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SophieAugerBetrayedTome1NishaEditions
Copyrightcouverture:MaridavISBN978-2-37413-281-5
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NishaÉditions&SophieAuger
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TABLEDESMATIERESPrésentation
Prologue–Pertederepère
1.Rencontreavecledragon
2.Unnouveaudépart
3.Ensorcelée
4.Retouràlaréalité
Àparaître
ÀDanielRuizetàsafemmeCorinne,ÀPoLine,
ÀmatanteClaudine,Àtoutessesfemmesquipartagentlemêmesecret…
Prologue–Pertederepère–Tum’asmenti?Tum’asmentipendantdessemaines!Je suis face à l’homme pour qui j’ai tout sacrifié, celui pour qui j’ai tout oublié – jusqu’à moi-
même…Jesensqu’il est sur lepointdecraquer,mais je reste insensible, impassible.Ses lèvres sontpincéespourretenirlalonguecomplaintequimenacedeluiéchapper.Ilestaffolé,apeuré,parchacunedemesréactions.
–Lily…murmure-t-ilfinalementententantdem’attraperlebras.–Nemetouchepas!Jetel’interdis!Tum’entends?Jeneveuxplusquetum’approches!Cethommeaperdutoussesdroitssurnotreavenir.–Mais,Lily…Jet’aime…J’explosealorsderire.Unrirenoiretsombre.Sansjoie.Unemélodiequiseveuttragiqueàses
oreilles.Ildoitsubirlesconséquencesdesatrahison.Jenesouhaitepasentendrecesmots.Jenepeuxpasentendrecesmots.Ilssontfaux,empoisonnéspar
l’êtrequioselesprononcer.–Tum’aimes?J’espèrequetuplaisantes!raillé-je.Onnefaitpasçaauxgensqu’onaime!Onne
leurmentpas,onnejouepasundoublejeu!Onfaitdeschoix,onesthonnête!Onneleurcachepasdeschoses.Surtoutpascegenredechoses!ajouté-je,prêteàexploser.
–Lily,s’ilteplaît…lâche-t-il,lespoingsserréspournepascraquer.Iltenteencoreunefoisdemeretenir,maisjelerepoussesanslemoindreremord,enignorantceque
medictemoncœurenmiettes.–C’estfini!Tuentends?FINI!Jeneveuxplusjamaisterevoir!Plusjamais!hurlé-je.Jefaisdemi-toursurleseuildelachambred’hôtel–làoùtoutacommencé–sansmêmeundernier
regard.Jeclaquelaporte,laissanttoutderrièremoi:lui,sesbellespromesses,nossouvenirs,sapetitefossettesurlajouegauche,sesmainsfinesmaisrassurantes,l’odeurdesapeau,lesdrapsfroissés…etunbonheurqui,aufinal,n’ajamaisexisté…Jesorsenfindecesongequim’avaitfaiteprisonnièredecethomme,quim’avaitenchaînéeaupouvoirdesesmots,desesgestes,captivedesonemprisemalsaine.
Jeneprendspaslerisqued’attendrel’ascenseuretfonceverslesescaliers,quejedévaledeuxpardeuxendirectiondelasortie.Toutmonêtretremble.Moncœurestbriséenmillemorceauxetchacund’entreeuxsetransformeenboutdeverrevenantseplanterdansmonâme.
Iln’apaspumefaireça…Iln’apaspu toutgâcher…Commentaurais-jepum’imaginerqu’ilmecachaituneatrocitépareille?Ilamêmeréussiàtuerlemonstrequ’ilavaitcréé…
Je traverse le hall en accélérant le pas, bousculant quelques personnes sans m’excuser. Je passedevantleportier,quis’écartesurmonpassageetmeglisseentrelesportestournantes.L’airdouxdumoisde septembre me frappe au visage. C’est la claque qu’il me fallait pour sortir de cette transe danslaquellej’étaisplongée.J’arrivesurletrottoir.Ilpleutàverse,maiscelam’estbienégal.Jefaisencoreunevingtainedemètresetjenetienspaspluslongtemps.Jen’aipluscetteforcequim’habitaitautrefois.Jeperdsquelquepeul’équilibreetprendsappuisurlecapotd’unevieilleMercedes.Toutesleslarmesquej’airetenuessedéversentsurmonvisageenunecascadedéchirante.Ladouleurestsilancinantequemesjambeslâchentetjemelaissetombersurlesol,évacuantsilencieusementlaragequim’aenvahie.
Je pleure, je pleure comme jamais encore je n’avais pleuré. Une brûlure atroce me déchire lapoitrine,mevidantdel’intérieur.Jesaisquejenepourraipascontinuerainsi.Jelesais.Jelesens.
Ilfautquejeparted’ici,loindecetendroit,loindecetteville,loindelui.25novembre2015,quelquepartenFrance.
–VotreCVestexcellent,MademoiselleLouvaise.–Merci,madame.–Jesuisvraimenttrèsintéresséeparvotrecandidaturemais,voyez-vous,jemeposenéanmoinsune
question…Elle prend sa respiration, tapote le papier devant elle et lève un regard inquisiteur versmoi.Une
grande sagesse sedégagede sesdeux iris,qui semblent lire enmoicommedansun livreouvert.Ellem’observeavecunegrandeattention,confortablementinstalléederrièresongrandbureauLouisPhilippe.
–Pourquoiunejeunefilled’àpeinevingt-sixans,diplôméed’unedesplusgrandesécoleshôtelièresaumonde,qui travaillait ilyaencoredeuxmoispour l’undesplusprestigieuxchefsd’Angleterre, seretrouve aujourd’hui en France, au fin fond du Beaujolais, à postuler comme simple cuisinièreparticulièreauprèsd’unevieilledamecommemoi?
–Disonssimplementquej’avaisbesoindechangerd’air…Elle relèveses lunettesquicommencentà lui tombersur leboutdunezethausse lessourcilssous
l’incompréhension.–«Changerd’air»?répète-t-elle.–Oui,madame.–Etvousn’avezpaspeurdevousennuyerdanscetendroit?Jeveuxdire,vousnerisquezpasde
croisergrandmonde.Cen’est en riencomparableà l’effervescencedesmondanités londoniennes. Ici,seullesilencerègneaumilieudesvignesquientourentcemanoir.
–C’estexactementcequejerecherche,madame.–«Exactement»,dites-vous?–Oui,madame,répété-jemachinalement.Jecrainsun instant,à l’entendrerépétermespropos,qu’elledoutedemonprofil,que laconfiance
sera difficile à établir entre nous deux. Elle prend de nouveau appui sur le dossier de sa chaise, sereculantlégèrement.Jenesaispasvraimentcommeréagiretj’avoueêtreassezstressée,ceàquoij’étaispeu habituée jusqu’alors.Cette femme ne dégage rien demauvais ou de hautain,mais plutôt un grandrespect.Cependant,lesbarrièresqu’elleimposememettentmalàl’aiseetjefaisdemonmieuxpournepaslemontrer.
–Trèsbien,jevois…Etquandpourriez-vouscommencer?–Demain,ouaujourd’huisivousledésirez,déclaré-jeavecassurance.Uneexpressiond’étonnementsedessineàprésentsursonvisage.Elleretireses lunettes,devenues
gênantes et se frotte les yeux, pensive.Lemasque tombeun court instant et je ressens sa fatigue et satristesse–qu’elle tenteapparemmentdecacherauxyeuxdumonde.Elle relève la têteets’adressedenouveauàmoi,leregardperçant,ànouveaumaîtressedesesémotions:
–Jecrainsquemagouvernanten’aitpasletempsdepréparervosappartementspourcesoir.Maisdemainmesembleparfait.Avez-vousbeaucoupd’affairesàapporter?
–Jen’aiquedeuxvalises,madame.L’annoncestipulaitquel’appartementdefonctionétaitmeublé,jen’aidoncprisquelestrictnécessaire.
–Etvousavezbienfait,merépond-elletoutenhochantlatêteensigned’approbation.Jevousattendsdoncicidemain,àhuitheuresprécises.Jevousprésenteraiaurestedupersonneletjevousexpliqueraicequej’attendsdevousexactement.
–Dois-jecomprendrequejesuisprisepourleposte?demandé-jedoucement.–Toutàfait,jeunefille.Savoixclaquedanslesilencedecettegrandedemeureetannonceledébutdemanouvellevie.Elle
quittealorssachaiseetsedirigeverslaportedubureaupourmeraccompagner.Derrièresonpasfier,je
décèleànouveaucettefatigue,cettefaille,cequelquechosequ’elletentededissimuler.Toutlemondeportelepoidsdesonpassé…
Noustraversonslehalldecetimmensemanoir,quisemblecependantbienvide.Certainspourraientêtre effrayés par ce calme, cette absence de vie, pourtant, je ne saurais dire pourquoi, je trouve cetteatmosphèreapaisante. J’aibesoindecettequiétudepourme ressourcer.Pour trouverànouveauqui jesuis.
Ellemeconduitjusqu’auperrondevantlequelestgaréemavoiture.–Jevousremercieencore,MademoiselleLouvaise.Jevousdisàdemain.Elle me tend sa main fine et marquée par le temps. Je la saisis pour la saluer et une douceur
contrastantavecsonairdurmesubmerge,m’assurantquejesuisaubonendroit.–Àdemain,madame.–Àdemain,jeunefille.Je descends les quelquesmarches et appuie sur la clef demon petit coupé cabriolet. Jemonte à
l’intérieur,mefrottantlesmainspourmeréchaufferdufroidglacialdenovembreetallumelecontact.Jedémarre et quitte la grande cour en graviers tandis que j’aperçois, dansmon rétroviseur,ma nouvellepatronneretourneràl’intérieursansunregardenarrière.Uninstant,j’admirelepaysagequim’entoure.Lesvignessontbientristes,àcetteépoquedel’année,maisl’immensitédudomaine,doucementvallonné,est impressionnanteet forced’autantplusmonadmirationpourcettedamequirègneensilencesurcesterres.Jefranchisleportaildelapropriétéetmedirigesurlaroutepourrejoindrelepetithôtelquej’airéservépourlanuit.
Jepoussealorsungrandsoupirdesoulagement.Demain,jecommenceunnouveautravail.Unenouvellevie.
1.RencontreavecledragonMardi25août2015,Londres.Ilestminuitpasséetmonservicesetermineenfin.Cesoir,lerestaurantétaitencorepleinàcraquer.
Pourtantjeneressensnicontrariéténifatigue.L’adrénalinequemeprocuremonmétierestlameilleuredetouteslesdrogues.
Jetravaillecommesous-chefauLondonPalace,l’undesplusgrandsrestaurantsgastronomiquesdeLondres. Le décor est splendide.Unmagnifique établissement, voire une institution, implanté dans unprestigieuxhôtelde renom,classéaupatrimoinede laville.L’endroitaconservéuncharmed’époqueavecsonmobilierancien,sesplafondshautsetmoulés,sonambiancefeutréeappréciéeparlesclientsàlarecherchedetranquillité–pourlaplupart,despersonneshabituéesàêtresouslefeudescamérasoudesjournaux.
Jemesuis toujoursbattuepourenarriveroù j’ensuis.Ceposteauseinde l’unedesplusgrandescuisines d’Europe, était l’objectif demavie. J’ai sacrifié énormément de choses enneme consacrantqu’àmes études pour décrocher une place dans la très réputéeHaute école hôtelière deLausanne. Etquandjesuissortiemajordemapromotionilyaunan,jen’aipaseubesoind’envoyerdecandidature.C’estleplusjeuneetleplusprometteurdesrestaurateurslondoniens,lejeunechefRidietenpersonne,quiestvenumechercher.Untalentrare,desgoûtssurprenants,desmetsoriginauxet,surtout,deuxétoilesauMichelinfontpartiedesqualitésdecethomme.
Depuis,j’aiintégrécettefabuleuseéquipe,quiapetitàpetitremplacémaproprefamille.Jenepourraispasconcevoiruneviedifférentedecelle-ci.Certainesmauvaiseslanguespensentquejen’enn’aipas–devie–justement.Maisc’estcequim’épanouit,cequimedonneenviedemeleverlematinetdequitterlepetitstudioquejeloueàdeuxpasd’icipourmerendredansmescuisines.Jen’ensorsqu’àlanuittombée.Jen’aiplusdedimanche,plusdesamedi,plusdevacances.Maisjefaiscequej’aime,cequimepassionne.Jerespireaurythmedesdécoupesdefruitsetlégumes,auxcoupsdefouetsdanslessaucesetcrèmes; jebougeauxsonsdescuissons,auxcrépitementsdesviandesdanslescasserolesetauxcrisdessecondsetserveurs,commeunedanseinfinieetvitale.
Monmétiermedéfinit.Ilm’arendueplusforte,plussûredemoi.Ilyatrèspeudefemmesdanscemilieuet,commedanstouslesuniversmasculins,ilfautunecertainevolontépours’imposer.Çan’apastoujoursétéfacile,j’aiessuyéquelqueslarmesetdenombreuxéchecsàchaquenouvellerecetteetmesnerfsontlâchéplusd’unefois,maisaujourd’huijepeuxdirequejesuisfièredemoi.Jen’assureenrienque j’ai bousculé les codes, maisma place est faite : onme respecte, onm’écoute, onme demandeconseil,onsaitquijesuis.Etça,çan’apasdeprix.
Cesoir, je rentredoncchezmoiaprèsunesoiréebienagitéeà la suitede la sortiedecenouveaumenusurlequelnoustravaillionsdepuisdessemainesetquiarencontréunvifsuccès:avec,engrandevedette,unrizottoauxtruffesetcopeauxdefoiegras.Jesuisravieduretourdenosclients,lesnouveauxcommeleshabitués.C’estlareconnaissanced’untravaildelonguehaleine.Heureuse,j’adresseungrandsourireàGeorge,leportierdel’hôtel,quim’ouvrealorsquejequittelehall.
L’airestdoux:l’étéestàsonapogée,mêmeiciàLondres,etc’estvivifiant.Descendantlesmarchesdu perron, désert à cette heure-ci, sous la lumière des lampadaires, je décide de faire les quelquescentainesdemètresquimemènent«chezmoi»enmarchant.Unpiedsurletrottoir,jefaisunpetitsignedelamainàGeorge,quimeguetted’unœilprotecteur,etc’estalorsquelacollisionseproduit.
Choc.Incompréhension.Chute.Jen’aipasletempsdecomprendrecequisepassequejemeretrouveparterre.
Unhomme,surgissantdenullepart,m’estrentrédedansàviveallureetjemesuisétaléedetoutmonlongsurlesmarches.Matêtealégèrementcognécontrelebitumeetunacouphènemevrillelestempes.J’entendsauloinGeorgequiaccourt,paniqué,maisjen’yprêteaucuneattention.Laraisondemachuteestpenchéeau-dessusdemoi, tendantunemain rassurantedansmadirection, sesgrandsyeuxverts seperdantdanslesmiens.
Letempssemblesuspendupourmoicommepourlui.Ilestvisiblementgênédelasituationetpourtantil ne prononce aucunmot. Ilm’aide àme relever et je prends quelques secondes pour retrouvermonéquilibre etmes esprits, en appui sur son torse sans vraimentme rendre compte de l’absurdité de lasituation.
Hébétée, je le fixe et me perds dans sa contemplation. Il porte un costume gris foncé qui metparfaitement en valeur son corps fin et élancé. Il a la peau claire, les cheveux bruns soigneusementpeignésenarrièreetunebarbededeuxoutroisjoursentourantunvisagefinauxtraitsbiendessinés.Ilest très élégant et doit avoir une quarantaine d’années. Peut-êtremoins, je n’en sais rien, je n’ai pasl’espritauxchiffresetauxannéesencetinstant.Quelquechosevientdeprendrevieàl’intérieurdemoi,commeuneflammequirenaîtaumilieudesbraises.
Il sourit etLondres tout entier,malgré le beau temps,me semble alors complétement fade. Je n’aijamaisressentiuntelbouleversementensipeudetempsetdanspareillecirconstance.Moncœurbatàunrythmeeffréné.Marespirationestentrecoupéeparlaviolencedecetterencontre.
Cethommesorttoutdroitd’unrêve,demonimagination.Jenevoispasd’autresolution.Jeresteplantéelàcommeuneidiote,oubliantmachute,alorsqu’ilpassedélicatementunemaindans
mescheveuxpourdégagermonvisagedont les jouessontempourprées.Laproximitédesoncorpsmetroubleauplushautpoint.Jesuisàlafoismortedepeuretcomplètementdéboussolée.Etcenesontpaslesfourmisauxboutsdemesdoigtsquidirontlecontraire.
–Jesuisdésolé,murmure-t-il.Vousai-jeblessée?Ilaunpetitaccentàlaconsonancegermaniqueetdeslèvresqu’onpourraitcroiredessinéesparles
anges.–Non,non,çava…Je…Jen’arriveplusàprononcerunseulmotetc’estGeorgequimesauvedecettesituationembarrassante
bienquedangereusementagréable.–MademoiselleLily,toutvabien?Nous nous retournons tous les deux vers lui et son corps s’éloigne du mien, provoquant
immédiatementunesensationdemanqueinexplicable.–Oui.Oui,George.Toutvabien…Je…Jevaisyallerjecrois,balbutié-je.Jenesaisplusquoi faire. Jenesaisplusquoidire. Jenecomprendspascequiesten traindese
passer.Jenecomprendspaspourquoitoutmoncorpssembleêtreenvahiparunmilliarddepicotementsdespiedsjusqu’àlatête.Jeneprendspasletempsd’endireoud’enfaireplus.Jedoispartird’iciavantd’exploser sur place. Je dois quitter cet endroit où jeme sens tout à coup terriblement vulnérable. Jen’aimepascettesensation.Jetraverseenfaisantattention,cettefois,denepercuteraucuninconnuetmelanced’unpasvifdanslarueprincipale.Jenemeretournemêmepas.Jesaiscequipourraitsepassersijevenaisàcraqueretjeneleveuxpas.Jen’aipasdeplacepourçadansmavieencemoment.Toutmonêtremecriedefairedemi-tourpourretrouvercesyeuxcouleurémeraude,maisjerésiste,décidée.
J’imagine facilement l’air surpris et interrogateur que doivent lancer dans ma direction les deuxhommesencoredeboutdevantl’hôteletpourtantrienn’ychange.Mêmequandj’entendsGeorgemecrierquejedevraisappeleruntaxi,jen’yprêtepasattention,préférantfuir.
Iln’yapasdeplacepourtoutça.Jemerépètecettelitanieentêtantecommepourmepersuaderque
j’échappeàunmalsanspareil.Pasdeplacepourunpremierregard,pourlespremiersfrissonsetencoremoinspourlespapillons…
Mercredi26août2015,Londres.Manuitaétécourte,dumoinsencorepluscourtequed’habitude.J’aieudumalàtrouverlesommeil,
encoreperturbéeparunerencontreauxfauxairsdecomédieromantiqueanglaise.J’aienfiléunshortetdes baskets et suis sortie courir, casque bien calé sur les oreilles,musique à fond. J’ai couru commejamais,explosanttouslescompteurs,augmentantdeplusieurssecondesmestempsmoyens,doublantleshabituésqui,jusqu’àprésent,medépassaientchaquefoisquejelesretrouvais.Jesentaisquecettechoseétait en train de naître en moi et que rien ne pourrait désormais l’arrêter, sauf l’heure qui tournait,heureusement.
Àprésent sous ladouche, jecessede lutter. Je saisque,dansquelques jours, les flammes finirontnoyéessous lapluie londonienne,affamées,oubliantpeuàpeul’éclatd’unsourire, laprofondeurd’unregard…
Aprèsavoirenfilérapidementmesvêtements,jesorsetprendsladirectiondurestaurant,unsourireauxlèvres, triomphante,persuadéeque,detoutefaçon, jefiniraipargagnerleduelquia lieuentrematêteetmoncœur.
