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SCIENCES ET EXPERTISES EN SOCIÉTÉS Les Cahiers Paix & Citoyenneté SCIENCES ET EXPERTISES EN SOCIÉTÉS Benjamin DENIS Sébastien DENYS (coord.) Atelier du colloque « Les Savoirs au défi de la Paix et de la Citoyenneté » (10 mars 2006) 2/2006

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SCIENCES ET EXPERTISES EN SOCIÉTÉS

Les CahiersPaix & Citoyenneté

SCIENCES ET EXPERTISESEN SOCIÉTÉS

Benjamin DENISSébastien DENYS

(coord.)

Atelier du colloque« Les Savoirs au défi de la Paix et de la Citoyenneté »

(10 mars 2006)

2/2006

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Les Cahiers Paix et Citoyenneté2

Cette publication est éditée par le Pôle Bernheim d’Études sur la Paix et laCitoyenneté avec le soutien de la Fondation Bernheim et de l’Institut d’Étudeseuropéennes de l’Université Libre de Bruxelles.

Pôle Bernheim d’Études sur la Paix et la CitoyennetéC/o Institut d’Études européennesUniversité Libre de Bruxelles - CPI 172Avenue F.D. Roosevelt 39–1050 Bruxelles

Téléphone : +32 (0) 2 650 44 68–Téléfax : +32 (0) 2 650 30 68Courriel : [email protected] Web : http://www.polebernheim.net

Éditeur responsable : Éric REMACLECoordination éditoriale : Sylvie MANTRANT

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Sommaire

Problématique générale ………. 4Benjamin DENIS & Sébastien DENYS

Première session de l’atelier ………. 5MOUVEMENTS SOCIAUX, EXPERTISES ET POLITIQUES INTERNATIONALES DEL’ENVIRONNEMENT: CHANGER LE MONDE PAR LE SAVOIR ?

Thinking and Nurturing Transnational Activism :Understanding Global Civil Society Advocacy in Southeast Asia ………. 5Dominique CAOUETTE

Contester, évaluer, collaborer : des pratiques des organisations de défense del’environnement au niveau international. L’exemple du Mécanisme pour un Développement Propre ………. 12Benjamin DENIS & Michael ROBERT

Social Movement and Biopiracy ………. 19Vandana SHIVA

Seconde session de l’atelier ………. 22PENSER LES SCIENCES DANS LA SOCIÉTÉ :QUEL IMPACT SUR LA CONSTRUCTION DES SAVOIRS SCIENTIFIQUES ?

En finir avec l’image du somnambule ………. 22Isabelle STENGERS

Le travail de modélisation aux prises avec l’exigence démocratique:le projet PEPAM et les conditions d’un apprentissage croisé entre experts et citoyens ………. 27François MÉLARD

Les panels de citoyens ou la construction collectived’uneexpertise citoyenne ………. 31Benoît DERENNE

Le séminaire d’exploration des controverses: former des agronomesà la construction collective de savoirs transversaux ………. 36Sébastien DENYS

CollectionRegards sur l’International ………. 41

Collection Les Cahiers Paix & Citoyenneté ………. 42

NB : La version électronique des Cahiers Paix & Citoyenneté se trouve sur le site web du PôleBernheim (http://www.polebernheim.net) à la page « Publications ».

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Les Cahiers Paix et Citoyenneté4

SCIENCES ET EXPERTISES EN SOCIÉTÉS

Problématique générale

Nos sociétés contemporaines, qualifiées de« complexes », entretiennent un rapport ambi-valent aux savoirs scientifiques. Tout d’abord, elles s’inscrivent dans une relation de dépen-dance aux sciences et techniques. Celles-ciorientent en effet largement les comportementsindividuels et les pratiques collectives et l’au-torité de la science est fréquemment mobiliséepour légitimer les décisions, qu’il s’agisse de trancher en matière d’environnement, de choix technologiques ou même par exemple de mo-dification du droit de la famille. Cependant, l’au-torité des sciences a perdu de sa superbe àmesure que se multipliaient les manifestationsdes faces cachées d’un progrès social long-temps pensé comme l’irréfragable corrélat de l’accumulation des connaissances. La légitimitédu savant ou de ses cousins experts et techno-crates fait désormais l’objet de contestationsmultiples et parfois radicales.

Ce paradoxe n’est en réalité qu’apparent si l’on prend en considération l’historicité dessciences qui ne constituent pas un corpus deconnaissances et de pratiques hermétique auxévolutions sociohistoriques. Cette prémissenous autorise ensuite à poser l’hypothèse qui servira de fil conducteur à notre atelier : Latension entre dépendance au savoir scientifi-que et crise de la légitimité sociale des ins-titutions expertes se résout en partie par la

réinsertion des sciences dans le social, ce quiimplique un double mouvement, d’une part, de démocratisation de l’expertise scientifique et, d’autre part, de confrontation des savoirsscientifiques avec les autres types de savoirsgénérés par la société.

Cette hypothèse est traitée en deux tempsqui correspondent aux deux sessions del’atelier.

La première session porte sur la thématique« Mouvements sociaux, expertises et politi-ques internationales de l’environnement:changer le monde par le savoir ? ». Il s’agit d’examiner les stratégies par lesquelles cer-tains mouvements sociaux utilisent les con-naissances comme une ressource de pouvoirdans le but d’influencer les politiques envi-ronnementales au niveau international.

La seconde session, « Penser les scien-ces dans la société : quel impact sur laconstruction des savoirs scientifiques ? »,porte sur les implications de cette insertion dusavoir scientifique dans le social. Répondreaux contraintes inhérentes à cette exigenceémergente implique en effet de questionneraussi bien les modalités d’élaboration des sa-voirs que les pratiques d’enseignement.

Cet atelier prolonge l’une des thématiques abordées lors du colloque« Sciences, paix et citoyenneté » organisé par le Pôle Bernheim en novembre 2005 avec les

Facultés de Sciences, Sciences appliquées et l’IGEAT.

Coordination de l’atelier:

Benjamin DENIS (ULB-FUSL) & Sébastien DENYS (ULB)

Présidents de séance :

Edwin ZACCAÏ (ULB) ; Jean-Claude GRÉGOIRE (ULB)

NB : Les textes qui suivent ont été retranscrits à partir des enregistrements du colloque. Ils ont ensuite été revus par lesintervenants. Certains titres et intertitres ont été ajoutés par le Pôle Bernheim et n’engagent que lui.

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Première session de l’atelier

MOUVEMENTS SOCIAUX, EXPERTISES ET POLITIQUES INTERNATIONALES DEL’ENVIRONNEMENT: CHANGER LE MONDE PAR LE SAVOIR ?

THINKING AND NURTURING TRANSNATIONAL ACTIVISM:UNDERSTANDING GLOBAL CIVIL SOCIETY ADVOCACY IN SOUTHEAST ASIA

Dominique CAOUETTE, Université de Montréal

Résumé

a communication a pour objet l’étude de l’activisme transnational associé à la résistance à la mondialisation économique néolibérale en Asie du Sud-est, plus particulièrement dans trois paysde la région, la Thaïlande, la Malaisie et les Philippines. D’une part, cette forme d’action

collective vise l’articulation d’une critique commune du modèle de développement économique néo-libéral adopté par plusieurs États de la région et promu par des organisations multilatérales, tellel’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). D’autre part, cette action cherche à promouvoir des politiques publiques de développement économique et politique qui soient démocratiques, équitableset durables.

La communication proposée portera sur trois réseaux transnationaux établis dans la région et qui sontdirectement impliqués dans l’organisation d’actions collectives d’opposition à la libéralisation écono-mique, aux négociations commerciales multilatérales, et en particulier aux activités de l’OMC. En décembre dernier, la rencontre ministérielle de l’OMC a eu lieu à Hong Kong. Les trois réseaux qui font l'objet de l'étude, Focus on the Global South basé à Bangkok en Thaïlande, Third World Networkbasé à Penang en Malaisie, et Asia Pacific Research Network basé à Manille aux Philippines, ontorganisé une série d’activités et de mobilisations tout au long de 2005 qui ont culminé avec larencontre ministérielle en décembre dernier. L’objectif de cette analyse est de présenter la généalogie de cette forme particulière d’action, d’identifier et d'évaluer les méthodes d'action collective visant latransformation des politiques publiques de ces trois États.

y presentation today is based on an ongoing research that tries to understand how SoutheastAsian civil society activists become involved not only at the local level but try building globalcoalitions across the region. Its starting point is the observation that we have been witnessing

for the past ten years a growing tendency for civil society actors to organize and mobilize acrossborders. In fact, many analysts have been talking about the rise of global activism, especially sincethe 1994 Zapatista uprising in Mexico and the so-called “Battle of Seattle” in 1999.

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WHAT IS TRANSNATIONAL ACTIVISM?

Understanding transnational activism raisesa number of questions. The first question onemight ask is what is it exactly? As SidneyTarrow (2001) and others (Bandy and Smith2005; Smith and Johnston 2002) have sug-gested, transnational activism refers to socialmovements, non-state organizations, networksthat act together across national bordersagainst specific targets, multilateral organiza-tions or a specific state. The important ideahere is that these actors act not only within theirown borders but across borders.

Transnational networks are a relativelyflexible form of organizations oftentimes work-ing on a specific issues or policies. Internationalnon-governmental organizations (INGOs) aremore institutionalised and structured and canbe working on several issues oftentimes relatedto international development. Some INGOs arevery well known –one may think of OXFAM,ActionAid, or Greenpeace. Transnational so-cial movements are usually sectoral move-ments that act and mobilize across borders, forexample Via Campesina. Here, I’m interested in a particular type of NGOs and networks:those that are engaged in knowledge creationthat can be used for collective action.

A second question that might one have iswhy do people act across borders? What arethe common themes around which thesemovements organize? In many instances, theissue of global social justice acts as a masterframe for transnational activism. Besides socialjustice, democratic participation and gov-ernance act as key frames of collective actionallowing these organizations to act together.

Two other related questions emerge as well.How are social groups excluded from globalpolitics and economic processes able to en-gage in international coordinated action? Andalso, what are the resources that allow for suchactivism? Is it a Northern donor driven or is italso driven from the South?

Why are those questions important? In part,because there is a growing interest andsomehow a fascination towards the anti-globalization movement, oftentimes describedas the mouvance altermondialiste. For now, Iwould like to suggest that we have graduallyentered starting in the late 70s into a new era oftransnational coalitions and transnational socialmovements. Although not replacing nation-state centred movements, we are now wit-

nessing the greater importance of globalmovements and organizations that can be con-sidered new forms of non-state actors engagingin actions and mobilizations beyond the bordersof the nation-state.

WHY LOOK AT SOUTHEAST ASIA?

Southeast Asia has experienced as wellsuch a trend towards cross-border collectiveaction. I would suggest in fact that transna-tional activism has become a key axis of socialactivism within Southeast Asia. This is some-how puzzling since Southeast Asia is made upof very different countries, with different lan-guages, and different backgrounds. At the mo-ment, there is not much literature on the regiondespite the fact that the density of INGOs,networks and social movements has rapidlyincreased in the region, especially after the1997 Asian Financial Crisis. At the same time,there is now some questioning about its signifi-cance. What does it mean if activists becomeinvolved at the regional and global levels in re-lation to their struggles at the local and nationallevels? How can one understand the continuityand the complexity of different levels of activ-ism? And also, what makes such transnationalorganizing possible despite the heterogeneityof the region?

To begin answering those questions, I ex-amine three specific organizations namely,Third World Network, Focus on Global Southand the Asia Pacific Research Network. Thesethree organizations represent some of the bet-ter known networks in the region but are alsoplaying a key role not only in the region but alsoglobally as part of the World Social Forum ofPorto Alegre process and the global move-ments of resistance against the World TradeOrganization (WTO). Tentatively, I would sug-gest that transnational activism in SoutheastAsia is both part of a global trend linked tochanges in the international environment andthe relative liberalization of some political re-gimes in the region but also the result of agrowing expertise within civil society that helpssustain such form of organizing.

CHANGES ENABLINGTRANSNATIONAL ACTIVISM

As noted by Tarrow and Della Porta (2005),there are key changes that make transnationalactivism possible. Figure 1 presents thoseschematically.

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Changes in the international environment

The end of the Cold War has allowed fornew forms of collective action by non-state ac-tors to emerge and that are not seen anymoreas the result of the East-West confrontation. Ithas created possibilities of organising acrossborders without it being interpreted by stateactors as the result of foreign intervention ormanipulated from the outside.

A second change is the rapid expansion andgrowth of electronic communications, the Inter-net, the possibility of cheap travelling acrossborders that permit cross-border encountersand participations in global mobilization.

The third is the increasing role and impor-tance of international organizations such as theIMF, the World Bank and WTO and regionalinterstate organizations (for example, APEC -the Asia Pacific Economic Cooperation). Whatwe have witnessed increasingly in the 1990s isthe emergence and consolidation of interna-tional organizations. Those organizations aregradually assuming a number of roles andfunctions that were previously assumed by

states. This is especially true with regards toeconomic and financial management. Unsur-prisingly, social movements and networks havebegun forming transnational coalitions and or-ganizing global mobilizations.

Relational changes

What makes such form of organizing possi-ble is also a second type of changes that canbe labelled as relational changes. With theconsolidation of the world economy and theincreasing strengthening and concentration ofcorporate and economic power, marginalizedsocial groups are oftentimes confronting com-mon “enemies” or targets. For example, small farming communities in Indonesia, in thePhilippines, in Vietnam may be facing the sameseeds or pesticide corporations. They are nowable to identify common vertical targets as wellas shared common identities. Farmers canrelate to each other because their struggle issimilar: they are small farmers facing commonchallenge and with limited power. Transnatio-nal social movements and networks help andfacilitate such collective identity makingprocess.

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Cognitive changes

A third form of changes is the emergence ofa new type of activists that Tarrow and DellaPorta call “rooted cosmopolitans.” With such expression, they seek to describe “people and groups who are rooted in specific nationalcontexts, but who engage in regular activitiesthat require their involvement in transnationalnetworks of contacts and conflict.”(Tarrow andDella Porta 2005: 234) Social activists are bothreflexive agents and action driven, they learnfrom their own experiences but also from theexperience of others. For example, many ac-tivists in the early 1990s were inspired by andlearned from the Zapatista movement inChiapas and began adopting some tactics andreplicating some of its organizing principles. Inmany ways, one can see a certain process ofdiffusion of social activism.

In sum, the growing importance of transna-tional activism can be best explained by lookingat the interplay of these three types of changes.Complex internationalism (i.e. the fact that in-ternational institutions, international regimesand global norms have become more and morecentral important in today’s world) and globalactors (i.e. ‘targets’ of collective action) have created a multi level structure of opportunitiesfor activists that allow them to engage in collec-tive action in various levels (local, regional, na-tional or global). This multi level structure ofopportunities is taken advantage and under-stood as such by certain social movements,entrepreneurs and activists, here referred to asrooted cosmopolitans. These global activistsare rooted in specific national and local con-texts but have the possibility of engaging atdifferent levels. Oftentimes, they share flexibleand multiple identities, being engaged in verylocal struggles as well as transnational action.As you realize, Vandana Shiva, who is heretoday, represents in many ways, the archetypeof a rooted cosmopolitan.

TRANSNATIONAL ACTIVISM INSOUTHEAST ASIA: THREE EXAMPLES

I would like to briefly describe the three dif-ferent transnational networks that I have beenexamining lately. The first one is Third WorldNetwork based in Penang, Malaysia, the sec-ond is Focus on the Global South based inBangkok, Thailand, and the third one is theAsia Pacific Research Network (APRN) locatedin Manila, the Philippines.

