Se baigner en ville, bientôt une réalité · PDF file« la baignade...

1
LAURA DULIEU £@laura_dulieu LOISIRS Cet été, Paris Plages aura une sa- veur un peu particulière. Pour la premiè- re fois, les Parisiens pourront se baigner en pleine ville dès le 17 juillet, dans le bas- sin de la Villette. En 1988 déjà, Jacques Chirac promettait de se baigner dans la Seine dans les cinq ans. Presque trente ans plus tard, on ne peut toujours pas plonger dans le fleuve mais les choses avancent, un peu plus au nord : les trois bassins installés à la Villette pourront accueillir 300 personnes simultanément, jusqu’à fin septembre. La mairie promet « la baignade surveillée en eau libre, ac- cessible aux petits et aux grands, ainsi qu’aux personnes à mobilité réduite », gratuitement. Une petite révolution à Paris où, depuis l’interdiction de la bai- gnade en 1923, plus personne ou presque ne s’aventurait dans la Seine. La mairie ne compte pas s’arrêter là. En 2019, le lac Daumesnil, au bois de Vincennes, devrait aussi ouvrir à la baignade. Et si la capitale française accueille les Jeux olympiques en 2024, il en serait de même pour la Seine. Les ambitions du Grand Paris se tour- nent aussi vers la Marne : l’objectif est d’y rendre possible la baignade d’ici à 2022. Pour Sylvain Berrios, maire de la com- mune et vice-président de la métropole du Grand Paris, « tous les acteurs (syndi- cats, Grand Paris, préfecture…) se sont alignés sur l’objectif de la baignade ». À Saint-Maur, « la baignade est déjà une réalité, les enfants se jettent dans la Marne en sortant du collège », ajoute-il. Reste donc le défi de l’assainissement complet de la rivière, même si pour l’élu, « tous les clignotants sont au vert ». Des réflexions amorcées en province Le phénomène dépasse les frontières du bassin parisien, et des réflexions émer- gent dans plusieurs villes de France. La métropole de Lyon étudie les pistes pour autoriser la baignade dans le canal de Jonage, à Villeurbanne. Richard Llung, élu de la ville et vice-président du conseil de la métropole de Lyon, défend une bai- gnade « simple, naturelle et sécurisée ». Là « les gamins ne partent pas en vacances », l’élu veut « redonner aux habitants un espace de détente ». Des étu- des pour assainir et sécuriser le canal sont en cours, et Richard Llung assure que « pour l’instant, elles n’empêchent pas de poursuivre l’idée ». Du côté de la Loire aussi, l’idée fait son chemin. À Tours, une vaste consultation est en cours auprès des habitants pour aménager les bords de Loire. Parmi les propositions des Tourangeaux, celle d’un point de baignade dans le fleuve est particulièrement plébiscitée. Christophe Bouchet, adjoint au maire, explique que « lorsqu’il fait 34 degrés, tout le monde est dans la Loire, mais c’est un fleuve dange- reux et mouvant ». Selon Jérôme Baratier, directeur de l’Agence d’urbanisme de Tours, l’enjeu est donc d’« identifier les espaces où donner des garanties sanitaires et sécuritaires ». Si un tel projet était lan- cé, le fameux lieu de baignade pourrait changer chaque année, au gré des capri- ces du fleuve. À Nantes, la métropole a aussi pris l’engagement d’étudier la faisa- bilité d’une piscine naturelle en bord de Loire. Retrouver l’insouciance de la baignade en ville, pourtant si commune au début du XX e siècle, c’est l’ambition du Labora- toire des baignades urbaines expérimen- tales (LBUE). Le collectif s’est construit une image de « baigneurs pirates » grâce aux réseaux sociaux, en vantant leurs récréations clandestines dans l’eau. L’été dernier, à l’invitation du LBUE, des dizai- nes de « street baigneurs » s’étaient jetés dans le bassin de la Villette. Depuis, les « freins psychologiques » à la baignade en milieu urbain commencent alors à faiblir. Membre du collectif, Julie Pacaud se sou- vient : « Peu de gens nous suivaient au début, mais l’idée était de réveiller ce désir de nager et l’imaginaire de la baignade en ville. » Désormais en lien avec la mairie de Paris, le LBUE veut mettre l’accent sur les quartiers défavorisés où la baignade « est une nécessité » : « Tout le monde crève à Paris quand il fait 30 degrés. C’est facile de jeter la pierre aux enfants qui ouvrent les bouches à incendie. Bien sûr l’eau est gaspillée, mais il faut s’interroger. Pourquoi ne pas réfléchir à des espaces de baignade sur le canal de l’Ourcq, à Bobigny ou Pantin ? » Les Parisiens pourront nager dès la semaine prochaine dans le bassin de la Villette. Des projets de baignade urbaine fleurissent un peu partout en France. Se baigner en ville, bientôt une réalité Pour déterminer si une eau fluviale est d’assez bonne qualité pour s’y baigner, il faut mesurer le taux d’entérocoques et d’Escherichia coli (E. coli), des « bactéries intestinales ». Elles proviennent des stations d’épuration qui déversent une partie de leurs eaux dans les fleuves. Depuis deux ans, la quantité de ces bactéries présentes dans la Seine est en dessous du seuil fixé par l’Agence régionale de santé. Mais ces résultats sont variables car ils dépendent aussi en partie de la pluie, qui altère la qualité de l’eau. Pour qu’un fleuve soit ouvert à la baignade, il lui faut donc de la stabilité dans la qualité de son eau, ce qui n’est pas encore le cas ni pour la Seine, ni pour le reste des fleuves français. L. D. La qualité de l’eau dépend des intempéries Les trois bassins installés à la Villette pourront accueillir 300 personnes simultanément, jusqu’à fin septembre. BERTRAND GUAY/AFP Le Figaro, 15 juillet 2017

