SENSIBILISATION Le microcrédit : le capital du développement · 2016. 9. 19. · Grameen Bank,...

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Le microcrédit n’est pas une forme d’assis- tance aux pauvres. C’est pour eux une opportunité de prendre leur vie en mains et de sortir de la pauvreté par leurs propres efforts. Ce n’est pas le manque de compétences qui fait que les pauvres sont pauvres, c’est le manque de confiance qu’on leur accorde. Grâce au microcrédit, 3 emprun- teurs sur 4 sortent de la pau- vreté et ce définitivement. avec UNE ACTION CHRÉTIENNE DANS UN MONDE EN DÉTRESSE Service d’Entraide et de Liaison 157 rue des Blains - 92220 BAGNEUX Tél. 01 45 36 41 51 [email protected] www.selfrance.org SENSIBILISATION Le microcrédit : le capital du développement

Transcript of SENSIBILISATION Le microcrédit : le capital du développement · 2016. 9. 19. · Grameen Bank,...

  • Le microcrédit n’est pas une forme d’assis-tance aux pauvres. C’est pour eux uneopportunité de prendre leur vie en mainset de sortir de la pauvreté par leurs propresefforts. Ce n’est pas le manque de compétencesqui fait que les pauvres sont pauvres, c’estle manque de confiance qu’on leur accorde.

    Grâce au microcrédit, 3 emprun-teurs sur 4 sortent de la pau-vreté et ce définitivement.

    avec

    U N E A C T I O N C H R É T I E N N E D A N S U N M O N D E E N D É T R E S S E

    Service d’Entraide et de Liaison157 rue des Blains - 92220 BAGNEUXTél. 01 45 36 41 [email protected]

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    S E N S I B I L I S A T I O N

    Le microcrédit : le capital du développement

  • Sommaire

    1 MICROCREDIT

    Le S.E.L. remercie toutes lespersonnes qui ont apportéleur contribution à la réali-sation de ce dossier :Aurélie Allamélou, Jean-Michel Beaubrun, NathalieDobozy, Sara Joëlle Grondin,Stéphane Lauzet, Cyril Maré,Roland Poupin, ElisabethRabeyrin, Kevin Rousseau,Christine Westercamp et lesenfants de l’école dudimanche de l’assembléechrétienne de Moulins (03).

    ■ La microfinance, qu’est-ce que c’est ?par Christine Westercamp – Associée Horus Development Finance

    ■ Le microcrédit : le capital de développementprincipe

    ■ Le microcrédit : les acteurs et les défis

    ■ Calvin, l’argent et le capitalismepar André Bieler – extrait de la Revue Réformée N°37

    ■ Argent : usure si on le sert…par Roland Poupin – Pasteur de l’E.R.F. à Antibes-Cagnes/Vence

    ■ Quiz

    ■ Activités pour les enfants de 4 à 6 ansHistoire de la parabole des talentsDécouverte des chiffres avec le professeur Math-ThéoSortie du labyrintheDessins à colorierHistoire de Math-Théo l’ours et de Débit la fourmiPuzzle

    ■ Activités pour les enfants de 7 à 11 ansAnimation avec des bonbonsLa parabole des talentsHistoire de Michel Rose, le jardinierLe jeu du micro crédit sur CD-Rom A vos crayons et à vos voix – témoignage d’un groupe de l’école du dimanche

    ■ Apprendre la microfinanceen jouant avec les enfants(5 planches de jeux et une liste de questions/réponses)

    ■ Animation du culteLectures bibliques, chants, sujets de prière Prédication sur la parabole des talents par Stéphane Lauzet, secrétaire général de l’Alliance Evangélique Française

    ■ Jeunes : Prêt… pour prêter ?si on parlait argent… soirée-débat Chant

    ■ Recettes Saveurs et couleurs du Sud

    ■ Clip

    ■ Affiche

    Sommaire

  • La microfinance

    1 MICROCREDIT

    La microfinance vise à permettre auxexclus du système bancaire d’accéderà des services financiers, en premier lieudes microcrédits. Mais elle offre aussi la pos-sibilité d’épargner de petits montants, et,dans les systèmes les plus développés,d’effectuer transfert de fonds ou de propo-ser des instruments de paiement (chèques,virements, ...).Le champ d’action de la microfinance s’estpar conséquent étendu dans des pays peubancarisés comme la plupart des paysd’Afrique où moins de 20 % de la popula-tion dispose d’un compte en banque. De mul-tiples raisons expliquent pourquoi la majo-rité n’a pas accès aux banques :• Les montants en jeu (besoins de crédit

    ou possibilités d’épargne) : le plus sou-vent, ils sont trop faibles pour intéres-ser les banques qui ne savent pas les gérerde façon rentable.

    • L’éloignement : en Afrique notamment, oùles densités de population sont faibles etles réseaux bancaires peu décentralisés,l’éloignement est un frein important.

    • Des obstacles culturels qui rendent dif-ficile l’interaction entre les banques et unemajorité de la population : une popula-tion analphabète se retrouve face à la com-plexité des formulaires administratifs desbanques ; les personnes instruites ont uncertain « complexe de supériorité » parrapport aux personnes analphabètes quine se sentent pas à l’aise dans lesbanques.

    Le microcrédit « classique » est un cré-dit de l’ordre d’une vingtaine d’euros,accordé à une personne à faibles reve-nus pour financer une activité économi-que. Mais le champ de la microfinanceconcerne aussi le crédit aux micro,petites et moyennes entreprises quin’arrivent pas à financer leur activité viale système bancaire. Selon le coût de lavie et les caractéristiques du secteur ban-caire local, la microfinance peut doncaussi accorder des prêts de plusieurs mil-liers d’euros.

    La microfinance présente une particularitéintéressante : c’est l’un des rares exemplesde transferts technologiques du Sud vers leNord. Différents types d’institutions demicrofinance (IMF) existent à travers lemonde en développement depuis les années1970. La plus connue, et celle qui a le plusessaimé, est la Grameen Bank du Bangladesh,conçue par le Professeur Yunus en 1976, pourpermettre aux femmes les plus pauvresd’échapper à la précarité et notamment àla dépendance par rapport à leurs fournis-seurs, qui leur vendaient à crédit et à desprix très élevés les matières premièresnécessaires à leurs petites activités artisa-nales. Il s’est appuyé sur la solidarité pourgarantir le remboursement des prêts, par l’in-vention du système des groupes de cautionsolidaire. Depuis 1983, la Grameen Bank apris la forme d’une banque commerciale ;fin 2007/début 2008, elle comptait 6,8 mil-lions de clients dans 27 pays. Des systèmes

    La microfinance,qu’est-ce que c’est ?

    Depuis presque

    vingt ans, la microfi-

    nance est sortie du

    cercle des initiés pour

    faire des apparitions

    ponctuelles dans les

    grands médias. De plus

    en plus de gens ont

    entendu parler du

    microcrédit, ou de la

    microfinance, ou de la

    Grameen Bank, cette

    banque des pauvres

    créée par un écono-

    miste Bangladeshi, le

    Pr. Muhammad Yunus,

    prix Nobel de la paix

    2006.

    Cependant, le plus sou-

    vent, la notion reste

    floue.

    La microfinance vise à permettre aux exclus du système bancaire d’accé-der à des services financiers, en premier lieu des microcrédits. Mais elleoffre aussi la possibilité d’épargner de petits montants, et aussi, dans lessystèmes les plus développés, des services de transfert de fonds ou desinstruments de paiement (chèques, virements, ...).

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  • La microfinance

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    inspirés de la Grameen Bank ont étécréés dans de nombreux endroits àtravers le monde, y compris dans leBronx à New York et en France avecl’ADIE (Association pour le Droit àl’Initiative Économique) qui facilitel’accès au crédit pour des chômeursde longue durée et des bénéficiairesdu RMI qui souhaitent créer leurpropre entreprise ou financer leurpropre emploi.

    Quelqueséléments deréflexion sur lamicrofinanceLe microcrédit n’est pas une panacéeToutefois, pour des populations quine sont pas dans une précaritéextrême, c’est une approche plusrespectueuse que le don, et plusviable sur le long terme. C’est peut-être évident pour certains, mais çava mieux en le disant !

    Tous les besoins de développementne relèvent pas du crédit. Le créditsuppose de ne pas être dans ledénuement total ou dans une préca-rité qui empêche d’envisager l’ave-nir à moyen terme. Le microcrédit estparfois présenté comme LA réponseà la pauvreté dans le monde. Ce n’esten fait qu’un outil, qui est adapté à

    certaines situations mais pas à toutes.En situation d’urgence, où le fonction-nement économique est déstructuré,il faut de l’aide pour reconstruire, pasdu crédit.

    L’idée de proposer un crédit à despopulations pauvres peut choquer :il paraît plus normal de donner, sur-tout quand on prend conscience dela différence de niveau de vie par rap-port aux Occidentaux. Mais le créditest plus respectueux de la personnequi est en face, quand elle est ensituation de pouvoir rembourser.

    Le crédit reposesur la confianceComme le montrent les différentsemplois de ce mot : un emprunteurdoit jouir de crédit auprès du prêteurpour que celui-ci lui accorde un cré-dit. Le crédit permet de rester dansune relation d’égalité alors que le doncrée un déséquilibre et induit unerelation d’obligé à donateur. C’est unedes raisons importantes mise enavant, par des Africains en particu-lier, pour préférer le crédit auprèsd’une institution de microfinance aucrédit sans intérêts accordé par unerelation. En Afrique, les relationssociales sont très influencées par lesnotions de don et de « contre-don » ; les notables tirent leur pou-voir du nombre de leurs obligés qui,en remerciement des services rendus,les soutiennent politiquement. Ainsi,le crédit institutionnalisé permetd’échapper à ces relations et de pré-server son indépendance.

    Lorsque l’argent provient de sourcesétrangères, la relation de dépen-dance est moins directe mais plus insi-dieuse. Le raisonnement est le sui-vant : étant donné la différence deniveau de vie, les Blancs peuvent biendonner de l’argent, ça ne va pas leurmanquer ; certains Africains vont jus-qu’à l’exprimer sous forme caricatu-rale : « ce sont les Blancs qui fabri-quent l’argent ». Mais l’argent quiprovient par ce biais est ainsi déva-lorisé et peut être mal utilisé sansque cela choque, parce qu’il n’a pasla valeur psychologique de l’argentgagné à la sueur de son front (lesthéoriciens de la microfinance par-lent pour celui-ci « d’argent chaud »

    par opposition à « l’argent froid » reçusans effort). Cela conduit à dessituations absurdes comme ces foragesréalisés à grands frais dans le cadrede programmes de développement,que la population bénéficiaire n’a paseu le temps de s’approprier. C’est ainsiqu’ils ne sont pas entretenus et quela population boit de l’eau croupie àcôté d’une pompe en panne. Il estnécessaire de prendre le temps demettre en place des mécanismespermettant l’appropriation pour queles bénéficiaires d’un don, d’unappui, le fassent leur. Mieux encoreseraient qu’ils soient dès l’origine par-ticipants dans l’élaboration duprojet.Pour assurer un impact à longterme sur le développement, il estimportant de pérenniser les institu-tions qui distribuent des microcrédits.

