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Séquence 1 re Séries générales et technologiques Présentation « André ? André ?… Tu écriras un roman sur moi [...]. De nous il faut que quelque chose reste […]. Promets. Il faut. » (Nadja, p. 117) Si André Breton s’est toujours refusé à l’écriture romanesque, il a assurément donné une postérité littéraire à l’énigmatique jeune femme rencontrée dans une rue parisienne en octobre 1926. Œuvre incandescente, la plus célèbre et la plus commentée de son auteur, Nadja apparaît comme un autre manifeste du surréalisme, rassem- blant les principaux thèmes du mouvement en un récit éclaté qui suit le schéma d’une quête d’identité et du surréel au fil du hasard merveilleux. En classe de 1 re , la lecture de Nadja peut s’inscrire au croisement de plusieurs objets d’étude. Dans la perspective de « La question de l’Homme », il s’agira d’interroger le rôle donné à l’irrationnel, au hasard et à la folie dans la quête existentielle du surréalisme, ainsi que les rapports entre l’écriture et la vie, tout en étudiant les diverses formes d’écriture argumentative mobilisées dans l’ouvrage. Nadja peut aussi être lu en prolongement de l’étude du « person- nage de roman » pour montrer comment Breton a créé « d’après une histoire vraie » - comme on le dit si souvent aujourd’hui - un mythe littéraire qui déconstruit les codes du roman réaliste. Analyser les dessins et photographies publiés dans Nadja Réaliser des collages surréalistes Dans cette séquence, vous pourrez exploiter les ressources multimédia suivantes, disponibles sur le site NRP dans l’espace « Ressources abonnés ». Rendez-vous sur http://www.nrp-lycee.com. Les numériques + Sommaire Supports : – André Breton, Nadja, 1928, Folio, 1972 – André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924 étape 1. Pourquoi parle-t-on de « révolution » surréaliste ? Séance 1 : Découvrir le surréalisme Séance 2 : L’écriture et la vie : Nadja, un antiroman ? étape 2. Nadja, fée et folle Séance 3 : Une rencontre magique Séance 4 : De la rue à l’asile : le destin tragique d’une « âme errante » étape 3. En quête du surréel Séance 5 : Les faits du hasard Séance 6 : La part du rêve Par Françoise Rio, professeure de Lettres au lycée Nadja, un manifeste du surréalisme Objet d’étude : La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation 38 NRP LYCéE MAI 2018

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Séquence 1re Séries générales et technologiques

38 NRP lycée SEPTEmBRE 2017

Séquence 1re

Séries générales et technologiques

Présentation

« André ? André ?… Tu écriras un roman sur moi [...]. De nous il faut que quelque chose reste […]. Promets. Il faut. » (Nadja, p. 117)

Si André Breton s’est toujours refusé à l’écriture romanesque, il a assurément donné une postérité littéraire à l’énigmatique jeune femme rencontrée dans une rue parisienne en octobre 1926. Œuvre incandescente, la plus célèbre et la plus commentée de son auteur, Nadja apparaît comme un autre manifeste du surréalisme, rassem-blant les principaux thèmes du mouvement en un récit éclaté qui suit le schéma d’une quête d’identité et du surréel au fil du hasard merveilleux.

En classe de 1re, la lecture de Nadja peut s’inscrire au croisement de plusieurs objets d’étude. Dans la perspective de « La question de l’Homme », il s’agira d’interroger le rôle donné à l’irrationnel, au hasard et à la folie dans la quête existentielle du surréalisme, ainsi que les rapports entre l’écriture et la vie, tout en étudiant les diverses formes d’écriture argumentative mobilisées dans l’ouvrage. Nadja peut aussi être lu en prolongement de l’étude du « person-nage de roman » pour montrer comment Breton a créé « d’après une histoire vraie » - comme on le dit si souvent aujourd’hui - un mythe littéraire qui déconstruit les codes du roman réaliste.

Analyser les dessins et photographies publiés dans Nadja Réaliser des collages surréalistes

Dans cette séquence, vous pourrez exploiter les ressources multimédia suivantes, disponibles sur le site NRP dans l’espace « Ressources abonnés ». Rendez-vous sur http://www.nrp-lycee.com.

Les numériques+

SommaireSupports :– André Breton, Nadja, 1928, Folio, 1972– André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924

étape 1. Pourquoi parle-t-on de « révolution » surréaliste ?Séance 1 : Découvrir le surréalismeSéance 2 : L’écriture et la vie : Nadja, un antiroman ?

étape 2. Nadja, fée et folleSéance 3 : Une rencontre magiqueSéance 4 : De la rue à l’asile : le destin tragique d’une « âme errante »

étape 3. en quête du surréelSéance 5 : Les faits du hasardSéance 6 : La part du rêve

Par Françoise Rio, professeure de Lettres au lycée

Nadja, un manifeste du surréalisme

Objet d’étude : La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation

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Séries générales et technologiques Séquence 1re

ÉTAPE 1. Pourquoi parle-t-on de « révolution » surréaliste ?

