SIGNIFICATION POLITIQUE DE LA GREVE DU LIMBOURG

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SIGNIFICATION POLITIQUE DE LA GREVE DU LIMBOURG ANALYSE D'ARTICLES SYNDICAUXET DE TRACTS GAUCHISTES par Christian PIRET Pour évaluer la signification des thèmes utilisés dans des tracts ou articles à l'occasion d'un mouve- ment social, on ne peut se contenter d'une typologie des thèmes, qui ne peut dépasser le stade de la description. Il faut encore éclairer le sens, de cette typologie par une autre approche: l'étude des stra- tégies politiques. En outre, cette dernière approche serait malaisée si elle se cantonnait dans une pers- pective synchronique. Cette double nécessité (typologie des stratégies et analyse de contenu sur une période longue) apparaît essentielle pour comprendre les tracts et articles parus, tant pendant le Mouvement de mai 1968 que durant la grève du Limbourg de 1970. La grève du Limbourg de janvier-février 1970 a donné lieu à de nombreuses analyses, auxquelles nous croyons utile d'ajouter de nouveaux éléments. En utilisant la même typologie que C. Durand et S. Cazes dans leur article «La signification politique du Mouvement de mai. Analyse de tracts syndicaux et gauchistes s (1), nous avons fait l'analyse de contenu des articles syndicaux et des tracts gauchis- tes apparus au cours des événements. Nous étions bien conscients au départ que la grève du Limbourg n'a eu ni l'ampleur ni les objectifs du Mouvement de mai. (1) C. DURAND et S. CAZES, « Signification politique du Mouvement de Mai. Analyse de tracts' syndicaux et gauchistes», Soeioloçie du Traarail, 3, 1970, pp. 293-308. En reprenant à quelquenuance près le titre de cet article, nous signalons notre intention d'analyser la grève du Limbourg avec la même typologie que ces auteurs. Notre titre soulève cependant deux objections : - Par manque de tracts syndicaux, nous avons dû nous référer aux articles des périodiques syndicaux. - Le vocable « gauchiste» est impropre, du moins si on lui donne le sens attribué au gauchisme par Lénine dans « Le gauchisme, la maladie infantile du communisme». Ce vocable rassemble ici tous les mouvements mobilisateurs, qu'ils soient gauchistes ou non, avec pour critères leur effet mobilisateur d'une part, leur opposition aux organisations traditionnelles d'autre part. 107

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SIGNIFICATION POLITIQUE DE LA GREVE DU LIMBOURG

ANALYSE D'ARTICLES SYNDICAUXET DE TRACTS GAUCHISTES

par

Christian PIRET

Pour évaluer la signification des thèmes utilisésdans des tracts ou articles à l'occasion d'un mouve-ment social, on ne peut se contenter d'une typologiedes thèmes, qui ne peut dépasser le stade de ladescription. Il faut encore éclairer le sens, de cettetypologie par une autre approche: l'étude des stra-tégies politiques. En outre, cette dernière approcheserait malaisée si elle se cantonnait dans une pers-pective synchronique.

Cette double nécessité (typologie des stratégieset analyse de contenu sur une période longue)apparaît essentielle pour comprendre les tracts etarticles parus, tant pendant le Mouvement de mai1968 que durant la grève du Limbourg de 1970.

La grève du Limbourg de janvier-février 1970 a donné lieu à denombreuses analyses, auxquelles nous croyons utile d'ajouter denouveaux éléments. En utilisant la même typologie que C. Durand etS. Cazes dans leur article «La signification politique du Mouvementde mai. Analyse de tracts syndicaux et gauchistes s (1), nous avonsfait l'analyse de contenu des articles syndicaux et des tracts gauchis-tes apparus au cours des événements. Nous étions bien conscients audépart que la grève du Limbourg n'a eu ni l'ampleur ni les objectifsdu Mouvement de mai.

(1) C. DURANDet S. CAZES, « Signification politique du Mouvement deMai. Analyse de tracts' syndicaux et gauchistes», Soeioloçie du Traarail,3, 1970, pp. 293-308.En reprenant à quelque nuance près le titre de cet article, nous signalons

notre intention d'analyser la grève du Limbourg avec la même typologieque ces auteurs. Notre titre soulève cependant deux objections :- Par manque de tracts syndicaux, nous avons dû nous référer aux

articles des périodiques syndicaux.- Le vocable « gauchiste» est impropre, du moins si on lui donne le

sens attribué au gauchisme par Lénine dans « Le gauchisme, la maladieinfantile du communisme». Ce vocable rassemble ici tous les mouvementsmobilisateurs, qu'ils soient gauchistes ou non, avec pour critères leur effetmobilisateur d'une part, leur opposition aux organisations traditionnellesd'autre part.

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Ainsi la typologie employée comportera-t-elle des difficultés duesà ces différences. Mais, en faisant abstraction de celles-ci, nouspensons que la typologie de C. Durand et S. Cazes prête à une critiqueinterne que nous nous proposons de faire.Aussi, dans le cadre d'un séminaire de licence en sociologie (2),

avons-nous décidé de partager notre travail en deux étapes: la pre-mière comporte l'utilisation directe et sans restrictions de la typolo-gie des deux auteurs cités, la seconde est une critique de cette typo-logie et propose de nouvelles pistes d'analyse.

Pour une bonne compréhension du texte, il s'avère nécessaire de seréférer à l'article déjà cité. Cependant, pour le lecteur pressé, nousprésentons en annexe une explication des différentes rubriquesutilisées dans la typologie.

