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Séries générales et technologiques Écrit du BAC 1 re « Non l’amour n’est pas mort », de Robert Desnos Par Véronique Pagès, professeure de lettres Modernes, Lycée Joseph Saverne (L’Isle Jourdain) 48 NRP LYCÉE SEPTEMBRE 2019 Présentation Si le commentaire de texte de type Bac ne porte pas sur un texte extrait d’une des œuvres du programme national, il reste toutefois adossé à l’objet d’étude et requiert de l’élève une bonne maîtrise des cours et des activités menées en classe de seconde et de première. Le commentaire doit aussi répondre à une certaine organisation, ce qui suppose que l’élève élabore un projet de lecture et résiste à l’accumulation de remarques qui seraient purement formelles. Pour rappels, les éléments de la note de service du 18.04.2019 du BO n°17 du 25.04.2019 : « Le commentaire porte sur un texte littéraire, en lien avec un des objets d’étude du programme de la classe de première. Le candidat compose un devoir qui présente de manière organisée ce qu’il a retenu de sa lecture et justifie par des analyses précises son interpré- tation et ses jugements personnels. Le texte proposé pour le commen- taire n’est pas extrait d’une des œuvres au programme. Cette production écrite est notée sur 20. » Pour ce qui est de la série technologique, ce même BO précise que « l’objet d’étude Littérature d’idées du XVI e au XVIII e siècle est exclu » et que « le sujet est formulé de manière à guider le candidat dans son travail ». Le commentaire de ce magnifique poème de Desnos s’appuie à la fois sur une mise en perspective du lyrisme amoureux dans l’his- toire de la littérature, et sur une explication linéaire s’appuyant sur une analyse des mouvements du texte et une étude précise de son écriture. Ce travail se poursuit par l’étude d’une œuvre d’un autre artiste surréaliste : Les Amants, de Magritte. Sommaire Supports : – Robert Desnos, « Non l’amour n’est pas mort », Corps et Biens, 1930 – Pierre de Ronsard, « Quand vous serez bien vieille », Les Amours, « Sonnets pour Hélène, 1578 – Charles Baudelaire, « Remords posthume », Les Fleurs du Mal, 1857 – Magritte, Les Amants, 1928 ÉTAPE 1. Desnos et la tradition lyrique Étude comparée de trois textes ÉTAPE 2. De l’étude linéaire au plan de commentaire 1. L’explication de texte, une grille de lecture 2. Élaborer un parcours de lecture Le commentaire rédigé ÉTAPE 3. Ouverture vers une métaphore picturale : Les Amants de Magritte 1. Étrangeté du tableau 2. Sens multiple et opaque Fiche méthode pour le commentaire Objet d’étude : La poésie du XIX e au XXI e siècle. Texte du commentaire : Robert Desnos, « Non l’amour n’est pas mort » extrait de la section « À la mystérieuse » (1926) du recueil Corps et Biens, 1930. Niveau : 1 re

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Séries générales et technologiques

Écrit du BAC 1re

« Non l’amour n’est pas mort », de Robert Desnos

Par Véronique Pagès, professeure de lettres Modernes, Lycée Joseph Saverne (L’Isle Jourdain)

48 NRP LYCÉE SEPTEMBRE 2019

Présentation

Si le commentaire de texte de type Bac ne porte pas sur un texte extrait d’une des œuvres du programme national, il reste toutefois adossé à l’objet d’étude et requiert de l’élève une bonne maîtrise des cours et des activités menées en classe de seconde et de première. Le commentaire doit aussi répondre à une certaine organisation, ce qui suppose que l’élève élabore un projet de lecture et résiste à l’accumulation de remarques qui seraient purement formelles. Pour rappels, les éléments de la note de service du 18.04.2019 du BO n°17 du 25.04.2019 : « Le commentaire porte sur un texte littéraire, en lien avec un des objets d’étude du programme de la classe de première. Le candidat compose un devoir qui présente de manière organisée ce qu’il a retenu de sa lecture et justifie par des analyses précises son interpré-tation et ses jugements personnels. Le texte proposé pour le commen-taire n’est pas extrait d’une des œuvres au programme. Cette production écrite est notée sur 20. »

Pour ce qui est de la série technologique, ce même BO précise que « l’objet d’étude Littérature d’idées du xvie au xviiie siècle est exclu » et que « le sujet est formulé de manière à guider le candidat dans son travail ».

Le commentaire de ce magnifique poème de Desnos s’appuie à la fois sur une mise en perspective du lyrisme amoureux dans l’his-toire de la littérature, et sur une explication linéaire s’appuyant sur une analyse des mouvements du texte et une étude précise de son écriture. Ce travail se poursuit par l’étude d’une œuvre d’un autre artiste surréaliste : Les Amants, de Magritte.

