See Origine Capitalisme

download See Origine Capitalisme

of 150

Transcript of See Origine Capitalisme

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    1/150

    Henri SE (1864-1936)

    Les origines

    du capitalisme moderne(Esquisse historique)

    (1926)

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Courriel: [email protected] web: http://pages.infinit.net/sociojmt

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque

    Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec ChicoutimiSite web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    2/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 2

    Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay,bnvole, professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partirde :

    Henri SE (1926)

    Les Origines du Capitalisme moderne (Esquissehistorique)

    Une dition lectronique ralise partir du livre de Henri SE, LesOrigines du Capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926). Paris :

    Librairie Armand Colin, 1926, 210 pages. Collection Armand Colin(Section dHistoire et Sciences conomiques).

    Ldition numrique de cette uvre a t rendue possible grce laprcieuse coopration de M. Serge DAgostino ([email protected] ),professeur de sciences conomiques et sociales en France qui ma prt ceprcieux exemplaire datant de 1887, pour fins de numrisation. Cest samanire de contribuer au dveloppement de cette bibliothque en nousprtant des uvres trs rares et trs prcieuses. Avec gratitude, Serge.[JMT]

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times, 12 points.Pour les citations : Times 10 points.Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes MicrosoftWord 2001 pour Macintosh.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition complte le 5 mai 2003 Chicoutimi, Qubec.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    3/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 3

    Table des matires

    Avertissement

    Introduction

    Chapitre I : Les premires manifestations du capitalisme au Moyen ge

    1. Le capitalisme dans le monde antique. - 2. Le rgime fodal et les progrs

    de l'individualisme. 3. Les manifestations du capitalisme Florence. 4. Lecapitalisme aux Pays-Bas. - 5. Premiers symptmes en France. - 6. Lecapitalisme en Angleterre. - 7. Le capitalisme financier : son caractre. - 8.Caractres des puissances financires au Moyen ge. - 9. Il n'existe pas decapitalisme industriel au sens moderne du mot.

    Ouvrages consulter.

    Chapitre II : Le capitalisme au dbut des temps modernes

    1. La thorie de W. Sombart sur la gense du capitalisme. - 2. Les grandespuissances financires en Italie et en Allemagne. Les bourses. - 3. Laspculation sur les capitaux. - 4. Les progrs du crdit publie et les crises

    financires. - 5. Le dveloppement des banques. - 6. Influence prpondrante ducapitalisme commercial. Il est aussi une source du capitalisme financier. - 7. Leprt intrt : la doctrine de l'glise et les pratiques nouvelles. - 8. L'influencede la Rforme calviniste.

    Ouvrages consulter.

    Chapitre III : Le grand commerce maritime, les tablissements coloniaux et lesprogrs du capitalisme au XVIe sicle

    1. Les consquences conomiques des grandes dcouvertes. - 2. LesPortugais et les Espagnols Anvers. - 3. L'or et l'argent du Nouveau Monde. - 4.Le systme colonial de l'Espagne. - 5. Le commerce des trangers dansl'Amrique espagnole. - 6. L'afflux des mtaux prcieux et la crise montaire. -7. Les progrs conomiques des puissances maritimes (France, Hollande,Angleterre). - 8. Origine des socits par actions.

    Ouvrages consulter.

    Chapitre IV : Le capitalisme commercial et financier au XVIle sicle

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    4/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 4

    1. Destruction progressive du monopole commercial de l'Espagne enAinrique. - 2. La politique mercantile. - 3. Prpondrance commerciale etfinancire de la Hollande. - 4. La Compagnie hollandaise des Indes Orientales etla Banque d'Amsterdam. - 5. Rle de l'Angleterre. - 6. Progrs de soncapitalisme financier. - 7. Rle relativement secondaire de la France. - 8.Cependant, expansion de son commerce maritime et colonial. - 9. Faiblesse del'organisation financire. - 10. Aspect particulier du capitalisme en France : lesgens de finance et leurs tractations.

    Ouvrages consulter.

    Chapitre V : L'expansion du capitalisme commercial et du capitalisme financierau XVIlle sicle

    1. Dcadence conomique de la Hollande. 2. Prpondrance maritime etexpansion commerciale de l'Angleterre. - 3. panouissement du capitalisme

    financier en Angleterre. - 4. En France, les progrs du capitalisme sont moinsintenses et plus lents. - 5. Le capitalisme financier en France. - 6. La thorie deW. Sombart. - 7. La mobilisation de la vie conomique. La spculation et lapublicit. 8. La hausse des prix.

    Ouvrages consulter.

    Chapitre VI : L'affaiblissement du pacte colonial, indice et consquence desprogrs du capitalisme

    1. Le pacte colonial de l'Espagne au XVIIIe sicle. - 2. Le pacte colonial del'Angleterre dans l'Amrique du Nord. - 3. Politique commerciale del'Angleterre. - 4. Les origines conomiques de la guerre de l'Indpendance. - 5.

    Le relchement du monopole en France. - 6. Les causes profondes del'mancipation des colonies.

    Ouvrages consulter.

    Chapitre VII : Les origines du capitalisme industriel et de la grande Industrie.

    1. La rvolution industrielle procde de l'expansion commerciale. - 2. Laphase de l'industrie rurale et domestique. - 3. Le rle de la concentrationcommerciale. - 4. Les manufactures. - 5. La technique et la concentrationindustrielle. - 6. L'introduction du machinisme ; ses consquences. - 7.Caractre du capitalisme industriel.

    Ouvrages consulter

    Chapitre VIII : L'avnement du rgime capitaliste au XIXe sicle

    1. Progrs rapides du capitalisme en Angleterre. - 2. Progrs plus lents enFrance. - 3. Renaissance conomique de la Belgique. - 4. Persistance del'ancienne conomie dans l'Europe centrale, orientale et mridionale. - 5. Lecapitalisme aux tats-Unis. - 6. Le triomphe du capitalisme prpar par la

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    5/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 5

    transformation des moyens de communication. - 7. L'agriculture ne subit quetrs lentement l'influence du capitalisme. - 8. Conclusion.

    Ouvrages consulter.

    Chapitre IX : Les rpercussions sociales de l'volution capitaliste

    1. Influence du capitalisme sur la proprit foncire et le rgime agraire(Angleterre, France, Pays baltiques). - 2. Le capitalisme et l'abolition del'esclavage. - 3. Influence du capitalisme sur les transformations des classesouvrires et marchandes. - 4. La question ouvrire. - 5. Grce au capitalisme, lesdistinctions conomiques se substituent aux distinctions juridiques.

    Ouvrages consulter

    Conclusion

    IIIIIIIVV

    Bibliographie gnrale

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    6/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 6

    Les Originesdu

    Capitalisme moderne(Esquisse historique)

    HENRI SEProfesseur honoraire l'Universit de Rennes

    LIBRAIRIE ARMAND COLIN. PARIS, 1926,COLLECTION ARMAND COLIN

    (Section d'Histoire etSciences conomiques), no 79.

    Retour la table des matires

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    7/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 7

    Henri Se, Les origines du capitalisme moderne (1926)

    Avertissement

    Retour la table des matires

    Dans cette esquisse, nous ne nous sommes nullement propos d'crire une histoiregnrale du capitalisme. Nous avons encore bien moins eu le dessein de tenter unessai sociologique. Est-il besoin de dire qu'en aucune faon, ce modeste essai ne peutavoir la prtention de rivaliser avec l'uvre monumentale du professeur W. Sombart,Der moderne Kapitalismus, qui se recommande par son rudition, si tendue, bienque parfois un peu trouble, et surtout par ses vues si suggestives ?

    Notre dessein a t simplement de runir, d'une faon synthtique, un certainnombre de donnes historiques, vraiment sres, labores surtout en vue des servicesqu'elles pourraient rendre la sociologie et l'conomie politique. C'est, en un mot,un essai de synthse et d'histoire compare, crit sans aucun parti-pris politique, ni

    social. Nous avons tent de nous rendre compte de la grande volution conomique etsociale, qui a abouti, au XIXe sicle, au triomphe du capitalisme et de la grandeindustrie 1.

    Il importe encore d'indiquer la mthode que nous avons suivie. Si nous nous som-mes propos de fournir quelques matriaux historiques la sociologie et l'conomie1 Des fragments de ces, tudes ont paru dans la Revue de synthse historique (numros de juin et

    dcembre 1924, de juin et dcembre 1925) et aussi dans la Revue d'histoire conomique (an.1924).

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    8/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 8

    politique, nous nous sommes bien gard d'emprunter quoi que ce ft aux mthodes deces deux sciences.

    La sociologie, en effet, ne tient qu'un compte secondaire de l'espace et du temps ;elle a surtout pour objet de dcrire l'organisation des socits in abstracto. Or, pournous, les deux facteurs, temps et espace, sont essentiels, car c'est surtout l'volutionde phnomnes conomiques que nous tudions, et dans des rgions bien dter-mines. L'conomie politique se propose d'tudier les lois de la production, de ladistribution et de la consommation des richesses, sans tenir un compte trop troit des contingences , bien que l'ide d'volution la pntre peu peu et qu'elle ait de plusen plus recours aux donnes de l'histoire 1. Or, l'histoire doit s'occuper tout particu-lirement de ces contingences. Ce qui ne veut pas dire que nous n'ayons pas tir grandprofit de la frquentation, des sociologues et des conomistes. Ils s'attachent surtout l'observation de la socit contemporaine. Mais l'historien, pour comprendre le pass,a besoin de connatre le prsent et de s'en rendre compte. Si nous n'avions pas sous lesyeux une socit, rgie en grande partie par l'organisation capitaliste, l'ide ne nousviendrait pas d'en tudier la gense.

    La mthode, qui nous a sembl la plus lgitime et la plus fructueuse dans l'ordred'tudes que nous avons tentes, c'est la mthode comparative 2. Comme nous avonsvoulu tudier les origines du capitalisme, non pas dans un seul pays, mais partout oon peut les saisir, la pratique de l'histoire compare s'imposait d'autant plus fortement.Nous avons d y avoir recours dans l'espace, mais aussi dans le temps, car l'accu-mulation des capitaux,- condition ncessaire du capitalisme -, ne s'est pas produite auMoyen ge de la mme faon que dans les temps modernes, et l'organisation capita-liste du Moyen ge, encore sporadique et embryonnaire, est trs diffrente del'organisation qui prvaudra aux XVIIIe et XIXe sicles. Ce sont principalement cesdiffrences qui nous permettent de saisir le sens de l'volution et de dterminer lecaractre de la socit capitaliste moderne.

    Nous nous sommes toujours appliqu recourir aux faits concrets. Nanmoins,comme nous avons voulu faire uvre de synthse, comme nous avons employ la g-nralisation, nous n'avons pu, nous le craignons, viter toute abstraction, puisqu'entregnralisation et abstraction, il existe un lien assez troit.

