Simone Weil Devant La Porte

7
15. Simone Weil devant la porte 15. Simone Weil devant la porte Sara Danièle Bélanger M. Lignes de fuite Page 1/7

description

Simone Weil Devant La Porte

Transcript of Simone Weil Devant La Porte

  • 15. Simone Weil devant la porte

    15. Simone Weildevant la porte

    Sara Danile Blanger M.

    Lignes de fuite Page 1/7

  • 15. Simone Weil devant la porte

    Proposer l'image de Simone Weil devant la porte, premier pas pour essayer de penserl'abandon ou l'tat d'exception comme position existentielle.

    Simone Weil devant la porte

    Simone Weil est un monstre pour moi ; une femme plus grande que nature, engage etintransigeante, anarchiste et insaisissable, qui condense, dans ma vision exagre des choses, toutle malaise du vingtime sicle - c'est beaucoup dire, j'en suis consciente, mais je ne peux pas faireautrement. Son malaise est multiforme. Il est central, encore prsent, toujours agissant. On peuttrouver plusieurs attributs pour le dcrire : il est d'abord existentiel, ensuite intellectuel, ouinversement ; il s'attache tout : la religion (ou plutt aux religions), l'tat, aux classes sociales, la situation politique de la seconde guerre, plus prcisment, au rapport d'enracinement et dedracinement qu'entretient l'individu avec toutes ces dimensions qui l'affectent malgr lui.

    Simone Weil est ce monstre qui a su faire de son profond malaise l'gard des institutions(principalement l'tat et l'glise) un vritable moteur pour la pense, qui a su faire concidermystique et anarchisme dans une mme qute, dans une qute dont on peut parler d'une faonbizarre et paradoxale comme d'un abandon. C'est--dire bandon (en deux mots), expression dontAgamben relve l'ambigut smantique en montrant qu'elle signifie autant la merci de que librement (1997 : 121). C'est de cette version paradoxale de l'abandon dont laquelle je ferairfrence, en tant que source et rponse un malaise monstrueux et multidirectionnel. Proposerl'image de Simone Weil devant la porte, c'est donc pour moi le premier pas pour essayer de penserl'abandon ou l'tat d'exception - pour reprendre une fois de plus Agamben - comme positionexistentielle.

    Cette position excentrique et/ou excentre qu'occupe Simone Weil ne reprsente pas simplement unrejet de l'institution comme fait social - laquelle est associe une forme de souillure, un danger decontagion -, mais il s'agit plus fondamentalement d'une volont d'accder l'universel en sedpouillant du nous institutionnel, travers un parti pris pour l'exil, pour l'tranget. En restant auseuil de la porte, Simone Weil adopte l'tat d'exception, elle se constitue en quelque sorte en feminasacra (l'quivalent que j'ai trouv au concept d'homo sacer d'Agamben encore), c'est sa faon debtir sur - ou partir de - son malaise et de faire de l'exclusion la position existentielle et spirituelle partir de laquelle on peut repenser la place du sacr dans la modernit.

    Sur le seuil de la porte

    En guise d'entre en matire, voici un court pome ( La Porte ), trouv par hasard dans ses uvres chez Quarto. Ouvrez-nous donc la porte et nous verrons les vergers, Nous boirons leur eau froide o la lune a mis sa trace. La longue route brle ennemie aux trangers. Nous errons sans savoir et ne trouvons nulle place.

    Nous voulons voir des fleurs. Ici la soif est sur nous.

    Lignes de fuite Page 2/7

  • 15. Simone Weil devant la porte

    Attendant et souffrant, nous voici devant la porte. S'il le faut nous romprons cette porte avec nos coups. Nous pressons et poussons, mais la barrire est trop forte.

    Il faut languir, attendre et regarder vainement. Nous regardons la porte ; elle est close, inbranlable. Nous y fixons nos yeux ; nous pleurons sous le tourment ; Nous la voyons toujours ; le poids du temps nous accable.

