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    Section dHistoire des Usines Renault

    27, rue des Abondances

    92100 BOULOGNE BILLANCOURT

    tl. : +33 (0) 146 05 21 58

    Larticle suivant a t publi dans le Bulletin de la section dHistoire des Usines Renault, tome 5,

    Dcembre 1985, N31, 329-333.

    Avec lautorisation de la Section dHistoire des Usines Renault, il est disponible sur

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    Sa reproduction est soumise lautorisation de la Section dHistoire des Usines Renault

    The following paper was published in Le Bulletin de la Section dHistoire des Usines Renault,tome 5, Dcembre1985, N31, 329-333.With the kind authorization of the Section dHistoire des Usines Renault,you can get it at

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    Suite 3

    Culasse

    Lusinage de la culasse parait assez simple quand on le compare avec celui du carter-cylindres. II

    n'y a pas autant de tolrances serres et l'alliage d'aluminium se travaille bien, du moins tant que

    les fondeurs ne laissent pas driver la teneur en silicium car, au-del du seuil de l'eutectique, la

    coule est facilite mais la longvit des outils coupants se trouve fort abrge.

    En forant un peu sur les conditions de coupe, plusieurs des machines d'origine continurent

    assurer la production en dpit du doublement de la cadence.

    Cependant, de nouveaux problmes taient apparus depuis la naissance de la 4 CV : d'abord des

    adaptations sur camionnette agricole ou propulseur marin avaient ncessit

    l'adjonction de quelques usinages, ce qui avait entran l'installation, en fin de chane, de plusieurs

    machines monobroches dont le rendement tait mdiocre et dont l'implantation compliquait les

    manutentions ; ensuite, les pays o nous exportions utilisaient des carburants dont les indices

    d'octane taient diffrents, et le taux de compression, c'est--dire la profondeur des chambres,

    devait tre adapt chaque cas ; enfin, le problme pos par la tenue des soupapes mritait une

    trs srieuse attention.

    La premire opration de la gamme est le fraisage du plan de joint. Pour prouver les capacits des

    outils en carbure de tungstne face aux alliages aluminium-silicium, une fraise de quarante centimtres fut monte sur une

    broche tournant cinq mille tours par minute et entrane par un moteur de quinze kilowatts ;

    quant l'avance de travail, elle fut fixe cent millimtres par seconde, et au double pour la

    course de retour. L'on essaya mme, avec succs, de travailler deux cents millimtres par

    seconde.

    Les oprations suivantes s'effecturent sur des machines-transferts ; comme il y avait plusieurs

    types de pices brutes, ce sont des cames situes sur les plateaux porte-pices qui autorisrent ou

    interdirent le fonctionnement de telle ou telle unit lors du passage des pices devant elles. Si

    notre imagination s'tait applique au vocabulaire plutt qu' la mcanique, nous aurions qualifice groupe de machines d'atelier flexible.

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    L'bauche de la culasse produit une grosse quantit de copeaux projets assez loin et souvent de

    faon malencontreuse sur les blocs tremps o viennent se poser les pices ; il est facile pour un

    oprateur, mme mdiocrement qualifi, de s'assurer de la propret des appuis, de les nettoyer d'un

    revers de main ou d'y projeter un jet d'air ou d'eau ; le problme se complique lorsqu'il s'agit

    d'oprations entirement automatises. II fut donc prvu de percer des trous au centre de chacune

    des surfaces d'appui et de les connecter l'chappement du vrin dposant la pice, ce qui agaranti la parfaite propret des plots.

    La dernire opration d'usinage est la reprise de la face infrieure en vue d'ajuster le taux de

    compression en fonction du type du moteur. Un rglage manuel trs simple intervient la fin de

    chaque rafale de pices afin de passer d'un type l'autre, sans qu'il soit ncessaire d'automatiser

    cette opration.

    La chane ainsi conue reprsente une bauche de la solution qui me semble la mieux adapte pour

    un atelier de grande srie dot d'un peu de polyvalence : un dbut de chane trs automatis

    excutant les oprations strictement communes tous les modles, suivi d'une zone o l'onimplante, quand apparaissent les variantes, les machines accomplissant les fonctions spciales et

    dont la slection est commande manuellement au dbut de chaque rafale de pices. L'on peut

    videmment imaginer des solutions beaucoup plus automatises, mais leur rentabilit n'est pas

    assure tout coup.