    Un autre inconvnient d'une tude comme celle-ci, c'est que l'on est oblig derelguer dans l'ombre des faits d'un autre ordre, - politiques, religieux, intellectuels,etc. Or, nous reconnaissons que ces faits peuvent avoir exerc, en bien des cas, unenotable influence sur la gense du capitalisme. Les personnalits aussi passent com-pltement l'arrire-plan ; or, n'ont-elles eu aucune influence sur l'volution des faitsconomiques que nous tudions ? L'uvre de Colbert, par exemple, si on en asouvent exagr l'importance, n'a-t-elle pas contribu l'volution du capitalisme,tout au moins en France ?

    En un mot, tous les faits individuels, qui forment la trame de l'histoire gnrale,sont sacrifis, et sans doute d'une faon excessive, Cependant, un essai de synthse et1 Voy. W. ASHLEY, Evolutionary economics, publi en franais dans la Revue conomique

    internationale, 25 sept. 1925.2 Voy. le beau discours d'Henri PIRENNE, De la mthode comparative en histoire (Compte-rendu

    du Congrs des sciences historiques de Bruxelles, 1923), ainsi que notre article, Remarques surl'application de la mthode comparative l'histoire conomique et sociale (Revue de synthsehistorique, dc. 1923).

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    9/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 9

    d'histoire compare, comme celui que nous avons tent, ne peut-il rendre quelquesservices, mme cette histoire gnrale ? Ne peut-il expliquer plus fortement certainsfaits d'un autre ordre, contribuer en montrer le lien ? Sans doute, on peut considrerque l'individuel seul correspond la ralit ; mais, comme le gnral est plus intelli-gible que le particulier, son tude peut nous aider mieux comprendre cette catgoriede faits, qui ne se sont jamais produits qu'une fois, d'une certaine faon, et qui, tantqu'ils restent isols, sont difficilement accessibles la science.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    10/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 10

    Henri Se, Les origines du capitalisme moderne (1926)

    Introduction

    Retour la table des matires

    En un pareil sujet, il importe avant tout de dfinir exactement ce que l'on doitentendre par l'expression : capitalisme moderne. Certains crivains prtendent que lecapitalisme est n ds que s'est dveloppe la richesse mobilire. ce compte, il n'estpas douteux que le capitalisme aurait exist dj dans le monde antique, non seule-ment chez les Romains et chez les Grecs, mais dans des socits plus anciennes, quiont pratiqu d'actives tractations commerciales 1.

    Mais il s'agit en ce cas, si capitalisme il y a, d'un capitalisme purement com-

    mercial et financier. Dans le monde antique, le capitalisme ne s'est jamais appliqu l'industrie ; chez les Grecs et mme chez les Romains, on ne trouve que de petitsmtiers, travaillant pour des marchs locaux, et surtout une main-duvre servile, quia pour fonction de subvenir aux besoins de la familia, comme c'est le cas sur leslatifundia romains.

    1 Telle est la thse, par exemple, de Lujo BRENTANO,Die Anfaenge des modernen Kapitalismus,

    Munich, 1916.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    11/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 11

    Dans les premiers sicles du Moyen ge, tout au moins depuis l'poque carolin-gienne, l'conomie a un caractre presque uniquement rural ; les villes ne sont plusgure que des refuges et des forteresses : il n'y a plus trace de capitalisme. Puis, lescroisades, en tendant les relations des pays avec l'Orient, en provoquant un grandmouvement commercial, ont permis aux Gnois, aux Pisans et surtout aux Vnitiensd'accumuler de grands capitaux ; ainsi s'expliquent les premires manifestations ducapitalisme dans les rpubliques italiennes 1. Mais on ne saurait, en aucune faon,parler de rgime capitaliste, au sens moderne du mot.

    Quels sont, en effet, les caractres essentiels de la socit capitaliste, telle quenous la connaissons aujourd'hui ? C'est, non seulement l'expansion du grand com-merce international, mais aussi l'panouissement de la grande industrie, le triomphedu machinisme, la prpondrance de plus en plus marque des grandes puissancesfinancires. En un mot, c'est l'union de tous ces phnomnes qui constitue vrita-blement le capitalisme moderne.

    Aussi les origines lointaines de ce rgime ne remontent-elles pas plus haut que

    l'poque, o, dans les rgions conomiquement les plus actives, comme l'Italie et lesPays-Bas, le capitalisme commence exercer son emprise sur l'industrie : nousvoulons dire le XIIIe sicle. Il s'agit encore surtout, et presque uniquement, d'un capi-talisme commercial, mais qui commence contrler l'activit industrielle. Ce n'estencore, on le verra, qu'un humble dbut. Cependant, il y a l, quelque chose de nou-veau, l'aurore d'un mouvement qui finira par bouleverser tout le monde conomique.

    En fin de compte, pour viter toute confusion, il faut prendre le soin de distinguernettement le capital et le capitalisme. Nous plaant au point de vue strictement histo-rique, nous n'avons pas, comme les conomistes, prendre dans toute son tendue lesens du mot capital. Sans doute, la terre, les instruments de production sont, commeles valeurs mobilires, des capitaux, producteurs de richesses. Mais c'est commevaleur mobilire que le capital a jou le grand rle dont nous essaierons de dterminer

    l'volution.Dans la pratique, le mot capital est n assez tard et il a uniquement dsign la

    somme destine tre place (invested, comme disent les Anglais) et rapporter unintrt 2. C'est sans doute par extension que les conomistes ont donn au mot le sensqui a prvalu dans la science conomique.

    En ralit, le capital est n du jour o la richesse mobilire s'est dveloppe,principalement sous la forme d'espces monnayes. L'accumulation des capitaux a tune condition ncessaire de la gense du capitalisme, et elle s'est accentue de plus enplus, partir du XVIe sicle, mais elle n'a pas suffi pour achever la formation de la

    1

    Voy. L.BRENTANO, op. cit., Exkurs II.

    2 En France, le mot capital n'a d'abord t qu'un adjectif. Le sens de capital s'exprimait, auXVIIe sicle, par le motprincipal, ou encore par le mot intrt : on dit, par exemple, prendre unintrt de 5000 l. dans une affaire . C'est seulement au cours du XVIIIe sicle que le mot capitalcommence vraiment prendre le sens actuel. Quant au profit, dans la commandite commerciale,on l'exprime par le mot bnfice et non par le mot intrt. Celui-ci, au sens moderne, n'apparatque trs tardivement, prcisment l'poque o se dveloppent les socits par actions. Voy. H.SE, L'volution du sens des mots intrt et capital (Revue d'histoire conomique, an. 1924). EnAngleterre, on s'est d'abord servi du mot stock, puis du terme capital stock ; Voy. E. CANNAN,Histoire de la production et de la distribution des richesses dans l'conomie politique anglaise de1776 1848, trad. fr., 1910.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    12/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 12

    socit capitaliste. Ce sont les formes du capitalisme commercial et du capitalismefinancier qui se sont dessines les premires. Mais, pour que l'volution ft acheve,il a fallu une transformation de toute l'organisation du travail, des relations entreemployeurs et employs, laquelle a eu pour effet d'exercer sur les classes socialesl'action la plus profonde qu'on ait jamais pu observer jusqu'alors. Aussi le triomphe del'organisation capitaliste n'est-il pas antrieur au XIXe sicle, et mme, presquepartout, la seconde moiti de ce sicle.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    13/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 13

    Henri Se

    Les origines

    du

    capitalisme

    moderne1926

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    14/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 14

    Henri Se, Les origines du capitalisme moderne (1926)

    Chapitre I

    Les premires manifestationsdu capitalisme au Moyen Age

    1.Le capitalisme dans le monde antique.

    Retour la table des matires

    Le capitalisme existait-il dans le monde antique ? Les documents sont trop peuprcis pour que l'on puisse donner une rponse ferme.

    En tout cas, un fait apparat nettement : dans l'Empire romain, comme en Grce etdans les tats hellnistiques 1, c'est la proprit foncire qui joue le rle prdominant.L'conomie domestique et l'esclavage rendent impossible la grande industrie.

    Sans doute, l'antiquit n'a pas ignor le grand commerce et, en particulier, lecommerce maritime; mais l'on ne sait pas exactement jusqu' quel point il tait impor-tant. L'accumulation des capitaux mobiliers tait surtout le rsultat de la ferme des

    1 E. CAVAIGNAC, Population et capital dans le monde mditerranen antique, 1923, pp. 133-134.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    15/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 15

    impts, du commerce des biens et de l'usure que pratiquaient les publicains. Sansdoute, dans le monde romain, il existait des socits financires, des banques, deschangeurs de monnaie, qui opraient de grosses oprations financires. Mais lesargentarii ne peuvent se comparer aux banquiers modernes, dont les capitauximmenses alimentent l'industrie, le commerce, contrlent tout le mouvementconomique. Comme le montre fort bien l'excellent ouvrage de Salvioli sur Le capi-talisme dans le monde antique, les Romains n'ont pas connu l'organisation du crdit,les lettres de change, les valeurs mobilires. En admettant mme que le capitalisme sesoit manifest dans quelques grands centres commerciaux, l'immense majorit del'Empire a chapp son emprise. La vie urbaine n'a qu'assez peu d'importance ; lesclasses riches habitent surtout leurs domaines ruraux. On ne saurait parler d'ouvrierssalaris, car leur fonction est surtout remplie par la main-d'uvre servile. En somme,c'est l'conomie naturelle, qui prdomine, et, lorsque l'Empire s'effondre, c'est laproprit foncire qui, seule, reste debout.

    2.Le rgime fodal

    et les progrs de l'individualisme.

    Retour la table des matires

    Pendant la priode du pr-Moyen ge, tout au moins partir du rgne deCharlemagne, la vie conomique se restreint presque uniquement aux grands domai-nes ruraux ; la vie urbaine est rduite presque rien. L'industrie et le commerce n'ontqu'une importance trs limite et, comme le montre M. L. Halphen dans ses tudescritiques sur le rgne de Charlemagne, il ne faut pas se faire trop d'illusions sur larenaissance conomique de l'poque de Charlemagne. Il est mme possible, comme,le croit M. Pirenne, que celle-ci marque une rgression, que, par suite des conqutesarabes, se soit manifeste, ce moment, une interruption presque complte del'activit commerciale, qui s'tait maintenue partiellement depuis l'antiquit romaine 1.Quoi qu'il en soit, la socit s'est immobilise dans les cadres locaux o se dve-loppent ensemble le systme domanial et le systme fodal . Dans cette vie rtrcie,des formes nouvelles d'activit conomique ne pouvaient prendre naissance.

    Cependant, l'tablissement du rgime fodal, la constitution d'une noblesse mili-taire ont pu, dans une certaine mesure, briser ce qu'avaient de trop rigide les cadresanciens, leur donner plus d'lasticit et contribuer, par le fait mme, aux futurestransformations conomiques et sociales, qui marqueront le triomphe de l'indi-vidualisme.

