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1 Sommet Etats-Unis / Afrique : Financer les infrastructures énergétiques en Afrique pour soutenir l’émergence africaine Jean Baptiste HARELIMANA, Chargé de programme IAM Novembre 2014 « Nous sommes entrés dans l'ère de la lumière administrée. Notre seul rôle est de tourner un commutateur. Nous ne sommes plus que le sujet mécanique d'un geste mécanique. Nous ne pouvons pas profiter de cet acte pour nous constituer, en un orgueil légitime, comme le sujet du verbe allumer » - BACHELARD Gaston (1961), La flamme d’une chandelle, Paris, PUF, rééd. : 2003, p.90. I.INTRODUCTION Aujourd’hui, le monde est entré dans une phase d’insécurité énergétique où se mêlent géographie des ressources, lois du marché, besoins de développement, contraintes environnementales, désordres mondiaux et jeux de puissance. Dans ce contexte se posent les interrogations suivantes : comment répondre à la demande croissante d’énergie sans mettre en péril la planète ? Comment faire de l’énergie à la fois un instrument de croissance et de compétitivité pour les économies développées et un levier de développement des pays moins nantis ? Comment faire jouer les solidarités entre nations dans la définition d’un prix acceptable pour les uns et les autres ou d’une contribution équitable des uns et des autres à la lutte contre l’effet de serre ? La question énergétique c'est une question majeure pour l'Afrique, parce que c'est à la fois un atout, et aussi un fléau pour un continent à la fois riche et pauvre. Pauvre, il le demeure par un développement largement inachevé. Le secteur énergétique d’Afrique subsaharienne est aujourd’hui en situation de crise : sa capacité de production insuffisante, approvisionnement irrégulier, prix très élevés et accès au réseau électrique très limité. Caractérisée par la stagnation, la capacité de production énergétique de la région est inférieure à celle des autres régions. L’énergie africaine coûte deux fois plus que celle des autres régions en développement, et son approvisionnement n’est pas fiable. Dans plusieurs pays, la croissance des connexions des ménages au réseau électrique est inférieure à la croissance de la population. Les tendances actuelles semblent indiquer que la population n'ayant pas accès à l'électricité va augmenter puisque le développement des systèmes de production d'électricité (centralisés ou décentralisés) progresse moins vite que la croissance démographique. Certaines puissances ont bien compris la tentation de résoudre l’équation par un troc magistral : apporter les infrastructures du développement en échange de l’octroi ou de l’exploitation de matières premières (minerais, hydrocarbures ou même terres arables). Note d’analyse

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Sommet Etats-Unis / Afrique : Financer les infrastructures énergétiques en Afrique pour soutenir l’émergence

africaine

Jean Baptiste HARELIMANA, Chargé de programme IAM

Novembre 2014

« Nous sommes entrés dans l'ère de la lumière administrée. Notre seul rôle est de tourner un commutateur. Nous ne sommes plus que le sujet mécanique d'un geste mécanique. Nous ne pouvons pas profiter de cet acte pour nous constituer, en un orgueil légitime, comme le sujet du verbe allumer » - BACHELARD Gaston (1961), La flamme d’une chandelle, Paris, PUF, rééd. : 2003,

p.90.

I.INTRODUCTION

Aujourd’hui, le monde est entré dans une phase d’insécurité énergétique où se mêlent géographie des ressources, lois du marché, besoins de développement, contraintes environnementales, désordres mondiaux et jeux de puissance. Dans ce contexte se posent les interrogations suivantes : comment répondre à la demande croissante d’énergie sans mettre en péril la planète ? Comment faire de l’énergie à la fois un instrument de croissance et de compétitivité pour les économies développées et un levier de développement des pays moins nantis ? Comment faire jouer les solidarités entre nations dans la définition d’un prix acceptable pour les uns et les autres ou d’une contribution équitable des uns et des autres à la lutte contre l’effet de serre ?

La question énergétique c'est une question majeure pour l'Afrique, parce que c'est à la fois un atout, et aussi un fléau pour un continent à la fois riche et pauvre. Pauvre, il le demeure par un développement largement inachevé. Le secteur énergétique d’Afrique subsaharienne est aujourd’hui en situation de crise : sa capacité de production insuffisante, approvisionnement irrégulier, prix très élevés et accès au réseau électrique très limité. Caractérisée par la stagnation, la capacité de production énergétique de la région est inférieure à celle des autres régions. L’énergie africaine coûte deux fois plus que celle des autres régions en développement, et son approvisionnement n’est pas fiable. Dans plusieurs pays, la croissance des connexions des ménages au réseau électrique est inférieure à la croissance de la population. Les tendances actuelles semblent indiquer que la population n'ayant pas accès à l'électricité va augmenter puisque le développement des systèmes de production d'électricité (centralisés ou décentralisés) progresse moins vite que la croissance démographique. Certaines puissances ont bien compris la tentation de résoudre l’équation par un troc magistral : apporter les infrastructures du développement en échange de l’octroi ou de l’exploitation de matières premières (minerais, hydrocarbures ou même terres arables).

Note d’analyse

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Ses ressources ne sont plus heureusement, une « malédiction » pour l’Afrique, puisque l’appétence à leur égard n’engendre des contrats prima facie mutuellement profitables. L'Afrique continentale représente 12% de la production mondiale de pétrole et 10% des réserves mondiales prouvées. La production de gaz naturel pourrait doubler d'ici 20 ans, passant de 200 à 400 milliards de mètres cubes par an, selon les estimations de l'Union Internationale du Gaz (IGU), qui regroupe 83 pays dont 10 africains, et couvre 95% du marché du gaz naturel dans le monde. Le continent possède également d'immenses ressources largement inexploitées, issues de la géothermie, d'une biodiversité préservée, d'un réseau hydrographique à fortes capacités, d'un potentiel éolien et solaire qui constituera sans nul doute l'une des clés de son développement territorial. Le futur énergétique de l’Afrique dépend de l’énergie hydraulique. A l’heure actuelle, 93% du potentiel en énergie hydraulique réalisable économiquement du continent (estimé à 937TWh/an, soit un dixième du total mondial) reste cependant inexploité. Une Afrique compétitive ne peut se construire que dans un triple dynamique de valeurs : connaissance de soi, connaissance de l’autre et dépassement de soi.