    Le plomb ttrathyle, dont on nous annonce la disparition moyen terme, n'a pas seulement caus

    des soucis aux cologistes. Pendant quelque temps, il a occasionn des dpts sur les soupapes ;

    ds que la porte n'tait plus parfaite, le funeste "coup de chalumeau" pouvait intervenir tout

    moment, et la crainte de "griller une soupape" tait installe au cur de chaque conducteur. La

    crise avait mme pris une forme si aigu qu'il ne paraissait pas possible d'chapper l'obligationde garnir les ttes des soupapes d'un dpt de stellite ; nous avions mme dessin, toute affaire

    cessante, des tourets pour les opratrices qui, chalumeau en main, allaient avoir traiter chaque

    jour plusieurs milliers de soupapes. Heureusement, nous fmes dispenss de ce travail

    particulirement dlicat raliser en grande srie ; en effet, d'une part, le bureau des tudes put

    adapter un dispositif dit "rotator", qui faisait tourner les soupapes, ce qui entretenait la propret

    des deux surfaces d'appui ; d'autre part, les mtallurgistes apportrent leur concours la rsolution

    de cet pineux problme en modifiant la composition de l'acier des soupapes.

    Il fallait nanmoins amliorer le portage des soupapes sur leur sige, qui tait contrl , l'aide

    d'une jauge pneumatique d'une redoutable rigueur.

    Depuis l'origine de l're automobile, la tenue des soupapes a longtemps t un des soucis majeurs

    des constructeurs-et des conducteurs ; le rodage tait une opration fastidieuse et frquente, ainsi

    que le ralsage des fts ; les ttes de soupape portaient une rainure pour permettre leur

    entranement , l'aide d'un vilebrequin de menuisier ; vers 1935, il existait de petits porte-meule

    moteur effectuant un mouvement plantaire autour d'une broche emmanche dans le guide-

    soupape, mais cette rectification ne suffisait pas et le sige devait tre fini l'aide d'une fraise

    munie d'un guide-avant et entrane la main par l'intermdiaire d'un vilebrequin ; une tradition

    intangible voulait qu'un morceau de papier de journal ft interpos entre la fraise et le sige

    roder ; le seul journal employ par les experts taitL'Auto, quotidien sportif imprim sur un papier

    de couleur jaune (1) ; ce papier tait-il vraiment dot de qualits abrasives exceptionnelles ? C'est

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    une question que le laboratoire n'a jamais examine de prs, mais je ne crois pas que l'achat du

    journal ait fait l'objet d'un article du budget de l'atelier 32 que dirigeait Maurice Parmain.

    (1) Pour ceux qui n'ont pas gard le souvenir de cette poque, rappelons que c'est L'Auto, dirig par Henri

    Desgranges, qui organisait le Tour de France cycliste, et que la couleur du maillot du coureur de tte

    rappelle encore celle du dfunt journal.

    Il ne pouvait tre question de perptuer de pareilles pratiques, plus ou moins apparentes la

    sorcellerie mdivale, d'autant plus que la fonte spciale des siges insrs dans l'alliage lger de

    la culasse tait beaucoup plus dure que celle des vieux carters-cylindres soupapes latrales ; de

    toute faon,L Auto avait disparu, victime de la guerre, et le papier du journal qui lui avait succd

    pouvait fort bien avoir perdu, dans la tourmente, ses vertus abrasives en mme temps que sa

    couleur.

    Une rgle maintenant bien connue dispose que des surfaces qui sont lies par une relation

    gomtrique tolrance serre doivent tre usines sur le mme poste de travail et mme, si c'est

    possible, simultanment. C'tait justement le cas des guides et des siges, dont la coaxialit taitindispensable.

    Ce travail est accompli sur une alseuse commande lectrique munie de ttes porte-broche

    amovibles, dite A.E.T.A. ; chaque embout de broche porte la fois le grain de lamage du sige et

    un canon tremp dans lequel coulisse l'outil multi-coupe qui alse le guide ; comme la vitesse de

    rotation des deux outils est identique, le jeu entre l'outil et le canon est de quelques millimes de

    millimtres, ce qui assure, depuis lors, la concentricit indispensable.

    Les spcialistes qui rdigeront, ou qui rdigent dj, le systme expert destin remplacer

    l'exprience des vtrans n'auront pas besoin d'inclure dans leur programme la rfrence au papier

    de journal de couleur jaune !