    1 Voy. H. PIRENNE, Un contraste conomique : Mrovingiens et Carolingiens (Revue belge de

    philologie et d'histoire, avril 1923). Cf. A. DOPSCH, Wirtschaftliche und soziale Grundlagen dereuropaeischen Kulturentwicklung, Vienne, 1918-1920, 2 vol.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    16/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 16

    Qu'est-ce, en effet, que le chevalier (le miles) ? C'est l'homme libre, capable des'quiper et de servir l'arme en combattant cheval. Pour cela, la fortune, la pos-session d'une terre ne sont nullement indispensables. Le vassus, c'est souvent l'hom-me robuste, nergique, brave et audacieux, capable de suivre la guerre un chefmilitaire ; il peut tre d'humble origine, il peut mme tre n serf. L'habitude s'intro-duit de payer les services du vassal par la concession d'un fief ; mais, l'origine, cetteconcession du fief n'implique que des rapport strictement personnels. Il est vrai que,de bonne heure, l'hrdit du fief s'tablit : pour les fils des nobles, la possession dufief suffit pour dterminer leur condition noble. Mais cela ne veut pas dire que laclasse noble soit ferme : les roturiers, possesseurs de fiefs et admis l'hommage,deviennent nobles.

    La disparition de l'esclavage, - au sens antique du mot -, son remplacement par leservage ont contribu aussi rendre la socit plus mobile. Caractris surtout par desobligations juridiques comme le chevage, le formariage et la mainmorte, le servagedisparat peu peu, grce aux affranchissements. Ces affranchissements ont surtout

    pour origine des phnomnes conomiques, les dfrichements, qui s'oprent, de plusen plus nombreux, partir du XIIe sicle : les seigneurs, laques ou ecclsiastiques,appellent sur leurs terres des htes (qui sont souvent des serfs dserteurs), pour lesmettre en valeur ; et, afin de retenir leurs propres serfs, ils doivent leur accorder desconditions meilleures. Ainsi, le servage ne constitue pas, comme l'esclavage, unecondition immuable. Les affranchissements, si nombreux au XIIIe sicle, ont brisrellement les cadres de la socit fodale. Les classes rurales ne forment plus unemasse compacte et uniforme : il y a, parmi elles, bien des catgories distinctes. Puis,les diffrences de conditions conomiques font sortir encore des cadres bien desindividus ; dj, parmi les serfs, il en est d'assez riches, il en est d'assez entreprenantsou que les circonstances ont servis assez fortement pour qu'il leur soit possible depntrer dans les rangs des classes suprieures 1.

    3.Les manifestations du capitalisme

    Florence.

    Retour la table des matires

    Cependant, c'est la vie urbaine qui va permettre les premires manifestations ducapitalisme au Moyen ge, du moins sous sa forme purement commerciale. On lesvoit apparatre principalement dans deux rgions favorises au point de vue cono-mique, dans les rpubliques municipales de l'Italie et aux Pays-Bas. Pourquoi ces1 Voy. Guilhiermoz, Essai sur l'origine de la noblesse en France, Paris, 1902 ; FUSTEL DE

    COULANGES, Les origines du rgime fodal ; Olivier MARTIN, Histoire de la coutume de lavicomt et prvt de Paris, Paris, 1922, p. 13 et suiv., 122 et suiv., 230 et suiv.; H. SE, Lesclasses rurales et le rgime domanial en France au Moyen ge, 1901, p. 156 et suiv. ; MarcBLOCH, Rois et serfs, Paris, 1920.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    17/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 17

    deux rgions ont-elles t les premiers champs d'lection du capitalisme ? C'est que lecommerce maritime avec l'Orient, - la suite des Croisades -, a dot les rpubliquesitaliennes d'une grande masse de capitaux. C'est que les Pays-Bas ont t l'un desprincipaux entrepts entre l'Orient et le nord de l'Europe. Ds le Moyen ge, semble-t-il, c'est le grand commerce qui est la source essentielle du capitalisme.

    D'ailleurs, si l'on veut voir comment le capitalisme a pris naissance et s'est dve-lopp en Italie, on peut prendre comme exemple la grande cit de Florence.

    Florence, les mtiers se divisent en trois catgories les Arts majeurs, les Artsmoyens et le-, Arts mineurs. Or, les premiers se composent surtout de marchands :Parte di Calimala (vendeurs et finisseurs de draps d'outre-monts) ; l'arte della lana(fabricants de draps) ; l'arte di Por Santa Maria (marchands de nouveauts et desoieries). Le grand commerce florentin, qui sert d'intermdiaire entre l'Occident etl'Orient, a pris de bonne heure un caractre capitaliste, et en particulier Parte diCalimala. Les matres du mtier oprent les ventes en gros ; ils ont des comptoirsdans le Levant et frquentent aussi les foires europennes, notamment celles de Brie

    et de Champagne, o ils achtent des draps de France, de Flandre et d'Angleterre. Ilstiennent dans leur dpendance une quantit considrable de sottoposti (comptables,commis et artisans, tels que teinturiers, apprteurs et tondeurs). Rglant leurs comptespar lettres de change, ils se livrent naturellement des oprations de banque.

    Toutefois, de bonne heure, on trouve Florence des changeurs et des banquiers,qui sont spcialiss dans cette sorte d'affaires. Ils s'occupent, tout la fois, detransactions commerciales, du change et de l'envoi des mtaux prcieux, reoiventdes dpts, effectuent des prts sur gages et hypothques, mettent des lettres dechange et de crdit, commanditent des entreprises, assurent des navires. Mais ce sontsurtout les oprations relatives aux finances publiques qui enrichissent les banques.Considrons que le Saint-Sige a des revenus dans tous les pays de la chrtient : desdmes, le denier de Saint Pierre, en Angleterre ; qu'il reoit partout des legs et des

    donations. Les banques, grce leurs succursales, peuvent percevoir aisment cesrevenus et avancer de l'argent la cour pontificale. Celle-ci s'adresse diversesbanques, dans diverses villes, des maisons de Sienne, de Lucques, de Pistoie, puisde Florence, quand les Florentins, en 1263, arrivent supplanter les Siennois, sous lepontificat d'Urbain IV.

    Les banquiers florentins exercent aussi leur champ d'action dans le royaume deNaples : Charles d'Anjou, qui a contract auprs d'eux de gros emprunts, leur accorded'importants privilges commerciaux, des monopoles d'tat, portant sur l'exportationdu bl et du vin, sur les mines de fer, les gabelles, etc. 1. On ne s'tonnera donc pasque les socitaires de la banque Peruzzi aient touch des dividendes de 40 %, et cesgros dividendes s'expliquent d'autant mieux que le taux d'intrt, qui tait couram-ment de 14 25 %, s'levait assez souvent 45 ou 50 %, par an, quand les prtsn'taient pas contracts au mois ou la semaine. La chute des Templiers accrotencore l'importance de la banque florentine, au XIV sicle. Au XVe sicle, lesMdicis, qui ont pris le pas sur les Spini, les Spigliati, les Bardi, les Pulci, les Alfani,deviennent si puissants qu'ils finissent par se faire donner un pouvoir princier.

    1 G. YVER, Le commerce et les marchands dans l'Italie mridionale aux XIIIe et XIVe sicles,

    1903.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    18/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 18

    La puissance financire des capitalistes italiens devient si grande qu'ils exercentleur emprise sur tout l'Occident chrtien, en France, en Espagne, en Portugal, enAngleterre. Seigneurs, prlats, villes et rois, partout, ont recours aux banquiersflorentins et lombards ; Biche (Biccio) et Mouche (Musciatto) ont t les hommes .tout faire de Philippe le Bel. On inquite parfois ces financiers florentins commeusuriers, on les traite parfois comme on le fait des Cahorsins et des Juifs, mais on nepeut se passer d'eux. Les Italiens, en ralit, ont t les premiers dtenteurs ducapitalisme financier.

    Ils ont t aussi les premiers, avec les gens des Pays-Bas, soumettre l'industrie la domination du capitalisme. Les fabricants drapiers, qui, Florence, constituentParte della lana, aprs avoir achet la laine l'tranger, la font travailler par denombreux artisans de la, ville et de la campagne : tisserands, foulons, teinturiers, quise trouvent sous leur complte dpendance, C'est que l'industrie lainire travaille engros pour l'exportation. Voil un premier exemplaire de l'industrie domestique, qui,partout, doit jouer un si grand rle dans l'volution du capitalisme. Lorsque l'arte diCalimala tombe en dcadence, au XIVe sicle, c'est Parle della lana qui la supplante

    et qui restera florissante jusqu'au milieu du XVe sicle ; puis, c'est l'arte della seta,l'industrie de la soie, qui passera au premier plan, jusque vers la fin du XVIe sicle,jusqu'au moment o la France lui fera une redoutable concurrence. La vie cono-mique s'affaiblit, en effet, en Italie, ds cette poque ; ce sont les puissances mariti-mes de l'Occident qui dj tiennent le premier rang.

    4.Le capitalisme aux Pays-Bas

    Retour la table des matires

    On saisit aussi aux Pays-Bas, ds le Moyen ge, les premires manifestations ducapitalisme, du capitalisme commercial, fout au moins. Rien ne le montre mieux queles travaux si remarquables du grand historien belge, M. Henri Pirenne.

    Au lendemain des invasions normandes, on voit se produire aux Pays-Bas un actifmouvement commercial, qui s'y dveloppe plus tt que dans la plupart des contressitues au nord des Alpes. Il est favoris, en effet, par leur situation gographique, carles Pays-Bas se trouvent au dbouch de la valle du Rhin, l'une des grandes voiesnaturelles entre la rgion mditerranenne et les pays du Nord 1. C'est alors que secrent des entrepts de commerce, desportas ou poorts, comme Bruges, Lige, Gand,Bruxelles, Douai, Ypres.

    1 Sur les progrs conomiques du nord-ouest de l'Europe, ds le Xe sicle, cf. aussi Paul KLETLER,

    Nordwesteuropa's Verkher, Handel und Gewerbe, Vienne, 1924.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    19/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 19

    La ville commerante est un endroit permanent d'changes, le centre d'uneactivit, conomique nouvelle . Elle est peuple surtout d'immigrants, dont beaucoupsans doute sont fils de serfs. La plupart exercent le mtier de marchands(negociatores). Ce sont des aventuriers, des hommes en marge de la socit, singuli-rement nergiques, aviss et entreprenants, qui, par la piraterie d'abord, puis par desoprations commerciales hardies, accumulent des capitaux. Les marchands du XIIesicle ne sont pas spcialiss ; ils vendent des marchandises de toutes sortes. La villen'est aussi pour eux qu'une base d'opration ; ils courent de pays en pays ettransportent leurs marchandises de place en place. Comme les routes sont peu sres,ils se groupent en guildes et en hanses, achetant et vendant en commun, se partageantles bnfices au prorata de leur mise de fonds . On voit apparatre des instrumentsde crdit comme la lettre de foire et la lettre de-change.