Transcript of Se baigner en ville, bientôt une réalité · PDF file« la baignade...

LAURA DULIEU £@laura_dulieu

LOISIRS Cet été, Paris Plages aura une sa-veur un peu particulière. Pour la premiè-re fois, les Parisiens pourront se baigner en pleine ville dès le 17 juillet, dans le bas-sin de la Villette. En 1988 déjà, Jacques Chirac promettait de se baigner dans la Seine dans les cinq ans. Presque trente ans plus tard, on ne peut toujours pas plonger dans le fleuve mais les choses avancent, un peu plus au nord : les trois bassins installés à la Villette pourront accueillir 300 personnes simultanément, jusqu’à fin septembre. La mairie promet « la baignade surveillée en eau libre, ac-cessible aux petits et aux grands, ainsi qu’aux personnes à mobilité réduite », gratuitement. Une petite révolution à Paris où, depuis l’interdiction de la bai-gnade en 1923, plus personne ou presque ne s’aventurait dans la Seine. La mairie ne compte pas s’arrêter là. En 2019, le lac Daumesnil, au bois de Vincennes, devrait aussi ouvrir à la baignade. Et si la capitale française accueille les Jeux olympiques en2024, il en serait de même pour la Seine.

Les ambitions du Grand Paris se tour-nent aussi vers la Marne : l’objectif est d’yrendre possible la baignade d’ici à 2022. Pour Sylvain Berrios, maire de la com-mune et vice-président de la métropole du Grand Paris, « tous les acteurs (syndi-cats, Grand Paris, préfecture…) se sont

alignés sur l’objectif de la baignade ». À Saint-Maur, « la baignade est déjà une réalité, les enfants se jettent dans la Marne en sortant du collège », ajoute-il. Reste donc le défi de l’assainissement complet de la rivière, même si pour l’élu, « tous lesclignotants sont au vert ».