L'Afrique sub-saharienne, longtemps la chasse gardée des anciennes puissances coloniales, était considérée comme un continent sans avenir, destiné à un sort de perpétuel assisté. Les catastrophes naturelles, les pandémies contribuaient à cette réputation. L'émergence de la Chine et la demande de matières premières qu'elle provoque introduit soudainement la concurrence. Grande oubliée des Objectifs du millénaire pour le développement, l’énergie est maintenant une priorité de l’ONU 1 .Les discussions sur le cadre de développement post-2015 ont validé la nécessité absolue d’un accès à l’énergie fiable et abordable pour l’éclairage, le chauffage, la cuisson, les activités mécaniques, les transports et les télécommunications si l’on veut éradiquer la pauvreté énergétique et renforcer le développement durable2.

Au-delà de l’attrait pour les matières premières dont regorge le continent 3, l’Afrique constitue aussi un marché intérieur important : avec une population de plus d’un milliard d’habitants et qui devrait atteindre plus de 2 milliards d’individus en 2050, des taux d’urbanisation galopants ainsi que la constitution d’une classe moyenne importante, les économies africaines devraient être amenées à faire évoluer leur modèle vers un développement tiré par la demande intérieure.

L'Afrique a besoin de développer ses infrastructures énergétiques pour soutenir la croissance de ses économies. En juin 2013, le Président Obama a annoncé une initiative baptisée « Power Africa » de 7 milliards de dollars sur cinq ans pour permettre à environ 50 millions d’Africains d’accéder à l’électricité. Cette initiative devrait générer une capacité énergétique de 20 000 mégawatts en Afrique subsaharienne d’ici à 2020. L’initiative du Président Obama a suscité l’intérêt de la Banque africaine de développement (BAD) et de sociétés africaines privées. Le président américain Barack Obama a annoncé, le 5 août 2014, que son plan Power Africa, requalifié par certains de plan Marshall électrique, serait financé à hauteur de 26 milliards de dollars, contre les 7 milliards prévus initialement. Ce volontarisme ne peut cependant se comprendre que si l’on prend la mesure des besoins considérables de l’Afrique en matière d’infrastructures.

A l’orée de l’initiative Power Africa, il est opportun d’analyser en détail les caractéristiques de l’énergie qu i lui confèrent une position si centrale et déterminante au sein des circuits économiques, dans la définition des contraintes et des risques systémiques et dans la conceptualisation du développement durable en Afrique. Pour cela, il faut commencer par un état des lieux, car à l’évidence l’avenir de l’Afrique sera en grande partie déterminé par la situation actuelle.

1 Les Objectifs du millénaire pour le développement arrivent à échéance en 2015 et, pourtant, bon nombre de problèmes de développement demeurent tandis que d’autres apparaissent. Les objectifs de l’après-2015, qui font actuellement l’objet de délibérations au sein de la communauté internationale sous l’égide de l’Assemblée générale des Nations Unies, intégreront des aspects sociaux, environnementaux et économiques dans un ensemble unique d’Objectifs de développement durable. Voir Wykes S., Garside B., Leopold A., Hirji K., Stevens L. (2014) Energy in the Post-2015 development Framework. Cafod, London. 2 Voir par exemple le Focus Areas Document pour les Objectifs de Développement Durable (SDGs) du groupe de travail des Nations Unies du 19 Mars 2014

(http://sustainabledevelopment.un.org/ 3 Il existe trois grands types de matières premières : les produits agricoles, les minerais et l'énergie. Ces produits ont tous un point commun : ils sont liés à la terre et sont inégalement réparties sur la planète. Cette caractéristique accroît leur dimension stratégique puisque aucun pays ne dispose des quantités nécessaires de matières premières sur son territoire pour être autosuffisant.

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II. LE DEFI ENERGETIQUE D’UN CONTINENT EN EMERGENCE

Pour mieux analyser la situation actuelle de l’Afrique, on peut retenir quatre entrées : la démographie, l’économie, les structures sociales, la gouvernance. Selon la BAD, des 1,5 milliard de personnes qui vivent sans électricité dans le monde, 80% résident en Afrique subsaharienne. Une étude de la Banque mondiale publiée en 2010 souligne que « les 48 pays d’Afrique subsaharienne (800 millions d’habitants) génèrent plus ou moins la même quantité d’électricité que l’Espagne (45 millions d’habitants) »4. Le déficit d’infrastructures énergétiques constitue d’autant plus un handicap que le faible niveau d’accès à l’énergie, en plus des conséquences considérables sur la compétitivité économique des entreprises locales, est presque toujours à une carence en services de santé et d’éducation pour les populations.

La population urbaine de l'Afrique passerait de 414 millions en 2011 à plus d'1,2 milliards en 2050, faisant évoluer le taux d'urbanisation de 40 à 60 %. L'accueil de cette population bientôt à majorité urbaine suppose un effort continu dans le domaine des infrastructures nécessaires pour approvisionner, loger, éclairer, transporter, soigner, les futurs citoyens de l'Afrique, ce qui suppose des investissements considérables. Ce défi est d'autant plus important qu'aujourd'hui déjà, le manque d'infrastructures reste criant, amputant la croissance en Afrique sub-saharienne de 2 % par an en moyenne. Le coût moyen de la facture électrique - sans compter les délestages qui causent bien des pertes de production d’une entreprise en Afrique qui est deux fois supérieur à celui de l’Asie.