What is interesting to note is that thesethree different networks were organised in dif-ferent periods. However, the three became keytransnational organizations and reference forknowledge and discourse in the 1990s althoughthey were organized at different times. InSoutheast Asia, they can be considered im-portant components of the "altermondialistemovement” because of the contribution to analysis and knowledge building around globalfinancial architecture, world trade, food sover-eignty, multilateral institutions, and regionalgovernance.

Third World Network (TWN) describes itselfas “an independent non-profit internationalnetwork of organizations and individuals in-volved in issues relating to development, theThird World and North-South issues”(TWNweb page). Its international secretariat basedin Penang, Malaysia, was first established in1984. Today, TWN has offices in Delhi,Montevideo, Geneva, and Accra and affiliatesin many countries, India, the Philippines,Thailand, Brazil, Bangladesh, Malaysia, Peru,Ethiopia, Uruguay, Mexico, Ghana, SouthAfrica, Senegal and China. TWN has beenregularly involved with multilateral processessuch as the United Nations DevelopmentProgram (UNDP) and the Association of South-east Asian Nations (ASEAN). Beyond participa-tion in official and parallel summits, TWNproduces a wide range of publications: twomagazines (Third World Resurgence and thebi-monthly Third World Economics), books,occasional briefing papers, and regular pressreleases, many circulated through Internet. Itswebsite has become its primary portal for thedissemination of its materials and analyses.

Focus on the Global South (hereafter re-ferred to as Focus) was initially conceived be-tween 1993 and 1994 by its first two co-directors, Kamal Malhotra and Walden Bello. Itwas officially established in Bangkok, Thailandin January 1995. Its co-founders can be con-sidered in many ways rooted cosmopolitansactivists. Bello, a Filipino political economisthad lived in the US for years where he wasvery active in the anti-Marcos dictatorshipstruggle and the international Third World soli-darity movement. He had also worked with aNorthern NGO, the Institute for Food and De-velopment Policy –Food First. Malhotra fromIndia had been involved for years with an inter-national NGO, Community Aid Abroad (CAA –Oxfam Australia) and many other local NGOs.Thailand’s relative political stability and democ-

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ratic space, and the possibility of being associ-ated with the Chulalongkorn University SocialResearch Institute (CUSRI) were two key fac-tors why Focus head office was established inBangkok. Beginning with a small staff (therewere only six in 1996), Focus team expandedrapidly: in 1999, it had already close to 20 staffand about 25 by 2005. It has also opened twonational offices one in India and one in thePhilippines.

The third one, the Asia Pacific ResearchNetwork (APRN) was set up in the Philippinesin 1999 and spearheaded by IBON, a Manila-based research and data-banking centre, es-pecially by its director Antonio Tujan. The for-mation of APRN constituted the product of atwo-year process of consultation and ex-changes of materials among 17 organizationsfrom the Asia Pacific region involved in re-search and documentation efforts. APRN’s initial objectives were to enhance the capacityof selected Asian NGOs in the conduct of re-search; establish at least one NGO in each tar-get Asian country to act as research-informa-tion provider, and to develop common strate-gies in research information work throughsharing of experiences while raising the generallevel capacities in research. After seven yearsof existence, APRN has been able to locateitself as a key research and advocacy networkin Southeast Asia primarily, but also with mem-bers in the broader Asia-Pacific region. Itsmembership has rapidly expanded from 17 to36 members located in 21 different countries.

What do they share in common andwhy do they organise?

First, these three organizations represent aspecific type of transnational activist organiza-tions. They are organizations that intervene inrealm of ideas, knowledge production, and al-ternative discourse, and act primarily at the re-gional and global level. One can argue thatthey can be considered as “think tanks” of civil society. What makes them transnational is thaton the one hand the knowledge they produceseeks to explain regional and global processes,and on the other hand, this knowledge nurturesand sustains collective action nationally andregionally on the other hand. In fact, the threeorganizations offer collective action frameworkthat challenges not only national states but alsothe very regional and global processes repre-sented by, for example the Asia Pacific Eco-nomic Cooperation (APEC), the Association ofSoutheast Asian Nations (ASEAN) or the WorldTrade Organization (WTO). Underlying their

activities, there is the idea that it is essential tocreate and disseminate knowledge that can beused and acted upon by social actors to chal-lenge the dominant order.

Second, the three networks are connectedto various international coalitions around devel-opment issues, global financial architecture,food security, and global social justice. Whilethey may be part of the same international net-works, they are recognized as distinct actorswith their own specificities. Third, all three net-works have expanded since their formation.This expansion was most significant followingthe 1997 Asian Financial Crisis, a time whenthe costs and challenges of Southeast Asianintegration into the global economy becameincreasingly obvious and when various socialsectors (labour, farmers, migrant workers,women, and students) were organizing, seek-ing alternative knowledge to the dominant neo-liberal paradigm.

While sharing much in common, it is inter-esting to highlight the different ‘rationales’ that sustained their formation. Each organizationwas established at different ‘historical times’ and as a result different logics are operating.TWN was set up very much within the logic ofnon-aligned countries, providing a Southernperspectives to issues and engaging both gov-ernment and non-state actors from the South.

Focus and APRN emerged in the context ofneoliberal globalization and sought to respondto such process by providing analyses thatmove away from a tradition North-South di-chotomy (Focus) and strengthen capacity ofpeople’s organization to challenge such form ofdomination (APRN). In fact, APRN is organ-ised very much as a global resistance platformwith the goal of enhancing the capacities ofpeople’s organizations and social movementsto conduct their own policy work and spearheadglobal mobilizations.

6th WTO MINISTERIAL MEETINGIN HONG KONG

If one takes a look at activities that were or-ganized prior to and during the WTO MinisterialMeeting in Hong Kong held in December 2005,one can see how each organization carried outits own activities while taking part in broad coa-litions a long time before the actual event. Asearly as September 2004, they joined the“Hong Kong People’s Alliance on WTO”, a large coalition made up of 110 organizations

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from 23 different countries. At the same time,each network organised its own activitiesaround specific themes.

In June 2005, Focus played a key conven-ing role in an international meeting held in SriLanka that produced the Colombo Declaration.A month later, APRN organized a Trade Con-ference that denounced WTO efforts to extendneoliberal globalization. The same month,these organizations were involved in a mo-bilization that rallied under the slogan “Stop the WTO Corporate Agenda” convened by the Geneva People’s Alliance. Also in July 2005, Focus and a number of regional networks andalliance organized the “Regional Conference onWTO, Development and Migration: BuildingMigrant and People's Solidarity in ChallengingNeoliberal Development and WTO.” In Octo-ber, the Geneva People’s Alliance organized another mobilization to denounce the 10th anni-versary of the WTO. In November, Focus andsome APRN members participated in theBusan International Peoples Forum held duringthe APEC meeting in Korea.

In December, all three networks organizedand participated in a number of meetings,marches and rallies organized together with theHong Kong People’s Alliance, including a hu-man rights speak out day on December 10, aninternational day of protest against GATS(General Agreement on Trade and Services) onDecember 14, a peasant march on December16, and a series of joint mobilizations organizedon December 11, 13, 17 and 18. Moreover,each network undertook its own activities. Forexample, APRN organized its own contingentand various civil society organizations marchedunder the APRN banner during the various mo-bilizations in Hong Kong. Prior to the Ministe-rial, Focus produced easily accessible digitalversatile discs (DVDs) that were used as edu-cational and consciousness-raising tool andwas active in a number of forums organized bythe Hong Kong People’s Alliance on WTO. Finally, TWN explained and analysed at lengthin its various publications its understandings ofwhat was happening within WTO prior, duringand after the meeting through its various publi-cations.

DILEMMAS AND POSSIBILITIES OFTRANSNATIONAL COLLECTIVE ACTION

While transnational collective action offersmany advantages and significant potential fortransformative action, it is not without its own

set of dilemmas. It is possible to identify fivesets of dilemmas and questions that need to beaddressed and confronted while seeking to un-derstand possibilities and potentials of trans-national activism around knowledge creation.

The first is the issue of democratic proc-esses and voices. Who speaks on behalf ofwhom? Are these organizations able to reflecta number of voices? How can a transnationalorganization facilitate or allow voices at thegrassroots to be echoed globally? Are theseorganizations reflecting the views of an anti-globalization elite or are those of broad socialmovements?

A second set of questions revolves aroundthe type of knowledge produced and collectiveaction organized: is this knowledge proposi-tional or only oppositional? In other words, is itonly to resist and oppose or are there concreteproposals?

A third type of questioning is how these net-works are able to link local issues to global is-sues? How is it done and are these networkscapable of connecting local issues and prob-lems with the global context?

A fourth set of dilemmas brought about bysuch type of activism revolves around thequestion of funding and allocation of resources.Should an increasing amount of resourcescoming from funding organizations go towardsregional and global activities or should interna-tional support be directed towards communitylevel activities? While the two are obviously notmutually exclusive, this raises a number ofquestions and dilemmas around how to bal-ance support for community-based work versusglobal engagements.

A fifth set of questions is the delicatebalance between being mobilization driven orcampaign driven versus engaging on long-termproject of knowledge creation and a long-termagenda for social change. Finally, a broadquestion is the issue of policy impact (Risse1995). Do these networks aim at policy influen-ce and if so how do they impact on state andmultilateral organizations?

CONCLUSION

While raising a number of important ques-tions, transnational activism in Southeast Asiais now well established and I would suggestfour factors that make it significant and worth

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understanding. The first one is that they fill animportant gap, social movements, whether it isfarmer’s movement, women’s movement or worker’s movement, have realised that they depend for their collective action on alternativesources of information and knowledge that of-tentimes is not produced by universities. Suchalternative knowledge is produced by intellec-tual activists that are aware of the importanceof providing knowledge that can be acted upon.A second element to underline is that transna-tional activism fosters shared identities and agrowing awareness of belonging to a regionalreality. A third element is that in several in-stances, transnational activists are able to cre-ate and establish links between grassroots is-sues. Global activism does not replace what ishappening at the local level but can be seen asan extension of it allowing different levels of

collective struggles. Finally, in order to under-stand the impact and influence of transnationalcollective action, one needs to understand thetype of states one is confronting, meaning thatdomestic structures matter. In that sense, onecan argue that there is no linear pattern re-garding the impact of transnational activism.

In summary, the rapid expansion, the multi-dimensional activities, the capacity to mobilizeand provide concrete analysis and policyproposals for civil society organizations suggestthat knowledge creation constitutes onespecific niche of transnational activism. While itseems here to stay, its influence on regionaland global economic policies and on regionalintergovernmental organizations remains to beassessed and will constitute an importantanalytical challenge for the coming years.

References

Bandy J. and Smith J., eds. 2005. Coalitions Across Borders: TransnationalProtest and the Neoliberal Order. Lanham: Rowman & Littlefield.

Della Porta D. and Tarrow S., eds. 2005, Transnational Protest and GlobalActivism, Lanham: Rowman & Littlefield.

Risse-Kappen T. ed. 1995, Bringing Transnational Relations Back In: Non-StateActors, Domestic Structures and International Institutions. Cambridge:Cambridge University Press.

Smith J. and Johnston H., eds. 2002. Globalization and Resistance:Transnational Dimensions of Social Movements. Lanham : Rowman & Littlefield.

Tarrow S., 2005. The New Transnational Activism, Cambridge: CambridgeUniversity Press.

Tarrow S., 2001. « Transnational Politics: Contention and Institutions inInternational Politics. » Annual Review of Political Science. 4 : pp. 1-23.

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CONTESTER, ÉVALUER, COLLABORER :DES PRATIQUES DES ORGANISATIONS DE DÉFENSE DEL’ENVIRONNEMENT AU NIVEAU INTERNATIONAL.

L’EXEMPLE DU MÉCANISME POUR UN DÉVELOPPEMENT PROPRE

Benjamin DENIS, ULB/Facultés Universitaires Saint-Louis & Michael ROBERT, ULB

Résumé

es ONG écologistes sont omniprésentes depuis deux décennies dans les débats internationauxrelatifs à la protection de l’environnement. Assurément ces groupements questionnent les typologies généralement utilisées par les analystes de l’activisme politique. Une des carac-

téristiques les plus marquantes de leurs pratiques est l’utilisation d’un discours expert à des fins militantes. Si cette utilisation d’une forme de connaissance atteste, d’une part, d’une certaine diffusion des savoirs en dehors des espaces clos au sein desquels ils sont traditionnellement produits et,d’autre part, d’une diversification des modes de contestation, elle diffuse également un rapport singulier au politique. Ce rapport au politique qui tend à devenir dominant au sein des mouvement(s)vert(s) a souvent été présenté comme le produit de la conversion des élites écologistes à un discoursdavantage gestionnaire que protestataire, préférant canaliser le capitalisme qu’en contester les fondements.

Au travers du positionnement de quelques ONG écologistes par rapport au Mécanisme pour unDéveloppement propre prévu par le Protocole de Kyoto, nous analyserons les ambiguïtés de cetteforme singulière d’activisme politique, qui se pense comme contre-pouvoir démocratique tout encherchant à se poser en partenaire crédible du décideur. Nous nous interrogerons en particulier sur lefait de savoir si le développement d’un militantisme hyperspécialisé et technicisé n’est pas le corollaire d’une «modernité réflexive» (Giddens) et d’une hyper-différenciation des espaces sociaux(Luhmann), deux phénomènes qui tendraient in fine à rendre problématique la construction d’un projet politique global visant une régulation holistique des rapports sociaux. La stratégie contemporaine desONG internationales de défense de l’environnement serait alors une réponse aux évolutions macro-sociales qui ont profondément affecté les conditions d’exercice de l’engagement politique au cours des dernières décennies.

INTRODUCTION

Le fil conducteur de cette session est depasser en revue certains usages de la scienceou des sciences à des fins citoyennes. Il s’agit d’étudier un registre de pratiques où la pro-duction de connaissances n’est pas valorisée uniquement pour sa contribution à l’édification d’un savoir universel, ni d’ailleurs pour les stimuli qu’elle peut apporter à la croissance économique, mais bien en raison du fait quecette production peut servir de support à l’éla-boration d’un projet de résistance ou de trans-formation sociale.

Dans l’histoire, la science a souvent pro-gressé grâce à l’appui des pouvoirs institués qui voyaient dans son développement lemoyen d’élargir la gamme des outils du con-trôle social et de la domination politique. Maisparallèlement – et c’est bien là toute son am-biguïté –la science, tout en contribuant à dé-voiler l’univers des possibles, est l’inévitable corollaire du processus d’individuation qui est à l’origine de l’édification des sociétés démocrati-ques. La science a donc évolué sur une crêtequi sépare le versant de la sujétion de celui del’émancipation.

L

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C’est parce qu’elles nous semblaient ins-crire leurs pratiques sur ce second versant –celui de l’émancipation – qu’il nous a paru inté-ressant, dans le cadre de cet atelier, de pro-poser quelques réflexions sur les ONG de dé-fense de l’environnement. Notre exposé va donc porter sur les grandes ONG de défensede l’environnement en Europe et en Amérique du Nord et principalement l’une d’entre elles, Greenpeace.

Leur tendance à la mobilisation d’un dis-cours expert à des fins contestataires en faisaitdes cobayes de premier choix pour étudierl’articulation complexe entre la productiond’une forme d’expertise et la volonté d’influer sur la décision politique au niveau international.Cela étant, cette articulation révèle un rapport

au politique qui nous semble singulier. C’est ce rapport que nous souhaitons étudier et pour cefaire, nous procéderons en deux temps : pre-mièrement, au travers d’une analyse comparée entre les ONG de défense de l’environnement, d’une part, et certains groupements du mou-vement altermondialiste, d’autre part, Michael Robert mettra en évidence quelques carac-téristiques qui permettront de tracer leslinéaments du rapport au politique de ces ONGde défense de l’environnement. Dans un second temps, je mettrai en exergue la ma-nière dont ces traits dominants peuvent s’incar-ner dans des pratiques et des discours trèsconcrets. En l’occurrence, il s’agira de ceux de Greenpeace autour de certaines dispositionsdu Protocole de Kyoto.