***–Ciao,bella!À quatorze heures, lorsque j’arrive tranquillement à l’hôtel, c’est Katia, la jolie Italienne, qui
m’accueille.Chaquejour,j’ailedroitaumêmesourirequandjelaretrouve.C’estunpeumonrayondesoleilpersonnel.Elle est sommelière etdoncenchargede la cartedesvindu restaurant.Grâceà sescompétencesœnologiques,ellemêlesaveursetdélicespourapporterunéquilibreparfaitaveclesplatsquejepropose.Cetteosmoseestrenforcéeparlefaitquec’est laseuleautrefilledurestaurant.Katiatravailleicidepuisbienpluslongtempsquemoi.Elleasutrouversesrepèresavantmoi.Ellem’aaidéeàdécouvrirlesmiens.Heureusementpourmoi,nousnoussommestoutdesuitetrèsbienentenduesquandj’aiprismesfonctionsl’annéedernière.Pourtant,Katiaestmonradicalopposé,aussibienphysiquementquemoralement:elleestgrande,jesuisplutôtpetite.Elleesttrèsmince,onvoittoutdesuitequej’aimecuisiner.Elleestbruneauxcheveuxlongsetauxyeuxbleusravageurs,jesuischâtain,frisée,lacoupeaucarré et les yeux noisettes. Elle est toujours élégante des pieds à la tête alors que j’accorde très peud’importance àmon apparence. Elle est joviale, chaleureuse, exubérante, là où je suis posée, carrée,discrète.
Maisaumilieudetousceshommes,nousfaisonsunduodechoc.–Disdonc,tuasdespetitsyeux.Tun’espasbienréveillée?demande-t-ellegentiment.–Si,si,m’empressé-jederépondre.C’estunpeucompliqué, je t’expliquerai,ajouté-jedevantson
airinquiet.Tuasreçulanotepourcesoir?–CelledeRidiet?Ouijel’aieu,ilnousprendvraimentpourdesidiotesparfois…SilechefRidietestuncuisinierterriblementtalentueuxquirègneenmaîtreauseindurestaurant,il
est aussi affreusement exigeant, misogyne, effrayant et d’humeur anormalement changeante. Je necomprendstoujourspaspourquoiilm’achoisiepourêtresonbrasdroit…
Le restaurant est ouvert le soir, du mardi au samedi et le dimanche midi. Nous avons le droitquotidiennement à une « note » directement envoyée sur nos portables, avec les exigences du jour. SiRidietestqualifiécommechefdurestaurant,ilobserveplutôtqu’ilneparticipe.Entantquesecond,jesuistenuedegérerlacuisinequandmonsieurpréfèretravaillerdesoncôtésursesrecettes.Maisgrâceàcespetitsrappelsquotidiens,ilentretientsonemprisesursesemployés.
–Latablequatre,n’est-cepas?
–C’estça,oui.Nouspouvonsnousattendreàunesacréenote!s’amuse-t-elle.Jepeuxdéjàprévoirnosmeilleuresbouteilles!
Aujourd’hui nous avons comme directive d’accorder une attention toute particulière à une tableprécise: laquatre.Undressageimpeccable,desvinshorsdeprixetsurtoutdesplatssansfaute.Nousn’ensavonsguèreplus,commeàchaquefois.Lerespectdelavieprivéedesclientsallantdepaireavecunétablissementcommelenôtre.
–Tucroisquec’estencorel’investisseurrusseavecsesescortesdeluxe?–Jenesaispas,possible.Cesontdesclientsdel’hôtelentoutcas,sinonRidietn’yapporteraitpas
autantd’importance.–Hum,jesuissûrequec’estça,ilnousfaitunfoinàchaquefoisqu’ilsviennent,dit-elleenlevantles
yeuxauciel.–Katia,ilfaitunfoinpourtoutetn’importequoi,touslesjours.Et alors que nous nous dirigeons vers la salle de réunion pour rejoindre l’équipe et annoncer les
directivesdusoir,jeracontebrièvementmamésaventuredelaveilleàmonamie.–Moi,j’yseraisretournée!s’exclame-t-elleunpeuplustard,unefoismatiradeachevée.Katiaestentraind’étudierlalistedesréservations.Elleconnaîtleshabituésetleursgoûts,cequilui
permetdepréparersessuggestionsdusoir.Elleestàlatêted’unecavedeplusdetroismillesbouteilles,cequiluioffreuntrèslargechoix.Maiselleprépareégalementsescommandesavantdedépêchersonassistantpour aller chercher lesbouteilles cheznoscavistespartenaires.Elle est en traind’écrire sesfichespourlesoirtoutenanalysantmapetitehistoiretrèspeupalpitante.
–Depuisquandn’as-tupasprisunpeudeplaisiravecuncharmantjeunehomme,Lily?finit-ellepardemander.
–C’estunequestionsérieuse?Je suis unpeu surprisepar sademande,mais encoreplusparmon incapacité àme rappeler de la
dernièrefois.–Onnepeutplussérieuse,s’amuse-t-elle.–DepuisJohnilmesemble.–JOHN!Maisc’étaitilyaaumoinstroismois!–Etalors?–«Alors»?répète-t-elle,apparemmentchoquée.–Katia…Tum’inquiètesàteniruntableaudeborddemesconquêtes…Etpuis,cen’estpassiloin
queça,tenté-jedemejustifier.–Lily,sijet’écoute,lesdinosauresviennentàpeinedes’éteindre!Troismois…Troissemainesàla
rigueur,maistroismois…Tusaistoujoursàquoiçaressemble,rassure-moi?–Katia!m’offusqué-je.Monamieestcommeçadanslavie.Sansgêne,sansretenue,épanouieetlibérée.Jeluienviecette
audacemêmesijeneluiaijamaisavoué.Ellen’apeut-êtrepastort…Surtoutquand,maintenantquej’ypense,John,c’étaitplus ilyaquatremoisque trois…Jen’aipasbesoinetencoremoinsenvied’unerelationstableetdurable.Medivertirdetempsentempsmesuffitamplement.
–Ilvenaitàl’hôtel?m’interrogeKatiatoutenmesortantdemespensées.–Quiça?John?–Maisnon,patate,lebelinconnu!précise-t-elle,amusée.–Jenesaispas,sûrement.Ilenmontaitlesmarchesentoutcas.–Ah,sacréeLily…Bon,avecunpeudechance,tulecroiserasdenouveaucesoir.Onnesaitjamais,
siDieunousaentenduilaurasurementpitiédetoietdetestroisfoutusmois…
***Lerestedel’après-midiestpassétrèsviteettoutel’équipenousarejoint.Ridietestarrivéaudernier
moment,commeàsonhabitude,alorsquenousétionsdéjàtousdanslejus.Ilarâléaprèstoutlemonde,moi y compris, et amenacé de tous nous virer si ça se passaitmal ce soir.Une soirée ordinaire, ensomme.
Ilestmaintenantdix-neufheuresetnotreservicecommence.Mabrigadeestprêteetriennedéborded’unmillimètre.Ridietm’aenseigné,enplusde son talentculinaire, songrandsensde l’organisation,indispensabledansunmétier comme lenôtre.Malgré tout, jen’oublierai jamaisquec’estgrâce à sesenseignementsquejesuiscapablededirigerlescuisinesquandbesoinest.Lejouroùjepasseraienfinchefseraleplusbeaudemavie,maisjesuisconscientequec’estenpartieàRidietquejeledevrai.
Je serpenteunedernière foisentremeschefsdepartieet leurscommiset je lesencouragecommechaquesoir.Lamotivationestindispensablepourunecuisinedequalité.Jeprendsmonposteetlancelecoupd’envoi.Dèscetinstant,lescommandespleuventdansl’entréeetmonmondeprendvie.
–Saumonpourlatrois!Je vérifie que chaque pièce de ce grand puzzle est à sa place. J’attrape une cuillère et hume la
préparationdusaucier:–Joël!Plusdecoriandredansvotrecrèmeetunpeumoinsdepoivre.Je fais lesmêmesgestes avec chacund’entre eux, chaque soir, chaqueminute, chaque seconde, au
milieudecettechaleuretcetteeffervescence.Jetapotemonfrontsurletablier,effacelestracesdemafatigueetglisseunmotàOliver,undescommis,pourqu’ilajoutedugrosselsursonagneau,retournevoiroùensontleshuitresaucaviar,etreparspouruntour.Iln’yajamaisuneminutederépit,maisjenepourraisplusvivresanscetteadrénaline.
Je virevolte dans cet environnement quand, vers vingt-et-une heures trente, un des clients de lafameusetablequatresefaitservirundessertdemoninvention.Ridietl’aajoutéàlacartedumoisaprèsl’avoirgoutélorsd’unejournéetestetilrencontresonpetitsuccèsdepuislors.
–Louvaise!aboiemonpatrondepuisl’autreboutdescuisinesaumilieudetoutlebrouhaha.–Oui,chef,crié-jeàmontour.–Unclientdelaquatredemandeàvousvoir!Iln’apasl’aircontent,maiscommec’estsonétatnatureljenem’inquiètepastantqu’ilnedéveloppe
pas.–Pourquoi?luidemandé-jecalmement.– Je ne sais pas, Louvaise. C’est votre petite copine Katia qui vient de m’avertir. Mais je vous
préviens,ilyaintérêtàcequetoutsepassepourlemieux!C’estlatabledel’ambassadeurd’Allemagneetdesesinvités!S’iln’estpascontent,vousmerendezvotretablierdanslafoulée!
Interloquée,jenetienspascomptedutondésobligeantdeRidietetconfiel’atelierdessertàJames,unvétérandelapâtisserie.LoupépourKatia.ElleesttombéeàcôtéavecleRusse.
Jerajustemontablieretdonneuncoupàmescheveuxavantdemedirigerverslagrandesalle.Jenepeuxpasmepermettredesortirdébrailléeetlapropretéestderigueuràtoutinstantdanslemilieudelarestauration.Jedoisveilleràl’imageduLondonPalace.Surmonpassage,quelqueshabituésmesaluentetjeleurrendsleursourire,heureusedelesvoir.Jesuisrarementensalle,maisj’adorel’ambiancequiyrègne. Cette lumière tamisée, ces gens bien habillés, ces tables magnifiquement dressées autourdesquelleslesserveursdéambulenttelsdesdanseursauxpaslégersetauxgestesprécis.
La table quatre se situe dans un petit coin reculé.À l’abri des regards indiscrets, dans une nicheentouréedetapisseriedeveloursrouge,elleestsurplombéed’unmagnifiquelustreencristal.
Katia se tient juste àdroitede la table,unebouteille enmainque je reconnaispour sa rareté :un
Romanée Conti de 1964. Effectivement, on a sorti le grand jeu pour ces messieurs. Elle se retournebrusquementetmelancedegrosyeux.Interloquée,jenecomprendspaslemessage.
–Monsieur,commedemandé,voicilasous-chefLouvaise.Lacréatricedevotredessert.Je ne vois pas l’homme à qui elle s’adresse, car il est de dos. Il a l’air élégant, dans sa chemise
blanche mettant en valeur des épaules fines mais larges. La vision de sa nuque et de ses cheveuxparfaitement coiffés me perturbe, comme une sensation de déjà-vu. En face de lui, il me semblereconnaîtrelefameuxambassadeur,quin’enn’estpasàsonpremierrepas:jel’aidéjàvuplusieursfoisici.Àsescôtés,d’autreshommeslèventlenezdeleurassietteenentendantKatia.
C’estalorsquelefameuxclientseretourneetquetousmesrepèress’écroulent.Jetentederesterconcentrée,maisc’estimpossible.Merevoilàenvahiedepicotements,perdantlecontrôledemoncorpsetdemesémotions.
Katiaestsurprisedemevoiraussitroublée.Jen’aipasl’habitudedeperdremonsang-froiddanscesmurs.Maisjelissursonvisagequ’elleacomprisdequiils’agit.
–Ehbien…Quellesurprise…melancel’inquisiteurennemequittantpasdesyeux.Lesautreshommesprésentsàtableleregardent,intrigués,maisiln’enditpasplus.L’inconnuquim’arenverséehierse tientàprésentdevantmoiet lemêmetroublemesubmerge.Je
sensquejevaisperdrepied.Jel’entendsmecomplimentersurledessert,medirequ’iln’ajamaisgoûtéquelquechosed’aussibon
et qu’il nepouvait pas le terminer avant d’avoir félicité le chef. Il sedit étonnéparmon talent etmajeunesse.Malgré son ton détaché, je sens entre lui etmoi quelque chose qui va bien plus loin qu’unsimple échange de compliments. Son regard est planté dans le mien et le temps semble de nouveaususpendu. Je ne perçois plus rien d’autre dans le restaurant à part lesmouvements de sa bouche, quidessinedesrondsparfaitsàchaquemot.C’estcommelechantdessirènes.Unappelauquelonnepeutrésister.
Jesensqueluiaussiestailleurs.Avecdifficulté,jemetsfinàcemomentquidevientbientropgênantpournous,commepourlesgensquinousentourent.Jelesalueenleremerciantpourlescomplimentstoutensouhaitantàtoutelatabléeunebonnefindesoirée.
Ilmeretientencoreuninstantenm’informantqu’ellenepouvaitêtreplusparfaiteetjecomprends–toutcommeKatia,quineperdpasunemietteduspectacle–,autondesavoixetauregardcharmeurqu’ilmelance,qu’ilneparlepasquedudessert.Décontenancéeetchancelante,jeretourneàmescuisines,oùRidiet m’attend de pied ferme. Je l’aperçois à travers le hublot de la porte battante. Une fois cettedernièrefranchie,jesuisànouveaudansmonmondeetjereprendspeuàpeumesrepères.
–Alors,Louvaise?Unsouci?Qu’est-cequec’estquecettetête?–Rien,chef.Toutvapourlemieux.Leclientvoulaitjustemeféliciter,luiréponds-jeencorequelque
peuvaporeuse.Surprisparmonmanquede réactivité, ilme regardecommesi j’étaisunOVNI. Jen’ai jamaisété
aussifaiblardedevantmonpatronqui,pourtant,memènelavieduretouslesjours.–Louvaise,vousavezbu?–Non,chef.–Alorspourquoidiableêtes-vousaussiétrange,toutàcoup?Quelquesregardssetournentversnous,maisjen’yprêteaucuneattention.Malgrémesefforts,jesuis
encoresousl’emprisedecethomme,maisjemefousbienquecelarendedingueRidiet.Lelienentrecethommeetmoiestpuissant,l’attractionincontrôlableetjesaisàprésentquelabatailleestperdue.Jefaiscependantl’effortderépondreauchef,luiprétextantquejesuisunpeumaladeencemoment.Ilpesteenretouretm’indiquequejen’aipasintérêtàrefilerquelquechoseàl’équipe.
Je retourne calmement à ma place pour accompagner tout le monde jusqu’à la fin du service,reprenantpeuàpeumesesprits,rapidementrattrapéeparlafrénésiedel’environnement.
***–C’étaitlui,n’est-cepas?J’ensuissûre!Jel’aisenti!Leserviceestfini,lesclientsonttousquittélasalleetKatiaestarrivéeentrombedanslescuisines
sansprêterattentionàquiquecesoitautourdenous.–Oui,murmuré-je.–Jelesavais!Jesuistropforte!MonDieu,qu’ilestdivin!s’exclame-t-elle.–Jepensequetun’aseuaucunedifficultéàdevinervulatêtequejedevaistirer…–Tatête?Tuveuxdirevostêtes!C’étaitcarrémentélectrique!Jelisl’excitationdanssonregard.Ellenetientpasenplace,l’impatiencelatenaille.Ellen’aqu’une
envie,semêlerdecettehistoire…–Katia,tuexagèrestoujours…tenté-jepourlaraisonner.–Cettefois,pasdutout.J’aidesinfos.Çat’intéresse?–Quellesinfos?–Nom,prénom,profession,numérodechambre,entreautres…Je sers fort le torchon que je tiens pour éviter que la colère qui pointe le bout de son nez neme
submergetotalement.–Quoi?C’estRobertoquim’arencardée,m’avoue-t-elle.Jeluiaiditquelebeaubrunt’avaittapée
dansl’œiletque,s’ilmedonnaitdesinfos,jeluidonnerailenumérod’unedemescopines.–Robertot’adonnélesinformationsprivéesd’unclientcontreunnumérodetéléphone?halluciné-je.Robertoestenchargedelaréceptiondel’hôtel.Jenesuisdoncpasétonnéequ’ilaitpudénichertous
cesdétails.–Benoui.Etilétaitplusqueravidelefaire,enplus!melance-t-elleavecunclind’œil.–Etpuisilnem’apastapéedansl’œil,ilesttropvieux,ajouté-jeenignorantsadernièreremarque.–Lily,ila38ans!Cen’estpasunemomienonplus!–Tuconnaissonâge?–Roberto,jet’aidit,répète-t-elle.–Etqu’est-cequeRobertot’aditd’autre,exactement?–Ah,tuvoisquetuesintéresséefinalement,petitecoquine!–Absolumentpas,c’estdelasimplecuriosité,c’esttout.Elleétouffeunpetit riremoqueuravantde reprendreson laïus.SonnomestVictorHammer. Il est
originairedeCologneetenmissionpourl’ambassadeallemande.Sachambre,la315,estréservéeàsonnompourtroissemaines.Ilneportepasd’alliance,estnéen1977–d’aprèssonpasseport–etiln’estpasvenuaccompagné.
–Robertodoitvraimentlevouloir,cenuméro.–Ohçava,Lily,onn’apasdépouillésavalisenonplus,lance-t-elleenmedonnantunepetitetape
surl’épaule,toutsourire.Tum’accompagnesfumerunecigarettedehorsavantdepartir?–Situveux,InspecteurColombo.–Inspecteurquoi?–Nonrien,laissetomber,c’estunesériefrançaise.–Vousavezvraimentdedrôlesdetrucsdansvotrepays…dit-elleenlevantlesyeuxauciel.Jeristoutenl’accompagnantdehors.Ilesttard,doncnousn’avonspasànousinquiéterdesclients
quipourraientarriverparl’entréeprincipale.L’airestfrais.Dejeunesfêtardssepromènentdanslesruesaumilieudescabinesrougestypiquesdelavilleetdesfaçadesvictoriennes.
–Tuenveuxune?demandelabelleItalienneenmetendantunecigarette.–Non,merci.–Tuasprévuquelquechosependantlesquinzejoursdefermeture?–Pourlemoment,rien…Ettoi?–JeretourneàNapoli.Mafamillememanque.–Jecomprends,ajouté-je,peinéedevantlatristessequivoilesoudainementsonregard.–Ettoi,tunevaspasvoirlatienneenFrance?Unmurestérigéentremafamilleetmoidepuisbiendesannéesmaintenant.Ilsnecomprennentpas
meschoixdevieetontpensémondépartcommeunetrahison.–C’estcompliquéaveclamienne.–Ah,conclut-elle,gênée.Nous restons silencieuses, songeuses, aumilieu d’une nuit de fin d’été, perdues dans le fil de nos
pensées.–Puis-jevousendemanderune?Noussommesinterrompuesdansnotrerêverieparunevoixquimehantedepuishiersoir,etquandje
tournelatêteendirectiondemonamie,monsangnefaitqu’untour.Ilestdenouveaulà.Leclientdelaquatrequim’abousculéehiersoir.LefameuxVictorHammer.Ses
yeux clairs transpercent la nuit, sa silhouette est fine, mais imposante. Il dégage quelque chosed’intriguant,d’attirant.
Elle tend son paquet à son intention et il en attrape une qu’il allume en sortant un briquet de sonmanteau.
–Merci…–Jevousenprie,chantonne-t-elledesonaccent.Puisellesetourneàsontourversmoi,toutsourire:–Jevaisdevoiryaller,melance-t-ellelesyeuxpétillants.Bonnesoirée,Lily.Ellem’embrasserapidementsurlajoue,m’adresseundiscretclind’œiletm’abandonneicisansque
jepuisseajouterunmot,devant l’hôtel,aveccethommeque jecroisepour la troisièmefoisenvingt-quatreheuresetquifaitdemoicette«chose»complétementniaise.
–Vousattendezquelqu’un?Il s’adresse àmoi en portant à sa bouche sa cigarette et je le trouve alors terriblement sexy. Son
physique,sadémarche,sonsourire,sonregardespiègle,toutenluiestséduisant.–Non.J’allaisrentrer,peiné-jeàarticuler.–Vousêtespartierapidementhiersoir.J’espèrenepasvousavoirfaitmal.Lerougememonteauxjoues.Maispourquoi,diable,est-cequejeréagiscommeça?Cethommeest-
ildotédesuperspouvoirshypnotiques?–J’étaisfatiguéeettoutallaitbien,jen’avaispasderaisonderesterpluslongtemps.–Moij’avaisenviequevousrestiez,lâche-t-ildebutenblanc.Jefrissonnesouscetaveu.Ils’approcheunpeuplusetmesjambessemettentàtrembler.Iltireune
nouvelleboufféeetmefixed’unregardfélin.–Lily,c’estbiença?–Oui…–Pardonnez-moiparavancesivousmetrouveztropdirect,maisj’aimeraisbeaucoupvousoffrirun
verre. Pourme faire pardonner l’incident d’hier soir,mais aussi pour vous remercier de ce délicieuxmomentpasségrâceàvostalentsculinaires…
Jemeretrouveenpaniquetotale.Savoixesthypnotiqueetjenesuisplusunepetitefillenaïve:je
saisque,sij’accepte,toutseradifférentensuite.Maisaprèstout,qu’est-cequejerisque?Iln’estlàquepourtroissemaines.Siçadoitêtrel’affaired’unenuit,lavilleetl’hôtelsontassezgrandspourquenousn’ayonspasànouscroiser.