L’électricité est le vecteur d’énergie secondaire le plus important. Présente déjà dans plusieurs ménages africains, cette énergie électrique se singularise des autres de par sa simplicité d’usage et du fait de l’étendue des services qu’elle rend dans la vie quotidienne. Produite grâce à l’emploi de ressources naturelles très différentes, l’électricité n’en est pas pour autant marquée par ses origines fossile, nucléaire ou renouvelable dès lors qu’elle entre dans les foyers, prête à être utilisée. Diffusée dans le macrosystème électrique national (voire transnational), avant de l’être sur les réseaux territoriaux secondaires, puis de rejoindre les installations domestiques, l’électricité que tout un chacun utilise n’a ni couleur, ni odeur. Elle ne se donne pas à voir à ceux qui s’en emparent, mais elle est le moteur d’un grand nombre d’activités sociale. L'électricité d'origine hydraulique pourrait se développer dans des proportions importantes dans les grands bassins d'Afrique. Mais les difficultés de financement limitent ce développement.

Les pays africains se caractérisent par une électricité centralisée et diffusée dans les grands centres" distincte de l’électricité rurale est spécifique de l'Afrique. Dans de très nombreux pays le développement et l'installation de l'électricité se sont faits à partir des grandes villes puis se sont dirigés vers les campagnes, soutenus et subventionnés par l'État. Il faudra encourager toutes les initiatives qui peuvent être prises pour favoriser production et distribution d'électricité décentralisée (solaire, voire petits groupes diesel) dans les villages la formation et l'information des populations, la nécessité de faire payer pour ce service, et en mettant en place des équipes capables d'assurer la gestion et l'entretien des installations. Le continent africain, en particulier l'Afrique subsaharienne, pourrait être l'un des plus grand marché du monde pour les énergies renouvelables : le continent a en effet une importante réserve naturelle d'énergies renouvelables (hydroélectricité, géothermie, biomasse-énergie, énergie solaire et éolienne), et la majorité de la population d'Afrique subsaharienne vit dans des villages dispersés.

4 Infrastructures africaines : une transformation impérative, Banque Mondiale, 2010

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III. ENERGIE ET TRANSFORMATION STRUCTURELLE DE L’AFRIQUE

Le but principal de la Vision minière pour l’Afrique (VMA) est de délaisser le modèle actuel de développement basé sur l’exploitation des ressources pour adopter un modèle qui favorise une transformation structurelle des économies d’Afrique. Les ressources minérales serviraient de catalyseur à une croissance multisectorielle inclusive et au développement des marchés des ressources en Afrique, ce qui permettrait une diversification et une industrialisation économiques à l’échelle continentale. L’étroite relation entre énergie et croissance explique l’augmentation croissante de la demande d’énergie, dans certaines étapes du développement, lorsque les besoins de produits industriels et d’équipements de transport s’intensifient, cette demande peut même croître plus vite que la croissance de l’économie.

En 1999, un jury d’experts de la très sérieuse National Academy of Engineering (Etats-Unis) se livrait à un exercice assez insolite : choisir, parmi 105 applications technologiques préalablement identifiées, celle qui, au courant du 20è siècle, aura contribué le plus à l’amélioration de la qualité de vie des populations à travers le monde. Résultat : contrairement à ce que les gens pourraient penser, ce ne fût ni l’invention de l’automobile ou de l’avion, ni l’atterrissage de l’homme sur la lune, ni une quelconque prouesse de l’ingénierie biomédicale, ni Internet, ni aucune autre invention technologique de première importance, mais bien la fourniture à grande échelle de l’électricité aux populations, plus communément connue sous le nom d’« électrification », qui fut reconnue comme l’application technologique du 20è siècle.

Aujourd’hui, 2 milliards de personnes les plus pauvres dans le monde, soit environ 30% de la population mondiale concentrés essentiellement dans les pays sous-développés ou pays pauvres, n’ont pas accès à une énergie moderne. Les carences du secteur énergétique de la région ont un coût considérable en termes de croissance à long terme et de compétitivité. Á titre d’illustration, Si tous les pays rattrapaient le chef de file énergétique régional, l’Ile Maurice, en termes de stock et qualité d’infrastructure, leur taux de croissance économique par habitant s’accélèrerait de 2,2% par an en moyenne. La question est de savoir comment fournir, de façon durable, de l’énergie à ces gens, mais également à celles qui viendront s’y ajouter, par croissance démographique. Non pas que l’accès à l’énergie soit une fin en soi, mais parce que celle-ci est considérée comme un des moyens indispensables à la satisfaction de besoins ou droits basiques, indissociables de la notion même de développement : droit à l’alimentation, à la santé, au logement, au confort domestique, etc.).

L’accès à l’énergie reste, comme l’accès à l’eau ou à la connaissance, une source de fracture sociale. Plus de 60 % de la population africaine n’ont pas accès à l’électricité et dépendent de méthodes traditionnelles de cuisson comme le bois ou le charbon. La majorité des écoles et des cliniques d’Afrique rurale ne disposent pas de services énergétiques modernes. Les activités productives des zones rurales sont fortement handicapées par l’absence de services énergétiques. Les pays et les communautés économiques régionales (CER) d'Afrique ont défini des objectifs ambitieux en termes d'accès à des services énergétiques modernes. La réussite de ces objectifs nécessitera à la fois l’apport de ressources privées et publiques et l’utilisation de modèles novateurs pour rendre l’approvisionnement en services énergétiques économiquement viable dans les régions pauvres et peu peuplées.

Comme l’indique le Programme de Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA) dont les projections sur les besoins en infrastructures de l’Afrique repose sur une hypothèse de croissance du PIB de 6% par an jusqu’en 20140, « cette croissance et cette prospérité durables vont multiplier la demande d’infrastructures dont la pénurie est déjà l’un des plus grands obstacles au développement du continent ».Cette explosion de la demande nécessiterait une capacité de production de 700 GW alors que la capacité actuelle du continent tourne autour de 125 GW. La dépendance de l’économie africaine au secteur des matières premières, peu créateur d’emplois, a contribué au fait que la croissance sur le continent ne s’est pas accompagnée des changements de structure fondamentaux de l’économie du continent, pourtant indispensables à l’augmentation de la productivité et à un meilleur partage de la richesse.