    Le commerce accrot le stock montaire, ce qui produit une hausse des prix, qui ade graves consquences, mme en ce qui concerne le rgime agraire, qui favorisenotamment l'affranchissement des paysans.

    Aux Pays-Bas, comme en Italie, le capitalisme commence s'appliquer l'indus-trie, tout en gardant sa forme commerciale. Dans toutes les villes, on trouve desartisans, comme les boulangers, tailleurs, menuisiers, qui travaillent pour le marchlocal. Mais il est aussi des industries, comme la fabrication des draps et du laiton, quitravaillent pour des marchs lointains. Les artisans, dans ces mtiers, ne se trouventpas en contact avec le public. Ils subissent la domination du ngociant exportateur, dudrapier, qui souvent achte lui-mme la laine, la fait travailler, se charge en tout casdu finissage, puis vend le drap fabriqu. Ce drapier est un capitaliste, et les artisans nesont que des salaris, fort nombreux dans les centres de l'industrie de la laine ; ainsi, Gand, on en compte 4 000 sur une population totale de 50 000 habitants. C'est l uneorganisation conomique vraiment nouvelle, reposant sur ce que l'on a appel l'indus-trie domestique, et qui annonce la grande industrie moderne. Toutefois, mme auxPays-Bas, les industries forme capitaliste ne se sont dveloppes que dans un nom-

    bre assez restreint de villes et elles n'ont pas donn naissance de grandes agglo-mrations : Ypres, au XVe sicle, n'a pas une population suprieure 10 000 mes,Gand et Bruges, 50 000 et 40 000 ; Louvain, Bruxelles et Lige n'ont pas plus de 20 30 000 habitants. Ce ne sont que des lots clairsems et peu denses.

    La consquence de cette forme nouvelle d'organisation du travail, c'est que, com-me le montre M. G. des Marez clans son tude sur la proprit foncire dans lesvilles au Moyen ge, la population urbaine se diffrencie en plusieurs classes cono-miques, nettement tranches : il y a opposition des riches et des pauvres ; il seconstitue un patriciat urbain compos de marchands enrichis et de rentiers, possdantdes biens-fonds et des maisons.

    Toutefois, dans les villes des Pays-Bas, l'expansion du capitalisme est gne, lafin du Moyen ge, par les rvoltes des gens du commun contre l'exclusivisme deplus en plus troit du patriarcat urbain, qui gouvernait les villes. N'empche que, dsle Moyen ge, on voit s'y former une conomie industrielle, qui ne se dvelopperapleinement ailleurs qu'au XVIIIe sicle.

    Quant aux cits piscopales des Pays-Bas, leur situation conomique se distinguepar un caractre particulier, que M. Pirenne a admirablement mis en lumire. On n'ytrouve pas de gros marchands exportateurs ; mais, comme l'vque est entour d'unecour nombreuse, il y a l une clientle toute trouve pour de nombreux fournisseurs,

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    20/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 20

    artisans et marchands. En outre, les besoins financiers, - souvent considrables -, destablissements ecclsiastiques dterminent la formation d'une classe de changeurs,d'hommes de finance, qui crent un vritable capitalisme financier.

    considrer les Pays-Bas du Nord (Hollande et Zlande), on peut prvoir, ds leMoyen ge, qu'ils deviendront la terre lue du capitalisme commercial. Le grandcommerce s'y est dvelopp de bonne heure, prcisment parce que la nature ne leurfournissait pas tout ce qui tait ncessaire leur vie conomique. De bonne heure, lapche (surtout la pche du hareng) y avait t trs florissante et leur permettait uneimportante exportation. Mais la Hollande et la Zlande, pays de pturages et de petiteculture marachre, ne produisent pas la quantit de grains ncessaire leur subsis-tance ; elles doivent les faire venir d'abord des riches plaines picardes, puis des paysde la Baltique, et c'est ainsi qu'ils constitueront un entrept, o se fourniront plusieurspays de l'Europe. Les Pays-Bas du Nord ne possdent aussi ni assez de bois pourleurs constructions maritimes, ni les mtaux dont ils ont besoin. Ainsi nat un puissantmouvement d'changes, qui ne fera que se dvelopper au cours du XVe et du XVIesicle, pour s'panouir merveilleusement au XVIIe. La vie urbaine y a jou, de bonne

    heure, un rle prpondrant : c'est Middelbourg, Dordrecht, Rotterdam, puis Amsterdam que s'est concentre toute la vie conomique du pays 1.

    5.Premiers symptmes en France

    Retour la table des matires

    Du reste, - il ne faut pas se le dissimuler -, la situation conomique des rpubli-ques italiennes et des villes des Pays-Bas apparat comme vraiment exceptionnelle.Ailleurs, le capitalisme ne se manifeste que d'une faon trs attnue.

    On se l'explique, si l'on songe que le commerce - le grand commerce tout aumoins - n'a pas encore un caractre permanent, mais priodique. L'insuffisance desvoies de communication, l'absence de scurit, le petit nombre de centres urbainsimportants nous expliquent les raisons de cette priodicit. Voil pourquoi le grandcommerce se concentre presque entirement dans les foires jusqu' la fin du Moyenge. Les foires les plus importantes se sont cres naturellement au carrefour desgrandes voies de communication terrestre, comme la Champagne et Lyon, quelque-

    fois proximit des grands centres de production, comme les foires flamandes. Leurdclin sera dtermin, par les progrs de la poste, l'amlioration des routes, l'tablisse-ment d'une srieuse police, l'accroissement des grands centres urbains. Elles seront

    1 Voy. J. G. VAN DILLEN,Het economisch karakter der middeleeuwsche stad, Amsterdam, 1914 ;

    H. J. SMIT, De opkomst van den handel van Amsterdam, Amsterdam, 1914; Z.-W. SNELLER,Ledveloppement du commerce entre les Pays-Bas septentrionaux et la France jusqu'au milieu luXVe sicle (Revue du Nord, 1922).

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    21/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 21

    peu peu, on le verra, remplaces par les bourses, dont les progrs concideront avecceux du commerce permanent 1.

    Au Moyen ge, le dveloppement conomique de la France, tout au moins desrgions qui composent alors le royaume, est beaucoup moins prcoce que celui desvilles italiennes et des Pays-Bas ; aussi l'industrie et le commerce sont-ils presqueentirement entre les mains d'artisans et de marchands, qui ne disposent que deressources trs limites, qui ne sont, en aucune faon, des capitalistes. Cependant, peu peu on voit se former une catgorie de marchands en gros, qui commencent sediffrencier des gens de mtier. C'est chez eux, et notamment chez les merciers, qu'ontrouve les premires accumulations de capitaux. Un curieux rglement du XVe sicle,relatif aux prrogatives du roi des merciers , nous montre la varit de marchan-dises que vendent les merciers et la prdominance conomique qu'ils exercent surnombre de mtiers. Rien d'tonnant, par consquent, qu'un privilge royal de 1413affranchisse les merciers de l'inspection des jurs des mtiers.

    Toutefois, le grand commerce maritime, - l'une des grandes sources du capita-

    lisme -, n'apparat vraiment que dans des rgions qui aujourd'hui font partie intgrantede la France, mais qui ne seront runies au royaume que dans la seconde moiti duXVe sicle. C'est ainsi qu' la suite des croisades, aux XIIe et XIIIe sicles, lesProvenaux font un actif commerce avec nombre de ports du Levant. Bordeauxentretient aussi d'troites relations commerciales avec l'Angleterre, laquelle laGuyenne fut soumise jusqu'au milieu du XVe sicle. Les armateurs de Bayonne, ds1213, forment une socit d'assistance mutuelle et de partage de bnfices. C'est Marseille qu'on trouve d'assez nombreux exemples de socits en commandite, ds leXIIIe sicle. Mais, dans le royaume mme, on ne voit gure apparatre d'importantesguildes marchandes, comme en ont connu les Pays-Bas ; on ne peut gure citer queles marchands frquentant la rivire de Loire .

    D'ailleurs, n'oublions pas que toute l'expansion conomique du royaume de

    France fut entrave, paralyse par les ravages de la terrible guerre de Cent Ans. C'estseulement au lendemain de cette guerre, c'est--dire dans la seconde moiti, du XVesicle, que les relations commerciales se dveloppent nouveau, comme le montre lacration de nombreuses foires, que la richesse mobilire prend vraiment de l'exten-sion.

    Louis XI, beaucoup plus encore que ses prdcesseurs, s'efforce de favoriser ledveloppement du commerce, d'introduire en France des industries de luxe. Il obitdj une conception mercantiliste , car il considre que l'achat d'toffes pr-cieuses l'tranger diminue le stock montaire du royaume ; c'est la raison essentiellepour laquelle il tenta d'implanter l'industrie de la soie Lyon, malgr la rpugnancedes habitants, qui firent chouer son projet, puis Tours, o elle prospra ds sonrgne. On voit dj que la grande industrie, en France, pendant longtemps, ne pro-

    duira gure que des objets de luxe, qu'elle devra son existence l'initiative et auxencouragements de l'tat. C'est un fait significatif que Louis XI ait voulu crer unegrande compagnie de commerce privilgie, une Compagnie du Levant , annon-ant ainsi les crations de Colbert. En France, la formation du capitalisme commercialsera, en grande partie, une oeuvre artificielle, comme la cration de la grandeindustrie.

    1 P. HUVELIN. Histoire du droit des marchs et des foires ; Andr ALLIX, Les foires, tude

    gographique (La Gographie, 1923).

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    22/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 22

    6.Le capitalisme en Angleterre

    Retour la table des matires

    Pendant la plus grande partie du Moyen ge, et encore au XIIIe et au XIVe sicle,l'Angleterre nous apparat comme un pays exclusivement agricole, dont l'industrie estl'uvre seulement de petits mtiers urbains. Un fait significatif, c'est que, malgr sasituation insulaire, sa puissance maritime est trs mdiocre et que son commerce setrouve presque entirement entre les mains des trangers. C'est seulement au XIVesicle que les marchands de l'Entrept (Staplers) commencent se livrer au com-merce international, qui a pour trafic essentiel l'exportation de la laine anglaise.

    Cependant, ds la fin du Moyen ge, on voit se constituer en Angleterre lespremiers lments du capitalisme commercial. Certains mtiers urbains se distinguentdes autres par leur richesse ; ce sont presque uniquement des mtiers marchands,comme les merciers, piciers et drapiers. Les progrs du capitalisme commercials'accentuent, au XVe sicle, grce au dveloppement de l'industrie drapire, auquel afortement contribu l'arrive en Angleterre de rfugis flamands et brabanons. C'estalors qu'apparat la classe des marchands de drap (drapers). L'Angleterre commence,en effet, exporter les draps qu'elle fabrique. Ces progrs de l'industrie lainire ont

    contribu, dans une forte mesure, battre en brche le systme manorial et fairenatre la pratique de l'enclosure, qui peu peu liminera la petite proprit paysanne.

