Sociohistoire des usages de l’anglais dans les … · Un langage générationnel 1. Comment...
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Sociohistoire des usages de l’anglais dans les musiques populaires électro-amplifiées en France
Michael Spanu, doctorant en sociologie au 2L2S, Université de Lorraine
Sous la direction de Jean-Marie Seca
Introduction
✤ “Je t’aime, moi non plus”, le paradigme d’une relation culturelle
✤ Un artiste/groupe qui chante en anglais en France : un phénomène
récent ?
✤ Le chant anglais a longtemps été considéré comme inauthentique
pour des artistes français
✤ Différentes perspectives : l’industrie musicale, les médias et les
amateurs
✤ L’Autre musical = une
caricature (Klein, 1988)
✤ La France est un empire
colonial : importance des
rapports de pouvoir symbolique
✤ Josephine Baker, une noir-
américaine qui chante en
français
1. Comment l’industrie a homogénéisé les
expressions musicales populaires
✤ Une mécanique du spectacle
✤ Déplacement du centre d’attention
✤ Dimension technologique du rapport à la langue chantée
1. Comment l’industrie a homogénéisé les
expressions musicales populaires
Après la Seconde Guerre Mondiale
✤ les accords Blum-Byrnes : liquidation d’une partie de
la dette française contre l’ouverture du marché au films
américains
✤ Volonté de faire plus de français dans les arts :
création du CNC, discours protectionnistes, etc.
1. Comment l’industrie a homogénéisé les
expressions musicales populaires
✤ le secteur musical se limite à une petite élite parisienne
✤ relations de parrainage entre les artistes
✤ une standardisation qui affecte la langue et le langage (fond + forme)
✤ une traduction qui efface la subversion (voir Morin, 1965)
1. Comment l’industrie a homogénéisé les
expressions musicales populaires
De nombreuses références à l’anglais :
✤ noms de scène (« Long Chris », « Ricky Sailor », etc.)
✤ noms de groupes (« Les Gamblers », « Les Players », « Les Playboys »)
✤ onomatopées (« Oh yeah »)
= marqueurs exotiques, ironie protectrice (Birgy, 2012), business de la traduction
1. Comment l’industrie a homogénéisé les
expressions musicales populaires
✤ L’anglais comme outil
de stylisation, avec les
vêtements, les coupes
de cheveux, etc.
✤ une “réponse negociée”
à la “mythologie masse
médiatique” (Hebdidge,
2008)
1. Comment l’industrie a homogénéisé les
expressions musicales populaires
“En France, comme d’habitude on mélange tout. L’ailleurs, le monde, pour beaucoup ce sont les photos de Paris Match qui leur amènent. On est curieux, mais on filtre l’info avec le peu qu’on sait et c’est souvent pas grand-chose. Mais c’est étranger, c’est loin, c’est ricain donc c’est bien. ” (Eudéline, 2006)
1. Comment l’industrie a homogénéisé les
expressions musicales populaires
“Pourquoi je me mets à chanter ? Parce que l’éducation répressive qui prévaut à l’époque et les abus en tous genres dont je fais les frais dans divers établissements ne m’encouragent pas dans la voie des études, et par conséquent je me sens mal dans ma peau. Je cherche à tout prix une porte de sortie.”
“Tard dans la nuit, les anglophones essaient de capter Luxembourg international pour essayer d’entendre des trucs anglais ou américains (…) Les autres écoutent ce qu’on leur donne, comme les émissions de Filipacchi. À cette époque on ne se pose pas encore trop la question de savoir si le système nous manipule (…). C’est pratiquement impossible d’opérer hors système. .”