L’EXPERTISE ET LA MOUVANCE MONDIALISTE(M. ROBERT)

Je m’intéresse particulièrement à la mou-vance altermondialiste, forme de contestationhétérogène et multiforme. Certains auteurs ontd’ailleurs parlé de champ multiorganisationnel, ce qui est une de ses caractéristiques.Effectivement, les ONG environnementalesparticipent à cette mouvance et en constituentdes acteurs relativement importants même s’ils gardent leur spécificité.

J’ai croisé des observations effectuées dans les forums sociaux – locaux et européens –avec la littérature qui a été produite au niveaudes forums sociaux mondiaux. Les études quiont été réalisées à cet égard, portent surtoutsur deux types d’organisations: le premier typed’organisation, qui est bien caractéristique de ce que l’on appelle l’altermondialisme, est leréseau international Attac, et le second typeconcerne deux grandes ONG de protection del’environnement, les Amis de la Terre et Green-peace.

Les forums sociaux sont un lieu très propicepour tenter de repérer les points de conver-gence et de divergence entre ces deux typesd’organisations.

Le « militantisme réflexif » commedénominateur commun

Parmi les points de convergence, onconstate tout d’abord que ces rassemblements

altermondialistes se caractérisent par un « mili-tantisme réflexif». Il s’agit en effet d’un mode d’action collectif, centré sur le savoir, la pro-duction de connaissances ainsi que sur l’éla-boration d’alternatives. Ce mode de militantis-me est associé et mis en perspective avec l’ac-tion militante que l’on peut appeler «classi-que», issue davantage de l’histoire et des mouvements sociaux et plus particulièrementdu mouvement ouvrier ou des syndicats. Cettedernière consiste surtout en mobilisations demasse, manifestations, pétitions, blocages,grèves ou actions de boycott.

Le « militantisme réflexif » est facilité par unprofil sociologique commun aux porte-parolesdes organisations en question. Ceux-ci mobi-lisent en général un important capital culturel etrecourent souvent au registre et aux démons-trations de type scientifique. C’est le cas des membres du Conseil scientifique d’Attac et des porte-paroles et principaux militants de Green-peace qui appartiennent souvent au monde dela recherche, qu’elle soit académique ou non, ou entretiennent des liens privilégiés avec lui.

Un deuxième point de convergence est latentative de chevauchement ou d’articulation des domaines de lutte. Les ONG de protectionde l’environnement s’ouvrent à ou redécou-vrent des types de problématiques autres queles thématiques spécifiquement environnemen-tales. La même démarche prévaut également

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pour des organisations comme Attac qui, quantà elles, axent davantage leur réflexion sur desquestions socioéconomiques.

Progressivement, on voit émerger un do-maine de lutte commun et il semble que cesdiverses associations se retrouvent sur desquestions surtout liées à la globalisation –c’est-à-dire la mondialisation économique et fi-nancière –et sur une même évaluation cri-tique des conséquences néfastes de ce pro-cessus de globalisation.

De là, on constate, chez Attac, un intérêtcroisé pour les questions environnementales,notamment de la part de chercheurs étiquetés« économie du développement ». En tant quesous-discipline dans le champ de l’économie académique, l’économie du développement est plus ouverte à des thématiques « hétéro-doxes» comme l’environnement. Ainsi, au sein d’Attac, il existe un groupe de recherche« environnement et développement durable ».À cet égard, on peut faire référence auxmultiples interventions de Susan George surces questions.

Avec les ONG d’aide d’urgence, d’aide au développement, de défense des droits del’homme ou de promotion de la paix, les ONGde protection de l’environnement confèrent à la mouvance altermondialiste une grande partiede sa crédibilité morale et internationale. Parailleurs, à l’instar des syndicats traditionnels, les ONG environnementalistes sont tenues dese positionner face aux altermondialistes parceque, d’un côté, ceux-ci tendent à véhiculer descritiques et des revendications qui sont rela-tivement proches des leurs et, de l’autre côté, elles ne peuvent pas rester à l’écart d’un mou-vement relativement important et très dyna-mique, d’autant que leurs propres adhérents sont souvent militants, voire même adhérents,de cette mouvance.

Greenpeace justifie sa participation à cettecontestation multiforme et hétérogène par « lanécessité d’accroître l’impact de ses cam-pagnes, ce qui passe par un élargissement deson auditoire et un partage de ses préoc-cupations ainsi que par une volonté d’échanger avec les autres composantes sur des do-maines non environnementaux ». Il est aussifortement question de construire des allianceslorsque c’est nécessaire.

Des rapports au politique divergents

Les groupes du type altermondialiste ontété créés après 1994/95 (1998 pour Attac) surune thématique spécifique : la lutte contre lamondialisation financière, surtout pour enévaluer le processus et en dénoncer les effets.Ils définissent ainsi la globalisation financière :une des formes actuelles du développement ducapitalisme et le produit de décisions politiquesreposant sur une idéologie spécifique, à savoirle néolibéralisme, également appelé le libé-ralisme économique, une forme particulière dulibéralisme. Ces groupes dénoncent surtout lesintérêts particuliers des principaux protago-nistes de ce processus : les grandes insti-tutions internationales (le FMI, la Banque mon-diale ou l’Organisation mondiale du Com-merce), les institutions régionales (l’Union européenne), les entreprises transnationales,les instances informelles comme le G8, leForum économique mondial de Davos et lesgrands pays industrialisés, avec les États-Unisen premier lieu. Ces groupes contestentfortement les activités de ces acteurs qui sontjugées néfastes sur les plans à la fois éco-nomique, social, culturel, démocratique ou pourla paix.

Nous avons défini un profil dominant desélites de ce type de mouvements que nousavons appelées des « érudits engagés » car ils’agit surtout d’intellectuels, issus du mondedes sciences humaines, sociologie, science po-litique, économie, histoire et philosophie.

En termes de finalités, ces acteurs visentprincipalement à modifier le cours du proces-sus de mondialisation, dont ils considèrent qu’il ne s’agit pas d’un processus naturel ou irré-versible, dans un sens qui corresponde davan-tage à leurs idéaux de justice, de solidarité etd’équité. Cela passe par le biais de la définition et de la promotion d’une alternative, d’une autre mondialisation, en tout cas d’un autre monde se traduisant, dans le cas d’Attac, par une volonté, certes diffuse mais bien marquée,d’une transformation sociale large. La stratégie utilisée peut être qualifiée de « prosélytismedidactique » : une dynamique de contre-feuvisant principalement à déconstruire le discoursdominant néolibéral et à convaincre par ladémonstration intellectuelle et par la diffusiond’un savoir sur le mode de l’éducation po-pulaire. Cette caractéristique ne s’inscrit pas

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pour autant en rupture totale avec les insti-tutions politiques puisqu’Attac utilise ses ca-pacités à produire des analyses et des dossiersscientifiques afin de peser également sur ledébat public, au niveau local, national, régionalou supra-national. Je pense ici spécifiquementaux liens qui peuvent exister entre lesmembres du Conseil scientifique d’Attac, en France ou en Belgique, et certains parle-mentaires nationaux et européens en vue depromouvoir le vote d’une loi sur la taxe Tobin qui s’inscrit dans une stratégie de trans-formation politique et sociale globale.

Du côté des ONG environnementales,même si elles portent un regard plus intéressésur la critique de la mondialisation, ellessouhaitent conserver leur autonomie et leurspécificité. Leur activité principale ne se ré-sume donc pas à une critique de la globa-lisation mais s’attache davantage à défendre des causes ou des intérêts particuliers qu’elles lient avec un discours global de critique sur lamondialisation libérale et sur le néolibéralisme.Le leitmotiv reste la protection de l’environ-nement, une thématique qui n’est pas pro-blématisée dans une perspective de trans-formation sociale globale.

Greenpeace garde d’ailleurs ses distancesavec certains groupes considérés comme tropradicaux et refuse tout positionnement sur leclivage politique gauche/droite. Elle met ce-pendant à profit sa participation dans lesforums pour diffuser un autre discours quecelui des associations de type Attac. Cela luipermet de réaffirmer la spécificité de la position

écologique face à un engagement et une vi-sibilité de plus en plus prononcés d’acteurs qui ne bénéficient pas du label écologiste sur desthèmes spécifiques comme le réchauffementclimatique.

En ce qui concerne le profil dominant de cesélites, nous parlons de « scientifiques enga-gés » issus surtout des sciences exactes et,dans une moindre mesure, des sciences de lavie. Leur finalité concerne davantage des luttessectorielles, comme la protection des forêts etdes océans.

Leur stratégie se situe à la fois dans la lignemédiatique et dans la contre-expertise de dos-siers. Ces organisations sont souvent présen-tées comme les représentantes d’un militan-tisme fondé sur ces pratiques d’expertises et capables d’associer «coups » médiatiques etrapports bien étayés.

L’exemple de Greenpeace est embléma-tique de cette démarche associative, très pro-fessionnelle, ce qui a permis de mettre enlumière dans les débats publics les théma-tiques écologistes comme le réchauffement dela planète, les OGM ou le nucléaire civil.

Enfin, ces organisations développent uneexpertise alternative afin d’obliger les autorités publiques, les entreprises et les médias àentrer également dans ce jeu de l’expertise et de la contre-expertise, que l’on appelle la que-relle d’experts, ce qui leur permet de s’imposer comme des interlocuteurs compétents et lé-gitimes.

GREENPEACE ET LES PUITS(B. DENIS)

Nous avons travaillé sur le positionnementde Greenpeace concernant une dispositionparticulière du Protocole de Kyoto : la questionde l’inclusion des puits de carbone dans lecadre du Mécanisme pour un Développementpropre (MDP).

Le Protocole de Kyoto, le MDP et les puits

Le Protocole de Kyoto impose des objectifsde réduction et de limitation de leurs émissionsde gaz à effet de serre aux États industrialisésparties au Traité. Pour atteindre les objectifs deréduction qui leur sont assignés par le Proto-

cole de Kyoto, les États parties ont le loisir derecourir à deux types de stratégies.

Premièrement, ils ont la possibilité de mettreen œuvre des «mesures domestiques » deréduction de gaz à effet de serre qui peuventpasser par des réformes dans la politique destransports ou une aide à la réfection deshabitats, par exemple. La deuxième voie parlaquelle les États peuvent amorcer cettepolitique de réduction de leurs émissions desgaz à effet de serre est le recours à ce que l’on appelle les « mécanismes de flexibilité ».

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Le Protocole de Kyoto prévoit trois méca-nismes de flexibilité: le commerce d’émissions, le Mécanisme de mise en œuvre conjointe et le Mécanisme pour un Développement propre.C’est sur ce dernier mécanisme que va porter mon intervention.

Le principe général du Mécanisme pour unDéveloppement propre vise à autoriser lespays industrialisés ou les industries originairesde ces États à obtenir des certificats de ré-duction d’émissions en échange de projets d’investissements qualifiés de «propres » dansles États en développement. Les États indus-trialisés à l’origine de ces investissements pourront ensuite se prévaloir des certificats deréduction d’émissions obtenus, pour atteindreles objectifs de réduction ou de limitation deleurs émissions de gaz à effet de serre qui leuront été assignés dans le cadre du Protocole deKyoto.

Cette question du MDP ne va pas sanssoulever quelques problèmes pratiques quantau fait, par exemple, de savoir comment cal-culer le volume des crédits alloués. Mais laquestion la plus sensible est sans doute celledes activités éligibles au titre de ce Mécanismepour un Développement propre. En effet,devait-on simplement encourager les énergiesrenouvelables et certaines réformes du secteurde l’énergie, par exemple, en modernisant la production d’électricité ou devait-on égalementy inclure les projets de puits de carbone ? Lespuits de carbone sont constitués des végétauxqui contribuent à absorber le carbone del’atmosphère.

Les puits et l’environnement

Cette question des puits soulève deux typesde problèmes: tout d’abord, des problèmes en-vironnementaux, en particulier la question de lapermanence. Certaines études scientifiques –elles ont notamment été répercutées par leGIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat), institution coupole qui produit l’expertise adoubée par les Nations Unies en matière de changement climatique –ont mis en évidence que le stockage de cecarbone était temporaire et que la contributiondes puits de carbone aux concentrations degaz à effet de serre pourrait s’inverser en cas de réchauffement. Jusqu’à présent, les puits ont contribué à retirer du carbone de l’at-mosphère. En cas de réchauffement, certainsscientifiques ont attiré l’attention sur le fait que les puits pourraient contribuer à rejeter ducarbone dans l’atmosphère. Dans ce cas-là, on

assisterait à un phénomène d’emballement du réchauffement.

Deuxième type de problème environnemen-tal posé par la question des puits : celui de labiodiversité puisque la tentation est grande, etelle a d’ailleurs été concrétisée par certains projets, de recourir à la plantation d’essences à croissance rapide sur des surfaces très im-portantes. Cela contrevient bien sûr à la pré-servation de la biodiversité et peut en outreprovoquer des stress hydriques.

L’impact social des projets puits dans le cadre du MDP

Des problèmes sociaux sont égalementsoulevés par la question des puits : lorsque desprojets de puits de carbone sont mis en œuvre dans le cadre du Mécanisme pour un Déve-loppement propre dans des pays en déve-loppement qui connaissent un problèmed’accès à la terre, où il existe des tensionssociales très fortes autour de l’accès aux terres cultivables, le fait que certains États industria-lisés ou que certaines firmes multinationalespuissent s’approprier d’importantes superficies de terres cultivables et ce, pour y développerdes projets de plantations, pose question. Il y alà un grand risque que, sous couvert de luttepour la diminution des émissions de gaz à effetde serre, ces pratiques n’exacerbent les vives tensions sociales que connaissent déjà denombreuses régions.

On peut également évoquer d’autres pro-blèmes comme l’hétéronomisation du projet de développement des sociétés du Sud qui, pourles choix technologiques, les choix d’infras-tructures et la détermination de leur politiqueénergétique, seront de plus en plus dépen-dantes des stratégies de réduction de gaz àeffet de serre mises en œuvre par les Étatsindustrialisés et par certaines firmes multi-nationales.

On pourrait en outre faire remarquer que laforêt est également un milieu de vie et que,dans le cadre de ces puits, les droits despopulations indigènes ne sont pas pris en con-sidération.

Le positionnement de Greenpeace :entre critique et pragmatisme

La position de Greenpeace sur l’inclusion des puits dans le cadre du Mécanisme pour unDéveloppement propre a été formalisée dansun document déposé le 20 août 2002. Tout

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d’abord, Greenpeace prend une position de principe contre l’inclusion des puits dans lecadre des projets de Mécanisme pour unDéveloppement propre. Pour Greenpeace, eneffet, la priorité doit être donnée aux réductionsdes émissions de gaz à effet de serre quiviennent de la combustion d’énergies fossiles. Cela dit, comme l’intégration des puits dans leMDP est autorisée au cours de la premièrepériode d’engagement qui va de 2008 à 2012, il est important, selon Greenpeace, de s’assu-rer que ces projets apporteront un bénéfice à lafois réel, mesurable et durable à la lutte contrele réchauffement. On voit donc émerger uneposture qui relève de ce que j’appellerai un « pragmatisme critique ». Greenpeace va ainsise focaliser notamment sur la question de lanon-permanence et essayer de définir unesérie de critères permettant de garantir ou decontribuer du moins à ce que ces projets depuits dans le cadre du MDP soient des projetsdurables et efficaces du point de vue envi-ronnemental. Dans le chef de Greenpeace,cela passera notamment par la promotiond’une proposition qui avaitété avancée ini-tialement par la Délégation colombienne et quivisait à organiser la délivrance de crédits tem-poraires autour de la question des puits.