    Cependant, en ce qui concerne l'origine du capitalisme en Angleterre, le phno-mne le plus important peut-tre signaler, c'est la cration de ce qu'on appelle lergime de l'industrie domestique et rurale, qui prend une extension considrable, aucours du XVe et du XVIe sicle, lorsque l'industrie textile abandonne, en grandepartie, les villes pour les campagnes. Dans ce systme, l'on voit le capitalismecommercial, si fortement accru par l'exportation du drap, s'appliquer l'industrie, la contrler , pour nous servir d'une expression moderne. Comme le dit merveillesir William Ashley, le clothier (fabricant de drap) achte la laine, la fait tisser,fouler et teindre ; il paie les artisans chaque phase de la fabrication et il vend auxdrapiers la marchandise fabrique . Il joue donc dj le rle d'un capitaliste parrapport aux artisans, quoique le capital de la plupart des fabricants soit encore peuimportant, et, en mme temps, il se trouve, dans la dpendance conomique des mar-chands exportateurs ; quand, par exemple, en 1527, lors de la rupture des relationsdiplomatiques entre le roi d'Angleterre et l'Empereur, les marchands ne peuvent plusvendre leurs draps au dehors, les fabricants se trouvent obligs de suspendre leurtravail, et c'est le chmage pour les artisans qu'ils emploient. La seconde migrationdes Flamands en Angleterre, la suite des perscutions religieuses qui ont svi dansla seconde moiti du XVIe sicle, vient encore accentuer toute cette volutionconomique ; c'est alors que Norwich devient, pour l'industrie drapire, un centre si

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    23/150

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    24/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 24

    grand nombre de changeurs, surtout dans les places o se traite le commerce interna-tional. Aussi, nulle part, le change n'a-t-il t aussi important qu'aux grandes foires deChampagne, o se rendent des marchands de toute l'Europe. C'est dans ces foiresqu'on use surtout, et de bonne heure, srement ds leXIIIe sicle, des lettres de foireet des lettres de change. Le rglement des comptes, aprs s'tre fait au comptant, sefait aussi terme. Puis on procde l'extinction des dettes de change par voie decompensation ; c'est le virement de parties ou scontration, qui, aprs s'tre dveloppaux foires de Lyon, se perfectionnera encore aux foires espagnoles et aux foires deGnes. C'est dans les foires, dit trs justement M. Huvelin, que les marchandises etl'argent cessent d'tre des objets de consommation pour devenir des capitaux.

    Le commerce maritime Joue un rle analogue aux foires. Ainsi Bruges se prati-que, ds le XIIIe sicle, mais sur un moindre pied qu'aux foires de Champagne, lechange international. la fin du XVe sicle et, au XVIe, Anvers sera une grandeplace de change international ; c'est que cette ville et notamment sa bourse constitue-ront, comme on l'a dit, une foire permanente.

    Sans doute, le commerce de l'argent n'a pas encore pris, au Moyen ge, une exis-tence pleinement indpendante. Mais on commence percevoir l'importance qu'ilprendra dans la vie conomique. M. Bigwood 1 dclare que, dans les Pays-Bas tout aumoins, les emprunts publics n'ont pas favoris le commerce de l'argent. Nanmoinsles progrs des tats princiers ont contribu trs fortement dvelopper le capitalismefinancier, ds le Moyen ge. Les princes, pour leur administration, leur politique etsurtout leurs guerres, ont besoin de recourir aux services des hommes d'argent, qui l'occasion (une occasion qui se prsente souvent) leur consentiront des prts impor-tants, auxquels aussi, moyennant finance, ils concderont des monopoles, commeceux des tables de prt . Sans aucun doute, comme le montre, le professeur W.Sombart, il existe des liens assez troits entre les progrs de l'tat et ceux du capi-talisme ; c'est ce que l'on constatera plus fortement encore dans les sicles suivants.

    Le mcanisme des changes et aussi les emprunts des tats princiers engendrent,forcment le, prt intrt ; celui-ci, il est vrai, est condamn par l'glise, tout aumoins quand il ne reprsente pas le bnfice d'une commandite, ou quand il n'affectepas la forme de la rente foncire, mais la force des choses finira par l'imposer lalgislation des divers tats. Or, le prt intrt est, sinon la principale source, dumoins la manifestation essentielle du capitalisme.

    C'est aussi ds le Moyen ge, en Italie surtout, qu'on voit apparatre des socitscommerciales, annonant les futures socits par actions, qui joueront un si grandrle, dans la gense du capitalisme. Telle, la socit en commandite, qui permet ddonner une plus grande envergure aux oprations commerciales. Telle aussi, la soci-t en nom collectif, qui se rattache peut-tre la communaut familiale. Quant auxsocits par actions, elles ne se dvelopperont vritablement qu' partir du XVIIesicle.

    C'est encore au Moyen ge, en Italie, qu'on voit natre le prt la grosse aventureet l'assurance maritime, qui se rattachent si troitement l'histoire du capitalisme. Lapratique des assurances se dveloppa ensuite, ds la fin du Moyen ge, dans les autrescontres maritimes de l'Europe, et les ngociants portugais ont eu, semble-t-il, unegrande part ses progrs, comme toute l'laboration du droit commercial ; mais, sur1 Le rgime juridique et conomique du commerce de l'argent en Belgique au Moyen ge.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    25/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 25

    cette question, les travaux sont encore peu nombreux. Il s'agit, d'ailleurs, seulementd'assurances prives ; les compagnies d'assurances ne natront qu'au XVIIe sicle,sous la pression de la ncessit, car il y avait grand avantage partager les risques 1.

    8.Caractres des puissances financires

    au Moyen ge.

    Retour la table des matires

    On commence aujourd'hui se rendre compte assez nettement de la nature despuissances financires au Moyen ge.

    Il en est qui sont, en quelque sorte, confines dans une ville ou dans un pays. Telest le cas de ces financiers d'Arras (en Particulier, les Crespin et les Louchart),que rcemment nous a dcrits M. Bigwood 2. Enrichis, semble-t-il, tout la fois, parle commerce et par leurs proprits et rentes foncires, ils disposent, au XIIIe sicle etau dbut du XIVe, d'assez de capitaux pour faire des prts fort considrables desprinces, comme le comte de Saint-Pol et le comte d'Artois, , des seigneurs laques etecclsiastiques, aux villes des Pays-Bas, comme Bruges. Fixs dans leur cit d'Arras,ils n'ont pas de reprsentants au dehors, ne se rendent aux foires que pour leurcommerce, n'ont pas de relations internationales. Voici, d'autre part, un fonctionnaire,Guillaume de Duvenvoorde (1290-1353), conseiller du comte Guillaume de Hollan-de. Ce sont surtout des spculations financires qui l'ont enrichi : les prts d'argentconsentis des particuliers et surtout des princes, la pratique des changes, l'achat derentes foncires, des constitutions de lucratives hypothques lui ont permisd'accumuler tant de richesses qu'il possde un revenu de 70 000 livres (5 millions defrancs au cours de 1921), reprsentant un capital de 100 millions de francs. Il estcurieux de noter que, sa petite-nice ayant pous, en 1404, Englebert de Nassau,c'est ce nouveau-riche du XIVe sicle que la maison d'Orange-Nassau doit safortune pcuniaire, et partant sa fortune politique 3.

    Toutefois, les puissances financires les plus importantes qui se sont constituesau Moyen ge, ce sont celles qui ont t favorises par leurs relations internationales.

    Telles, ces puissantes banques italiennes, qui ont en tous pays des succursales ; tels,ces changeurs et ces Lombards qui sont rpandus dans toute la chrtient ; tels

    1 Cf. SALVIOLI, L'assicurazione e il cambio maritimo nella storia del diritto italiano, 1884;

    HAMON, Histoire gnrale de l'assurance en Fiance, 1897 ; P. HUVELIN, Le droit commercial(Revue de synthse historique, an. 190r).

    2 Les financiers d'Arras (Revue belge de philologie et d'histoire, an. 1924 et 1925).3 Voy. Joseph CUVELIER,Les origines de la fortune de la maison d'Orange-Nassau (Mmoires de

    l'Acadmie royale de Belgique, 1922).

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    26/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 26

    encore, les Hansates, qui ont d'importants -tablissements dans tout le nord-ouest del'Europe.

    Les Juifs constituent aussi une puissance conomique internationale. Disperss unpeu partout, unis leurs congnres par les liens de leur religion, qui leur vauthumiliations et perscutions, ils se trouvent placs dans des conditions particulire-ment favorables pour se livrer d'importants changes commerciaux et financiers.C'est tort qu'on les a crus longtemps vous uniquement aux transactions financi-res ; jusqu'au XIIIe sicle surtout, ils font encore plus le commerce des marchandisesque le commerce de l'argent, comme le dmontre trs fortement MM. Moses,Hofmann 1 et Kulischer.

    Enfin, l'glise, ds le Moyen ge, apparat comme une puissance financireinternationale. Les vques, les chapitres, les abbayes possdaient de grandesproprits foncires ; il leur fallait s'occuper de la vente de leurs produits, de leursgrains et de leurs laines ; ils ont donc t amens faire du commerce, d'abord pourleur propre compte, puis pour le compte des autres, en dpit des dcisions de conciles,

    qui le leur dfendaient, et qui sont d'autant plus frquentes que leurs canons taientconstamment viols. Le commerce des marchandises entrana les puissances eccl-siastiques faire le commerce de l'argent ; les monastres devinrent de vritablestablissements de crdit 2. Et ce fut surtout le cas des grands ordres militaires, qui, entous pays, avaient des commanderies, et qui, par consquent, avaient toute facilitpour se livrer aux lucratives pratiques des changes. C'est ainsi que l'Ordre Teutoniquese proccupe autant de ses transactions commerciales et financires que de l'vang-lisation des Slaves, encore paens. Les Templiers, qui les grands de ce mondeconfiaient des dpts de mtaux prcieux et d'argent, qui prtaient aussi des sommesconsidrables aux nobles, aux princes et aux rois, dont ils devinrent rellement lestrsoriers, et qui se livraient toutes les oprations de banque, accumulrent tant derichesses qu'ils tentrent la cupidit d'un souverain, toujours court d'argent, dePhilippe le Bel, ce qui explique leur scandaleux procs et la destruction de leur

    ordre3

    .

    L'aperu qui prcde peut suffire montrer combien apparaissent diverses lessources du capitalisme au Moyen ge. C'est ne voir qu'une face de la question que deprtendre, comme le veut le professeur Sombart, que ce capitalisme est n, surtout dela proprit rurale des seigneurs, ainsi que de l'accroissement des proprits urbaineset des rentes foncires, qui se trouvaient entre les mains du patriciat des villes 4. Sansdoute, c'est bien l une des sources du capitalisme, mais beaucoup moins fconde quele grand commerce international des marchandises et que le commerce de l'argent, quien a t la consquence. Le phnomne prpondrant, pour qui veut s'expliquer lacause premire de l'accumulation des capitaux, ce sont les relations internationales,encore exceptionnelles au Moyen ge, mais qui cependant jouent dj un rle

    important.1 Der Geldhandel der deutschen Juden waehrend des Mittelalters (Forsehungen, de Schmoller,

    1910).2 Notamment grce de nombreux achats de rentes foncires comme le montre M. Gnestal pour la

    Normandie ; les abbayes jouent, au XIIIe sicle, le rle de banques agricoles .3 Voy. Lopold DELISLE, Les oprations financires des Templiers Mm. de l'Acadmie des

    Inscriptions, tome 33, 1889).4 Cf. G. VONBELOW, Die Entstehung des modernen Kapitalismus (Historische Zeitschrift, 1903, t.