SÉANCE 1 Découvrir le surréalisme

Modalité : Recherches documentaires et exposés.Supports : – « Voulez-vous un dessin ? », série proposée par le Centre Pompidou : https://tinyurl.com/yct2e9rq ;– Interview de Clément Chéroux, commissaire de l’exposition « La subversion des images : surréalisme, photographie, film », Centre Pompidou, 2009 : https://tinyurl.com/ydfnnc6r ;– Dossier pédagogique de l’exposition « Le surréalisme et l’ob-jet », Centre Pompidou, 2013 : https ://tinyurl.com/y9b8p7j8.Objectifs : Raviver les connaissances des élèves sur le surréa-lisme en soulignant la dimension subversive du mouvement ; connaître le contexte de l’écriture de Nadja.Durée : 2 heures de recherche au CDI + 1 heure de restitution en classe.

➔ Première approcheAprès avoir demandé aux élèves la signification qu’ils donnent

à l’adjectif « surréaliste », souvent employé au sens extensif de « bizarre », « étrange », voire « invraisemblable », on projette deux brèves vidéos :

– Une présentation schématique du surréalisme (3 min 23) dans la série « Voulez-vous un dessin ?  » proposée par le Centre Pompidou : https://tinyurl.com/defSurrealisme

– Une interview de Clément Chéroux (6 min12), commissaire de l’exposition La Subversion des images : surréalisme, photographie, film présentée au Centre Pompidou en 2009 : https://tinyurl.com/subversiondesimages

Par groupes de cinq ou six, les élèves mènent au CDI ou à la maison un travail de recherche documentaire sur six aspects du surréalisme qui permettront d’éclairer la lecture ultérieure de Nadja. Chaque expo-sé met l’accent sur quelques faits et exemples significatifs.

De gauche à droite : Max Morise, Simone Breton, Paul Éluard, Joseph Delteil, Gala, Robert Desnos, André Breton et sur la bicyclette Max Ernst à la foire de Montmartre en 1923 à Paris.

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➔ Pistes de recherches1. Un mouvement d’avant-garde ancré dans l’histoire du

xxe siècleOn retrace les principales étapes de l’évolution du surréalisme

jusqu’à la mort d’André Breton en 1966, en soulignant le lien initial avec le cataclysme de la guerre de 14, le rôle essentiel de Breton et des revues qu’il a successivement créées, les alliances et les rup-tures, la dimension pluri-artistique et internationale.

2. La dimension subversive et provocatrice du surréalismeCet axe est à illustrer par la présentation de quelques polé-

miques ou scandales orchestrés par les surréalistes, tels que la dif-fusion du tract collectif « Un cadavre » lors de la mort d’Anatole France en 1924 (avant le pamphlet du même titre écrit contre André Breton par des exclus du surréalisme en 1930), la critique du patriotisme à l’occasion d’un banquet à la Closerie des Lilas en 1925, la dénonciation de la guerre du Rif la même année, ou encore les scandales occasionnés par la projection des films de Salvador Dali et de Luis Bunuel, Un Chien andalou en 1929 et L’Âge d’or en 1930. Ces faits retentissants soulignent autant le goût du joyeux tapage entre jeunes gens que les revendications révolution-naires des surréalistes qui, loin de se cantonner aux limites d’un

mouvement artistique, se voulaient résolument tournés vers l’ac-tion : « Transformer le monde », a dit Marx ; « changer la vie », a dit Rimbaud : « ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un », écrit Breton dans Position politique du surréalisme (1935). D’où la tenta-tion, vite avortée, du rapprochement avec le Parti communiste, la condamnation du colonialisme, le combat anticlérical et la volonté de libération générale de l’humanité par le rêve et l’action réunis.

3. Les jeux collectifs et la recherche de nouveaux modes d’ex-pression poétique et artistique

La notion de groupe, manifeste lors des actions publiques évo-quées ci-dessus, a également permis d’expérimenter de nouvelles pratiques créatives où le jeu tient une place essentielle : l’écriture automatique, le sommeil hypnotique, le « cadavre exquis » et, dans le domaine des arts plastiques, le collage, le photomontage, le frottage, le ready-made. Toutes ces pratiques visent également à exploiter la force des images les plus déroutantes, au cœur de l’es-thétique surréaliste : « le vice appelé surréalisme est l’emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image, ou plutôt de la provocation sans contrôle de l’image par elle-même et pour ce qu’elle entraîne dans le domaine de la représentation de perturbations imprévisibles et de métamorphoses », écrit Aragon dans Le Paysan de Paris (1926).