J. Les groupes en présence

Notre étude se limite aux mouvements qui ont essayé de canaliserla grève, soit par la politisation et la mobilisation, soit par la négocia-tion. Nous avons donc inclu dans l'analyse les syndicats, quoiqueceux-ci aient été opposés au mouvement. Nous avons analysé lesarticles des syndicats, ceux-ci n'ayant presque pas publié de tracts.Ces articles sont parus dans «Au Travail» et «Syndicats» (3). Lafonction différente d'un article et d'un tract pourrait expliquer, enprincipe, les différences que nous percevrons dans les tableaux quisuivent. En effet, un article a pour fonction d'expliquer une situation,et un tract a plutôt pour objet de mobiliser. Ce biais n'a pu êtreévité, mais nous ne pensons pas qu'il change grand chose aux résul-tats obtenus. Le fait même que les syndicats aient eu peu de recoursaux tracts est en lui-même significatif de leur isolement par rapportà la masse et aux mouvements mobilisateurs,

Deux groupes sont apparus comme particulièrement mobilisateursau cours de Ia grève : le «Comité Permanent» et «Force des Mi-neurs s , Enfin, la «JGS-SJW» (Jeunes Gardes Socialistes-SocialisteJonge Wacht), de tendance trotskyste, a travaillé en collaborationavec le Comité Permanent, distribuant des tracts en collaboration aveclui et parfois indépendamment de lui.

Ainsi obtenons-nous cinq groupes : la Confédération des SyndicatsChrétiens (CSC), La Fédération Générale du Travail de Belgique

(2) Nous remercions les étudiants qui ont participé à ce séminaire.Notre analyse doit beaueonp à leurs suggestions, critiques, ainsiqu'à leurtravail de dépouillement.

(3) Le séminaire était composé en grande majorité de francophones.Nousavons donc dû nous référer surtout aux textes écrits en languefrançaise. Le «Comité Permanent» et ( Force des Mineurs» ont diffusédes tracts dans les deux langues, que nous avons pu inclure dans l'analyse.Il n'en n'a pas été de même pour la presse syndicale. Celle-ci présentantdes positions officielles, nQUS ne pensons pas avoir introduit un biaisimportant dans l'analyse.

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Archives Européennes de Sociologie IREDACTION

Raymond Aron - Jean BaeehlerThomas Bottomore - Ralf Dahrendorf - Erie de Dampierre

Ernest Gellner - Steven LukesMusée de l'Homme, Parts-Ië

TOME XII 1971 NUMERO I

SOMMAIRE

PIERRE BOURDIEU

Une interprétation de la théorie de la religion selon MaxWeber.

ZYGMUNT BAUMAN:Social Dissent in the East-European Political System.

LESZEK KOLAKOWSKI:A Pleading for Revolution : A rejoinder to Z. Bauman.

JEAN BAECHLER :De la fragilité des systèmes politiques.

NOTES CRITIQUES

WALTER EUCHNER, Hobbes und keine Ende? -MOSHE SHOKEID-MINKOVITZ, The Social Anthropo-logist in Committment. - A. BOPEGAMAGE and R. NKULAHALLI, Social Analysis of 'Sanscritization '. -JOHN R. URRY, Some Notes on the Study of the Pro-motion Finding in «The American Soldier» - PETERBURKE, Pierre Francastel and the Sociology of Art.

Les Archives paraissent deux fois par an. La correspon-dance administrative et les abonnements doivent êtreadressés à l'administrateur, M. Junod, librairie Plon,8 rue Garancière, Paris - 6. Le tome annuel: 28 F.Numéros séparés: 16 F pour l'année en cours: 32 Fpour les anciens numéros.

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l'homme et la sociétérevue internationale

de recherches et de synthèses sociologiques

EDITIONS ANTHROPOS

Direction - Rédaction,95, boulevard Saint-Michel, Paris-ô, Tél. 325.18.95

Administration - Abonnements,15, rue Racine, Paris-6, Tél. 326-99-99

N° 19 1971

SOCIOLOGIE ET MARXISME

Débats, études, synthèses :Herbert MARCUSE : Marxisme et liberté.Adam SCHAFF : Que signifie «être marxiste» ?Mihailo MARKOVIC: Une société nouvelle et son orga-nisation.Dr C. J. MUNFORD: Structure sociale et révolution noireen Amérique.Irène MATTHIS: Pour un mouvement féminin révolution-naire.Christian PALLOIX : Impérialisme et analyse du capita-lisme contemporain.

Essais théoriques:Jacques GUIGOU : Le sociologue rural et l'idéologie duchangement.

Recherches :Jean-Claude WILLA ME : Recherches sur les modes deproduction cynégétique et lignager.Albert MEISTER : Développement communautaire et ani-mation rurale en Afrique.Africa Research Group : Les dessous de la guerre civilenigérienne.

Etudes critiques; Colloques et congrès; Comptes rendus;Revue des Revues; Livres reçus.

Le numéro: 18 F.

Abonnement: 1 an (4 numéros) : France: 60 FEtranger : 70 F

CCP : Paris 8 721 23

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(FGTB), le Comité Permanent, Force des Mineurs, et la JGS-SJW.Les organisations syndicalesétant mieux connues, il est peut-être

nécessaire d'expliquer brièvement l'origine des autres groupes. LeComité Permanent est né à l'occasion de la grève: il regroupe enpartie des délégués syndicaux mécontents de leurs organisations, desmilitants ouvriers, des amis politiques de la Volksunie et du Partipour la Liberté et le Progrès (PLP). Il a pour origine plus anciennel'association des «Amis de Zwartberg s, créée après la fermeture dela mine de Zwartberg. On trouve peu de mineurs dans ce Comité.

La JGS-SJW, de tendance trotskyste, travaille en collaboration,assez lâche durant quelques années, plus étroite depuis peu, avec leParti Wallon des travailleurs (PWT) et son aile flamande. Ces deuxorganisations publient les hebdomadaires «La Gauche» et «Rood ».

«Force des Mineurs» est une expérience de liaison entre unefraction radicale des ouvriers mineurs et une fraction radicale dumouvement étudiant (particulièrement le SVB, Studentvakbeweging,de Louvain). Ce groupe serait plutôt de tendance maoïste, comme entémoignent ses accointances avec le groupe «Clarté» (Parti Commu-niste Marxiste Léniniste, ayant sa zone d'influence à Charleroi). Cegroupe a pu mobiliser une partie des mineurs mais son impact n'ajamais été aussi important que celui du Comité Permanent.

