Service public, urgence sociale

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Service public, urgence sociale N° 49 Février 2006 Fédération Cgt des services publics territoriaux Le journal de l’Ufict-Cgt Union fédérale des ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise Supplément à Options n° 504 Éditorial Vie Syndicale Actualités 2 Projet de loi Sarkozy par Michèle Vantorre 4-5 Retour de congrès par Christine Labbe 6-7 Banlieues Blues par Albert Roudin 8 L'alchimie de l'enseignant par Géraldine Kornblum Société Identités SOMMAIRE 3 Trois raisons d'espérer par Armand Creus

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Service public,urgence sociale

N° 49 Février 2006Fédération Cgtdes services publics territoriauxLe journal de l’Ufict-CgtUnion fédérale des ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise

Supplément à Options n° 504

Éditorial

Vie Syndicale

Actualités2 Projet de loi Sarkozy par Michèle Vantorre

4-5 Retour de congrèspar Christine Labbe

6-7 Banlieues Bluespar Albert Roudin

8 L'alchimie de l'enseignantpar Géraldine Kornblum

Société

Identités

SOMMAIRE

3 Trois raisons d'espérer par Armand Creus

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lisés, de la Pmi et des enseignants. Il a, de ce fait, accès à la vie privée et à l’intimité des familles, ce projet lui permettant d’instituer des stages de soutien à la parentalité, de diriger des conseils sur les devoirs et droits des familles, de contrôler l’absen-téisme scolaire, d’avoir la mainmise sur les allocations familiales ou de mettre en place la vidéosurveillance. Pour faire fonctionner ce dispositif, le « secret partagé » est déjà large-ment utilisé, sans aucun cadre légal. Contrôle social généralisé, rattache-ment prévu aux contrats locaux de sécurité, une approche policière qui était déjà inscrite dans les dispositifs de veille ou de réussite éducative du plan Borloo. La mise en place d’un référent unique nommé par le maire compléterait ce dispositif.

Ce projet est dans la droite ligne des lois Perben l et 2 sur la justice et Sarkozy sur la sécurité intérieure : création de nouveaux délits, abais-sement de la majorité pénale à 10 ans, création de centres fermés et d’établissements pour mineurs – vé-ritable retour en arrière. Dans ce contexte de repli sécuri-taire, le travail social dans son en-semble se retrouve vidé de sa subs-tance : ses missions éducatives et préventives exercées dans le cadre d’une relation d’aide qui implique la confiance et la confidentialité. L’État Ump, valet du Medef, a be-soin pour sa survie, d’un contrôle fort de la jeunesse et des exclus de plus en plus nombreux. Il cherche à transformer les professionnels en agents d’une politique d’ordre social et moral. Les travailleurs so-ciaux veulent poursuivre leur travail dans le respect de leur déontologie, de leur éthique et dans le respect des individus et des droits collectifs. Nous ne serons pas les supplétifs de cette politique.

Le projet de loi de prévention de la délinquance est en préparation depuis 2003. Dépourvu de toute mesure pour remédier aux causes économiques et sociales de la délin-quance, il renforce les mesures sé-curitaires et développe une logique de stigmatisation des populations les plus en difficultés, présentées comme potentiellement délinquan-tes. La notion de classe dangereuse est réintroduite.

L’instrumentalisation sécuritaire des services sociaux signe la fin du tra-vail social, médicosocial et éducatif. Les professionnels ne sont plus char-gés de prévenir et d’aider mais de contrôler et repérer les populations dès leur plus jeune age. Ils sont tenus de signaler toute personne déviante des normes en vigueur : « Tout pro-fessionnel qui intervient au bénéfice d’une personne présentant des dif-ficultés sociales, éducatives ou ma-térielles, est tenu d’en informer le maire de la commune résidente…». Des sanctions pénales ou adminis-tratives sont prévues en cas de « mé-connaissance par le professionnel de cette obligation d’information ». Le maire devient acteur central de ce dispositif qu’il coordonne et anime auprès des services sociaux spécia-

ACTUALITÉS

www.responsabilitesocialedescadres.netUn site sur la responsabilité sociale des cadres

Projet de loi Sarkozy, mort du travail social ?