Quelles sont les conclusions que l’on peut tirer par rapport au type de positionnement deGreenpeace sur la question de l’inclusion des puits dans le MDP ?

Il s’agit d’abord d’une contestation relative-ment confinée. Dominique Caouette a parlé decampagne transnationale et de cosmopolitismeenraciné dans des mouvements locaux.L’analyse de la stratégie de Greenpeacemontre, du moins sur des sujets aussi tech-niques, qu’il n’existe pas vraiment de cam-pagnes transnationales de mobilisation vers legrand public. Il n’y a pas non plus d’enra-cinement dans un terreau social très concret.

Il s’agit par ailleurs d’un discours critiquetrès technicisé. Greenpeace commente les mo-dalités du dispositif en s’accommodant de laphilosophie sur laquelle ce dispositif repose. Ilexiste donc une volonté de définir des critèrestechniques pour encadrer le MDP mais pas deremise en question fondamentale de la ra-tionalité sur laquelle ce MDP a été construit.C’est par ailleurs un discours critique trèsspécialisé : les critiques restent en effet can-tonnées quasiment exclusivement aux ques-tions environnementales –efficacité de ce dis-positif, non-permanence, biodiversité –mais

les enjeux sociaux et politiques liés à ces dis-dispositifs ne sont quasiment pas abordés parGreenpeace.

Ce positionnement révèle par ailleurs unecertaine tentation du partenariat. On sent chezGreenpeace la volonté de se poser en par-tenaire crédible des décideurs mais égalementdes firmes multinationales par la suggestiond’une série de mesures de cadrage. Certains documents du WWF (World Wildlife Fund)montrent que cette tentation est loin d’être l’apanage de Greenpeace et qu’elle est même peut-être plus forte pour certaines organisa-tions comme le WWF.

EN GUISE DE CONCLUSION

Les discours et les pratiques des ONG dedéfense de l’environnement se caractérisent indéniablement par une grande utilisation dessavoirs scientifiques et plus précisément par laproduction d’une contre-expertise, ceci afin demettre en évidence certains enjeux et pourdévelopper un discours critique. La technicitéet la spécialisation de ces discours sont à lamesure de celles des dispositifs dont il estquestion. Peut-être ces deux propriétés dudiscours de Greenpeace par rapport à l’inclu-sion des puits dans le MDP sont-elles symp-tomatiques d’une société à la fois en cours de globalisation et en cours de différenciation.

En cours de globalisation, car les différentessociétés de la planète sont de plus en plusinterconnectées de sorte que des dispositifsglobaux extrêmement élaborés deviennent né-cessaires à leur régulation. Elles sont en outredifférenciées car le social semble se diffé-rencier en sphères de plus en plus spécialiséeset par conséquent la maîtrise des dispositifs derégulation de ces domaines segmentés requiertune hyperspécialisation de la critique.

Les dispositifs contemporains d’action pu-blique ne sont que le reflet de cette doublecaractéristique et leur critique ne peut dès lorsque passer par une certaine forme de spé-cialisation et de technicisation.

Aujourd’hui, face à cette double évolution, les connaissances à caractère scientifique et lacapacité à fournir une contre-expertise repré-sentent une ressource essentielle pour lesgroupes humains porteurs d’un projet d’éman-cipation sociale et de contestation.

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Cela étant, cette tendance n’est pas sans ambivalence. Le rapport au politique que ré-vèlent des pratiques confinées dans l’orbite des institutions internationales et inscrites dans leregistre de la « contre-expertise environnemen-tale » soulève bon nombre de questions.

Ainsi, comment concilier technique globali-sée et démocratie, c’est-à-dire comment orga-niser concrètement la définition autonome des

orientations collectives d’une société lorsque celle-ci repose sur des phénomènes qui nepeuvent être appréhendés qu’au travers d’un discours savant ?

Par ailleurs et en guise de conclusion, lemilitantisme de dossier des ONG environne-mentales ne risque-t-il pas de glisser vers unpartenariat atone qui ratifie et reproduit la doxades dominants sans parvenir à l’altérer?

Références

- Greenpeace International, "Submission by Greenpeace on Issues related to modalities forincluding afforestation and reforestation under Article 12", 20th August 2002, 16 p.

- Watson R. T., Noble I. R., Bolin B., Ravindranath N. H., Verardo D. J. and Dokken D. J.(Eds.), Land Use, Land-Use Change, and Forestry. Special Report of the IntergovernmentalPanel on Climate Change, Cambridge University Press, UK, 2000, 375 p.

- Della Porta D., Kriesi H., "Social Movements in a Globalizing World: an Introduction", DellaPorta D., Kriesi H., (Eds.), Social Movements in a Globalizing World, London/New-York: McMillan, 1999, pp. 3-22.

- Ollitrault S., "Des plantes et des hommes. De la défense de la biodiversité à l'Alter-mondialisme", Revue française de science politique, Vol. 54, n° 3, juin 2004, pp. 443-463.

- Fréour N., "Le positionnement distancié de Greenpeace", Revue française de sciencepolitique, Vol. 54, n° 3, juin 2004, pp. 421-441.

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SOCIAL MOVEMENT AND BIOPIRACY

Vandana SHIVA,Research Foundation for Science, Technology and Ecology–New Delhi,

Bernheim Chair ULB 2005/2006

In a very narrow sense, biopiracy is thephrase some of us, in the social movement,have evolved to refer to the patenting of lifeforms. I would call it “the piracy from the past”, from centuries of traditional knowledge, cumu-lative and collective innovation. This piracyfrom the past creates a false claim to noveltyand invention even though knowledge hasevolved since ancient times in third worldcountries. It is thus intellectual theft. It alsoleads to resource theft because basically apatent is an exclusive right to exclude othersfrom the use, development and production ofpatented products and processes. Once apatent is taken on traditional knowledge thatexists, it has within it the mechanism to excludethe very communities that generated theknowledge through cumulative and collectiveinnovation and to dispossess them of theirrights. That’s why in fact these patents are being taken.

I would actually like to enlarge this conceptof biopiracy to the piracy from nature becausea patent on life claims to create what nature isactually creating. More often these patents arebased on discovery and not on invention. By itsvery nature a patent on life is not an inventionbecause life cannot be invented. It can be ma-nipulated, damaged, mutilated but not invented.Moreover, evolution is the process of millions ofyears of all living organisms, changing, self-or-ganising, mutating internally and giving us thediversity of life forms we have on this planet. Itis in the nature of living organisms to do twothings that non-living cannot do: to multiply andto reproduce.

We are facing now two main kinds ofpatents:

- Patents covering technologies that are de-signed for one purpose only: how to stop evo-lution, how to stop living systems from evolving.In that respect, one of the issues coming upbefore the international community is the tech-nology that the social movements have named“terminated technology” because its objective is to terminate fertility and seeds;

- Patents covering genetically engineeredseeds in order for them to become sterile sothat farmers could never grow out another cropfrom these seeds. As a result, the corporationswould gain an enlarged market by forcingfarmers to come to the market place each year.

This is what I call the “piracy from the fu-ture”. This piracy from the future is not just in the deliberate design of sterile seeds. It is alsoin the deliberate denial of farmers’ societies, cultures and the denial of the capacity of citi-zens to be able to opt for what kind of cropsthey will grow and what kind of food they willeat.

Across the world, where people have hadthe free choice and the appropriate information,there has been a global rejection of geneticallyengineered seeds and crops. Where people donot receive this information –for instance, inthe US where there is no labelling law –no-body knows which food is genetically engi-neered, which is not, and then these engi-neered crops and seeds have spread.

To sum it up: citizens’ rights on environ-mental and health safety end up being definednot as fundamental rights guaranteed underdemocratic constitutions but as interferencewithin free trade.

I would like to present some of our activi-ties and campaigns in the domain of patenton life.

First, it is important to emphasize the factthat it is quite a challenge to bring the verycomplicated idea of patent to ordinary citizensbut I think we have succeeded through variousinnovative initiatives.

Our basic argument has been the following:the ideas of a patent on life and of intellectualproperty rights are inappropriate to the domainof living systems. This has had a huge impact.It has led to the questioning of the Trade Re-lated Intellectual Rights (TRIPs) in WTO; manygovernments have taken on these issues

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and submitted proposals on how the TRIPsshould be re-written. The TRIPs review is amandate under article 27.3 B of the TRIPsagreement. It’s also a mandate under article 71.1. It is a part of the Doha round that is con-stantly under revision, but giant industry shipsthe TRIPs and does not want a changing of thelaw. So while we continue to work on reviewand reform of TRIPs real issues are notnegotiated, they are just dictated and whoeveris quicker and more clever in manipulating getsthe agenda through. So we know that we haveto continue to raise those questions at theglobal level but at the same time we also haveto create other means to change that regime.One of these means is legal activism and wehave many examples of biopiracy all over theworld.

Among our activities and initiatives inthat respect, I would like to introduce somecases we did not let pass.

The first one was the neem teeth denti-frice. The neem is a tree we have used forpesticide control and medicine for centuries. Itsuses are documented in every ancient litera-ture. The twig of the tree is used as a teethbrush.

In 1984, I had a big surprise: I discoveredthat a US company was claiming that it hadinvented the first use of neem for pesticide. Wedug up the patent and we dug up other patents.We took it to the European Patent Office andthe US Patent Office on the basis of a mobili-sation we called the “Neem Campaign”. 100.000 farmers, healers, doctors, etc., signedthat petition. The US Patent Office said: what isyour commercial interest? We answered thatwe have a civilisation interest in neem, not acommercial interest. They replied: sorry, youmust have a commercial interest. We will en-tertain your challenge but we will not engageinto a public interest challenge. Fortunately, theEuropean Patent Office does have considera-tion on public morality and we were able tobring the case. We fought it for eleven years inorder to establish two things:

1) to create public education on issues ofpatenting and biopiracy and

2) to force the regimes that institutionalisethese perverse patents to retract, thus accept-ing that the patent system is not a very reliablesystem: you can take any existing knowledgeand if you are the quickest you can file a pat-ent.

The patents are granted at national level or,in the case of Europe, at the European PatentOffice. But no European patent inspector hasany idea of what the Amazonian or Africantribes use. It is then very easy to distil knowl-edge, put it into a certain format and claim it tobe an invention.

That’s exactly what happened with ourBasmati rice. Anyone in the world knowsBasmati rice and yet a company in Texas, RiceTech, claimed that it had invented the plant.

Again, we took that challenge on and wefirst took the issue to the public. There werehuge rallies organised in Delhi, protests organ-ised at the US embassy to say: you are piratingour biological and intellectual heritage. We alsowent to the Supreme Court of India to force theIndian government to take on this challenge.We said that we, as citizens, we can do it oncein a while but it’s really the duty of the State toprotect the national heritage. The governmentwas reluctant. I also went to Rice Tech inTexas, found church activists who joined thiscampaign. We had an Internet campaign,which basically wrote to the US Patent andTrademark Office, USPTO, that if they do notstrike down this patent, we would have to re-name them the US Piracy and Theft Office.

The combination of these multiple pressuresended up with a revocation of 99% of that pat-ent.

The more recent biopiracy we had to fightwas a Monsanto claim to an ancient Indianwheat variety, which is very low gluten andlow-elasticity. Monsanto claimed to have “in-vented” the properties of this indigenous Indian wheat. We fought that case with Greenpeaceand this patent has also been stroke down.

As you noticed from these examples, onecase takes 10/11 years. It takes a lot of mobili-sation. Citizens win these cases because theydon’t fight them merely as legal cases. We fight them as social movements. It is the pressureand the embarrassment from the social move-ments that really force the revocation becauselaw is the kind of thing that you can alwaysbend in favour of the powerful. Moreover ourpressure is also on our own government as itsduty is to protect our national heritage.

There is of course a very big problemaround this issue: biopiracy is being legalised

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through what are called Access and BenefitSharing Arrangements. You, as farmer, havethe knowledge, you have the biodiversity, we,as corporation, will have access to it, we willpatent it and we will give you 0.1% share out ofthe profits we make. But, even if the farmer re-ceives 0.1%, in fact, taking a patent means thatthe corporation will have the right to excludethe farmer from using neem for skin care, aspesticide, etc. It therefore means the denial ofthe rights that should be inalienable. Benefitsharing in financial terms is actually economi-cally extremely damaging to local communities.So we have to continue to deal with the discus-sion on Access and Benefit Sharing Arrange-ments.

There is another political movement onbiopiracy, which I think is growing and isgoing to find new convergences in the fu-ture.

In India, we started in 2002 to take the issueof biopiracy to an organised political level. Inthe Indian Constitution, we have the recognitionof local village communities as the highestcompetent authority through the amendments73 and 74 to our Constitution. On that basis,we have organised massive mobilisation at vil-lage level to basically declare ‘Biodiversity Re-publics’. In the Indian language, these Biodiver-sity Republics are called “The Democracy of Life”. They are focused on being GMO free, patent free, chemical free zones.

With respect to GMOs, Europe has alsoevolved something very similar but totally inde-pendently. 3.600 local governments havepassed resolutions saying that they will be

GMO free zones and 160 regional govern-ments have declared they will never allowGMOs to enter.

I believe that these movements for creatingnew freedom zones are a way of redefining therules of trade, intellectual property and thepatents of utilisation of our biodiversity.

For us, fighting biopiracy is fighting for in-trinsic worth of all life forms and therefore it isan ethical movement. Fighting biopiracy is forus the most important anti-poverty movementin the world because two-third of humanity liveson biodiversity. Outside of the industrial sys-tem, you either have a forceful economy or youhave a biodiversity economy. The majoritywould live in a biodiversity economy. The de-nial of our rights to our own biodiversity meansincreasing poverty. The forced payment ofroyalties means more outflows. A rough cal-culation shows that patents on seeds wouldmean a trillion dollars of payments by the Souththat produced the genetic diversity of crops tothe North and Northern companies would liter-ally steal that genetic diversity.

It is also a sustainability movement becauseif biodiversity is being locked into patents, therewill be less of biodiversity, more manipulationof it and more contamination. The defence ofbiodiversity and the defence of sustainable useof biodiversity require that we create alterna-tives to the monopoly system linked to patents.The way we are doing it is to defend the biodi-versity and the intellectual heritage that goeswith it as a commons, as a public good. That’s what our involvement in democracy move-ments aims to do.

References

http://www.vshiva.net

http://en.wikipedia.org/wiki/Biopiracy

Shiva V., The neem tree. A case history of biopiracy. (http://twnside.org.sg/title/pir-ch.htm)

Shiva V., Biopiracy: The Plunder of Nature and Knowledge. South Press. 1997

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Seconde session de l’atelier

PENSER LES SCIENCES DANS LA SOCIÉTÉ :QUEL IMPACT SUR LA CONSTRUCTION DES SAVOIRS SCIENTIFIQUES ?

EN FINIR AVEC L’IMAGE DU SOMNAMBULE

Isabelle STENGERS, ULB

Résumé

'image du scientifique créatif comme somnambule est datée du début du XXe siècle (Planck) etelle a trouvé ses lettres de noblesse avec la notion de paradigme due à Thomas Kuhn. Lesomnambule (en général situé sur le faîte d'un toit) est celui qui ne doit surtout pas être réveillé,

qui ne doit pas prendre conscience des risques qu'il prend. De même, la créativité du scientifiqueaurait besoin d'une foi (aveugle) quant à la pertinence de son approche.