    91).

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    27/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 27

    Une dernire remarque. C'est surtout le commerce de l'argent qui donne naissance la classe des nouveaux riches. Mais, chaque gnration, comme l'a si bien montrM. Pirenne, ce sont des hommes nouveaux qui apparaissent. Les descendants de ceuxqui ont ralis de grosses fortunes ne tardent pas abandonner le monde des affaires ;achetant des seigneuries ou des proprits urbaines, acqurant des rentes (rentesfoncires et rentes mises par les princes et par les villes 1), ils pntrent dans lesrangs de l'aristocratie foncire ou du patriciat des villes. En un mot, ils renoncent l'activit conomique, ils ne reprsentent plus que le pass ; et ce sont des nouveauxvenus qui vont reprendre le flambeau et crer, leur tour, des formes d'avenir quiprcipiteront l'volution du capitalisme moderne.

    9.Il n'existe pas de capitalisme industriel,au sens moderne du mot.

    Retour la table des matires

    Quant au capitalisme industriel, au sens moderne du mot, il n'existe en aucunefaon au Moyen ge ; il n'apparat, on l'a vu, que sous sa forme purement commer-ciale. Les artisans, surtout dans les mtiers de l'alimentation, du vtement, dubtiment, de l'ameublement, disposent eux-mmes de leurs moyens de production,moyens trs limits d'ailleurs, en gnral, comme le montre, par exemple, le registrede la taille Paris, en 1292, comme le montrent aussi les taxes d'impts de Ble auXVe sicle. Ils besognent seuls ou avec un ou deux compagnons. Ils ne travaillent paspour des marchs lointains, ils vendent directement leurs produits aux consommateursde la localit, ou mme mettent en oeuvre la matire premire qui leur est fournie parleurs clients.

    Le rgime corporatif, l'organisation des communauts de mtiers, telle qu'elleexiste partout au Moyen ge, tend maintenir l'artisan dans une situation assez hum-ble, en s'opposant la concurrence, en limitant le nombre des apprentis, en assurant tous la main-d'uvre qui leur est ncessaire, mais une main-d'uvre, trs restreinte.

    Les corporations ouvrires, dans l'immense majorit des villes, ont maintenu lergime de la petite industrie, non seulement au Moyen ge, mais dans les temps mo-dernes. C'est seulement dans les corporations marchandes que parfois une diffren-ciation se produit entre les matres et que l'accumulation des capitaux peut se raliser ;nous avons l un phnomne trs significatif.

    1 Voy. G. BIGWOOD, Les missions de rentes de la ville de Namur au XVe sicle (Annales de la

    Socit archologique de Namur, t. 36, an. 1925).

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    28/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 28

    Ouvrages consulter.Chapitre I :Les premires manifestations du capitalisme au Moyen Age

    Retour la table des matires

    R. DAVIDSOHN, Geschichte von Florenz, 4 vol. in-8 ; Forschungen zurGeschichte von Florenz.

    A. DOREN,Das Florentiner Zunftwesen vom XIVten Jahrhundert zum XVIten ; -Studien ans der Florentiner Wirtschaftsgeschichte, Stuttgart, 1901.

    Georges RENARD,Histoire du travail Florence, Paris, 1914, 2 vol., in-8.

    PERUZZI, Storia del comercio e dei banchieri di Firenze in tutto el mundoconosciuto del 1200 al 1345, Firenze, 1868.

    PITON,Les Lombards en France et Paris, Paris, 1892.

    Henri PIRENNE,Histoire de Belgique, t. I et II ; - Les dmocraties urbaines auxPays-Bas, Paris, 1912 ; - Medieval cities, their origins and the revival of trade,

    Princeton University Press, 1025 ; - Les priodes de l'histoire sociale du capitalisme(Bull. de l'Acadmie de Belgique, 1914).

    Georges ESPINAS,L'industrie drapire dam la Flandre franaise au Moyen ge,2 vol. in-8, 1923.

    G. DES MAREZ,L'organisation du travail Bruxelles au XVe sicle, Bruxelles,1904 ; - La lettre de foire Ypres au XIIIe sicle, Bruxelles, 1901.

    G. FAGNIEZ, L'industrie et la classe industrielle Paris aux XIIIe et XIVesicles, Paris, 1877 (Bibl. de l'cole des Hautes tudes, fasc. 33) ; - Documentsrelatifs l'histoire de l'industrie et du commerce en France au Moyen ge, Paris,

    1898-1900, 2 vol., in-8.Henri HAUSER, Les origines du capitalisme moderne en France (Revue

    d'conomie politique, an. 1902).

    P. HUVELIN, Essai historique sur le droit des marchs et des foires, Paris, 1897 ;- Le droit commercial (Revue de synthse historique, 1904).

    MARTIN SAINT-LON,Histoire des corporations de mtiers, 3e d., 1923.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    29/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 29

    H. PIGEONNEAU,Histoire du commerce de la France, t. I, Paris, 1885.

    W. ASHLEY,Histoire et doctrines conomiques de l'Angleterre, trad. fr., Paris,1900, 2 vol. in-8 ; - L'volution conomique de l'Angleterre, trad. fr., Paris, 1925.

    Georges BIGWOOD, Le rgime juridique et conomique du commerce del'argent en Belgique au Moyen ge (Mm. de l'Acadmie de Belgique, 1921 et 1922).

    R. GNESTAL,Rle des monastres comme tablissements de crdit, tudi enNormandie du xi- la fin du XIIIe sicle, Paris, 1901 (thse de droit).

    Georges MAYER, Essai sur les origines du crdit en France du XIIIe au XIVesicle, Paris, 1902.

    R. EHRENBERG,Das Zeitalter der Fugger, Ina, 1897, t. I.

    Werner SOMBART, Der moderne Kapitalismus, 4e d., 1022. JosefKULISCHER, Warenhaendler und Geldanleiher im Mittelalter (Zeitschrift frVolkswirtschaft, Sozialpolitik und Verwaltung, t. XVII).

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    30/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 30

    Henri Se, Les origines du capitalisme moderne (1926)

    Chapitre II

    Le capitalisme au dbutdes temps modernes

    1.

    La thorie de W. Sombartsur la gense du capitalisme

    Retour la table des matires

    La socit capitaliste ne pouvait natre que de l'accumulation des capitaux. Laquestion qui se pose tout d'abord, c'est donc de savoir d'o pouvait provenir cetteaccumulation l'aurore des temps modernes.

    en croire W. Sombart, le commerce, tel qu'il se pratiquait au Moyen ge, taitincapable de la produire. Cet auteur a recueilli un certain nombre de donnes sur lafaiblesse des profits commerciaux, qui paraissent assez impressionnantes, mais quisont trop peu nombreuses pour entraner pleinement la conviction. Puis, il faut soi-gneusement distinguer le commerce local et le commerce interurbain ou international,qui va sans cesse en se dveloppant dans les derniers sicles du Moyen ge. L'cono-mie urbaine n'a jamais t aussi ferme (geschlossen) que se l'imagine Bcher 1.

    1 Dans son clbre ouvrage, Die Entstehung der Volkwirthschaft.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    31/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 31

    Ainsi, le commerce de la laine et des draperies, tel qu'il se pratiquait en Italie et auxPays-Bas, semble bien tre au moins la source primitive ou l'une des sources desgrosses fortunes qui se crrent alors en ces contres. Considrons encore que lecommerce est loin d'tre vraiment spcialis : le commerce des marchandise et celuide l'argent ne se trouvent-ils pas souvent runis dans les mmes mains ? L'on saitaussi que maintes fois les orfvres prtaient de l'argent, faisaient l'office de banquiers.

    Ce qui est vrai (et voil ce qui semble vraiment solide dans la thorie de Som-bart), c'est que l'accumulation des capitaux est souvent le fait de personnages, quipercevaient des impts, des taxes pour le compte du Saint-Sige, des rois, ou mmeles revenus des grands propritaires fonciers, - ecclsiastiques ou laques. Nousadmettrons encore, avec W. Sombart, que le prt intrt, tel que le pratiquaientLombards et Juifs, peut tre considr comme une des sources du capitalisme.

    Les exploitations minires ont jou aussi, cet gard, un rle assez important,comme le, prouve l'exemple des Fugger. Sans doute, il faut tenir compte encore de laplus-value, souvent norme, des biens fonciers, qui se produit dans les villes,

    mesure qu'elles croissent en population et en richesse1

    . Cette plus-value profitesurtout au patriciat des villes, qui bien souvent s'allie et arrive se mler avec lanoblesse rurale, comme le montre M. Pirenne dans ses tapes de l'histoire sociale ducapitalisme. Mais ce patriciat, qui d'ailleurs a pour source premire le commerce,semble jouer, un rle moins actif, en ce qui concerne le capitalisme naissant, que leshommes nouveaux ; ce sont les nouveaux riches, comme le dit encore M. HenriPirenne, qui ont toujours jou le rle le plus actif.

    2.

    Les grandes puissances financiresen Italie et en Allemagne. Les bourses.

    Retour la table des matires

    Si l'on veut comprendre les origines du capitalisme financier, il convient deconsidrer les grandes puissances financires, qui se sont constitues ds la fin duMoyen ge. Leur dveloppement, comme le montre Richard Ehrenberg, a t surtoutla consquence du crdit public, que rendait ncessaire la formation des grands tats,

    princiers ou monarchiques. Ces tats ont de plus en plus besoin d'argent, car leursservices militaires, diplomatiques et financiers ne cessent de grandir.

    Ainsi s'expliquent l'activit financire des Italiens (Florentins, Lucquois, Gnois,etc.) en Angleterre, aux Pays-Bas, en France, et celle des marans (juifs portugaisconvertis) Anvers. En Allemagne, les Fugger, d'Augsbourg, d'abord marchands,puis propritaires de mines de cuivre et d'argent et banquiers, ont t les prteurs

    1 Sur tout ce qui prcde, cf. W. Sombart, Der moderne Kapitalismus , 2e partie, chap. 10 et 11.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    32/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 32

    attitrs des Habsbourg, et l'on sait le rle qu'ils ont jou, au moment de l'lection deCharles-Quint. D'autres maisons d'Augsbourg et de Nremberg ont t de grandespuissances financires dans la premire moiti du XVIe sicle ; tels les Tucher, lesImhof. Les banquiers allemands tiennent aussi une place considrable l'tranger ;par exemple, Lyon, celui que l'on a appel le bon Kleberg, et qui a t, pendantdes annes, le personnage le plus important de cette ville.