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Sac à PuceS

Le point de départ : l’élaboration puis la publication en 2003 du manifeste pour la responsabilité sociale des cadres par des syn-dicats : Ugict Cgt, Cfdt Cadres, le Centre des jeunes dirigeants d’en-treprises, l’Ecole de Paris du management, le Centre des jeunes dirigeants et des ac-teurs de l’économie sociale, Ingénieurs sans frontières, la Fonda-tion Charles Léopold Meyer pour les droits de l’homme.

Les personnels d’en- cadrement ne doi-vent pas abandonner leur citoyenneté à la porte de l’entre-prise. Il s’agit donc de conquérir un droit in-dividuel mais de le ga-rantir collectivement. « …Il devient indispensa-ble que la citoyenneté des cadres soit explicitement reconnue sur leur lieu de travail par un droit d’in-tervention et d’initiative, droit reconnu d’expres-sion pouvant aller dans certains cas jusqu’au droit de refus ou d’op-position, sans leur faire encourir des représailles ou des sanctions. c’est au risque de la libre expres-sion que peut se construi-re l’intérêt général. » (Extrait du manifeste)

L’Ugict Cgt met en avant un droit de refus et d’alterna-tive professionnelle pour toute consigne ou directive contraire à l’éthique profession-nelle, « droit pour l’en- cadrement de refu-ser des consignes por-tant atteinte à sa di-gnité, à sa santé, à celle des autres ou violant l’éthique professionnelle. Droit à l’information, à l’expression sur la mar-che de l’entreprise. Droit de participer aux déci-sions, de proposer des choix alternatifs ». Il ne s’agit pas d’un droit gé-néral de désobéissance, ni de la négation du pouvoir des directions, mais de la possibilité d’échapper à une alter-native bien connue : se soumettre ou se dé-mettre.

Cette question con- cerne les Ictam de la fonction publi-que territoriale. En témoignent les débats du dernier congrès de l’Ufict qui a adopté une résolution sur le sujet.

É[email protected]

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Ont PartIcIPé à ce numérO

Rédaction : Armand Creus,Armand Creus, Géraldine Kornblum, Christine Labbe, Albert Roudin, Yves Tallec, Michèle Vantorre

Photos : J. Fouchet, S. Goubin (p. 8), F. Renault, DR

Ufict Cgt des Services Publics263 rue de Paris - case 547 -93515 Montreuil cedextél. 01 48 18 83 74 fax. 01 48 51 98 20site Internet : www.spterritoriaux.cgt.fr

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OrI

alUfict infos La Commission exécutive de l’Ufict a décidé de créer deux groupes de travail.Un groupe de travail “vie syndicale et politique financière”, pour :- améliorer la connaissance des bases et affiliés Ufict, notamment grâce à la mise en œuvre du CoGiTiel ;- impulser le Plan national de syndi-calisation ;- relancer les collectifs départemen-taux Ufict ;- animer collectifs et groupes de tra-vail (une attention particulière sera portée sur : cadres de direction ; finances locales ; transferts de person-nels Ictam de l’État dans les conseils généraux et régionaux ; intercommu-nalité ; délégations de service public ; loi “prévention de la délinquance”) ;- travailler à la formation syndicale ;- élaborer un plan d’apurement des dettes à l’Ugict et à Options, ainsi qu’un plan de résorption des retards de reversement des cotisations…Un groupe de travail “communica-tion”, pour :- assurer la poursuite de la parution de Publics ;- créer un réseau de correspondants ;- déterminer le contenu et les outils de la communication de l’Ufict ;- mettre en chantier un site internet et une plaquette de présentation de l’Ufict ;- recenser et faire connaître les pro-positions revendicatives Ufict et les expressions des bases Ufict…

Trois raisonsd'espérer

Avec un million de fonctionnaires dans l’action pour les salaires, dont une présence significative

d’ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise, le 2 février est une réussite. Pourtant, la signature minoritaire, par la Cfdt, la Cftc et l’Unsa, d’un accord « social » et « statutaire » au détriment d’un accord salarial a jeté le trouble. Certains agents bloqués depuis plus de

5 ans dans le dernier échelon de leur grade se voient octroyer pendant 3 ans une prime de 400 € (en catégorie B) et de 700 € (en catégorie A). Ce type de mesure est typi-que du refus d’améliorer les déroulements de carrière et n’apporte rien au niveau des retraites.La question d’une refonte de la grille ré-pondant aux revendications des Ictam mais aussi aux besoins de la Fonction publique, reste entière. Il faut donc poursuivre et amplifier la mobilisation sur les salaires.

