Soleil des abysses

10

description

L’ombre s’allonge, on voit au ciel Les étoiles qui étincellent ; Déjà brûlent leurs hautes flammes, Et selon l’ordre intransigeant Tourne, comme astre au firmament, Ton manque dans mon âme. pour anna Attila József, Derniers poèmes. À Clément, El Jefe. 8 9 10 11 12 13 14

Transcript of Soleil des abysses

Page 1: Soleil des abysses
Page 2: Soleil des abysses

1006_066_Soleil_Abysses.indd 61006_066_Soleil_Abysses.indd 6 9/07/10 15:56:449/07/10 15:56:44

Page 3: Soleil des abysses

À Clément, El Jefe.

pour anna

L’ombre s’allonge, on voit au cielLes étoiles qui étincellent ;

Déjà brûlent leurs hautes fl ammes,Et selon l’ordre intransigeant

Tourne, comme astre au fi rmament,Ton manque dans mon âme.

La nuit, telle une mer qui râleSa passion d’hydre végétale,

M’étouffe en ses relents odieux.Viens, jette au fond de ces abysses

Le fi let de désir et hisse : Hisse-moi vers tes yeux !

Attila József, Derniers poèmes.

1006_066_Soleil_Abysses.indd 71006_066_Soleil_Abysses.indd 7 9/07/10 15:56:449/07/10 15:56:44

Page 4: Soleil des abysses

8

1006_066_Soleil_Abysses.indd 81006_066_Soleil_Abysses.indd 8 9/07/10 15:56:449/07/10 15:56:44

Page 5: Soleil des abysses

9

– 24 : 00 : 00

Une lampe clignote au-dessus de moi. Des lueurs rougeâtres. Pourtant mes paupières sont

fermées. Je les ouvre, la lumière m’aveugle. Tout est blanc. Puis des formes se dessinent peu à peu, à gros traits.

La clarté trop forte m’oblige à détourner le regard. Mes yeux roulent dans leurs orbites, j’ai l’impression qu’ils sont faits de porcelaine et qu’ils pèsent une tonne.

Ma vision se précise. Je suis allongé dans une sorte de lit rembourré dont les côtés remontent. Un couvercle transparent, dont j’aperçois l’extrémité à mes pieds, refermait le caisson.

Je n’ai aucune idée de l’endroit où je me trouve. Cette pensée devrait me terrifi er. Néanmoins je reste calme. Rien ne me menace encore.

Je veux redresser mon buste mais il est très lourd et m’entraîne en arrière. Je suis obligé de m’accrocher aux rebords pour me mettre en position assise. La pièce tourne autour de moi, il m’est diffi cile de distinguer quoi que ce soit. Plusieurs secondes me sont nécessaires pour que les murs arrêtent de faire la ronde.

Quand ils se fi gent enfi n, j’aperçois une grande salle aux néons pâles. On se croirait dans un hôpital, tout a l’air si propre, si déprimant. J’ai l’impression de me

1006_066_Soleil_Abysses.indd 91006_066_Soleil_Abysses.indd 9 9/07/10 15:56:449/07/10 15:56:44

Page 6: Soleil des abysses

10

réveiller dans une chambre inconnue, rien ne m’est familier. Mes mains sont longues, mes veines ressortent sous la peau très fi ne. Les tendons apparaissent quand je fais jouer mes doigts. J’ai le poignet fi n, presque maigre.

Qu’est-ce que je fais ici ? Ai-je été enlevé ? Si je me fie à mes sensations, je pourrais croire qu’on m’a endormi au chloroforme, comme dans les livres. Les héros se mettent toujours à vomir quand ils se réveillent. D’ailleurs, je ne me sens pas très bien.

Quand je parviens enfi n à m’extraire de mon caisson et à poser les pieds par terre, un grondement me parvient. Un ronfl ement sourd, à peine perceptible mais continu. Je me demande d’où il provient.

À peine me suis-je posé la question qu’un nouveau problème se présente à moi. La pièce est remplie de lits étranges, le même modèle reproduit à l’identique. Il y en a six, disposés en cercle. Sept en comptant le mien.

Je me mets debout sur mes jambes qui fl ageolent encore et me dirige vers le cercueil de verre le plus proche. L’expression m’est venue naturellement. On s’attend à y trouver des cadavres. Ma bouche est sèche quand je me penche au-dessus de la vitre de protection.