    Après 30 ans de recherche et déve-loppement sur le sujet, la microfi-nance, au sens large, touche plus de150 millions de clients, dans 85 pays.On estime à 500 millions le nombrede personnes toujours en attente definancement. Pour que la microfinanceait un impact fort sur le développe-ment, il est important qu’elle aug-mente encore le nombre de per-sonnes qui ont accès à ses services.L’objectif est de fournir un appui àun nombre important de personnes,et ceci dans la durée, pour accom-pagner leur évolution économique :un crédit offre les moyens de déve-lopper une activité économique mais,pour que l’activité continue sur le longterme, les emprunteurs ont besoind’un accès pérenne aux servicesfinanciers (en France également,une entreprise a besoin d’un accèscontinu à des services financierspour sécuriser son activité, saisir desopportunités de développement, faireface à des crises de trésorerie...).

    Ceci implique que l’appui en micro-finance vise non seulement la distri-bution de microcrédits mais égale-ment la mise en place d’institutionslocales capables de fournir ces ser-vices sur le long terme, et ce, à unnombre croissant de clients. Il estnécessaire de créer des structures quipermettent aux pays en développe-ment de sortir de la dépendance parrapport à l’aide extérieure. Le finan-cement par l’aide internationale nesuffit plus pour assurer le dévelop-

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  • La microfinance

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    pement du secteur de la microfinance.Il est nécessaire d’attirer des fondsprivés, en capital et en prêts, lesfinancements publics jouant un rôlede catalyseur.

    Pour qu’une institution soit pérenne,elle doit devenir autonome à la fois :• financièrement : couvrir ses coûts

    de fonctionnement,• techniquement : disposer des com-

    pétences nécessaires pour assurerla gestion de son activité,

    • institutionnellement : avoir uneforme juridique reconnue qui luipermette de s’insérer dans l’écono-mie locale.

    Les IMF qui ne recherchent pas lapérennité peuvent avoir une influencenéfaste sur le système financierlocal.

    Si les taux d’intérêt qu’elles pratiquentsont inférieurs aux taux qui permet-tent de couvrir les coûts de fonction-nement, elles exerceront une concur-rence déloyale à l’encontre des IMFqui cherchent à couvrir leurs coûts,détourneront la clientèle et empêche-ront par là la mise en place d’insti-tutions capables de fournir des ser-vices financiers à ces populations surle long terme. Par ailleurs, même aprèsla cessation éventuelle de leurs acti-vités, elles auront donné à leurs béné-ficiaires une fausse idée du coût nor-mal d’un microcrédit, ce qui rendradifficile la création ultérieure d’uneIMF recherchant la pérennité.

    Par conséquent, si certaines activi-tés ont besoin de subventions dansune phase de lancement, celles-ci doi-vent être clairement séparées ducrédit pour ne pas donner une fausseidée du coût du crédit.

    Si elles sont laxistes par rapport auremboursement des prêts, elles lais-seront une marque durable sur l’étatd’esprit des populations avec les-quelles elles travaillent, populationsqui retiendront que le crédit ne doitpas forcément être remboursé, et queles mauvais payeurs bénéficientdavantage du système que les autres.La possibilité de mettre en place uneIMF saine sera remise en cause pourune longue période. Il faut savoir quedes taux de remboursement inférieursà 95 % sont un mauvais résultat et

    mettent en péril l’autonomie finan-cière d’une IMF.

    Des crédits mal remboursés ont unimpact négatif durable sur l’environ-nement économique dans lequel ilss’insèrent.

    Par nature, la microfinance doitfacturer des taux d’intérêt supé-rieurs à ceux du secteur ban-caire. La plupart des activitésfinancées peuvent supporter de telstaux.

    Quand je parle de microfinance à desnon-spécialistes, l’un des premierspoints d’incompréhension concerne lestaux d’intérêt : a priori, parce qu’ons’adresse à des populations défavo-risées, on s’attend à des créditssans intérêts ou à taux très bas. Maisregardons de plus près.

    La microfinance propose :• Des prêts de petit montant ; les

    coûts de traitement d’un prêt de20 € sont sensiblement les mêmesque ceux d’un prêt de 2 000 € et,à taux d’intérêt égal, les revenusperçus par le prêteur sont 100 foisinférieurs !

    • Des prêts de faible durée le plussouvent, au moins dans une pre-mière phase ; donc le coût fixed’analyse du dossier de prêt revientplus souvent.

    • Des prêts à remboursements fré-quents le plus souvent, pour secaler sur les rentrées d’argent desemprunteurs ; d’où des coûts admi-nistratifs multipliés.

    • Des prêts sans garanties formelles,reposant, d’une manière ou d’uneautre, sur la pression sociale et lessolidarités existantes ; cecidemande un suivi rapproché parcequ’on ne peut pas laisser unesituation se dégrader et se rattra-per ensuite par des actions en jus-tice.

    • Parfois également des prêts dansdes zones éloignées des principauxcentres urbains, avec des conditionsd’accès difficiles et donc des coûtsde déplacement élevés.

    Toutes les caractéristiques de lamicrofinance sont responsables del’augmentation du coût par unitémonétaire prêtée par rapport au cré-dit bancaire classique. Le défi de la

    microfinance est d’arriver à servirquand même des populations non ren-tables pour les banques, donc de déve-lopper des approches différentes per-mettant notamment de réduire lescoûts. Mais, en se plaçant dans uneperspective de pérennisation, les IMFdoivent s’imposer de couvrir leurscoûts par les recettes de leurs acti-vités et ne peuvent donc facturer destaux d’intérêt réels – hors inflation –inférieurs à 15 à 30 % par an.

    Rappelons le contexte :• Pour un crédit de 20 € sur 6 mois,

    un taux d’intérêt annuel de 30 %ne représente jamais que 3 € d’in-térêts pour l’ensemble du prêt.

    • Les alternatives pour l’accès au cré-dit, pour les populations cibles dumicrocrédit, sont généralementpeu nombreuses et largement pluscoûteuses : en dehors des créditsinterpersonnels sans intérêts, aux-quels on ne peut recourir que defaçon très limitée et en se char-geant d’une dette morale, le seulrecours est généralement l’usu-rier, avec des taux d’intérêt d’aumoins 10 % par mois. Des taux de20 à 30 % par an sont alors per-çus comme faibles dans descontextes de pénurie de trésorerie.

    Les activités pratiquées sont defaible volume et souvent à forte rota-tion, générant des marges très éle-vées. Il s’agit notamment d’activitésde petit commerce qui fluidifient leséchanges sur les marchés, commel’achat de mil en gros pour le revendreau détail, avec parfois une transfor-mation intermédiaire : fabrication debeignets ou restauration sur les mar-chés, par exemple.

    Le montant du taux d’intérêt est uncritère déterminant de succès.L’équilibre entre rentabilité indis-pensable et efficacité pour les béné-ficiaires doit être trouvé. L’activité definancement doit être clairementséparée des autres activités de déve-loppement pour être menée dans debonnes conditions.

    Les activités de microcrédit sontfréquemment démarrées dans le cadrede projets de développement pluslarges. Par exemple, les responsablesd’un projet de santé maternelle etinfantile qui se heurtent au manque

  • La microfinance

    MICROCREDIT

    de moyens des femmes pour acheterdes médicaments peuvent lancer unvolet microcrédit, pour permettreaux femmes avec lesquelles ils tra-vaillent de développer leurs activi-tés économiques et donc de générerdes revenus. Ce raisonnement est toutà fait logique. Il part du constat quedes dons de médicaments n’auront pasd’effet positif à long terme sur lasanté des populations. Dans cettelogique, il est nécessaire de péren-niser également l’accès au crédit, afinde pérenniser les revenus permettantl’accès aux médicaments.

    Le microcrédit est une activité par-ticulièrement complexe à gérer pourdifférentes raisons :• Le crédit est une activité écono-

    mique plus complexe que la ventede produits ou services de par lesuivi des remboursements qu’ilrequiert.

    • Il manipule de plus une matièrefongible : l’argent – en d’autrestermes, un franc est un franc et onne peut pas différencier le francqu’on a prêté du franc qui sert àpayer les salaires et autres dépensesde fonctionnement. De ce fait, ilest difficile de savoir à quoi lesemprunteurs utilisent les créditsainsi que de différencier le « stock »de fonds destinés au crédit au seinde l’institution de microfinancede ceux qui peuvent être utiliséspour couvrir des frais de fonction-nement.

    • Le microcrédit implique un nombretrès élevé d’opérations de petitsmontants.

    Pour pérenniser une activité demicrocrédit, il est donc nécessaire quecelle-ci soit gérée comme une entre-prise. La gestion dans une logiqued’entreprise ne peut pas se faire à longterme dans le cadre d’un projet dedéveloppement. Il est très difficile depoursuivre des objectifs sociaux spé-cifiques tout en ayant une gestionstricte des remboursements de cré-dit, élément indispensable de la via-bilité d’une IMF.

    Les activités de crédit qui démarrentcomme un volet de programmes dedéveloppement plus vastes sont doncamenées obligatoirement à devenirautonomes et à s’institutionnaliserlorsqu’elles prennent de l’ampleur, afinde fonctionner de façon saine.

    Pour aller plus loinwww.lamicrofinance.org portail de microfinance, site de ressources au service des acteurs francophones

    de la microfinance

    www.microfinancegateway.org portail anglophone de microfinance du CGAP (Consultative Group to Assistthe Poor), consortium de 28 agences d’aide, publiques et privées, dans le but d’appuyer lacréation de services financiers permanents pour les pauvres à grande échelle.

    www.babyloan.org premier site français de microcrédit en P2P, permettant aux internautes - prêteurssolidaires de prêter à des microentrepreneurs des pays en développement.

    www.adie.org site de l’ADIE

    www.grameen-info.org site de la Grameen Bank

    www.horus-groupe.com HORUS Development Finance, société de conseil en microfinance

    www.advansgroup.com ADVANS S.A., société d’investissement en microfinance

    Par Christine WestercampAssociée Horus DevelopmentFinance

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  • Le microcredit

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    « Abdou est coiffeur. Il ne pouvait pass’acheter de tondeuse. Au crédit de 15 €,il a ajouté 5,90 € pour s’acheter une ton-deuse. En faisant deux marchés par semaine,il gagnait 18 € par mois. Il emprunta 15 €à son voisin pour se procurer un vélo d’oc-casion afin de pouvoir faire cinq marchéspar semaine. Il remboursa tous ses créditset ses revenus s'élevèrent à 32,64 € par mois.Il s'acheta un générateur pour utiliser sonpropre courant et en louer aux autres coif-feurs. Cela lui permet aujourd'hui de gagnermensuellement 121,65 €. »

    • Obtenir un microcrédit, c’est ouvrir la porteà l’espoir.

    • Le microcrédit s’avère être un instrumentefficace dans la lutte contre l’extrême pau-vreté.

    • Grâce au microcrédit, trois emprunteurssur quatre sortent définitivement de lapauvreté.