–Lily?Ilmeramènealorsà la réalité.Cequisedégagede luiest inexplicable.Unechaleurserépanden
moi,unfeuquinedemandequ’às’embraser.Jen’aijamaisressenticegenred’attractionpourquiconque.Çan’arienderomantique,non,c’estencorepire.C’estcharnel,sexuel,presquesauvage.Jenepeuxpasàycroire…Cethommeréveillemesinstinctslesplusenfouis.
–OK.–«OK»?–Pourleverre,avecplaisir,déclaré-je,déterminée.Jenesaispascequimeprend.Habituellementmêmetotalementsaoule,jen’acceptejamaisd’aller
prolongermasoiréeavecuninconnu.Jeviensdefranchiruncap,unefrontièrequejepensaisnejamaisfranchir:jeviensdelaissermondésirprendreledessussurmaraison.
–Trèsbien,murmure-t-ilsatisfait.Quepensez-vousdefairemonterunebouteilledansmachambre?susurre-t-ilàmonoreilleenarticulantchaquesyllabe.
–Ehbien,nousavonsuntrèsbonChâteauLatourde1982enréserveetjeseraisraviedelepartageravecvous,ajouté-je,ledéfiantduregard.
–Parfait,répondit-il,satisfait.Alors,aprèsvous,jevousenprie…Devant l’ascenseur, bouteille et verres enmain, j’aperçoisRoberto à la réception quime jette un
rapidecoupd’œil. Ilbaisse rapidement la tête,mais je l’aperçoisquisouritbêtement toutseul.Victorglissesamaindans lebasdemondospourm’entraînerà l’intérieurde lamachineet je frissonnedespiedsàlatête.Noussommesseulsàcetteheure.Lesportesserefermentsurnousdansunbruitsec.Ilappuiesurleboutondutroisièmeétageetsetourneversmoi.Sonregardplantédanslemien,ilmecolled’ungestebrusquecontrelaparoidelacabinesansquej’aieletempsdedireoudefairequoiquecesoit.Lesoufflecoupéparcettesoudainepassion,jesensseslèvresfrôlerlesmiennes.
Ilglissesondoigtlelongdemonchemisieretm’observe,commesij’étaissaproie.–Jen’aipasarrêtédepenseràtoi,depuishier…J’aienviedetefaireuntasdechoses.Sonaveumeparalyse.Etsansquejem’yattende,sabouchesecolleàlamienne,medévore.Chocélectrique.Salangueglisseenmoietmonsoutien-gorgemanqued’explosersouslapressiondemapoitrinetout
àcoupréveillée.Jeserrefortlabouteilledansmamainsouslapuissancedemondésir.Jefrôlelacrisecardiaque.Nousarrivonssurlepalierdutroisièmeétageetilsereculesansmequitterdesyeux.–Viens.Ilmeprécède,m’attrapefermementlamain,etjelesuis–encoretoutetremblante.Chambre315.Unefoisdevantlaporte,ilpasselacartemagnétique,déverrouilleetpénètreàl’intérieur.Desgestes
rapidesetprécis,animésparsonexcitation.Cen’estpasunechambrestandard,maisbeletbienunesuite.Etdesplusluxueuses:mobilier
d’époque,moquetterougeépaisse,tableauxdemaîtresousverre–duhautdegamme.Nouspassonslaporte,qu’ilrefermederrièrelui,etpénétronsdanslepetitsalonquiprécèdelachambre. Il se composed’une table basse et de plusieurs fauteuils et sofas. Il retire sa veste avec élégance et la lance sur lepremiercanapé.Ilmeprendlevinetlesverresdesmainsavantdenousservirtouslesdeux.Latensionestàsoncomble.Moncorpsestviolemmentattiréparcetinconnuquimefixetoutenavalantsapremière
gorgée.Unegoutteperleaucoindeseslèvressurlesquellesilpassesalanguediablementalléchante.Je ne sais ni quoi dire ni quoi faire, mais je n’ai pas besoin de réfléchir plus longtemps. Victor
approcheetm’attrapeparlanuquepourmecolleràlui.Samainestfine,sesonglessoignésetsapeausentl’abricot.Quandilmetouche,sescaressessontbrûlantes.Lachaleurdesapaumeréchauffetoutmonêtre,m’embrase.Sabouchetrouveànouveaulamienneetjeperdsl’équilibresouscebaiserrenduplusintenseparlesarômesduvinrestésurseslèvres.Ilfaitjouersalanguesurmapeau,m’enlacefermement.Jenesaisplusquellepartiedemoncorpsiltouche,caresse,frôle…Sesgestessontenfiévrés.Ilestprisd’unepassiondévorantequimesubmergepeuàpeuàmontour.Ilsejettesurmoi,cequimedéboussoletotalement.
Çan’ariendedouxnidetendre.C’estanimalvoiresauvage.Àdesannéeslumièresdecequej’aipuconnaîtrejusqu’àprésent.Victorm’ouvreuntoutautremonde.
Ilnesedonnepas lapeinededéboutonnermonchemisier : il l’arrachesansseposerdequestion,sansmeregarder.Messeinsnedemandentqu’àêtrelibérésdeleurprisondetissu,netenantplussouslapuissancedecetteétreinte.
–Tum’excitestellement…Il retire avec précipitation sa chemise et je découvre son torse bronzé, épilé, joliment dessiné. Je
passemesmainsdessusd’ungestetendre,attiréparladouceurquisedégagedesoncorps.Maisjesuishors-sujet:sonregard,sestraitsdisenttoutlecontraire.Jenejouepasavecunpapillon,maisavecundragon:riendeléger,riendedoux,riendecalme,toutestsauvage,brûlant,incontrôlable.Iltiresurmescheveuxpouramenermonvisageverslesien.
–Déshabille-toi,maintenant.Cettedemandenemesurprendpas.Jesaisoù toutçavanousmener :versunefindélicieuse.Une
consommation de nos corps enfiévrés, prêts à exploser. Et je m’exécute tandis qu’il s’assied sur lefauteuil juste en face de moi, déboutonnant son pantalon, le regard animé d’une douce folie. J’ail’impressiond’êtreuneproieàlamercidesonchasseur,etpourtant,j’obéisàchacunedessesdemandes.Jeneme reconnaispas.Mais jen’aipaspeur. Je suisétrangementenconfianceetà l’aisemalgré lesexigencesdemonpartenaire.
Ilattrapesonsexequ’ilcaresseenmefixantetunsourirediaboliquesedessinesursonvisage.Ilsemasturbe doucement, sa main glissant de haut en bas, sa virilité se dressant et gonflant sous sesmouvements.Ilsemordlalèvretoutenréfléchissantauxprochainsmouvementsqu’ilsouhaitemedicter.Ilplisselesyeuxsousl’indécision,nesachantparoùcommencer.Sesgestessefontplusrapides.Jelevoistressailliretjepressenssonenviedejouir.
–Assieds-toisurlecanapé,lâche-t-ildifficilement.Jem’exécutealorsqu’ilmefixeavecenvieenpassantsalanguesurseslèvres.Detouteévidence,il
aprissadécision.–Pasdanscesenslà.Sonindextournoielentementdanslesairs,m’ordonnantainsideluitournerledosetdeluioffrirmon
meilleurprofil.Entempsnormal,meretrouverdanscettepositionm’auraitmiseplusquemalàl’aise.Etpourtant… je me retourne, dans l’attente la plus insoutenable qu’il me prenne sur ce canapé. Fort.J’entendslebruitd’unpapierquisedéchireet jecomprendsqu’ilestentraind’enfilerunpréservatif.Tout me paraît si rapide. Je tremble d’excitation, prête à hurler mon plaisir au premier toucher.L’excitationesttellequemonimaginationestpresqueaussipuissantequelaréalité.Etlà,maintenant,jen’aiqu’uneenvie:qu’ilmetoucheencoreetencore.Jenemereconnaispas,ouplutôt,jemedécouvre,merévèle,maisjeneréfléchispas,jeneréfléchisplus.Toutestplusfortquemoi.Alorsquejesuisàquatrepattessurlecanapé,lesfessescambrées,m’offrantàlui,ilm’attrapebrusquementlatailleetcolle
saqueue fortementdurciecontremes fesses. Je lâcheun longgémissementet je le sens se rapprocherencoreunpeuplusdemoi.
–Jevaisyallerfort,susurre-t-il.J'acquiescefébrilement.Et,d’uncoupsec,ilentreenmoi.Ilattendquelquessecondesafindeprofiter
del’effetsurmoncorps.Jemanquedeperdrel’équilibretant lavoluptés’emparedemoncorps.Jelesens trembler derrière moi. Sa poigne se resserre sur mes hanches. Mes lèvres se contractentautomatiquementautourdecetinconnuplusquebienvenumalgrésonentréebrutale.Quandjelesensseretirer, c’est pour revenir se loger au plus profond de ma chair, dans de brusques va-et-vient. C’estextrême et j’aime le sentir glisser et s’emboîter dans une alchimie parfaite. À chaque pénétration, leplaisiraugmente,m’emmenantavecluiversunautremonde.Ilsepenchesurmoi,sabouchesidouceàhauteurdemesépaules,etaprèsquelquessecondescesontsesdentsquiseplantentsauvagementdansmapeau.Jepousseunpetitcridesurpriseetmemetàgémirdeplusenplusfort.
Jen’aijamaisconnupareillesensationetj’aienviedeluihurlerdecontinuer,denepass’arrêter,d’yallerencoreplusfort,encoreplusloin.Ladouleurestintense,intensémentbonne.Jesensquejeperdslecontrôledetoutmoncorpsetunevaguedechaleurmepénètretoutentière.Jesuffoquealorsqu’ilattrapemes cheveux et me force à me cambrer davantage. Il pousse des râles presque sauvages et j’ai lesentimentd’êtrepossédée.
Possédéeparlui.Toutàcoup,ilsedétachedemoi,puisagrippematailleetmesoulèveenmetournantpourquejesois
faceàlui,faceàsonregardendiablé.Iltireànouveausurmescheveuxetmordmalèvre,descendantsurmonmentonpuisdansmoncou.Je
m’agrippeàlui,detoutesmesforces.Mesonglesseplantentdanssondos.Mesphalangesblanchissentsouslapressionqu’exercentmesdoigtssursachair.
Il caressemes épaules, descend le longdemesbras, effleuremesmains, passe surma taille,meshanches…Etmesaisisbrusquementsouslescuissespourquejeviennem’enroulerautourdelui.Ilmeplaquecontrelescoussinsducanapé,faisanttremblerlemeubleetlestableauxaccrochésaudessusdenous.Sesyeuxseperdentànouveaulelongdemoncorps.Jelisdanssonregardtoutledésirqu’ilmeporte.Ilsaisitmajambed’unemainetposel’autrejusteàcôtédemonoreille.Ilprendpositionetvientseperdredenouveauenmoi.Mesdoigtssemêlentàsescheveux,seglissentautourdesoncou.Ilentameunecoursefolleetjemelaissehapperparcedésirirrationnel.
–Viens,mabelle,viensavecmoi.Sa voixm’électrise. Ses caressesm’embrasent. Ses baisers m’enflamment. Je me perds dans son
regard,sombre,intense,insondable.Lerythmeesteffréné,lescoupsbrutaux.Toutsoncorpsvientfrappermon entrejambe, ce qui accentue la fièvre de nos ébats. Je perds la notion du temps,mais profite dechaque va-et-vient. Il continue ses coups de reins endiablés tout en descendant vers la pointe demesseins.Desamainlibre,ilpincemontétonentresonpouceetsonindex,ettorturesonjumeaud’unelentesuccion,entamantunedélicieuseagonie.Quand je sens sesdentsmordremachair, ilnem’en fautpaspluspourmevoiroffrirunorgasmeincroyable,quiredonnevieàchaquepartiedemoncorps,partantdemonbasventrejusqu’auboutdemesongles.L’effetestindescriptible.Quelquechosedenouveauetdontje n’aurais jamais pu imaginer la puissance. Cette sensation m’a dévorée tout entière et je crie monplaisir.
–Tuesàmoi…souffle-t-il.Ilplaquesamainsurmonvisage,enfoncesesdoigtsdansmajoue.Del’autre,ilempoignemahanche
etdonnelederniercoupdereins,encorepluspuissant,encoreplusprofondetjesenssonplaisirglisserdansleboutdelatex,répandantunedoucechaleur,alorsqu’ilselaissedoucementtombersurmoi.
Lelionvientdedévorersaproie.Etcen’estqueledébut.Ledébutdelafin.
2.Unnouveaudépart
26novembre2015,endirectiondumanoirVanRuten7h30dumatinJe suis en route pourmon premier jour de travail. L’hôtel n’est qu’à dixminutes du domaineVan
Ruten,maisjepréfèrearriverenavance.Jeveuxmontrerquejesuisquelqu’undeponctuel.J’attendraiunpeuplusbassurlecheminàl’entréeduchaietquandceseral’heure,jemerendraisurplace.Ilfaitencorenuit,maiscelanemechangepasbeaucoupdesautomnesethiverslondoniens:j’aieuletempsdem’habitueraufroidetàlagrisaille.Ilyadubrouillardet lesroutespourserendrelà-basnesontpaséclairées,cequimerappelleunpeulavieillecampagneanglaise.Ilnemanquequelesmoutonset lescabinesrouges.Jesourisauxsouvenirsdemesescapadesbucoliques.Jesuisenpleinerêverie,songeantàdessouvenirsquej’espèrevoirdisparaîtreunjour…
Moncœurseserreàchaquerappeldemonpasséquejesouhaiteoublier.Emportéeparmatristesse,jenevoispaslagrossevoiturequiarrivesoudainementàmadroite.Jemetsquelquessecondesàréagiretpileungrandcoup.Troptardcependant…Lechocn’estpastrèsimportantsurcesroutescabosséesoùlalenteurestderigueur,maislacarrosseriedemapetitedécapotablen’asûrementpastenulecoupfaceàl’imposantpare-buffledugros4x4crasseuxquil’aemboutie.
Aprèsm’êtrerabattuesurlecôté,jem’empressedesortirdemonvéhicule,maudissantcemomentdenostalgiequim’amisedanscettesituationetjepriepourquecelanesoitpastropgrave.L’autrevoiturem’a imitée et son conducteur sort à son tour. Il claque violemment sa portière et je comprends à sonexpressionqu’ilnevapasmelaisserm’entirersansconséquence.
–Maiscen’estpaspossible,s’énerve-t-il.Vousavez-euvotrepermisdansunepochettesurpriseouquoi?
Cethommen’ariendecommodeouderassurant.Ildoitbienfaireunetêtedeplusquemoi,avecdesépaulesaussi largesqu’unearmoire,descheveuxenbataille,unebarbemal raséeetun regardsinoirqu’ilmeglacelesang.Quelquechosedetrèssombreémanedelui.
–Je…–Ilvautmieuxpourvousquevousnedisiezrien,mamignonne!Ouçapeutvouscoûtercher!lâche-
t-ilfurieusementtoutensedirigeantàl’avantdesavoiture.Non,maispourqui seprend-t-il ?Onabeauêtre seulsaumilieudenullepart, jenevaispasme
laisser impressionnerparce type. J’aigrandietévoluédansunenvironnementmasculin. J’aigéréuneéquipedeplusdedixhommes.Cen’estpascetoursquivam’intimider!
–Pasbesoindemontersursesgrandschevaux!Vousm’avezl’airenpleineformeetlesdégâtsnesontquematériels.Iln’yapasmortd’homme.Jesouhaitaisjustem’excuseretvous…
Ilmecoupedenouveau.–Vousexcuser?C’estuneplaisanterie,hurle-t-ilàprésentpenchésurl’avantdesonvéhicule.Jemerapproche,tentantdegardermoncalmemalgrél’irrespectdontfaitpreuvecethomme.–OhGod!m’exclamé-je.Je suisà sonniveauet jeconstate l’étendudesdégâtsdemoncôté : l’aileavantestcomplétement
enfoncéeetbloquemarouedroite.–C’estunecatastrophe…–Onnesortpluslesmêmesdiscourslà,magrande!Çavavouscoûtercherdefaireréparercesdeux
voitures!
–Pardon?Jemetournealorsversl’oursquim’apercutée.–Mon4x4estfoutu!Jevaisdevoirchangertoutlepare-buffle!Je me penche pour observer de plus prêt et reste dubitative face aux micros rayures quasiment
invisibles.–Vousplaisantez,j’espère?–J’enail’air?–Maisiln’yariendutout!–Alorsdisonsquejeprofitedelasituation,raille-t-il.Jeleregardeavecdegrosyeux,choquée,prêteàluibondirdessus,maisluisecontentedesourire.–Lesfillesdansvotregenrem’insupportent,etjevaisêtreenretardàcausedevous!–Lesfillesdansmongenre?Maisc’estquoivotreproblème?–Vousêtestypiquementdugenre«petitebourgeoise»quipensequetoutluiestdû.Comprenantpetitàpetitque jereprésenteunevengeancepersonnellepource type, jemetsdecôté
tousbonssentiments:non,maisquelconnard!–Quelcon!–Ah,bahvoilà,elles’énerveunpeulapetite!Visiblement,cetenfoirétrouvecettesituationtrèsamusante.Moipas.–Onvasecalmertoutdesuitesurlessurnomsdébiles!Jenesuisnivotre«mignonne»nivotre«
grande»,etencoremoinsvotre«petite»!Jevaissûrementêtreenretardmoiaussi,etpourmonpremierjourdetravail,enplus!Vousn’avezaucuneidéedecequecelareprésente!Alorsmaintenant,onarrêtelesconneriesetonfaitcefoutuconstat!
Ilsemblesecalmerfaceàmonsoudainénervementetretourne–sanssepresser,toutefois–dansson4x4.Lesmainssurleshanches,deplusenplusénervée,jel’observesepencherverssaboîteàgantsd’oùilsortlespapiers.
–Elleaunstylolademoiselle?Jedécide,aveclaplusgrandedesdifficultés,denepasrentrerdanssonjeuetparsfouillerdansmon
sac,àlarecherched’unstylo.Quandjemeretourne,l’oursestentraindemefixercommesij’étaissaprochaineproie.Cetypeadécidémentungrossouci…
Jeluitendsetilsemetàremplirledocumenttoutenmarmonnant:–Alors,veuillezentourerprécisémentsurleschémaci-dessouslesdégâtsprésentssurlesvéhicules.
Hum…Surveillantducoindel’œil,jeremarquequ’ilentoured’ungrandcerclel’avantduvéhiculeBcensé
représenterlesien.–Vousvousfoutezdemagueule,n’est-cepas?Vousallezdéclarervotrevoiturecommeaccidentée?Jeluiarrachelestylodesmainsetrectifieleconstat.Ilsepenchederrièremoietjepeuxsentirsa
respirationdansmoncou,cequimefaitalorsuneffettrèsbizarre.Ilessaiedem’attirerdanssesfilets.Jemeretournebrusquementverslui.–Vousêtesassezprèscommeça,jepense!Il lève alors lesmains en l’air comme si je lemenaçais avec une arme, etm’adresse encore cet
affreuxsourireencoin.–Nulbesoindes’énerver,MademoiselleLouvaise.Jerestesurprisedeuxsecondeslorsqu’ilprononcemonnomdefamilleetréalisequ’ill’ajustelusur
leconstat.Jeterminederemplirmadescriptionetladéchirepourluitendresapartie.Ilnevérifiepas–apparemmentplusoccupéàmereluquer–etfourreletoutdanssapocheavantdes’engouffrerdanssa
voiture.Ildémarre,recule,puisprendlaroutedansladirectionopposéeàlamienne.Ilpassejusteàcôtéde
moietbaisselavitredesafenêtre.–Byebye,majolie…lance-t-ilenaccompagnantsesmotsd’unclind’œil.Etildonneungrandcoupd’accélérateur,mefaisantunpetitsignemoqueurdelamainetm’envoyant
toute la fumée de son pot d’échappement dans le visage. Je couvrema bouche d’unemain tout en luifaisantunsplendidedoigtd’honneurdel’autre.