4. L’intérêt porté à la théorie freudienne de l’inconscient et à la folie

Durant la guerre de 14, André Breton est mobilisé en tant qu’étudiant en médecine dans les services psychiatriques de plu-sieurs hôpitaux militaires. Cette expérience, qui le conduit à obser-ver des combattants traumatisés, renforce son intérêt pour la folie tandis qu’il découvre les travaux de Freud (à travers la présentation partielle qu’en propose en 1914 La Psychoanalyse des psychoses et des névroses des docteurs Régis et Hesnard). La méthode psy-chanalytique de la parole par association libre, l’interprétation des rêves, la théorie de l’inconscient et l’importance accordée à la sexualité passionnent les surréalistes qui voient aussi en la folie un puissant moyen d’expression échappant au pouvoir de la raison. La deuxième section du recueil L’Immaculée conception (1930) écrit conjointement par Breton et Éluard mime cinq états de délires psy-chiques pour affirmer l’abolition de la frontière entre folie et poésie. L’ambivalence d’une telle fascination envers la démence soulève des questions que l’on retrouvera lors de la lecture de Nadja, sur-tout lorsqu’on confronte les textes théoriques des surréalistes à l’épreuve réelle de la folie dans laquelle ont sombré Nadja et cer-tains proches du mouvement (Antonin Artaud, René Crevel qui en se suicidant à 34 ans écrivit « Désolé, mais je me sentais devenir fou »).

5. La célébration de l’amour et de la femmeRenouvelant la mystique de l’amour courtois et le lyrisme

romantique, les surréalistes ont exalté la quête amoureuse, l’éro-tisme et la figure de la femme salvatrice ou médiatrice. Les élèves peuvent évoquer les égéries qui ont partagé la vie de plusieurs surréalistes (les compagnes ou épouses successives de Breton, le rôle de Gala auprès d’Éluard, de Max Ernst et de Dali, ou de Nusch pour Éluard et Man Ray) et choisir quelques poèmes, tableaux ou photos emblématiques pour illustrer cette conception idéalisée de la femme-fée, médiatrice du merveilleux. Si les surréalistes ont certes contribué à la libération des mœurs et magnifié l’expérience amoureuse, ils n’ont pas véritablement reconnu les femmes comme leurs égales sur le plan intellectuel et artistique.

Cadavre exquis de Paul Éluard, Valentine Hugo, André Breton et Nusch Éluard, musée d’art et d’histoire, Saint Denis (93).

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la contestation du roman réaliste que développeront une trentaine d’années plus tard les auteurs du Nouveau Roman.

TEXTE 2. nadja : uN « doCumENT pRiS SuR LE Vif » ?

« Avant-dire (dépêche retardée) », Nadja, p.5-7.

➔ Questions1. Pourquoi ce texte est-il écrit en italiques et placé en tête du

récit ? Que signifie l’expression « dépêche retardée » ?2. Relevez les termes par lesquels l’auteur désigne son ouvrage :

quel genre de livre vous paraissent-ils annoncer ?3. Dans quelle mesure ce texte fait-il écho à l’extrait étudié du

Manifeste du surréalisme ?

➔ Éléments de réponse1. Une préface en écho à la fin de NadjaComme l’indique la date de «  Noël 1962  », Breton rédige

cette préface à l’occasion de la réédition de Nadja dans la collec-tion blanche de Gallimard de 1963, soit trente-cinq ans après la première publication. Il justifie les modifications apportées à sa nouvelle version du récit tout en réaffirmant la vocation « anti-litté-raire » de celui-ci pour peut-être démentir certains critiques qui en 1928 avaient assimilé Nadja à un roman. Tandis que le titre « Avant-dire » reprend celui que Mallarmé avait donné à sa préface au Traité du verbe (1886) de René Ghil, l’expression « dépêche retardée » fait écho au message radio transcrit en italiques dans la dernière page de Nadja qui évoquait de manière assez sibylline un fait divers célèbre de 1927, la disparition de l’avion piloté par Frances Grayson lors d’une tentative de traversée de l’Atlantique. Breton suggère ainsi un lien mystérieux entre ces deux figures féminines et établit une continuité entre les éditions espacées de son récit.

2. Une revendication d’objectivitéLa plupart des expressions qui désignent « ce livre » l’appa-

rentent à un document brut (« l’abondante illustration photogra-phique », « document « pris sur le vif » », « dénuement volontaire d’un tel écrit »), une chronique (« relation au jour le jour, aussi imperson-nelle que possible, de menus événements s’étant articulés les uns aux autres d’une manière déterminée ») ou une observation clinique res-pectant une forme d’objectivité scientifique (« le ton adopté pour le récit se calque sur celui de l’observation médicale »).

3. Un pacte d’écriture « anti-littéraire »Moins virulent que le Manifeste du surréalisme, cet «  Avant-

dire » poursuit néanmoins la critique de la fiction romanesque et des conventions littéraires qui est l’une des constantes du surréa-lisme. Non sans ironie, Breton commence par mettre « au rang des vanités » le fait d’écrire, de publier et a fortiori de retoucher « toute espèce de livre », au nom de la prééminence accordée à la vie plutôt qu’à l’écriture. Il réitère sa condamnation de la description, « frappée d’inanité » et sa méfiance à l’égard des apprêts stylistiques. Breton semble vouloir placer son livre en dehors du champ littéraire, comme s’il annonçait à ses lecteurs : ceci n’est pas un roman… pas plus qu’une autobiographie ou un essai. Si l’auteur souligne ainsi de façon péremptoire la singularité expérimentale de son ouvrage, il ne manque pas de s’inscrire dans une tradition commune à bien des écrivains qui énoncent un pacte de lecture liminaire.

