pénalisée, à la fois par le système colonial et par la coutume qui maintient aussi bien

l’épouse que la jeune fille dans un statut subalterne. Ensemble la main dans la main,

elles cherchent leur émancipation. Elles entendent bien substituer la figure de la

femme combattante, décidée à partir en guerre contre les hommes et contre la

société dont ils constituent les piliers. Leurs romans sont donc autant de déclarations

de guerre contre le patriarcat. Des voix de femmes nombreuses et diverses ont alors

émergé dans la littérature africaine.

Ecrire paraît être devenu une façon moderne de prendre, ou d’arracher la

parole. Ecrire c’est même rendre la parole plus largement publique que n’aurait

jamais pu l’être la parole orale. C’est ainsi que Mariama BÂ s’exprime à ces termes :

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67

« Des amitiés s’y nouaient, qui ont résisté au temps et à

l’éloignement. Nous étions de véritables sœurs destinées à la même

mission émancipatrice. » 101

Quelle que soit la manière mais il importe que la femme vive profondément sa

vie, qu’elle s’exprime, qu’elle s’accomplisse pleinement. Seydou BADIAN prenant

une large part pour l’émancipation de la femme fait révolter l’héroïne de son roman

Sous L’Orage. Kany le personnage principal cherche à se libérer de cette société

dominée par les hommes en choisissant elle-même son mari. C’est par l’acte de

mariage forcé qu’elle voudrait s’émanciper. Ce terme

« Que vient faire le point de vue de Kany. » 102

Lancé par son frère aîné lors d’une réunion familiale montre que la présence

de la jeune fille est inutile. Elle est là pour subir uniquement. En tant qu’être individu

et concerné de l’affaire, Kany normalement devrait être consultée pour donner son

point de vue. Dès ce moment la révolte commence.

La femme se doit d’être active, de participer à la vie publique, de prendre parti,

d’assumer son rôle de mère mais d’être l’égale de l’homme dans une certaine

mesure. Elle a droit à l’expression et au bonheur, sans pour cela abuser de l’homme

et se montrer habile à le manier, elle doit se départir de cette image de la femme au

foyer sans droit d’avis ou d’opinion, écrasée par ses charges de mère et la

supériorité de son mari. Elle n’est pas uniquement le rêve d’amour et l’objet de

satisfaction de l’homme. Elle est un être à part entière et doit pouvoir vivre sa vie et

affronter seule les divers périls ou péripéties de la société comme l’homme a su y

parvenir.

Un changement radical d’une société ne peut être alors possible et réalisable

sans une véritable libération de la femme. Elle ne doit plus se contenter des rôles

secondaires mais participer avec l’homme à la réalisation d’une nouvelle société

dans laquelle l’être sera respecté dans toute sa dignité.

Il convient de rappeler ici l’engagement politique de Seydou BADIAN qui dans

une perspective résolument marxiste, entend montrer que la femme est en quelque

sorte le prolétaire de l’homme et que seul le combat politique tel qu’il s’illustre dans le

101 Passage cité par JOUBERT, Jean Louis., NGANOU NKASHAMA, Pius et al, Revue Nouvelles écritures Féminines, Notre Librairie, Présence Africaine, 1994, p. 24 102 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 53

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68

roman de notre Corpus est à même de lui permettre d’accéder à un nouveau statut

juridique et économique dans lequel elle acquiérra des droits égaux à ceux de

l’homme. C’est ainsi que ce jeune affirme :

« Si nous voulons vivre, il nous faut devenir un peuple fort. C’est la

femme qui fait démarrer la société. C’est elle qui la fait progresser.

Elle est le principal agent de l’émancipation. » 103

Nous remarquons à travers cette citation que la femme joue un rôle aussi

capital pour le développement d’un pays.

Cette conception sur l’émancipation de la femme remonte depuis le moyen

âge où on se demandait si vraiment la femme peut égaler l’homme qui lui tient en

tutelle. Il faut admettre qu’à travers les âges, la femme a subi la domination des

hommes. Cette idée évolue jusqu’au XXème siècle ; période au cous de laquelle les

partisans du mouvement deviennent de plus en plus nombreux. Par exemple Dans

Voix de jeune dans la ville africaine104 la jeune Amina s’interroge sur la question

homme- femme en cherchant le rapport entre ces deux êtres ou la différence :

« Qu’est-ce que l’homme a de plus utile que la femme ? Peut-il faire

tout ce que la femme fait ? »

Par ces interrogations, la jeune Amina réclame absolument ses droits en tant

que femme et montre que comme l’homme, la femme est aussi utile et aucun des

deux ne doit dépasser l’autre. D’ailleurs elle reprend en soulignant qu’

« On n’est pas égaux, mais nous sommes complémentaires. Chacun

a des défauts, mais nous devons avoir les mêmes droits que les

hommes, nous sommes tous des êtres humains. » 105

L’égalité entre l’homme et la femme non au point de vue de la force physique

mais intellectuel est donc l’émancipation que suggère Seydou BADIAN dans son

roman. En effet, dans ce roman, Kany se voit comme l’une des pionnières de la

promotion de la femme africaine, chargée d’une mission émancipatrice, résolument

progressiste et faisant partie d’une génération charnière, car il y a de bonnes gens

aujourd’hui qui croient encore que la femme doit être sous le joug des hommes. Or le

sort du pays doit intéresser également la femme. Rien n’empêche qu’elle ait sa place

au rang des personnalités politiques :

103 Ibid., p. 60 104 DENIEL, Raymond, Voix de jeunes dans la ville africaine, INADES, 1979, p. 158 105 Idem., p. 158

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69

« C’est la femme qui fait démarrer la société. C’est elle qui la fait

progresser. » 106

Jusqu’à ce niveau, cette analyse que nous venons de mener montre un fait

réel et logique.