    • Prêter n’est pas donner. L’emprunteur sevoit valorisé par la confiance accordée parle prêteur.

    • Le microcrédit diffère des prêts habituel-lement consentis par les banques. Lesbanques prêtent aux hommes, ces orga-nismes prêtent en général aux femmes.

    • Les banques prêtent de gros montants, lesorganismes de microcrédit-institutionsprêtent de petites sommes.

    • Les organismes financiers traditionnelsdemandent des garanties, les organismesde microcrédit n’en exigent pas, chacundes emprunteurs devenant caution soli-daire du groupe.

    • Les banques s’adressent particulièrementaux lettrés en raison de la masse de pape-rasserie à remplir, le microcrédit estaccessible aux illettrés.

    • Le client des banques doit se rendre à sabanque ; l’organisme de microcrédit vasouvent à la rencontre de ses clients pourune action de proximité et les inscrit dansun groupe solidaire.

    « On comprend l'efficacité de ce typed'aide par proximité, mieux que les grandsfinancements à travers les structures éta-tiques. Il y a eu des milliards et des mil-liards d’euros déversés au Burkina, sans qu’unseul centime ne tombe dans les mains d'unede ces pauvres dames qui ne recherchait que8 € ou 15 € pour faire quelque chose depetit, mais qui la ferait vivre1. »

    Le microcrédit : le capital du développement

    « Nyirabakene vit à Buliza. Pour nourrir ses quatre enfants (qui ne pou-vaient plus aller à l'école par manque d'argent) et son mari, infirme, elledevait gagner sa vie en cultivant des champs pour des tiers. Elle a obtenuun crédit de 15 € pour faire le commerce du sorgho. Aujourd’hui, elle aremboursé l'intégralité du crédit, ses enfants sont retournés à l’école etelle peut faire soigner tous les membres de sa famille. Avec son affaire,elle gère un capital de 37 € et a épargné 5,50 €. Les voisins viennentmaintenant cultiver ses champs moyennant un salaire. »

    1 Isaac Ada - Programme Villageoisde Développement, partenaire duS.E.L. au Burkina Faso.

  • Le microcredit

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    Le microcrédit… pour qui ?Les pauvres, exclus des systèmes bancairestraditionnels, généralement des femmesdans l’extrême pauvreté.

    Pour quoi ?Le microcrédit est un capital qui doit êtreemployé à des activités génératrices de reve-nus : petits commerces, élevage, couture,productions diverses, transformations desmatières premières, etc.

    Quand ?La Grameen Bank a été fondée par l'écono-miste Muhammad Yunus qui, en 1976,révolté par le taux d'usure pratiqué par lesbanques indiennes, lance le programmeGrameen en prêtant lui-même 27 dollars àun groupe de quarante-deux femmes d'unpetit village du Bangladesh afin qu'ellescréent leur propre activité économique. Cesera le début de l'aventure de la GrameenBank, premier organisme financier au mondeà prêter de l'argent aux personnes insolvablespour qu'elles puissent lancer elles-mêmes leurpropre micro-entreprise. Basée sur le sys-tème du microcrédit solidaire, la « banquedes pauvres » obtient officiellement en 1983le statut d'établissement bancaire. Ellecompte en 2007 au Bangladesh 6,6 millionsde clients (dont 95 % de femmes),1 861 agences, 17 400 employés et 5,7 mil-liards de dollars de prêts distribués, soit 1 %du PIB du pays. Son taux de remboursementde 98 % est supérieur au taux de rembour-sement des emprunts dans les banques tra-ditionnelles. Elle a permis de transformer lavie de millions de pauvres non seulementau Bangladesh, où 10 % de la populationen bénéficie, mais également dans lemonde.

    Comment ?Les bénéficiaires reçoivent une sommemodique pour démarrer une activité géné-ratrice de revenus. La durée du prêt est assezcourte, de l’ordre de 12 à 18 mois, le tauxd’intérêt est fonction de l’activité pratiquée.Le prêt est accompagné et rigoureusementencadré. Chaque emprunteur fait partied’un groupe solidaire. L’épargne est souventobligatoire pour constituer un capital en finde prêt et parvenir à l’autonomie.

    Où ?Aujourd’hui, le microcrédit se pratique dansune centaine de pays, par environ4 000 organismes d'aide au développementou d'insertion sociale à travers le monde.Il s’adapte à toutes les cultures.

    Marie-France Berton, responsable sensibilisation au S.E.L.

  • Acteurs et défis

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    Le concept de microcrédit est né en Europe,à la fin du XIXe siècle, dans les mutuellesdu crédit agricole. A l’époque, il s’agissaitd’une forme de crédit collectif, dont le risqueétait couvert par la caution solidaire et lasupervision des pairs. Longtemps oubliée,l’idée a finalement été reprise et modifiéeen 1974 par le professeur d’économieMuhammad Yunus, durant une terrible fami-ne au Bangladesh, son pays natal. Désireuxd’en étudier les répercussions sur le terrain,il proposa à ses élèves d’interroger les fabri-cants de tabourets en bambou de Jobra, unpetit village qui jouxtait l’université où ilenseignait. A force de discussions, il consta-ta que les 42 artisans concernés avaientbesoin de 27 dollars seulement pour déve-lopper leur activité. Or, les banques ne vou-laient pas les financer car elles les esti-maient insolvables. Plutôt que de les voirrecourir aux usuriers qui pratiquent des tauxabusifs, Muhammad Yunus proposa alorsd’avancer les fonds, de façon plus honnê-te. Ravies, les 42 familles le remboursèrentcomme convenu, et grâce à lui, mangèrentun peu plus à leur faim.

    Après plusieurs expériences du même aca-bit, le professeur décida de lancer un pro-jet de recherche afin de tester, à grandeéchelle, sa méthode de crédits et de ser-vices bancaires adaptées aux populations deszones rurales. Cela aboutit en 1983 à la créa-tion de la Grameen Bank (« grameen » signi-

    fie « village » en Bengali), premier orga-nisme indépendant de microcrédit au monde.Ce système d’emprunt fut transposé progres-sivement dans d’autres pays en développe-ment, en Afrique et en Amérique latine, sou-vent avec succès. L’introduction dumicrocrédit en Occident s’est faite plus tar-divement. Dans des économies intégrées,dotées de systèmes bancaires performantset de populations plus aisées, son utilitésemblait moins flagrante. Pourtant, lespouvoirs publics ont soutenu sa mise enplace, convaincus d’avoir trouver un vecteurd’intégration pour les personnes en diffi-culté, qui ne répondent pas aux conditionsd’emprunt habituelles. La France fut l’ini-tiatrice du mouvement en Europe, avec lacréation de l’Association pour le droit à l’ini-tiative économique (ADIE) en 1989. Ellereste, 20 ans après, le premier fournisseurde microcrédits du continent, même si l’UEs’est emparée du sujet en élaborant une véri-table politique communautaire. Enfin, en pro-clamant une « Année Internationale duMicrocrédit » en 2005 dans le cadre desOb j e c t i f s du M i l l é na i r e p ou r l eDéveloppement (OMD), l’ONU a appelé àl’universalisation de cette « nouvelle » pra-tique bancaire. L’attribution conjointe du prixNobel de la paix à la Grameen Bank et soncréateur l’année suivante, le 13 octobre2006, acheva de légitimer le microcréditauprès du grand public.

    Le microcrédit : les acteurs et les défis

    « Le microcrédit c’est aiderchaque personne à atteindreson meilleur potentiel. Iln’évoque pas le capitalmonétaire mais le capitalhumain. [C’est] un outil quilibère les rêves des hommeset aide même le plus pauvred’entre les pauvres à par-venir à la dignité, au respectet à donner un sens à savie. »Muhammad Yunus, Vers un monde

    sans pauvreté, éd. Jean Claude

    Lattès, 1997, p. 399.

    La genèse du microcrédit actuel : du Bangladesh au reste du monde

  • Acteurs et défis

    2 MICROCREDIT

    Le microcrédit n’est pas un acte de charité, mais un outilsensé produire de la valeur ajoutée. Il renvoie à la mêmephilosophie que celle du commerce équitable dont le slo-gan est « Trade, not Aid ! » (« Le commerce, pas la cha-rité ! »). L’objectif est de permettre à l’emprunteur dedégager un capital minimum pour vivre, s’insérer dansla vie active et bénéficier des fruits de son labeur. Lefonctionnement du microcrédit s’y prête parfaitement :c’est un emprunt d’un petit montant, variable selon lesÉtats (de dix dollars à plusieurs milliers), consenti pourune courte durée (quelques mois), dont le rembourse-ment est échelonné selon l’activité du client mais à brefintervalles de temps (souvent hebdomadaires). Rien detrès original jusqu’à présent. Le microcrédit se distinguepourtant des autres instruments du système bancaire clas-sique à plus d’un titre. La caution et la garantie norma-lement réclamées sont généralement remplacées par laconstitution d’un groupe solidaire dont les membres, fré-quemment cinq, s’engagent à s’entraider pour effectuerle remboursement. Dans cette optique, l’utilisation duprêt est régulièrement suivie par les créanciers et peutmême s’accompagner d’une aide à la gestion pour lesbénéficiaires.

    L’individu ne s’efface donc pas devant la logique finan-cière, même s’il doit supporter un taux d’intérêt effec-tif de 28,2%1 par an en moyenne. Pourquoi un taux siélevé ? En premier lieu, du fait de l’importance descharges fixes que représente la gestion d’une multituded’emprunts, surtout dans les zones rurales et reculées.En effet, le microcrédit implique de rencontrer chaqueclient à domicile ou sur son lieu de travail, d’abord pourévaluer sa solvabilité, puis, si le prêt est accordé, pour

    l’assister dans ses démarches. En l’absence de réseauxde transports et de télécommunications performants, celarequiert des moyens matériels et humains considérables,et quantité de temps. La fourniture de prestations finan-cières à des personnes pauvres et éloignées revient cher :entre 30 à 50% des sommes délivrées environ. En outre,il faut tenir compte de la modestie des montants ver-sés. Comme les ressources utilisées sont identiques quel’emprunt se monte à 50 ou 5000 dollars, plus les créditssont faibles, plus les coûts sont proportionnellementélevés. Telle est l’une des raisons du refus des banquescommerciales d’octroyer des microprêts. Enfin, la majo-ration du taux d’intérêt s’explique par la nécessité pourles institutions de microfinance (IMF) d’emprunter unepart de leur capital à d’autres banques et à des fondspublics ou privés, à des taux variant entre 8 et 20%, etparfois en devises étrangères (ce qui induit des taux fraisde change). Elles ne peuvent donc pas allouer l’argentreçu sans se soucier de leur équilibre économique, c’est-à-dire sans faire un minimum de bénéfices. Ces derniersdoivent d’ailleurs permettre de compenser le risque dedéfaut de paiement d’une clientèle dont les revenus sontmodestes et irréguliers. Telle est l’une des autrescraintes des établissements financiers classiques. Malgrécela, les IMF restent la source de crédits la plus viablepour les personnes démunies car, d’une part le secteurbancaire formel refuse de les approvisionner, et d’autrepart le recours aux prêteurs sur gages est nettement pluspénalisant avec des taux oscillant entre 100 et 300%par an. En comparaison, le coût du microcrédit est 5 à10 fois moindre. Les revenus générés par l’activité entre-prise grâce au prêt devraient permettre son absorption.