Le domaine de l'énergie, étroitement lié au développement humain durable et à la croissance économique, a été intégré à l’initiative WEHAB (Eau, Energie, Santé, Agriculture et Biodiversité), lancée par l’Organisation des Nations Unies et qui vise à établir une approche et des actions cohérentes au niveau international, sous une même vision concertée et liée à tous ces domaines d'activité. Dans ce contexte, cette institution qui contribue, à travers ses organes, à la gouvernance mondiale a créé UN-Energy, instance technique d’un niveau élevé

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ayant pour rôle d’arrêter, entre les différentes agences, les critères et actions communs pour maîtriser l'impact réciproque de l'énergie sur la dynamique du développement.

IV. INTEGRATION REGIONALE DES MARCHES ET DES SYSTEMES ENERGETIQUES EN AFRIQUE

Dans un vaste mouvement amorcé à l’orée des années 90, une redynamisation des organisations

d’intégration régionale a eu lieu en Afrique. Elle s’est traduite par la création ou la régénération d’un certain

nombre de Communautés Economiques Régionales (CER) telles que la CEDEAO, la CEMAC ou la SADC

afin d’en faire les instruments stratégiques au service du développement et de la stabilité. L’intégration

régionale s’est transformée en remède à des frontières arbitraires issues de la colonisation. Conçue

simplement en tant que déconstruction des barrières douanières, l’intégration s’est avérée insidieuse pour le

continent.

Dans une économie mondialisée marquée par l’éclatement des chaînes de production, l’élimination des droits de douane joue un rôle décroissant dans l’échange de biens et de services. Désormais, la qualité des infrastructures de production, de communication et de transport joue un rôle au moins aussi important dans la stratégie compétitive d’une économie. L’une des stratégies mises en œuvre sur le continent pour surmonter ses déficits d’intégration a été de tenter de structurer les échanges commerciaux autour de corridors transfrontaliers multimodaux (route, rail, voir transport fluvial).

Étant donné ses multiples avantages, l'intégration accrue des systèmes et des marchés énergétiques africains (au niveau régional, continental) est considérée comme une priorité. L'intégration des marchés de l'énergie nécessitera des investissements en infrastructures physiques (lignes électriques, gazoducs et oléoducs) et un meilleur fonctionnement du marché de l'énergie. Une meilleure intégration des marchés de l'énergie nécessitera des actions communes. Il s'agira notamment de définir des mesures appropriées pour garantir un meilleur fonctionnement des marchés de l'énergie et de trouver les investissements supplémentaires nécessaires au développement des infrastructures requises, en particulier au niveau des interconnexions énergétiques (lignes électriques, gazoducs et oléoducs).

Le travail de base (infrastructures et mécanismes réglementaires) pour la création de pools énergétiques régionaux en Afrique est en cours. Sous la supervision de la Banque africaine de développement, la planification des infrastructures progresse. L’Afrique est divisée en cinq grands réseaux électriques régionaux, qui n’excluent pas l’appartenance d’un même pays à plusieurs de ces grilles énergétiques. Ces réseaux ont un statut d’agence spécialisée auprès de leur Communauté économique régionale respective :

L’Eastern Africa Power Pool (EAPP) pour le Marché commun de l'Afrique orientale et australe(COMESA)

Le Central Africa Power Pool (CAPP) pour la Commission économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC – ECCAS)

Le Southern Africa Power Pool (SAPP) pour la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC)

Le West Africa Power Pool (WAPP) pour la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO – ECOWAS)

Le Comité Maghrébin de l’Electricité (COMELEC) pour l’Union du Maghreb Arabe (UMA – AMU)

Ces quatre pools d'énergie sont déjà en fonctionnement en Afrique subsaharienne, mais les quantités d’électricité échangées entre les pays sont encore très faibles. La majorité des échanges actuels se produisent dans le cadre de la Southern Africa Power Pool (SAPP). Les principaux pays exportateurs produisent de l’électricité à partir d'énergie hydraulique (la République Démocratique du Congo, le Mozambique, la Zambie), de gaz naturel (Côte d'ivoire et Nigeria), ou de charbon (Afrique du Sud).

Les sources d'énergie renouvelable (énergie solaire, énergie éolienne, hydroélectricité et énergie issue de la biomasse) gagnent en valeur si elles sont intégrées à de grands réseaux continentaux et intercontinentaux capables d'associer différentes sources d'énergie afin d'obtenir un approvisionnement plus stable et plus fiable dans tous les pays concernés. L'hydroélectricité et le gaz naturel représentent un potentiel de génération

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d'électricité exceptionnel. Leur valeur économique et technique est optimisée s'ils sont utilisés comme sources d’énergie pour répondre aux pics de demande dans de grands systèmes énergétiques interconnectés.

Les sources d'énergie renouvelable gagnent en valeur si elles sont intégrées à de grands réseaux continentaux et intercontinentaux capables d'associer différentes sources d'énergie afin d'obtenir un approvisionnement plus stable et plus fiable dans tous les pays concernés. L’insuffisance des capacités électriques pèse sur le développement de l’Afrique subsaharienne. La production électrique indépendante est-elle la meilleure solution pour pallier cette insuffisance ?

IV. POUR UNE GOUVERNANCE ENERGETIQUE REVISITEE

Une législation modernisée et la nécessité de développer les mécanismes de contractualisation et de partenariat public-privé dans le but de renforcer l’investissement s’imposent. Le partenariat est devenu en effet un maitre mot de la gouvernance entre parties prenantes acteurs partenaires pluriels supposés trouver entre eux des arrangements contractuels. L’amélioration de la gouvernance et les réformes conduites dans de nombreux pays africains ont permis d’insuffler une dynamique de croissance impressionnante, évaluée à 6% pour la décennie précédente. Il va sans dire que la bonne gouvernance au sein des institutions publiques constitue une condition préalable au succès des producteurs indépendants. D’une façon générale, les investisseurs sont attachés à la visibilité et aux règles claires. Le secteur de l’électricité est un secteur d’activité complexe– qui allie des aspects financiers, économiques et sociaux –, pour lequel une gestion compétente constitue un élément essentiel pour attirer les investisseurs privés. Le renforcement et la sécurisation du cadre juridique et réglementaire en Afrique conditionne automatiquement le développement économique du continent. En garantissant les lois et leur application de manière objective, l’Afrique se dote d’un levier d’attractivité considérable, d’autant plus qu’une harmonisation régionale voire continentale des cadres réglementaires serait un plus non négligeable.