Cette présentation est évidemment fragmentaire : elle n'a pour butque d'aider le lecteur à comprendre ce qui suit.

II. Application de la typologie de Durand et Cazes

En suivant l'exemple des deux auteurs cités, nous porterons notreattention sur trois aspects, définissant les rubriques de la typologie.

1. La répartition des phrases ou unités significatives entre lesrubriques « revendication, négociation, mobilisation, politisation» (4).2. La répartition des revendications en «matérielles, sociales, or-

ganisationnelles, de gestion et de droits syndicaux ».3. La répartition de la rubrique « politisation» en sous-catégories :

«politisation de politique concrète» et «politisation par la critiquedes structures ».

Nous renvoyons le lecteur à l'annexe pour une bonne compréhensionde ces différentes rubriques.

1. Fréquence des différents thèmes dans les tracts ou articles desdifférentes organisations

Nous avons calculé, pour chaque organisation, le pourcentage desphrases ou unités significatives exprimant une revendication, infor-

(4) Dans le cas des tracts, la division s'est faite en fonction du nombredes phrases: dans le cas des articles, on a regroupé les phrases en« unités significatives », reprenant des ensemblesde phrases dont le sensne peut être compris que par regroupement.

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mant sur les négociations ou faisant appel à celles-ci, donnant uneexplication politique de la situation, ou tentant de mobiliser le lecteur.

Tableau 1Répartition des thèmes (en %)

NombreOrgani- Revendi- Négociation Politisation Mobili- desations cation sation Total phrases

CSC 8 90 0 2 100 160FGTB 0 60 12 28(5) 100 25Comité Perm. 15,8 3,3 24,3 56 100 247JGS-SJW 20 6 43 28 100 145Fo. des Min. 16 10 18 56 100 150

Que peut-on conclure de ce tableau ?1. La position des syndicats dans le conflit ne fut pas revendicative.

Le tableau établit une nette ligne de partage entre ceux qui font placeaux revendications et à la négociation d'une part, à la politisation età la mobilisation d'autre part. Cette position particulière des syndi-cats est surtout marquée par le haut pourcentage des phrases de«négociation ». Les nombreux tableaux du journal «Au Travail»font référence aux résultats obtenus par les accords de programma-tion sociale. Face au mouvement de grève, l'action de politisation etde mobilisation des syndicats a été quasi nulle.

2. Une légère différence apparaît entre la CSC et la FGTB. Lefait serait-il dû à la rivalité syndicale, au désir de la FGTB de dé-marquer légèrement sa position par rapport à celle de la CSC ? Etantminoritaire au Limbourg, la FGTB a pu osciller entre le désir defaire alliance avec la CSC, désir qui l'a nettement emporté, et le désirde profiter de la situation pour essayer de recruter de nouveauxadhérents. Ctte tendance opportuniste a dû, d'autre part, tenir comptede l'existence d'un groupe minoritaire, «le comité des mineurs grévis-tes de la FGTB », appuyé par le Parti Communiste.

Quant au pourcentage relativement élevé de mobilisation, il est dûaux difficultés de classement de pratiques qui sont démobilisatrices.En fait, le journal « Syndicats» appelle les travailleurs à rentrer chezeux et à attendre les résultats du référendum. Cette fréquence ~e28 %constitue donc une anomalie largement expliquée, tributaire d'unetypologie qui devait soit englober des pratiques contradictoires, soitlaisser des phrases non classées.

3. Quelles différences trouve-t-on parmi les groupes qui ont mené

(5) Comprenant également despratiques démobilisatrices. Voir expli-cation dans le texte, p. 4.

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la grève ? Au vu du tableau I, une seule différence apparaît signifi-cative : Le Comité Permanent et Force des Mineurs mobilisent da-vantage quela JGS. Cette relation s'inverse si l'on considère la ru-brique e politlsation e. Cette différence est largement explicable,compte tenu de la situation des différents groupes vis-à-vis du mou-vement de masse. Les deux premiers groupes sont mobilisateurs : ilsorganisent les manifestations et réunions, les diverses actions quise sont déroulées au cours des six semaines de grève. La JGS, aucontraire, a collaboré avec le Comité Permanent : les manifestationsqu'elle organise se font donc en liaison avec celui-ci. Aussi n'a-t-ellepas à mobiliser dans ses tracts. Lorsque ce groupe veut mobiliser, illefait par l'intermédiaire du Comité Permanent. Ainsi est-il libre destâches de mobilisation et peut-il porter plus d'intérêt à la politisation.

4. Il est possible que la position particulière de la JGS ne soit pasun phénomène accidentel et relève d'une stratégie de ce groupepolitique. Il s'agirait pour la JGS de coller au mouvement de masseen travaillant avec le groupe le plus mobilisateur (le Comité Perma-nent) et en proposant une analyse politique des événements suffisam-ment différente pour justifier l'existence de tracts autonomes et sonrôle d'avant garde. Cependant, la nécessité de ne pas trop se démar-quer par rapport au Comité Permanent a peut-être eu une influencesur le type de politisation. On relèvera que cette même tactique a étéutilisée par les groupes trotskystes lors des grèves de 1960-1961, laFGTB faisant alors office de «Comité Permanent» (6).

2. Les types de revendications

Une décomposition du thème «revendication» devrait permettre dedistinguer les différences d'objectifs des groupes en présence. Ontrouvera en annexe le contenu des différentes sous-catégories propo-sées ici.