    Le fonctionnement du microcrédit : de la solidarité au réalisme économique

    Contrairement à une idée reçue très répandue, le micro-crédit ne s’adresse pas aux populations les plus défavo-risées, c’est-à-dire celles qui ont des revenus à 50% infé-rieurs au seuil de pauvreté absolue. Cette catégoriereprésente un coût et un risque supplémentaires que nepeuvent supporter la quasi-totalité des IMF, déjà fréquem-ment déficitaires. Leur offre convient mieux aux personnesproches du seuil de pauvreté ou l’ayant dépassé. Parmielles, une autre différenciation existe. D’une part lesentrepreneurs, qui mobilisent les ressources pour créerou étendre leur activité dans le secteur informel ou nonstructuré.Dans les zones rurales, ce sont généralementdes paysans ou des personnes possédant une activité detransformation alimentaire. Tandis qu’en milieu urbain,les artisans, les petits commerçants et les prestatairesde services sont les principaux clients. D’autre part, lespurs gestionnaires, qui utilisent l’argent comme un fondsde roulement de l’unité domestique de façon à faire la

    soudure entre les périodes de besoin et celles de per-ception des revenus.

    En tous les cas, les IMF destinent leurs services en prio-rité aux individus disposant d’un minimum de connais-sances et de responsabilisation, mais qui sont désavan-tagés dans l’accès au crédit. Pour pallier les éventuelleslacunes des clients, les programmes de microcrédit s’ac-compagnent le plus souvent d’une formation élémentaired’alphabétisation et/ou de gestion. En pratique, les femmessatisfont mieux à ces exigences. Traditionnellement négli-gées par les banques commerciales pour des raisons socio-culturelles, elles représentent en effet 83,2% desemprunteurs des IMF. A priori moins solvables que leshommes puisqu’elles constituent 70% des pauvres, leurstaux de recouvrement sont en réalité plus élevés. D’unstrict point de vue commercial, il est donc judicieux derépondre à leurs attentes et de nombreuses IMF se sont

    Les acteurs du microcrédit : des exclus bancaires aux exclues sociales

    1 Source : PlaNetFinance, mai 2009.

  • Acteurs et défis

    3 MICROCREDIT

    d’ailleurs développées en ce sens au cours des vingt der-nières années. Elles seraient près de 10 000 aujourd’hui.Bien que très protéiformes, il reste possible de les clas-ser en quatre groupes principaux : les associations oucoopératives dont les membres fondateurs sont égale-ment les bénéficiaires, les ONG locales ou étrangères sen-

    sibilisées à la démarche, les banques plus ou moins for-melles de développement, et plus récemment les banquesprivées commerciales qui ont réorienté une part de leuractivité par stratégie, au vu des bénéfices escomptés.En tous les cas, il n’existe pas de modèle unique d’IMF,encore moins de modèle idéal.

    Le microcrédit est un espoir pour les 80% de la pop-ulation mondiale qui souffrent de difficulté d’accèsaux produits bancaires classiques ou de leur usage.Il constitue l’un des mécanismes de lutte contre la pau-vreté, selon un cercle vertueux bien défini : le créditpermet d’investir dans une activité lucrative afin d’entirer des profits suffisants pour compenser les pertes liéesau remboursement et emprunter à nouveau de manièreà se développer. Ainsi, le microcrédit est créateur d’em-plois et de revenus plus importants et stables. Il prof-ite au client, mais aussi à son foyer, son quartier, sonvillage. Il rétablit la part de dignité qui avait été ôtéeaux bénéficiaires, surtout aux femmes. Saisir l’opportu-nité d’emprunter et d’épargner leur a permis d’amélio-rer leur statut familial et social. Devenues plus confiantes,elles ont su s’émanciper et remettre en cause les inéga-lités systémiques entre les genres et montrer auxhommes qu’elles pouvaient avoir les mêmes capacités d’en-treprendre. Enfin, les programmes de microcrédits sou-tenus par les associations à but non lucratif, comme l’ONGAPAD International2, s’accompagnent de formations quiconcourent à l’amélioration du niveau scolaire et donc

    du niveau de vie des clients et de leurs parents proches.

    Le microcrédit s’impose donc comme un des moyensdéterminants dans les politiques de lutte contre la pau-vreté. Il est l’un des outils majeurs d’une finance de proxi-mité à la fois géographique et culturelle. Il tend à valo-riser le capital humain et local autant que le capitalfinancier et global, réconciliant principes économiqueset valeurs éthiques. Et ça marche ! Au 31 décembre 2007,3552 IMF déclarent desservir 154,8 millions de clients,dont 70% vivaient avec moins d’un euro par jour lors-qu’ils ont contracté leur premier emprunt3. Environ 90%des microprêts sont correctement remboursés. Lespauvres se montrent plus solvables que les riches ! Lesbesoins sont tels que le secteur croît de 30% par an4.La microfinance est une activité non seulement rentable,mais aussi en pleine expansion. Près de 500 millions depersonnes sont toujours en attente de financement etla demande potentielle en crédit est évaluée à 263 mil-liards de dollars. Encourageants, ces chiffres ne doiventpas faire oublier les défis que rencontre le microcrédit.

    Les bénéfices du microcrédit : du capital économique au capital humain

    Au-delà des débats, parfois idéologiques, sur soninfluence réelle, le microcrédit ne peut raisonnablementpas être érigé en remède miracle. Plusieurs observationsfaites localement ont même démontré certains travers.Tout d’abord, la réussite des programmes repose sur unesélection stricte des participants pour limiter les risquesde surendettement. Les entrepreneurs des centres urbainssont favorisés tandis que la masse rurale demeure àl’écart. La plupart des clients sont obligés de consacrerleurs revenus à des activités de petite taille et à faiblevaleur ajoutée. Il s’agit essentiellement pour eux d’as-surer leur subsistance et non d’investir dans un projetambitieux à long terme. L’objet du prêt est plus souventla consommation que l’équipement professionnel. Toutle monde ne peut pas investir, soit par manque de volon-té (rare), soit par manque de moyens (fréquent). Seulsceux qui ont un minimum de ressources acceptent des’exposer aux aléas et participent à la croissance éco-

    nomique de leur pays. Le microcrédit joue donc plus lerôle de béquille que de tremplin. Il ne remplace pas lespolitiques publiques nationales et internationales dedéveloppement, même s’il facilite leur mise en œuvre.En outre la plupart des IMF souffrent d’une grande fra-gilité à cause du déficit d’information et de transparen-ce, de compétences et d’outils insuffisants et d’un cadreréglementaire inachevé, particulièrement en Afriquesubsaharienne. Leur contrôle reste faible et les sanctionsen cas de dérive sont peu appliquées.

    Surtout, que l’emprunteur soit riche ou pauvre, les pro-grammes de microcrédit sont rarement autonomes surle plan financier. Sans subvention publique ou privée,la plupart ne verraient pas le jour ou ne seraient pasconduits à terme. Autrement dit, le microcrédit a besoind’un appui financier et technique pour asseoir sa péren-nité. Sauf que cette dépendance contrecarre l’objectif

    Les défis du microcrédit : de l’autonomie des emprunteurs à celle des IMF

    2 Partenaire duS.E.L. au Niger.3 Source : Rapportde «L’état de laCampagne duSommet duMicrocrédit de2009»4 Source : PlaNetFinance, mai 2009.

  • Acteurs et défis

    4 MICROCREDIT

    Selon le Bureau international du travail5, la crise finan-cière internationale provoque une hausse généralisée duchômage, avec un taux mondial pour la première foisau-delà des 7%, et devrait encore appauvrir 176 millionsde travailleurs en 2009. Plongées dans la tourmente, lesbanques tendent à durcir leurs conditions d’emprunt,notamment dans les pays dépendants du marché nord-américain. Une telle politique de rigueur contraint lespersonnes affectées à soutenir l’économie informelle età recourir au microcrédit pour pouvoir, à titre person-nel, conserver une part de leur pouvoir d’achat et, à titreprofessionnel, se lancer dans l’entreprenariat. L’ensemblede la demande risque toutefois de ne pas être satisfai-te. L’augmentation des impayés et le surendettement liés

    à la crise devraient rendre plus prudentes les IMF, dontla majorité des soutiens financiers (établissements ban-caires, fonds d’investissement, organisations internatio-nales, donateurs privés…) ont également été fragilisés.Afin d’éviter l’explosion des taux d’intérêt, la Banquemondiale a créé, en coopération avec l’Allemagne, unfonds de 500 millions de dollars à leur profit. Ainsi, lemicrocrédit devrait survivre à la crisemondiale de 2008/2009, comme il asurmonté celle en Asie une dizained’années auparavant.

    Cyril MARÉ

    d’équilibre bancaire que poursuivent les IMF. L’aide exté-rieure doit par conséquent être concentrée sur l’instal-lation du programme et non son accompagnement dudébut à la fin. Comme l’enfant qui apprend à marcher :d’abord on lui tend la main pour qu’il trouve son équi-libre, puis on le laisse courir le risque d’avancer seul.Les IMF devront par conséquent améliorer leurs perfor-mances pour devenir autonomes, élargir la gamme deleurs services aux plus défavorisés, et progresser sur lesmarchés africains et sud-américains (83% des clients rési-

    dent en Asie). Articuler les IMF performantes, celles quiauront fait la preuve de leur rentabilité et de leur via-bilité, et le secteur financier formel permettrait de déve-lopper plus sereinement l’industrie de la microfinance.Si la tendance est déjà à la baisse des taux d’intérêt (15%en moyenne en Inde !) du fait de la concurrence et dela hausse des volumes, les efforts devront être poursui-vis pour qu’un grand nombre puisse, s’il le souhaite,contracter un emprunt. Surtout en temps de crise…

    La crise et le microcrédit : de la demande accrue à la difficulté d’y répondre

    5 Source : « La criseaccentue l’intérêtpour le microcré-dit », Le Monde,6 février 2009.

  • Calvin et l’argent

    1 MICROCREDIT

    Le premier d’entre eux, Walter Sombart,s’est efforcé de prouver que l’influenceextraordinaire que les Juifs ont toujoursexercée sur le développement de la vie éco-nomique était due à leur religion. Et le cal-vinisme, ajoutait-il, tout simplement, a euune influence identique parce que la reli-gion de Calvin a conservé toutes les carac-téristiques du judaïsme !

    A peu près à la même époque, Max Weberdevait édifier une fameuse théorie, qui estdevenue classique et qui est encore trèsrépandue aujourd’hui.

    Max Weber a fait des statistiques. Il aconstaté que les pays protestants bénéfi-ciaient au XIXe siècle d’un développementéconomique beaucoup plus avancé quecelui des pays catholiques. Il en a tiré laconclusion que cette avance était due à l’ap-parition chez les protestants d’un esprit par-ticulier, l’esprit capitaliste, qui est lui-mêmeune caractéristique de l’esprit calviniste.