Quellepertedetemps…Jecommencebienmapremièrejournéedeboulot…Cetypem’amisedansunecolèrenoire…Ilfautquejereprennemesespritsavantd’arriveraumanoir.Respirantungrandcoup,jem’installeauvolantetdémarremavoiturequipeineàavancer…Enplusdemarouequicouine, lemoteur fait un drôle de bruit… Je recule péniblement le long du bas-côté. Le reste du voyage serafastidieux,maisjepensepouvoirterminerletrajet.
Avantdereprendrelaroute, j’attrapemapartieduconstatet jetteunœilsurlenomdecetabruti :ValentinGauthier.
Ehbien,ValentinGauthier,tuessacrémentcon!***
J’arriveenfinaudomaineet,heureusementpourmoi,monobsessionde laponctualitémesauve lamisesurcecoup.
J’arrivedoncdanslacouràhuitheurespiledansunbrouhahadigned’untracteur.Deuxpersonnes,ainsiqueMadameVanRuten,sontsurleseuilduperronetmeregardentavecdegrandsyeux.Onpeutdirequejesuisentraindefaireunearrivéefracassante…
Jemegaresurlecôté,devantunabrienboisetdescends,mesdeuxvalisesenmain.–MademoiselleLouvaise!Toutvabien?Qu’est-ilarrivéàvotrevoiture?s’inquiètelamaîtresse
deslieux.–J’aieuunaccrochageenvenant…Jen’airien,maislavoitureaprisunsacrécoup…lesinformé-je
toutentaisantlepassagesurl’oursquis’estamuséàmefairesortirdemesgondspoursonplusgrandplaisir.
–Ohlavache!Elleestbienarrangéetavoiture!Je me tourne vers la jeune fille qui se tient derrière Madame Van Ruten, l’auteure de cette
remarquableexpression.Elledoitêtreàpeinemajeure.C’estunegrandesauterellerousse,toutemince,auvisageencorejuvénileetvisiblementtrèsvivante.
–Iris!Surveillezdoncvotrelangage!ManouvellepatronnelanceunregardréprobateuràlajeuneIrisetjenepeuxm’empêcherdesourire.–Pardon,madame…–Effectivementvotrevoitureestbienarrangée.SivouslesouhaitezjedemanderaiàLouisdevous
appelerunedépanneuse.JedevinequeLouisestl’hommequisetientenretrait,derrièreMadameVanRuten.Ilestnettement
plusâgéqu’Irisetdoitavoirunecinquantained’années.Ilporteunesalopette,surlaquelleestaccrochéela panoplie complète du jardinier professionnel, et des bottes en plastique. Il a un visage que jequalifieraisdesympathique:nibeaunilaid,unregarduntantinetmalicieux,descheveuxgris,uncrânedégarni.Unhommedanslaforcedel’âge.
Àcetinstant,jenesauraidirepourquoi,maisjesensquemaviedanscetendroitperdunevapasêtreaussiennuyeusequejel’imaginais.Quelquechoseaufonddemoimelaissepenserquemesdeuxfuturscollèguesmeréserventdejoliessurprises.
–Jevousinviteàrentrerdanslesalon.J’aidemandéàIrisdepréparerduthéenattendantvotreprise
de fonction. Je vais vous expliquer un peu comment fonctionne cette maison et avec qui vous alleztravailler. Louis, pouvez-vous débarrasser Mademoiselle Louvaise de ses bagages et nous rejoindreensuitedanslesalon?
–Toutdesuite,madame.Il s’approche enfin de nous et attrapemes valises tout enme gratifiant d’un gentil sourire.D’une
poigneassurée,ilsedirigedanslesensopposé,verslejardin.–Vosappartementsnesontpasaccolésàlamaison,MademoiselleLouvaise.Ilssetrouventdansune
dépendanceaufonddelapropriété.Maisvousverrez,voussereztrèsbieninstallée.Enchantéeparcettenouvelle,jesuisMadameVanRutenetnousentronsdanslamaison,précédéepar
Iris,quisautillecommeunpetitcabri.–Jesuistellementcontentequenousayonsunegrandechefparminous!Tuvasvoir,lacuisineest
immense.Ellevaenfinpouvoirêtreutiliséeetonvaenfindégusterdesbonneschoses!–Iris! lareprendunenouvellefoisMadameVanRuten.Calmez-vousdoncunpeu,vousallezfinir
pareffrayerMademoiselleLouvaise.–Pardon,madame…Jesuisdésolée.–Allezdoncchercherlethéetlesbiscuitsquevousavezpréparésetrejoignez-nousici.–Oui,madame!Apparemmentraviedepouvoirserendreutile,lajeunefilles’éloignedanslecouloiravectoujours
autantdefougueetjelasuisduregard,amusée.Jesurprendsmapatronneposerunregardmaternelsurelleetjesuistouchéeparcetinstantquejesaisisauvol.Jeremarquealorsqu’ellesedéplacedanslapièce avec une certaine noblesse qui laisse deviner qu’elle devait être une femme d’élégance en sontemps.
– Je vous prie de bienvouloirm’excuser pour cet accueil unpeu fanfaron. Iris est une jeune fillepleine de vie, comme vous l’avez constaté. Elle n’est pasméchante, loin de là. Et surtout, ellem’estd’uneaideprécieuse.
Nousprenonsplacesur lescanapésdusalon,faceà lacheminée,aumilieude tableauxetbibelotsanciens.Lestyleest loind’êtredésuet, toutest trèschic.Jepourraispresquecroirequejesuisencoredans mon hôtel londonien. Les tapis épais, les portraits de famille, la grosse horloge, j’aime cetteambiance,ceclassicisme.Jen’aimepasdutoutcestylecontemporainetcedesignépuréquifleurissentunpeupartoutoùilydel’argent.
–Oh,maisvousn’avezpasàvousexcuserpourça.C’estmoiquivousdemandepardonpourmonarrivéequelquepeufracassante.
–Voyons,MademoiselleLouvaise,cen’estrien.C’estplutôtpourvotrevoiturequ’ilfautsefairedusouci.Maisqu’est-ildoncarrivéexactement?
Je conte alors rapidement mes mésaventures à ma nouvelle patronne, qui m’écoute attentivement.Entretemps,Irisfaitsonentréedanslesalon,unplateauàlamainqu’ellemanquederenverserplusieursfois.Jemelèveinstinctivementpourl’aider,évitantdejustesselacatastrophe.
–Merci,memurmure-t-elleensouriant.Jenesuispastrèsàl’aiseaveclestrucsdelacuisine…Ilétaittempsquetuarrives!
–MademoiselleLouvaise,jevousprésentedoncIris.MadameVanRutens’adresseàmoialorsquej’aidelajeunefilleàinstallerlethéetlapanièrede
biscuitssurlatablebassedevantnous.–Elle estmagouvernantedepuis bientôt deux ans et, contrairement à la cuisine, c’est undomaine
danslequelelleexcelle.Irishabitedanslevillagevoisinettravailleicitroisjoursparsemaine,parfoisquatre. Louis, que vous avez rencontré tout à l’heure, est notre homme à tout faire. Il s’occupe de
l’entretiendelamaison,duparc,desvoituresetdetouteslespetiteschosesquejenepeuxplusfaireàmonâge.C’estaussiluiquigèrelepotager.Jevouslaisseraidoncvoiravecluipourtoutcequiconcernel’approvisionnementdelacuisine.Jepossèdeencorequelquesparcellesdevignesautour,maistoutestexternalisé.Vousn’avezdoncàvouspréoccuperquedecettemaison.
–Bien,madame.–Vousallezêtreamenésàpasserdutempsensemblerégulièrement,touslestrois.Jecomptedoncsur
chacund’entrevouspourvousorganiseraumieux.Vousverrez,MademoiselleLouvaise,quejenesuispasquelqu’undecompliqué.J’aimelesgensquisavents’autogéreretquinenécessitentpasqu’onsoitconstammentderrièreeux.Pourlesrepas,toutesttrèssimple.
De petits coups sur l’impressionnante double porte en bois massif se font entendre, coupant mapatronnedanssonexplication.NousobservonsLouispénétrerdanslesalonets’installerfaceànous,enrestantdeboutpournepasrisquerdemettredelaterresurlesbeauxcanapésdeMadameVanRuten.
–Jedisaisdoncque,pourlesrepas,jenesuispasdifficile.Jemangedetout.Saufdelaviande.Jenemangepasmeschats,jenevoispaspourquoijemangeraisdesvachesoudescochons.Pourlerestevouspouvezlaisserlibrecourtàvotrecréativité.Jeprendsmonpetitdéjeuneràseptheures,toujoursavecduthé. Déjeuner à midi, goûter à seize heures et souper à dix neuf. Je suis peut-être une vielle damesolitaire,maisjen’aipasperdumonappétit.Nemepréparezpasdesportionsdemoineaux!
–Oui,madame.–Autrechose,jenereçoisquetrèsrarement.Vousserezdoncprévenuesivousdevezpréparerplus
qued’habitude.Vousn’avezpasàcuisinerpour Iris etLouis, ils se sont toujoursdébrouillés.Mais sivous voulez vous arranger entre vous, je n’y vois pas d’inconvénient. Tant que cela n’a pas deconséquencessurmesrepas.
–Bien,madame.MadameVanRutensaitcequ’elleveutet,surtout,cequ’elleneveutpas.Unevolontédeferdansun
gantdevelours.– À présent, Iris va vous faire visiter la cuisine et Louis se chargera de vous montrer vos
appartements ainsi que le potager. Pour les courses, c’est également à lui qu’il faut faire part de vosbesoins.QuandIrisestprésente,c’estellequiestenchargedenettoyerlacuisine,lesautresjourscelarelèvedevotre responsabilité.Nousavonsunecaveassezbiengarnie jedoisdire,vouspouvezvousservirdedanssansproblème.
–Trèsbien,madame.–Avez-vousdesquestions?–Non,paspourlemoment.–Alorsjevouslaissefaireconnaissancetouslestrois.Jedoism’occuperdelagestiondudomaine.
Jeseraidansmonbureau.Jevousretrouveàmididanslasalleàmangerdel’ailedroite.Nousn’utilisonspascelledegauche.Jamais.Enfin,Irisvousmontrera.
Elleselève,tapotesontailleurentweed,etsedirigeverslaporte.–Bienvenueparminous,MademoiselleLouvaise.–Merci,MadameVanRuten.Ellequittelapièceetjemeretrouvealorsseuleaveclajoliesauterelleetlejardinier.–Alorsc’estvouslafameusechef?m’interrogeLouis.–«Fameuse»,jenesaispas…–Jevousrassure,ceseratoujoursmieuxquecequelapetitenousprépare!–Oh,Louis!Çavahein,cen’étaitpassicatastrophiquequeçanonplus!s’insurgegentimentIris.–Etpourquoivenez-vousvousperdreici?demande-t-ildoucement.
–MaisLouis,arrêtedel’embêteravectesquestions!–Iln’yapasdeproblème,Iris.Jecomprendsqueçapuisseétonner.–J’avouemedemanderégalementpourquoitueslàalorsquetuavaisunjobderêveàLondres!En
plus,onalutalettrederecommandationavecLouis,elleestimpressionnante.Tusemblaisavoirunsacrésuccès.
–Vousavezlumalettrederecommandation?m’indigné-je.–Oui,onl’achipéedanslebureaudeVanRuten!–Iris!Louisessaiedelafairetaire,maisc’estvisiblementpeineperdue.–Roh,çavaLouis.Onn’arienvolé,onajusteluunelettre.–Fautl’excuser,elleestjeuneetcurieusevoussavez.–Maistuplaisantes!Jeterappellequec’étaittonidée!LouisdevienttoutrougeetIrisleregardeavecdegrosyeux.Jelesobserve,amusée.Ilsm’ontl’air
d’êtreunsacréduo.Jesensquejenevaispasm’ennuyer.–J’avaisbesoindechangerd’air,lâché-jefinalement.–Louispensequetuasquelquechoseàcacher.–Iris,maistutetaisàlafin?–Etmoi,jedisquec’estàcaused’unmec.Parcequec’esttoujoursàcaused’unmec.Jesourisfaceàcetteenquêtedignedesplusgrandsdétectivesavantdeleurrépondre:–Ehbien,moi, jevousrépondsquevousêtesdeuxsacréscurieux.Etquevousavezaussitousles
deuxraisons.Maisquevousn’ensaurezjamaisplus.Jenesuispasicipourremuerlepassé.Jesuisicipourlepostedechef,riend’autre.Parcontre,jeseraisravied’échangersuruntasd’autreschosesavecvoussivousm’acceptezdansvotreéquipe.
– Bien sûr qu’on t’accepte dans notre équipe ! Tu vas voir ! On a vraiment rien à envier à tescollèguesd’Angleterre.Aprèstunevoudrasplusjamaispartir!N’est-cepas,Louis?
Louis lève les yeux au ciel. Je ris de bon cœur et les suis pour la visite de la demeure. Soninsouciance est revigorante. Le rez-de-chaussée se compose de deux ailes. Celle de gauche estcondamnéepourdesraisonsquimesontencoreobscures.MadameVanRutennevitplusquedanscellededroiteetàl’étage.Maisaprèstout,cettemaisonestimmensepouruneseulepersonne.
–Jefaisleménagedansl’ailegauchedeuxfoisparmois.C’esttriste,unesigrandemaisonquirestesansvie.MadameVanRutenestbienseule…
–Ellen’apasd’enfant?Ilss’arrêtenttouslesdeuxbrusquementàlasuitedemaquestion.–Tun’espasaucourant?Irismefixe,interloquée,etLouisscrutelecouloircommepourvérifierqu’iln’yapersonne.Iltirela
jeunefilledansunrenfoncementetplaceundoigtsursabouchepourluiindiquerdenepasparlertropfort.Puisilsetourneversmoi.
–Commentêtes-vousarrivéeici,jeunefille?–C’est-à-dire?–Àceposte,danslamaison.Quivousatrouvé?–Personne.J’airéponduàuneannonceenrentrantenFranceetj’aipassémonentretienhier.–Cen’estpasMonsieurEdweilshquis’estoccupédevous?–MonsieurEdweilsh?Jenecomprendspasdequoivousmeparlez!– C’est le notaire de Madame Van Ruten, m’explique Iris. C’est lui qui s’occupe de recruter le
personnel,normalement.Etd’expliquerlasituation…
–Maisquellesituationexactement?–Celledecettemaison!–Vouscommencezàmefairepeurtouslesdeux,voussavez.Vousn’êtespasentraindemefaireune
blaguedugenrebizutagedelapetitenouvelle,j’espère!–Onyapensé,maiscen’estpasça.Non.Onpréféreraitd’ailleurs.Irisestbeaucoupmoins joyeuseque toutà l’heure. Ils sont tous lesdeuxmalà l’aise, évitantmon
regard,scrutantlesenvirons.Jecommenceàvraimentm’inquiéter.–Racontez-moi!insisté-je.Jehausselégèrementletonsanspourautantêtreméchante.Jesouhaitesimplementcomprendre.Jene
suispasfriandedesgrandsmystères.–D’accord,reprendLouis.Sivousêtesaucourant,çavouséviterapeut-êtredefaireunebourdeplus
tardetvouscomprendrezmieuxcertaineschosesici.– Oui, c’est mieux, rajoute encore Iris comme si elle était chargée d’un message d’une grande
importance.–MadameVanRuten vit seule depuis des annéesmaintenant.Vingt-cinq ans, précisément. Je suis
entréàsonserviceauprintemps1991.Ils’approcheetmurmureencoreplusdoucement:–C’estEdweilsh quim’a embauché et c’est aussi lui quim’a tout expliqué.En 1990 ici, dans le
Beaujolais,nousavonseuundeshivers lesplusglacialsdusiècle.Toutétaitgeléetpersonnen’osaits’aventurerhorsdechez-soidepeurdenejamaisrentrer.PersonnesaufMonsieuretMadameVanRuten.Ce fameux jour de décembre ils ont absolument tenu à se rendre chez des amis pour fêter l’un desmeilleurscrusdudomaineavecleurfilsunique.Unpetitbonhommedecinqansquetoutlemondeadoraitauvillage.Descheveuxnoirsbouclésetlesmêmesyeuxenamandesquesamère,toutaussinoirsquesatignasse.Lafamilleparfaitecommeonlesappelait.Beaux,riches,gentilsetsanshistoire.Saufque,cejour-là,letableauidylliques’esttransforméencauchemar.Surletrajet,lavoituredesVanRutenaglissésuruneplaquedeverglasdansunvirageetatragiquementfinidanslefossé.Lemarietlefilssontmortssurlecoup.MadameVanRutens’enestsortieavecquelqueségratignures…
–OhmonDieu!m’exclamé-jeenportantmamainsurlabouche.– Jevouspasse lesdétailsdu traumatismede l’accident,de lapertede sa seule famille etde son
grandamour.Jepensequeceneserapasnécessaire…–Effectivement…LeregarddeLouiss’estassombri.Enracontantcettehistoire,ilsembleavoirrevéculesévénements
decetragiqueaccident.Jetentederetenirmeslarmes,étrangementtouchéeparl’histoiredecettefamilleque je n’ai jamais connue, et Irismordille nerveusement dans lamanche de son pull, peinée pour sapatronne.
– Je suis arrivéquelquesmoisaprès l’accident, appelécomme jevous l’aidit,parEdweilsh.Lespremières années ont été quelques peu… compliquées. Madame s’est enfermée dans un mutismeinquiétant. Elle nemangeait plus, ne sortait plus. Elle se laissait littéralementmourir. Le domaine futlaisséàl’abandon.Cefuttragiquepourlesenvirons.LesVanRutenengageaientbeaucoupdesaisonniersducoinpourlesrécoltes.C’étaitd’autantpluscompliquéquesondéfuntmarietsonfilsétaientsaseulefamille. Pas de frère, pas de sœur, et plus aucun contact avec la famille demonsieur. J’aimanquédequittermon poste plusieurs fois, car jeme sentais complètement inutile,mais c’est Edweilsh quim’aconvaincuderesteràchaquefois.Puisletempsafaitsonœuvreet,petitàpetit,madameestsortiedesonsilence.Elleareprislagestiondesvignesetadécidédecontinueràexploiterquelquesparcelles.Maisellenequittepasledomainepourautant.Ellen’ensortjamais,pourêtreexact.Etpersonnenevientlui
rendre visite. Elle passe son temps dans son immense bibliothèque. Je vous la montrerai, si vous lesouhaitez.
Jerestesilencieuseàlasuitedecettehistoire.Pasunmotnesortdemabouchemêmelorsqu’ilfaitallusionàlabibliothèque,moiquisuispourtantunegrandepassionnéedelecture.MadameVanRutenestperduedanssonpassé.Incapabled’enéchappercartoutluiaétéarrachéviolemment.Jen’arrivepasàcroirequecette femme,quidoitbienavoir soixante-dixansaujourd’hui,ait traversé toutescesannéesaveccevideenelle.Jemedisqu’àsaplacejen’auraisjamaispu.Pourmapart,c’estmoiquiaidécidédefuiret j’avaismesraisons.Maissi laviemel’avaitenlevédecette façon…Jenesaispas…Toutauraitétébiendifférent…
–Eh,çavaLily?Irismesortdemespensées.–Jepeuxt’appelerLily,n’est-cepas?–Biensûr,Iris.Pasdeproblème.– Ilne fautpasprendre leschosesautantàcœur tusais,déclare-t-elledoucementcommepourme
réconforter.–Oui…Jesais.Maisc’estd’unetristesse…– Peut-être bien, me répond Louis. Enfin, maintenant, vous êtes au courant. Et vous comprendrez
mieuxpourquoimadameresteenferméeici.Jehochelatête,pensantàcettepauvrefemme.–Allez,mademoiselle. Il ne faut pas passer votre première journée ici à pleurer.Allons terminer
notrevisite.Vousdevezavoirhâtededécouvrirlacuisineetvosappartements,non?Louism’adresseungrandsourireetmeserredoucementlebraspourm’aideràreprendreledessus
surmesémotions.Jen’étaispasaussifleurbleueavant…Respirantungrandcoup,j’acquiesceànouveautoutenluirendantsonsourire.