Tableau 2

Répartition des types de revendications (en %)

Matériel- Sociales Organi- Gestion Droits Nombreles sation Syndi- de

Organi- caux Total phrasessations

CSC 46 54 0 0 0 100 13FGTB 0 0 0 0 0 100 0Comité Perm. 66,6 33,3 0 0 0 100 39JGS-SJW 34 7 10 31 18 100 29Fo. des. Min. 79 21 0 0 0 100 23

(6) XXX, « La stratégie politique des JGS pendant la grève 1960-1961»,Socialisme et Barbarie, Avril-Juin 1961.

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Ce tableau fait apparaître trois faits frappants :

- Les groupes qui ont canalisé le mouvement sont ceux qui insis-tent le plus sur les revendications matérielles.

- La JGS se distingue des autres groupes par l'éventail de sesrevendications.- On notera la prédominance des revendications sociales de la CSCtout en signalant en même temps le peu de revendications des syndi-cats (chiffres totaux).

1° Le Comité Permanent et Force des Mineurs

Si l'on ne considère que ce tableau, on peut s'étonner du fait queces deux groupes n'aient pas d'autres revendications que de typematériel ou social. On peut aussi s'étonner du fait que les revendi-cations matérielles soient davantage l'apanage de Force des Mineursque du Comité Permanent. Durand et Cazes avaient en effet obtenudes résultats très différents.On expliquera le phénomène par le fait que la catégorie «reven-

dication» ne retient que les revendications faites au sein de l'entre-prise, ou de l'ensemble des entreprises considérées. Dans ce cadrerestreint des revendications d'entreprise, il n'est pas étonnant queles deux grands responsables du mouvement s'en tiennent à ces typesde revendications. Mais ce cantonnement prend des significationsdifférentes si l'on considère le tableau suivant, analysant les typesde politisation.

Notons déjà qu'un type de revendication n'a pas de significationen lui-même : ainsi, au Limbourg, la revendication d'augmentationde salaires de 15 % peut être considérée, dans une première lecture,comme une revendication «matérielle ». La connaissance de la signi-fication de ces «15 % » dans le contexte permet cependant d'entre-voir une portée beaucoup plus ample: c'était surtout l'opposition auxaccords de programmation sociale, ce qui explique la réaction dessyndicats. C'était aussi une critique indirecte de la pratique de lanégociation, de l'évolution des relations industrielles.

20 Les revendications syndicales

Les syndicats n'étant pas le moteur du mouvement, et ayant refuséde le relayer, il n'est pas étonnant que le nombre de leurs revendi-cations soit réduit. Le haut taux de revendications e sociales s de laCSC, qu'une analyse plus descriptive permet plutôt de considérercomme des revendications e humaines s (respect du mineur etc ... )apparaît plutôt, dans le contexte de la grève, comme une échappa-toire face à la revendication essentielle du mouvement. Respectantles accords de programmation sociale, le syndicat CSC propose desformules de remplacement assez vagues face aux revendicationsprioritaires des mineurs.

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3° La JGS-SJW

Le phénomène de déchargement des nécessités de mobilisationpourrait, à première vue, expliquer que la JGS présente plus facile-ment d'autres revendications, de type politique, au niveau des entre-prises. Mais cette explication n'est pas suffisante : il semble néces-saire de se référer ici à l'analyse politique de ce groupe, et plusparticulièrement à sa stratégie des réformes de structures et à satactique de l'entrisme. Stratégie : le contrôle ouvrier est une réformede structure qui, selon ce groupe, possède une logique révolutionnaireinterne. Le contrôle des salaires déclenche une réaction patronalepour augmenter les bénéfices capitalistes, «Les travailleurs sontalors placés devant la nécessité d'imposer le contrôle ouvrier surl'embauche et les licenciements, ainsi que sur le rythme et les condi-tions de travail. On voit comment les tentatives de la directiondéclenchent un élargissement du champ sur lequel s'exerce le contrôleouvrier, réduisant ainsi la marge de manœuvre patronale.» (7)Tactique: elle consiste à conquérir des postes de responsables

dans les appareils (syndicats, partis, ou, dans notre cas, le ComitéPermanent) et à pousser à la tête de ces appareils des militantsincorruptibles. Cette tactique impose des concessions, basées sur ladiscipline de l'organisation dans laquelle on «entre ». Aussi cherche-ra-t-on davantage à s'infiltrer dans l'appareil qu'à dénoncer seserreurs. (8)

C'est la référence à cette stratégie et à cette tactique qui permetde comprendre l'insertion de la JGS dans le Comité Permanent etson éventail de revendications, laissant plus de place aux revendica-tions gestionnaires et d'organisation que les autres groupements.

4° Mais comment comprendre le cantonnement des deux autresgroupes mobilisateurs à des revendications sociales et matérielles ?Pourquoi ne posent-ils pas le problème du pouvoir au sein des entre-prises? L'analyse du tableau 3, décomposant la rubrique «politisa-tion» en sous-catégories, permet de répondre à cette question.

9. Les types de politisation

Durand et Cazes ont tenté de distinguer deux types d'analysepolitique, l'un appelé «analyse de politique concrète », l'autre«critique de structures s, Nous renvoyons le lecteur à l'annexe pourlacompréhension de cette distinction. Relevons cependant ici que lepremier type d'analyse accepte de reconnaître les règles du jeupolitique, tandis que le second remet en cause les structures de lasociété globale.

(7) P. DOYEN, « La lutte pour le contrôle ouvrier », Documents de laGauche socialiste et révolutionnaire, nv 2, 1970, p. 15.(8) P. FRANK,La Quatrième Internationale, Paris, Maspero, 1969.

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Tableau 3

«Politique concrète» ou «Réformes de structures»(rêpartition des phrases en %)

NombreOrgani- Politique Réformes desations concrète de structures To.tal phrases

CSC 0 0 0FGTB 0 0 0Comité Permanent 78,3 21,7 100 60JGS-SJW 60 40 100 67Fo.. des Min. 21,5 78,5 100 34

Le tableau 3 permet de répondre en partie aux questions poséesà la suite de l'analyse des tableaux précédents.