    Qu’entend-il par esprit capitaliste ? Il nefaut pas confondre celui-ci, dit-il, avec lapassion du gain ou la cupidité. Celles-ci ontexisté déjà bien avant l’apparition du capi-talisme, de même que les grosses fortunes.Mais les richesses étaient accumulées à seulefin d’être consommées.

    Ce qui caractérise l’esprit capitaliste, dit MaxWeber, c’est que, bien loin de conduire à la

    consommation des biens amassés, il pousseau contraire à les épargner, tout en stimu-lant l’ardeur au travail de celui qui les pos-sède.

    Et pour qu’un système général, tel que lesystème capitaliste, ait pu prendre naissanceet se développer, il fallait que l’espritcapitaliste, cet esprit d’épargne et delabeur acharné, ne fût pas l’apanage dequelques individus seulement, mais de tousles membres d’une même société, du hauten bas de la hiérarchie du travail. Or, ditMax Weber, seule une attitude religieuse com-mune à tout un peuple pouvait être capablede donner à chaque individu un comporte-ment identique.

    Si l’on constate, par conséquent, que l’es-prit et le système capitalistes se sontdéveloppés avec l’apparition du calvinismeet dans les populations réformées surtout,c’est qu’il y a une relation étroite entre cetesprit capitaliste et l’esprit calviniste.

    Qu’y a-t-il donc d’exceptionnel dans le cal-vinisme qui ait pu engendrer cet esprit par-ticulier ?

    Calvin, dit Max Weber, fait opérer à l’his-toire un véritable tournant, parce qu’il aréussi à faire sortir des cloîtres et des monas-tères, où il s’était enfermé, l’antique ascé-tisme chrétien, pour le projeter dans la viedu siècle. Il a sécularisé l’ascétisme.

    Calvin, l’argent et le capitalisme

    On a dit de Calvin, tantôt pouren faire l’éloge, tantôt pour le luireprocher, qu’il était l’un despères du capitalisme moderne.

    J’aimerais vous présenter, pourcommencer, quelques-uns desarguments que l’on a développéspour soutenir cette thèse.

    J’aimerais vous faire connaîtreensuite très rapidement la penséede Calvin sur l’argent et le prêt àintérêt ainsi que son attitude àl’égard du capitalisme naissantdu XVIe siècle.

    Cela nous permettra, pour termi-ner, de distinguer ce qu’il y a dejuste et ce qu’il y a de faux dansles théories mentionnées, et deconclure enfin en dégageant cequi, selon nous, demeure encorevalable sur ce point particulierde l’enseignement du réforma-teur.

    Voici donc quelques-unes desthéories les plus connues quifont de Calvin l’ancêtre du capi-talisme.

    Quelques sociologues du siècle passé ont été impressionnés par la démonstration de KarlMarx, qui tend à prouver que seuls les rapports économiques que les hommes entretien-nent entre eux déterminent leurs croyances.Pour contredire cette doctrine, ces sociologues ont essayé de prouver le contraire, c’est-à-dire de montrer que c’est la religion qui est à l’origine des phénomènes économiques.

    Leur zèle un peu naïf les a poussés à exagérer les déductions qu’ils devaient tirer à par-tir de faits incontestables.

    Extrait de : La revue réformée, N°37 – 1959/1, pages 43-52

    Reproduit avec autorisation

  • Calvin et l’argent

    2

    Tandis qu’autrefois, en effet, leshommes ne travaillaient que poursatisfaire leurs besoins immédiats etconsacraient le reste de leur tempsà la prière et à la contemplation, lecalvinisme a élevé au rang de pratiquereligieuse l’accomplissement du labeurquotidien. Le travail devenant ainsiune œuvre de Dieu, une liturgie, mobi-lisait pour son achèvement les forcesintérieures les plus puissantes del’homme. Et comme à cet espritd’entreprise fécondé par la foi s’ajou-tait une sobriété rigoureuse, la pro-duction ainsi stimulée devait rapide-ment dépasser la consommation etcréer de l’épargne en quête d’inves-tissement.

    Pour illustrer cet esprit nouveau, etappuyer sa théorie, Max Weber citeles aphorismes d’un BenjaminFranklin, en qui il prétend voirl’image d’un calviniste authentique.

    En voici quelques-uns :

    «Rappelle-toi que le temps, c’est de l’ar-gent. Rappelle-toi que le crédit, c’estde l’argent. Il faut être attentif à tousles actes insignifiants qui favorisentle crédit d’un homme. Rappelle-toi quel’argent est prolifique et productif. Celuiqui tue une truie anéantit tous ses des-cendants jusqu’au millième. Celui quidétruit une pièce de cinq shillingsanéantit tout ce qu’elle aurait pu pro-duire, des colonnes de livres sterling. »

    Poursuivant son analyse, Max Weberconstate que l’esprit capitaliste, s’ilest issu du calvinisme, a rapidementrevendiqué son indépendance et s’estdétaché petit à petit de la vie reli-gieuse qui lui avait donné naissanceet qui exerçait sur lui un certain frein,lui fixant des limites. Il s’est finale-ment à ce point émancipé de la reli-gion qu’il s’est en fin de compteretourné contre elle pour exploiterceux qui la pratiquent.

    C’est ainsi, dit Max Weber, que l’es-prit capitaliste n’a pas hésité à tirerprofit de l’esprit religieux des ouvriersen spéculant sur leur résignation àla souffrance. Chaque fois qu’il l’a pu,il a utilisé de préférence, je cite MaxWeber, « ceux qui se prêtaient à sonexploitation pour des raisons deconscience ». Enfin, totalement éman-cipé de la foi qui l’avait engendré,

    l’esprit capitaliste a donné nais-sance à ce type d’hommes d’affairesfroids et lucides qu’il qualifie de« Fachmenschen ohne Geist ,Genussmenschen ohne Herz », tech-niciens sans âme et jouisseurs sanscœur.

    D’après Max Weber, on retrouve dansl’esprit capitaliste sécularisé, jusquedans ce qu’il a de plus excessif, lescaractéristiques de l’esprit religieuxdu calvinisme, ce mélange d’ardeurfroide et d’austérité.

    Peu après l’étude de Max Weber,paraît un ouvrage du théologienallemand Ernst Tröltsch. Cet auteurprétend que le comportement libé-ral de Calvin à l’égard du capitalismenaissant et son attitude révolution-naire à l’endroit du prêt à intérêt, qui,avant lui, avait été condamné par tousles théologiens, tiennent essentiel-lement à deux causes. D’abord, tan-dis que Luther et les catholiquesavaient conservé intact l’idéal médié-val d’une économie féodale, agricoleet artisanale, Calvin, au contraire,avait parfaitement saisi les exigencesnouvelles de l’économie commer-ciale des centres urbains. Ensuite,Luther et les catholiques avaient sousles yeux et le condamnaient le grandcapitalisme déjà très puissant qui pre-nait possession des gouvernements.Qu’on se souvienne comment le trôneimpérial avait été mis aux enchèrespar la haute finance et à quel prixles banquiers de Charles Quintl’avaient finalement arraché auxfinanciers endettés de François Ier.Calvin, au contraire, se trouvait àGenève en face d’un capitalismelimité et contrôlable à la mesure dela petite cité. Ce capitalisme mesuré,ainsi assimilé par la morale calviniste,devait par la suite s’infiltrer et se pro-pager dans tous les pays réformés.Pour Tröltsch, donc, le capitalismen’est pas né du calvinisme, mais il aété en quelque sorte acclimaté,grâce à la morale calviniste, dans lespays qui adoptèrent la Réforme.

    L’historien français Georges Goyau arepris les thèses de Tröltsch et deWeber pour les critiquer. Il est évi-dent, dit-il, que le calvinisme aengendré à Genève d’abord, puisdans les pays calvinistes ensuite, l’es-prit capitaliste. Mais il n’est pasnécessaire de recourir aux labo-

    rieuses théories de ces savants pourexpliquer ce phénomène. Ce quicaractérise avant tout le calvinisme,dit-il, c’est l’individualisme. Or l’in-dividualisme religieux, en se sécula-risant, devait nécessairement favo-riser un régime économique oùl’intérêt de l’individu passe avant celuide la collectivité. C’est l’individualismefarouche de la Réforme qui auraitengendré l’individualisme absolu ducapitalisme.

    Pour déceler cet individualisme àl’œuvre chez les protestants genevois,Georges Goyau cite l’opinion de l’ar-chéologue Raoul Rochette, qui écriten 1820 : « L’intérêt est le dieu desGenevois ; et tandis que Calvin se mor-fond dans sa solitude, celui-là trouveun ministre dans chaque individu…Leur esprit est constamment tendu versun profit quelconque, le savoir estencore pour eux une branche de com-merce ».

    Cette opinion, dit Goyau, est nette-ment exagérée ; mais dans le fond elleexplique bien ce qu’il veut démon-trer. « On ne peut traiter d’avares, pour-suit-il, ni surtout d’idolâtres de l’ar-gent, ces Genevois dont un grandnombre, de génération en génération,sont au contraire des prodigues enmatière de charité ; mais ce qu’il estvrai de dire, c’est que Genève est unedes villes où, par une suite logique del’individualisme religieux , l’espritd’individualisme en matière écono-mique s’est le plus complaisammentépanoui… »

    Et peut-être aujourd’hui même, écrit-il encore : « n’y a-t-il pas en Europeune seule cité protestante où l’idéede « christianisme social » et « pro-testantisme social » s’acclimate aussimal aisément qu’à Genève. La vieille« idole » genevoise, la liberté abs-traite…, la liberté avec un L majus-cule, se rebelle contre les méthodesévangéliques qui s’efforcent, de-ci de-là, à faire régner plus de justicesociale ; elle se sent affrontée,menacée, par ces pasteurs « sociaux »que volontiers elle traite de socia-listes. »

    Pour Georges Goyau, cet auteurcatholique bien connu, Calvin estdonc responsable de l’essor du capi-talisme, parce qu’il a d’abord favo-risé l’individualisme religieux, lequel

    MICROCREDIT

  • Calvin et l’argent

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    s’est ensuite transformé dans la viesociale en un individualisme écono-mique.

    Plus près de nous, l’Anglais RichardH. Tawney et les deux Français EmileDoumergue et Henri Hauser ont exa-miné le problème en remontant auXVIe siècle, ce qu’avaient omis de faireles auteurs précédents qui s’étaientcontentés d’analyser le calvinismepostérieur.

    Tous trois sont arrivés à la mêmeconclusion. Incontestablement, décla-rent-ils, Calvin a favorisé à son ori-gine le développement du capitalisme.Mais celui-ci a fortement réagi à sontour, sur le puritanisme et les socié-tés réformées du XVIIIe siècle, endéformant sensiblement leur calvi-nisme. Il n’est donc pas juste derendre Calvin responsable des carac-tères actuels du capitalisme.

    Prenant le contre-pied de toutes cesthéories, l’économiste André-E. Sayousa tenté de démontrer que le calvi-nisme n’avait pas été seulementindifférent à ses débuts, au dévelop-pement du capitalisme, mais qu’il s’yétait au contraire opposé avec éner-gie. La limitation du taux de l’inté-rêt, soutenue par les pasteurs auprèsdes Conseils de Genève qui l’avaientintroduite au début du siècle, bienloin d’avoir stimulé l’économie ducapital, avait au contraire fonc-tionné comme un frein redoutable.