➔ Comment lire Nadja ?En interrogeant de manière critique ce pacte de lecture énoncé

dans l’ « Avant-dire », on formule en classe quelques questions qui guideront la lecture cursive, à mener à la maison en une semaine environ : dans quelle mesure Nadja est-il un livre « anti-littéraire » ? La « relation des événements » est-elle « aussi impersonnelle que possible » ? Dénuée « du moindre apprêt quant au style » ? « La personne de Nadja » n’a-t-elle rien d’un personnage romanesque ? Quel rôle jouent les illustrations ?

Pour faciliter la lecture qui risque d’être déconcertante, on explique brièvement aux élèves la composition du récit, non cha-pitré, en trois étapes d’inégale longueur, ainsi que les circonstances de leur rédaction :

1. Une sorte de prologue (p. 9 à 69) offre une succession disconti-nue de réflexions et de faits qui préparent sans la nommer l’entrée en scène de Nadja.

2. Le récit de la rencontre de Breton avec Nadja (p. 71 à 172) prend la forme tantôt d’un journal de bord ou d’une chronique rédi-gée au présent, tantôt d’un questionnement de l’auteur sur l’énigma-tique jeune femme qu’il a fréquentée entre le 4 et le 13 octobre 1926.

3. Un bref épilogue (p. 173-190) évoque de manière aussi ellip-tique qu’exaltée une nouvelle rencontre, justifiant un hymne à l’amour et à la « beauté convulsive ». Le moment venu, il sera sans doute nécessaire de préciser aux élèves que le « tu » employé dans ces pages ne désigne pas Nadja mais Suzanne Muzard, la compagne d’Emmanuel Berl avec qui Breton va vivre une liaison passionnelle de quelques mois à partir de novembre 1927.

Les deux premières parties de Nadja ont été écrites en août 1927

Dessin autographe de Nadja à l’encre sur le papier d’une nappe de restaurant, 1926, bibl. littéraire Jacques Doucet, Paris.

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alors que Breton séjourne à Varengeville-sur-Mer, au manoir d’An-go dont il est question p. 24 et 69. La première partie paraît dans la revue Commerce à l’automne 1927. L’écriture de la troisième partie a été motivée par la rencontre avec Suzanne Muzard, dont elle est contemporaine, comme si la vie était venue bouleverser la rédac-tion d’un livre qui semble alors en train de se faire. Nadja paraît chez Gallimard au printemps 1928, avant d’être réédité dans une nouvelle version en 1963.

À vous de jouer : lire dans le désordrePuisque Breton revendique des « impératifs anti-littéraires », on peut proposer aux élèves de rompre l’ordre linéaire de lecture en lisant d’abord les pages 71 à 190 de Nadja et ensuite les pages 9 à 69, afin de faciliter leur compréhension du texte complexe qu’est le prologue.

ÉTAPE 2. Nadja, fée et folle

SÉANCE 3 Une rencontre magique

Modalité : Lecture analytique et travail d’écriture d’invention.Supports : – Nadja, de « Le 4 octobre dernier… » (p. 71) à «… elle me fait » (p. 73) ;– Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, « À une passante ».Objectifs  : Étudier comment Breton réécrit le topos roma-nesque et poétique de la rencontre d’une inconnue dans la rue.Durée : 1 heure + 2 heures pour l’écriture d’invention.

➔ Questions1. Dans quelles circonstances (de temps, de lieu et d’état d’es-

prit de l’auteur) se produisent les rencontres ?2. Comparez le récit de Breton avec le sonnet de Baudelaire, « À

une passante » : quels points communs, quelles différences appa-raissent entre ces deux scènes de rencontre ?

3. À quoi tient l’étrangeté de Nadja et quel effet produit-elle sur Breton ?

4. Quels éléments du texte montrent que la remémoration des faits en propose aussi une interprétation rétrospective ?

➔ Éléments de réponseLe surgissement du merveilleux dans le quotidien

Topos romanesque s’il en est, le motif de la rencontre de hasard avec une passante inconnue et fascinante est aussi devenu depuis Baudelaire un mythe moderne en poésie (dont Claude Leroy a fait une étude magistrale dans Le Mythe de la passante, PUF, 1999). Le début du récit de Breton semble ainsi développer ce que condense en son vers initial le sonnet de Baudelaire (« La rue assourdissante autour de moi hurlait ») : « à la fin d’un de ces après-midi tout à fait désœuvrés et très mornes », l’auteur, flâneur solitaire et « sans but » dans une rue parisienne, se sent étranger à la foule qu’il décrit par une gradation tendant à dépersonnaliser les individus : « J’observais sans le vouloir des visages, des accoutrements, des allures ». Or, la vision d’une passante singulière (« contrairement à tous les autres passants ») est présentée comme une apparition magique dans cet environne-ment morose, une irruption de l’extraordinaire dans le quotidien, qui correspond à la définition surréaliste du merveilleux. Malgré son

apparente pauvreté, Nadja se distingue par une allure majestueuse (« Elle va la tête haute ») et une démarche aérienne qui la rend presque irréelle («  Si frêle qu’elle se pose à peine en marchant  »). Comme Baudelaire, Breton est envoûté par un échange de regards qui le fait croire à une connivence immédiate, et s’attarde sur la description des yeux de Nadja. Toutefois, la suite du récit diffère du sonnet : alors que la passante de Baudelaire, éternelle inconnue, fuit à jamais (« Un éclair… puis la nuit ! »), Breton adresse la parole « sans hésitation » à la jeune femme qui lui répond en souriant. On sait cependant que cette première rencontre est le prélude d’une histoire d’amour manqué où les rôles imaginés par Baudelaire (« Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! ») seront inversés.