Par ailleurs, comment ne pas établir un parallèle entre le Contrat première embauche dans le privé, attaque contre le Code du Travail et l’introduction récente du Contrat à durée indéterminée, véritable « cheval de Troie de la déconstruction statutaire » dans la Fonction publique. Le 7 février, la mobilisation unitaire pour le retrait du Cpe a constitué un encourage-ment fort à continuer l’action contre toutes les formes de précarité dans le privé comme dans le public. La question d’un puissant mouvement interprofessionnel est posée.Enfin, la mobilisation syndicale à l’appel de la Ces le 14 février à Strasbourg contre la Directive « services » (Bolkestein le retour) montre que des services publics de qualité, accessibles à tous sont un élément essentiel de cohésion économique, sociale et territoriale en France comme en Europe, et que rien n’est encore joué. Les 2, 7 et 14 février : trois mobilisations importantes mais insuffisantes pour faire reculer le patronat et le gou-vernement mais trois raisons d’espérer et de poursuivre l’action, pour les Ictam aussi.

Armand Creus,Secrétaire de l’Ufict Cgt des services publics

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VIE SYNDICALEQUE RETENIR DES DéBATS QUI SE SONT TENUS A L'OCCASION DU DERNIER CONGRES DE L'UFICT ? De retour dans leurs collectivités, trois déléguées témoignent de leur sentiment et de leurs aspirations. Christine Labbe

Retour(s) de congrès

Pas facile de suivre un congrès quand on fait, soi-même, partie

de l’organisation. Brigitte Fuchsmann, responsable du secteur adulte dans une bibliothèque de la ville de Poitiers en a fait l’expérience. Un congrès ? « Un moment assez lourd, du point de vue de l’organisateur », mais aussi un moment essentiel : «  C’est  d’abord un temps de réflexion, entamé avec la lecture du projet de document d’orien-tation qui nous permet de prendre du recul par rapport à notre activité quotidienne ; c’est ensuite un temps d’échange pour mieux connaître les aspirations de nos catégories, partager les expériences de nos luttes locales, et éventuellement changer des choses dans notre manière de travailler », explique-t-elle. De ce point de vue, le congrès de Poitiers s’est avéré “inté-ressant”, très en phase avec les pré-occupations du terrain : la question du régime indemnitaire, l’introduc-tion du contrat à durée indéterminée, la mise en concurrence des Ictam… Mais aussi “frustrant”, avec un pro-gramme jugé trop dense, limitant la portée des interventions avec l’impos-sibilité, parfois, de “pousser les débats plus loin”.Un sentiment également partagé par Chrystèle Chassaing. Jeune technicien-ne territoriale, elle est entrée dans la fonction publique territoriale par le biais d’un emploi-jeune et occupe depuis un an un poste de webmestre au sein de la cellule multimédia de la Direction de la communication de la Ville de Montpellier. « Sur le fond j’ai été plutôt satisfaite, sur la forme pas toujours »,

Le congrès en séance plénière

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Le 6e congrès de l’Ufict a adop-té trois résolutions, consulta-bles sur le site internet de la fédération des services publics.