Cependant dans un pays comme Mali qui connaît en grand nombre la religion

musulmane, il est difficile dans les affaires sociales que la femme occupe la même

place que l’homme. L’homme doit toujours être devant et la femme derrière. Dans

ces genres de pays, pour émanciper la femme, il faut absolument être moderniste.

De même la femme elle aussi en tenant de se libérer des contraintes traditionnelles

de la féminité doit adhérer d’un bloc à une idéologie radicalement étrangère à sa

culture d’origine. Ainsi l’auteur fait dire à un jeune ceci :

« Il faut absolument flanquer toutes ces mœurs par-dessus bord.

Oui ! Cette situation que nous faisons à la femme nous mettra

éternellement en état d’infériorité à l’égard des autres peuples. Oui !

Flanquons toutes ces coutumes en l’air ; libérons la femme si nous

tenons à vivre. Ces coutumes font notre faiblesse. » 107

Il s’agit pour cela donc de bien servir la cause des femmes : promouvoir la

femme malienne, donc africaine en l’aidant à refuser l’impérialisme masculin autant

que le silence de la soumission, à exiger de sentir libre pour être femme et vivre en

femme ; ceci ne signifie pas un repli sur soi mais au contraire, une volonté d’être, un

rempart défensif pour aider et protéger. Rester féminine et gracieuse, occuper une

profession équilibrante et assumer son rôle de mère, avoir une existence pleine et

jouir d’une surabondance de vie. C’est l’idéal de la femme du XXème siècle. Nous

voyons alors bien des figures féminines qui sont là pour montrer qu’il peut arriver aux

femmes africaines de prendre la parole et le pouvoir, que ce soit légitimement ou par

effraction. Dans l’Aventure Ambiguë par exemple La Grande Royale se prononça

devant une foule :

« La place était déjà pleine de monde. (…) L’assistance formait un

grand carré de plusieurs rangs d’épaisseur, les femmes occupant

deux des côtés et les hommes les deux autres. (…) Un des côtés du

106 BADIAN, Seydou, Sous L’Orage, Collection Monde Noir, Présence Africaine, 1957, p. 60 107 Ibid., pp. 59-60

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70

carré s’ouvrit et la Grande Royale pénétra dans l’arène. Gens du

Diallobé, dit-elle au milieu d’un grand silence, je vous salue. » 108

Cette femme, la Grande Royale pourrait être le modèle d’une femme africaine

qui bénéficie ses droits d’une façon égale que l’homme.

L’héroïne de BADIAN a profité du mariage pour prendre sa liberté. Elle a

choisi personnellement son mari. Là on a parlé aussi de l’émancipation de la femme.

Mais cette émancipation a entraîné la transgression de certaines coutumes.

108 KANE, Cheick Hamidou, L’AventureAmbiguê, Julliard, 1961, p. 55

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71

CONCLUSION

L’analyse que nous venons de faire nous permet de dire que la société du

Mali a connu un changement dans le cadre des traditions. L’avènement de la

colonisation est cependant un fait important. La colonisation a nourri aux jeunes

maliens une nouvelle culture, autre que la culture traditionnelle malienne. Influencés

donc par cette culture, les jeunes ont mené un combat pour modifier la leur.

Nous remarquons bien dans le domaine du mariage, que la jeune Kany s’est

libérée du joug parental. Elle s’est mariée avec l’homme qu’elle aime en rejetant celui

proposé ou imposé par son père. Ce dernier lui avait proposée Famagan, un homme

polygame. Ce rejet est une attaque directe contre les traditions ancestrales

maliennes. Dans la société malienne, les jeunes semblent être libres, par rapport aux

traditions.

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72

CONCLUSION GENERALE

Au terme de notre analyse, nous avons pu constater que, la tradition et la

modernité constituent, dans le roman de Seydou BADIAN Sous L’orage un couple

thématique à travers lequel s’expriment de nombreuses questions, telles que les

bouleversements historiques du Mali, l’opposition systématique entre ville et brousse,

père et fils et enfin passé et présent.

Dans cette œuvre, l’auteur met en exergue une classique histoire d’amour de

deux jeunes gens qui s’aiment en silence. Pourtant le père de la fille veut la donner à

un homme riche et âgé. Nous trouvons dans cette circonstance la mentalité des

jeunes qui s’oppose à celle des vieux. Ainsi, né un conflit des deux générations ; un

conflit éternel qu’on retrouve d’ailleurs dans presque toutes les civilisations, car alors

que les jeunes pensent à la modernité, les anciens s’enfoncent de mieux en mieux

dans les traditions.