    Corps de pompe huile

    Les difficults inhrentes l'usinage du corps de pompe huile sont de plusieurs sortes : d'abord,

    la pice tant en aluminium moul sous pression, ses parois sont minces et la moindre contrainte

    les dforme de faon gnante ; grce la comprhension du bureau des tudes, il fut remdi ce

    dfaut en ajoutant deux petites nervures sans utilit en service, mais qui servaient la fois de

    points d'appui et de serrage ; ensuite, plusieurs tolrances sont difficiles respecter : le diamtre

    des logements doit tre tenu l'intrieur d'une tolrance de classe 7, et celle de leur profondeur est

    l'avenant ; l'entraxe des pignons est galement soumis de strictes exigences ; cela s'ajoute la

    vrification de la porte du clapet sphrique sur son sige conique l'aide d'une mince couche de

    bleu de Prusse.

    Les fondeurs, de leur ct, firent leur affaire d'insrer dans le moule la bague en laiton, ce qui nous

    dispensa d'effectuer une opration dlicate d'alsage et d'emmanchement.

    Toutes les exigences n'avaient pour but que d'assurer le dbit et la pression de l'huile de graissage,

    mais l'ensemble de ces obligations tait assez dlicat respecter.

    En examinant de prs ces conditions, l'on ne pouvait manquer d'observer que les fuites l'intrieur

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    de la pompe empruntaient trois chemins parallles, par l'extrieur et par les faces des pignons et

    par la ligne de contact des dentures ; or, un calcul simple montre que, lorsque plusieurs rsistances

    sont en parallle, si l'une d'elles est faible, il ne sert pas grand-chose d'augmenter la valeur des

    autres.

    Il me fallut conduire de laborieuses ngociations avec mon ami Andr Burguire ; tout en

    admettant que mes arguments avaient quelque valeur, il tait tenu par la lgitime prudence d'unhomme responsable d'une bonne part de la qualit d'un vhicule qui allait se trouver lch sur les

    routes la cadence de deux mille par jour. ,

    Finalement, il fut convenu que l'on fabriquerait une dizaine de pices tenues vers le maximum des

    tolrances et que l'on essaierait les pompes sur des moteurs qui, ayant dj parcouru une longue

    distance, auraient pris un jeu suffisant.

    La tentative fut concluante, ce qui nous tira une belle pine du pied et nous permit, en particulier,

    d'alser les deux logements au mme poste de la machine-transfert l'aide d'une tte bibroche

    monte sur un barillet.

    Afin de parfaire la porte du clapet, il fut admis qu'elle serait assure par un lger matage ; si le

    diamtre de la bille utilise cette fin fut strictement dfini, le dosage de l'nergie dlivre par le

    coup de maillet fut laiss l'apprciation de l'oprateur ; peut-tre est-ce l'ultime manifestation de

    fantaisie qui subsiste dans le monde quelque peu dshumanis de la fabrication en grande srie.

    En menant toutes ces ngociations, qui taient depuis longtemps le pain quotidien des relations

    entre bureau des tudes et Mthodes, nous ne savions pas qu'elles seraient un jour ornes (lu

    vocable pompeux d'analyse de la valeur. Dans notre simplicit

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    bonne quinzaine de kilogrammes et il me semblait peu rationnel de faire tourner une telle masse

    pour enlever seulement quelques grammes de matire ; et puis, j'ai gard le souvenir vivace d'un

    grave accident survenu l'atelier d'outillage central, l'A.O.C., pendant l'hiver 1932-1933, au cours

    duquel un chronomtreur avait eu le bras arrach en mettant au point un tour "Bullard" vertical

    six broches ; la. manche de sa blouse avait t accroche par une bride du montage porte-pice ;

    depuis ce temps, j'ai toujours craint qu'en dpit des carters de protection les circonstances se

    reproduisent. Aussi le collecteur est-

    il usin maintenant sur une machine spciale plateaucirculaire munie d'un robuste outil clipse et sur laquelle on excute en outre quelques

    oprations supplmentaires.