Je suis impatiente de découvrir mon nouvel environnement. Je découvre tout d’abord le rez-de-chaussée,quinesecomposequedepetitssalons,etdelasalleàmangerprincipale.Àl’étageilyaleschambres, la fameuse bibliothèque, les salles d’eau et le bureau dans lequel j’ai passémon entretien.Nousfinissonsparlacuisine,égalementaurez-de-chaussée,toutaufondducouloir,accoléeàlavérandaquidonnedirectementsurl’arrièreduparcetavecunevueimprenablesurlesvignes.
–Toutestimmenseautourdenous!Etceparc!C’estsplendide!–Ilya1500hectares,merépondIristouteexcitée.Louislèvedenouveaulesyeuxauciel.–1500aresIris,1500ares!Soit15hectares.Cequiestdéjàtrèsbien.–Eneffet,c’estimmense!Maisquis’occupedel’entretiendetoutça?C’estvousLouis?–Oui,maisceladevientunpeucompliquécesdernierstemps.Etpuisjesuisaidéquandmême.C’est
surtoutlesgrandsarbresverslefond,justeàcôtédevosappartementsetdesmiensquisontembêtants.J’en ai parlé àmadame.Une équipe de paysagistes arrivent bientôt.Alors il se peut que nous soyonsdérangéspendantquelquesjours…
–Ohcen’estpasgrave!Etpuisjenesavaispasquevouslogiezaussisurplace.Noussommesdoncvoisins?
–Oui,répond-ilensouriant.–Etmoi,jedîneparfoisavecLouis,alorsonpourramangertouslestrois,ceserasympa!ajouteIris.
EttoiLily,tupourrasnousconcocterdebonspetitsplats,parcequejecommenceàsaturerdelasoupedeLouis…
–Iris…soufflecedernier.
Jerigoledoucementfaceàcesdeuxcompèresalorsquenoussommesencoredanslacuisine.Elleestmagnifique. Bienmieux que ce que à quoi jem’attendais : grande et spacieuse aumilieu demurs enpierresapparentes,avecplusieursplansdetravail,d’imposantsplacards,del’électroménagermoderneetdeuxénormespianosanciens.Unvraipetitparadis.Cettedemeuredevaitêtrehabitéeparunegrandefamille,autrefois.Dequoi fairedes repaspourd’énormes tablées.Mespupillesbrillentd’impatience.C’estpresquedugâchisdel’utiliserpouruneseulepersonne.
–Ilesttempsdetemontrerton«cheztoi»!Etaprèstupourrasreveniricifouillerdanslegarde-mangeretnouspréparerunbonpetitplat!metaquineIris.
La jeune fillem’attrapepar lamancheetmeconduithorsde la cuisineenpassantpar lavéranda.Derrièrenous,Louisaccélèrelepaspournousrejoindre.Ilfautbienquinzeminutespourfairelechemin.Le parc estmagnifique et,malgré le froid, je neme lasse pas d’admirer les alentours.Nous sommesentourésd’arbressûrementcentenaires:dessaulespleureurs,deschênes,dessapins…Lapropriétéesttotalement à l’abri des regards avec l’immense mur et les vignes qui l’entourent. Un véritable petitchâteaudecontedefées.
–C’estjoli,n’est-cepas?lanceIris.Ettuverrasauprintemps,quandtoutestfleuri,c’estsplendide!Nous marchons le long d’un petit sentier en graviers avant d’arriver sur une partie plus dégagée
entouréedesapinsencoreplusimposantsetdevieuxarbresauxbranchestoutesemmêlées.Aumilieu,setrouveunpetitcottagequiressembleàs’yméprendreàceluidesnainsdeBlanche-Neige.
–Nousvoilàcheznous!Louis s’arrête à ma hauteur tandis que j’observe les lieux. C’est incroyablement mignon et je ne
sauraisexpliquerpourquoi,maiscelam’arracheraitpresqueunelarme.Jesuissiheureused’avoiratterriici.Jesensquejevaisenfinpouvoirtoutoublier.Laisserderrièremoiceparfumquiaccrocheencoremapeauetsesyeuxquinequittentpasmonesprit…
Victor…Pourquoim’as-tufaitça…–Alors,çateplaît?Jesorsdemarêverieetm’aperçoisqu’Irisestentraindem’observeretmesourit.Jeconstatealors
quelaseulechosequiémaned’elleetunejoiedevivresanslimite.JepensesavoirpourquoiMadameVanRutenl’achoisieelleplutôtqu’uneautre.Elleredonneraitvieàn’importequi,n’importequoi.
–Tuvasvoirc’estencoremieuxàl’intérieur!Toituesenhaut!Louisestenbas!Ilyaeffectivementunpetitescalierquidonnesuruneporteàl’étage.–Louissefaittropvieuxpourlesescaliers!semoque-t-ellegentimentenluitirantlalangue.Nullementvexé,Louislèvelamaincommepourmimerunebonnefessée.–Petiteeffrontée!Ellesecachederrièremoietilssemettenttouslesdeuxàmetournerautour.Amusée,jelesobserve
toutenmedirigeantversl’escalieretmontelesmarches.Laporteestentrouverteetjelapousse,prêteàdécouvrir mon nouveau monde. C’est incroyablement mignon. Tout est décoré. J’avais peur de meretrouver dans un appartement aseptisé, mais je suis dans une magnifique petite maison aux meubleschaleureux,isoléedansunboissublime,lui-mêmeentourédevignesquis’étendentàpertedevue.Quedemanderdeplus?
–Ici,c’estlapièceprincipaleaveclesalonetunpetitcoincuisinecommevouspouvezlevoir.J’ailaissévosvalisesici.Votrechambreestàdroiteetlàc’estlasalled’eauetlesWC.Ilyaquarante-cinqmètrescarrésjecrois.
–C’esttrèsjoli.Vraiment.–C’estLouisquiatoutaménagéetdécoré!déclareIrisquim’aégalementrejointe.–Ohvraiment?demandé-jeenmetournantverslui,intriguée.
–Oui,j’aimebienchiner.C’estmonpetitpasse-tempsduweekend.–Ehbien,vousavezunebellepassionLouis,toutestmagnifique!J’aimebeaucoup.Toutestagencéavecgoût.Jemesens immédiatement trèsà l’aiseaumilieudecettedécorationau
style«brocantedecampagne».Unvieuxcanapéencuircouvertdecoussinspatchwork,unegrossetablequireposesurunpiedenformedetronc,deschaisestoutesdifférentes,maisétrangementtoutesassorties,despetitsrideauxàcarreauxrougesetblancsetunemultituded’accessoirescommedesvieuxpotsdelaiten fer, des lampes en tissu vieilli, des commodes anciennes sur lesquelles trônent coqs en ferraille etcadresenbois…
–C’estunvraicocon.–Merci.C’estàl’imagedemonpetitcoinendessous.–Jesuisconquise,entoutcas,ajouté-jeencontinuantd’admirerleslieux.–Vousêtesflatteuse!–Oh,arrêteLouis,nefaispaslemodeste!lanceIrisenlevantlesyeuxauciel.Louism’expliqueque le téléphonedemonsalonestdirectement reliéàceluidumanoiretque,de
cette façon,MadameVanRuten peutme joindre en cas de demande spécifique. Je peux également lejoindre,sibesoin,etutiliserl’appareilpourmesappelsextérieurs.
–NevousembêtezpaspourçaLouis,j’aimontéléphoneetleréseausemblepasser.Etpuis,detoutefaçon,jen’aipersonneàcontacter,alorsleproblèmeestréglé…
–Iladûtefairesacrémentsouffrircecon…lâchesoudainlajeunefille.–Pardon?dis-jeàl’intentiond’Irisenfronçantlessourcils.–Lemecque tu fuisenvenant te terrer ici. Iladû te faireunsacrésalecouppourque tu t’isoles
ainsi,ajoute-t-elleaveccompassion.Jerestesurpriseparsaremarquesidirecteetpourtantsiperspicace.J’essaiedemejustifier,mais
aucunsonnesort.–Iris,mêle-toidoncdetesfesses!Louislareprendalorsqu’ilsredescendentendirectiondujardin.Surlepasdelaporte,elleseretourneet,ànouveauenjouée,melance:–Àtoutdesuite,Lily!PetiteIrispleinedevie.Situsavais…Tucomprendrais…
3.Ensorcelée
Jeudi27août2015,LondresJemeréveillelentement,encoreplongéedansmesrêves.Enouvrantlesyeux,jeréalisequejesuis
dansunlitimmenseauxdrapsdouxcommedelasoie.Qu’est-ildoncarrivéàmonclic-clacetmacouetteencotonIkea?
J’ouvreunpeupluslesyeuxetreplaceleschosesdansleurcontexte.Paniqueàbord.Évidementquelesdrapssontensoie,cenesontpaslesmiens!
Je me lève précipitamment. Je suis nue comme un verre. J’attrape par réflexe le couvre-lit etm’enroulededans.Laplaceàcôtédelamienneestvide.Coupd’œilrapidedanslasuite:pasunbruit.Le soleil est déjàbien levé. Je cherchemon sacdu regard. Il est dans le petit salon, posé sur undescanapésavecmesvêtementspliésavecsoin.Cen’estpasmoiquiaifaitça,j’ensuissûre.Soudain,touslessouvenirsdelaveillemereviennentetmoncorpsréagitimmédiatementavecforce.Victorm’aportéejusqu’aulit,m’aglisséesouslacouette,s’assurantquej’étaisbiencouverteenmebordantetmesyeuxsesont ferméspresqu’aussitôt.Lesdraps sont froissés, je saisdoncqu’il adormiàmescôtés.Et j’ai levaguesouvenird’unsoufflechaudcaressantlecreuxdemoncoumeprocurantdesfrissons.
Jem’empressed’attrapermonsac.Ilyauneenveloppeàmonintentionposéedessus.Uneécritureclasse,fine,élégante.Jel’ouvreetdécouvrequelqueslignes,quelquesmots.Etmoncorpstoutentiers’embrase.Jevousaifaitmonterunchemisierpourmefairepardonnerd’avoirabîmélevôtre.J’espèrequ’ilvousplaira.Cefutdélicieux.Jeveuxvousrevoir.Cesoir.Touslesautressoirs.Soyezàmoi,Lily…VictorJem’écroulelittéralementsurlamoquette.Jelisencoreetencorelepetitboutdepapier.Jen’arrivepasàycroire…J’attrapelechemisierpliéàcôtédeceluiquihierencoreétaitlemien.«J’espèrequ’ilvousplaira.»
Ilplaisante?QuellefemmesurTerren’aimeraitpasunchemisierBurberryensoie?Cen’estpaspossible, je suisen trainde rêver.Toutçaenmoinsdevingt-quatreheures…Jevais
sûrementmourirtrèsprochainementetDieuveutm’accorderundernierpetitplaisir.Ilnesemoquepasdemoientoutcas,mamortvasansdouteêtreatroce.
Jemeressaisisetattrapemontéléphone.J’aitroismessages:undemamèrequimedemandesijeprévoisderentrerlemoisprochain.Jel’effaceimmédiatement.LesdeuxautressontdeKatia.Nettementplusdrôles,jeristouteseuleaumilieudecetteimmensesuite.
Katia:[AlorsVictora-t-ilfaitexploserl’affreuxrecorddestroismois?]Et:[Tunerépondspas,c’estbonsigne,mamamia!]Jenelarappellepastoutdesuite,maiscontinuedefixerbêtementmonécran.Jemerendssoudain
comptequ’ilestneufheuresdumatin.Ohnon…Cen’estpaspossible!Depuisquandest-cequejeresteaulitaprèssixheuresmoi?
J’enfilemesvêtementssansmeposerdequestions.Jeneprendspasdedoucheetculpabilisepresqued’enfilerunsibeauchemisiersurmapeauencoremarquéeparcettenuit.Maisj’aijustel’enviefollede
gardersonodeuravecmoi.Victor…Jemeglissedansmesmocassinsetattacherapidementmescheveux.Jem’apprêteàfranchirlaporte
quandj’aperçoismonrefletdanslemiroirdel’entrée.Là,c’estsûr,unepancarte«jeviensdepasserunenuitbrûlante»n’estabsolumentpasnécessaire.Je
souris,attrapelapoignéeetclaquelaportederrièremoi.Jesaisdéjàquejenepourraipasdonnersuiteàtoutça.Celaseraitbientropdangereuxpourmoi,pourmacarrière,etéventuellementpourmoncœurpasdutoutprêtpourunepareilleaventure.
Quand j’arriverai à la maison je rédigerai un mot à son intention, le remerciant pour cettesympathiquesoirée,luiindiquantquejenepourrai,hélas,donnersuitepourdesraisonspersonnelles.Ilnechercherasûrementpasàensavoirplus.Leshommessonttouslesmêmes.Ilsaimentobtenircequ’ilsdésirentetensuiteilspassentàautrechose.Jeluiaidonnéleplusimportant.Ilneréclamerapassondû.Etpourêtresûred’êtretranquille,jeluirendrailechemisier.Pourlemoment,jesuisbienobligéedeleporter.Jen’aiplusriensouslamain.
Je grimpe dans l’ascenseur en direction du rez-de-chaussée. Jeme redonne un petit coup dans lescheveuxafindenepasavoir l’air tropdébrailléeen traversant lehall.Lorsquelesportess’ouvrent jemetsquelquessecondesàréagir.
–Katia?Lajeunefemmesetrouvedel’autrecôtéduhall,appuyéesur lebordducomptoirdelaréception,
regardantdansmadirection.EllemelanceungrandsourireetPierre,leréceptionniste,m’adresseunpetitclind’œilamical.–Alors?Lanuitaétébonne?Jolichemisier,entoutcas.Jesecouelatête,incrédule:ilsm’attendaientetsontprêtsàmebombarderdequestions.–Maisqu’est-cequetufabriquesici?Tun’espascenséeêtreencongéaujourd’hui?–Effectivement,toutcommetoi.Etjevoisquetuenprofitesbien.Tufaislesboutiquesdebonmatin
?–Quoi?–Tonchemisier!Maisjesaisdéjàd’oùilvient,rassure-toi.–Jen’arrivepasàcroirequetusoisvenuem’espionner!–Ouietenplus je suis icidepuisplusd’uneheure !Maisnevapas t’imaginerque jeplanifieça
depuishier. Jedevais simplementdéposerundocumentpourPierre.Etquand ilm’aditque tun’étaistoujourspasdescendue…Jemesuisditquej’allaist’attendre.Jecomptaisd’ailleursmonterteréveiller!
–Katia,tuescinglée!–Jetepaieuncafé?–Jen’aipastropletemps.–Tuesencongé…–Etj’aiunetonnedechosesàfaire.–Danstonminusculestudio?–Katia…–Allez,viens,jet’inviteenface,chezCarlo.Nousseronsplustranquilles!–Jenesuismêmepasdouchée…–Jevoisça.Etjustement,c’estd’autantplusamusant!Katiam’attrapeparlamainetadresseunpetitsigneàPierrequinousregardepartirverslecaféd’en
face en se marrant, quoiqu’un peu déçu de ne pas pouvoir nous rejoindre. L’équipe de cet hôtel est
vraimentdingue,c’estsansdoutepourçaquejel’aimeautant.***
–Oh,MadrediDio!Jen’arrivepasàycroire!Dis-moiquetuvaslerevoir!Je viens de conterma petite aventure de la veille àKatia, sans rentrer dans tous les détails, bien
évidemment,maisen lui lâchantmalgré tout lepluscroustillant.Ellen’estpasqu’unesimplecollègue,elleestmonamie.Maseuleamie.Jeneprendsplusdepincettesavecelledepuislongtemps.
–Jenepensepas.–QUOI?–Cen’estpasunebonneidée.C’estunclientdel’hôtel.Jerisquemonposte.KatiaexplosederireetmanquedemerecrachersonLatteMachiattodessus.–Lily,jet’enprie,dis-moiquetun’espassérieuse!–Ehbien,si.–Jen’ycroispas…lâche-t-elletoutensecouantlatête.–Jeneveuxprendreaucunrisque.–Lily,tueslaseulenanasurcettefoutueTerre,quivadirenonàuntypequiafaitouvrirl’unedes
boutiqueslespluschicdelacapitalepourt’acheterunchemisieràseptheuresdumatin.Tulesais?–Tudisn’importequoi!–Lily!Réveille-toi!Toutlestaffenparledéjà!Tucroisqu’ill’asortid’unepochettesurprisepeut-
être?–Toutlestaffenparle?Non…Sicelaremontejusqu’àRidiet,jesuismorte…–Jesuisentraindetedirequelemecquit’afaitejouircommeunereinehiersoirafaitouvrirun
magasinpourtoi,etlaseulechoseàlaquelletupensesc’estàRidiet.Dis-moiqueturigolesLily,jet’ensupplie.
–Ilfautvraimentquejeluidisequejeneveuxpluslerevoir.Je suis prise de panique. J’ai l’impression que mon monde peut s’écrouler à tout instant et ce,
simplementàcaused’unebaiseendiablée.Jemelèveprécipitammentdemachaise.–Lilymaisqu’est-cequetufais?–JevaisvoirPierre.–Quoi?Mais…Ellen’apasletempsdefinir.JesuisdéjàsortiedechezCarloetjetraverseprécipitammentlarueen
direction de l’hôtel. Je franchis la porte et fonce vers la réception. Pierre et Marita, l’autreréceptionniste,mefixentavecincompréhension.
Je fonce dans le back office, attrape une enveloppe et un papier sur lequel je rédige rapidementquelques lignes. Je retiremon chemisier et saisis la vieille veste d’hiver accrochée au porte-manteaudepuisdesmois.Personnenesaitàquielleest,doncpeuimporte.Jeglisse lechemisierdansunedeshoussespourlepressingetaccrochel’enveloppedessus.Jeressorsaussitôtavecmasemi-doudouneettendsletoutàPierre,quitermineavecunclient.
–Tupeuxmerendreunservice?Ilmescrutedehautenbasavecdegrosyeux.–Euh,oui,répond-il,dubitatif.–Faismonterçadanslasuite315,leplusrapidementpossibleetsansposerdequestions.–NemedispasquetuesentraindedirenonàVictorHammer!Jet’ensupplie.–Çaneteregardeabsolumentpas!Etpuis,qu’est-cequeçapeuttefaire?–Lily.Jetravailleicidepuissixansetcelafaitautantd’annéesquejefantasmesurcetype.Comme
lamoitiédesnanasetdesmecsquiontbossé ici.Pourtant,àchaquefoisqu’ilestvenu, toujours trois
semaines,deuxàtroisfoisparan,onnel’ajamaisvuavecquiquecesoit.Tuentends,jamais!Nifemmenihomme.Onavaitfiniparendéduirequ’ilétaitasexué.Visiblementcen’estpaslecas.Ettoi,toiquiasréussiàmettrelegrappinsurlaplusraredesperles,tuosesmeprovoquerenmedemandantdeluirendrecefabuleuxchemisier?Ilenesthorsdequestion.
JerestesurleculfaceàlaréactiondePierreetlesérieuxdontilfaitpreuve.–Tuplaisantes,j’espère!–Non!–Pierre!Tumefaismontercechemisier,s’ilteplaît!Ettuarrêtestoncinéma!Onn’estpasdansun
filmavecHughGrantlà,onestdanslaréalité!Jeneveuxpasperdremonpostepouruneaventured’unsoir!Vousêtestousdinguesouquoi?
–C’esttoiquiesdingue,Lily.Jeluibalancelahoussesurletorseettournelestalons,leplantantlà.Ilssonttousentraindedevenirfouaveccettehistoire.Etdepuisquandsemêlent-ilsdemaviede
cettefaçon?Jeluilanceundernierregardnoirpourluisignifierquejeneplaisantepas.Jequittel’hôtelsans faire attention àKatia, qui attend toujours dans le café d’en face, et àGeorge, le portier, qui sedemandesûrementcequejefabriqueendoudouneàlafindumoisd’août.
Leschosessontclaires:macarrièreavanttout.Jenemereconnaispasdepuishiersoir…Etjen’aipasdeplacepourledanger.J’aisacrifiébientropdechosespourenarriverlà.Jenevaispastoutgâcherpourunhomme–pourcethomme.