1° Le Comité Permanent a une large majorité de critique politiqueconcrète, Il s'agit de faire appel à des organisations politiques, decritiquer l'absence de démocratie syndicale, de critiquer le DirectoireCharbonnier, la politique du gouvernement etc..• (Influence de partisnon au pouvoir comme la Volksunie et le PLP ?) Laplupart de cescritiques ne mettent pas en question fondamentalement le systèmecapitaliste. On ne peut dire que le Comité Permanentcautionne cesystème: mais on peut voir de nombreuses hésitations dans sesanalyses. La démocratie syndicale est en danger parce que certainespratiques syndicales ne sont pas adaptées, parce que certains délé-gués sont mauvais. Mais le problème du syndicat est-il d'être plusdémocratique, o.u, plus fondamentalement, d'être moins intégré aucapitalisme, cequi l'astreindrait moins à contrôler ses troupes et luipermettrait donc d'être plus démocratique ? On ne .trouve nulle tracede cette alternative dans les tracts du Comité Permanent,Expreesion du rmécontentement des mineurs! l'égard de leurs

syndicats, le Comité Permanent a joué le rôle d'un syndicat deremplacement et n'a pas cherché à apporter une perspective politiqueau mouvement, Le cantonnement dans les revèndicàtions matérielles,soulignê dans l'analyse du tableau 2, exprime cet apolitisme..

2° La JGS-SJW accompagne son action d'une analyse politique.Cette analyse porte, nous l'avons noté, aussi bien sur les structuresde l'entreprise que sur l'ensemble du système économique et politlque.C'est précisément la liaison que ce groupe entrevoit entre les analysesde politique concrète et les critiques de structures qui fait que laJGS dose de manière équilibrée ses critiques et ses analyses.3° Force des Mineurs a un pourcentage de .e critiques de structu-

res» exceptionnellement élevé. Comment comprendre ce phénomène-?Il semble impossible de répondre à cette question sans se référer à

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l'analyse politique de ce groupe et à sa stratégie. Force des Mineursanalyse autrement que la JGS le rapport de force en présence. Pource groupe, il est inutile d'insister sur des revendications de gestionou d'organisation dans le cadre de l'entreprise ou d'un ensembled'entreprises. (Voir Tableau 2). Le problème du pouvoir ouvrier estun objectif global qui ne peut être réalisé progresslvement dans desexpériences partielles. Aussi constate-t-on, en vertu de cette tendance,une sorte d'hiatus entre, d'une part, un pourcentage élevé de reven-dications matérielles et, d'autre part, un pourcentage élevé de criti-ques de structures dans la rubrique «politisation ». Dans sa polémiqueavec Force des Mineurs, la JGS ironise à propos de cet hiatus ensignalant un vide existant entre un programme «minimum» (lesrevendications matérielles) et un programme maximum (prise dupouvoir politique et économique). Ce vide serait comblé, selon la JGS,par un programme transitoire, à savoir la stratégie des réformesde structures.

Cette même analyse du rapport de force mène à des conclusionsdifférentes concernant le rôle des syndicats dans la lutte sociale.Si la JGS voit la possibilité d'une action au sein des syndicats, parla tactique de l'entrisme, Force des Mineurs considère qu'il n'estplus utile de travailler avec les syndicats. Intégré au capitalisme,le syndicalisme ne peut plus entrer en ligne de compte dans la luttepolitique et sociale. Il est même assimilé aux forces de la répression.L'action politique se basera donc fondamentalement sur la créationde cellules politiques à l'intérieur desentreprises.

III. Critique de la typologie de Durand et Cazes

En adoptant la typologie de Durand et Cazes, avons-nous atteintla signification politique de .Ia grève du Limbourg? Nous ne lepensons pas. D'une part, l'étude des phrases énoncées s'est heurtée àdes difficultés de classement et d'interprétation qui nous font douterde la valeur de cette typologie; D'autre-part, la méthode de l'analysede contenu, appliquée à un seul événement, se cantonne dans uneperspectivestatique qui rend impossibleaussi bien l'évaluation mêmedes différentes rubriques que celle des conséquences politiques dumouvement.

1. Difficu1tés de classement

10 La grève du Limbourg fut une grève antisyndicale. La critiquedes syndicats est souvent exprimée. Or, il est difficile de situer cescritiques dans cette typologie. II serait trop facile de mettre cettecarence sur le compte de simples différences d'événements. «L'imagi-nation au pouvoir» et la critique des appareils fut bien, que l'onsache, partie de l'ensemble des revendications et critiques du Mouve-ment de Mai. On a pu, à l'aide de la typologie de Durand et Cazes,classer cette critique des syndicats en «politique concrète» ou en

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«critiques de structures s, selon que cette critique visait davantagela démocratie syndicale ou l'intégration des syndicats au systèmecapitaliste. Mais cette distinction n'a pas permis d'éviter deuxécueils:- D'une part, elle ne permet pas de voir l'évolution des groupes

en présence. Par exemple, Force des Mineurs a commencé parcriti-quer les syndicats en fonction de thèmes que l'on peut classer dansla «politique concrète ~: exigence d'une plus grande démocratiesyndicale, demande d'assemblées générales de travailleurs etc ...Ensuite, cette critique s'est portée sur les liens de ce syndicalismeau capitalisme, ce que nous pouvons classer parmi les critiques destructures. Mais cette évolution a pris du temps et nouspensonsqu'elle a, en elle-même, une signification politique, puisqu'elle aprésenté une alternative nouvelle aux mouvements de gauche.- D'autre part, et c'est notre critique fondamentale, cette typo-