Cependant cette image correspond aussi à ce que le philosophe Whitehead appelait le "profes-sionnel" inventé au cours du XIXe siècle, celui qui travaille avec d'autant plus d'efficacité et de rapiditéà creuser son sillon qu'il ignore, juge avec arrogance, mépris et naïveté ce qui se situe en dehors dece sillon.

Enfin, l'image du somnambule correspond bel et bien au mode de formation des scientifiques tel qu'ilest apparu en Allemagne (Liebig, école de Giessen) et s'est étendu à toute l'Europe.

Le somnambule ne désigne pas un chercheur isolé, absorbé dans une recherche "pure", mais plutôtun chercheur fonctionnant sur un double registre de pensée - esprit critique et lucide à l'intérieur de sacommunauté, et esprit "phobique", réclamant de ne pas avoir à s'intéresser à ce qu'il affirmera "nonscientifique" alors même que, le cas échéant, il contribue à une innovation appelée à transformer lemonde commun. Il n'est pas naïf pour autant : il déchiffre son monde en termes d'opportunités, entermes de ce qui lui permettrait d'étendre et de renforcer l'importance de ce qui compte pour lui.

Au moment où nous entrons dans ce qu'il est convenu d'appeler une "économie de la connaissance",les universités continuent à former des chercheurs somnambules, habitués à opposer ce qui est"vraiment scientifique", et ce qui est de l'ordre du bavardage ("éthique"), qu'il faut bien tolérer. Il estplus que temps d'apprendre à résister à la fois à l'image du scientifique-somnambule et au mode deformation qui fabrique en effet des phobiques persuadés que ceux qui leur demandent de s'intéresserau monde où ils vivent constituent une menace.

En tant que tel, le personnage du som-nambule n'est ni négatif, ni positif. Somnam-bules, nous le sommes tous un peu, en cesens où ce terme traduit la puissanceéventuellement extraordinaire de la répartitionque nous ne cessons d'effectuer entre ce àquoi il faut faire attention et ce qui peut êtrenégligé.

Ainsi, une célèbre expérience en psycho-logie cognitive présentait un film où desjoueurs, dont certains étaient en tee-shirtblanc, se passaient de multiples ballons. Ilétait demandé aux spectateurs de compter lespasses entre joueurs en tee-shirt blanc. Tâchedifficile, demandant beaucoup de concentra-tion. Et ce que, de manière régulière, ceux

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qui sont ainsi absorbés à compter les passesne voient pas, c'est qu'entre les joueurs, quicontinuent leurs passes de manière imper-turbable, se glisse un acteur déguisé en gorille(noir !) qui fait un grand geste face à la caméraavant de quitter la scène. J'ai subi ce test et jen'ai pas vu le gorille. On est tellement attentifaux passes que l'on ne remarque pas cetteintrusion pourtant évidente.

Nous sommes donc tous un peu som-nambules mais l'image du somnambule, tellequ'elle est véhiculée dans nos institutions aca-démiques, est très différente car elle lie som-nambulisme, attention sélective et créativité, etc'est ce qu'affirme l'image du somnambule sepromenant sur le faîte d'un toit, exigeant qu'onne le réveille surtout pas. Affirmant son droit« de ne pas voir le gorille ».

Pour être créatif, est-il souvent affirmé, lechercheur doit croire que ce qu'il étudie estd'une importance centrale. Étant donné que sacréativité est en jeu, il doit aussi considérer queceux qui veulent attirer son attention vers desproblèmes non scientifiques lui « veulent dumal ». Pourquoi ? Parce qu'ils veulent le ré-veiller et que s'il se réveille, il « tombera »,c'est-à-dire perdra sa créativité de scientifique.Cette perte potentielle se reflète égalementdans le type particulier de sourire qui accom-pagne la réponse : « oui, mais ça, ce n'est passcientifique », remarque qui n'a d'ailleurs par-fois pas besoin d'être formulée explicitement (lesourire suffit). On peut en outre citer de grandsphysiciens qui ont dit : « il ne faut pas que lesétudiants en science étudient l'histoire dessciences ». Pourquoi ? Parce qu'elle pourraitinspirer des doutes quant à la stabilité de cequi est aujourd'hui l'état de l'art.

AUX ORIGINESDU SCIENTIFIQUE-SOMNAMBULE

Prenons un peu de recul : il est possible dedater l'image liant somnambulisme, attentionsélective et rejet de ce qui pourrait attirerl'attention sur la sélection elle-même. Elle datedu XIXe siècle et nos universités sont héritièresdu type d'événements auxquels cette imagepeut être associée. C'est à Giessen, en 1825,que le chimiste Liebig innove en ce qui con-cerne la formation des chimistes. Auparavant,cette formation prenait de très nombreusesannées. Quelques décennies plus tôt, on pou-

vait même lire dans un article del'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert que lachimie était une passion de fou car une vieétait nécessaire pour devenir un bon chimiste.Or, à Giessen, le doctorat prend trois ans.Cela signifie que sont éliminés l'histoire de lachimie, les recettes des artisans de la chimieet tout ce qui n'est pas immédiatement utilepour « faire avancer » l'état de l'art tel que lesprotocoles et les instruments le définissent.

L'innovation de Liebig a connu un grandsuccès. Les chimistes européens et américainsvont alors se former à Giessen et dans d'autresuniversités allemandes qui adoptent le mêmemodèle. A tel point que, dans de nombreuxromans du XIXe siècle, lorsqu'ils mettent enscène un chimiste, ce dernier est bien souventdoté d'une épouse allemande : il a épousé lafille du patron du laboratoire allemand où il aété faire ses études.

Le modèle de Giessen a produit ce quenous connaissons tous, c'est-à-dire des com-munautés à la fois responsables de la pro-duction de savoir et de la reproduction deschercheurs. Ce lien constitutif entre productionet reproduction est devenu l'idéal général denos universités.

Au XIXe siècle, le renouveau de l'industriechimique allemande est avant tout dû à latransformation de l'ensemble des pratiques detype artisanal par des pratiques liées auxprotocoles mis au point dans les laboratoiresuniversitaires. Les étudiants sortis des labo-ratoires universitaires sont immédiatementutiles pour passer du protocole de rechercheau développement industriel. Mais Liebig estl'un des premiers à promouvoir l'image d'unescience désintéressée et autonome à laquelleon ne peut pas imposer de questions, seu-lement bénéficier de ses retombées, en d'au-tres termes, l'image de la poule aux œufs d'or. Si l'on veut une science féconde, il ne fautdemander aux scientifiques ni de se justifierquant à leurs choix de recherche, ni de rendredes comptes sur les raisons pour lesquelles ilsla mènent en privilégiant tel aspect et pas unautre. Il faut nourrir le scientifique comme onnourrit la poule, pour ses œufs d'or, ou le respecter comme on respecte le somnambule.

On a donc une situation duale : le scien-tifique qui se veut désintéressé, mais qui pro-duit des savoirs « en or », immédiatement en

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prise avec le développement industriel. Lesuccès de ce modèle a été énorme. Il s'agitd'une association entre, d’une part, une science qui a les moyens d’assurer un dé-veloppement rapide, dont les scientifiques sontlibres de coopérer avec ceux pour qui leursrésultats pourraient valoir de l’or, mais sanscompte politique à rendre et, d’autre part,desalliés (industries, États) qui non seulement bé-néficient de ces résultats, mais aussi de l’au-torité de la science et de la définition d’un point de vue scientifique, objectif, pour faire taire lesobjections et les doutes.

L’ensemble crée non seulement une dépo-litisation de ce que l’on appelle développement, mais aussi une expulsion de ce qu’on appellera les « grandes questions », notamment cellesqui reviennent aujourd’hui avec l’évidence du caractère anti-durable de ce développement.

LE NOUVEAU CONTEXTE

Nous sommes au début d'une nouvellehistoire, qui voit la fin des prétentions de lapoule aux œufs d’or. Dans le résumé intro-ductif, j'ai associé cette histoire à « l'économiede la connaissance », et ce matin, VandanaShiva nous a parlé de quelques aspects decette économie de la connaissance, en par-ticulier du rôle absolument dominant que peu-vent prendre les commanditaires des recher-ches scientifiques par la prise de brevet qui estdésormais systématique, même sur des pro-ductions scientifiques autrefois vues commefaisant partie des « commons », des bienscommuns de l’humanité.

Parler des commons, c’est marquer l’ana-logie avec un terrible épisode du début de ceque l'on a appelé l'industrialisation enAngleterre, c'est-à-dire le mouvement desenclosures. Les communautés paysannes ontété détruites par le fait que des lieux où, pardroit coutumier, elles pouvaient mener paîtreleurs animaux, chercher du bois, etc., ont étéclos. La primauté du droit de propriété les aalors condamnées. Le droit de propriété estdevenu le droit d’abuser.

Aujourd'hui, le droit de propriété joue un rôlede plus en plus important dans les recherchesscientifiques. Une des conséquences pourraiten être une remise en question de cetteconstruction - déjà discutable mais qui avait sa

stabilité - de la recherche académique parrapport à ceux qui la nourrissent. Cette cons-truction, qui permettait aux scientifiquesd'effectuer leurs recherches sans être im-médiatement soumis aux impératifs des com-manditaires et, éventuellement, au secret quiva avec le droit de propriété, assurait éga-lement une fiabilité relative de leurs recherches(du moins dans ce qu’elle prenait en compte).En effet, la fiabilité d’une production scien-tifique provient non d’une éminente rationalitéqui serait celle de l’«esprit scientifique », maisavant tout du caractère collectif de cette pro-duction, des exigences et épreuves qui dé-cident de son acceptation.

Aujourd'hui, avec l’économie de la connais-sance, qui signifie que la production de con-naissance est devenue trop importante pourqu'on la laisse aux mains des scientifiques,pour qu’on ne la mette pas directement au service de la cause sacrée de la lutte pour lacompétitivité, cette fiabilité est mise enquestion, en même temps que le caractèrecollectif de la recherche. Si l’avenir de ce que propose un scientifique ne dépend plus de sescollègues, mais de l’intérêt des commandi-taires, ce qu’on appelle l’objectivité des scien-ces ne sera plus seulement une simplificationdangereuse, mais un pur et simple mensonge.

Les universités, qui se sont créées sur lemodèle de la formation de somnambuleshyper-créatifs, devraient à mon sens réfléchir àce nouveau contexte. En effet, la formation dejeunes scientifiques n'a pas encore pris acte dunouveau paysage dans lequel la recherches'effectue. Je peux à cet égard témoigner de latrès rapide démoralisation de beaucoup dejeunes chercheurs en sciences. Ils sont tou-jours éduqués sur un mode qui leur demandede résister à la « séduction » des grandesquestions, ils sont toujours prêts à définircomme ennemis ceux qui les inciteraient à seposer ces questions dites non scientifiquesmais ils savent qu’ils vont devoir travailler là où on leur dit de travailler et ont perdu ce qui lestenait et les poussait à créer, c'est-à-dire le défide produire quelque chose qui tienne contre lesobjections de leurs pairs. Le modèle de lapoule aux œufs d’or se retourne contre eux, car il leur interdit de poser la (grande) question dece qui leur arrive et leur permet seulement degémir à l’irrationalité montante, comme une poule qu’on égorge.

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FIABILITÉ ET LUCIDITÉ

Un autre aspect de la nouveauté contem-poraine est l'apparition de mouvements d’ob-jection et de lutte de non-scientifiques qui ré-clament de se mêler de ce qui n'était pas censéles concerner, c'est-à-dire les mécanismes dechoix et de décision en matière d'innovation oude relations entre science, développement etsociété qui concernent l’avenir commun. On peut ici se référer à l'ancienne définition desintellectuels – ceux qui, à l’époque de l’affaire Dreyfus, étaient accusés de se mêler de déci-sions de justice qui ne les regardaient pas.

De tels mouvement auraient vitalement be-soin de scientifiques qui ne soient pas dessomnambules, qui soient fiables, d'une fiabilitéqui est précisément celle que menace l'éco-nomie de la connaissance, mais qui soientaussi lucides, capables de se présenter pour etavec ce qu'ils savent et non comme re-présentant « le point de vue scientifique »,censé être le point de départ pour toute miseen problème valide d’une situation, capables de définir avec précision les conditions defiabilité de ce qu'ils savent et de mettreégalement en lumière dans quelle mesure cesavoir est pertinent pour la situation à proposde laquelle ils interviennent, quitte à soulignerle besoin crucial de savoirs différents, de « co-experts », diplômés ou non, sans lesquels leurpropre savoir ne sera pas fiable. Il s'agiraitdonc de scientifiques qui, contrairement auxsomnambules, pourraient être considéréscomme partenaire fiables parce qu’ils sauraient cultiver l'appétit pour le co-apprentissage de ceque requièrent les situations où un savoirscientifique est en jeu, mais pas aux com-mandes.

Le scientifique dont nous avons besoin etque l'université, en tant qu’institution publique, devrait avoir la charge de former est celui quisaurait que la valeur et la signification de cequ'il connaît, dans chaque situation, dépendd'autres savoirs qui peuvent éclairer lesdifférences entre les situations concrètes etcelles, hautement purifiées et contrôlées quisont les lieux de naissance des savoirsscientifiques.

Aujourd’hui, lorsque les mouvements de contestation expérimentent des trajectoiresd'apprentissage, c'est-à-dire apprennent à ensavoir de plus en plus sur une question commepar exemple celle des OGM, ils rendent

également perceptible la naïveté des scien-tifiques promoteurs, en l’occurrence des scien-tifiques de laboratoire qui comprennent l’agri-culture à partir des laboratoires. Ceux-ci sonttrès mal préparés à affronter les objectionsautrement que par des arguments d’autorité, et c'est leur désarroi, leur recours à des ar-guments dogmatiques qu'ils véhiculent lors dedébats publics. Lorsque je contemple de telsdébats, il m’est difficile de m’étonner que les facultés scientifiques recrutent trop peu d’étu-diants : ces facultés, et les formations qu'ellesdispensent, ne correspondent plus au mondequi est le nôtre, un monde où les sciences nesont plus (il était temps) vues comme la sourceultime du progrès.

Il me semble que les mouvements decontestation ainsi que les initiatives de typejury-citoyen sont une chance pour l’université,une chance d’avoir un avenir digne de ce nom, c’est-à-dire de résister à l’asservissement à l’économie de la connaissance. Il ne s’agit pas de dire que les jurys de citoyens auraient pourresponsabilité de décider ce qui est bon pourl’avenir, ils n’en ont ni la capacité ni la légi-timité. En revanche, leur responsabilité pourraitconsister à tester les discours et savoirs desscientifiques qui accompagnent et légitimentles projets d’innovation et de développement.

Au Moyen Âge, les « testatores » testaientl'or que les alchimistes présentaient au prince.Les citoyens peuvent devenir d'excellentstestatores de l'or de la fiabilité de l'expertiseainsi que de la contre-expertise, parce que cequ’ils sont parfaitement capables de repérer estla manière dont ceux qu’ils interrogent et à qui ils demandent de répondre aux objections lesuns des autres se situent par rapport à lasituation en cause : pensent-ils la situation oupensent-ils en l’ignorant, en mettant leur savoir et ses perspectives aux commandes? L’atti-tude du somnambule, ici, devient perceptible etlétale.

Lorsque les scientifiques innovateurs - ceuxqui ne se bornent pas à fabriquer du savoirregardant d'abord leurs collègues - seront con-frontés à de véritables testatores, intéressésautant par leur zone de savoir que par leurzone de naïveté et d'arrogance, ces scien-tifiques réclameront alors d'être formés autre-ment, sur un mode qui ne les voue pas àl’arrogance et à la naïveté des somnambules mais leur donnent l’appétit des questionsouvertes par les situations où ils sont appelés àintervenir.

