Shu Qin

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Chapitre 1 : une enfant de loin 1 Les adultes se sont réunies dans le grand salon. Shu Qin écoute leur chahut. Il est apparemment question d’une drôle de découverte. D’après ce qu’elle saisit, il s’agit peut-être d’un être humain, ou d’un animal. Autour d’elle, les enfants y vont de leur propre interprétation : Ils parlent d’un grand singe blanc blessé par les chiens. Shu Qin tend l’oreille vers le salon. En passant la maîtresse de maison lui fait signe de l’accompagner. À son entrée, les adultes se tournent vers elle. Leurs yeux brillent d’un éclat singulier. Elle aperçoit au fond de la salle, accroupie contre le mur la tête baissée, un petit être maigrichon aux longs cheveux en pagaille. Apparemment c’est cette chose vêtue de haillons, le visage couvert par des mèches crasseuses qui est à l’origine du chahut. La maîtresse de maison demande à Shu Qin d’aider la petite à prendre un bain. Elle lui explique qu’apparemment elle est muette. Elle a été découverte entrain de lécher le plat vide des chiens dans le jardin. « Avant de chercher à

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Préquelle de la nouvelle Lyne.

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Chapitre 1 : une enfant de loin

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Les adultes se sont réunies dans le grand salon. Shu Qin écoute leur chahut. Il est apparemment question d’une drôle de découverte. D’après ce qu’elle saisit, il s’agit peut-être d’un être humain, ou d’un animal. Autour d’elle, les enfants y vont de leur propre interprétation : Ils parlent d’un grand singe blanc blessé par les chiens. Shu Qin tend l’oreille vers le salon. En passant la maîtresse de maison lui fait signe de l’accompagner. À son entrée, les adultes se tournent vers elle. Leurs yeux brillent d’un éclat singulier. Elle aperçoit au fond de la salle, accroupie contre le mur la tête baissée, un petit être maigrichon aux longs cheveux en pagaille. Apparemment c’est cette chose vêtue de haillons, le visage couvert par des mèches crasseuses qui est à l’origine du chahut. La maîtresse de maison demande à Shu Qin d’aider la petite à prendre un bain. Elle lui explique qu’apparemment elle est muette. Elle a été découverte entrain de lécher le plat vide des chiens dans le jardin. « Avant de chercher à comprendre ce qui lui est arrivé, rendons lui son humanité. » Shu Qin acquiesce d’un geste de la tête en lançant un petit « Oui madame. » Elle s’approche, fait signe à l’étrange enfant de l’accompagner. Celle-ci ne réagit pas. Shu Qin lui prend la main, la tire vers elle. Elle se redresse, la suit à petits pas.

*

Shu Qin ne trouve pas le courage de nettoyer l’enfant trouvée. Elle l’abandonne dans son bain, et part se morfondre dans un coin. Elle craint, en restant trop longtemps en contact avec elle, d’attraper la gale et des poux. Elle se demande pourquoi on lui a confié cette sale tâche. Son regard se porte vers l’extérieur. Elle songe que le chemin qu’elle emprunte est peut-être difficile. En écartant les mèches du visage de l’enfant, elle a été surprit de découvrir d’étranges yeux verts. Elle n’ose pas dire à ses maîtres qu’elle refuse d’accomplir sa tâche. Elle va rester dans ce coin une longue demi-heure à songer à ses choix de vie, et aux proches qu’elle a laissés derrière elle.

*

Accueillit à bras ouverts dans cette grande maison de campagne, Shu Qin s’adapte difficilement à son poste de servante. Plus tard son seul véritable refuge sera cette fille perdue, une autre servante se chargera de lui faire prendre son bain. La découvrant lavée, habillée d’un ensemble bleu aux motifs floraux, les habitants et les invités de la maison resteront un long moment stupéfaits par son étrange beauté. Quelques hommes demanderont même à la prendre au sein de leur foyer, faisant naître du même coup une brève dispute pour obtenir le droit de la récupérer. D’un ton autoritaire, la maîtresse de maison tranchera : « En attendant qu’on retrouve sa famille, elle reste dans cette maison. Je devine vos perverses intentions de vieux mâles frustrées. » *

Shu Qin découvre avec les autres habitants de la maison, l’étrange splendeur de l’adolescente trouvée. La maîtresse de maison la charge de s’occuper d’elle. Au fil des jours, elle prendra plaisir à laver et coiffer ses longs cheveux blonds. À aucun moment pourtant, l’étrangère ne changera d’attitude. Ses yeux verts resteront vides, elle ne réagira pas aux douces attentions de Shu Qin. Son esprit est totalement fermé. Les adultes ne pensent pas qu’elle soit réellement muette. Ils croient que son mutisme est dû à un choc psychologique et qu’elle ne parle pas la langue du pays. Shu Qin confirme l’avoir entendu marmonner des choses incompréhensibles. L’étrangère partage le même lit qu’elle. Les premières nuits Shu Qin l’a laissée dormir par terre. La maîtresse de maison l’ayant découvert, a réprimandé la jeune servante. Shu Qin consent donc à dormir avec elle. « Cette fille semble venir d’un monde sombre. Elle a le regard d’une morte. » La nuit, en se retournant dans son sommeil, l’étrangère vient contre elle. Shu Qin a d’abord un léger geste de recul avant de l’accueillir dans ses bras. Elle pense que bien plus qu’elle, elle doit se sentir seule. Elle espère réchauffer son cœur, elle caresse longuement ses longs cheveux blonds, et pose un baiser sur sa joue. Elles finissent par dormir le cœur apaisé.

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Le lendemain les adultes se sont réunis autour d’une table dans le jardin. Ils parlent de la jeune étrangère : Shu Qin devra l’accompagner lors des festivités qui auront lieu le soir au village voisin. La jeune servante est constamment auprès de l’étrangère. Elle l’habille, l’aide à manger et à prendre son bain. La maîtresse de maison lui a offert une magnifique garde-robe. Elle dit considérer la petite comme sa fille. Elle songe, si ses parents ne sont pas retrouvés, à lui donner un nouveau nom. L’un des hommes déconseille cette idée. « Elle doit déjà avoir un nom. Et elle saurait sans doute le dire en d’autres circonstances. Attendons qu’elle reprenne ses esprits. Cet état n’est certainement pas définitif. Trouvez lui un bon précepteur. »La maîtresse de maison répond que cet avis est des plus raisonnables et qu’elle tâchera de s’y tenir.