Cependant le drame amoureux autour duquel se noue l’histoire qui met en jeu

les équilibres de la société, est relégué au fur et à mesure au second plan. A travers

cette histoire d’amour, l’auteur expose la gérontocratie renforcée ici par les structures

traditionnelles établies par la loi sociale. Ce pouvoir des vieux se transforme en

autorité. L’homme se fait le supérieur.

Les structures traditionnelles donnent une place très remarquable à l’homme

dans la société et ravalent la dignité féminine. Cela fait dire que si l’Afrique se trouve

dans un état arriéré ce n’est pas seulement à cause de la colonisation qui a

longtemps exploité tous les biens du continent mais également à cause des

structures traditionnelles. D’ailleurs en parlant du système colonial, l’auteur a montré

quand même un aspect positif en ce sens que l’africain aurait mis tout son espoir

chez le blanc.

Alors faut-il toujours maintenir la femme dans cet état pour demeurer dans

cette situation ? Pour aider la femme à avoir également une place prépondérante

dans la société, BADIAN a choisi une jeune fille pour l’héroïne de son roman. Cette

fille, ayant appris à l’école des blancs une autre civilisation qui reconnaît l’existence

de la femme, s’est dressée contre sa société qui semble de plus en plus subir

l’hégémonie des hommes. L’auteur qui se veut ici un défenseur des droits des

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femmes a montré tout de même que trouver une place à la femme nécessite de

braver des interdictions.

L’homme et la femme doivent tous deux bâtir la nation pour un meilleur

changement de vie.

BADIAN se montre un auteur qui ne s’enracine pas tout à fait dans les

traditions ancestrales et qui n’admire pas totalement la modernité. Il se place au juste

milieu de ces deux modes de vie. D’ailleurs ses personnages se battent toujours

pour la construction d’une nouvelle société avec un nouveau progrès spirituel : une

société qui sera fécondée par les idées positives de chacun des deux générations en

conflit. Tel est le grand souhait de l’auteur.

Dans son roman Le Sang des masques, le propos, pourrait-on dire, reste le

même avec Sous L’Orage. Dans l’un comme dans l’autre Seydou BADIAN évoque,

en un mot, les mutations sociales qu’entraîne le passage de la société traditionnelle

rurale à la société urbaine moderne. C’est la même unité d’inspiration, c’est-à-dire la

société africaine en mutation ou plutôt en crise.

Sous L’Orage creuse donc un fossé qu’il franchit ensuite allégrement grâce à

l’action soudain bienfaisante de l’intelligence et de la sagesse chez ses

personnages. Les jeunes ont pu éviter le pouvoir des vieux et le roman s’achève du

reste à l’avantage du couple.

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74

BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGE DE BASE :

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REVUES :

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� JACQUEY, Marie-Clotilde., BRUNOT, Mireille., WABERI, Abdourahman A. et

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Paris, 1987, 189 p.

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77

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION GENERALE ................................................................................................ 1

PREMIERE PARTIE: LE POUVOIR GERONTOCRATIQUE ................................................ 6

I -1- LA VIE AU VILLAGE : ................................................................................................ 8

I -2- LA RESISTANCE DE LA TRADITION .................................................................... 13

CHAPITRE II : ......................................................................................................................... 21

LA FORCE DES ANCIENS .................................................................................................... 21

II -1- L’AUTORITE PATERNELLE : ................................................................................. 21

II-2- LES ANCIENS FACE A L’ADMINISTRATION COLONIALE .............................. 23

CHAPITRE III : ........................................................................................................................ 31

LA RELATION HOMME-FEMME ........................................................................................ 31

III -1- LA PLACE DE LA FEMME FACE A SON PARTENAIRE ................................... 31

III-2- LE REFUS DU MARIAGE FORCE .......................................................................... 34

DEUXIEME PARTIE: LES TEMPS NOUVEAUX ................................................................ 42

CHAPITRE I : .......................................................................................................................... 44

L’IMAGE DE LA COLONISATION ...................................................................................... 44

I -1- L’ECOLE ETRANGERE FACE A LA TRADITION ................................................. 44

I -2- LE MILIEU URBAIN .................................................................................................. 49

CHAPITRE II ........................................................................................................................... 57

LES PREMICES D’UN TEMPS NOUVEAU ......................................................................... 54

II -1- LE MARIAGE COMME CAUSE D’UNE DIVISION FAMILIALE ........................ 54

II -2- LE REJET DE LA POLYGAMIE .............................................................................. 57

CHAPITRE III : ........................................................................................................................ 63

LES APPORTS DE LA JEUNESSE ........................................................................................ 63

III -1- LA QUETE DE LA LIBERTE : ................................................................................ 63

III -2- L’EMANCIPATION DE LA FEMME MALIENNE ................................................ 66

BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................... 74

TABLE DES MATIERES ........................................................................................................ 77