Résolution 1 :“Nos missions d’Ingénieurs, Cadres, Techniciens et Agents de maîtrise : répondre aux be-soins des populations dans le cadre du service public”- Décentralisation “phase 2” : le parti pris libéral- Une mise en concurrence des Ictam entre eux

Résolution 2 :“Un statut consolidé pour un service public moderne”- La fonction publique en mou-vement- Démarche syndicale et pro-positions revendicatives - Management et responsabilité des Ictam

Résolution 3:“Vie syndicale et outil spécifique”- Où en sommes-nous ?- Une direction nationale offen-sive, outil du déploiement- Une Ufict disposant de moyens accrûs pour contribuer au déploiement de la Cgt

Le document du congrès

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souligne-t-elle, en écho aux propos de Brigitte Fuchsmann. Ceci étant posé, le congrès – son premier – a été l’occa-sion de mutualiser les expériences, de créer un réseau de contacts, mais aussi de mieux connaître le fonctionnement et l’activité de l’Ufict : « Dans ma précédente collectivité, témoigne-t-elle, j’ai surtout participé à des actions transversales telles que l’animation du collectif emplois-jeunes, l’intégration des vacataires… mais jamais sous l’an-gle spécifique “cadre”. C’est seulement en 2005 que j’ai découvert l’Ufict : la mairie de Montpellier fonctionnant en sections, je me suis retrouvée “d’of-fice” dans la section cadres. J’ai eu au départ un peu de mal à me reconnaître dans ce type de fonctionnement, je ne voyais pas en quoi les cadres avaient besoin de mener une action spécifique. Mais un premier tract réalisé par la section sur la proposition de refonte du régime indemnitaire particulièrement défavorable pour les Ictam m’a permis de me rendre compte de l’intérêt de ce type d’action plus ciblé. Et le congrès a été pour moi l’occasion de renforcer cette première impression ».

Des défis à releverUn congrès qui a permis, en outre, de constater la volonté de “rajeunisse-ment” et de “féminisation” de la com-mission exécutive. Même si le chemin semble encore long. Premier point : la question du “rajeunissement”: « J ’ai

été frappée par le problème du renou-vellement des générations, notamment des militants », explique ainsi Olga Kavvadias, cadre B à la mairie de Nanterre (service de la jeunesse), syn-diquée depuis un an et qui participait là, aussi, à son premier congrès. L’un des faits marquants de ce congrès a été « de mon point de vue, la table-ronde sur le déploiement », ajoute de son côté Chrystèle Chassaing, en expliquant : « La faiblesse du taux de syndicalisation des cadres, la prévi-sion qu’au vu de l’âge des adhérents, 80% des bases n’existeront plus dans  quatre ans… Je n’avais pas conscience que la situation était aussi alarman-te ! C’est un enjeu de taille à relever surtout auprès des jeunes qui gardent  encore une image “vieillotte” du syndi-calisme ». Second point la féminisation et la place qu’on est prêt à accorder aux femmes militantes. « En dehors des débats sur les différentes résolutions, le congrès est aussi l’occasion de s’ex-primer sur des points qui n’ont pas été pensés à l’ordre du jour. Celui-ci en est un, essentiel à mes yeux, afin de nous donner les moyens de nous impliquer davantage ». Au-delà, les trois délé-guées disent avoir beaucoup apprécié la table-ronde sur la responsabilité sociale des cadres, en prise avec les préoccu-pations du terrain, illustrée d’exemples concrets. « Cette responsabilité sociale nous interroge, en lien avec le ser-

vice public, même si nous ne sommes pas cadres dirigeants », résume ainsi Brigitte Fuchsmann. Un thème qui reste à travailler dans les collectivités.Collectivités où se pose désormais la question de l’après-congrès. « Tout le problème est de pouvoir développer une activité soutenue par la suite », indique Olga Kavvadias, qui attend de l’Ufict qu’elle “donne le ton”. Ce qui suppose de « travailler en continu et non par à coup », ajoute Chrystèle Chassaing, pour qui le congrès a suscité une envie : « M’investir plus régulière-ment aux réunions et à l’activité menée au sein de la section cadres de ma collectivité et de l’Ufict de l’Hérault, même si mon travail, passionnant est aussi souvent trop prenant ».

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Réunion de la commission des candidatures

Extrait de la troisième résolution :Le 6e Congrès décide de sou-mettre aux Ictam des proposi-tions revendicatives afin de leur permettre :- d’assurer correctement les missions de service public qui leur sont confiées (mise à dis-position de moyens humains, matériels, financiers, organisa-tionnels et de formation) ;- d’être force de proposition en matière d’amélioration des garanties collectives et indivi-duelles ;- d’évaluer les résultats des pra-tiques managériales au regard des valeurs du service public ;- d’agir pour un droit de refus et d’alternative pour toute direc-tive ou consigne contraire à ces valeurs. Un tel droit devrait être assorti de moyens de contrôle et de garanties collectives tra-duits dans la loi ;- d’agir pour développer l’égalité femmes / hommes dans l’enca-drement en visant, notamment à supprimer le « plafond de verre » consistant en ce que plus on monte dans la hiérarchie, moins on trouve de femmes.