Alors que des ressources adéquates existent pour répondre aux besoins énergétiques, les investissements liés à la production énergétique et aux infrastructures de transport de l'énergie sont inadéquats. Les investissements dans ce domaine sont coûteux et hasardeux et exigent des engagements à long terme. La coopération du secteur privé est soit temporaire-par exemple, un contrat de gestion à durée limitée-soit marginale, sous forme de producteurs d'énergie indépendants (ndependent Power Producers « IPPs »), et travaillant dans le cadre de contrats de sous-traitance avec le service public national.

Près de 60 projets du secteur énergétique, à moyen et à plus long terme, impliquent le secteur privé dans la région-à l’exception des contrats pour la production d'énergie d’urgence. Près de la moitié d’entre eux sont des IPP. Avec plus de 2 milliards de dollars EU d’investissements dans le secteur privé, ces IPP ont ajouté près de 3000 MW de capacité nouvelle. Quelques investissements IPP ont été particulièrement bien structurés et fournissent une énergie fiable au réseau national. Mais ce sont des exceptions. L’autre moitié des IPP en Afrique subsaharienne travaillent dans le cadre de concession, de contrats de leasing, de contrats de gestion, généralement pour l’exploitation du système d'énergie national dans son ensemble. Cependant, le taux d’échec est élevé parmi ces projets : environ un tiers des contrats actuels font l’objet de litiges ou ont été annulés.

Indiscutablement, la Chine voit dans l'Afrique un véritable réservoir de matières premières énergétiques et minières indispensables à sa croissance économique. Elle a démarré son implantation pétrolière dans des États en litige avec la communauté internationale (Soudan, Libye puis Angola), à travers une association dans le cadre de consortiums avec la China National petroleum Corporation (CNPC).

Au cours des années récentes, la Banque Ex-Im de Chine a émergée comme un nouveau financier majeur d’infrastructures énergétiques en Afrique subsaharienne. Pour la période 2001-2006, les engagements financiers de la Chine dans le secteur énergétique de l’Afrique subsaharienne ont atteint en moyenne 1,7 milliard par an-équivalent à environ 0,2% du PIB de la région, dépassant ainsi l’APD et les investissements privés combinés. La question centrale est celle de savoir comment mettre en place un cadre normatif harmonisé et une transparence des marchés combinant le cadre législatif et une démocratie participative.

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L'énergie a de tout temps été considérée comme un bien échangeable quelconque, sur un marché dominé par les grandes puissances économiques. Elle n'a pas, en général, servi les intérêts des peuples en développement, les recettes qu’ils en tiraient ayant souvent été très mal utilisées. Pour de nombreux pays pauvres ou sous-développés, dotés de ressources énergétiques, l'énergie a même été une malédiction plutôt qu'une bénédiction.

Aujourd'hui, nous sommes à un tournant particulier de l'histoire où, à l'échelle planétaire, les enjeux stratégiques de l'énergie pour le présent et surtout pour le futur remettent en cause les fondements mêmes du fonctionnement de l'économie mondiale. Dans un contexte où les difficultés économiques limitent les marges de manœuvre des pays développés, il faut améliorer le cadre réglementaire s’améliore avec la modernisation des réglementations concernant directement les entreprises, du droit de la concurrence, des provisions anticorruption dans les affaires, de la fiscalité des entreprises, des accords pour les partenariats public-privés ainsi que des grandes réglementations sectorielles(marchés du travail, système financier et secteurs de l’électricité/de l’eau/des transports).

C’est à cette condition qu’une coopération Nord-Sud volontariste et bien programmée dans le domaine des énergies renouvelables sera certainement fructueuse et mettra en exergue les synergies et les complémentarités naturelles entre les régions et réduirait sensiblement le fossé qui sépare les pays

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industrialisés des pays en développement, renforçant ainsi les chances de l’humanité d’atteindre un avenir meilleur pour tous.

Le projet hydroélectrique de Ruzizi III concernant des Pays des Grands Lacs (Burundi, République Démocratique du Congo et Rwanda) est emblématique de cette gouvernance revisitée. Le Producteur d’énergie hydroélectrique indépendant, émanant du Partenariat Public-Privé(PPP), structuré en concession BOOT d’une durée de 25 ans a été privilégie. Selon la Banque Africaine de Développement, le projet Ruzizi III est le premier projet d'énergie PPP régional en Afrique et constitue un modèle de mise en œuvre réussie de la coordination d’un projet, entre ces trois pays, par un organisme unique, EGL. Cela représente une position politique unifiée pour les institutions financières pour le développement et les investisseurs du secteur privé. Les trois gouvernements se sont engagés à payer pour l'énergie en cas de défaillance des trois fournisseurs d'énergie 5 . La compagnie d'électricité rwandaise, EWASA, a reçu l'autorisation explicite d'acheter toute l'énergie en cas d'excédent.

VI.SOMMET ÉTATS-UNIS–AFRIQUE : LES ENJEUX D’UNE RENCONTRE HISTORIQUE

L’Afrique devient un enjeu énergétique majeur pour Washington. Depuis la fin de la guerre froide deux axes principaux se sont affirmés. L’un stratégique découlant du 11 septembre et mettant l’accent sur l’impératif de lutter contre l’islamisme radical qui gagne du terrain en Afrique, l’autre qui vise à conquérir les marchés africains et à sécuriser les approvisionnements énergétiques qui sont appelés à prendre plus d’importance dès lors que l’instabilité gagne le Moyen-Orient.

Du 4 au 6 août 2014, tous les chefs d’États africains étaient invités en sol américain afin de discuter des relations entre les États-Unis et l’Afrique- sauf les dirigeants de l’Érythrée, de la République centrafricaine, du Soudan et du Zimbabwe, qui ont été jugés infréquentables. L’objectif principal de cette rencontre était clair : bâtir des relations qui reposent sur des intérêts communs, le tout dans le respect mutuel, autour de la coopération économique et des échanges commerciaux, surtout, mais également autour d’enjeux de démocratie et de sécurité6.