Une passante surréelleLe portrait fragmentaire de Nadja fait ressortir son étrangeté

qui fascine Breton. Avec un mélange d’assurance et de fragilité, elle envoûte par son sourire et son regard : « un sourire imperceptible », « elle sourit, mais très mystérieusement », « Curieusement fardée », « Que peut-il bien passer de si extraordinaire dans ses yeux ? » Son caractère énigmatique tient non seulement à l’immédiateté avec laquelle elle aborde Breton –« comme en connaissance de cause » – et lui confie ses difficultés matérielles, mais aussi à ses contradictions : son « bord des yeux si noir pour une blonde », sa démarche « tête haute » et sa prétendue intention d’aller chez un coiffeur qui contrastent avec son apparent dénuement. La troublante ambiguïté de celle que Breton prend d’abord pour une prostituée (« j’adresse la parole à l’inconnue, tout en m’attendant, j’en conviens du reste, au pire ») est soulignée par l’antithèse dans l’interrogation directe : « Que s’y mire-t-il à la fois obs-curément de détresse et lumineusement d’orgueil ? » Obscure clarté, Nadja surgit de la rue comme si elle provenait d’un autre monde, avec l’étrange évidence qu’ont les personnages d’un rêve. Ainsi appa-raît-elle d’emblée incarner le surréel au sens où l’entend Breton : « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradic-toires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de sur-réalité, si l’on peut ainsi dire. C’est à sa conquête que je vais, certain de ne pas y parvenir mais trop insoucieux de ma mort pour ne pas supporter un peu les joies d’une telle possession. » (Manifeste du surréalisme, 1924).

Un récit rétrospectif qui transforme le hasard en nécessitéSitué avec précision dans le temps et l’espace, le récit est dra-

matisé par l’emploi des temps verbaux et les modalisateurs. Tandis que le recours initial à l’imparfait duratif laisse attendre le surgis-sement d’un événement singulier, le passage au présent de narra-tion, annoncé par « Tout à coup », souligne l’intensité de l’émotion

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liée à l’apparition de Nadja, que Breton semble revivre au fil de sa reconstitution. Les phrases nominales, l’anacoluthe (« …mais le bord des yeux si noir pour une blonde »), la digression entre parenthèses relative à l’actrice Blanche Derval, créent une certaine discontinui-té du récit, à l’image du trouble encore sensible au moment de l’écriture. Du fait des multiples marques de la subjectivité et de la relecture des faits à la lumière du regard rétrospectif, on est loin du « document pris sur le vif » et du ton de « l’observation médicale » revendiqués dans la préface. A posteriori, tout devient signe d’une prédestination : par exemple, la réflexion désabusée sur les pas-sants (« Allons, ce n’étaient pas encore ceux-là qu’on trouverait prêts à faire la Révolution ») annonce la révolution intime que constituera pour Breton la rencontre de Nadja à l’endroit d’un « carrefour ». Ce regard rétrospectif est d’ailleurs souligné par les prolepses (« elle devait reconnaître par la suite »), les interventions de l’auteur pla-cées en incise ou entre parenthèses et renvoyant au moment de l’écriture (« j’en conviens du reste », « dirai-je », « je dis : prétend-elle »), les corrections palinodiques (« (ou bien qui ne pourrait ?) »). Les ques-tions laissées sans réponse rejettent cependant dans l’incertitude toute tentative d’interprétation de l’énigme qu’est Nadja.

À vous de jouer : l'écriture d’inventionRédigez cette scène de rencontre du point de vue de Nadja, dans un récit de deux pages environ, raconté à la première per-sonne. Vous tiendrez compte des caractéristiques sociales et mentales du personnage telles qu’elles sont exposées dans la suite du livre.L’exercice, rédigé à la maison, donnera l’occasion de vérifier ce que les élèves ont perçu de ce personnage déconcertant, et de préparer la séance suivante.

SÉANCE 4 De la rue à l’asile : le destin tragique d’une « âme errante »

Modalité : Lecture transversale de la partie centrale de Nadja.Supports :– Nadja (p. 71 à 172) ;– site de l’Association Atelier André Breton www. andrebreton.frObjectifs : Aborder le double visage de Nadja – Comprendre comment une histoire vécue est devenue un mythe littéraire.Durée : 1 heure.