    La porte est devant nous ; que nous sert-il de vouloir ? Il vaut mieux s'en aller abandonnant l'esprance. Nous n'entrerons jamais. Nous sommes las de la voir... La porte en s'ouvrant laissa passer tant de silence

    Que ni les vergers ne sont parus ni nulle fleur ; Seul l'espace immense o sont le vide et la lumire Fut soudain prsent de part en part, combla le cur, Et lava les yeux presque aveugles sous la poussire. (Weil, 1999 : 805)

    L'interprtation facile ou premire du pome serait de voir la porte, laquelle on cogne et qui rsiste,comme l'allgorie d'un passage au transcendant. Ce qui rappelle en mme temps la parabole de laloi chez Kafka ouLe Chteau, o on trouve ce mme dsir de passer le seuil et d'entrer, d'accder cette plnitude qu'on imagine de l'autre ct. Mais la porte, si elle s'ouvre, ce n'est pas parce qu'on ycogne. Et de toute faon, on ne passe pas le seuil. Simone aussi reste sur le seuil. La porte qu'elleveut franchir, c'est celle-l - c'est--dire celle qui permet l'entre dans le transcendant, le surnaturel,la spiritualit authentique - et non l'autre, celle qu'elle pourrait traverser si elle le voulait, parce qu'elleest grande ouverte et qu'on l'y invite (je parle ici de celle de l'glise). La porte de l'glise commeinstitution, c'est justement celle qu'elle refusera de franchir jusqu' la fin, en rejetant le baptmemalgr sa foi catholique et malgr le fait qu'elle ait senti personnellement le doigt de Dieu, oupeut-tre pour cette raison mme, parce que, prcisment, l'exprience mystique ressemble uneexprience anarchiste dans la sphre du religieux. Dans une lettre au pre Perrin, elle explique ainsison refus d'entrer dans l'glise, elle crit : Il existe un milieu catholique prt accueillir chaleureusement quiconque y entre. Or je ne veux pastre adopte dans un milieu, habiter dans un milieu o on dit nous et tre une partie de ce nous, me trouver chez moi dans un milieu humain quel qu'il soit. En disant que je ne veux pas jem'exprime mal, car je le voudrais bien ; tout cela est dlicieux. Mais je sens que cela ne m'est paspermis. Je sens qu'il m'est ncessaire, qu'il m'est prescrit de me trouver seule, trangre et en exilpar rapport n'importe quel milieu humain sans exception. Cela semble en contradiction avec ce que je vous crivais sur mon besoin de me fondre avecn'importe quel milieu humain o je passe, d'y disparatre ; mais en ralit c'est la mme pense ; ydisparatre n'est pas en faire partie, et la capacit de me fondre dans tous implique que je ne fassepartie d'aucun (Weil, 1950 : 60).

    On trouve l, le fond et l'originalit de toute sa pense. Ce paradoxe qu'elle exprime entre unesituation d'tranget, d'exil et un profond dsir de se fondre dans ces milieux humains qu'elle visite,concide trs bien avec ce concept d' tat d'exception que propose Agamben. D'un point de vuetymologique : exception vient de ex-capere, qui signifie prise dehors . Et donc, pour Agamben,

    Lignes de fuite Page 3/7

  • 15. Simone Weil devant la porte

    qui s'appuie lui-mme sur Badiou, l'exception est ce qui ne peut tre inclus dans le tout auquel ilappartient et ne peut appartenir l'ensemble dans lequel il est toujours dj inclus (1997 : 32). Ceque l'on peut extraire de cette faon de dfinir l'tat d'exception, c'est l'indistinction entre un dehorset un dedans ; c'est aussi le paradoxe par lequel on retrouve une forme d'inclusion dans l'exclusionmme. Simone Weil se place en tat ou en position d'abandon ( bandon) dans ce qu'Agambenappelle l' espace du ban qui est littralement une ban-lieue - ou lieu du ban - o le dehors et lededans ne sont plus l o on les attendrait, o l'inclusion ne dpend plus d'une appartenance l'institution mais peut concider avec son rejet. Elle ressent et rflchit comme une impossibilit cetteentre dans l'institution par l'acte symbolique du baptme et, par consquent, elle reste sur le seuilde la porte, l'abandon en quelque sorte - libre et la merci de tout et de tous - dans cet tatd'exception qu'elle se construit pour elle-mme et qui devient, on pourrait dire, autant un paradigmeuniversel dans la modernit que, par effet d'entranement peut-tre, et en exagrant un peu, leparadigme de l'universel dans la modernit.

    Au cur de ce rejet, qui est presque aussi une recherche de l'exclusion, il y a un malaise vident ;un malaise davantage intellectuel que spirituel. Simone Weil avoue au pre Perrin dans la mmelettre : Ce qui me fait peur, c'est l'glise en tant que chose sociale. Non pas seulement cause de sessouillures, mais du fait mme qu'elle est entre autres caractres une chose sociale. Non pas que jesois d'un temprament trs individualiste. J'ai peur pour la raison contraire. J'ai en moi un fortpenchant grgaire. Je suis par disposition naturelle extrmement influenable, influenable l'excs,et surtout aux choses collectives (Weil, 1950 : 59).