    Non sans ironie, Sayous montre quele capitalisme ne se développe àGenève qu’à partir de la fin du XVIIe

    siècle, au moment où les pasteurs ces-sent d’en dénoncer les abus parcequ’ils en bénéficient eux-mêmes.« C’est alors, écrit-il malicieusement,que les bonnes familles enrichiescommencèrent à destiner l’un desleurs à la carrière pastorale : devoirqui s’imposait à elles d’autant plus queDieu avait déjà pourvu à leurs besoinsmatériels. »

    Le temps me manque pour mention-ner encore d’autres auteurs plusrécents, tels Frédéric Hoffet, ou JohnNeff, qui reprennent, sous une formerajeunie, les arguments de leurs pré-décesseurs ou les critiquent.

    Comme vous le voyez, la discussionrelative aux répercussions de la

    Réforme sur la naissance de l’écono-mie moderne ne manque pas d’inté-rêt et il s’en faut qu’elle soit épui-sée.

    Pour nous permettre de nous pronon-cer sur la valeur relative des théoriesque je viens de vous présenter - enm’excusant d’avoir été contraint de lesdéformer, puisque toute simplificationest une trahison - j’aimerais mainte-nant tracer une esquisse, très succincteaussi, de la pensée de Calvin sur l’ar-gent et le prêt à intérêt.

    Le point de départ de la pensée éco-nomique de Calvin se trouve dans laconception biblique de la vie maté-rielle. Pour l’Evangile, la matièren’est pas du tout en opposition avecla vie de l’Esprit, comme le prétendle spiritualisme grec ou oriental dontle christianisme n’a jamais réussi àse débarrasser complètement.

    Fidèle à l’enseignement biblique,Calvin affirme que la vie matériellen’est qu’une expression parmi beau-coup d’autres de la grâce de Dieu quidonne et entretient toute la vie.

    « Combien donc que nous vivons depain, écrit-il, il ne faut point attribuernotre vie à la vertu du pain, mais àla grâce secrète, laquelle Dieu inspirededans le pain pour nous sustenter. »

    L’argent ni la matière ne sont doncétrangers au royaume de Dieu. Ils ensont au contraire des signes, desti-nés à nous l’annoncer et le figurerconcrètement.

    L’abondance et la prospérité nous sontdonnées pour manifester la splendeurdu règne de Dieu auquel nous sommesappelés.

    La disette et la famine figurent et pro-clament parmi nous la tragiquecondition de l’humanité privée de laparole de Dieu. Ainsi, la seule justi-fication dernière de l’argent, sa seuleraison d’être parmi les hommes, c’estde tenir le rôle de témoin, de signede la grâce de Dieu qui fait vivre etentretient l’humanité jusqu’à cequ’elle reconnaisse et contemple lagloire de Dieu.

    Les richesses visibles sont presque,pourrait-on dire, un sacrement desrichesses invisibles.

    Pour ne pas déformer la pensée deCalvin, comme l’a fait le purita-nisme qui a cru pouvoir déduire decet enseignement que la richesse étaitun signe visible de l’élection indivi-duelle et la pauvreté un signe de laréprobation de Dieu, il faut immédia-tement souligner le fait que cette pen-sée audacieuse est inséparable de lathéologie de la grâce qui constituele fondement essentiel de toute ladoctrine du réformateur.

    Si donc l’argent est un signe extérieurde la grâce de Dieu, un signe de lagratuité de l’amour de Dieu pour tousles hommes, il ne peut pas davantageque la grâce être possédé par l’hommede façon absolue. Il ne peut jamaisêtre thésaurisé sans restriction. Il estau contraire destiné à servir, à rou-ler, à rencontrer autrui, à signifierl’œuvre ininterrompue de la grâceenvers tous les hommes. Car la grâceelle-même ne surgit jamais en privé,mais seulement dans la rencontred’autrui.

    Et cette circulation, précise Calvin,elle a lieu très concrètement dans lesens du riche vers le pauvre.

    Pour Calvin, le riche et le pauvre onttous deux une fonction sociale ;c’est une fonction et non un état. Leriche doit s’appauvrir pour entrete-nir le pauvre. Et le pauvre doit s’en-richir avec l’aide du riche. Ainsi s’ex-p r i m e , m a t é r i e l l e m e n t e textérieurement, la solidarité fonda-mentale du genre humain selon ledessein de Dieu.

    Le riche est donc chargé ici-bas parDieu d’un véritable ministère. « Noussommes enseignés, écrit Calvin, queles riches ont reçu une plus grandeabondance, à cette condition qu’ilssoient ministres des pauvres, en dis-pensant les biens qui leur ont été misentre les mains par la bonté deDieu. »

    Le pauvre, de son côté, a aussi unefonction spéciale, un ministère. Il estcelui à qui Dieu, en Jésus-Christ,s’identifie ; celui en qui Dieu secache pour rencontrer l’homme. Calvinl’appelle pour cela le receveur de Dieu.C’est lui qui est chargé de recevoirdu riche l’argent que Dieu avaitconfié à celui-ci pour secourir lepauvre. Par lui, Dieu visite et juge

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  • Calvin et l’argent

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    l’Eglise et la société. C’est pourquoiCalvin appelle encore le pauvre le pro-cureur de Dieu, celui par qui Dieuexerce son jugement sur l’humanité.Car à la manière dont un homme ouune société se comporte à l’égard dupauvre, Dieu mesure leur foi et leurcharité.

    Il convient de préciser que la dépen-dance des pauvres à l’égard desriches n’a pas, dans la pensée deCalvin, la nuance paternaliste que luiconfère notre individualisme moderne.L’obligation du riche envers le pauvren’est pas de plaire seulement. Elles’exprime socialement aussi biendans les structures de l’Eglise que danscelles de l’Etat.

    Il faudrait mentionner ici le fonction-nement du diaconat dans l’Eglise, queCalvin avait créé non seulementpour secourir ceux que nous appel-lerions aujourd’hui « les économique-ment faibles », mais encore pourmettre continuellement en questiontoute la vie matérielle de chacun desmembres de la communauté. (2)

    Il faudrait pouvoir écrire aussi le rôleéconomique et social que Calvinattribue à l’Etat et citer en guised’illustration toutes les mesures queles Conseils de Genève ont prises, sousl’influence du réformateur, pour pour-voir aux besoins des classes les pluspauvres de la population, des étran-gers et des réfugiés notamment,pour assurer à chacun un travail, uneformation professionnelle et dessoins médicaux, mais le temps nenous permet pas d’entrer dans cesdétails.

    Ce que nous venons de dire de la fonc-tion sociale de l’argent dans la doc-trine de Calvin va nous permettre decomprendre son attitude à l’égard duprêt à intérêt.

    Comme vous le savez, l’Eglisechrétienne avait interdit lapratique de l’usure depuis fort long-temps. En 1179, le concile géné-ral de Latran frappait d’excommu-nication les usuriers et leur refusaitla sépulture chrétienne s’ils mou-raient dans ce péché. Mais cetteinterdiction n’empêchait pas lessouverains et prélats de tolérerl’usure à leur profit, pratiquéesouvent avec des taux exorbi-

    tants. Au XVe siècle, des ban-quiers florentins établis à Genèveprêtaient à la ville et à des par-ticuliers des sommes importantes.Mais après la suppression desfoires par le duc de Savoie, les ban-quiers italiens quittèrent Genèveavec les derniers marchands et lastagnation économique se trans-forma en véritable crise lors despremières luttes politiques et reli-gieuses du XVIe siècle. Ce fut l’af-flux des réfugiés protestants quirendit à la vie économique gene-voise un nouvel et rapide essor. Leprêt à intérêt retrouva soudain unenouvelle clientèle et sa pratiquese développa rapidement dansnotre cité. Il s’agissait d’abord deprêts consentis à des parents ouà des amis. On prêtait à 5 ou 7%.On vit ensuite apparaître les premières participations com-merciales ou industrielles. FrançoisTurettini, nous dit un notaire,reçoit de « l’argent à profit »dans son négoce. Les premièressociétés entre industriels ou com-merçants se constituent. Ainsi lafirme « Etienne Trembley et com-pagnons ». Et à la fin du siècle,on commence à envisager le pla-cement de capitaux comme unmoyen d’existence indépendant.

    En face de ces pratiques nouvelles,quelle va être l’attitude de Calvin ?Les réformateurs, avant lui,étaient demeurés, sur ce point,fidèles à la tradition de l’Eglise :ils condamnaient le prêt à intérêt.

    Mais Calvin était doublement réa-liste : il était à la fois juriste etthéologien. Pour résoudre ce pro-blème, il interroge d’abord laParole de Dieu, puis il examineattentivement la réalité nouvelleà laquelle il doit appliquer l’ensei-gnement de cette parole. Or ilconstate que l’interdictionbiblique du prêt à intérêtconcerne le prêt de secours, leprêt destiné à venir en aide àun malheureux ; elle ne concernepas le prêt commercial ou indus-triel. Dans le premier cas, l’inter-diction de l’usure doit être main-tenue. Celui qui prête ne sauraittirer profit du malheur d’autrui.L’argent du riche, nous l’avons vu,est destiné à secourir gratuitementle pauvre. En pratique, la majorité

    des prêts consentis par les usuriersde cette époque tombaient sousle coup de cette interdiction.

    Le prêt commercial ou industriel,en revanche, est né d’une struc-ture économique nouvelle, incon-nue du peuple d’Israël. On ne sau-rait prétendre, explique Calvin, qu’ilsoit visé par l’interdiction biblique.Et le réformateur, assimilant le prêtde production à la location fon-cière, autorisée de tout temps parl’Eglise, démolit pièce par piècel’argumentation aristotélicienneet thomiste qui prétend que l’ar-gent par lui-même ne peut produirede l’argent.

    Mais au moment où il brise la tra-dition séculaire de l’Eglise qui rete-nait captif l’exercice du prêt à inté-rêt, Calvin, avec un discernementprophétique, prévoit les abusextrêmes auxquels on pourraitaboutir si l’on accordait la libertétotale à cette pratique. Car la soifdu gain, dit-il, semble plus aigui-sée que jamais. Aussi apporte-t-il immédiatement des limitationsprécises au commerce de l’argent.

    D’abord, on ne peut pas en faireun métier. En une république bienordonnée et réglée, écrit-il, unhomme qui fait état de donner àusure n’est nullement tolérable.

    Ensuite, puisque Dieu prête auriche son argent pour secourir lepauvre, il n’est pas licite de pla-cer contre intérêt une sommedont on aurait besoin pour aiderquelqu’un gratuitement.

    Il n’est pas juste non plus d’exi-ger d’un débiteur le paiementcomplet de l’intérêt, si celui-ci n’ar-rive pas à gagner, avec la sommeprêtée, le montant de cet intérêt.Ce qui est licite, précise Calvin, nese mesure jamais aux usages cou-rants de la société. Seule la cha-rité chrétienne nous l’indique.