    Piston

    Une vieille rengaine de potaches atteste l'importance capitale du rle du piston dans le

    fonctionnement d'un moteur, et la rigueur des tolrances lui accorde sa caution. Les efforts et les

    gradients thermiques engendrent des distorsions ; les dimensions des gorges des segments et des

    logements d'axes doivent tre respectes quelques micromtres prs ; enfin la jupe doit avoir unepaisseur constante, sous peine de se dformer de faon excessive lorsque sa temprature s'lve.

    Depuis 1947, les exigences du bureau des tudes s'taient faites plus svres mesure que s'levait

    la puissance demande au moteur, et il tait temps de remettre de l'ordre dans une gamme

    d'usinage qui s'tait peu peu complique.

    Pour excuter la premire opration, on choisit un tour automatique multibroche pour baucher la

    jupe et terminer tout le porte-segment, y compris la face suprieure. Le plus difficile fut de

    raliser les mandrins expansibles quipant les broches, car il fallait rpartir l'effort de serrage entre

    des points nombreux tout en respectant les rgles de l'isostatisme et en entranant fortement lespices en rotation ; le but atteindre tait d'obtenir, sans bauche pralable, un porte-segment

    impeccable-; toutes les pices constituant un mandrin, corps principal, brides palonnes,

    culbuteurs, taient loges dans un espace de quelques centimtres cubes ; je dois convenir que le

    premier trac ne donna pas de rsultats pleinement satisfaisants ; ce n'est qu' la seconde tentative

    que le but fut atteint et que le tour livra des pistons corrects ; si j'prouve une gne rtrospective

    reconnatre un chec, j'essaie de me consoler en songeant que peu nombreux sont ceux qui,

    exempts de pch, sont qualifis pour nous jeter la premire pierre.

    L'opration suivante s'accomplit sur une machine-transfert qui bauche les logements d'axe, creuse

    les gorges des joncs d'arrt, fraise les rainures d'extraction et perce quelques trous graisseurs. C'estune machine dont la ralisation ne posa gure de problmes.

    L'alsage des logements d'axe est une opration plus dlicate, la tolrance tant de l'ordre du

    centime de millimtre et celle de l'ovalit cinq fois plus faible. La machine dite A.E.T.A.

    (alseuse d'opration ttes amovibles et commande lectrique) porte deux broches chaque

    extrmit du banc et travaille en va-et-vient ; il faut donc placer et brider deux pices pendant que

    les autres subissent l'usinage, et sans transmettre celles-ci la moindre vibration incompatible

    avec la prcision exige. Un arrosage abondant empche l'lvation de temprature des pices, car

    il ne faut pas oublier que le coefficient de dilatation thermique de l'aluminium est double de celui

    de la fonte. Le bti est mont sur des blocs de caoutchouc souple afin d'viter toute vibrationextrieure, et les moteurs, fixs au sol, n'entranent les broches et le systme d'avance que par

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    l'intermdiaire de courroies trapzodales ; c'est une vision trange, lorsque l'oprateur bloque les

    pices, de voir toute la machine osciller sur ses supports cependant que deux broches excutent

    une opration de haute prcision.

    Aprs cela, il ne reste plus qu' finir la jupe, et cela n'est pas la partie la plus simple du travail, car

    la forme obtenir est passablement complique. Le temps n'est plus o, au dbut du sicle, les

    pistons en fonte taient tout simplement des cylindres de rvolution. Vers 1925, pour tenir comptede la dformation rsultant des efforts transmis par l'axe, on enleva quelques diximes de

    millimtre en face des trous d'axe en tournant successivement les pices autour de trois lignes de

    centres diffrentes ; la difficult venait de ce que les trois surfaces s'intersectaient sous un angle

    trs faible et que, pour quelques micromtres de plus ou de moins, la ligne d'intersection se

    dplaait visiblement ; cela n'avait pas grande importance, mais l'omnipotent service du Contrle

    sautait sur l'occasion pour pousser des clameurs, et il tait superflu d'essayer de lui faire

    comprendre ce qu'tait la cotangente d'un angle minuscule.

    La lgende rapporte que Louis Renault, visitant une usine aux U.S.A., constata que les Amricains

    fabriquaient des pistons ovales, et que le collaborateur qui l'accompagnait avait observphilosophiquement : "Nous aussi, nous faisons des pistons ovales, mais a n'est pas exprs".

    Pour la 4 CV, le bureau d'tudes avait adopt une forme section elliptique constante, ce qui tait

    assez facile raliser puisque, avec un outil creux, on obtenait un cylindre oblique section

    circulaire, identique la forme souhaite.