***Jeudi27août,20heures,appartementdeLily.LelivreurdechezPizzaHutvientàpeinedepartir. Je fixe la«VulcanaExtrême»quimefaitde
l’œildanssoncartonavecsadoubledosedepimentetsonfromagetoutcoulant.Jeladéposesurlatablebassedemonsalon/salleàmanger/chambreàcoucher.J’ouvreunecanettedeRedbulletlancemonfilm.Cesoir,c’estjunkfoodetDirtyDancing.L’équationparfaite.Cen’estpasparcequejecuisinedesmetsraffinéstouslesjoursquejen’aipasledroitd’aimerlegras,lecoulantetlesconservateurschimiquesàhautedose!
Je me suis mise à l’aise dans mon jogging délavé après avoir passé la journée à faire quelquesboutiques,flânédansuneexpositionformidableàGreenVillageetachetépleindepetiteschosesinutilesdanslesétalesduquartierchinois.Jevoulaiscourirunpeucesoir,maisaulieudeça,j’aipréférémecouler un bain dansma baignoire sabot des années 1970.Ce futmon petitmoment de détente. J’étaiscependant un peu moins fière quand je suis sortie et que j’ai vu mon reflet dans la glace. Dans laprécipitation, je n’avais pas remarqué ce matin, mais mes fesses sont violettes et une morsure esttellementancréesurmonépaulequ’onpeutcompterlesdents.
Lesstigmatesd’unenuitparticulière…Maisjenedoisplusypenser.C’esttoutsaufraisonnable.Etpuis,cetypeestquandmêmeétrange.Il
nemeconnaîtnid’Èvenid’Adamet ilm’invitedans sa suitepourme traiter comme laplus ferventesoumise.Etlelendemain,commepours’excuserdesoncomportement,ilessaiedem’acheteravecsonchemisierdegrandemarque,pensantsûrementm’impressionneren faisantdespiedsetdesmainspourouvrirunmagasinàdesheuresimprobables.
S’ilcroitquejesuiscegenredefille…Bon,c’estvraiquej’aitapésonnomsurGooglecetaprès-midi.Maisc’étaitparpurecuriositéetdetoutefaçon,çan’ariendonné.AucunetracedeVictorHammersurleweb.Rien.Pasmêmeunevieillephotoéchouéelàparerreur.Ilestaussimystérieuxqu’étrange.Iln’estvraimentpasmongenre.Vraimentpas…
J’appuiesurlatouche«play»demonlecteuretsuisprêteàchantonnerlamusiquedugénériqueen
megavantdepizzaquandjesuisinterrompueparlasonneriedemoninterphone.–Faitchier!Coupd’œilàmontéléphone:vingtheuresdix.Celadoitêtreuneerreur.Jelaissedonccourir.Jesuistropbieninstalléedansmoncanapé.Voilàen
plusPatrickSwayzequi apparaît à l’écran.Cen’est vraiment pas lemomentdemedéranger.Le filmcommenceetjesuisdéjàplongéededans.Maiscinqminutesplustard,c’estàmaportequel’onfrappe.Jemanqued’avalermaboissonde travers sous la surpriseetm’en renverse lamoitié sur lepantalon.Personnenefrappejamaisàmaporte.Etpuis,onnepeutpasrentrersanslecode!Qu’est-cequec’estencore?
J’hésiteàallerouvrir.Aprèstout,onnesaitjamais,jepourraisfinirdanslesmainsd’unserialkiller.«Toctoctoc.»Ilouelleinsiste,enplus.Jemetsfinalementlefilmsurpause,nonsansêtrelégèrementagacée.Jeme
lèveetfaisquelquespasjusqu’àlaporte.Jeplaquemonœilcontrelejudasetn’encroispasmesyeux.Maisqu’est-cequec’estquececirque?
Jedéverrouillemasécurité,ouvrelaporte,etmeretrouvefaceàunlivreur,sanspizzacettefois-ci,quisetientdevantunedizainedebouquetsderosesnoiresdevantmaporte.Lavoisine,quejenevoisjamais,estsursonpalieretmefixeétrangement,sûrementhébétéeparcespectacle.
–Bonsoir.Jesuisdésoléed’insister,maisêtes-vousMademoiselleLouvaise?–Euh,oui…lâché-je,intriguée.–J’aiunelivraisondedixbouquetspourvousdelapartdeMonsieurHammer.Etj’aipourconsigne
devousleslivrerenmainpropre,alorsjemesuispermisd’insister…Jeleregardesanstropsavoirquoidire.Est-onentraindemefaireunemauvaiseblague?Comment
ceVictora-t-ileumonadresse?Etpourquoimefait-illivrerdesfleurs?Autantdefleurs,quiplusest!Desrosesnoires…Quelleenestlasignification?Jen’enavaisencorejamaisvu.Toutçaesteffrayant.Jecommenceàregretterd’avoircédéàsesavances.
–J’aimeraisvraimentfinirmonservice,mademoiselle…Alorssivouspouviezsigneretenéchange,jevousaideàlesrentrerchezvous…
Ilmesuppliedu regardet je reprendsmesesprits. Jenemesuis jamaisautantposéedequestionsavantcettenuit…J’attrapelafeuillequ’ilmetendetjegribouillerapidementunesignature.
–Elles sont toutesdéjàdansunvase. Jevous lesmetsoù?demande-t-il, contentdepouvoir s’endébarrasser.
Jeleregarde,metourneversmonappartement,puislefixeànouveau.Jenevoispascommentjevaispouvoircasertoutçadanstrente-cinqmètrescarrés,maisjesemblenepasavoirlechoix.
–Oùvouspouvez…dis-jeavecunecertainefatalité.Prenantdeuxvasesenmain, ilpasseleseuildelaporteetobserveleslieuxafindedétermineroù
poser les premiers. Il a la gentillesse de ne pas prêter attention à mon pique-nique improvisé. Jel’observe faire sesaller-retouretposer lesvasesunàun,de lakitchenetteau salonenpassantpar lasalledebains.Jel’observefaire,essayantdeluiindiquerunmeuble,unechaise,unetable.Ilterminedetoutdéposeretjeleraccompagneverslasortie,quelquepeuchancelanteendécouvrantmonintérieur.
–Merci,murmuré-jepéniblement.Ilmefaitsignedelatêteavantdequitterleslieux,soulagédepouvoirenfinrentrerchezlui.Jeme
retrouveseule,avecPatrick,mapizzafroideetunecentainederosesnoires.Unjeudisoirtoutcequ’ilydeplusordinaire…
***–MadrediDio!Onsecroiraitdansuncimetière!
Pourladeuxièmefoisdelajournée,j’entendsKatiaprononcercettehorriblephrasealorsquejemetiensàcôtéd’elledansmonappartement.
Ilestvingt-et-uneheureetilneluiafalluquetrenteminutespourdébarqueralorsqu’ellehabitedel’autrecôtédelaville.J’avaisbesoind’ellepourunétatdeslieuxetelleaaccouruaprèsmoncoupdefilspécial«situationdecrise».
– Je n’avais pas vu ça comme ça,maismaintenant que tu le dis…Elles sentent bon,mais quandmême,cechoixdecouleur!
–Àquiledis-tu…–Quedisaitlemot?s’empresse-t-elledemedemander.–Lemot?–Ehbien,lemotaveclesfleurs!JefixeKatia,complètementperdue,cequilafaitsoupirerdeplusbelle.–Lily,nemedispasquetun’aspasregardédanslesbouquetss’ilyavaitunmot!–Non…–Tuesune«cosalost»tulesais?–Unequoi?–Unecauseperdue !Commentas-tupunepaspenseràcedétail ?C’estpourtantévident ! Ilya
toujoursunmot!Onnet’ajamaislivrédefleursouquoi?–Si,réponds-jeenhaussantlesépaules.–Alors!–Excuse-moiKatia de ne pas avoir pensé aumot,mais vois-tu j’étais déjà bien assez occupée à
chercherunsensàtoutça!–Quetuauraisputrouveraveclemot!Exaspérée,dépassée,j’échappeunlongsoupiretnousnousrépartissonslesbouquetsenvérifiantun
parunsiunenotenesecachepasdansl’und’entreeux.–Bingo!crie-t-elletoutàcoup.Jemetourneprécipitammentetladécouvretenantfièrementenl’airunejolieenveloppedorée.Elle
l’ouvresansm’attendreetjetentedeluiarracherdesmains.Ellereculeetlacachederrièresondos.–Ahnon,pasquestion!Jeveuxvoirçaenpremier!Tun’avaisqu’àypenseravant!–Katia,nefaispasl’enfant,s’ilteplaît.Ellesetourne,essayantdem’évitertoutensortantlafeuillesurlaquellejereconnaisimmédiatement
l’écriture.Elleparcourtrapidementlalettreetsesjouesdeviennentbrusquementécarlates.Lesyeuxécarquilléssousl’excitation,unsourirebéatsurleslèvres,ellepivotelentementversmoi.–Lily?–Tuvasmedonnermalettre,maintenant.Ellenesemblepasréagir.–Qu’as-tuditexactementàceVictorenluirendantsonchemisier?–Riendespécial,pourquoi?Ellehausseunsourciletmetendenfinmondû.–Jecroisquetuasréveilléledragon…Àcesmots,tousmesdésirsseréveillentetj’arrachelemotdesmainsdemonamie.MachèreMademoiselleLouvaise,Jecroisquevousn’avezpasbiencompris.Cen’étaitpasunesuggestion.
Jeveuxvousrevoiretjevousreverrai.Je reprends le chemisier comme vous me l’avez si aimablement suggéré, cela n’est pas un
problème,jevouspréfèrenettementsansrien.J’espèrequelesfleursvousplairont.Àtrèsbientôt,VictorKatiamefixetoujourslorsquejerelèvelatête.–Jecroisquetun’aspasvraimentlechoix,mapetiteLily.TuvasdevoirrépondreàcecherVictor.–Horsdequestion!m’exclamé-je,indignéequ’ellepuisseimaginerunechosepareille.–Tuplaisantes,j’espère!s’égosille-t-elle.–Maisc’estungrandmalade!Jenesuispasàsonservicesimplementparcequ’ilm’afaite jouir
cettenuitetilnevasûrementpasmefairecéderavecdesfleurs!Encoremoinscegenredefleurs!Monappartementressembleàceluid’unepseudogothiquedequinzeansfandeTwilight!ajouté-jeencriantpresqueetenagitantlesmainsdanstouslessenspourdémontrerlafoliedecethomme.
–Moi,jetrouveçasexy.–Lesfleursoulecomportementdepsychopathe?–Lesdeux,dit-elleenhaussantlesépaules.Jesoupireetattrapeunevestequitrônesurlecanapé.–Qu’est-cequetufais,medemandeKatia.–Jesors!–Maintenant?Danscettetenue?–Depuisquandest-cequ’ilfautêtrehabilléecommeuneprincessepourallerboireunebière?–Tuvasallertesaoulertouteseuledansunpub?–Non,biensurquenon.–TuvasappelerVictor?–Sûrementpas!–Maisoùvas-tualors?–Jevaisdanslebarenbasdelarue,boiremabièrepuiscommandertouslescocktailsdelacarte
pourmechangerlesidéesettoi,ajouté-jeenlapointantsubitementdel’index,tuvasm’accompagner!–Mais…–C’estnonnégociable,Katia!Etjel’attrapeparlamanche,latraînantàl’extérieur,abandonnantfleursetpizza.
***–Lily,descends.Tuvastefairemalàlafin!paniquemonamie.Il est vingt-trois heures, Katia et moi sommes dans le bar de mon quartier. Voulant évacuer la
pression,jesuisdeboutsurunedestablesentraindedansersousleregarddesnombreuxclientsamusés.InutiledepréciserquejesuissaoulecommetoutelaPologne.J’airacontélamoitiédemavieàKatiaetàquivoulaitbienl’entendre.
L’endroit est d’ordinaire très agité, avec de la musique électro et les jeunes du quartier, qui s’yretrouvent pour lesThursdayNight. Jeme fonds donc presque dans le décor. Si on oubliema tenueaffreuse.Sanssavoirquandnicomment,j’aiquandmêmedéchirémontee-shirtquej’ainouéaumilieudunombrilpourpasserinaperçue.C’estraté…Jeressembleàunevieilledanseusedehip-hopdesannées1990aveccettedégaine.
–MaisnonKatia,t’inquiète!Jegère!Youhou!crié-je,complètementailleurs.JedanseenrythmesurlesondeCalvinHarris.Jenesaispastropcequim’arrive,maisunechoseest
sûre:j’avaisclairementbesoindemedétendre!Je ne prête plus attention aux gens, aux sons, auxmouvements. Je suis dansmonmonde.D’autres
personnes semettent àmonter sur les tables et l’ambiance devient électrique. Le bar est en feu, toutcomme moi. Les gens lèvent leurs verres, rigolent, chantent, dansent, se collent les uns aux autres.L’atmosphèreestétouffante,noustranspirons,maisnouslâchonsprise.MêmeKatiaafiniparcéder.Elleestàprésentaccoléeaubarvisiblemententraindesefairedraguerparundesserveurs.Etellenesemblepas mal à l’aise. Bien au contraire. Je ferme les yeux et laisse la musique m’envahir. Je me sensétrangementsexymalgrélesapparences.Jenedisrienquandquelquescorpssepressentcontrelemien,jem’enamusemême.Lilysageettranquillen’estplusqu’unsouvenir.
Cesoir,ledragonaréveilléenmoilapartiequejepensaisendormie.Jedescendsdemonperchoiretcontinuedemedéhancheraumilieudelafoule.Repenser à cet homme me donne des hallucinations. Je ne sais pas si c’est l’alcool ou l’envie
complétementfolleetinavouéedelerevoirquimeprocurecesvisions,maisilmesemblel’apercevoirdanscettecohue.Non,jedoisrêver.Jenevoispascequ’ilferaitici.Danssonpetitcostumesur-mesureaumilieudu«peuple».Jel’imaginebiendanscegenredesoiréesoùons’ennuiecommejamaisetoùtoutlemondesembleavoirunbalaidanslederrière.Jerigoletouteseuledecetteimagequandjesensunemainglisserautourdematailleavantd’êtrebrusquementtiréeenarrière,mecoupantlarespiration.
Je pivote sur moi-même et me retrouve contre un torse musclé moulé dans une chemise blancheéclatantesouslalumièredesspots.Jelèvelatêteetilplongesesprunellesdanslesmiennes.Sesyeuxd’unvertenvoûtantsontvoilésparunecolèresourde.Sonregardestsombreetm’appelleàplongeravecluidanslesflammesdel’Enfer.
Victor…Ledragon,sortidel’ombre,estvenucherchersaproie.Ilsaisitmescheveuxetattiremonvisageverslesien.Ilsepenchedélicatementversmoncoutandis
quetoutmoncorpssemetàfrissonner.Ilnemelâchepas,resserrantsonétreinte,etjesensseslèvresfrôlermonoreille,memurmurantaveclenteur,commelechantdessirènes,commeunlentpoison:
–Jecroisquetun’astoujourspascompris,maLily…Ses paroles sont enchanteresses, ellesm’hypnotisent. J’en oublie presque de respirer. Il saisitma
mainetm’emmènevers la sortie,bousculant tout lemonde sur sonpassageet arrêtant lesplusagacésd’unsimpleregard.Complètementsoussonemprise,jemelaissefaire.
Nousnousretrouvonsrapidementsurletrottoirdevantlequelestgaréeuneberlinenoireauxvitresteintées.Ilouvrelaportièrearrièreetm’inviteàyentrer.Ilprendplaceàmescôtésetdonnequelquescoupssurlavitre,fermée,quinousséparedel’avantdelavoiture.Àcesignal,lavoituredémarredansuncrissementdepneus.
Jenecomprendsrien…Maistoutcelam’enivreetm’emporteversunautremonde.Sonmonde.Victorsetourneversmoietjesuisunenouvellefoiséblouieparsabeauté.Destraitssifins,unepeau
lisse,desyeuxclairs,unebouchecharnueetdes cheveux sombrespeignés enarrière. Il ressembleraitpresqueàunange.Unangepleind’écailles.
Ilpassesamainsurmajouealorsquejen’aitoujourspasprononcéunmot.–Tuesincorrigible,Lily.Maisçameplaît.Ilneditriendeplus.Etmoinonplus.Ilsepencheversmoietsamainglissejusqu’àmoncou.Illeserre.Doucement.Puislégèrementplus
fort quand il croise mon regard suppliant. Je ne le lâche pas du regard et il sourit avant de passerlentement sa langue sur le bout demes lèvres. Je frissonne. Ilme pousse contre la portière, samaintoujoursautourdemoncou, l’autreeffleurantma tailledénudée. Ildescendsabouchesurmonépaule,mordillantdoucementmapeau.Jem’embrase.Ilvientembrasserlecreuxdemapoitrine,resserrantson
étreinte.Lapressionqu’ilexercesurmoin’estpasmenaçante, jenemesuismêmejamaissentieaussivivante.Ilintroduitsamainàl’intérieurdemonjoggingetcaressemonentrejambe.Jesuisdansunétatsecond. Il écarte le tissu et entre brusquement enmoi.Cette intrusionme coupe le souffle. Sa boucheremontesurlamienne.Ilm’embrasse,etcontinuederemuersesdoigts.Jeperdslecontrôle.
Jeperdslanotiondutempsetquandilsentquejesuisauborddeladélivrance,Victorseredresse.Jepousseunpetitgémissementlorsqu’ildégagesamaindemoncou.Ilmefixe.Nemequittepasdesyeux.Ildéboutonnesaceintureetjeretiremontee-shirt.Ilfaittombersonpantalonlelongdesescuissesfinesmaismuscléesetcaressesonsexeàtraverssonboxerbientropserré.Jelepousseàmontourpourleforcer à s’allonger etmepenchevers luipourme saisir de saqueuequipointedansmadirection,nedemandantqu’àêtrelibérée.Ilattrapemescheveuxtandisquejeluiretiresonboxer.Jelesenstremblersousl’excitation,sousl’attente.Jenecomprendsabsolumentpascequim’arrive.Jen’aijamaisvraimentétédugenreàprendredesinitiativesquandils’agitdesexe,jenepensaispasquejepourraistrouverduplaisiràlâcherprisedelasorte.Etpourtant…Pourtantjesuistellementenvahieparcettevoluptéquejesensmaproprehumiditécoulerlelongdemonentrejambe.J’entrouvremabouche,m’avançant,frôlantceglandquis’offreàmoietilsefondàl’intérieur.Jel’entendspousserdesrâlesalorsquejecontinuemesva-et-vient.Ilattrapemamainetlaguideverslabasedesonsexe.Samainsurlamienne,j’exécutedelentsmouvements,accentuant lessensationsque luidonnentdéjàmes lèvresetma langue.Je l’entendspousserdesrâles,jelesenssecontractersouslamontéedesonplaisir.
Soudain, il repoussemon visage et le redresse jusqu’au sien, passe samain autour dema boucheavantdelaglisserderrièrematêteetm’embrassedansunélansauvage.
C’estàlafoisterriblementbrutaleteffroyablementbon.Ilmepousseàprendresaplacesurlabanquette,latêteenavant,unemainappuyéesurmondospour
m’immobiliser. Il tire sur mon jogging et je me cambre sous ses caresses. Il tire sur ma culotte etembrassemesfesses,qu’ilmalaxesansretenue.
Dansungesteprécipité,ilretiremondessousetj’entendslebruitd’unemballagequel’ondéchire.Jetournelatêteetiltiresurmesjambes.Ils’allongesurmoi,unemainbloquanttoujoursmondos.Ilglissel’autreentremescuissesetjedevinesonsourirequandillapassesurmonintimitétrempée.
Ilmesoulèvelégèrementet,lasecondequisuit,ilmepénètred’unbrusquecoupdereins.Ilagrippema taille d’un côté et la serre fort. Il s’accroche désespérément à moi. Il bascule fortement etprofondémentdansunmouvementrapidedeva-et-vientetunechaleurimmenseenvahitpetitàpetitmoncorps.Quelquechosedenouveau.Quelquechosed’effrayantetdemerveilleuxà la fois.Jememetsàgémiretlesupplieintérieurementdecontinuer.Jem’embrasedanschaquepartiedemoncorpsetjepeuxsentirlesbattementsdemoncœurvibrantaurythmedesessecousses.Unnœudimmensesedessineaucreux demon ventre. Je n’y tiens plus. Jememets à trembler de partout et, sans que jem’y attente,j’explose.Unevaguedeplaisirmesubmergeetmeparcourtdurantdelonguessecondes.Jenerépondsplusderien.Toutmeparaîtlointain.IlmerestejusteassezdeforcepourentendreVictorhurlermonnometlesentirtombercontremoi.