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Yves avait perçu quelques signes avant coureurs, 

« une dégradation du climat, des tensions plus importantes, des comportements plus agressifs dans l’ensemble de la population, qu’il s’agisse des enfants, des jeu-nes ou des adultes ». Pour autant, les symptômes ne sauraient expli-quer une crise que l’on qualifiera plus justement de sociale. Aux yeux d’Yves, « la cause essentiel-le se situe dans le chômage, dans la massification de la précarité ». Aziz partage cet avis : « Son am-pleur, son caractère généralisé, sa localisation dans les quartiers populaires attestent d’une crise sociale structurelle ». Échec des politiques d’intégration, crise de l’école (correcteur potentiel des inégalités), discrédit des politi-ques, crise du logement et du ca-dre de vie… Nous sommes bien loin d’une simple révolte de la jeunesse de banlieue.

SOCIÉTÉVIOLENCES URBAINES. Novembre 2005 : la mort de deux jeunes pourchassés par la police à Clichy-sous-Bois déclenche une flambée de violence dans toute la France. En première ligne pour rétablir le dialogue, les professionnels territoriaux au cœur des dispositifs de prévention, d’intégration et de lutte contre les ségrégations. Deux d’entre eux témoignent. Albert Roudin

Banlieues Blues

Une ré-im-plication des services publics est nécessaire

les. « À Grigny, cela relevait plu-tôt de la facilité, les équipements pris pour cible sont assez isolés et très accessibles ». Aziz, lui, pense que « les équipements publics peuvent incarner un certain ordre social dont on se sent exclu ». Un sentiment de frustration qui peut grandir lorsque des élus locaux « abandonnent des services pu-blics de proximité, procèdent à des délégations de service public,

L'emploi dans les banlieues

Dans les quartiers difficiles, un jeune de moins de 25 ans sur trois est au chômage, consé-quence d’un échec scolaire de masse et d’une crise économi-que persistante.Les jeunes des cités fournis-sent le gros des 140 000 élèves qui quittent chaque année le système scolaire sans aucune formation.En 30 ans, les grandes villes industrielles ont été amputées d’environ un million d’emplois ouvriers.En Seine-Saint-Denis, le chô-mage des jeunes est deux fois supérieur à celui des jeunes d’autres départements. Il est aussi deux fois plus long, y compris pour les jeunes diplô-més. Il faudrait créer 150 000 emplois pour que ce départe-ment rattrape son retard sur l’Ile-de-France.

« C’est toute la société qui souf-fre : précarité, violences conju-gales, alcoolisme, échec scolaire, mais on rencontre aussi les pro-blèmes de perte de repères chez des jeunes issus de milieux so-ciaux plus favorisés. Pour moi, il s’agit bien de la même crise », analyse Yves. « Une manifestation du malaise et des frustrations pro-fondes qui règnent dans notre so-ciété », confirme Aziz. Ce dernier rappelle que « l’échec scolaire, les discriminations à l’embauche, souvent à base ethnique, renfor-cent le sentiment profond d’être des habitants de seconde zone, relégués au rang des exclus du système ».

Exclusions et frustrationsLes incendies de bâtiments pu-blics ont-ils été un signal adressé aux pouvoirs publics locaux ? Yves n’est pas convaincu qu’il y ait eu volonté délibérée de s’en prendre aux institutions municipa-