    Nos collgues de Poissy n'taient pas plus gts que nous, car leurs pistons, section elliptique

    tout comme les ntres, avaient, de plus, des gnratrices courbes. Ils durent faire l'acquisition

    d'alseuses dont l'outil creux portait un grain coulissant radialement pendant l'avance de la table ;

    c'tait un mcanisme trs dlicat et souvent capricieux qui, de toute faon, ne pouvait engendrerque des ellipses d'excentricit constante ; nous imaginions leurs soucis et nous bnissions le Ciel,

    et le bureau d'tudes, de nous avoir dispenss de cette preuve.

    Mais c'tait trop beau pour durer, et le cataclysme n'allait pas tarder fondre sur nos chtives

    paules : chaque jour ouvrable, je retrouvais mon vieil ami Andr Burguire pour djeuner la

    Popote des Cadres ; la rgle, en principe intangible, est que l'on ne doit pas parler de travail

    pendant ces instants consacrs la dtente ; en dpit de la fermet du prsident de la table 8, qui

    tait par ailleurs colonel de rserve de l'arme blinde, il nous arrivait souvent d'tre en faute, et la

    sanction prenait la forme d'une bouteille ; pour pargner nos convives un trpas prmatur pour

    cause de cirrhose hypertrophique, nous payions une amende forfaitaire mensuelle, et nous tions

    libres de poursuivre nos conversations, le porte-mine en main, grand renfort de croquis sur la

    nappe en papier.

    Andr Burguire me demanda donc un jour de lui faire construire une machine usiner les jupes

    des pistons de ses moteurs prototypes. II ne faut pas oublier qu' cette poque, pour essayer une

    nouvelle forme, la seule solution tait de confier un ajusteur hautement qualifi la tche de

    modifier une pice de srie selon des indications sommaires, en se servant d'un grattoir et de toile

    abrasive fine ; en dpit de l'extraordinaire adresse des compagnons, il n'tait pas possible d'obtenir

    des pistons identiques et de savoir si les diffrences constates aux essais provenaient de la

    dispersion des formes ou d'une autre raison, telle, par exemple, que l'irrgularit du

    refroidissement des fts.

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    A premire vue, les conditions qui nous taient imposes ne semblaient pas trop difficiles

    satisfaire : les directrices seraient dfinies par des fonctions harmoniques du deuxime ordre et les

    gnratrices seraient lgrement bombes. Le rsultat fut obtenu en combinant le mouvement

    d'excentriques synchroniss avec une broche et attaquant un palonnier mont sur des lames

    lastiques, auquel une came apportait une correction supplmentaire lie la forme des

    gnratrices : le rapport des bras de levier nous garantissait que les gabarits correspondant unesolution particulire seraient faciles raliser, ce qui permettrait de passer sans effort d'une forme

    une autre.

    La ralisation de la machine s'avanait et l'horizon semblait vraisemblablement dgag lorsque des

    nuages y firent leur apparition ; le service commercial exprima des critiques relatives un certain

    bruit de claquements (le pistons qui tait, parait il, perceptible pendant les deux ou trois premires

    minutes de monte en temprature du moteur et grce auquel on expliquait l'allure tombante des

    statistiques de vente. Pour comble d'embarras, on vit apparatre, venant en droite ligne de Detroit,

    des pistons de forme bien complique : les courbes directrices n'taient mme plus des ellipses,

    leur aplatissement variait du haut en bas de la jupe, et les gnratrices taient bombes ; un vraicauchemar de gomtre 1 Les Amricains utilisaient pour cela des rectifieuses trs spciales, mais

    nous n'aurions pas pu, en cas de besoin, employer la mme mthode, car nos pices n'taient pas

    assez rigides pour supporter impunment l'effort exerc par les meules ; de plus, celles-ci

    pouvaient laisser des particules d'abrasif dans les porosits du mtal.

    Pendant que nous tudiions la modification de notre veau cinq pattes, je songeais que, ds que le

    bureau des tudes aurait trouv un piston satisfaisant, nous verrions sans dlai arriver une note de

    service nous enjoignant de le produire en srie, et dans les moindres dlais.

    La perspective n'avait rien de rassurant car la machine tourner les prototypes, qui tait encore natre, ne conviendrait pas du tout pour la fabrication en grande srie ; dire le vrai, il n'existait

    alors aucune machine rpondant la question, et la seule solution consistait en raliser une par

    nos propres moyens.