logie mène à des résultats incompréhensibles si l'on ne se réfère pascontinuellement aux stratégies et tactiques des groupes en présence.Ainsi, une critique de politique concrète peut-elle être l'approchetactique d'une critique de structures. L'analyse de contenu est donclimitée parce que statique. On pourrait cependant, par cette mêmeméthode, éviter cet écueil en complétant une typologie des thèmespar une typologie des stratégies. Pour réaliser cette typologie desstratégies, il faudrait faire l'analyse de contenu sur une périodelongue, compulsant les articles et revues des différents groupes, afinde discerner leur ligne politique et leur stratégie. Nous avons déjàpu vérifier le bien-fondé de cette référence à la stratégie dansl'analyse des tableaux. Certaines explications n'ont pu se faire qu'enréférence à ce critère qui nous est apparu comme essentiel.La méthode que nous préconisons nous semblerait plus fructueuse,

en ne se limitant pas aux activités et réactions des différents groupessociaux et politique par rapport à un seul événement. En effet, latypologie n'est qu'un instrument déscriptîf, dont l'interprétationdépend fondamentalement dés hypothèses que l'on aura faites con-cernant les stratégies et tactiques des groupes en présence; Ceci estparticulièrement vrai dans le domaine de la sociologle politique.

2. On pourrait faire les mêmes critiques concernant les référencesaux informations de la presse, nombreuses dans certains tracts.Comment classer ces références? S'agit-il d'appels à labonnevolontédes journalistes ou d'une critique plus fondamentale concernant lerôle de la presse dans la société? Comme telles, il est difficile declasser ces références, à moins delaisser à l'interprétation une placeexagérée. II semble qu'il faille donc, encore une fois, étudier d'autresarticles situant le .groupe par rapport à la presse, ce qui nécessiteune étude sur une période plus longue.

3. Les phrases exposant une ligne politique sont situées par Du-rand et Cazes, on ne sait trop à partir de quel critère, dans la ru-

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brique «politique concrète» (9). En fait, tout devrait dépendre ducontenu de cette ligne politique. Il faudrait alors trouver une typolo-gie pour désigner ce que nous appellerions une politique «réformis-te» et une politique «révolutionnaire ». Cette typologie ferait parti-culièrement attention à la stratégie utilisée. Peut-être trouvera-t-onchez Lénine, dans le « Que faire », des éléments de description de cesdeux types de politique (10). On y découvre une description de laligne réformiste et de la ligne révolutionnaire, embrassant aussi bienles thèmes que les stratégies, et cela dans une analyse de contenuavant la lettre des revues de gauche de l'époque. La sociologie poli-tique aurait sans doute intérêt à s'inspirer davantage des écrits d'unhomme dont les qualités de stratégie politique ne peuvent être niées.Nous reprenons ici succinctement certains éléments de cette typologie.La ligne réformiste se manifesterait par les restrictions des dénon-

ciations au milieu d'usine, d'ouvriers de profession déterminée,«pour apprendre à ceux qui vendent leur force de travail à vendreplusavantageusement cette marchandise» (11). Elle fait de la lutteéconomique le point de départ de la lutte politique, qui n'en est alorsqu'une excroissance occasionnelle. Elle est spontanéiste. Elle pose desrevendications concrètes, permettant des résultats tangibles, et attirel'attention de la classe ouvrière sur ses propres problèmes.Par opposition, la ligne révolutionnaire se caractériserait par

l'éducation politique de la classe ouvrière, les campagnes de dénoncia-tions de l'adversaire sur tous les plans, et non seulement sur le plande la défense économique. Elle donnerait une grande importance à lathéorie révolutionnaire, à l'explication des processus d'exploitationsans nécessairement chercher de résultats tangibles. Elle dénonceraitle régime dans toutes les classes de la société et ne restreindrait passon action à la classe ouvrière.

Cette typologie dichotomique apporte, à notre avis, un instrumentméthodologique' utile pour comprendre la signification politique' dela grève du Limbourg. Il n'est en effet pas suffisant d'opposer ceuxqui font des critiques de politique concrète et ceux qui font des criti-ques de' structure. Il faut encore chercher le sens des stratégiesutilisées, de l'éducation politique proposée. Maiscette étude ne peutévidemment se limiter aux réactions des groupes face à. un seul événe-ment. Elle nécessite l'analyse des documents de ces rgroupes les unspar rapport aux autres sur un laps de temps plus étendu, .et parrapport à d'autres événements.

C'est seulement cette analyse évolutive qui permettra de situer lesgroupes les uns par rapport aux autres, leurs tentatives de rappro-chement, les exclusions pour raisons politiques etc ... Aussi n'avons-

(9) C. DURAND et S. CAZES, « Signification politique du Mouvement deMai. Analyse de tracts syndicaux et gauchistes», Soeioloçie du Travail,3, 1970, p. 30L(10) V.O. LENINE, Que faire, Paris, Seuil, 1966.(11) V. O. LENINE, op. cit., p. 112.

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nous pas jugé nécessaire de dresser un «tableau 4), concernant lesaffrontements revendicatifs ou politiques : celui-ci n'aurait pas eu desens à notre avis (12). La typologie de Durand et Cazes laisse peude place à la IutteIntérne entre groupes politiques, qui a pourtantune importance fondamentale. C'est en effet en s'opposant à d'autresgroupes que chaque organisation révèle son identité et éclaire sespropres objectifs.

2. Difficultés d'interprétation

1. Il est étonnant de constater que Durand et Cazes reconnaissent,d'une part, que la mobilisation n'a pas de sens en soi si les objectifsde cette mobilisation ne sont pas éclaircis et estiment, d'autre part,que l'importance plus grande donnée à la mobilisation manifeste lecaractère révolutionnaire d'un groupe. Si la mobilisation n'a pas desens en soi, pourquoi essayer d'interpréter son importance? Encoreune fois, c'est par rapport à une ligne politique qu'il faudra juger lesens de la mobilisation.