    Et quelques lignes plus loin : J'ai peur de ce patriotisme de l'glise qui existe dans les milieuxcatholiques. J'entends patriotisme au sens du sentiment qu'on accorde une patrie terrestre. J'en aipeur parce que j'ai peur de le contracter par contagion (ibid.) . Cette crainte de contracter lesentiment ou la folie du nous par contagion, d'tre souille ? par contact avec le nous institutionnel, est lie ce malaise de l'intelligence . Il ne s'agit pas de dire simplement que le nous est un danger potentiel pour le je , mais que le nous , dans ou malgr son aspectenglobant, inclusif, est lui-mme facteur d'exclusion. Et cela vaut particulirement pour le nous du christianisme qui se conserve en dfinissant un dehors, une zone d'exclusion, qui prend desnoms - paens, infidles, hrtiques, etc. - et des justifications multiples. Plus prcisment, le pouvoirde juridiction de l'glise, qui est aussi un pouvoir de dlimitation serr entre un dedans et un dehors,repose sur cette petite formule plutt troublante que souligne Simone Weil :anathema sit. Cetteformule qui dpartage le dedans du dehors en excluant ce qui ne se conforme pas au dogmeprescrit, c'est prcisment la celle de l'excommunication, qui vient de ex-communicare : littralement mettre hors communaut [1]. En plus d'tre un mcanisme d'exclusion, la formule anathema sitse propage ailleurs dans l'histoire et devient le paradigme politique du totalitarisme. Le malaise est lentre autres, et il est profond. Il commande dans son cas ce refus, saveur anarchiste, del'institution, qui dlimite une intriorit et une extriorit, et de sa loi, qui procde par exclusion. Enchoisissant cet tat d'exception, alors qu'elle pourrait vivre un tat d'inclusion , une fusion dans le nous ou une lgitimation institutionnelle, Simone Weil rplique dans les mmes termes laformule anathema sit. C'est--dire qu'elle dcide d'tre exclue de l'institution catholique, de se fixerdans ce dehors et, par l, elle renverse le sens de l'tat d'exception ; elle en fait quelque chose d'agi,un choix thique en quelque sorte. On peut penser que son parcours va un peu dans le sens decertaines thses sur l'histoire de Benjamin, la huitime entre autres : La tradition des opprims nous enseigne que l' tat d'exception dans lequel nous vivons est la

    Lignes de fuite Page 4/7

  • 15. Simone Weil devant la porte

    rgle. Nous devons parvenir une conception de l'histoire qui rende compte de cette situation. Nousdcouvrirons alors que notre tche consiste instaurer le vritable tat d'exception ; et nousconsoliderons ainsi notre position dans la lutte contre le fascisme (Benjamin, 2000 : 433).

    La pense de Simone Weil, sa pense incarne et rduplique - pourrais-je dire en me permettantcette incartade kierkegaardienne - initie intellectuellement et spirituellement un renversement del'tat d'exception ; un renversement qui est en fait une sorte d'acquiescement cet tat et qui puisepeut-tre autant dans une pulsion anarchiste que dans une attitude quasi mystique de renoncementou de dtachement. Sa volont d'accder l'universel - au plus pur, au plus nu - transparatclairement travers la position d'exception qu'elle endosse. Dans cette forme de nudit qui vientavec le fait de se dpouiller du nous institutionnel, on retrouve un lan mystique trs vif quipousse chercher derrire le voile du dogme, ou du mcanisme de conservation et de transmissionde l'enseignement, une vrit autre, universelle. Dans cet esprit, le mouvement et l'objet de la qutese correspondent ; l'tat d'exception et l'exclusion s'accordent, dans une logique existentielle etspirituelle rigoureuse, avec un dsir d'universalit, avec une tentative d'accder la nudit de l'tre.Rien de moins.