    Usant d’un esprit d’analyse d’uneextrême finesse, Calvin a observé,bien avant les économistes les plusclairvoyants, que la rémunérationdu capital a une incidence directesur le coût de la vie. En consé-quence, dit-il, la fixation du tauxde l’intérêt n’est pas une affaire

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  • Calvin et l’argent

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    de droit privé seulement, elleintéresse aussi l’ensemble de la col-lectivité sur laquelle l’Etat a reçula mission de veiller.

    « Il est tout évident, écrit-il, quel’usure que le marchand paye estune pension publique. Il faut doncbien aviser que le contrat soitaussi utile en commun… que nousconsidérions ce qui est expédientpour le public. »

    C’est pourquoi Calvin obtient despouvoirs publics qu’ils fixent letaux de rémunération du capitalà 5%, puis à 6,33 %. Ce qui esttrès bas par rapport aux taux enusage ailleurs à la même époque.

    Calvin a une conscience très aiguëdu pouvoir d’oppression que peutexercer le capital. Il ne cesse demettre en garde ses contemporainscontre ce danger social. « Il nousfaut toujours avoir souvenance,écrit-il, qu’il est malaisé que celuiqui prend profit ne fasse tort à sonfrère ; c’est pourquoi il serait à dési-rer que le nom d’usure, profit etintérêt fussent absolument abolisde la mémoire des hommes »,mais « attendu que les hommes nepeuvent pas autrement trafiquer etnégocier les uns avec les autres, ilfaut toujours prendre garde à ce quiest licite et jusqu’où on peutaller. »

    Cette attitude extrêmement nuan-cée de Calvin, proclamant un ouiloyal au capitalisme naissant et unnon énergique à ses abus percep-tibles, c’est celle que ses succes-seurs adopteront pendant de nom-b r e u s e s g é n é r a t i o n s . I l sautoriseront à Genève l’exercice duprêt à intérêt, mais avec de trèssérieuses restrictions, et mettronttoujours un frein à son dévelop-pement illimité. Ainsi, quelquesannées après la mort de Calvin,lorsqu’il sera question de créer unebanque à Genève, ils feront preuvede la plus extrême réserve. Il nefaut pas, dira Théodore de Bèze auxmembres du Conseil, que lesrichesses soient désirées par lesGenevois ; elles entraîneront àleur suite… « une infinité d’abusqui ne conviennent pas à uneRépublique dont la réputationtient à la régularité des mœurs. »

    Après ce que je viens de dire, com-ment apprécier les théories d’un MaxWeber, d’un Tröltsch ou d’un GeorgesGoyau ? Peut-on encore prétendre queCalvin est le père du capitalismemoderne ?

    La réponse n’est pas simple. Un ouiou un non seraient tout aussi fauxl’un que l’autre.

    Dans un sens, on peut affirmer queCalvin a nettement contribué audéveloppement du capitalisme com-mercial, puis industriel, d’abord enlibérant le prêt à intérêt de l’hypo-thèque morale que faisait peser dansla classe active des bourgeois, etparmi les travailleurs manuels, lamorale évangélique du labeur assiduet de la simplicité des mœurs. Cedouble comportement devait néces-sairement provoquer dans les paysprotestants une accélération de la pro-duction accompagnée d’une grandemodération dans la consommation. Ildevait donc en résulter très vite uneaccumulation de l’épargne favori-sant sans cesse de nouveaux inves-tissements.

    Mais ce que nous savons du rôle etde la fonction de l’argent dans la doc-trine et dans l’attitude des premierscalvinistes ne permet pas de justifiercette primauté accordée à la recherchedu gain ou à l’intérêt de l’individuqu’un Max Weber ou un GeorgesGoyau considèrent comme une par-ticularité de l’esprit calviniste.

    Et l’ensemble des restrictions et descontrôles dont Calvin et ses succes-seurs ont entouré la pratique du com-merce de l’argent pour en limiter lesabus ne s’accorde nullement avec laliberté complète que revendique lecapitalisme classique.

    Calvin était bien trop réaliste, ilconnaissait trop profondément lanature humaine telle que la révèle laParole de Dieu pour s’imaginer qu’enlibérant de tout contrôle et de toutecontrainte les puissances de l’argent,dont parle l’Evangile de façon nonéquivoque, il pourrait ouvrir à lasociété la voie d’un réel progrès. Ila toujours déclaré que l’Etat, à quiDieu confie la mission d’entretenir ici-bas un ordre relatif, devait accom-plir avec vigilance et discernementsa tâche de surveillance active.

    Nous le voyons, la pensée du réfor-mateur de Genève n’a rien perdu deson actualité. En notre époque tra-gique, où deux systèmes écono-miques s’affrontent comme s’il s’agis-sait d’absolus inconciliables, lapondération de Calvin, avec sonesprit subtil, tout de finesse, denuance et d’examen, nous interdit denous résigner à la fatalité de cettealternative.

    N’a-t-il pas dit lui-même un ouiloyal à l’économie du capital enmême temps qu’il insistait sur lanécessité du frein que devaient luiopposer l’Eglise et l’Etat pour proté-ger le faible et le pauvre ?

    Et ne dirait-il pas aujourd’hui un nontout aussi clair aux impérialismessociaux et géographiques du capitalqu’à la violence inhumaine de l’an-ticapitalisme ?

    La voix de Calvin, et par elle, bienplus encore, celle de l’Evangile, n’apas cessé de tracer au monde le che-min étroit, difficile, exigeant et tou-jours compromettant de la paix.

    André BIELER

    1.- Conférence donnée en Aula de l’Universitéde Genève, sous les auspices de la Faculté desSciences économiques et sociales par le pas-teur André Bieler, licencié ès sciences sociales.On consultera avec fruit, sur le même sujettraité d’une manière toute différente, AugusteLECERF, Etudes Calvinistes, pp. 99 ss. :Calvinisme et capitalisme, Delachaux etNiestlé, Série théologique de l’actualité pro-testante.

    2.- Cf. Revue Réformée, 1956/3, Jean-MarcelLECHNER, Le Calvinisme social, importante étudede 48 pages.

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    Àmoins que le Livre d’Ésaïe n’ait jus-tement très bien compris, et que làprécisément soit le problème ! Symbole, de même, que l’argent ! Symbolevoué à simplifier les échanges. La chose estd’autant plus évidente que la matière sym-bolique a moins de valeur en soi — commele bois pour la statue. La pièce marquée dusceau de César, auquel renvoyait Jésus, faited’un métal de valeur, symbole simplifiantles échanges, avait au moins la valeur deson poids de métal. Mais quand on en estau papier ? (Sans parler de nos temps numé-riques où ne restent plus que chiffres abs-traits.) Pourquoi un coupon de papier sym-bolisant lui-même un autre symbole, parexemple 5 € (CHF 7,50), a-t-il moins devaleur qu’un autre papier d’une autre colo-ration, symbolisant par exemple 50 €(CHF 75.-) ?

    Où se pose à nouveaula question du sculpteur d’ÉsaïeOn se rappelle le chanteur Serge Gainsbourgbrûlant certain morceau de papier. Il avaitfait, par ce geste, œuvre d’iconoclaste, dansla lignée du Livre d’Ésaïe. Le geste du poèteest resté mémorable précisément pour sasignification : geste déstabilisant au planinstitutionnel et conventionnel, provo-quant des réactions qui, à l’aune du Livredu prophète Ésaïe, s’avèrent parfaitementidolâtriques. Que n’a t-on pas entendu, eneffet, du style : « quand on pense à tout

    ce qu’on pourrait faire avec un billet de 500 F(CHF 115.-) ! » Ce qu’on pourrait faire avecun tel billet ? Mais rien justement ; rien,à moins que l’on n’ait auparavant investi col-lectivement le papier en question de ce qu’ilne fait que symboliser.Aux temps bibliques, on n’en était pas encoreà l’argent-papier. Mais on était déjà dansune société où la monnaie, quoique alorsavec sa vraie valeur en métal, avait acquisune valeur symbolique conventionnelle.Déjà la monnaie fonctionnait comme inter-médiaire d’échange, intermédiaire entredeux objets (entre par exemple un sac deblé et un morceau de viande de valeur jugéeéquivalente) et entre deux personnes (deuxpropriétaires qui s’accordent pour reconnaîtreque l’objet tierce, l’argent, symbolise la valeurde leur travail de cultivateur ou d’éleveur) :déjà peut donc percer l’idée que « l’argenttravaille ». La monnaie a remplacé le troc et prend déjàune signification en soi, comme une valeurautonome. C’est dans ce cadre-là que la Torahavait interdit le prêt à intérêt (Deutéronome23, 19) au sein de la communauté du Dieuunique, du Dieu que l’on ne peut représen-ter. Lorsqu’elle pose cette interdiction, laTorah est parfaitement dans la logique dedénonciation du culte des idoles qui est lasienne, et que l’on trouve aussi dans le Livred’Ésaïe : la valeur symbolique est toujoursen passe de se substituer à la valeur réelle— comme le dieu symbolisé est substituéau morceau de bois qui le représente.Ce fondement dans le refus de l’idolâtrie per-met de comprendre pourquoi la Torah n’in-terdit pas radicalement cette pratique dansle commerce avec les cultures environnantes.

    Argent :usure si on le sert...

    Le Livre du prophète Ésaïe

    (ch. 44) ironise au sujet de

    l’idole en parlant du tronc d’arbre

    coupé en deux par l’artisan qui

    sculpte une statue représentant

    sa divinité. Il brûle la moitié du

    bois qu’il a utilisé pour son

    œuvre et adore la seconde moi-

    tié, devenue statue. Symbole,

    évidemment, que la statue !

    rétorquerait le sage artisan, plus

    malin que le livre d’Ésaïe. Il sait

    bien, lui, que son dieu n’est pas

    le bout de bois ! Il sait bien que

    le bout de bois ne fait que sym-

    boliser son dieu. Balourd d’Ésaïe,

    doit-on conclure ?

    Que n’a-t-il pas compris cette

    évidence de bon sens !