Dans ses rapports avec le monde des émergents, l’Administration Obama entend faire prévaloir une logique d’inclusion - l’idée consiste à mieux associer la Chine et les nouveaux venus à la conduite des affaires internationales-, avec l’élaboration de réponses concertées à la crise économique globale et la promotion d’un forum planétaire sur les questions diplomatiques et stratégiques. Devant la redistribution des cartes géopolitique et économique mondiales, Washington a très vite compris qu’il fallait revoir ses relations avec le continent. Si les États-Unis s’inquiètent de l’hégémonie à venir de la Chine en Afrique orientale, ce qui justifie la politique du « pivot », c’est-à-dire le redéploiement de ses forces vers le Pacifique au détriment du Moyen-Orient, l’engagement en Afrique, face à la Chine, prend un tour plus compétitif.

A. Le pari d’entrer dans les benchmarks des stratégies africaines des BRICs Selon des observateurs internationaux, c’est la concurrence grandissante en Afrique avec des anciennes puissances coloniales d’une part, et d’autre part, avec des puissances nouvelles qui a été l’un des facteurs qui poussent l’administration américaine à reconsidérer sa façon de percevoir le continent africain. Pour eux, outre l'objectif sécuritaire, à contrecarrer l'influence des nouveaux partenaires stratégiques de l'Afrique, entre autres la Chine et le Japon. À l’instar des autres puissances, les États-Unis entre dans la danse des sommets avec l’Afrique. Rappelons dans ce sens que les sommets France-Afrique, Chine-Afrique, Turquie-Afrique, Inde-Afrique, Japon-Afrique, Brésil-Afrique existent depuis des années.

5 La capacité de l’électricité produite par, Ruzizi III sera achetée par la Régie de Production et Distribution d’Eau et d’Electricité du Burundi (REGIDESO), la Société Nationale d’Electricité de la République Démocratique du Congo (SNEL) et Energy and Water Sanitation Authority du Rwanda (EWSA) (collectivement, les Acheteurs) en vertu d’un Accord d’Achat d’Electricité à long-terme. Les garanties des trois gouvernements à payer pour l'énergie en cas de défaillance des entreprises de services publics ont été également négociées. Ce projet a le potentiel de transformer l'approvisionnement en électricité pour environ 107 millions de personnes vivant dans la région des Grands Lacs. La signature du contrat de PPP entre EGL et le consortium du secteur privé s’est déroulé fin septembre 2014; fin des négociations financières (août 2016); début des travaux de construction en 2017; et achèvement de la construction en 2020. 6 Au premier jour du sommet, le secrétaire d’État américain John Kerry n’a pas manqué de soulever la question du respect des valeurs démocratiques et des droits de l’homme. «Une société civile forte, le respect pour la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme, ce ne sont pas seulement des valeurs américaines, ce sont des valeurs universelles», a-t-il souligné. John Kerry a également souligné l’importance de la limitation des mandats présidentiels. «Nous presserons les dirigeants de ne pas modifier les constitutions pour leurs bénéfices personnels ou politiques ».

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Le développement économique qu’a connu l’Afrique au cours des dernières années, avec une croissance moyenne annuelle dépassant 5 %, le présente comme un grand marché émergent que les États-Unis ne veulent pas négliger, de par les nombreuses opportunités d’affaires pour les investisseurs, industriels et les fournisseurs américains. L’Afrique est considérée comme le continent d’avenir, riche de ses matières premières, riche d’une population jeune et nombreuse et d’une importante classe moyenne, futur marché que lorgnent les Occidentaux. Trop longtemps accaparé par une gestion difficile de la crise financière et économique mondiale, l’actuel président américain espère certes combler son retard.

Le sommet intervient en effet à un moment où le PIB de plusieurs pays africains est en croissance, les classes moyennes et leurs dépenses en énergie augmentent, la population du continent devrait doubler d'ici 2050 et six des dix économies du monde à la croissance la plus rapide se trouvent en Afrique subsaharienne. Les experts s’accordent à dire que les États-Unis sont pressés de combler leur retard face à la présence économique de l’Union européenne et, surtout, de la Chine. Cette dernière n’hésite pas à investir sans compter et sans condition en Afrique, notamment dans les ressources naturelles. En 2013, alors que les échanges entre les États-Unis et l’Afrique ne faisaient que 85 milliards de dollars, la Chine en comptabilisait plus du double, soit environ 210 milliards de dollars. Obama avait d’ailleurs appelé les pays africains à la vigilance face aux nombreux contrats (dans le domaine énergétique, entre autres) conclus avec la Chine.

L'Afrique permet en effet à la Chine d'acquérir une indépendance dans son accès aux matières premières et de sécuriser son approvisionnement. Cette politique a été explicitement développée dans la doctrine chinoise du «going out», visant à faire croître les entreprises chinoises dans le secteur des matières premières à l'étranger et tout particulièrement en Afrique. La Chine a conclu de nombreux accords et contrats de long terme avec les pays africains producteurs de pétrole, notamment le Nigeria et l'Angola. Ces relations entre la Chine et les producteurs de matières premières vont croissantes.

Le sommet de Washington s’est terminé avec une promesse du président Barack Obama de débourser 33 milliards de dollars pour stimuler l’investissement public et privé sur le continent. La Maison-Blanche a aussi promis d’intensifier son programme Power Africa, qui consiste en un vaste plan de développement électrique pour plus de 60 millions de foyers et d’entreprises. Durant ce sommet, les chefs d’États africains ont saisi l’occasion pour plaider spécifiquement pour la reconduction de l’AGOA. Véritable clé de voûte des relations économiques des Etats Unis et l’Afrique, la loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (AGOA) est au cœur de l’actuel dispositif puisque régissant l’essentiel des échanges commerciaux entre les deux parties.