SommaireSupports : – Robert Desnos, « Non l’amour n’est pas mort », Corps et Biens, 1930 – Pierre de Ronsard, « Quand vous serez bien vieille », Les Amours, « Sonnets pour Hélène, 1578– Charles Baudelaire, « Remords posthume », Les Fleurs du Mal, 1857– Magritte, Les Amants, 1928

ÉTAPE 1. Desnos et la tradition lyriqueÉtude comparée de trois textes

ÉTAPE 2. De l’étude linéaire au plan de commentaire1. L’explication de texte, une grille de lecture2. Élaborer un parcours de lecture

Le commentaire rédigé

ÉTAPE 3. Ouverture vers une métaphore picturale : Les Amants de Magritte1. Étrangeté du tableau2. Sens multiple et opaque

Fiche méthode pour le commentaire

Objet d’étude : La poésie du xixe au xxie siècle.

Texte du commentaire : Robert Desnos, « Non l’amour n’est pas mort » extrait de la section « À la mystérieuse » (1926) du recueil Corps et Biens, 1930.

Niveau : 1re

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50 NRP LYCÉE SEPTEMBRE 2019

1. Ronsard et Baudelaire

2. Desnos : « Et moi qui ne suis ni Ronsard ni Baudelaire »

• Desnos, poète surréaliste, fait le choix des vers libres, et d’une forme souple, qui se plie aux élans de ses sentiments.

• Le titre, « Non l’amour n’est pas mort », semble s’affranchir, par son cri d’ouverture, d’une tradition lyrique qui assimile le temps qui passe à la destruction. L’optimisme du titre fait le pari de l’intempo-ralité des sentiments.

• Le « Je » du poète, qui rappelle son nom, « Robert Desnos », pour l’opposer à celui d’auteurs anciens, s’adresse à un « toi » dont il n’imagine pas le discours afin de lui conserver tout son mystère.

• La femme aimée est l’objet du poème, dotée d’une beauté immortelle et autonome. Quant à la posture du poète, elle est inver-sée, et laisse la femme libre d’être celle qu’elle est.

Écrit du BAC 1re Séries générales et technologiques

QUAND VOUS SEREZ BIEN VIEILLE

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,Assise auprès du feu, dévidant et filant,Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle ! »

Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,Déjà sous le labeur à demi sommeillant,Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant,Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et, fantôme sans os, Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.

Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène, 1578.

REMORDS POSTHUME

Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,Au fond d’un monument construit en marbre noir,Et lorsque tu n’auras pour alcôve et manoirQu’un caveau pluvieux et qu’une fosse creuse ;

Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuseEt tes flancs qu’assouplit un charmant nonchaloir,Empêchera ton coeur de battre et de vouloir,Et tes pieds de courir leur course aventureuse,

Le tombeau, confident de mon rêve infini(Car le tombeau toujours comprendra le poète),Durant ces grandes nuits d’où le somme est banni,

Te dira : « Que vous sert, courtisane imparfaite,De n’avoir pas connu ce que pleurent les morts ? »- Et le ver rongera ta peau comme un remords.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857.

Pierre de Ronsard, « Quand vous serez bien vieille », 1578

Charles Baudelaire, « Remords posthume », 1857

Mouvement littéraire et forme

La PléiadeSonnet : forme fixe

Symbolisme Sonnet : forme fixe

Titre du poème Le titre du poème brandit une menace adressée à la femme, celle du temps destructeur. Ce « chantage » en appelle à la nécessité du carpe diem.

Même cruauté dans ce titre – le poète exerce un « chantage » – que celle mise en œuvre par Ronsard.

Marques de l’énonciation et temps des verbes

« Je », « Ronsard » face à un « Vous » pour la femme aimée.Il est le poète-fossoyeur qui parle au nom et à la place de la femme. Présence du style direct.Emploi du futur, associé à la nostalgie et à la culpabilité de la femme muse.

Le « poète » au tombeau / « Tu ».Poète fossoyeur qui parle au nom et à la place de la femme. Présence du style direct.Futur associé à la nostalgie et à la culpabilité de la femme muse.

Qualificatifs pour désigner la femme

Jeunesse et beauté physique vs vieillesse et décrépi-tude.

Beauté sensuelle vs mort. Baudelaire va plus loin que Ronsard dans la destruc-tion du corps de la femme, corps qu’il dissèque en « poitrine », « flancs », « pieds »...

Posture du poète Supériorité affirmée, et rapport de subordination.Quête amoureuse et agressivité de la déclaration « amoureuse ».Poète qui fait la leçon sur le mode de l’impératif.Narcissisme du poète voué, pour sa part, à l’immortalité.

Supériorité et rapport de subordination.Quête amoureuse et perversité de la déclaration « amoureuse ».Poète qui fait la leçon ; cette leçon, qui prend la forme d’une prophétie morbide, constitue la chute du sonnet : « – Et le ver rongera ta peau comme un remords ».Narcissisme d’un poète en dialogue avec la mort, sa meilleure alliée.

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ÉTAPE 2. De l’étude linéaire au plan de commentaire

Modalité : Analyse attentive du texte, et recherche d’axes pour le commentaire. Objectif : Éviter un commentaire superficiel en envisageant d’abord l’explication ligne à ligne.