    >>>

    Femina sacra

    Dans cette reprsentation de Simone Weil devant la porte, il y a un choix existentiel qui allie uneposture de pense thique, politique et spirituelle. Tous ces lments sont irrductiblement lis danscet tat d'exception o se fixe Simone-le-monstre ; ce surnom semble ridicule (il l'est probablement),mais ce que je veux dsigner par l, c'est la figure agambennienne de l'homo sacer qui devient iciune femina sacra et qui se trouve tre justement la figure l'tat d'exception ou, pour poursuivre lamtaphore, le monstre qui l'habite. Trs simplement, l'homo sacer, chez Agamben, dsigne unepersonne place en dehors de la juridiction humaine sans passer sous la juridiction divine. C'est lapersonne situe dans un no man's land o elle n'appartient proprement rien, n'est soumise aucune structure tout en tant la merci de tout et de tous ; elle se trouve l'abandon par cettedouble exception. Cette figure apparat donc comme une exception au sein de la sphre profane enmme temps qu'une exception au sein de la sphre religieuse. Si j'emploie la formulation paradoxale exception au sein de , c'est de faon dlibre, parce qu'elle est celle qui dsigne peut-tre lemieux le rapport trange d'exclusion/inclusion qui se joue ici. Sans appartenir, l'homo sacer estinclus malgr tout, par la bande, dans la marge o il se trouve, par la structure du ban ou l'espace dela ban-lieue, Simone Weil endosse cette figure de femina sacra dans toutes ses posturesexcentriques ou plus justement ses postures d'ex-centrement : quand elle tourne le dos l'universitpour devenir ouvrire entre autres, quand elle dcide de rester sur le seuil de la porte malgr sa foi.Elle se place constamment dans un tat d'exception, peut-tre par devoir de probit intellectuelle ou en vertu de son besoin de mdiation. Reste que dans les postures de femina sacra qu'elleadopte, elle cre quelque chose qui m'apparat tre la sphre ou la modalit du sacr qui devientcelle qui domine dans la modernit. Il s'agit d'un sacr dsinstitutionnalis, cela va sans dire,empreint d'un anarchisme mystique ou d'une mystique anarchiste - chiasme facile - qui jaillit partird'un malaise certain. Plus fondamentalement encore, c'est peut-tre dans le mouvement de frapper la porte du transcendant qu'il se ralise et qu'il peut tre vcu dans un choc paradoxal entreinclusion et exclusion. En ce sens, la sphre du sacr se cre mme le profane - profane venantde pro-fanum, qui se tient devant le temple - parce que c'est forcment sur le seuil qu'on se tient

    Lignes de fuite Page 5/7

  • 15. Simone Weil devant la porte

    pour frapper la porte de la transcendance. Le sacr n'est pas ce qu'on trouve ou ce qu'on postulede l'autre ct de la porte, il est un no man's land dans et, en mme temps, ct du mondeprofane, c'est--dire le domaine d'action, de rflexion et de contemplation qui y est inclus tout entant dcal. Par une ascse de la pense, la femina sacra qu'est Simone Weil se maintient dans ledsquilibre de ce dcalage : elle alimente les souffrances et les malaises afin de mieux investir cettat d'exception, le malaise - existentiel, spirituel ou autre - tant un moteur pour l'esprit, quelquechose qui pousse frapper la porte de la transcendance sans entrer dans l'institution qui la rgit.

    Sacrifice

    Il faut mentionner un autre aspect important li la figure de l'homo sacer. En gnral, en raison deleur proximit smantique entre autres, on associe de trs prs sacr et sacrifice. Pour Agamben, lerapport ne se pose pas de cette faon : l'homo sacer reprsente cette vie qu'on peut terimpunment sans pour autant la sacrifier. Une vie sacre, c'est donc une vie expose au meurtremais insacrifiable (Agamben, 1997 : 93) et l'exemple par excellence de cette simple tuabilit absurde, c'est le cas des juifs sous le nazisme. Dans un passage tir du mme texte, Agamben crit:

    La vrit, difficilement acceptable pour les victimes elles-mmes mais que nous devons pourtantavoir le courage de ne pas recouvrir d'un voile sacrificiel, est que les juifs ne furent pas exterminsau cours d'un holocauste dlirant et dmesur, mais littralement, selon les mots mmes de Hitler, comme des poux , c'est--dire en tant que vie nue. La dimension dans laquelle l'extermination a eulieu n'est ni la religion, ni le droit, mais la biopolitique (Agamben, 1997 : 125).