➔ Questions1. À l’aide de la notice Wikipédia sur Léona Delcourt, retracez

brièvement la vie de la « vraie » Nadja.2. Quels éléments relatés dans les p. 71 à 172 apparentent

Nadja à une incarnation des idéaux surréalistes ?3. Quels indices de sa misère et de sa folie sont donnés dans

ces mêmes pages ?

➔ Éléments de réponse1. La vie réelle de Léona D.

Les recherches de Marguerite Bonnet et la conservation de lettres de Nadja (consultables sur le site www. andrebreton.fr) ont permis de cerner la réelle identité de Léona Delcourt, née en 1902 près de Lille dans une famille ouvrière. Mère d’une petite fille née en 1920, elle quitte sa famille trois ans plus tard et mène à Paris une vie hasar-deuse, passant du monde du spectacle à celui du trafic de drogue et de la prostitution occasionnelle. Le pseudonyme qu’elle s’est choisi lui a sans doute été inspiré par le nom d’une danseuse américaine qu’on pouvait alors voir sur les affiches parisiennes. Les lettres recueillies sur les sites indiqués témoignent de la passion désespérée que Breton lui a inspirée. Souffrant d’une psychose hallucinatoire, elle sera internée à partir du 21 mars 1927 jusqu’à sa mort le 15 janvier 1941 à l’asile de Bailleul (Nord). Son décès fut imputé à une épidémie de typhus et à un cancer mais il est probable que Nadja a aussi subi la famine délibérément infligée aux malades dans les hôpitaux psychiatriques par le gouvernement de Vichy.

2. Une fée surréalisteSi Breton finit par prendre conscience du « désastre irréparable »

(p. 136) qui attend Nadja, il voit d’abord en elle une fascinante incar-nation du surréalisme.

Fille de la rue («  pour elle seul champ d’expérience valable  », p. 133), elle est en quête d’une liberté absolue qui passe par un refus des conventions sociales : elle ne travaille pas, a délaissé sa fille que pourtant elle « adore » (p. 102), peut répliquer « dix-sept, oui ; dix-huit,

Une des dernières lettres de Nadja à André Breton, 4e de couverture de la première édition du Livre de poche, 1966.

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non » au boulanger qui lui proposait un salaire de « dix-sept ou dix-huit francs par jour ». Vivant dans l’instant, en se fiant au hasard, elle se sait insaisissable – « On ne m’atteint pas » (p. 111) –, ce qui émerveille Breton : « J’ai pris, du premier au dernier jour, Nadja pour un génie libre, quelque chose comme un de ces esprits de l’air que certaines pratiques de magie permettent momentanément de s’attacher, mais qu’il ne sau-rait être question de se soumettre. » (p. 130).

Douée d’une singulière sensibilité artistique, elle est immédia-tement réceptive aux écrits de Breton comme au poème de Jarry (p. 83), à certains tableaux de Braque (p. 146) et de Max Ernst (p. 149). Elle-même est l’auteur de phrases sibyllines ou d’aphorismes qui semblent sortis d’un recueil surréaliste : « [cette étoile] est comme le cœur d’une fleur sans cœur » (p. 81) ; « Le rose est mieux que le noir, mais les deux s’accordent » ; « Ne pas alourdir ses pensées du poids de ses souliers » (p. 138), ainsi que de dessins tour à tour naïfs ou inquiétants, dont plusieurs rappellent l’esthétique surréaliste du collage.

Tel un medium, elle est assaillie de visions qui lui permettent de décrire sans la connaître la femme de Breton (p. 85), prévoir l’avenir imminent (p. 96, 107), transfigurer le réel (p. 94, 100, 117…), susciter les « pétrifiantes coïncidences » (p. 20) que guettent les surréalistes. Pour Breton, Nadja sera non seulement une moderne Mélusine (la fée médiévale à laquelle Nadja elle-même s’identifie, p. 125) mais

surtout un oracle de l’amour fou…. qu’il vivra quelques mois plus tard avec une autre femme.

3. Une femme en détresseEn lisant dans les signes précédents des indices de la folie de

Nadja, les élèves se rangeront parmi «  ces crétins de bas étage  » (p. 160), ceux du « Ah alors », du « Je me disais aussi » que dédaigne Breton. Si le diagnostic n’est explicité qu’à la p. 159, et d’une manière abrupte (« On est venu, il y a quelques semaines, m’apprendre que Nadja était folle »), l’auteur ne manque pourtant pas d’exprimer l’inquié-tude qui le saisit à plusieurs reprises durant cette décade enchan-tée. D’une part, il fait souvent référence à la précarité matérielle de la jeune femme (p. 106, 111) dont la vie est faite d’expédients (p. 77, 85, 107) et des « péripéties les plus lamentables » (p. 158). D’autre part, il est question de « sa santé, très compromise » (p. 80), sa tendance à la « confusion » mentale (p. 93), au « trouble » (p. 94), au « soliloque intraduisible » (p. 125) et aux hallucinations macabres (p. 84, 96, 98) qui effraient Breton autant que Nadja. Celle-ci semble osciller entre la conscience et le déni de sa maladie : « Tu me crois très malade, n’est-ce pas ? Je ne suis pas malade. » (p. 100), dit-elle à Breton qui, de son côté, multiplie les antithèses pour désigner l’inextricable dualité de Nadja en proie aux démons et merveilles.