    On comprend qu'il ait pu se constituer, ds cette poque, une grande accumulationde capitaux, si l'on songe que le taux de l'intrt s'levait souvent plus de 50 %, etque les forces financires ont t grandement accrues par les socits commerciales,les syndicats et les monopoles.

    Un fait significatif, c'est que les foires, qui jouaient un si grand rle lorsque legrand commerce avait encore un caractre uniquementpriodique, perdent peu peuleur ancienne importance, mesure que se dveloppe le commerce sdentaire eturbain 1. L'on voit se crer, ds le XVIe sicle, des bourses mondiales, commeAnvers et Lyon, qui vont prendre de plus en plus leur place.

    Dans les foires, les tractations financires n'taient nes qu' l'occasion et lasuite des transactions commerciales. Dans les bourses, les marchandises ne sont plusapportes elles-mmes ; on ne trafique que sur les valeurs qui les reprsentent. Lyon,d'ailleurs, a d son importance encore plus la finance qu'au commerce, et sondveloppement est en partie l'uvre des rois de France. C'est la place o se ngocientde prfrence les emprunts publics, o affluent les banquiers, dont la plupart sontoriginaires de l'Italie ou de l'Allemagne du Sud. Lyon finira par perdre sa prpon-drance bancaire, mais elle se transformera en une grande ville industrielle.

    Ehrenberg, dans son bel ouvrage. Das Zeitalter der Fugger, montre qu'au XVIesicle l'importance passe des foires aux bourses, tant pour le commerce des marchan-dises que pour le commerce de l'argent. Dans les foires, les transactions n'avaient lieu

    que de loin en loin ; dans les bourses, au contraire, c'est chaque jour de l'anne quel'on ngocie marchandises et valeurs. Les bourses ont donc fortement contribu laconcentration des oprations commerciales et financires. Elles sont ouvertes auxmarchands de toutes nations , comme le dit l'inscription place sur le fronton de laBourse d'Anvers, dont la cration, en 1531, a t un vnement de premire impor-tance.

    Grce aux bourses, les vnements politiques et l'opinion influent beaucoup surles affaires ; ainsi s'explique l'origine des gazettes, qui donnent aux trafiquants lesnouvelles qu'ils ont besoin de connatre. Les bourses agissent, tout la fois, sur lecrdit des particuliers car il importe fort un homme d'affaires d'avoir en bourse unebonne renomme, une buona ditta, suivant l'expression italienne, - et sur le crditpublic. Rien de plus important aussi pour une place de commerce que le cours de labourse et le taux de l'intrt, qui s'tablit la bourse, et qui est en relation troiteavec les vnements et les vicissitudes du crdit public.

    1 Sur cette question, voy. Andr ALLIX,Les foires (La Gographie, 1923).

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    33/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 33

    3.

    La spculation sur les capitaux.

    Retour la table des matires

    C'est aussi au XVIe sicle, - et ds la premire moiti de ce sicle -, que s'pa-nouit la spculation sur les capitaux. Elle consiste dans le march prime, vritablepari sur ]es prix et sur le cours du change, et surtout dans l'arbitrage, portant sur ladiffrence des prix et du change qui s'tablit entre plusieurs places : spculation qui

    pouvait permettre, dans l'espace de quinze ou de vingt jours, de gagner jusqu' 5 %.L'arbitrage, dj pratiqu, au Moyen ge, par les Italiens, suppose beaucoup de flair etune vritable science, une science difficile, car, pour le pratiquer, il faut tenir compted'une, foule d'lments divers.

    Autre trait caractristique : le progrs des assurances maritimes qui, pratiquesd'abord en Italie, puis en Portugal, se dvelopprent beaucoup au XVIe sicle, notam-ment Anvers. On arrive plus de fixit dans le montant des primes. Mais laspculation svit de plus en plus sur les assurances, qui, en 1564, faisaient vivre, etgrassement, 600 personnes ; les courtiers, trs peu honntes, favorisaient les fraudesde toutes sortes, au profit des assureurs ou des assurs ; ce fut seulement en 1559 quele souverain essaya de rglementer les assurances. Il y avait souvent un grand nombred'assureurs pour un seul navire, mais il n'existait pas encore de compagnies d'assu-

    rances, C'est aussi au XVIe sicle, Anvers, qu'on commence pratiquer l'assurancesur la vie, ou plutt sur les voyages, souvent l'insu de l'assur, ce qui provoqua lespires fraudes et mme des crimes 1.

    On comprend la relation qui existe entre l'assurance et la spculation, car l'assu-rance, mme pratique honntement, comporte toujours un risque , tout au -moinspour l'assureur, risque qui s'attnuera lorsque l'institution sera devenue plus rgulire.

    Le got du jeu sous toutes ses formes caractrise aussi une socit dans laquelles'est dveloppe la spculation. De l, l'organisation de loteries, comme la grandeloterie de 1565-1567, qui devait profiter surtout la gouvernante Marie et ceux quil'avaient organise. De l aussi, la pratique des paris : Anvers, l'on parie sur le sexedes enfants natre, - ce qui donne lieu souvent des fraudes -, sur la dure du trajet

    accompli par un cheval pour un certain parcours, sur la date d'un vnementhistorique, etc. 2. C'est aussi dans ce milieu fivreux de l'Anvers du XVIe sicle quel'on voit s'agiter tout un monde de faiseurs de projets, plus ou moins chimriques, dedonneurs d'avis, de brasseurs d'affaires et aussi d'inventeurs et ingnieurs ; bon nom-bre d'entre eux sont de simples ; chevaliers d'industrie, mais il est aussi des figuresbien intressantes : tels, un Gaspard Ducci ou un Leonardo di Benavento.

    1 Voy. A. GORIS, Les colonies marchandes mridionales Anvers de 1488 1565, Louvain, 1925.2 Ibid., p. 401 et suiv., 425 et suiv.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    34/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 34

    La grande consquence des progrs de la spculation, c'est la mobilisation descapitaux, la transformation des marchandises en valeurs, qui les reprsentent ou sontcenses les reprsenter. On peut dire que mme les biens fonciers commencent semobiliser, grce aux hypothques.

    4.Les progrs du crdit public

    et les crises financires.

    Retour la table des matires

    Un autre phnomne nouveau, ce sont les crises financires internationales, quisont provoques par le dveloppement du crdit public.

    En France, le cardinal de Tournon essaie de faire du crdit public une institutionrgulire ; il centralise au profit du Roi tous les dpts des banques lyonnaises,promettant un intrt d'au moins 10 %. Puis, dans la mme place de Lyon, en 1554,c'est la cration du grand parti , vritable emprunt public, pour lequel on s'adresse

    toutes les bourses, mme aux plus humbles. Les souscripteurs reoivent des obli-gations. Ce fut une fureur ; mme les domestiques confient leurs conomies au grand parti ; les trangers ne sont pas les moins empresss.

    Mais bientt, voici la dbcle : le papier baisse de plus en plus, d'abord de 15 %,puis, en 1559, de 30 et mme de 50 %. Et, au mme moment, l'tat espagnol subitune crise analogue.

    Ces banqueroutes atteignent gravement tous les manieurs d'argent : 20 millions deducats, c'est--dire 250 millions de francs, ont t, sinon engloutis, tout au moinsgravement compromis ; le crdit public a t cruellement atteint. Les guerres dereligion entranent une autre crise trs grave ; elles ont eu pour consquence la chutedes places d'Anvers et de Lyon, toutes deux gagnes, en grande partie, la cause de la

    Rforme.Une nouvelle banqueroute de l'tat espagnol, en 1575, dtermine une autre crise

    trs grave. Elle branle la prosprit des foires espagnoles (de Medina del Campo, deVillalon, etc.). o se traitaient de grandes affaires, et o les Fugger et les banquiersgnois jouaient un rle prpondrant. La banqueroute atteint principalement NicoloGrimaldi, des financiers espagnols, comme Espinosa, des capitalistes de Sville et deBurgos, ainsi que beaucoup de particuliers.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    35/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 35

    On comprend que les princes, dont les besoins d'argent croissaient sans cesse,aient servi la cause du capitalisme, M. H. Pirenne le montre trs fortement, en ce quiconcerne les Pays-Bas. Les artisans urbains ne combattent si vivement le rgimemonarchique que parce qu'il menace l'exclusivisme municipal, auquel le triomphe ducapitalisme Serait funeste ; tel est le sens vritable de la rvolte de Gand de 1477 etdes troubles qui l'ont suivie. En fait, Philippe le Bon sacrifie Bruges Anvers, quireprsente l'esprit nouveau ; aux intrts d'Anvers, qui se livrait au lucratif appr-tage des draps anglais, il sacrifie, vers 1500, l'industrie drapire de la Flandre et duBrabant.

    On le voit, on ne saurait nier la relation qui existe entre le dveloppement desmonarchies, des grands tats, et les progrs du capitalisme. Les emprunta des princes,les besoins du crdit public ont singulirement augment l'importance des grandespuissances financires, des Fugger et de leurs mules.

    5.Le dveloppement des banques.

    Retour la table des matires

    Un trait caractristique de l'poque, c'est le progrs des banques, fondes principa-lement par des Italiens, qui, ds le Moyen ge, avaient l'exprience de ces entreprises,

    et aussi par des Allemands.Ces banques taient des banques de dpt. Grce l'argent qu'apportaient des

    hommes de toutes les classes (nobles, comme marchands), le banquier peut tenter devastes spculations. Tel, Ambroise Hoechstetter, qui voulut accaparer le march dumercure, et qui finit par se ruiner et ruiner ses commanditaires. Lyon, se crrent denombreuses banques,- surtout italiennes et allemandes 1 -, qui firent de cette ville unegrande place internationale pour le commerce de l'argent.

    Le dveloppement des banques introduit des murs nouvelles. C'est ce quemontre avec force Lodovico Guiccardini, qui nous a laiss une description si vivantede l'Anvers du XVIe sicle :

    Autrefois, les nobles qui avaient des fonds disponibles les mettaient en terres, ce quidonnait du travail beaucoup de gens et fournissait au pays le ncessaire. Les marchandsemployaient leurs capitaux leur ngoce rgulier, de faon galiser entre les diffrentescontres la disette et la surabondance ; ils utilisaient des hommes sans nombre et augmen-taient les revenus des princes et des villes. Aujourd'hui, au contraire, une partie de la noblesseet des marchands (la premire par l'intermdiaire des seconds, et les autres ouvertement), pour

    1 Il y en eut aussi de suisses et d'espagnoles, et les banquiers d'origine lyonnaise deviennent nom-

    breux, ds le XVIe sicle.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    36/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 36

    viter les peines et les prils de l'activit professionnelle rgulire, consacrent tous leurscapitaux disponibles au commerce de l'argent, qui les attire par ses gains levs et srs.