Sonvisagesecolleaumien,sesbrasseglissentautourdemoietjesenssonsoufflequis’allongeaucreuxdemoncou.Mesyeuxseferment.Sesmainsseresserrentsurlesmiennes.Sabouchevienttrouvermonoreilleysusurrantquelquesmots.Quelquesmotsquiallaienttoutchanger:«Tuesàmoiàprésent,Lily.»
4.RetouràlaréalitéVoilà une petite dizaine de jours que je suis installée au domaine desVanRuten. Je commence à
prendremesmarquesetàm’intégreraumilieududuodechocqueformentLouisetIris.Jecroisqu’iln’yapasunjouroùjen’aipasunfouriregrâceàeux.Nousapprenonsànousconnaîtredoucementetcelamefaitunbienfou.MadameVanRutenestunepatronnecommeonenrêve:trèspeuprésente,toujourssatisfaite.Ellea,àchaquerepasquejeluiprépare,uneattentionenversmoietlaqualitédemesplatsquimeredonnel’envied’innover,decréer.
J’avais peur qu’il m’ait fait perdre le goût de tout…Mais il n’a pas réussi cet exploit. Il s’estcontentédemoncœur.
–Àquoipenses-tu,Lily?Jemanquedelâcherlesépicesquej’étaisentrainderéorganisersurl’étagère,surpriseparl’entrée
d’Irisdanslegarde-manger.–Tum’asfaitpeur,Iris!–T’asqu’àarrêterdepenserenteplanquantdanslaréserve!–Jenemeplanquepas,jerange,contré-je.–C’estpareil!Enfin,jevenaisjustetechercherpourtemontreruntrucplutôtsympa,déclare-t-elle
enmelançantunclind’œil.–Ahoui,quoidonc?demandé-je,amusée.–L’équipedepaysagistesestarrivéeetlechefdechantierestcarrémentcanon.–Jevois…–Tunevaspaspassertaviecommeunenonneparcequ’unconnardt’afaitunsalecoup!Sonespritdedéductionnefinitpasdem’étonner.Commentunejeune-fillequimeparaîtsiinnocente
arriveàlireenmoicommedansunlivreouvert?–Quiteditqu’unconnardm’afaitunsalecoup?Ellemefixe,déçuedenetoujourspasavoirplusdedétailssurmonpassé.Cen’estpaslapremière
foisqu’Iristentedemetirerlesversdunez.Maiselledécidevisiblementderemettrel’interrogatoireàplustardquandellemelance:
–Bon allez, viens, tu continueras de ranger tout à l’heure.Louis est déjà là-bas, il doit baver surplace.
JemeretournerversIris,haussantunsourcil.–«Baver»?–Benoui,baversurlecanon.Devantmonincompréhension,elleajoute:–Oh,maisLily!Nemedispasquetun’aspasencoreremarqué!–Remarquéquoi?–Jen’ycroispas…Etc’estmoilacampagnarde…Ellesoupire,secouelatêteetjelasuisendirectiondujardin.Jenesaisistoujourspascequ’ellea
voulumediremaiscen’estpasgrave.Ellefinirabienparm’expliquer.Ellenesaitpastenirsalangueplusde cinqminutes.Ellemeprécèdedans les alléesquimènent au fondduparc, sautillantdans sonmanteaucoloré.
Lemoisdedécembre est arrivé etMadameVanRuten a insisté pourque les arbres soient coupésavant les grands froids, pourmieux repartir au printemps. Pendant une semaine il va donc y avoir dumondeici.
Auboutd’unebonnedizainedeminutesdemarche,j’entendsquelqueshommescrieretlebruitd’unetronçonneuse. J’aperçois les machines à broyer et un gros pickup noir étrangement familier. Nousarrivonsdevant lepetitcottageet ils sont tous là.Deuxhommessonten traind’accrocher leurharnaisavant d’entreprendre l’ascension des gros sapins qui penchent un peu trop au-dessus du toit de lamaisonnette.Louisesten face,et ildiscute,endansantd’unpiedsur l’autre,avecunhommequinoustourneledos.
–Regardedonccebeaupetitcul!Jepivotevers Iris, surprisepar son franc-parler,mais elle est ailleurs.Elle etLouis sont tous les
deuxconcentréssurl’hommeauvieuxjeansetàlavestekaki.C’estvraiqu’iln’apasl’airdésagréableàregarder.Ilestgrandavecdelargesépaulesetsonjeans,
aussivieuxetabimésoit-il,metrelativementbienenvaleursesfesses.Jemerendscomptequec’estlapremièrefoisquemonregardseposesurunautrehommedepuisVictoretcen’estpas laface laplusappropriée.
–Mate-moicecoquindeLouisquisetrémousse!Tucomprendscequejevoulaisdire,là,rassuremoi?
–Jecroisquej’aisaisis,Iris.Ilestcertainqu’àlavuedusourireetdel’attitudedemonchervoisinetcollègueàcetinstant,jene
pouvaispasêtrepluséclairée.LouisfaitunsignedansnotredirectionennousapercevantetIrislèvelesbrasaucielcommes’ilsetrouvaitdel’autrecôtédelapropriété.
Intriguéparlesmouvementsdesoninterlocuteur,l’hommesuitsonregardetsetourneversnous.Cevisage,ceregard,ceslèvres…Jeresteahuriequelquesinstantsetfulminedéjàauxsouvenirsdecetype.
C’estimpossible!Jen’ycroispas.Là, devantmoi, un sourire narquois naissant au coinde sa bouchedès qu’ilme reconnaît, se tient
ValentinGauthier,l’enfoiréquiaemboutimavoiturelasemainepassée.Jesavaisquelepickupnoirnem’étaitpasétranger.
–MademoiselleLouvaise!lance-t-ilavecunepetitepointed’ironie.Mesamispivotentversmoietmefixent,étonnés.Irischuchoteàmonintention:–Tuconnais«beaucul»?Jenerépondspas,niàelleniàl’autreabruti.Louiss’avanceversnous.–Lily,jeteprésenteMonsieurGauthier,lepatrondelasociétédepaysagisme.–Onseconnaîtdéjà,s’amuseValentin.Alorscommeçaonhabitedansunchâteau?–Jetravailleici…–Vousm’endireztant…lâche-t-il,apparemmentpeuconvaincu.LouisetIrissesententtoutàcoupmalàl’aise,maismafidèlecollègue,quin’apaslalanguedanssa
poche,tentetantbienquemaldeprendremadéfense.–Lilyestunechefdetalent!–Oui,biensûr!continue-t-ild’ironiser.–C’estvraiquevousavezl’airdevousyconnaître,vous…lâcha-t-elle.Sachezquesacuisineétait
trèsréputéeàLondres.–«Était»?répète-t-ilenforçantl’interrogation.Irisdevienttouterougeetjemedemandesiellevaexploser.–Non,maisc’estquoivotresouci?–Iris,calme-toi,çanesertàrien!Tuluidonnesdugrainàmoudre,allons-nousend’ici.
Jel’attrapeparlesépaulesettentedelacalmer.Louisresteplantécommeunpiquetaumilieudelascènetandisquelepaysagisteetsonéquipes’éloignentenrigolant,trèsamuséparcebreféchange.
–«Chef»?Unenanapareille!rigole-t-il.Je l’ignore et persuade Iris d’en faire autant alors que Louis se décide à nous rejoindre. Nous
avançonsd’unpasrapideverslemanoirlorsqu’Irismedemande,encorerougedecolère.–Qu’as-tufaitàcetypepourqu’ilsemoqueainsidetoi?–Absolumentrien!C’estluiquim’estrentrédedansavecsontanklepremierjour!Ils’estamuséà
merendrefolle.Commes’ilmenaitunevengeancepersonnellecontrelesfemmes…Jenepensaispaslerevoir…J’espèrequ’ilneviendrapastoutelasemainesursonchantierparcequesinon,jem’installeàl’hôtel!
–Jecrois,hélas,qu’ilvaêtresouventlà,m’adresseLouis.–Ilestpeut-êtrebeau,maisc’estunidiot,conclutIris.–Ilestpasmal,c’estvrai.–OhLouis,çavahein!OnavutonpetitjeuavecLilyenarrivant!Tunevaspasnousfairecroire
quetuletrouvesjuste«pasmal»!Ungrandténébreuxauxbouclettesnoiresetàlacarruredeboxeur,c’esttoutàfaittongenre!
DevantlemalaisedeLouis,j’essaieaumieuxdedétournerlaconversation.– Et puis, que voulait-il dire par « une nana pareille » ?Qu’est-ce qui paraît improbable ?Mon
métier?C’estparcequejesuisunefemmevouspensez?À l’instant où je pose cette question je sens que j’aurais mieux fait de laisser Louis dans son
embarras.Ilssetournenttouslesdeuxversmoi,nesachantquoirépondre.–Ehbien…commenceLouis.–C’est-à-dire…continueIris.Jem’arrêtenetdansnotremarche,lesfixantchacunleurtour.–«C’estàdire»,quoi?m’exclamé-je,toutàcoupsurladéfensive.–Nonmais,t’énervepas,Lily,ont’aimebien,nous,tusais.–JesaisIris,maisjevoudraisbiensavoircequevousinsinuezexactement!Louisseraclelagorgeetregardeailleurs.–Louis!–Ehbien,Lily,commeleditIris,l’essentielc’estque,nous,ont’aimecommetues.–Maiscommejesuis«quoi»?beuglé-je.Iristortilleunemèchedesescheveux.–Neleprendspasmal,Lily,maisquandont’avuarriverlapremièrefoispourtonentretien,ona
priétrèsfortpourquetunesoispaslanouvellecuisinière…–Pardon?–Iris!tentedel’interrompreLouis.–Tuesadorable,trèsgentille,attentionnéeettucuisinesvraimentbien.Onrigoleénormémentavec
toi.Maisquandontevoit,onnes’attendpastropàça.–Etons’attendàquoiexactement?–Tonapparencereflètetoutlecontraire.Depremierabord,tusemblestrèsvoiretropstricte.Tues
limitemaigrepourunecuisinière, tuas l’air trèsBCBGdans tespetits tailleurs, tu roulesencabrioletallemand,riennedépassed’unmillimètre.Tuesblondeplatine.Tuasunregardfroidetdistant,presquehautain.Bref,sansvouloirtomberdanslesclichés,tufaisvraimentpetitepestebourgeoisecoincée.
–Jevois…dis-jeenregardantdanslevide.Jemepincefortl’intérieurdemajouepournepascraquer.
–Lily…Nesoispasfâchée.–Jenesuispasfâchée.Ses mots sont tranchants. Ils sont douloureux. Ils me ramènent à une réalité à laquelle je tente
d’échapper… Je tente de retenir les larmes qui memontent aux yeux et que je ne peux pourtant pasexpliquer.Jesuisàlafoissurpriseetpeinéeparleportraitqueceuxquejeconsidéraisdéjàcommedesamis viennent de faire demoi. Louis essaie de s’approcher, percevant sûrementma tristesse,mais jerecule.
–Je…Jevaisretournerranger,murmuré-je.–OhLily,excuse-moijenevoulaispasteblesser.Noust’adorons,tulesaisbien!–Iris,s’ilteplaît.J’aibesoind’êtreseule.–Lily…Je m’éloigne en direction de la maison et Louis la retient alors qu’elle tente de me suivre. Il
comprend.Commentai-jepuenarriverlà?CommentlapetiteIris,sigentille,a-t-ellepupenserquelquechosed’aussiinsensible?
Qu’a-t-ilfaitdemoi?Jusqu’oùsonemprisea-t-ellelaissédesmarques…?***
Jepasselamatinéeàréorganiserlegarde-manger.Celamedémangeaitdepuismonarrivéeetjesuisenfinpasséeàl’action.Jepensequej’avaisjustebesoindeprendremesmarquespouravoirlasensationderangermesaffairesetnoncellesd’unautre.
JesuisentraindepréparerlerepasdeMadameVanRutenetIrisdoitbientôtmettrelatable.Elleestdoncobligéedevenirencuisinemedemandercequivaêtreservietjelasensarriverdepuislefondducouloirtantsonmalaisetranspire.
Jesaisqu’ellen’apasvoulumeblessercematin,etqu’aufondellem’aimebien,etjedoisavouerquejel’apprécieaussi,toutcommeLouis.Enréalitécenesontpassesproposquim’ontblessée,maisleurtristeréalité.Jesuistellementencolèrecontrelui,contremoi,contretoutcequ’ilafaitdemoi.
Jenepensaispas…Jenepensaispasqu’ilavaitlaisséautantdeluienmoi.–Lily?Iris se tient devant le seuil de la cuisine n’osant pas entrer, jouant avec lesmanches de son pull
commeàchaquefoisqu’elleestmalàl’aise.–Oui?–Quevas-tuservircemidi?– Terrine de poisson suivie de polenta et de soja mariné. Et une coupe d’abricots poêlés aux
amandes,pourledessert.–OK…S’apprêtant à faire demi-tour pour prendre la direction du salon et du vaisselier, je me décide à
l’interpeleretàmettrefinàcettequerelleridicule.–Iris?Elles’illuminetoutàcoupetjeluisouris.–Jen’étaispascommeçaavant,tusais.–Avantquoi?–Avant…–Avantleconnard?Jerestesilencieuse,maisellecomprend.–Tumeraconteras,unjour?–Jenepensepas.
–Celateferaitdubien.–Jesais.Maiscertaineschosessontfaitespourneplusjamaisêtrementionnées.–J’aimeraisbienavoirtaforce.–Maforce?Jenesuispassûred’enavoirtantqueça.–Tuesquelqu’undecourageux.J’ensuissûre.Taprésenceicienestlapreuve.Tuverras,l’avenirte
réservedejolieschoses.–Tutireslescartes?tenté-jedeplaisanter.–Non,maisjemetromperarementsurcegenredechoses!JerigoleetIriss’éloignepréparerlatable.Jesuiscontentedecettepetitecomplicitéquiestentrain
de naître entre nous. Iris est fraîche, nature, sincère. Elle est ce genre de filles en qui on peut avoirconfiance,quinecacherajamaisrien,quidiratoujourscequ’ellepense.EllemerappelleKatia,enplusjeune.
Katia…Ellememanquetellement.Maisjen’avaispaslechoix.Jenevoulaispasqu’ilmeretrouve.***
AprèslerepasdeMadameVanRutenetavantledépartd’Iris,nousnousretrouvonstouslestroisencuisine, avec Louis, pour manger nos parts du déjeuner. Le premier jour, la maîtresse des lieux m’apréciséedevanteuxque jepouvaiségalementcuisinerpournous, tantquecelan’empiétaitpassursesrepas.Cen’estvisiblementpas tombédans lesoreillesd’unsourdpuisqu’ilsme retrouventquasimenttouslesmidispourdévorerleursportions.
–Lily,jepourraismourirpourtacuisine!–C’estgentil,Iris,ris-je.–La petite a raison, je ne pensais pas dire ça un jour,mais on peut se régaler sansmanger de la
viandepourautant!Enfin,c’estsurtoutparcequec’esttoiquiprépares!Bon,parcontre,sionpouvaitsefaireunrepasavecleDragibus…déclareLouis.
Irisritdeboncœuravantd’ajouter:–Oh,tuasraison,Louis.Jerêvedel’étranglercemachin!Jelesobservenecomprenantpasdequiilssontentraindeparler.–Dragibus?QuiestDragibus?Ilslâchenttouslesdeuxleurscouvertsetpivotentleurtêtedansmadirection.Iris,labouchepleine
d’abricotsauxamandes,mebaragouine:–Tueslàdepuisplusd’unesemaineettun’aspasencorefaitlaconnaissancedeDragibus?Louis prend alors la parole, parlant doucement et se penchant légèrement sur la table comme s’il
allaitmerévélerunterriblesecret:–Dragibusestl’undeschatsdudomaine.Unpetitrouquinobèseaunezécraséquitraineentreiciet
lamaison.VanRuten l’adore.C’est levieuxEdweilsh, lenotaire,qui le luiaoffertdeuxansplus tôt.C’estunpersan.TuasvuCendrillonquandtuétaispetite,jesuppose?Tesouviens-tudeLucifer?
–Oui,affirmé-jeaprèsavoirfouillédansmessouvenirsd’enfance.–Ehbien,Dragibusestaussibête.Situcroisesparmalheursonchemin,ilnet’épargnerapas.Ilest
vicieux,sadique,perversetj’enpasse.Etdèsqu’ilaperçoitlapatronne,ilsetransformeenunevéritablebouledepoils.C’estlediableincarné.
J’explosederireenlesregardantsisérieuxausujetd’unsimplechat.–Vousvousmoquezdemoi,c’estça?–Non,Lily.C’estsérieux,reprendIris.Ilmefaitpeur.D’ailleurs,jesuissûrequ’ilnousobserveà
cetinstant!C’estquandmêmefouquetunel’aiespasencorevu.Ildétestelesintrus.Lepeudevisiteursqui sont venus ici ont eu le droit à des chaussures déchiquetées, de l’urine sur leurs vêtements, des
griffuressurlesmollets.–C’estlimiteunepanthèrequetumedécrislà,Iris.JemelèveetdébarrasseleursassiettestandisqueLouispréparelecafé.–Unepanthèreestsûrementplusgentille!Jesecouela têteenmettant lesplatsdans l’évier. Iris, lesyeuxplissés,déclareavec leplusgrand
sérieux:–Jesuissûrequ’ilprépareunsalecoup.C’esttropétrange.Ilauraitdûagirdepuisunmoment.Louisacquiesced’unvifmouvementdetête.–Jesuisd’accord.Cettesalebêtemaniganceuntruc.Jeprendssurmoipournepasriredenouveaufaceàleursérieux.Jesaisqu’ilsneplaisantentpas,
maisj’aidumalàlescroire.Ilssontsidrôlessanslevouloir,jen’avaisjamaisencoreeuunediscussionaussiprofondeausujetd’unchat.
–Bonjevaisyallermoi,jevaisêtreenretardsinon!Irisselèveetattrapesavesteetsonbonnetqu’elleavaitposéssurlachaiseavantlerepas.–AufaitIris,jenet’aipasencoredemandé,maisquefais-tuquandtun’espasici?Tuvasdansune
école?Tuasunautretravail?–Oui,j’aiunautretravail,maisc’estlesoir.Lerestedutempsjem’occupedeJules.–Jules?–Monfils.Plusquesurprise,j’enlaissepresquetomberleverrequejetiens.–Tuasunfils!–Oui.Iladeuxans.C’estmamèrequilegardequandjenesuispasaveclui.Elleestnounoualorsun
deplus,undemoins…Jenesaisplustropquoidire.Irisestsijeune.Elleal’airsilibre…–C’estsurprenant,jesais,lâche-t-elle.–Non.Dumoins,si,quandmêmeunpeu.Jeveuxdire…Tuessijeune!Jenepensaispasque…–Etpourtant,si!Jesuismaman.Peut-êtrepaslameilleure,peut-êtrepaslaplusintelligente,mais
monfilsestmonplusgrandbonheur.Etmêmesijepouvaisrevenirenarrière,jenechangeraisrien.C’estcommeça,etjesuistrèsheureuseainsi.Bon,jevouslaisse,jedoisvraimentyaller!J’aimeêtrelàavantqu’ilailleàlasieste,ilcomptesurmoipoursonhistoire!