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Il existe donc une dynamique par rapport àlaquelle, pour le moment, l'université estpassive, mais dont il faut souligner qu’il y va pour elle de l’une de ses rares chances d’apprendre à changer de rôle, à former des

savoirs et des chercheurs capables de penserdans un monde où nul, ni l’État et l’industrie qui furent leurs alliés traditionnels, ni ceux quiluttent et résistent, ne les considèrent pluscomme la « tête pensante» de l’humanité.

Références

Stengers I., La vierge et le neutrino. Les scientifiques dans la tourmente, Paris, LesEmpêcheurs de penser en rond, 2006

Stengers I., La volonté de faire science, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2006

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LE TRAVAIL DE MODÉLISATION AUX PRISES AVEC L’EXIGENCE DÉMOCRATIQUE : LE PROJET PEPAM ET LES CONDITIONS D’UN

APPRENTISSAGE CROISÉ ENTRE EXPERTS ET CITOYENS

François MÉLARD,Unité de Socio-Économie, Environnement et Développement (SEED)-ULg

Résumé

a construction d’un outil de gestion implique tout à la fois des connaissances, des anticipations, des choix sur les pratiques qu’elles visent à gérer. Dans le cas de la gestion des risques liés à l’usage des pesticides en Belgique, un « outil scientifique » (sous la forme d’un modèle et de ses

indicateurs) est mobilisé et transformé afin de participer à une politique publique de diminution desrisques. Les experts et modélisateurs d’un institut de recherche public ont proposé –avec l’aide de chercheurs en sciences humaines – d’ouvrir à la discussion au sein d’un panel de citoyens la pertinence de la construction et de l’usage de leur modèle. Par cette situation expérimentale, plusieurs intérêts peuvent être poursuivis : évaluer la capacité de citoyens à apprendre et à s’approprier une thématique complexe et technique et à faire des propositions visant à « améliorer », voire à« dépasser » le fonctionnement dudit modèle ; mais aussi et surtout à étudier les conditions parlesquelles les experts eux-mêmes peuvent apprendre des remarques et suggestions de citoyensconcernant leur pratique. C’est de ce double enjeu qu’est né le projet PEPAM. La présentecommunication vise à rendre compte de ses principaux enseignements lorsqu’ils touchent la question de la construction participative et démocratique d’outils scientifiques et de gestion dans le domaine environnemental.

Ma communication va porter sur une re-cherche qui s’est terminée il y a quelques mois et qui a, autour du destin d’un modèle, engagé des chercheurs en sciences humaines (socio-logues, philosophes) et des modélisateurs,pour la plupart des ingénieurs agronomes.

L’objectif de ma présentation est de tenter de montrer comment il est possible d’imaginer de produire des petits « décalages » chez lesdifférents acteurs qui tournent autour de cemodèle. Dans ce cadre, déterminer « qui doitapprendre d’une démarche participative ? » estune question qui doit rester ouverte. Il existe eneffet un développement de toute une série dedispositifs participatifs qui vise à confronter desinnovations technologiques à l’appréciation et à l’opinion avisée de panels de citoyens.

PEPAM est un petit projet fonctionnantcomme un test. Le fait que cela soit un test apermis davantage de souplesse. En effet, s’il s’était agi d’un programme de recherche à

échelle réelle, on aurait assisté à une compi-lation d’enjeux d’une dureté telle que ce projet n’aurait pas pu avoir lieu. En outre, l’aspect « test » permet également à certaines per-sonnes de s’impliquer sans s’engager complè-tement. Cependant, le désavantage du test estcertainement que certains enjeux-clefs condi-tionnant la durabilité du dispositif mis en placene peuvent s’exprimer facilement.

Cette recherche consistait à mettre endiscussion un modèle de gestion des risquesliés à l’usage des pesticides en Belgique. Il faut savoir que le gouvernement belge s’est engagé à diminuer de 25 % les risques liés àl’usage des pesticides. Nous sommes arrivés au moment précis où les modélisateurs duCentre d’Étude et de Recherches Vétérinaires et Agrochimiques, responsables du dévelop-pement de ce modèle de gestion des risques,ont fait savoir qu’ils aimeraient ouvrir à la discussion les rouages et le fonctionnementde ce modèle ainsi que sa pertinence.

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Modélisation et panel de citoyens

Préalablement à l’ouverture de laboîte noireque constitue ce modèle, un accord politique aété conclu stipulant que c’était ce modèle-là quiserait utilisé afin de décrire les risques liés àl’usage de molécules entrant dans la compo-sition des pesticides. Il y avait en effet deuxpositions possibles : soit on se tournait versune politique de gestion des volumes de pes-ticides en Belgique et l’on diminuait donc la quantité des pesticides, soit on privilégiait unepolitique de diminution des risques associésaux pesticides. Une discussion avec les indus-triels a donc eu lieu : ils ont réussi à fairepasser l’idée qu’il fallait diminuer les risques et non les volumes de pesticides car cette der-nière option aurait eu un impact direct négatifsur leurs revenus. Par ailleurs, lorsque l’on parle de gestion des risques, cela laisse lapossibilité de négocier (éternellement) sur cequ’est un risque.

Il est intéressant de noter que, dans ceprojet, ce sont des modélisateurs qui se sonttournés vers nous qui travaillons dans ledomaine des sciences humaines pour nousdemander comment l’on pourrait produire quelque chose de plus robuste au niveau dufonctionnement de ce modèle, intitulé PRIBEL.Avec eux, nous avons imaginé d’organiser une mini conférence citoyenne : mini conférencecar il s’agissait de constituer un panel de ci-toyens directement ou indirectement concernéspar les pesticides - agriculteurs, apiculteurs,consommateurs et membres de sociétés hor-ticoles.

Je mentionne les apiculteurs car PRIBEL aété testé d’un point de vue citoyen sur une deses parties qui est l’indicateur abeille. La modé-lisation repose en effet sur toute une séried’indicateurs qui étudient l’impact des pestici-des sur sept dimensions : le consommateur,l’applicateur de pesticides, les oiseaux, les abeilles, les organismes aquatiques, les versde terre et l’eau souterraine. Nous avons porté notre choix sur l’indicateur abeille étant donné la situation de controverse actuelle sur leurmortalité en Wallonie et la demande explicitedu ministère de la Santé à ce sujet.

Il a ensuite été décidé de présenter à cepanel de citoyens le fonctionnement du mo-dèle, ses usages possibles, son histoire et soncheminement, c’est-à-dire la jonction entre unedécision politique (prendre des mesures) etune décision scientifique (faire en sorte queces mesures se concrétisent par un outil d’éva-

luation scientifique). Nous sommes arrivésjuste après la décision politique, ce qui peutégalement constituer un problème puisqu’il avait été décidé de réaliser une gestion sur labase des risques et non sur la base desvolumes de pesticides.

Pour nous, scientifiques et experts du projetPEPAM, la question nouvelle devient la sui-vante: que signifie l’entrée dans le destin d’un modèle scientifique au travers d’une démarche participative dans laquelle sont impliqués desmodélisateurs, des scientifiques de scienceshumaines et des citoyens ?

Dans la perspective d’une écologie des pratiques (Stengers 2006), il s’agit d’examiner ce qui devient central et de créer un moded’hésitation dans nos pratiques, mode d’hési-tation qui ne se double pas d’un jugement porté de manière unilatérale sur ce qui vaut ou non lapeine d’être mis en question.

Je vais aborder cette démarche à partir detrois points de vue différents : le point de vuedu panel de citoyens, celui des chercheursengagés dans ce travail et celui de l’insti-tution de recherche chargée de développerle modèle. Quel type de « réflexivité » pouvait-on espérer du point de vue de chacun de cestrois acteurs ?

COMPÉTENCES CITOYENNES

Dans le premier cas, l’approche des con-férences citoyennes consiste à supposer quedes citoyens peuvent apporter une valeurajoutée au destin d’une innovation technolo-gique, sur l’appréciation de son fonctionne-ment, de sa justesse, etc. Dans la littératurescientifique, on se rend compte que, dans cer-taines situations, le panel de citoyens peutposséder des compétences que n’ont pas les scientifiques. On a par exemple constaté queles citoyens ordinaires peuvent cadrer les pro-blèmes plus largement que les experts car ilsne sont pas contraints par les frontières dis-ciplinaires; qu’un panel de citoyens permet de mobiliser un spectre d’expertise plus large enamont des décisions ; qu’en outre, l’implica-tion participative des citoyens permet d’éprou-ver les limites des modèles d’experts; que lesjugements des citoyens peuvent débouchersur des sensibilités accrues aux valeurs et ausens commun; qu’ils peuvent être davantage et spontanément portés à l’identification des alternatives que ne le seraient les experts ; etenfin que les citoyens sont plus aptes à ins-

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titutionnaliser les regrets, à s’accommoder de l’incertitude et à considérer les possibilités d’erreurs dans les décisions. Il existe donc des compétences. On considère donc qu’en im-pliquant des citoyens au sein d’un dispositif participatif, on arrivera peut-être à rendre uneinnovation technologique plus robuste.

Évidemment, ces compétences associéesaux citoyens ne sont pas innées. Elles ne semanifestent que lorsque ces citoyens sont misdans des situations où ces compétencespeuvent s’exprimer. C’est là où réside la dif-ficulté. Je ne crois pas qu’il existe vraiment de recette miracle car cela tient beaucoup à ladynamique (chaque fois locale) dans laquelleles citoyens sont partie prenante.

Dans le cas de PRIBEL, nous étions face àla difficulté suivante : en acceptant de centrerl’analyse de l’évaluation sur l’indicateur abeille et en tenant compte de la controverse qui sedéroulait à cette époque en Belgique sur le lienentre les pesticides et les abeilles, le risqueétait que les citoyens se limitent à reproduireles positions bien établies et figées des diffé-rents acteurs sur la scène médiatique concer-nant la question des pesticides. Mais cela nes’est pas déroulé ainsi car le panelde citoyensa agi en véritable panel : ainsi, les agriculteurset certains apiculteurs qui participaient aupanel ont contribué à la dynamique du panel etont été au-delà de la position de leur repré-sentant institutionnel.

On ne peut pas attendre d’un panel decitoyens qu’il joue le même rôle que les dé-cideurs politiques. Un panel de citoyens ex-plore les différentes dimensions et fait mêmecoexister au sein de ses propositions despoints de vue divergents. Quant à lui, ledécideur doit trancher, effectuer des arbitrageset provoquer des gagnants et des perdants. Il ya là une complémentarité entre les différentsrôles.

RÉFLEXIVITÉ DES CHERCHEURS

En second lieu, du point de vue des cher-cheurs, une question importante concerne lamanière de produire de l’intéressement suffi-sant entre nous (sociologues, philosophes, in-génieurs agronomes, etc., d’universités diffé-rentes). Par exemple, que signifie posséderune connaissance suffisante du modèle pourque des citoyens puissent se positionner ? Quedoivent-ils recevoir comme informations dumodèle et de sa situation politique et écono-

mique pour pouvoir se faire une idée sur unequestion centrale et cruciale ? En général, etparadoxalement, c’est la mise en contradiction des experts qui porte ses fruits (non pas pourdiscréditer leur jugement, mais pour les rendresensibles à d’autres dimensions qui leur sont liées).

Cette question était posée au sein del’équipe et concernait la mise en œuvre du dispositif participatif. Elle s’adressait à la fois aux modélisateurs et à nous-mêmes mais touten se posant de manière différente.

Que signifie avoir une connaissance suffi-sante, d’un point de vue politique et d’un point de vue technique ? Par exemple, du point devue des sciences humaines, jusqu’où peut porter notre hésitation à traiter de domainessociaux et politiques liés à l’usage du modèle PRIBEL, sachant que les décideurs politiquess’étaient déjà engagés sur une voie, celle de la réduction des risques et non des volumes despesticides. Nous avons donc eu une discussionau sein de l’équipe pour savoir si nous pou-vions engager les citoyens à traiter aussi dequestions qui vont bien en amont de cepourquoi PRIBEL était défini.

Par ailleurs, ce travail de participation col-lective et citoyenne a mis les modélisateursdans une situation réflexive très intéressante.Elle a porté sur deux aspects: tout d’abord, ils ont été amenés à décrire leurs pratiques d’une manière nouvelle ; ensuite ils ont été amenés àentrevoir PRIBEL et son rôle dans la politiquede gestion des pesticides de manière diffé-rente.

En ce qui concerne leurs pratiques, ils sesont rendu compte que, dès la préparation dela conférence citoyenne, ils étaient mis dans lasituation de devoir présenter PRIBEL et le faitde devoir le présenter à des non-scientifiquesleur a posé plusieurs problèmes ; par exemple,jusqu’où devaient-ils expliciter les choix quisont entrés dans la construction de PRIBEL ?PRIBEL est certes un modèle scientifique maistout modèle scientifique suppose des choix :va-t-on utiliser tel indicateur, comment le cons-truire, etc.

L’effet positif a donc été pour eux la né-cessité de se poser la question de déterminerce qui a été nécessaire politiquement dans letravail scientifique pour aboutir à ce modèle.Certains citoyens ont ainsi renvoyé aux mo-délisateurs une autre manière de voir cequ’est PRIBEL. Ils ont utilisé des métaphores

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comme par exemple : « votre modèle est unepassoire » (non pas dans un sens négatif duterme mais pour signifier que ce modèle servaità discriminer entre plusieurs sortes de pesti-cides).

RESPONSABILITÉ DES INSTITUTIONS

Enfin, quelle a été la position desinstitutions des modélisateurs par rapport àce travail d’ouverture? Nous avons fait laconstatation suivante : les modèles ne sont passupposés être confrontés au public, ils ne sontpas construits dans ce but. Nous avons en effetremarqué qu’il existait une véritable économie des modèles en ce qui concerne leurconstruction et leur déroulement. De manièregénérale, les modèles se passent de main enmain, d’individu àindividu. La plupart du temps,un modèle n’est pas accompagné d’une « traçabilité sociale et politique » permettant dereconnaître ceux qui ont participé à sa cons-truction car, très souvent, un modèle estadapté en fonction d’exigences techniques, politiques et économiques ou des demandesqui sont adressées aux scientifiques. End’autres termes, pour que les citoyens puissent se rendre compte de la vie de ce modèle et desa pertinence par rapport aux questionsessentielles qui sont de réduire de 25 % lesrisques liés aux pesticides, il fallait leur fournirla généalogie du modèle.

Dernier élément : au niveau de la réflexi-vité des institutions, il s’agit de savoir comment une institution va pouvoir prendre encompte l’avis de ces citoyens. C’est pour moi une grosse difficulté : on peut arriver, jepense, à travailler avec des chercheurs, car ilexiste des relations de confiance et de défimais comment ce travail peut-il opérer unemodification sur l’institution, sur les pratiques mêmes de création et de production desmodèles ?

Pour illustrer ce dernier point et en guise deconclusion, je voudrais citer l’exemple suivant:notre équipe (Unité SEED de l’ULg) ainsi qu’une équipe de l’Université d’Anvers ont été chargées d’une évaluation des conférences citoyennes sur les tests génétiques, initiées parla Fondation Roi Baudouin. A la fin de ce tra-vail, les citoyens du panel ont organisé uneconférence de presse lors de laquelle ils ontremis leur avis sur ces innovations technolo-giques que sont les tests génétiques et ils ontmis en avant leurs propositions. Un mandatairepolitique présent dans la salle a alors deman-dé : «...et maintenant, qu’allez-vous faire ? ».Étonnée, la représentante du panel de citoyensa répondu : «mais c’est à vous d’agir main-tenant ! ». On a donc pu constater qu’il existait une coupure entre les citoyens et les éluspolitiques sur la manière de donner suite et detenir compte politiquement de la valeur ajoutéeapportée par le panel de citoyens.