ÉTAPE 3. En quête du surréel

SÉANCE 5 Les faits du hasard

Modalité : Lecture analytique et journal de bord personnel.Support : Nadja, de « Je n’ai dessein de relater » (p. 19), à « entre ces faits-glissades et ces faits-précipices » (p. 21).Objectifs : – Comprendre les liens entre les différentes parties de Nadja à la lumière de la conception du hasard ; – S’initier à la quête surréaliste du « hasard objectif ».Durée : 2 heures.

À titre d’entrainement à l’épreuve orale du bac, la lecture analy-tique est préparée en classe en une heure à partir d’une probléma-tique que les élèves traitent individuellement ou par petits groupes. Deux ou trois d’entre eux présentent oralement leur travail.

➔ ProblématiqueComment cette réflexion sur les «  faits-glissades  » et les

« faits-précipices » annonce-t-elle la rencontre avec Nadja ?

➔ Commentaire développéUne argumentation sinueuse et imagée

L’extrait offre un exemple de la rhétorique argumentative souvent utilisée par Breton dans Nadja. Aux antipodes de l’écriture automa-

tique, une analyse rigoureuse se coule dans un style périodique où alternent le lexique théorique et le recours aux images. Les trois pre-mières phrases, longues et complexes, s’enchaînent selon une pro-gression linéaire, scandée par la reprise anaphorique du pronom « où » (première phrase) et de la proposition « Il s’agit de faits » (deuxième phrase) modulée en « Il y aurait à hiérarchiser ces faits » au début de la troisième phrase. La quatrième phrase, brève et simple, fait figure de clausule baptisant à l’aide de métaphores les deux types de « faits » (« ces faits – glissades et ces faits-précipices ») précédemment décrits.

Le caractère argumentatif est souligné par l’emploi de connec-teurs logiques, à valeur explicative ou concessive : « soit, dans la mesure même où », « sans doute… mais qui… », « c’est-à-dire… », « n’était au… », « fussent-ils de l’ordre… », « sans qu’on puisse dire… ». L’auteur adopte le ton de l’observation scientifique en usant de la tournure imper-sonnelle « Il s’agit de faits », « Il y aurait à hiérarchiser ces faits » et du pronom indéfini «  On pourrait établir quantité d’intermédiaires…  ». Toutefois, cet exposé théorique est initialement assumé par un « je » qui cède la place au « vous » (« une façon de vous faire passer ») dans la deuxième phrase puis au « nous » dans la troisième, selon une grada-tion qui témoigne de la volonté d’universaliser une expérience per-sonnelle. Enfin, le jeu constant entre le lexique abstrait (« épisodes », « plan organique », « faits de valeur intrinsèque sans doute peu contrô-lable », « constatation pure », « concours de circonstances ») et le langage métaphorique (« pétrifiantes coïncidences », « accords plaqués comme au piano », « éclairs », « du fil de la Vierge à la toile d’araignée », « seul à la barre du navire », « faits-glissades et faits-précipices ») semble illustrer les « assauts » entre objectivité et subjectivité qu’évoque Breton à la fin de son « Avant-dire » (p. 7).

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Séquence 1re Séries générales et technologiques

Un éloge du hasardLe hasard, qui surgit dans la vie quotidienne autant que dans

la création artistique, fascine les surréalistes qui y voient l’un des moyens de déjouer la logique rationnelle pour laisser libre cours à l’imaginaire et au merveilleux. Breton souligne ici par des hyper-boles le pouvoir bouleversant de ces « pétrifiantes coïncidences », au « caractère absolument inattendu, violemment incident ». Elles font basculer en un « éclair » l’individu dans un « monde comme défendu », signaux d’un autre ordre des choses qui ne relève pas du surnaturel (auquel les surréalistes ne croient pas) mais d’un mysté-rieux surréel. Une hiérarchie est établie entre les « faits-glissades » – trouvailles d’objets ou rencontres avec des lieux qui éveillent des émotions singulières – et les « faits-précipices » – « certains enchaî-nements, certains concours de circonstances qui passent de loin notre entendement » - qui peuvent menacer l’intégrité psychique. À la suite de cet extrait, Breton relate une série d’exemples de tels faits aléatoires, puisés dans son expérience personnelle et préludes de sa rencontre avec Nadja qui l’entraînera dans « la fureur des sym-boles, en proie au démon de l’analogie » (p. 128), oscillant entre la « merveilleuse stupeur » (p. 130) et l’abîme de la folie. Plus tard, dans Les Vases communicants (1932) puis L’Amour fou (1937), Breton défi-nira son concept du « hasard objectif » à partir des théories d’Engels et de Freud, comme « la forme de manifestation de la nécessité exté-rieure qui se fraie un chemin dans l’inconscient humain » (L’Amour fou, Gallimard, Folio, p. 31). Dès Nadja, c’est du hasard que semble surgir « l’événement dont chacun est en droit d’attendre la révélation du sens de sa propre vie » (p. 69).