Je suis un peu soulagé de ne rien voir. La buée opacifi e le couvercle. Je remarque seulement des points lumi-neux sur le fl anc de la machine, indiquant peut-être les signes vitaux de la personne à l’intérieur. Pour celle-ci, tout à l’air de fonctionner. Il en va de même pour les trois suivants.

En arrivant au quatrième, je reçois un choc : il n’y a aucune condensation sur le verre. Une vieille dame est allongée, les cheveux blancs, peignés à l’ancienne mode. Son visage est creusé et ridé ; son expression demeure sereine. Elle me rappelle vaguement quelqu’un, mais qui ? Toutes ses diodes sont éteintes.

1006_066_Soleil_Abysses.indd 101006_066_Soleil_Abysses.indd 10 9/07/10 15:56:449/07/10 15:56:44

Page 7: Soleil des abysses

11

Je recule en frissonnant. C’est la première fois que je vois un mort. Que s’est-il passé ? Peut-être n’a-t-elle pas supporté le traitement.

J’ai peur de continuer mon exploration. Comment se fait-il que je ne me souvienne de rien ? Reste-t-il d’autres découvertes macabres ? Prenant mon courage à deux mains, je m’oblige à avancer.

Par chance, les cinquième et sixième caissons fonc-tionnent correctement.

Le dernier se révèle pourtant différent. Tout semble en état, mais il est totalement vide. Est-ce qu’il était inoc-cupé dès le départ ? Ou bien la personne qui s’y trouvait est-elle partie ? Elle pourrait avoir tué la vieille dame dans son sommeil. Et puis, mon cercueil était ouvert. Étais-je la prochaine victime ?

Mon regard balaye la pièce circulaire. Personne. Mon imagination doit me jouer des tours. J’en profi te pour examiner le décor. Les murs, le sol et le plafond sont recouverts d’une couche de plastique blanc, un peu caoutchouteuse au toucher, qui amortit le bruit des pas.

J’ignore comment j’ai pu oublier tout ce qui s’est passé ici. C’est comme si ma mémoire avait été entière-ment effacée. Au bout d’un moment, je me rends compte avec horreur que je ne me rappelle même plus mon nom. Je pense en français et je suis un garçon. Deux choses dont je suis sûr. Je pourrais aussi bien m’appeler Benjamin, Benoît, Michel ou Clément. Impossible de le savoir.

Je baisse les yeux sur mes vêtements. Un uniforme blanc, depuis la veste jusqu’aux chaussures, en passant par la chemise et le pantalon. Seule ma cravate s’avère noire quand je tire dessus. Les épaulettes et les manches sont ornées de trois galons dorés surmontés d’une ancre de marine. Il doit y avoir une erreur : je n’ai jamais fait partie de l’armée. Je m’en souviendrais !

1006_066_Soleil_Abysses.indd 111006_066_Soleil_Abysses.indd 11 9/07/10 15:56:449/07/10 15:56:44

Page 8: Soleil des abysses

12

Je décide de sortir de cette pièce au plus vite.Il y a une espèce d’échelle aux barreaux intégrés dans

le mur. Je grimpe jusqu’à l’étage supérieur, passant prudemment la tête par la trappe. Des tableaux de bord luisent sur des consoles posées devant une grande baie vitrée. Les appareils semblent fonctionner normalement. Je n’aperçois aucune autre issue. Chaque passage d’une pièce à une autre est équipé d’une porte qui se ferme hermétiquement, comme dans les stations spatiales. Comment ai-je pu atterrir là-dedans ?

Il doit faire nuit dehors, on ne distingue rien du tout. La salle se réfl échit dans les grandes vitres. Je sursaute en apercevant soudain une silhouette. Quelqu’un !

Il me faut un moment pour comprendre que je contemple mon propre refl et dans le miroir obscur. La curiosité est la plus forte. Je m’approche pour mieux examiner mes traits, comme s’il s’agissait d’une photo-graphie.

J’ai des cheveux très courts, pratiquement rasés. Ils doivent être châtains ou bruns, mais c’est diffi cile à dire dans ces conditions. Mon visage est celui d’un adoles-cent androgyne de quinze ans environ. J’ai dû connaître une croissance trop rapide ou un amaigrissement récent, car mon double n’a que la peau sur les os. L’uniforme fl otte un peu sur mes épaules. Suis-je beau ? Possible... Je me trouve surtout des yeux immenses et fatigués.