2. De même, il semble que Durand et Cazes n'évitent pas l'écueil,devenu classique en sociologfe, de l'interprétation à donner aux typesde revendications. S'ils ne commettent pas l'erreur d'opposer desrevendications e quantitatives s à des revendications e qualitatives s,ils font réappararaître cette opposition par des rubriques différen-ciant les revëndications matérielles des autres. Notre tableau 2 montrequ'en ce qui concerne la grève du Limbourg, les revendications ma-térielles sont l'apanage des groupes les plus mobilisateurs. Faut-il endéduire que ces groupes ne sont pas révolutionnaires ou qu'ilssontréformistes? Ou fait-il plutôt s'interroger sur la stratégie de mobi-lisation et. de politisation des' groupes en présence ? Encore une fois,répondre à cette question suppose' une analyse qui dépasse le cadredé la grève du Limbourg. S'interroger sur la stratégie, c'est poser leproblème de l'évolution du mouvement. Une revendication doit doncêtre situéepar rapport à la stratégie des groupes :ainsi, demanderune augmentatîon'de salaires en pourcentageou en chiffres absolusn'a pas la même signification. Ce sont deux revendications matériellesmais dont l'une tend à maintenir les tensions de salaires entrelestravailleurs, l'autre à les diminuer. La signification de cette différen-ce est immense.

3. Note méthodologique

De ce qui précède, l'on peut conclure que, pour comprendre la signi-fication politique d'un mouvement à partir de la méthode de l'analyse

(12) C. DURAND et S. CAZES, « Signification du Mouvement de Mai.Analyse de tracts syndicaux et gauchistes J), Soeiologie du Tra1Jail, 8,1970, tableau 4 p. 305.

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de contenu, il est indispensable de se référer à la règle suivante:- Etude des tracts et documents sur une période assez étendue et

non à partir des réactions à un seul événement historique. Les grou-pes tirent en effet des leçons politiques des événements auxquels ilsont pris part et rectifient leurs stratégies et leurs tactiques.

Une analyse de contenu qui ne tiendrait pas compte de cette règledans l'évaluation de la signification politique d'un mouvement tom-berait dans les équivoques dont il a été question.

IV. La portée politique de la grève du Limbourg

Nous voudrions enfin abandonner ces critiques méthodologiquespour nous interroger sur la portée politique de la grève du Lim-bourg. Il est évident qu'une analyse de contenu ne pouvait évaluer lesconséquences que ce mouvement a pu avoir sur la vie politique,l'évolution des institutions, la combativité ouvrière. Cependant, ilest important de s'interroger sur les conséquences politiques de cemouvement et sur le sens des tensions apparues entre les syndicatset les travailleurs au moment de la grève. Aussi proposons-nous uneréflexion, qui demanderait à être élargie, sur l'impact politique de lagrève du Limbourg et les tensions syndicales.

1. Les tensions syndicales

Au delà des événements historiques, il est nécessaire de s'interrogersur le rôle des syndicats dans notre société. Aussi proposons-nous iciquelques pistes de réflexion.

1. Les nécessités du capitalisme moderne entraînent la demande desyndicats «responsables», se maintenant aux accords réalisés. et sepréoccupant d'un ensemble de domaines de plus en plus variés.

2. Cette demande de syndicats responsables va de pair (cause etconséquence) avec un accroissement de la taille des organisations syndi-cales,· le patronat et le gouvernement ayant autant d'intérêt que lesorganisations syndicales à voir celles-ci augmenter ennombre : pourles premiers, il est nécessaire de rencontrer des organisations capablesde représenter et de contrôler l'ensemble des travailleurs : pour lesseconds, une force et une représentativité plus grandes apportent plusde poids dans les négociations.

3. L'accroissement des demandes aux syndicats et l'accroissementde taille des organisations entraînent des processus de spécialisation,de délimitation des responsabilités et d'enchevêtrement des problèmestendant à devenir plus techniques et plus complexes.

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4. Le «syndicalisme responsable» (entendons par là un syndiealis-me conduit à prendre de plus de responsabilités dans la société et tenuà rester fidèle aux engagements qu'il a pris) a besoin d'une trèsgrande cohésion au niveau du sommet syndical. Les conflits de ten-dance et de pouvoir seront évités. La rotation de pouvoir sera faible.Les responsables seront peu nombreux et se réuniront souvent, ce quiest un facteur de haute cohésion. Les cumuls de responsabilité neseront pas rares. La fonction de négociation avec le patronat et legouvernement façonnera une cohésion culturelle avec ces autres né-gociateurs, se traduisant par exemple par une plus grande sensibilitéau raisonnement économique présenté par ceux-ci.

5. Logiquement, le syndicalisme responsable entretient de multiplestensions avec le syndicalisme démocratique (syndicalisme où lesdécisions seraient prises après concertation, consultation et contrôleréel de la base). Ce conflit sera masqué par la justification de «l'in-térêt général », le syndicalisme responsable se prétendant représen-tant des intérêts généraux, surmontant ainsi les intérêts partiels dela base. La suppression des tensions entre ces deux modèles de syndi-calisme suppose en effet que le syndicalisme responsable puisse tou-jours prétendre défendre l'intérêt général, laissant le domaine desintérêts particuliers aux instances les plus proches des travailleurs,mais en contrôlant celles-ci.

6. Les nécessités du syndicallsme responsable peuvent aller jusqu'àempêcher les oppositions politiques ou idéologiques à l'intérieur dusyndicat. C'est à la lumière de ces réflexions qu'il nous semble possi-ble de comprendre l'opposition des syndicats à certaines luttes socialeset particulièrement au mouvement de grève du Limbourg.

2. Conséquences de la grève du Limbourg

1. Sur la combativité ouvrièreOn ne peut nier l'influence de la grève du Limbourg sur le regain

de combativité ouvrière qui est apparu durant l'année 1970. En denombreux endroits apparaissent des «comités de grève·» au niveaudes usines ou des «comités de défense» au niveau des régions. Ontrouve des expressions journalistiques de ces mouvements, telles que«Alle Macht aan de arbeiders », «Tout pouvoir· aux travailleurs »,« LeTravailleur» etc .. : L'originalité de ces Journaux est qu'ilsexpriment Ia difficulté que rencontrent les syndicats à canaliser lesmouvementssociaux.