Une expérience de dépossessionCette réflexion sur le hasard s’inscrit dans la quête de la connais-

sance de soi qui traverse tout le récit depuis sa question liminaire «  Qui suis-je  ?  » (p. 9). Le questionnement que poursuit Breton s’écarte de la tradition autobiographique car il s’agit moins d’une introspection que d’une attention portée aux accidents extérieurs d’une vie « livrée aux hasards », à une succession de faits sans lien apparent de causalité. La connaissance de soi passe ainsi par une expérience de déstabilisation comme le souligne la métaphore maritime : « en pleine solitude je me découvre d’invraisemblables com-plicités, qui me convainquent de mon illusion toutes les fois que je me crois seul à la barre du navire », et cette perte de maîtrise peut aller jusqu’à « l’absence complète de paix avec nous-mêmes ». Toutefois, l’issue de l’aventure avec Nadja montre que Breton a, pour sa part, limité les risques encourus dans sa tentative de connaissance par les gouffres. « Le surréalisme n’aime pas perdre la raison ; il aime ce que la raison nous fait perdre », observe Ferdinand Alquié dans sa Philosophie du surréalisme, Flammarion, 1965, p. 151.

À vous de jouer : aux aguets du hasardOn propose aux élèves de se remémorer les « faits-glissades », si-non les « faits-précipices » qui ont pu intervenir dans leur propre vie, ou de se mettre aux aguets de ceux-ci durant une période donnée, et de les noter à la manière de ce que fait Breton dans les p. 24 à 69 de Nadja.

On peut aussi leur demander de répondre par écrit à l’en-quête posée par Breton et Éluard dans la revue Minotaure en 1933  : «  Pouvez-vous dire quelle a été la rencontre capitale de votre vie ? Jusqu’à quel point cette rencontre vous a-t-elle donné, vous donne-t-elle l’impression du fortuit ? du néces-saire ? »

SÉANCE 6 La part du rêve

Modalité : Débat oral.Support : Nadja, de « Mais, pour moi » (p. 45) à « sous le nom de réalité » (p. 59).Objectifs : S’essayer à l’interprétation du rêve relaté par Breton et interroger son rôle dans le récit.Durée : 1 heure.

« Descendre dans les bas-fonds de l’esprit »En classe, les élèves relisent d’abord le compte rendu de la pièce

Les Détraquées (p. 45-55). On leur demande ensuite pourquoi, selon eux, Breton éprouve une « admiration sans borne » (p. 46) pour cette histoire mi-glauque mi-grotesque de séduction homosexuelle dans une institution de jeunes filles sur fond de perversité pédophile, toxicomanie et meurtres d’enfants. Il convient de replacer la pièce dans son contexte historique et dans le répertoire de cette salle habituée au « genre Grand-Guignol » (p. 46).

« Un rêve assez infâme »Le récit du rêve qui succède au compte-rendu de la pièce

sera l’occasion d’expliquer brièvement la théorie freudienne de la « surdétermination » du rêve et la méthode d’interprétation qui en découle. Comme les autres manifestations de l’inconscient (lapsus, acte manqué, symptôme névrotique), le rêve est déterminé non par un seul mais par une pluralité de facteurs. Breton s’efforce d’inscrire son cauchemar de manière rationnelle dans une chaîne causale, en relation avec des épisodes diurnes immédiats : « il procède pour une grande part de conversations que j’ai eues hier, tout à fait extérieure-ment à ce sujet » (p. 57) ou « il est clair que, superficiellement, ceci est surtout en relation avec le fait qu’au plafond de la loggia où je me suis tenu ces derniers jours se trouve un nid » (p. 58). L’auteur semble refouler, ou du moins taire les fantasmes érotiques qui affleurent pourtant dans les images de son rêve : il est question d’un « insecte couleur mousse d’une cinquantaine de centimètres », de la « fente » d’un appareil automatique, et du « dégoût inexprimable » du rêveur quand on lui retire « deux grandes pattes velues » enfoncées dans sa gorge…

Si certains élèves ont des talents de dessinateur, ils pour-ront esquisser sous forme de bande dessinée ou de story-board quelques illustrations de ce cauchemar qui tient aussi du scénario de film fantastique.

La proie et le prédateurEnfin, on questionnera le rôle de ces deux épisodes (résumé de

la pièce et récit de rêve) par rapport à l’histoire de Nadja. Outre la dimension érotique qui semble susciter chez l’auteur un mélange de fascination et de malaise, l’intrigue des Détraquées et le rêve qu’elle inspire à Breton reposent sur un fantasme de prédation. C’est explicite en ce qui concerne la pièce de théâtre (« bêtes de proie  » p. 57) et puissamment suggéré par l’image de l’insecte monstrueux qui tente d’« étouffer » le rêveur en lui enfonçant dans la gorge deux de ses « grandes pattes velues » (p. 58). L’ombre de ces deux histoires d’emprise prédatrice va ainsi planer sur le récit de la rencontre avec Nadja : entre « la créature toujours inspirée et inspi-rante » (p. 133) et le poète surréaliste, qui sera la proie, le prédateur ou la prédatrice ?