Elleenfilesonbonnetetseprécipiteverslasortie.–Àdemainlesamis,bonaprès-midi!EtLily,surveillebienlesalentours!JesuissûrequeDragibus
préparequelquechose!crie-t-ellealorsqu’elledisparaîtdanslecouloir.Je resteplantée là,devant l’évier,encoresous lechocdecettedernière révélation.Louisseplace
faceàmoi,unetasseàlamain.–Café,peut-être?demande-t-ilgentiment.–Avecplaisir.Jem’installeànouveauàtableetLouisremplitmatasseavecattention.Jel’observesansriendireet
ils’installeàsontour.–Elleadix-huitans,souffle-t-il.Ilplongesonregarddanslemienetjesensqu’ilestsurlepointdemerévélercertaineschoses.Il
comprendquejenesuispasdugenreàlesrépéteroumêmelesjuger.–Elleest tombéeenceinte l’annéedesesquinzeans.Lepèreestunpetitcon,venuaiderpour les
vendangesetquiadisparudelacirculationquandilaapprislanouvelle.Elleauraitpunepaslegarder,maispourellec’étaithorsdequestion.Çaasacrémentjaséauvillage,quandilsl’ontappris.MaisIrisa
lachanced’êtrenéedansunefamillesoudée,ilsnesesontpaslaissésdémonteretilsontviteremislesmauvaises langues à leur place. Elle amis fin à tous ses projets et elle a cherché du boulot. Elle acommencéàbossericipendantsagrossesse.Àlafin,onavaitpeurqu’ellerouledanslesescalierstantsonventreétaiténorme.Maistouts’estheureusementbienpassé.ElleestrevenuesixsemainesàpeineaprèsavoirdonnénaissanceàJules.Elletravailleicietdansunpetitbarduvillage,lesoir,etparfoislesweek-ends.Sesparentsn’ontpasvraimentlesmoyens.Etcen’estpasévidentpourunegaminedesonâged’avoirautantderesponsabilités.Maiselles’accroche.Etjecroisqu’aufondVanRutenn’apastantbesoind’elle.Enfin…
Louisboitunegorgéedecaféetjerestequelquessecondesàlefixer.–Etquandtudisqu’elleadûstoppertoussesprojets?Ellen’apasreprisl’école?–Si,biensûrquesi!Ellesuitdesétudesparcorrespondance.Elleamêmeeusonbaccetteannée,on
afêtéçacommeilsedoit!C’estqu’elleestbrillante,lapetite,ajoute-t-il,toutfier.–Ça,jen’enn’aijamaisdouté…Maisalors,dequelsprojetsparles-tu?–Avantdetomberenceinteelledevaitpartirpourlacapitale,rejoindrelacompagniedel’Opérade
Paris.–Vraiment?–Oui,l’écolededanseclassique.–Oui,jesaisLouis,maisjeveuxdire:Irisdanse?– Dansait. C’était même un prodige. Ça l’est toujours d’ailleurs, quand elle ose rechausser ses
ballerines.Elleaétérepéréelorsd’unbanalspectacledefind’annéedanslarégion.Onsavaittousqu’ilyavaitquelquechoseenelledesurnaturel,maisonn’avaitaucuneidéedesonpotentiel.Lachorégrapheofficiellede l’écoleestvenuejusquechezellepour luidemanderde larejoindre.Jene teracontepasl’effetdelanouvelleauvillage.Onétaitdéjàprêtàdresserunestatueàsoneffigiesurlagrandeplace.Maisdeuxmoisplustard,Iristombaitenceinte.Lasuite,tulaconnais,maintenant.Elleadûtireruntraitsursesrêves,quin’étaientpluscompatiblesavecuneviedejeunemaman…
–Jevois…lâché-jeémueetenmêmetempsrougedecolère.La vie est parfois si injuste… Iris. Jolie petite Iris. Et tu prétends que je suis forte ?Mais je ne
t’arrivepasàlacheville…Nousterminonsnotrecaféensilence,réfléchissantàlaviequemènenotrepetitrayondesoleil,àtout
ce qu’elle a abandonné pour le bonheur de son petit. Louis semble lui aussi perdu dans ses penséesquand,soudain,ilselève,posesatassedansl’évieretdéclare:
– Je vais aller bricoler un peu à l’atelier cet après-midi puis faire quelques courses. Je ne vaissûrementpaspouvoirfairemasiesteavectoutlevacarmequ’ilsfontlà-dehors.Tuasbesoindequelquechose?
–Jet’aimislalistedanslepanier,àl’entrée.–Parfait.Onsevoitpourlegoûter?–Évidemment.Jevaisprépareruncakeàl’orange.–Jevaisdevenirobèseavectoutcequetunousprépares…–Maisnon,Louis.C’estléger,jet’assure!dis-jeenriant.Il souritetquitte lapiècepar lavéranda.Mevoilàseulepour terminermonrangementetpréparer
mongâteau.Mespenséessetournentversunejeunefillepleinedeviequiadûoubliersesrêves.Versunenfantquigrandiraavecl’imaged’unemèrequiatoutsacrifiépourlui.Puisellesvirevoltent,meplaçantfaceàmespropresparentsquiont,quantàeux,toujoursprivilégiéleurscarrières.Nesesouciantguèredemoi,medonnantalorscebesoinetcetteraged’existerquim’apousséeàmesurpasserpourtoujoursêtre lameilleure. Indifférence parentale qui a aussi apporté un cruelmanque dansma vie.Ce fameux
manquequi,lui,m’amenéedirectementdanslesbrasdeceluiquejeprenaispourunrepère,uneépaule,uneforceetquiafiniparmedétruire.Lavie,noschoix…toutçanetientvraimentqu’àunfil.Untoutpetitfil.
***Ilestdix-septheureset lanuitestdéjàtombéesur ledomaineencemoisdedécembre.Jefais les
trajetsàvélo,àprésent.C’esttoutaussifroidmaisbeaucoupplusrapide.Madame Van Ruten n’a pas arrêté de vanter les mérites de mon cake à l’orange et je retourne à
présentaucottagem’accorderunepetitepauseavantderevenirpréparerlesouper.Jevoudraisjeteruncoupd’œilsurleslivresquitrônentdanslabibliothèquedusalonetquejen’aipasencoreprisletempsderegarder.Jem’enmettraiundecôtépourcesoirsijetrouvequelquechosequimeplaît.
Lespaysagistesnesontpluslàetc’esttantmieux.Jen’auraispasétéaimablesij’avaiseulemalheurdecroisercetabrutid’ours.Jemontelesmarchesquimènentàmesappartementssansallumerlapetitelumière.Jeconnaisbienleslieuxàprésent.Laporteestouvertecarjenelafermejamaisàclef.Jejettemavestesurlecanapéetallumelapetitelampeentissusurlacommode.
Soudain,j’entendsundrôledebruitenprovenancedemachambre.Peut-êtreunsimplecraquementdebois.Maisçarecommence.Jemefigesurplace.Jenesuispasunegrandepeureuse,maisjenesuispasvraiment rassurée, seule au fond du parc. D’autant que je n’ai pas vu la voiture de Louis en bas. Siquelqu’unm’agresse,j’auraibeaucrier,personnenepourram’entendre.
J’attrapelevasesurlatablebasseetmedirigeàpasdeloupverslaporte.Lebruitestdeplusenplus fort, commeun grognement suivi de petits coups.Mon cœur s’emballe. Je fais un pas de plus etpousselaportedemachambreplongéedanslenoir.Jenevoispasbienmaisquelquechosesetrouvesurmonlitets’agite.Jememetsàtrembleretilmefautplusieurssecondesavantd’atteindrel’interrupteur.J’allume. Et là, je me retrouve face à la bête. Il est énorme, effrayant, à des décennies de ce quej’imaginais.Sespoilssedressent lorsqu’ilm’aperçoitet ilsemetàhurleretcrachercommeunfauve.Dragibus…Ilsnem’avaientpasmenti.C’estunmonstre.Jetenteuneapprochepourlefairefuirdemacouette qu’il est en train de réduire en lambeaux,mais il se redresse etme lance un regard des plusméchants.
–Dragibus…Soisgentil…Allez…Va-t’enmonminou…Il bondit sur ses pattes, prêt à s’élancer vers sa nouvelle proie et me lance le plus horrible des
sifflements. Jeme surprends à reculerd’unpas alorsqu’il avanced’unepatte. Jene rêvepas, je suisvraimententraindemefaireattaquerparunchat.
Ilsautedulitet,dansunréflexedesurvie,jelâchelevasequitombeausoletmemetsàcourirverslesalon.Je traverse lapièceà toutevitesse,Dragibussur les talons.Jeme jettesur lapoignéedemaporte etmeprécipite dehors. Il fait nuit noire et je n’atteins pas l’interrupteur extérieur assez vite. Jedévalelesescaliersenjetantunœilderrièremoi.Jenefaispasattention.Monpiedglisse.Jeloupeunemarche.Toutmoncorpsestprojetéversl’avantet jeserredéjàlesdentsensongeantàlachutequejevaissubir.Maisalorsquejenem’yattendspas,jesuistoutàcoupamortieparlepoidsd’unautrecorps.Deux bras s’emparent de moi. Ils sont forts, puissants, me retiennent et me sauvent in extremis d’unplongeonqui aurait pu trèsmal finir. J’agrippe fermement les deux épaulesqui seprésentent àmoi etrelèvelatête.Ilfaitnuitetpourtantjen’aiaucunmalàtrouvercesyeuxquisenoientinstantanémentdanslesmiens.Jesuisencoresouslechocetilmefautquelquessecondespourreprendremarespiration.Ilpasse samain épaisse et un peu rugueuse surmonvisage afin de retirer tous les cheveuxqui tombentdevantmesyeux.Quelquechosedetrèsétrangeestentraindesepasser.L’odeurdesapeaum’envahit.Quelquechosededoux,derassurant.Pasunmotnesortdemabouchenidelasienne.
Puis,alorsqu’ilserapprocheencoredemoi,etquetoutmoncorpssembleseréveillerd’unprofond
sommeil, nous sommes sortis de notre torpeur par les phares d’une voiture qui éclairent dans notredirection.
Louis.Il me lâche immédiatement, recule et se tourne vers le chemin. Je reste plantée sur les dernières
marchesetLouissegareavantdesortirdelavoiture.Iljetteunœilcurieuxetamusédansmadirectionetsetourneversmonsauveur.–Ah,vousêtes là!J’aimisvotreportefeuilleà l’intérieurcommevousmel’avezdemandé.C’est
toujoursdélicatquandonperdcespetiteschoses,n’est-cepas?–Effectivement.–Lily,çava?Tufaisunedrôledetête.JereprendsmesespritsettiresurmonchemisierpourleremettreenplaceavantderépondreàLouis
:–Oui,çava,çava,c’estjusteque…Dragibusétaitdansmachambre…Alorsj’aieupeur,jesuis
sortie,j’aiglissédansl’escalier…etpuis…je…enfin…Ilmefixe,amusédemevoiraussitroublée.Puisilsetourneverssonvisiteurets’adresseàluialors
qu’ilsrentrenttouslesdeuxdanslamaison:–Entrez,jevousenprie.Jenevoudraissurtoutpasvousfaireattendre,MonsieurGauthier…
Découvrezletome2dèsle15juillet2016!
NishaEditionssoutientl’initiativeFyctiaenétantpartenaireduconcours
«Àsaplace»
Quelquestitresdenoscollections
Quelquesextraits
Alia,lesvoleursdel’ombre
SophieAugerVadim dérobe aux riches propriétaires des toiles de maîtres pour les rendre à leurs véritables
propriétairesmoinsfortunés.Hautain,méprisant,ilenchaînelesfillesetlessoiréesextrêmes.Maislorsqu'ilrencontreàSaintPétersbourgladouceetfragileAlia,saviebascule.Quatreansplus
tard,leurscheminssecroisentànouveauetilrisqueratoutpourlasauverd'undestinbrisé.ParSophieAuger.Participezàl’aventureNishaEditionssurFacebook:NishaEditions;suivezlaviedelarédaction
surTweeter@NishaEditionsetdécouvreznotrecataloguesurnotresiteinternetwww.nishaeditions.com
Extrait«JesuisVadim,voleurdel’ombre.Êtes-voussûrdevouloirentrerdansmavie?»Jeudi–16h30–Paris,chambred’hôteldeVadim.Jesuisréveilléparlalumièredujourquiinondelasuiteàtraverslafenêtre.Cinquantemètrescarré
dansundesplusgrospalacedelaville.Lit«kingsize»,drapsensoie,petitsalonpersonnel,jenemeprivederien.
Jepousseungrognementetmerecouvrelatêtedelacouette.Quiestl’abrutiquiaouvertceputainderideau!J’ai unmal de crâne digne d’un rouleau compresseur. Ilm’écrase les tempes etma bouche porte
encorelegoûtdelavodkaetdelaclopefroide.–Vadim!OhVadim!Ilesttempsdetebouger!Lavoixdemonamiraisonnedansmatêtecommeunmarteaupiqueur.–PutainDimitri,pourquoitumeréveilles?Quelleheureest-il?–Ilestbientôtdix-septheures…Etjeterappellequecesoir,unegrosseopérationnousattend.–Etcelanécessiteunréveilaussiviolent?
–Tutefousdemoi!C’estlaquatrièmefoisquejemepointedanstachambre!J’aidéjàvirélesdeuxminettes qui t’ont servi de petit-déjeuner et je suis revenu nettoyer les traces de ta saleté de poudreblanchedanslasalledebains.
–OhDimitri,tudevraisvraimenttelâcherunpeumongrand,çateferaitdubien.–Maisc’estlecasVadim,nousavonsjustedeuxdéfinitionsdifférentesdulâcher-prise…Dimitri est plus qu’un simple partenaire de « boulot ». C’estmon frère. Pas celui que le sang te
donne,celuiquelecœurchoisit.Nousavonsgrandiensemble,nosparentsayantles«mêmesactivités».Ilestceluiquimeraisonneetjesuisceluiquiledéraisonne.
Ilauncôtégrandrêveurquim’amuseautantqu’ilm’agace,maisilatoujoursétélàpourmoietm’asortiplusd’unefoisdesmerdesdanslesquellesjemesuisfourré.
Lui etmoi sommes radicalement opposés.Dimitri le grand blond aux yeux bleus et à lamâchoirecarrée;moilebrunauxyeuxnoirs,auxtraitsfinsetàl’airmauvais.
C’est laseulepersonnesurcetteputaindeTerreenqui j’aiuneconfiance totale.Laseuleàqui jepourrai confier ma foutue vie. Il est le seul qui me connaisse parfaitement. Du moins presqueparfaitement.
–Dim,net’inquiètepas,jeseraiprêtàtemps.Unedouche,uncafé,éventuellementunepetitepipedelaréceptionnistedel’hôteletjesuistonhomme.
Ilmeregardeensecouantlatête,maisjesaisqu’aufond,jel’amuseunpeu.–Àquelleheureestletopdépart?–Vingt-troisheures.–Ettuosesmeréveilleràdix-septheures?Dis-moiquetuplaisantes!–J’aimeraisrevoirdeuxtroischosesavectoiavant.–TuesunhommebeaucouptroporganiséDim,tudevraisimproviserunpeuplussouvent.–Jepréfèreéviter.–Tuesd’unennui…–EttoitujouesaveclefeuVadim.Unjourtufiniraspartebrûler.–Cetteexpressiondemerdenepeut-êtrequefrançaise.–Effectivement,maistudevraislaconsidérerunpeuplus.–Jeteprometsdelaconsidérer.Unjour.Dansuneautrevie.Jemelèveetbalancemonoreillersurlatêtedemonami.Illesaisiauvoletmelerenvoie.Nousavonsvingt-sixans,noussommesjeunes,noussommesriches,noussommeslibres,nousavons
laviedevantnous.Dumoinsc’estcequenouspensions.Maistoutpeutchangersivite…
Playandburn
FannyCooperDylan Savage est un électron libre. Elle se démène pour survivre, entretenir samère, obtenir son
stagedansunegrandemultinationaleetfairefonctionnersongroupederock…Lasolution :organiserdessoirées underground.Tout roulait jusqu’à sa rencontre dans unedemeure deNeuilly-sur-Seine avec lesexyGaspardMaréchal,richehéritierd’unegrandesociétéspécialiséedanslesmédias,torturéparsonpassé.
Lejeudeséductionquis’imposeentreeuxseradévorant,insatiable.Alors que leur milieu respectif les oppose, réussiront-ils à surmonter les obstacles et leurs
différences ?ParFannyCooper.Participezàl’aventureNishaEditionssurFacebook:NishaEditions;suivezlaviedelarédaction
surTweeter@NishaEditionsetdécouvreznotrecataloguesurnotresiteinternetwww.nishaeditions.com
ExtraitDYLANLes cheveux châtains de Stéphanie s’agitent dans l’obscurité de sa chambre.Une bouteille de vin
rougeenmain,elles’amuseàimiterlesrocksstars.Elleporteunenuisetteensoiehorsdeprixetdansesur lamusiquebaisséeauminimumpournepas réveiller ledragon revêchequidort à l’autreboutducouloir.Parisse écrase son troisièmemégotde cigarette sur la tablede chevet, se lèveet seprécipitepourlarejoindredanssadanse.Lesfessespresqueàl’air,puisqueMadameneporteplusquesessous-vêtements.
– Commeça,luimontreParisse.Lajolierousse,princessedesbeauxquartiersparisiens,sedéhancheenrythmesurleJe t’aime…
Moinonplussensuel,voiresexueldeSergeGainsbourg.Ellesbougentlentement,ondulentdeshanchesense touchantetStéphglousseàcausede l’alcoolqui luimonteà la tête.Ellen’aimepasse rendremaladeetgrâceàsonbonsens,Parisseetmoiavonscessédeboiresansmodération.Sinousavons
toutes deux apporté un peu de piment dans sa vie tellement parfaite et calculée, Stéphanie nous aapportédel’ordreetdel’espoir:l’espoirquelaviepeutêtregriseetnonpasnoireoublanche.
Jem’amuse à capturer cemoment avec le polaroïd de Stéph pour tenter d’oubliermon ventre quigargouille.Unpaquetdephotosdenous troisdéchainéesest éparpillé sur le sol.En tailleurdevant lesclichés,jedanseégalement,enregardantnotrejolieStéphanieimiterParisse.Ellecommenceàreprendredupoildelabêteetsemétamorphoseenunefilledeplusenpluslibérée,commelamusique.Bientôt,elleseraaussilibertinequeParisse.Jeglousseàcettepensée.Impossibled’êtreplusdévergondéequ’elle.Sielleenfantaitàchaquefoisqu’ellebaisait,lapopulationdoubleraitenunmois.
Jenesuispasdutoutcommeçaet jenepensepasledevenirunjour.Maconceptiondelavieestsimple : jepréfèrem’assurerune réussiteprofessionnelle avantdem’engagerdansune relation.C’estpeut-êtreégoïste,maisjecomptebienprofiterdel’èredesnanascélibatairesetindépendantes,penseràmonbonheurentantquefemmeavantdesongeràceluiquejepourraispartageravecquelqu’und’autre.
– Qu’est-cequit’amuse,Blondie?m’interrogeParisseens’emparantdelabouteillepourboireunegorgée.
Parisse et moi, nous nous connaissons depuis plus de neuf ans maintenant. Nous nous sommesrencontréesànosonzeansdanslecentred’activitéquepossèdesongrandfrère.Ellevenaitdes’inscrireauclubdemusiqueetmoijecherchaisàm’occuper.Ellem’aproposéedefaireunessaietdepuis,tousleslundisetvendredissoir,nousjouonsensemble,enplusdenousréunirlasemainepournotregroupe.
– Vousdeux,réponds-je.Elleme lanceunclind’œil,mepasse labouteilleet se remetà sautiller sur lamusiqueavecnotre
belleStéph. Jeboisunpeu,enespérantquemoncreuxpassera,mais rienà faire.Monventregrogne,couvrantàmoitiélebruitdelamusique.Mesdeuxamiessemoquentdemoiet jemelèveàmontour.J’écarte lesdoigtspourtestermondegréde«stabriété»:soit l’équilibre«x»entre lastabilitéet lasobriété.Unconceptàappliquerquandonestéméché.
ÀparaîtreCollectionDiamantnoir
TwinyB.Lachutesaison1,l’intégrale–août2016
CollectionCrushStoryElisiaBlade
HollywoodenIrlande,l’intégrale–août2016
DéjàdansvostablettesCollection«Glamouretsuspens»MisterWilde–EmmaLoiseau
EmmaWilde,saison1et2–LouDuval&EmmaLoiseauRugbyBoy,saison1et2–LouDuval,
Phoenix–EmmaLoiseauAlia,lesvoleursdel’ombre–SophieAuger
CollectionDiamantnoirLachute,saison1–TwinyB.Lachute,saison2–TwinyB.Nerougispas–Lanabellia.
Nefermepastaporte–LanabelliaPlay&Burn–FannyCooperCollectionCrushStory
Legoûtduthé,celuiduvent,saisons1et2–EveBorelli.Journald’ungentleman–EvadeKerlanHollywoodenIrlande–ElisiaBlade.Séduire&Conquérir–ElisiaBlade.
Loveonprocess–Rachel.ShineandDisgrace–ZoeLenoir.
Collection«l’héroïne,c’estvous!»LaLunedemieldeSarahTrace–DynaAvril
Backtoschool–DynaAvril
Auteure:SophieAugerDirectricedecollection:LaëtitiaHerbaut
NishaEditionsCognaclaforêt
N°Siret51078346700044N°ISSN:2491-8660