B. AGOA post-2015 : vieille rengaine ou nouvel air La politique commerciale américaine se caractérise depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale par une très grande continuité, orientée qu’elle est vers la réalisation de trois grands objectifs, soit l’ouverture ordonnée et multilatérale des marchés, le respect de la règle de droit dans les échanges internationaux et la promotion de la liberté économique dans le respect des droits souverains. Ajoutons que si la politique commerciale est étroitement associée aux priorités de la politique étrangère, elle est également traversée par les débats de politique intérieure et sous influence du Congrès. La politique commerciale américaine se singularise par sa très grande continuité, d’abord et avant tout parce qu’elle repose sur des principes et un cadre institutionnel bien établis. Cela dit, continuité ne signifie pas rigidité, encore moins invariabilité.

37 pays africains en sont signataires et se sont engagés, à travers un outil précieux (AGOA), à progresser vers une économie de marché, un état de droit, à favoriser le libre-échange, et à mettre en en œuvre des politiques économiques pour réduire la pauvreté. C’est en 2000 que la Loi sur la croissance et les perspectives économiques de l’Afrique (AGOA) est adoptée pour favoriser le développement et consolider les réformes économiques dans les pays de l’Afrique Subsaharienne. Cette initiative, lancée par le président Clinton, vise désormais 37 pays.

L’accès préférentiel au marché des États-Unis, de même que l’octroi de certains avantages aux investisseurs américains, est soumis à de nombreuses conditionnalités. Celles-ci se divisent en trois catégories. Tout d’abord, le pays doit démontrer qu’il est engagé dans un programme étendu et soutenu de réformes économiques. Ensuite, le pays ne doit pas engager des activités qui vont contre la sécurité ou les intérêts de la politique étrangère des États-Unis. Enfin, il ne doit pas être compromis dans des actes de violation grave des droits de la personne ni soutenir les actes de terrorisme. À cette liste de conditions, vient s’ajouter une

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autre plus longue encore décrivant les situations particulières qui autorisent les États-Unis à ne pas accepter la candidature d’un pays.

Certains pays africains en ont tiré profit comme l’Ile Maurice (pour le textile et l’informatique). Les États-Unis s’approvisionnent en pétrole brut et dérivés. Selon le ministère américain du commerce, les exportations américaines vers la région ont triplé entre 2001 et 2011, passant de moins de 7 milliards de dollars à plus de 21 milliards, tandis que les importations de produits subsahariens aux États-Unis ont atteint une valeur de 74,2 milliards de dollars l’an dernier. L’African Growth Opportunity Act (AGOA) donne par ailleurs aux entreprises chinoises produisant dans certains pays d’Afrique un accès privilégié au marché américain.

A ce jour, même si il résulte des importations supérieures aux exportations, l’AGOA qui a été modifiée à plusieurs reprises depuis sa promulgation initiale, n’a pas satisfait aux intentions affichées de levier du développement et de créateur de revenus et d’emplois dans des secteurs d’activités considérés, à juste titre, comme déterminants pour faire décoller les économies africaines, à savoir le textile, l’agro-industrie ou encore l’artisanat. Les données montrent que la plupart des importations aux États-Unis dans le cadre de l’AGOA se font surtout dans le secteur de l’énergie. Le mécanisme de l'AGOA doit expirer en 2015, et la plupart des pays africains souhaitent obtenir son renouvellement pour une période de 10 à 15 ans.

Le récent sommet USA-Afrique a envoyé un signal optimiste sur les possibilités de renouvellement de la loi américaine AGOA. La commission de l’Union africaine avait lancé un appel aux pays éligibles pour demander une prolongation de cette loi pour les 15 prochaines années. Une étude internationale publiée en 2013 souligne : « Des discussions soutenues ont été tenues entre les décideurs politiques africains et américains à propos des relations commerciales pour l’après 2015 entre les Etats-Unis et les pays africains, à l’exception de l’Afrique du Nord. Ces discussions ont largement tourné autour de la question de prolonger ou non la législation actuelle et, dans ce cas, pour combien de temps et quels éléments devraient alors être modifiés. Bien que certaines propositions présentant ce qui pourrait se produire selon différents scénarios aient été avancées, aucune n’est soutenue par des preuves empiriques et, de ce fait, n’est réellement utile pour informer et nourrir la conception des relations pour l’après 2015 »7.

La victoire majeure de ce sommet a été l'engagement du président des États-Unis Barack Obama à soutenir le renouvellement de l'AGOA .Les législateurs américains devraient voter le renouvellement de l'AGOA lorsque le contrat de l'engagement actuel expirera en 2015. Mais un des défis majeurs concernant l'AGOA est de déterminer comment les pays africains pourront profiter pleinement de cet accès en franchise aux marchés américains pour tirer parti de l’AGOA. Il importe, dès lors de capitaliser sur les acquis réalisés et les bénéfices engrangés afin de rendre irréversible la dynamique africaine et ainsi la renforcer dans un environnement très compétitif.

VI. L’INITIATIVE « POWER AFRICA » : PLAN MARSHAL OU BIENVEILLANCE INTERESSE ?

Des mécanismes financiers opérationnels sont nécessaires pour mettre en œuvre une politique sur l’efficacité énergétique en Afrique. L’accès au financement est une des clefs pour mettre en œuvre et développer des technologies énergétiquement efficaces, et ainsi pour concrétiser les économies d’énergie et les économies monétaires en découlant. Les financements peuvent venir de différentes sources et de différentes voies. Une gamme de financements est disponible, des modèles coordonnés par les gouvernements, aux Partenariats Privés ou Publics (PPP) et Compagnies de Services Energétiques (ESCO), qui impliquent des acteurs privés. Un support financier sera nécessaire pour lancer des programmes et activités et amorcer des processus de transformation des marchés, parmi d’autres instruments possibles.

En Juin 2013, le président Obama avait annoncé une nouvelle initiative visant à doubler l'accès à l'électricité en Afrique sub-saharienne. La première phase concerne six pays : Ethiopie, Ghana, Kenya, Libéria, Nigeria et Tanzanie. 7 milliards de dollars sur cinq ans contribueront à cet effort et plus de 9 milliards de dollars en investissements privés sont attendus. Il s’agit d’un partenariat multilatéral avec l’objectif commun d’accélérer les investissements à destination du secteur de l’énergie électrique en Afrique au cours des cinq prochaines années.