    Quand le symbole devient idole

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    On a alors déjà compris que l’argent« travaille ». On reviendra sur cettenotion. Il ne s’agit pas, pour la Loibiblique, de nier cela. Le peuplehébreu témoigne simplement de sonrefus, selon la Loi de son Dieu, duculte des idoles. L’interdiction a,avant tout, valeur missionnaire etsacerdotale, témoignage contre l’idole— avec ses conséquences en lien avecce que tout, à commencer par notrepassage terrestre, est provisoire.Tout appartient à Dieu, qui seul nepasse pas : des incidences sociales,et quant à la notion de propriété, nepeuvent qu’être, en principe, incal-culables. Au point de départ, la Torah a poséla question de l'espace entre la chose(morceau de bois, pièce d’argent, etc.)et la valeur qu’elle symbolise. Tel estle sens de l’interdiction biblique duprêt à intérêt au sein du peuple duDieu unique. C’est encore dans cette logique quese place Jésus quand il dénonce l’idoleromaine signifiée sur les monnaies parla figure de César à qui il la renvoie.Cela tandis qu’il la classifie, enaccord avec le reste du judaïsme, sousla dénomination générique de l’idoleMammon.D’où aussi son geste contre les ven-deurs et les changeurs du Temple(Matthieu 21, 12-13) qu’il semblaitpourtant falloir tolérer, à moinsd’amener les animaux pour les sacri-fices depuis des distances parfoisconsidérables ! Mais la monnaie frap-pée d’une idole ne peut en aucun casentrer dans le Temple du vrai Dieu.Face à cette difficulté, existait unemonnaie du Temple, frappée du chan-delier à sept branches. D’où leschangeurs. N’entre dans le Templequ’une monnaie sans idole frappéedessus. Or c’est précisément l’idée quela monnaie du Temple n’est pas ido-lâtre que Jésus remet en cause : l’in-vestissement symbolique est de toutefaçon présent. Est-ce que vous vousimaginez, sous-entend Jésus, qu’enenlevant l’idole qui est sur la pièce,on enlève du même coup l’idolâtrie ?Est-ce que l’on peut mettre en paral-lèle Dieu et César, chacun sa mon-naie ? Une figure pour l’un, le chan-delier à sept branches pour l’autre ?Dieu et César chacun à la tête de deuxbanques d’État, avec possibilité dechange, ou comme les pièces etbillets en euros qui peuvent recevoir

    les symboles souverains de chaqueÉtat européen ? Est-ce qu’Ésaïe neconnaissait pas l’objection du sageartisan ?

    Aux origines ducapitalismeRetenant la leçon, à sa façon, l’Églisede l’Antiquité a élargi l’interdictiondu prêt à intérêt, sous le nomd’« usure ». Les juifs, communauté alors séparéedes chrétiens – et dont la Loi n’in-terdit pas strictement le prêt à inté-rêt, on l’a dit, en dehors de la com-munauté du Dieu unique – et doncdu reste de l’Empire romain, sevoient confier la tâche bancaireinterdite aux autres Romains, deve-nus chrétiens. Ça tombe bien, la plu-part des autres métiers leur sont inter-dits ! Et on leur reprochera de fairece qu’on les oblige de faire ! Degagner leur vie par le prêt. Chose inti-tulée, donc, « usure ».Il n’en reste pas moins qu’apparaîtde façon de plus en plus évidente quec’est bien le témoignage anti-idolâ-trique qui est signifié par l’interdic-tion biblique de l’usure. Car quoi qu’onen veuille, il faut bien l’admettre, l’ar-gent « travaille ». C’est en ces lieux originaires ducapitalisme moderne que sont lesvilles italiennes des XIIIe et XIVe

    siècles en commerce avec l’Orient,comme Venise et Florence, que lachose devient criante : commerçantet épicier, je veux importer et vendrede ces épices à la mode que l’on cul-tive en Orient. Pour cela, il me fautun navire. Hélas, je n’ai pas suffisam-ment d’assise financière pour me leprocurer. J’emprunterai donc ! Maisvoilà que mon prêteur sait bien que,lorsque j’aurai vendu les épices quej’aurai pu véhiculer grâce à son prêt,je serai plus riche que lui. Et cela sansavoir risqué gros puisque c’est sonbien à lui que j’aurai exposé auxrisques du naufrage, des pirates,etc. Confiance donc – trust enanglais – avec usage de papierssignés, de « chèques », commedisaient en leur langue les commer-çants arabes de l’Orient d’alors. Oncomprend naturellement que se metteen place dès cette époque un systèmed’intéressement, celui qui a cours jus-

    qu'à aujourd’hui, et dont on sait quel’éthique de Calvin a enseigné aumonde à le déculpabiliser, au vu dufait que l’argent « travaille ». Le faita été perçu dès les temps de la Biblehébraïque. Jésus y fait encore allu-sion dans la parabole des talents. Maisrestait l’opération de déculpabilisa-tion à opérer. C'est donc fait !Il n’en demeure pas moins quel’« argent » n’existe pas ! La leçondu livre d’Ésaïe garde toute sonactualité. Il n’existe pas, et pourtantil travaille ! Il travaille et n’existepas !Explication en raccourci du Krack deWall Street de 1929 ! Sachant que« l’argent travaille », on a cru qu’ilexistait. Et on a découvert, par uneexpérience tragique pour nombre depauvres et de chômeurs, que son exis-tence était bel et bien illusoire —l'argent est une convention symbo-lique, et rien de plus. L’expérience de1929 n’a pas suffi. La croyance enl’idole a encore de beaux jours devantelle. Les Kracks consécutifs aux spé-culations n’ont pas manqué depuis,avec leur cortège de douleurs, de vio-lences, de guerres. Il est hélas de faitque nombre de peuples, notammentdes pays du Sud, paient au prix fortle cynisme des adeptes de l’idoleinexistante — pétrole, café, cacao etguerres de déstabilisation…« Vanité des vanités », disaitl’Ecclésiaste. Dès lors, en deçà del’idole, « rien de bon pour l’homme,sinon de manger et de boire, de goû-ter le bonheur dans son travail. J’aivu, moi, que cela aussi vient de lamain de Dieu » (Eccl 2, 24).

    Conventions sur lavaleur-travail del’argentReste à ne pas encourager l’investis-sement du moyen d’échange qu’est lamonnaie par l’idole que l’on a ten-dance à en faire. Pour cela, il importede promouvoir un regard rationnel surla valeur-travail de l’argent. En pre-mier lieu il s’agit de ne pas perdrede vue des réalités comme, parexemple, les processus d’échangepar lesquels tel produit qui a tellevaleur au départ en a telle autre àl’arrivée — la question des intermé-

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    diaires. Sans parler des réalités ban-caires, où il n’y a apparemment pasde matière visible à échanger où l'onsemble loin de la clarté du troc.Bref un travail pédagogique estnécessaire. On ne peut se contenterde l’a priori que ce qui est évidentpour les uns, habitués aux arrière-bou-tiques des transactions, le seraitaussi pour les autres, les profanes enmatière financière.Il s’agit par un tel travail pédago-gique, en franchissant un pas de plusque celui où la valeur de l’argent, viades éléments comme les intérêts,semble imposée de façon arbitraire,il s’agit de signifier des conventionsclaires entre les uns et les autres, ceuxqui échangent, les emprunteurs et lesprêteurs, les débiteurs et ceux à quiils doivent, etc. Apprendre à vivre lavaleur attribuée à l’argent comme luiétant attribuée, précisément ; etpar qui ? Par ceux qui en usent commemoyen d’échange, tout simplement,sur un mode conventionnel. Cessimples habitudes pédagogiques pour-raient, pour une large part, être àmême de pacifier (ne serait-ce qu’enévitant et le soupçon, et la tentationde la malhonnêteté) les relationsfinancières : la violence potentielledont elles sont porteuses est large-ment fonction de l’opacité dont ellessont entourées, fonction de l’inves-tissement « idologique » dont ellessont du coup cause et conséquenceà la fois… Ce qui est la racine du développementd’une valeur perçue à terme comme« autonome », et qui n’est rien d’autreque l’idole comme quand le sculpteura perdu de vue que ses deux morceauxde bois, celui qu’il brûle et celui qu’il« vénère » ont la même valeur-bois.Et quand on sait la puissance, le pou-voir de nuisance de l’idole, pourtantinexistante !… on est fondé à ne pasrester de bois !

    S’il fallaitconclure…« Thomas, l’un des Douze, celui qu’onappelle Didyme, n’était pas avec euxlorsque Jésus vint.Les autres disciples lui dirent donc:« Nous avons vu le Seigneur ». Maisil leur répondit : « Si je ne vois pasdans ses mains la marque des clous,si je n’enfonce pas mon doigt à laplace des clous et si je n’enfonce pasma main dans son côté, je ne croi-rai pas ! » (Jean 20, 24-25). On saitqu’ensuite, le Ressuscité lui apparaîtet lui dit : « Parce que tu m’as vu,tu as cru ; bienheureux ceux qui, sansavoir vu, ont cru » (Jean 20, 29). Notons que Thomas n’a pas cru ce qu’ila vu (inutile : il l’avait vu !) maisparce qu’il a vu ! Ce qui n’est pas lamême chose. Thomas constate : ilvoit, il touche les plaies, et il croitce que cela signifie : le Christ est res-suscité, Dieu s’est ici dévoilé. Ce queThomas voit et touche, fait fonctionde signe : signe d’une réalité quidépasse infiniment les sens deThomas, sa vue et son toucher.Quel rapport entre ce qu’induit ainsila foi au Ressuscité et notre sujet ?Le même rapport que celui qu’il y aentre le vrai Dieu qui se dévoile dansle Ressuscité et l’idole qui pour êtrevaine n’en produit pas moins une réa-lité - provisoire celle-là, contrairementau Dieu dévoilé dans le Ressuscité – ;réalité provisoire, vaine, corruptible,mais incontestable : l’argent « tra-vaille » !Entre le signe papier, nombre abstraitsignifié sur un compte numérisé, etce qu’il signifie est toute la questionde notre rapport au signe, au sym-bole. De même qu’entre le contact deThomas, ce qu’il voit, et la réalité,ce qu’il croit.Nous voilà entre la vérité duRessuscité que confesse Thomas(« mon Seigneur et mon Dieu ») etle mensonge de l’idole que dénonceÉsaïe ; la leçon est qu’il ne faut pastrop y croire, à l’argent : « vanité desvanités, dit le Qohéleth ». Toutpasse, tout s’use : usure… « User dece monde comme n’en usant pas »,enchaîne Paul (1 Co 7, 31)…

    Par Roland PoupinPasteur de l’E.R.F. à Antibes-Cagnes/Vence

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    1. Quel est le nom du premier organisme de microcrédit créé dans le monde ?a) Nasdaq b) Grameen Bank c) Oikocredit

    2. Quel a été le premier pays où le microcrédit s’est développé ?a) Bangladesh b) Bolivie c) Brésil

    3. Quel est approximativement le pourcentage de personnes possédant un compte bancairedans les pays en développement ?a) 10 % b) moins de 20% c) plus de 30%

    4. Quel est le taux de remboursement de microcrédit habituellement rencontré ?a) 51 % b) 75 % c) plus de 95 %

    5. Qui sont les bénéficiaires de microcrédit ?a) les propriétaires fonciers b) les personnes pauvres exclues des systèmes bancaires classiquesc) les expatriés pour leur permettre de s’installer dans le pays

    6. Sur quel fondement repose le principe de microcrédit ?*a) l’apport de caution et de garantie de solvabilitéb) la confiance et le groupe solidairec) la cooptation des bénéficiaires

    7. Prêter à une personne démunie, c’est…*a) de l’assistanatb) lui faire confiance pour se prendre en mainsc) lui permettre de se prendre en charge

    8. Quel est le pourcentage de personnes qui sortent définitivement de la pauvreté grâce aumicrocrédit ?

    a) une personne sur deux b) toutes c) trois personnes sur quatre

    * Deux réponses possibles

    Quiz

    Réponses aux questions:1b - 2a - 3b - 4c - 5b - 6b et c - 7b et c - 8c

  • Enfants 4 -