Cette combativité ouvrière elle-même nous .semble expliquer lespositions anticapitalistes du dernier Congrès de la FGTB, en janvier1971. Pour des raisons d'opportunité, le sommet syndical de la FGTBa cru nécessaire de proclamer plus nettement que prévu ses positionsanticapitalistes.

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2. La réaction des syndicatsLe recours à une procédure oubliée depuis longtemps, une «Confé-

rence Economique et Sociale >, n'est explicable qu'à partir de lagrève du Limbourg (13). Les revendications présentées par lessyndicats à cette occasion ne peuvent être sous-estimées : par exem-ple, l'information sur l'emploi et les informations financières, laclause de révision des accords de programmation sociale en cas dehaute conjoncture.A l'intérieur de leurs organisations, les syndicats ont dû répondre

à l'accusation de bureaucratisation et d'intégration au régime capita-liste. La consultation de la CSC en mai 1970, en prévision de l'accordinterprofessionnel de 1971, est un essai de réponse au reproche debureaucratisation. Quant à la FGTB, comme dit plus haut, son dernierCongrès a proclamé le refus de principe d'une intégration au régimenéo-capitaliste. Une telle proclamation a été rendue possible à causede la combativité ouvrière et des pressions des sections les plus dures(CGSP, SETCA, région de Liège, région de Bruxelles).Enfin, au Limbourg, les négociations qui ont suivi la grève ont

mené à des accords beaucoup plus favorables aux mineurs que ceuxqui étaient prévus en 1969.

3. Les débats actuels au sein des mouvements politiquesPour les mouvements politiques qui ont pris une part active à la

grève du Limbourg, celle-ci fut l'occasion de débattre la question del'attitude à prendre à l'égard des syndicats. L'analyse politiquedifférenciée engendra des règles d'action nettement opposées. Pourles uns, (JGS-SJW), la démocratie syndicale apparaît comme le butà atteindre : il faut appuyer l'avant-garde syndicale et les tendancesrévolutionnaires à l'intérieur des syndicats, soutenir donc les sectionsles plus avancées qui se sont exprimées au dernier Congrès de la FGTBet certaines sections démocrates chrétiennes. Pour les autres (il s'agitde certains comités d'action ou de grève qui sont apparus et se sontmultipliés durant l'année 1970), fondant leur analyse sur une intégra-tion du syndicalisme au capitalisme, il s'agit de former des groupesautonomes, en dehors des syndicats, et de développer la formationpolitique parmi ces groupes.Ces oppositions d'analyse ne sont pas qu'académiques : elles engen-

drent des règles d'action différentes et des oppositions parfois trèsdures.

Il est évident que nous n'avons présenté ici qu'un schéma de la

(13) CONFÉDÉRATIONDES SYNDICATSCHRÉTIENS,Rapport d'activités1968-1970, Bruxelles, CSC, 1971.

« La grève du Limbourg a donné lieu à Ia convocation de la ConférenceEconomique et Sociale. Des résolutions de cette conférence ont été inspiréesdirectement de cette grève, à savoir la résolution relative à la démocratieéconomique au niveau de l'entreprise, et celle concernant les techniques dediffusion ... » p. 97.

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portée politique de la grève du Limbourg. L'objectif de notre travailétait surtout méthodologique. Cependant, il nous semblait utile des'interroger sur le sens des tensions syndicales et les incidences his-toriques de la grève du Limbourg.

ANNEXE

Explication des différentes rubriques utilisées dans latypologie de Durand et Cazes

Revendication. On range dans cette catégorie toutes les phrases exprimantdes exigences vis-à-vis de l'entreprise ou d'un ensemble d'entreprises.Des revendications concernant l'Etat, le gouvernement, etc... serontplutôt situées dans la catégorie « politisation».

Revendioaiion« maiëriellee. Elles incluent les revendications salariales,mais aussi les revendications d'avantages sociaux, de durée de travail,de garantie d'emploi, de paiement des jours de grève etc...ex. « 15% tout de suite», « prime de fin d'année», « 70 frs de pluspar jour».

Reoendicatione sociales. Elles comprennentles revendicationsde non discri-mination.ex. « relèvement des salaires les plus bas».

Reeendieations d'organisation. Elles concernent surtout l'organisation dutravail.ex. « contrôle des cadences», cc contrôle de l'embauche».

Revendications de gestion. Elles mettent en cause le système de pouvoirdes entreprises.ex. « contrôle des subsides de l'Etat aux patrons charbonniers».

Négociation. On range dans cette catégorie toutes les phrases faisant.référence aux accords réalisés dans la programmation sociale.ex. Les tableaux d'augmentation de salaires due à la programmationsociale, les informations sur les accords réalisés durant la grève.

Mobilisation. On y inclut les phrases évoquant les formes de combat,l'organisation de la lutte; les perspectives de victoire, les appels auxmanifestations, meetings, occupations...ex. « Tous à la manifestation de Hasselt», « Les mineurs vaincront ),« Solidarité dans la lutte».

Politisation. On y englobe les phrases évoquant les dimensions politiquesde la lutte, la définition de l'adversaire en termes politiques, laproposition d'une ligne politique, l'appel à rejoindre une organisationpolitique.ex. « absence d'une véritable politique de reconversion palliant à lafermeture des mines», « nationalisation des mines».

Politique concrète. Les analyses de politique concrète s'intéressent dansl'immédiat au jeu des forces politiques organisées, et acceptent, parlà même, de reconnaître les règles du jeu politique.ex. Attaques antigouvernementales,appel aux organisations politiques.

Critique de structures. Les analyses de critiques de structures relèventde remises en cause, à long terme, de la société globale, dans les liensavec le système capitaliste.

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