    6.Influence prpondrante du capitalisme commercial.

    Il est aussi une source du capitalisme financier.

    Retour la table des matires

    Quelque influence qu'aient exerce sur la gense du capitalisme le commerce del'argent et la spculation, ils n'en constituent pas, semble-t-il, la source la plus fcon-de ; rduits eux-mmes, ils ne sauraient fonder une puissance conomique solide etdurable. Ehrenberg le montre fort bien, lorsqu'il compare les foires de Gnes et cellesde Francfort.

    Les foires de Gnes prirent une grande importance aprs la chute d'Anvers, etelles restrent florissantes pendant un demi-sicle. Leur caractristique, c'est qu'il nes'y opre pas de trafic de marchandises, qu'on ne s'y livre qu' des transactions finan-cires : transactions particulirement actives, puisqu'on y trouve des instruments dechange pour les principales places de commerce. La couronne d'Espagne a souventaffaire aux foires de Gnes pour ses besoins financiers. On s'y livre des spculationsde toutes sortes ; elles ont donc favoris, sur une grande chelle, la concentration descapitaux. Mais, comme elles ne constituaient pas un centre commercial, elles rappel-lent le pass, plutt qu'elles n'annoncent l'avenir ; ce fut comme le dernier clat de lavie conomique du Moyen ge.

    Francfort, ds la fin du Moyen ge, avait t la place la plus importante del'Allemagne de l'Ouest. La chute d'Anvers accrut aussi beaucoup sa puissance. Maisles foires qui s'y tinrent n'avaient pas un caractre purement financier ; on s'y livrait des transactions commerciales trs actives. Leur progrs avait t plus lent que celuides foires de Gnes, mais elles furent, par contre, plus solides et eurent un succs plusdurable. Mme pendant la guerre de Trente ans, elles se maintinrent, et, la place deFrancfort continua jouer un grand rle au XVIIIe le sicle, bien qu'elle ft, dans unecertaine mesure, dpendante d'Amsterdam. Ce qui prouve sa prosprit, c'est que le

    taux de l'intrt n'y fut jamais trs lev ; il ne dpassa gure 5 6 % et descenditmme plus bas.

    Si nous considrons l'Angleterre du XVIe sicle, nous voyous que l'closion ducapitalisme financier y est singulirement favorise par le dveloppement de l'indus-trie et les progrs du capitalisme commercial. L'industrie drapire, dont la valeur deproduction fait plus que doubler dans la seconde moiti du sicle, a besoin de capi-taux et ceux-ci lui sont fournis par les marchands exportateurs. L'industrie minire, enprogrs galement, ne peut s'en passer.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    37/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 37

    C'est aussi le dveloppement de l'exportation qui pose de plus en plus lit questiondes changes trangers 1. Londres sans doute ne possde pas l'organisation financired'Anvers ou de Lyon, mais cette place, grce ses transactions commerciales, se trou-ve en relations directes avec les grands marchs de l'tranger, surtout avec Anvers,Hambourg, Lyon et Rouen.

    Les changes internationaux rapportent de grands profits et donnent lieu uneactive spculation. On ne saurait les confondre avec le change des monnaies, car, eneux, il entre deux autres lments : le taux de l'intrt et la variation journalire deschanges.

    Comme le montre un crivain contemporain d'Henri VIII, Thomas Gresham, biendes marchands, enrichis par le commerce du drap, trouvent plus avantageux de selivrer des spculations sur les changes que de continuer leur ancien ngoce ; ilstrafiquent surtout sur le march d'Anvers, et, sans grands risques, leurs oprations leurrapportent souvent du 16 %. Voil un exemple frappant des liens qui existent entre lestransactions commerciales et les oprations bancaires au XVIe sicle.

    7.Le prt intrt : la doctrine de l'glise

    et les pratiques nouvelles.

    Retour la table des matires

    On comprend donc qu'en Angleterre, comme dans toute l'Europe occidentale, sepose la question si importante du prt intrt et de la valeur d'change de l'argent.

    La doctrine canonique, qui rprouve le prt intrt, rgne en matresse auMoyen ge. Cependant si, cette poque comme dans l'antiquit, on ne conoit leplacement de l'argent que sous forme d'usure, on finit par admettre que le prt peuttre lgitime, lorsqu'il s'agit d'une commandite, qui comporte des risques et unddommagement. L'glise distingue les prts striles et les prts productifs. EnAngleterre, l'poque d'Henri VII, le cardinal-chancelier Morton dclare auParlement :

    Sa Grce (le Roi) vous prie de prendre en considration toute entreprise commerciale ouindustrielle, telle que les manufactures du royaume, de diminuer l'emploi strile et btard quel'on fait de l'argent en le consacrant l'usure et des trafics illgaux ; on doit destiner cetargent son usage naturel, c'est--dire au commerce et aux mtiers loyaux et royaux.

    N'oublions pas non plus que l'glise considre aussi comme lgitime le bail rente, qui n'est qu'un prt dguis. Mais, comme le remarque fortement le professeur

    1 Voy. Th. WILSON, A discourse upon usury (1572), dit. TAWNEY, Introduction, Londres, 1925.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    38/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 38

    W. Ashley, mesure que les relations commerciales s'tendent, l'argent prend de plusen plus le caractre de capital. Et, ainsi que le dit M. Tawney, la doctrine tradition-nelle, qui se proposait de protger les paysans et les artisans contre les prteurs surgages, n'tait pas applicable aux fabricants de drap, aux propritaires de mines, auxmatres de forges, qui avaient besoin de capitaux .

    Cependant, la doctrine scolastique subsistait, et, pour les ngociants et les hom-mes d'affaires, qui restaient fidles la foi catholique, il y avait l un cas deconscience singulirement embarrassant. C'est ce qui explique la curieuse consul-tation que les marchands espagnols d'Anvers, en 1532, chargrent leur confesseur, lefranciscain Jean-Baptiste, de demander l'Universit de Paris. Cette curieuse consul-tation crite, qui nous a t conserve et que publie M. Goris 1, montre que lesthologiens catholiques n'ont renonc aucune des ides traditionnelles. Ils rejettentl'intrt de change, comme illicite et usuraire, ils rprouvent tout lment spculatifdans le commerce et n'admettent que le remboursement des frais que le prteur a eu subir ; ils condamnent absolument le change de retour , le change sec .

    Mais il est bien vident que la pratique ne pouvait s'en tenir ces rgles rigides.Les souverains espagnols eux-mmes, si bons catholiques que fussent Charles Quintet Philippe II, durent reconnatre la lgitimit de l'intrt, pourvu qu'il ft relativementmodr, qu'il ne dpasst pas 12 % ; n'taient-ils pas de grands emprunteurs ?

    En Angleterre, l'poque des Tudors, l'autorit publique fut aussi trs embarras-se par la question du prt intrt et des changes. Elle voyait qu'il tait impossiblede s'en tenir l'ancienne conception de l'glise, de continuer considrer le prtcomme le pch maudit . Elle commence concevoir que ce qui est punissable, cen'est pas le paiement d'une somme raisonnable et lgitime pour l'argent prt, maisuniquement les exactions, auxquelles peut donner lieu le prt intrt. En 1545, unacte royal autorisa l'intrt de 10 % ; il fut, il est vrai, abrog en 1552, mais, ds 1571,il est remis en vigueur. La cause du prt intrt est gagne en Angleterre, malgr la

    rsistance de l'glise anglicane, malgr l'opposition de bien des crivains, commeThomas Wilson, dont le Discourse upon usury, de 1572, ne fait aucune concessionaux ides nouvelles. Et cependant Th. Wilson, comme le remarque M. Tawney, n'taitnullement un thologien, mais un haut fonctionnaire, un magistrat cultiv, trs au faitdes questions conomiques.

    8.L'influence de la Rforme calviniste.

    Retour la table des matires

    D'ailleurs, la Rforme religieuse, la rforme calviniste surtout, va singulirementcontribuer faire triompher la conception moderne du capitalisme ; c'est ce qui a tbien mis en lumire par deux savants allemands, Max Weber, puis Troeltsch. Ladoctrine de Calvin, en ce qui concerne le prt intrt, s'oppose absolument la

    1 Ouv. cit,p. 510 et suiv.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    39/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 39

    doctrine de l'glise catholique ; c'est qu'il n'tablit pas de hirarchie entre le spiri-tuel et le temporel ; il considre comme louables le travail, l'exercice srieux dela profession, et partant comme lgitime l'acquisition des richesses. ce point de vue,sa doctrine se rapproche de la conception juive, et nous aurons plus tard en exami-ner les consquences. L'individualisme, qui caractrise la rforme calviniste, cadrebien avec l'individualisme des centres capitalistes en formation au XVIe sicle, etc'est un fait bien remarquable que des villes comme Lyon et surtout Anvers aient tgagnes si fortement aux nouvelles ides religieuses. L'on verra plus loin que ce sontprcisment les puritains, comme les Juifs, qui comptent parmi les agents les plusactifs du capitalisme moderne.

    D'autre part, il est certain que l'expansion du capitalisme a contribu, l'panouis-sement de la Renaissance. il faut tenir compte ici, non seulement de la richesse et du,luxe qui permettaient aux mcnes d'encourager les arts, mais aussi de l'indpendancede l'esprit, que l'organisation conomique nouvelle favorisait. L'artiste, chappant aulien corporatif, devient singulirement plus libre. Les relations plus actives entre lesdivers pays donnent l'esprit une plus grande ouverture. C'est, au fond, toujours

    l'individualisme qui est en jeu, que l'on envisage les progrs du capitalisme ou l'clo-sion de la Renaissance et de la Rforme 1.

    Ouvrages consulter.Chapitre II :

    Le capitalisme au dbut des temps modernes

    Retour la table des matires

    BONZON, La banque Lyon, aux XVIe, XVIIe et XVIIIe sicles (Revued'Histoire de Lyon, an. 1902 et 1903).

    William ASHLEY, Histoire et doctrines conomiques de l'Angleterre, trad. fr.,1900, 2 vol. in-8 ; - L'volution conomique de l'Angleterre, trad. fr., Paris, 1925.

    BURGON,Life of Gresham, 2 vol. in-8.

    Richard EHRENGERG,Das Zeitalter der Fugger, Ina, 1896, 2 vol., in-8.

    J. A. GORIS, Les colonies marchandes mridionales Anvers de 1488 1567(Travaux de l'Universit de Louvain), 1925, in-8.

    Henri HAUSER, Spculation et spculateurs au XVIe sicle (dans Travailleurs etmarchands de l'ancienne France, Paris, 1920).

    1 Voy. les pages si suggestives d'H. PIRENNE, Histoire de Belgique, t. III, p. 285 et suiv.

  • 7/30/2019 See Origine Capitalisme

    40/150

    Henri SE, Les origines du capitalisme moderne (Esquisse historique) (1926) 40

    Lodovico GUICCARDINI,Descrittioni di tutti Paesi Bassi.

    Paul HUVELIN, Essai historique sur le dro