    Les juifs sont homines sacri dans cette nudit absolue qui les aline d'une couverture lgale,politique, religieuse, et donc en raison de cet tat d'exception o on les a placs. C'est l o lemodle de l'homo sacer d'Agamben ne fonctionne plus tout fait pour penser la figure de feminasacra qu'incarne Simone Weil. Agamben pense l'tat d'exception dans une perspectiveprincipalement politique ; il pense l'homo sacer comme le produit d'un nomos souverain. Juivependant la seconde guerre mondiale, Simone Weil prend un peu part ce modle : son exil forc Londres et son travail pour l'organisation de la France libre sont indissociables de cet tatd'exception qui lui est impos. Mais la contrainte n'est pas exclusivement extrieure, elle relvesurtout, fondamentalement en fait, d'un impratif interne. Simone Weil se constitue elle-mme en femina sacra dans tous ses dcentrements, voire ses dracinements, dans sa dpense complted'elle-mme. Sa sacralit , pourrait-on dire, droge en cela du moule agambennien ; son assiseou sa source tant existentielle et spirituelle avant tout, et si elle est galement politique, c'est qu'ellel'est, encore une fois, existentiellement politique ou spirituellement politique.

    Juste avant sa mort, elle travaille ce qu'elle appelle son second grand uvre qui s'intitule,presque ironiquement, L'Enracinement. crit frntiquement, dans un tat d'urgence jusqu'l'puisement total, qui plus est dans un contexte de dracinement on ne peut plus radical, L'Enracinement apparat comme une tentative de penser le politique la lumire d'un Bien absolu,dans l'hritage de La Rpublique de Platon. L'enracinement dont il est question se conoit sur lemode d'une direction de conscience l'chelle d'un pays , mode minemment spirituel. Il s'agit depuiser dans une vision platonicienne et chrtienne de la transcendance une sorte d'inspiration quirinitiera un processus d'enracinement. Pour faire chec toutes les formes de dracinements, tous ces mini-tats d'exception qu'elle constate autour d'elle et dont elle souffre, elle propose unenracinement par le haut , un enracinement spirituel dans le politique, une re-sacralisation de la

    Lignes de fuite Page 6/7

  • 15. Simone Weil devant la porte

    vie ou plutt un remaniement du sacr dans l'existence qui vient s'opposer au modle dubiopolitique. Elle se dpense entirement dans cette uvre qu'on pourrait voir comme une tentativede dpassement de l'tat d'exception. Elle se dpense jusqu' la perte, jusqu' l'anantissement.Sans vouloir romantiser sa mort, reste qu'on ne peut en parler de faon univoque comme d'uneextinction au bout d'une simple maladie, vers la fin de sa vie, atteinte de tuberculose, puise, enproie au dsespoir, elle s'alimente de moins en moins, n'acceptant que ce que permettent les ticketsde rationnement en France. Elle meurt de consomption dit-on. Le mot consomption est riche de sens: elle est morte d'une tuberculose pulmonaire, elle est morte d'un amaigrissement et d'unaffaiblissement extrmes, elle s'est littralement consume dans cet tat d'exception qui tait le sien,dans un esprit de sacrifice. Louis Closon dit propos de Simone Weil : Elle avait besoin des'immoler. Cela existe. La figure spcifique de femina sacra qu'elle incarne rintgre le sacrificedans le sacr, ce qui ne revient pas dire que sa mort serait proprement parler un sacrifice, c'estplutt sa vie qui en est un, et sa mort s'insre peut-tre dans ce schma comme l'aboutissement decette logique sacrificielle. L'cart le plus important avec le modle agambennien de l'homo sacer secreuse dans cette dpense sacrificielle dont le statut ou la signification restent ambigus. Commentsavoir si sa mort reprsente un dpassement de l'tat d'exception ou plutt une rsignation, s'il s'agitd'un enracinement ou d'un dracinement final ? Au final, pour moi, dans mon incomprhensionprofonde, sa mort apparat un peu comme une fissure dans l'uvre et semble consacrer le rgned'un malaise spirituel et politique dont la modernit ne s'est toujours pas dbarrasse.

    Bibliographie

    Agamben, Giorgio. Homo sacer ; le pouvoir souverain et la vie nue. Paris : Seuil, 1997.

    Benjamin, Walter. uvres III. Paris : Gallimard, 2000.

    Weil, Simone. Attente de Dieu. Paris : La Colombe, 1950.

    Weil, Simone. uvres. Paris : Gallimard, 1999.

    Notes

    [1] Ce genre de pratique - qui semble appartenir au pass - nous est douloureusement rappel pardes vnements comme celui de l'enfant brsilienne viole dont la mre et les mdecins qui ontprocd l'avortement ont t excommunis.

    Lignes de fuite Page 7/7