Références

Stengers I. (2006). La vierge et le neutrino. Les scientifiques dans la tourmente. Paris: LesEmpêcheurs de penser en rond

http://www.seed-ulg.be

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LES PANELS DE CITOYENS OU LA CONSTRUCTION COLLECTIVE D'UNEEXPERTISE CITOYENNE

Nouveaux espaces publics de débat et de délibérationau service de la démocratie

Benoît DERENNE, Fondation pour les Générations futures

Résumé

e nouvelles formes de participation citoyenne voient le jour, parmi lesquelles le « Panel deCitoyens », également appelé conférence citoyenne. C’est ainsi qu’en France, Suisse, Espagne, Danemark et Belgique, de telles initiatives se sont multipliées.

Les objectifs de cette nouvelle dynamique :

- Ouvrir et favoriser le débat public et médiatique sur des enjeux de société ;- Confier aux décideurs un avis, outil de décision complémentaire ;- Contribuer à l’apprentissage de la participation et de la délibération ;- Créer des échanges entre citoyens et politiques par l’aménagement d’un espace de dialogue.

La démarche de la Fondation pour lesGénérations futures s'appuie sur le constat sui-vant : il nous faut réoutiller notre démocratiecar il n'y aura pas de développement durable sinous n'impliquons pas les citoyens dans la co-construction de ce qu'ils souhaitent commeconditions de vie soutenables à l'avenir. C'estpourquoi la Fondation a décidé de tenterd'innover et de lancer, dès 2001, des Panels decitoyens en Belgique.

Ce choix vient tout d'abord de la prise deconscience que nous sommes face à un fosséd'incompréhension qui s'élargit toujours plusentre les autorités et les citoyens, en raison del'accroissement de l'individualisme et de lacomplexité ainsi que du sentiment de perte demaîtrise des uns et des autres. Un autre élé-ment qui nous a poussés dans cette voie con-sistait à lancer des paris positifs sur l'intelli-gence des citoyens et des hommes politiqueset sur la valeur des avis des non-experts. Entroisième lieu, nous avons l'intuition qu'unesorte de « modern style democracy » est né-cessaire : en d'autres termes, réinvestir lasphère publique mais à certaines conditions ;créer de nouveaux espaces de dialogue ;

inciter les citoyens à s'investir dans le politique,mais de manière limitée car la vie des citoyensa également évolué et l'investissement dans lepolitique en général depuis le berceau jusqu'àla tombe n'est peut-être plus le modèle àpromouvoir ; enfin, réapprendre la délibération,ce qui est essentiel dans un monde où lesespaces de réelle délibération sont toujoursplus ténus. C'est ainsi que nous nous sommeslancés dans des dynamiques de panels déli-bératifs de citoyens.

DES PANELS AUX NIVEAUX LOCAL,RÉGIONAL, FÉDÉRAL …

Le premier a débuté en 2001, en Brabantwallon, et portait sur l'aménagement du terri-toire, la mobilité et le développement durable.Ce projet se situait dans le contexte de lafuture révision globale des plans de secteur enrégion wallonne, révision qui, pour finir, n'a paseu lieu.

Néanmoins, nous avions anticipé le mou-vement et nous voulions montrer qu'il étaitpossible qu'avant même l'émergence du pro-

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cessus décisionnel du côté politique, c'est-à-dire la définition de l'orientation du ministrechargé de l'aménagement du territoire, lescitoyens pourraient avoir un mot à dire quiviendrait s'ajouter aux avis des experts, del'administration ou des bureaux d'études quisont de toute façon consultés.

En 2003, nous avons lancé une initiativesimilaire, au niveau fédéral et local, sur laquestion des OGM agricoles.

… ET EUROPÉEN

Enfin, nous avons initié un Panel deCitoyens européen, sur les rôles des espacesruraux dans l’Europe de demain. Cette initiative pilote est faite en partenariat avec d’autres fondations, dont notamment la FondationCharles Léopold Mayer et la FondationBernheim, ainsi qu’avec des autorités pu-bliques régionales et européennes et desinstitutions expérimentées dans les processusparticipatifs.

Après un lancement officiel au Comité desRégions le 10 mai 2006, des panels régionauxont pris place dans dix régions d’Europe. Des délégués de chaque panel se réuniront auprintemps 2007 en un panel paneuropéen,élaboreront une perspective citoyenne euro-péenne sur le thème abordé et remettront leuravis aux autorités européennes et régionalesconcernées.

UN PROCESSUS RIGOUREUX

Les processus de panels délibératifs decitoyens sont régis par un certain nombre derègles. Je souhaiterais en évoquer quelques-unes.

Je commencerai par le tirage au sort descitoyens. Traiter avec un nombre limité decitoyens pose toujours le problème de la légi-timité du groupe. Nous en sommes cons-cients. En effet, en quoi 15, 20 à 40 citoyenssont-ils légitimes, représentatifs de la popu-lation et de sa diversité ? Lors du tirage au sort,il est donc important de rendre compte de ladiversité de la population. Les spécialistes enmarketing savent depuis longtemps qu’un petitgroupe d'individus possède en lui énormémentde diversité. C'est pour cela qu'il existe depuisde nombreuses années des panels de con-

sommateurs que les spécialistes du marketingréunissent et qui sont très efficaces.

Ensuite, les destinataires doivent être claire-ment identifiés ainsi que le ou les enjeux enamont du processus de décision. Dans la plu-part des cas, il s'agit d'enjeux technologiques.Mais nous pensons que les enjeux non tech-nologiques peuvent aussi être questionnants etpris en compte par des méthodes de ce type.Par exemple, le panel de citoyens européen vatravailler sur l'avenir du monde rural. Ce n'estpas vraiment une question de transformationtechnologique même s'il s'agit d'une technolo-gie de société puisque c'est la transformationdu monde rural qui est en cause.

Nous établissons également un « contrat àdurée déterminée » entre citoyens, facilitateurs,personnes ressource et pouvoirs publics. Cecontrat recouvre, comme son nom l'indique,deux grandes notions : celle de contrat et cellede durée limitée.

Dans tous les panels que nous avons misen place - et nous le retrouvons égalementdans les autres modèles qui sont développésdepuis de nombreuses années, au Danemark,en Allemagne, en Suisse, etc. - cette notion decharte est essentielle : elle est écrite préa-lablement, elle est adoptée par les différentesparties et elle détermine le rôle de chacun ainsique son engagement dans le processus. Nousavons donc une logique de contractualisationqui facilite les choses par la suite.

Par ailleurs, il est important de favoriser unetrès grande autonomie et une très grandeindépendance dans l'échange des savoirs.

Enfin, un processus de délibération et deproduction d'un avis commun non contraignantvient s'ajouter et informer les décideurs qui,d'une manière ou d'une autre, devront trancher.

CONSTRUCTION COLLECTIVE D'UNEEXPERTISE CITOYENNE

Je vais illustrer cette construction par quatreparoles de citoyens qui reflètent la manièredont on peut mener à bien ce processus.

1. Les individus sollicités remarquent sou-vent : « Pourquoi moi ? Je n'y connais rien ».Nos collègues doivent alors les motiver et leurexpliquer que, précisément, c'est bien le fait

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qu'ils ne soient pas experts qui nous intéresse.En effet, c'est la valeur de leur expertise quo-tidienne que nous recherchons, en d'autrestermes, la valeur d'un avis non expert maisprocédural qui s'inscrit dans un processus deconstruction d'avis.

Ce « pourquoi moi » fait écho aux réactionsdes experts et des protagonistes en généralsur l'inutilité de rechercher l'avis de citoyens quine peuvent rien nous apporter. Cette réactionest fréquente. A cela s'ajoute la crainte qu'enprivilégiant leur contribution, les citoyens« fassent de l'ombre » par exemple aux élus,aux spécialistes de tel ou tel domaine quitravaillent sur le long terme alors que lespanels de citoyens se situent davantage sur lecourt terme.

Le « pourquoi moi » et cette technique detirage au sort nous amènent à sortir de leur« tanière » un certain nombre de citoyens qui ysont terrés depuis de très nombreuses années.Dans le processus en Brabant wallon, parexemple, sur les 150 citoyens qui avaient ré-pondu positivement lorsqu'ils avaient été con-tactés, 40 % d'entre eux n'appartenaient à au-cune association, n'avaient pas participé à unmouvement de jeunesse, ne faisaient riend'autre en dehors de leur vie quotidienne, deleurs relations familiales et amicales. Ilsn'étaient pas impliqués dans la confrontation àla structuration du corps social et donc no-tamment à la confrontation des points de vue.Ces 40 % de citoyens que nous avons ra-menés dans nos filets étaient extrêmementprécieux.

2. La deuxième parole de citoyen est celled'une jeune femme qui reconnaissait que leprocessus était ardu mais, comme l'ambianceétait bonne, elle s'accrochait. En effet, lescitoyens se sont engagés dans un processusqui leur demande un énorme travail et puisqu'ily a tirage au sort, il y a également disparitédans l'information, le parcours personnel etl'origine sociale et professionnelle de chacun.Nous devons pouvoir gérer cette disparité etaccompagner spécifiquement ceux qui ont da-vantage de difficultés. Nous cherchons à cetégard à casser les logiques de leadership. Laqualité procédurale est alors très importantecar elle garantit que tout le monde puisse avoirla parole. En effet, entre un chômeur et unnotaire, n'est-ce pas le point de vue du notairequi va s'imposer de facto au groupe ? Cesquestions sont inhérentes au processus ainsiqu'à la gestion et à la facilitation du processus.

Dans ce cadre, nous pouvons constater lagrande maturité dont font preuve les citoyensainsi la qualité des débats qui en découle.Maturité des citoyens en termes de choix desexperts : dans la procédure, pour garantir àtoutes les parties prenantes qu'un panel decitoyens n'est pas orienté par ceux qui l'or-ganisent, nous établissons une liste d'expertsvers lesquels les citoyens vont pouvoir setourner. Cette liste d'experts est équilibrée parun comité de validation qui, lui-même, estextrêmement dosé pour que tout le monde s'yretrouve.

Dans le cas des OGM, nous avions établiun comité de validation au sein duquel les proet les anti OGM s'équilibraient. Nous avionségalement donné aux citoyens la possibilitéd'aller au-delà de la liste d'experts proposés etd'en choisir d'autres. Par exemple, nous avionsorganisé deux panels, l'un en Wallonie, l'autreen Flandre. Les citoyens du premier panel ontdécidé de demander l'avis d'un philosophe.Ceci démontre la capacité des citoyens non-experts à sortir du champ technique ou tech-nologique et d'identifier une question beaucoupplus large qu'ils veulent pouvoir poser à unphilosophe. Mais en contrepoint, ils ont éga-lement demandé l'avis d'un vendeur d'OGM.C'était la première fois depuis six ans queMonsanto entrait dans un débat public enBelgique vu les tensions accumulées les der-nières années. Le panel a également souhaités'adresser à un utilisateur et il n'a pas étéquestion d'aller chercher un agriculteur bio. Ilsont fait venir quelqu'un de la FédérationWallonne de l'Agriculture qui est le syndicattraditionnel du monde agricole.

Nous avons donc été très impressionnéspar cette grande maturité, tant dans le domainede l'aménagement du territoire que celui desOGM.

Vient ensuite une autre question : celle del'adaptation et de la capacité des citoyens àinterroger le processus. Par exemple, au coursdes auditions que nous organisons, les parti-cipants demandent aux facilitateurs s'il neserait pas possible de réunir tous les expertssur un seul plateau, plutôt que d'organiser desconfrontations de points de vue à la fin de lajournée. Initialement, des binômes confron-tants sont prévus, après que, pendant lajournée, les participants ont entendu le pointde vue de chacun et leur ont posé la question« piège » (dans le cas des OGM, la questionétait : donnez-nous deux raisons d’aimer et

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deux raisons de détester les OGM). Cela dé-montre une fois de plus cette grande maturitéet cette capacité d'adaptation.

Enfin, à tout moment, les citoyens se viventcomme un groupe et comme un groupe ex-trêmement attentif aux manipulations.

Ce risque de manipulation fait écho à laprésence des experts. Les experts sont con-frontés les uns aux autres et mis en compé-tition pour gagner le point de vue des citoyens.Ils ont donc, de ce fait, l'obligation d'arriver àleur parler. Il s'agit-là d'une pratique à laquelleles scientifiques ont rarement l'habitude de seplier parce que les citoyens sont considéréscomme n'ayant pas la formation qui leur per-mettrait a priori de comprendre le jargon desscientifiques.

Dans le cas de cette double confrontation àlaquelle les experts doivent faire face, quellessont les conditions d'un dialogue ? Il faut qu'il yait capacité d'écoute mutuelle, ouverture auquestionnement, mise à niveau et anti-jargon-nement et, globalement, la confiance mutuelleest nécessaire. En effet, rien ne peut se pro-duire si le citoyen considère que l'expert nepeut l'éclairer sans le mener en bateau et, ducôté de l'expert, celui-ci doit avoir confiancedans le fait que les citoyens peuvent le com-prendre. Il doit donc opter pour un discoursclair et précis.

3. Voici une troisième phrase que jevoudrais citer : celle d'une dame qui, lorsquenous étions assez loin dans le processus,disait : « j'espère que l'on tiendra compte denotre avis ».

4. Enfin, la quatrième phrase est la suivante :« nous ne sommes pas des experts mais nousne nous laisserons plus faire ».

Ces deux dernières réflexions m'amènent àla question des nouvelles expertises. Il noussemble, d'un point de vue pragmatique, quenous avons observé des citoyens mis en situa-tion d'une nouvelle appréhension de la com-plexité. Dans un monde qui, aujourd'hui, esttoujours plus complexe, il s'agit-là d'une qualitéextraordinaire car elle amène à une vision pa-noramique et multidimensionnelle de la réalité.S'y ajoute pour les citoyens la reconnaissancedes difficultés auxquelles les hommes poli-tiques se trouvent confrontés lorsqu'ils doiventprendre des décisions et trancher, dans unmonde qui, pour eux également, est toujoursplus complexe. On fait ainsi reculer le « not inmy backyard », ce rejet des citoyens et ce « y-a-qu'à » qui est sans cesse renvoyé à la figuredes politiques.

A cet égard, nous exigeons de la part despolitiques qu'ils s'engagent également dans unprocessus qui consiste à revenir vers lescitoyens une fois qu'une décision a été prise etd'en expliciter les raisons. Dans le cadre d'unprocessus de ce type, cette pédagogie politi-que est une obligation.

En dernier lieu, je voudrais souligner quenous avons pu constater deux autres typesd'expertise : d'une part, l'apprentissage à laconfrontation des points de vue individuels etau dépassement de ces points de vue indi-viduels ; d'autre part, un apprentissage à ladélibération. Nous pensons en effet que ladélibération doit être revalorisée à tous niveauxet redéployée. Nos élus devraient être incités àdonner de la valeur à la délibération citoyenneet à promouvoir des congés citoyens quicréeraient les conditions de l'implication descitoyens dans cette délibération publique etdonc dans ce réinvestissement du champpolitique au sens noble du terme.