“Il y a tant de choses qui se perdent dans la traduction mais aussi sont parfois réinventées par elle. Les erreurs d’interprétation deviennent créations. On est tous en partie copie, ersatz d’autres, conglomérats d’erreurs accumulées (…), et c’est souvent dans l’approximation de cette traduction que les gens se reconnaissent le mieux. ” (Eudéline, 2006)
1. Comment l’industrie a homogénéisé les
expressions musicales populaires
✤ Une compétence culturelle
✤ Une fonction de cryptage
✤ Nouvelles définitions pour la
jeunesse
✤ La langue du rebelle et du
chic
✤ Un langage générationnel
1. Comment l’industrie a homogénéisé les
expressions musicales populaires
2. Résistance au modèle de la variété
Le “grand partage” (Guibert, 2006):
✤ Le rock authentique en anglais qui vient de l’ailleurs
anglo-saxon
VS
✤ la version française, politiquement correcte, produit
sur le modèle du music hall
2. Résistance au modèle de la variété
Quelques exemples :
✤ Les Variations (1966-
1975)
✤ Dynastie Crisis (1970-
1974)
✤ Chico Magnetic Band
(1969-1972)
2. Résistance au modèle de la variété
✤ Relation conflictuelle avec les journalistes qui perçoivent l’anglais comme une imitation inauthentique
✤ Les disques des groupes français sont parfois dificiles à trouver
✤ Les couvertures de magazines par des groupes français vendent moins
2. Résistance au modèle de la variété
“when I used to write with Shakin’ Street I was writing with a full impact of the 5 members, I felt more aggressive, more delinquent, outlaws, we were like a family, like a gang. (…) What is important for me when writing lyrics is that I want to help people who feel sad to feel better, for people who feel depressed that it is necessary to go ahead. I like give (sic) the message to my listeners that freedom is accessible, that love is the key of happiness. (…) French music sucks! All the rockers in France know that, and by the way I am very grateful to my fans in France who know the difference!” (January 2005)
2. Résistance au modèle de la variété
✤ effet de la “horde” portée par une voix
✤ perte de valeur sémantique
✤ peu de dimension contestataire
✤ une rage essentialisée
✤ une conscience de classe sous-jacente
2. Résistance au modèle de la variété
✤ Mimesis linguistique dans le début de carrière, reprises des
modèles anglo-saxons
✤ Passer au français ou disparaitre
✤ Sing it yourself!
✤ Nancy, Kas Product (1980-1990) ; Rennes, Marquis de Sade (1977-
1981) ; Rouen, Dogs (1973-2002) ; Angers, les Thugs (1983-1999)
✤ Plasticité linguistique : l’exemple de Boucherie
3. Appropriations mainstream de l’anglais
Les “groupes fantômes”:
✤ Jupiter Sunset (1970)
✤ Time Machine (1971)
= usage marketing de l’anglais, non
ritualisé par la répétition , imitation
dans un but de profit à court terme
3. Appropriations mainstream de l’anglais
✤ Francophone
✤ Adoption stratégique de
l’anglais
✤ Pas d’ambigüité
✤ Numéro 1 aux États-Unis
✤ Potentiel économique
3. Appropriations mainstream de l’anglais
✤ Un outil marketing pour
atteindre une audience plus
vaste
✤ Des valeurs adaptées au
marché global
✤ éloge de la nation américaine
(“I Love America”)
✤ hétérosexualité (“You Turn Me
On”; “Where Is My Woman?”)
Conclusion
Dans les deux cas ( rock underground rock ou pop/disco mainstream), l’usage de l’anglais existe principalement à travers un rapport particulier au corps du public :
✤ danse
✤ relâchement physique
✤ pogo
= diminution de la part sémantique du chant
Conclusion
✤ un objet esthétique en partie « dénué de sens », rendant
« problématique non seulement la manière dont est défini le monde
(…), mais aussi celle dont il devrait l’être » (Hall, 2007)
✤ ce phénomène rend problématique la supposée continuité
linguistique entre l’interprète et la musique qu’il performe (selon
une grille d’authenticité en partie construite sur cette continuité) et
« trompe » ou « déçoit » nos « attentes »
✤ « Les limites de l’expression linguistique sont définies par un certain
nombre de tabous d’apparence universelle. Ces tabous garantissent
la continuité, la « transparence » et la « naturalité » du sens. »
(Hebdidge, op. cit.)
Conclusion
✤ authenticité
✤ cryptage
✤ un cadre idéologique de l’industrie musicale française
= ambivalence envers la langue étrangère :
✤ opportunité de profit mondial
✤ nécessité de revendiquer ce choix comme stratégique
Bibliographie
Birgy P. (2012), « « Si cette histoire vous amuse, on peut la recommencer » : Le yéyé et l'importation de la contre-culture américaine », Volume ! 9 : 1, pp. 151-167.
Eudéline P. (2006), Anti-yéyé, Paris, Denoël.
Guibert G. (2006), La production de la culture. Le cas des musiques amplifiées en France. Genèses, structurations, industries, alternatives. Paris, Irma/Séteun.
Hall S. (2007), Identités et cultures. Politiques des Cultural Studies. Paris, Amsterdam.
Hebdidge D. (2008), Le sens du style, Paris, La découverte.
Klein J.-C., « Chanson et music-hall des années 20 », in Rieger D. (éd.), La chanson française et son histoire, Tubingen, Gunter Narr Verlag, 1988.
Morin E. (1965), « On ne connaît pas la chanson ». Communications, 6. pp. 1-9.
Perona M. (2011), « Comment les quotas de diffusion radiophonique nuisent à la diversité », Revue économique, Vol. 62, pp. 511-520.
Vassal J. (1971), Folksong, Paris, Albin Michel.
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