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Le sentiment d'être des habitants de seconde zone

mettent en œuvre une démocra-tie locale à géométrie variable, pratiquent une forme de “clienté-lisme” à l’égard des associations de quartier ». Les réponses im-médiates aux violences urbaines, essentiellement répressives, tel l’état d’urgence, ont été ressenties dans les quartiers comme «  une provocation de plus, avec l’uti-lisation d’un moyen dispropor-tionné » constate Yves. En outre, « pour les populations d’origine maghrébine, notamment, le pa-rallèle avec certaines pages som-bres de l’histoire de France, n’a pas manqué de remonter en sur-face, comme de vieux démons » précise Aziz. Quant aux stigma-tisations multiples de la part des ténors de la droite parlant d’inté-grisme religieux, Aziz pense que la montée de ce dernier « est à la fois le produit et l’expression de l’apartheid socioculturel dont sont victimes les quartiers dé-favorisés. Plus qu’ailleurs, les principes républicains, comme la laïcité, sont sérieusement mis à mal. Dans un contexte de désas-tre socio-psychologique des quar-tiers, seuls les services publics, notamment de proximité, sont en mesure de faire vivre ces grandes valeurs de laïcité, garantes de nos  libertés ».

Limiter la casse ?Aujourd’hui, la crise passée, comment éviter le délitement du lien social ? «  Se  saisir  des moyens qui sont attribués ou ac-cessibles par les financements publics pour développer des ac-tions somme toute modestes, mais qui peuvent avoir une incidence positive sur quelques personnes, une cage d’escalier, une famille. Ce qui est sûr, c’est que le travail de restauration du lien social, de la vie collective dans la cité né-cessitera d’autant plus de temps et de moyens qu’on tardera à  s’y attaquer sur le fond » souli-gne Yves. « Une “ré-implication” forte des services publics serait nécessaire, car le service pu-blic est le principal outil de cor-rection des inégalités », estime

Aziz. « Il faut de vrais moyens à l’adresse des acteurs sociaux et associatifs, une réelle démocratie participative, une mobilisation transversale de l’ensemble des acteurs de terrain, une reconnais-sance de la profession. Les mu-nicipalités pourraient porter ce projet… Pour l’heure, certaines, qui plus est de gauche, semblent déserter le terrain ! » Yves juge essentielle cette ré-implication : « Le service public doit dévelop-per  les valeurs de  la République et de la démocratie. Mettre face aux publics des agents titulaires, qualifiés, bien formés, aptes à dé-velopper des projets avec et pour les habitants. Une ville comme Grigny aurait besoin d’une politi-que éducative volontariste, c’est-à-dire du personnel, des locaux, des moyens financiers ».Aziz et Yves ont, dans leur ville, constaté une recrudescence d’ins-criptions sur les listes électorales, dont une majorité de jeunes. Un espoir au-delà de la résistance ?

 

Yves Rance est attaché territorial, responsable de la mission éduca-tive à la ville de Grigny (Esson-ne), plus particulièrement chargé du Plan éducatif local et de coor-donner les actions en direction de la jeunesse.

Une injustice flagrante

A Neuilly les HLM représentent 2,6% du parc immobilier, à Saint-Ouen ce chiffre est de 40%. Les communes les plus aisées ont mis a profit une réforme de la taxe professionnelle en 1999 pour réduire leurs cotisations au Fonds de Solidarité pour les communes de la Région Ile-de-France. Les communes bénéfi-ciant de taxes professionnelles importantes ont mis en com-mun leurs richesses, laissant aux communes démunies le loisir de partager leurs pauvre-tés. En Ile-de-France, Neuilly, Levallois, Courbevoie peuvent dépenser 2300 € par habitant. Clichy-sous-Bois ou Sevran ne disposent en moyenne que de 640 €.

Aziz Brahmi était formateur contractuel au sein du Centre So-cial Marcel Paul à Sevran (Sei-ne-Saint-Denis) depuis 2001. Il assurait l’ensemble des missions de formation des publics adultes et jeunes adultes. La municipa-lité ayant décidé de privatiser ce service de proximité, Aziz est aujourd’hui au chômage.

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leurs enseignants sont à la charge des municipalités. Cela s’entend pour celles qui prati-quent un enseignement réservé aux amateurs, cela scandalise pour celles qui, comme celle de Rennes, s’adressent à des étudiants bacheliers recrutés sur examen d’entrée. « Nous divulguons un enseignement supérieur  qui  ne  dépend  pas de l’État ! Pourtant nous dé-livrons aux élèves les mêmes diplômes ».