Pour en savoir plus

Sites :

Les panels de citoyens initiés par la Fondation pour les Générations futures :http://www.fgf.be/index2.php?section=page&ID=59

Le Panel de Citoyens Européen : www.citizenspanel.eu

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Publications :

« Panels de citoyens : des OGM au champ ? - Dialogue entre sciences, technologies,politiques et société ». Téléchargement gratuit :http://www.fgf.be/index2.php?section=publication&ID=17

« Le panel de citoyens : Quel Brabant wallon pour demain ? - Vade-mecum d´une expériencede participation citoyenne ». Téléchargement gratuit :http://www.fgf.be/index2.php?section=publication&ID=10

Vidéo :

« Le panel de citoyens : Quel Brabant wallon pour demain ? - Cassette VHS et DVD ». Surcommande auprès de la Fondation :http://www.fgf.be/index2.php?section=publication&ID=10

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LE SÉMINAIRE D'EXPLORATION DE CONTROVERSES :FORMER DES AGRONOMES À LA CONSTRUCTION COLLECTIVE

DE SAVOIRS TRANSVERSAUX

Sébastien DENYS, ULB

Résumé

es dernières années, les controverses publiques se sont multipliées. Elles combinent in-certitude scientifique, intensité du débat public et forte mobilisation de la société civile. Ellesmanifestent le discrédit qui touche certains modes de régulation. Ni l'autorité de la science, ni la

légitimité représentative du politique ne semblent plus suffire à asseoir et légitimer des décisionspubliques.

Pour les scientifiques, ces controverses sont porteuses d'une forte ambiguïté. Si jamais l'expertisescientifique n'a été autant mise en cause dans des arènes extra-scientifiques, jamais non plus lessavoirs experts n'ont été autant mobilisés. Des profanes font émerger des questions et des approchesdont il faudra tenir compte.

Plutôt que de considérer les controverses publiques comme inutiles ou néfastes, nous voulonsdiscerner ce qu'elles peuvent nous apporter notamment à partir des travaux qui soulignentl'importance de l'hétérogénéité des pratiques scientifiques et le rôle moteur des controverses dansl'avancée des connaissances.

L'expérience du Séminaire d'exploration de controverses propose de se frayer un chemin à partir desituations puisées dans l'actualité. L'Internet a été choisi comme un terrain privilégié permettantd'observer les nouvelles formes d'appropriation et de production de savoirs qui interpellent et, de plusen plus souvent, contraignent les pratiques scientifiques. Les étudiants relatent leurs parcours derecherche à l'aide d'une interface électronique, un carnet de bord (weblog), dans lequel ils consignentles observations récoltées lors des rencontres avec la profusion d'acteurs, d'arguments et desituations offertes à l'exploration.

J'ai été amené à m'occuper d'un séminaired'exploration de controverses dont je vais vousparler. Ce séminaire s'est mis en place à lasuite d'une rencontre entre un projet multidis-ciplinaire dans lequel je travaille, le Pôled'attraction interuniversitaire « Les loyautés dusavoir », d'une part, et, d'autre part, une sec-tion interfacultaire - l'École interfacultaire desbio-ingénieurs - qui, en raison d'une séried'évolutions institutionnelles, a été amenée àdévelopper des formations interdisciplinaires,afin de se positionner par rapport aux autresinstitutions et développer une formation propreau sein de l'ULB.

CONTROVERSES

Les controverses publiques se développentsur toute une série de thématiques. Elles com-binent incertitude scientifique, intensité desdébats publics et forte mobilisation de la so-ciété civile. Nous allons essayer de voir dansquelle mesure ces controverses peuvent êtreconsidérées autrement que comme inutiles ounéfastes, en nous inspirant des travaux de lasociologie des sciences qui valorisent les con-troverses dans l'avancée des connaissances.

Au départ du projet, il s'agissait d'aborderdes controverses publiques avec un ancrage

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scientifique, ces controverses publiques étantabordées dans les deux sens : leur compo-sante scientifique a des implications sur lasphère publique et, inversement, les enjeuxpublics ont des implications pour les pratiquesscientifiques.

Par ailleurs, il n'existe pas de solution pré-définie ou de corpus de connaissances sta-bilisé. Ces controverses sont donc actives etouvertes. Une variété de perspectives etd'acteurs sont en jeu sans que l’on puisse définir a priori l'importance des différentes di-mensions. En outre, en partant de controversesactives et non clôturées, la participation à lacontroverse est mise en avant : l'explorationmodifie la situation explorée. Les travaux sontpubliés sur Internet, reliant des éléments quin'ont peut-être pas été réglés jusqu'à présent.D'autres personnes qui s'investiraient danscette thématique auraient la possibilité d'avoiraccès au travail des étudiants. Par exemple, ungroupe avait conclu son travail en mettantl'accent sur la nécessité du développementd'une législation pour encadrer les lâchersd'espèces potentiellement invasives. Quelquessemaines plus tard, nous avons été contactéspar un attaché parlementaire qui voulait inter-roger un ministre sur cette question et qui ademandé à se procurer le travail des étu-diants. Plusieurs exemples de ce type montrentque dans certains cas ce travail peut entrer enarticulation avec une situation donnée.

Le caractère exploratoire du séminaire doitégalement être mis en avant. Il comporte deuxdimensions : d'une part, les sujets proposésaux étudiants ; par définition, on ne sait pas oùl'on va aboutir puisque le sujet n'est pasclôturé. D'autre part, le séminaire lui-même semet en place de manière expérimentale car, àpartir de ces quelques éléments que je vousprésente, la mise en œuvre est réalisée en fonction des circonstances, des opportunités,des possibilités qui se dégagent. Par exemple,le semestre passé, lors de sa présence enBelgique dans le cadre de la Chaire Bernheim,Vandana Shiva a participé à une séance duséminaire.

USAGE D’INTERNET

La dernière caractéristique est l'utilisationd'Internet. L'hétérogénéité des acteurs surInternet est un facteur important. En outre, cesacteurs sont accessibles de manière immé-diate. Dans la mesure où le séminaire necomporte que quinze heures de cours et que

l'on ne demande pas de travail extérieur, larapidité d'accès est un atout. Un avantaged'Internet est que les acteurs s'expriment sanshiérarchies a priori du point de vue de lavaleur des arguments exprimés. L'autreavantage est la possibilité de se constituer dessavoirs sur le net. A cet égard, l'évaluation dela pertinence des informations accessibles surInternet est en soi tout un problème. Une autredimension est l'utilisation d'un dispositif -weblog - qui permet aux étudiants, au fur et àmesure de leur travail, de poster comme dansun carnet de bord, une sélection de leursrecherches. Ce qui permet de suivre ce qui esten train de se passer. C'est pour moi un outilde travail : chaque semaine, je commente cequi a été posté sur le weblog.

En termes d'objectifs, l'intérêt serait d'arri-ver à ce que les étudiants acquièrent denouvelles façons d'appréhender des problè-mes qui se posent, qu'il s'agisse de problèmesscientifiques qu'ils pourraient rencontrer dansleur pratique de scientifiques ou de problèmesd'expertise, de décision politique, de gestion.

Lors du séminaire, les étudiants travaillenten groupe. J'introduis la première séance. Cequi est important à ce stade-là est que je mesitue, lors de la première séance, commeengagé dans la controverse sur les OGM. Ilfaut savoir que pendant plusieurs années j'aiété l'un des acteurs de cette controverse, cequi m'a valu un procès pour avoir pris part à ladestruction d'un champ d'OGM de Monsantoen 1999. Je me présente donc commeactiviste et engagé, si bien que même si je metrouve dans une position d'autorité et que lesétudiants sont donc, dans une certaine me-sure, obligés de tenir compte de ce que je leurdis, dans une autre mesure, vu leur bagage etle mien, ils peuvent difficilement prendre pourargent comptant ce que j'avance. Je leur disqu'ils représentent l'aspect scientifique et queje représente l'aspect public et nous essayonsd'articuler le tout.

Au début, nous leur demandons d'effectuerdes recherches sur Internet ce qui représenteune profonde immersion dans les multiplesdimensions. Très vite, se fait jour la nécessitéde trier dans les problématiques abordées, dechoisir des angles d'attaque, de laisser tombercertains aspects, d'organiser des discussionsde repositionnement sur les recherches àeffectuer. Vers les deux tiers du séminaire, jeleur demande d'identifier et de rencontrer despersonnes ressource, d'assister à des confé-rences, etc. A la fin, deux ou trois séances

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sont consacrées à un travail sur l'articulationdu problème et sur la façon de le présenterpubliquement afin de percevoir ce qui se mo-difie entre la situation initiale qui leur a étéprésentée et la situation finale à laquelle ilsaboutissent.

Je leur demande de trouver un angled'attaque et de prendre position par rapport à lasituation. Prendre position ne signifie pasquitter l'objectivité et entrer dans la subjec-tivité. Par exemple, demander la mise en placed'une législation par rapport à un problèmeparticulier est tout à fait rigoureux et fiableselon un certain point de vue mais il s'agitégalement d'une prise de position forte parrapport à une situation et qui peut la faireévoluer.

Enfin, en ce qui concerne la notice initialede présentation que je leur remets au début deséminaire, je leur demande de modifier cettenotice, soit en corrigeant, soit en enlevant ouen rajoutant des éléments : une façon de lesinviter à examiner ce à quoi a correspondu leurpropre parcours. Nous terminons le séminaireavec des présentations publiques, orales etécrites. J'essaye alors de faire en sorte qu'ils'agisse de réelles présentations publiques. Onquitte ainsi la sphère de l'exercice.

D’AUTRES EXPÉRIENCES

Je voudrais à présent évoquer deux autresséminaires qui abordent des types de pro-blématiques similaires à celles de mon sé-minaire. L'un d'eux se déroule à l'École desMines et est mené par Bruno Latour. Dans cecas, on s'adresse aux futurs ingénieurs desgrandes écoles françaises. L'objectif estd'acquérir une compétence professionnelle etle résultat du travail est de présenter unecartographie de la situation. Il s'agit égalementde faire en sorte que les étudiants ne défi-nissent pas préalablement quelles sont lesbonnes ou les mauvaises positions. Ils doiventparvenir à présenter une cartographie qui fassetenir les différentes positions en présence.

Un autre séminaire a été mis en place parFrançois Mélard, au département des sciences

et de gestion de l'environnement de l'Universitéde Liège. Ce séminaire s'adresse à des étu-diants qui sont déjà aguerris, proviennent d'ori-gines disciplinaires, professionnelles et cultu-relles différentes et qui choisissent de suivredes études en environnement. Lors de cetexercice intégré, les principaux acteurs d'unecontroverse locale sont conviés à venir à l'uni-versité, sur une quinzaine de jours. Ces ac-teurs présentent leur position. Ensuite, les étu-diants travaillent en groupes hétérogènes puis-qu'il s'agit d'étudiants qui ont des formations etdes bagages professionnels très différents. Àpartir des incertitudes qui sont exprimées parles orateurs, il s'agit d'apprendre des situationset des différentes constructions initiales de sa-voirs auxquelles sont familiarisés les étudiants.

Par rapport à notre séminaire, la différenceest que cela se passe très vite, ce qui estassez essentiel puisque les programmes desformations scientifiques sont très chargés. Il estdonc difficile de rajouter des cours et desséminaires. En outre, dans notre séminaire, onne peut partir d'aucun a priori sur le fait que lesétudiants vont devenir les décideurs de de-main, comme cela peut être le cas des futursingénieurs de l'École des Mines, ou que lesétudiants ont fait un choix volontaire vis-à-visdes questions environnementales. Mes étu-diants n'ont fait aucun choix préalable et n'ontpas de destin prédéterminé.

De même, on peut difficilement envisagerde leur donner des compétences en tant quetelles : ce n'est qu'une entrée en matière vu letemps très court du séminaire. Mais on essayede susciter la curiosité des étudiants et d’en-visager avec eux de quelle façon on peutintroduire le fait que des arguments non scien-tifiques importent par rapport à une certainesituation.

En conclusion, le problème n'est pas telle-ment de déterminer la meilleure méthode spé-cifique mais ce que l'on veut obtenir dechacune de ces méthodes. Dans chacun deces cas et en fonction de chacun de cesobjectifs, les dispositifs et les procédures àmettre en place sont différents et chaque fois àrenouveler.

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Références

http://www.ulb.ac.be/inforsciences/actusciences/dossiers/sec/index.html

http://www.imbroglio.be/controverses

http://www.sciencescitoyennes.org

Site de Sébastien Denys : http://www.ulb.ac.be/sciences/lubies/index.html

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LA COLLECTION

REGARDS SUR L’INTERNATIONAL–INTERNATIONAL INSIGHTS

Le Pôle Bernheim a coordonné, avec le Réseau d’Études en Politique Internationale (REPI) del’ULB, la création aux Éditions P.I.E. - Peter Lang (Bruxelles-Berne) de la collection Regards surl’International –International Insights dirigée par Éric Remacle.

Regards sur l’Internationalregroupe des études d’inspirations disciplinaires différentes et croisées, offrant des visions nouvelles sur les enjeux et bouleversements de la scène mondiale.Cette collection s’attache à aborder de manière critique et ouverte les questions à la fois théoriques et empiriques posées notamment par les guerres du XXIe siècle, les phénomènestransnationaux et la mondialisation, les nouvelles formes d’organisation mondiale et régionale, lesusages politiques du droit international et les transformations du rôle de l’État dans les relationsinternationales. Cette collection constitue un creuset de débats autour de ces nouveaux enjeuxintellectuels au sein de la communauté de chercheurs et des étudiants en Relationsinternationales. Elle mêle manuels de référence, ouvrages théoriques et études empiriques.

Comité éditorial : Alyson Bailes, Esther Barbé Izuel, Anne Deighton, Barbara Delcourt, YvesDenéchère, Véronique Dimier, Klaus-Gerd Giesen, A.J.R. Groom, Jean-Jacques Roche, AlbertaSbragia, Takako Ueta.

Les ouvrages parus

N° 1– CALAME P., DENIS B. & REMACLE É. (dir.),L’Art de la Paix. Approchetransdisciplinaire, 2004.

N° 2– GEERAERTS G., PAUWELS N. & REMACLE É. (eds.), Dimensions of Peaceand Security. A Reader, 2006.

N° 3– DENÉCHÈRE Y. (dir.), Femmes et diplomatie. France–20e siècle, 2004, 2e

tirage 2005.

N° 4– UETA T. & REMACLE É. (eds.), Japan and Europe, Partners in GlobalGovernance, 2005.

N° 5– DELCOURT B., DUEZ D. & REMACLE É. (dir.),La guerre d’Irak, Prélude d’un nouvel ordre international ?, 2005.

N° 6– SERFATI C. (dir.), Mondialisation et déséquilibres Nord-Sud, 2006.

Pour chaque ouvrage, une présentation et un bon de commande se trouventsur le site web des Éditions P.I.E.–Peter Lang :

http://www.peterlang.com

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LA COLLECTION

LES CAHIERS PAIX & CITOYENNETÉ

Hors-série

Éduquer à vivre ensemble–Vade-mecum d’outils pédagogiques pour la paix et la citoyenneté - Pôle Bernheim/CE DOP, ULB, 2003.

Éduquer à Vivre Ensemble,actes du Forum organisé à l’ULB le 9 avril 2003, PôleBernheim, Bruxelles, 2006 - Alina COZMA, Yvon MOLINGHEN & Éric REMACLE (eds.).

Workshop Einstein and Peace–Lessons for Today - Brussels, 11-12 March 2005,INES-Pôle Bernheim, Bruxelles, 2006 - Armin TENNER & Éric REMACLE (eds.).

« Les Savoirs au défi de la Paix et de la Citoyenneté »10 mars 2006–Actes du colloque

0/2006– Séances plénières

1/2006– Gestion des Crises ou Imposition de l’Ordre?Barbara DELCOURT & Marta MARTINELLI (coord.)

2/2006– Sciences et Expertises en SociétésBenjamin DENIS & Sébastien DENYS (coord.)

3/2006– Vivre EnsembleAssaad Elia AZZI & Thomas BERNS (coord.)

4/2006– Dire et Écrire la Guerre et la PaixSerge JAUMAIN, Éric REMACLE & Christophe WASINSKI (coord.)

Les Cahiers Paix & Citoyenneté se trouvent sous format électronique à la page« Publications » du site web du Pôle Bernheim (http://www.polebernheim.net).