    Je fis part de mes soucis Pierre Debos qui trouva que je me laissais aller un pessimisme

    excessif, moins que je ne me laissasse conduire par un got maladif pour la mcanique hors srie

    ; force d'insistance, j'obtins quand mme la permission d'engager l'tude, qui fut confie Henri

    Peltier.

    Revenant la charge, je russis convaincre mon patron qu'il serait raisonnable de lancer la

    fabrication d'un tour prototype, car les rcriminations du service commercial gagnaient chaque

    jour quelques dcibels.

    Ainsi que je l'avais imagin, la spcification arriva si vite que six tours furent mis en fabrication

    avant mme que le prototype ft assembl. La conception tait assez originale car il tait, d'une

    part, quip d'une alimentation automatique avec orientation du piston et, d'autre part, dpourvu de

    banc ; comme il fallait que la broche tourne vite, on dut rduire l'inertie du porte-outil qui fut

    seulement anim d'un mouvement d'oscillation ; le rglage de position du grain fut obtenu par

    dformation lastique et non par coulissement, et on l'obtint ainsi une sensibilit de l'ordre du

    millime de millimtre.

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    Pour raliser des reproducteurs de trs haute prcision, Franois Pruvot adapta une commande

    numrique originale sur une rectifieuse classique ; les examens les plus minutieux ne purent

    dceler la moindre erreur et cependant la forme des pistons ne correspondait pas exactement ce

    que nous attendions ; une seconde vrification des reproducteurs confirma les conclusions de la

    premire ; finalement on comprit que les bossages contenant le logement de l'axe jouaient le rle

    de masselottes et que la force centrifuge dformait la jupe pendant son usinage. Il fallut, d'une

    part, rduire la vitesse de la broche et, d'autre part, modifier la forme des reproducteurs afin decompenser la distorsion rsiduelle.

    11 faut croire que la machine est assez russie car, depuis vingt-cinq ans, elle a t vendue, de

    nombreux exemplaires dans le monde entier, y compris le japon et les U.S.A., des fabricants

    portant des noms parmi les plus prestigieux.

    De son ct, la machine tourner les pistons prototypes donna satisfaction ; peut-tre faudrait-il

    mme dire qu'elle travailla trop bien : en effet, Andr Burguire fut mis en difficult parce que les

    pistons taient tellement semblables que l'on ne trouvait pas de carter-cylindres prototype ayant

    quatre fts identiques ; il fallut disperser volontairement le rglage de la machine pour donnersatisfaction aux demandes des monteurs. C'est bien la seule fois de ma vie que j'ai entendu

    dplorer la trop grande prcision d'une de nos machines !

    Au dernier poste de la chane, les pices sont vrifies et tries. Comme les exigences du montage

    ne sont pas compatibles avec la dispersion des machines, il faut que les quatre pistons d'un mme

    moteur aient mme masse et mme diamtre, les diffrences ne dpassant pas, respectivement,

    deux grammes et cinq millimes de millimtre.

    Une machine, du type transfert, excute ces mesures, et celle du logement d'axe, les marque de

    taches colores correspondant chaque classe, et les range sur des plateaux en fonction de leurdiamtre, les quatre pices d'un mme rang ayant la mme masse. Je crois me souvenir qu'il y a

    cinq classes de diamtres, et six masses.

    Pour transporter de poste en poste les informations relatives chaque poste, afin d'agir sur les

    dispositifs de marquage et le distributeur final, le systme de commande comporte une mmoire

    lectronique sous forme d'un registre glissement imagin par Jacques Thilliez.

    La mise en service de la machine concida, d'une faon imprvue, avec un resserrement des

    dispersions. Aucune raison technique ne pouvant expliquer ce phnomne, nous en fmes rduits

    supposer que le contrematre responsable de la chane ne pouvait plus jouer de sa persuasion, ou

    de son autorit, prs de l'opratrice jusque-l charge de la mesure et du triage, et qu'il avait d

    surveiller ses rglages pour donner satisfaction l'inflexible rigueur de la machine automatique.

    ( suivre)

    Pierre BZIER

    Section dHistoire des Usines Renault http://www-gmm.insa-toulouse.fr/~rabut/bezier/DocumentsBe...

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