« Il faudrait commencer par supprimer le cadre d’emplois des assistants, qui devien-draient professeurs, tandis que ces derniers accéderaient au grade de professeurs princi-paux, tout en revalorisant bien sûr la grille des salaires », défend Alain Bourges. « Bien sûr que cela me ferait quelque chose d’être considéré comme professeur de l’enseignement supérieur ! ». Mais en atten-dant la reconnaissance, ce que ce professeur vient chercher chaque jour face à ses élèves c’est « cette alchimie que per-sonne ne peut expliquer, ces relations extrêmement proches entre l’élève et l’enseignant. Il y a quelque chose qui se passe, une transmission d’expérience qui fait qu’un élève entrant dans cette école ne ressort pas le même cinq ans plus tard ».

IDENTITÉS

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ALAIN BOURGES EST PROFESSEUR D’ARTS PLASTIQUES, spécialité vidéo, à l’École régionale des Beaux-Arts de Rennes. Entre amour de l’art et flou artistique du côté des cadres d’emplois. Géraldine Kornblum

L'alchimie de l'enseignant

« Je suis entré dans l’enseignement artis-

tique en 1991 mais j’ai en-core le sentiment d’être arrivé l’année dernière ! ». À n’en pas douter, ce qui anime en premier lieu Alain Bourges, c’est la passion, celle de l’art comme celle de son métier. « J’enseigne la pratique de la vidéo en essayant d’insister sur les spécificités de ce médium et de son rapport à l’image, ce qui entend l’acquisition de techniques particulières mais aussi un certain engagement politique ». Artiste avant tout, et c’est comme tel qu’il a été recruté précise-t-il, il professe aujourd’hui ses savoir-faire aux élèves de deuxième et cinquième année de l’Ecole régionale des Beaux-Arts de Rennes.

Recruté à ses débuts comme contractuel, il est devenu pro-fesseur titulaire à la faveur d’un concours réservé dans le cadre de la loi Sapin, une chan-ce au regard des pratiques en vigueur dans les écoles d’arts : « Les écoles préfèrent souvent recruter des enseignants aux grades d’assistants et d’assis-tants spécialisés en Arts plas-tiques, qui font le même tra-vail que nous mais qui, parce qu’ils sont moins diplômés, sont moins payés et effectuent plus d’heures ». Cette dispa-rité statutaire s’explique his-toriquement. D’une part « les cadres d’emplois des écoles

d’arts ont été calqués sur ceux en vigueur dans les conservatoires de musique lors de la création de la fi-lière culturelle ». Un état de fait qui tient également de ce que « les concours de la Fonction publique dans ce domaine sont complètement inadaptés. Ils sont trop théoriques, alors que les écoles ont besoin de profes-seurs spécialisés qui donc préfèrent recruter ailleurs que  sur  liste  d’aptitude  et choisissent leur personnel selon  leur  sensibilité  artis-tique. Cela créé une sorte de hiérarchie subtile entre collègues, disons plutôt en-tre artistes plus ou moins reconnus. Nous sommes la caisse de résonance de l’art ».

D’autre part, si les écoles nationales d’arts ont intégré l’enseignement supérieur depuis le ministère Lang, les écoles territoriales et

Nos rendez-vous

22 févrierConseil supérieur de la fonction publique territoriale

1er marsConseil national d’orientation du Cnfpt

9 marsJournée d’étude de l’Ugict sur salaires

16 et 17 marsCommission exécutive de la fédération Cgt des services publics

17 marsConseil national de l’Ugict Cgt

22 marsConseil supérieur de la fonction publique territoriale

30 et 31 marsCommission exécutive de l’Ufict Cgt des services publics

Du 11 au 16 avrilStage Ugict “la responsabilité sociale des cadres” à l’Institut du travail de Strasbourg. Renseignements : Eric Thouzeau au 01 48 18 85 06 (fax : 01 48 51 64 57)

12 avrilConseil national d’orientation du Cnfpt

19 avrilConseil supérieur de la fonction publique territoriale

20 avrilCommission exécutive de la fédération Cgt des services publics

Du 24 au 28 avril 48e Congrès de la Cgt à Lille