Tout à coup, un réfl exe me fait reculer d’un pas. Il m’a semblé apercevoir quelque chose bouger dans l’obscu-rité. Une masse sombre, un remous. Mais l’impression se dissipe rapidement, tout est de nouveau calme.

Je dois arrêter de sursauter à la moindre alerte, mon cœur risque de ne pas tenir. Je scrute les ténèbres. On dirait que la nuit a coagulé comme du sang et qu’elle s’est collée au verre. Mieux vaut s’éloigner un peu.

1006_066_Soleil_Abysses.indd 121006_066_Soleil_Abysses.indd 12 9/07/10 15:56:449/07/10 15:56:44

Page 9: Soleil des abysses

13

Derrière moi, contre le mur, une grande horloge digi-tale égrène des chiffres rouges. Au moment où mon regard tombe dessus, elle indique :

– 23 : 14 : 45Les nombres lumineux ne cessent de changer pour

marquer le compte à rebours. Dans moins de vingt-quatre heures, il se passera quelque chose. Mais quoi ? L’arrivée d’un appareil ? L’explosion d’une bombe ?

Cela commence à faire un peu trop de mystères. Mon exploration ne cesse de me confronter à de nouvelles questions sans résoudre les premières.

J’ai perdu la mémoire : c’est ma seule certitude. Mon visage est celui d’un inconnu, je ne me rappelle ni mon identité, ni mon passé. Je sais des choses, mais d’autres m’échappent complètement. Par exemple, je sais que, dans les romans, on demande aux amnésiques en quelle année ils pensent être et le nom du président en exercice. C’est une chance qu’il n’y ait personne pour m’inter-roger parce que je serais incapable de donner les bonnes réponses.

J’en reviens à ma première idée : je dois sortir d’ici. Si jamais tout doit exploser quand le décompte arrivera à zéro, je préfère ne plus être là.

De la tour de contrôle, mes pas me conduisent de nouveau vers la salle des cercueils. Je ne m’arrête pas. L’endroit me fait froid dans le dos. Une nouvelle série d’échelons mène à un autre étage. Cela n’en fi nit pas.

On se croirait dans un cauchemar. J’en profi te pour me pincer. Un autre truc qui me revient. Normalement, si on est endormi, on doit se réveiller. Ma peau se plisse sous mes doigts, élastique, sans me faire très mal. Le résultat est nul. Je ne suis pas en train de rêver.

Le bâtiment dans lequel je me trouve a des allures futu-ristes. Les lignes en sont simples et élégantes. Si seule-ment je pouvais savoir d’où vient ce bourdonnement !

1006_066_Soleil_Abysses.indd 131006_066_Soleil_Abysses.indd 13 9/07/10 15:56:449/07/10 15:56:44

Page 10: Soleil des abysses

14

D’ailleurs, le bruit s’intensifi e quand j’arrive au niveau inférieur. Une grande partie de la salle est occupée par un énorme cylindre qui court du sol au plafond. Lorsque je pose ma main dessus, je ressens des vibrations.

À mes pieds s’ouvre une énième trappe. Un peu las, je descends encore. Cette fois, il n’y a aucune lampe. À part la clarté qui tombe par l’ouverture du plafond, c’est le noir complet.

Je trébuche sur du matériel entreposé et manque de m’écrouler. Ma main s’agrippe à une barre qui dépasse, m’empêchant de tomber. La pièce doit être un entrepôt ou un débarras. À tâtons, j’explore un peu l’endroit en luttant contre une peur croissante. Qui sait ce qui peut se cacher dans les ténèbres ?

Mes doigts effl eurent une sorte de volant. Malgré la situation, je souris car j’ai trouvé ce que je cherchais : une issue de secours.

Je commence à déverrouiller la porte. Le mécanisme peine un peu mais, en forçant, je parviens à faire tourner la roue de métal.

Soudain, toutes les lumières s’allument. Surpris, je me retourne pour me retrouver nez à nez avec le canon d’un revolver.

L’arme est braquée sur ma tête.

1006_066_Soleil_Abysses.indd 141006_066_Soleil_Abysses.indd 14 9/07/10 15:56:449/07/10 15:56:44