1. L’explication du texte, une grille de lectureL’étude linéaire est le préalable indispensable au commentaire ;

pour éviter la paraphrase, il se fait à partir de pistes d’observation.

Quels sont les pronoms utilisés ? Les temps des verbes ? Qu’y a-t-il de lyrique ? Quels éléments de la déclaration amou-

reuse y trouve-t-on ? Quelle vision du couple se dessine ? Quels sont la place et rôle du poète ? Le champ lexical du temps est-il présent ? Comment ?

Quel travail sur les images le poète effectue-t-il ?Comment se manifeste l’oralité de la parole poétique ? Quels

rythmes sont les plus remarquables ? Quels sont les éléments stylistiques notables ? Pour quels

enjeux ?

2. Élaborer un parcours de lecture I. Le lyrisme d’un nouvel Orphée1. Un poème adressé dans une forme spontanée2. L’intensité du sentiment amoureux3. La force inextinguible de l’amour

II. La valeur testamentaire du poème : pour une célébration inédite de la femme

1. Les dernières volontés du poète2. Entrer dans le Panthéon de la poésie ?3. Pour une autre célébration de la femme

LE COMMENTAIRE RÉDIGÉ

SEPTEMBRE 2019 NRP LYCÉE 51

Séries générales et technologiques Écrit du BAC 1re

Robert Desnos est né en 1900 ; arrêté en 1944 par la Gestapo en tant que résistant, il meurt en déportation en 1945 dans le camp de Theresienstadt en Tchécoslovaquie. Au cours de l’année 1926, il écrit les poèmes de la section « À la mystérieuse » dont fait partie le poème « Non l’amour n’est pas mort ». L’inspiratrice, la chanteuse Yvonne George, meurt peu avant la publication du recueil Corps et biens en 1930. Ce recueil scelle la rupture de Desnos avec le groupe des Surréalistes dont il était une figure de proue. « Non l’amour n’est pas mort » est un poème assez singu-lier en regard des six autres qui composent la section ; en effet, Desnos se mesure ici à Ronsard et Baudelaire et interroge la place qu’il entend occuper dans la tradition de la poésie lyrique. Alors d’où viennent la singularité et la modernité de sa déclaration ? Nous analyserons tout d’abord le lyrisme particulier de Robert Desnos pour dégager ensuite la valeur testamentaire du poème.

Le texte de Robert Desnos est un poème adressé, au lyrisme particulier. Ainsi, la destinataire est bien la femme, désignée par les pronoms de la seconde personne du singulier : « Toi », « Tu » et l’apostrophe lyrique « Ô toi » ou l’impératif « Dis-toi » en reprise anaphorique. La négation, en début de poème, donne l’impres-sion de faire irruption dans un dialogue qui aurait commencé sans nous alors que nous sommes invités, en tant que destinataire de la parole poétique, à entrer dans la conversation : « Écoutez ». L’oralité est particulièrement perceptible dans le vers libre, qui avance par accumulations de termes et polysyndète (« et », « ou »), et précisément dans deux longs passages qui relèvent du poème en prose. Le poète parle plus qu’il n’écrit et se met à nu.

Dans cette déclaration, l’intensité du sentiment amoureux est mise en exergue. Le poète rejette les sentiments fades et superfi-ciels ou anecdotiques : « j’en ai assez du pittoresque et des couleurs et du charme ». Il leur oppose des sentiments extrêmes comme la « tendresse » et la « cruauté » qui fondent « l’amour », terme repris par trois fois : « Mon amour ». Certes, le sentiment amoureux est valorisé par un « J’aime l’amour » mais l’on peut s’interroger : qui aime-t-on quand on aime ? De « l’amour » nous passons à « mon amour » dans le cadre de deux vers qui sont des... alexandrins puis à « Ô toi ». L’intensité et l’exclusivité de l’amour s’expriment par la tournure restrictive : « Mon amour n’a qu’un seul nom, qu’une seule forme ». Alors l’amour serait-il un vase clos ? C’est ce que laisse penser l’effet de surimpression de certains vers qui culmine avec le chiasme : « Mon amour n’a qu’un nom, qu’une forme (...) « Ô toi, forme et nom de mon amour », prison des amants (?).

Si l’amour est aliénant , il n’en reste pas moins exalté comme force de vie et le poète, nouvel Orphée, veut croire en l’éterni-té des sentiments ; la métaphore du « fantôme familier » qui figure la femme que l’on ne peut chasser de son esprit et oublier conjure le temps destructeur : « Tout passe. Des bouches se collent à cette bouche » ; le démonstratif « ce cœur », « ces yeux », « cette bouche » se conjugue au cri d’ouverture « Non l’amour n’est pas mort » pour affirmer l’accueil, toujours au présent, du senti-ment amoureux. Temps et lieux peuvent se succéder dans leur diversité : « soleil »/« orage », « arbre »/« automobile », « matin de printemps »/« jour de pluie », demeure la mémoire de cet amour inextinguible. Chantant l’amour, même impossible, et sa recon-naissance pour une femme qui se dérobe, il se situe loin d’une