7 Loi sur la croissance et les possibilités économique en Afrique, une analyse empirique des possibilités pour l'après-2015.

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Le chef d’entreprise africain Tony O. Elumelu s’est déjà engagé à verser 2,5 milliards de dollars des États-Unis au secteur de l’énergie électrique en Afrique. Pour Elumelu, Président de la société Heirs Holdings « L’investissement de Heirs Holdings dans le projet « Power Africa » n’a pas pour unique objectif de créer de la valeur pour les actionnaires. Nous voulons faire des affaires dans ce secteur stratégique pour le long terme, afin d’établir un lien entre le rendement économique et les prestations sociales, un élément essentiel de ce que j’appelle l’« Africapitalisme »8.

Le 8 mai 2014, la Chambre des représentants américaine a approuvé Power Africa. Ce plan du Président Barack Obama qui vise à doter l’Afrique subsaharienne de 20 000 mégawatts de capacité énergétique supplémentaires d’ici 2020 précise qu’il s’agit : « d’ aider les pays à développer de façon responsable des ressources récemment découvertes, construire des centrales et des lignes électriques et élargir les solutions de mini réseaux et de systèmes hors réseau”. Douze agences gouvernementales américaines, pilotées par USAID, sont impliquées dans Power Africa, qui a désigné six pays pour sa première phase : le Ghana, le Liberia, le Nigeria, l’Ethiopie, le Kenya et la Tanzanie.

La part américaine ne représente finalement qu'une fraction de cet ensemble. La Banque mondiale (8,3 milliards de dollars d'engagement), la Banque africaine de développement (3 milliards), le gouvernement suédois (1 milliard) et le secteur privé américain (6 milliards de nouveaux engagements) prennent en charge l'essentiel du programme. Les concepteurs du projet ont favorisé les énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse...) tout en écartant la plus puissante et stable d'entre elles : l'hydroélectricité – du fait des risques environnementaux. C'est ainsi que le projet du Grand Inga, en RD Congo – l'un des plus ambitieux du continent-est pour l'instant exclu du programme.

Selon Amadou Sy, chercheur à la Brookings Institution de Washington. « C’est un modèle qui donne au secteur public américain le rôle de sherpa du secteur privé, pour clarifier, arriver à une bonne estimation des risques, et aussi des solutions pour offrir des garanties partielles, des cautions pour les investissements engagés par les entreprises, le tout sur un nombre limité de pays. Donc, moi je le vois comme un laboratoire, et avec l’annonce de quatorze milliards de dollars par le secteur privé, le départ est plutôt prometteur ». Le Fonds Africa50 devrait multiplier les efforts pour créer un effet de levier pour libérer des sources de financement privées dans l’optique d’accélérer le rythme de réalisation d’infrastructures en Afrique.

CONCLUSION : ELECTRIFIER UN CONTINENT PLONGE DANS L’OBSCURITE

Boostée par une urbanisation galopante ainsi que l’émergence d’une nouvelle classe moyenne, la croissance en Afrique est devenue de nature endogène, confirmant ainsi qu’elle est destinée dans les années à venir à devenir le moteur de l’économie mondiale. L’Afrique se positionne en modèle de croissance et de rebonds (7 pays Africains font partie du Top 10 de la meilleure croissance mondiale). Si l’Afrique s’illustre par un potentiel économique et démographique considérable, renvoyant dos à dos les paradigmes qui jusqu’alors ont fondé ses relations avec le reste du monde, rien n’atténue les défis, aussi multiples que complexes, posés par le développement du continent. D’ici à 2050, l’Afrique va être confrontée à une croissance démographique sans précédent. Ces défis feront peser sur l'ensemble des économies et des systèmes politiques de très fortes contraintes qui sont autant de menaces pour le maintien d'un développement pérenne de l'Afrique, qui peut se transformer en une zone de très fortes instabilités.

L’Afrique est riche d’un énorme potentiel domestique en énergies renouvelables, qu’elle pourrait mettre à profit pour le développement d’un approvisionnement électrique fiable et abordable plus que nécessaire et d’un accès universel aux sources d’énergie modernes, tout en évitant les impacts négatifs sur l’environnement. Cette Afrique, qui regorge de ressources et qui permet des investissements si fructueux devrait être riche, comme a pu le devenir la Norvège, qui dans les années 1960 était encore un pays de pêcheurs et de paysans et qui aujourd’hui, grâce au pétrole fait partie des pays les plus riches au monde. Mais le constat est là :

8La société holding de M. Elumelu, à travers son entité émettrice Transnational Corporation of Nigeria (Transcorp), a acquis la centrale électrique d’Ughelli, l’une des plus importantes du Nigéria, dont il prévoit de rétablir la capacité de production maximale de 1 000 mégawatts.

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l’Afrique est probablement la région du monde, où l’écart entre les richesses générées par l’industrie et la pauvreté des populations est le plus important. L’Afrique a besoin d’améliorer de manière significative son approvisionnement en électricité. La prise en compte des trois objectifs du développement durable, d’efficience, d’équité et de soutenabilité, supposé évidement des arbitrages intertemporels et intergénérationnels et la prise en compte des contextes spécifiques.

Le secteur énergétique est très capitalistique et la mise en œuvre de politique et de stratégies dans ce domaine suppose inévitablement des investissements considérables. 15 milliards USD ont été investis en 2013 dans le secteur énergétique en Afrique contre 9 milliards USD en 2009. Selon les estimations, au vu du potentiel énergétique africain, il est possible d’investir jusqu’à quatre fois plus afin de garantir un accès universel à l’énergie. Les acteurs publics et privés concernés devront donc, en tout état de cause et quels que soient les scenarios et hypothèses retenus, prendre la mesure de ce défi industriel. Des cadres, juridique et institutionnel, solides sont donc nécessaires pour les protéger.