Des réflexions amorcéesen provinceLe phénomène dépasse les frontières du bassin parisien, et des réflexions émer-gent dans plusieurs villes de France. La

métropole de Lyon étudie les pistes pour autoriser la baignade dans le canal de Jonage, à Villeurbanne. Richard Llung, élu de la ville et vice-président du conseil de la métropole de Lyon, défend une bai-gnade « simple, naturelle et sécurisée ». Làoù « les gamins ne partent pas en vacances », l’élu veut « redonner aux habitants un espace de détente ». Des étu-des pour assainir et sécuriser le canal sont en cours, et Richard Llung assure que « pour l’instant, elles n’empêchent pas de poursuivre l’idée ».

Du côté de la Loire aussi, l’idée fait sonchemin. À Tours, une vaste consultation est en cours auprès des habitants pour aménager les bords de Loire. Parmi les propositions des Tourangeaux, celle d’un point de baignade dans le fleuve est particulièrement plébiscitée. Christophe Bouchet, adjoint au maire, explique que « lorsqu’il fait 34 degrés, tout le monde est dans la Loire, mais c’est un fleuve dange-reux et mouvant ». Selon Jérôme Baratier,directeur de l’Agence d’urbanisme de Tours, l’enjeu est donc d’« identifier les espaces où donner des garanties sanitaires et sécuritaires ». Si un tel projet était lan-cé, le fameux lieu de baignade pourrait changer chaque année, au gré des capri-ces du fleuve. À Nantes, la métropole a aussi pris l’engagement d’étudier la faisa-bilité d’une piscine naturelle en bord de Loire.

Retrouver l’insouciance de la baignadeen ville, pourtant si commune au début du XXe siècle, c’est l’ambition du Labora-toire des baignades urbaines expérimen-tales (LBUE). Le collectif s’est construit une image de « baigneurs pirates » grâce aux réseaux sociaux, en vantant leurs récréations clandestines dans l’eau. L’été dernier, à l’invitation du LBUE, des dizai-nes de « street baigneurs » s’étaient jetés dans le bassin de la Villette. Depuis, les « freins psychologiques » à la baignade enmilieu urbain commencent alors à faiblir. Membre du collectif, Julie Pacaud se sou-vient : « Peu de gens nous suivaient au début, mais l’idée était de réveiller ce désir de nager et l’imaginaire de la baignade en ville. » Désormais en lien avec la mairie deParis, le LBUE veut mettre l’accent sur les quartiers défavorisés où la baignade « est une nécessité » : « Tout le monde crève à Paris quand il fait 30 degrés. C’est facile de jeter la pierre aux enfants qui ouvrent les bouches à incendie. Bien sûr l’eau est gaspillée, mais il faut s’interroger. Pourquoi ne pas réfléchir à des espaces de baignade sur le canal de l’Ourcq, à Bobigny ou Pantin ? » ■

Les Parisiens pourront nager dès la semaine prochaine dans le bassinde la Villette. Des projetsde baignade urbaine fleurissent un peu partout en France.

Se baigner en ville, bientôt une réalité

Pour déterminer si une eau fluviale est d’assez bonne qualité pour s’y baigner, il faut mesurer le taux d’entérocoques et d’Escherichia coli (E. coli), des « bactéries intestinales ». Elles proviennent des stations d’épuration qui déversent une partie de leurs eaux dans les fleuves. Depuis deux ans, la quantité de ces bactéries présentes dans la Seine est

en dessous du seuil fixé par l’Agence régionale de santé. Mais ces résultats sont variables car ils dépendent aussi en partie de la pluie, qui altèrela qualité de l’eau. Pour qu’un fleuve soit ouvert à la baignade, il lui faut donc de la stabilité dans la qualité de son eau, ce qui n’est pas encorele cas ni pour la Seine, ni pour le reste des fleuves français. L. D.

La qualité de l’eau dépend des intempéries

Les trois bassins installés à la Villette pourront accueillir 300 personnes simultanément, jusqu’à fin septembre. BERTRAND GUAY/AFP

Le Figaro, 15 juillet 2017