Sami-Ali, Le Banal, Paris, Gallimard, 1980 (Extrait)

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SAMI-ALI Le banal

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Le banal

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Tous droits de traduction, de reproducti9n et d'adaptation réservés pour tous les pays.

© Éditions Gallimard, 1980.

II' La transparence est son masque. »

Schéhérazade, Tewfik El-Hakim.

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PRÉFAÇ;E ,~

Ce livre explore les forces organisées et organisa­trices qui, dans une société donnée, poussent à l'unifor­mité. Uniformité de penser, de sentir et d'être dont le banal est l'expression par excellence. Lentement éla­boré, ce concept permet de saisir en leur unité des phé­nomènes appartenant à des champs anthropologiques très divers. Il est vrai cependant que, quelle que soit la forme que revêt le banal, cette forme est tenue d'abord pour une Jorm-e de sensibilité.

L'analyse du banal passe dans ce livre par des œuvres qui captent et tentent de dominer les forces uniformi­santes dont elles sont les témoins. Œuvres où le banal fait problème. Mais cette analyse reste, de propos délibéré, au plus près de son objet, sans recourir à cer­tains concepts qui risquent d'expliquer trop et trop vite. C'est ainsi que la tendance au nivellement inhérente au banal n'est pas mise en rapport avec l'hypothèse freudienne de la pulsion de mort.

Ce qui fait problème dans le banal, c'est que le réel, qui est à la fois le rationnel et le technique, tend de plus en plus à prendre la place de l'imaginaire. L'imaginaire qu'un lien fondamental unit à la projection de sorte que, par le truchement du banal, c'est toute la problé­matique de la projection qui se trouve de nouveau abor-

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dée sous son aspect négatif d'absence de projection 1: le réel n'est plus que ce qu'il est.

Quoique des plus transparents, le concept de banal garde un fond de mystère qui est le mystère même du principe d'identité. Ce principe où s'exprime l'exigence d'adéquation de la pensée à elle-même rend possible le banal en tant que redondance. La redondance n'est pas négation de pensée mais absence de pensée dans un simulacre de pensée. L'identité ici n'est plus une exigence à accomplir puisqu'elle est déjà un fait accompli. C'est pourquoi, d'emblée, le banal nous inter­roge sur sa dou,ble appartenance à la pensée la plus essentielle et à ce qui en tient lieu dans des formules toutes faites. Et comme ces formules sont le répétitif et le standardisé, la pensée de l'identique dans le banal est inséparable d'une technique de production et d'une technologie. L'analyse du banal fait nécessairement référence à des systèmes sociaux qui, à la forme abstraite de l'identité, substituent des contenus concrets de l'identique incarnant les normes sociales d'une sen­sibilité. L'exigence de pensée est désormais exigence de conformité. Le banal nous conduit au centre de ce qui nous rend semblables, même et surtout quand nous nous voulons différents. Il nous tend un piège qùi est celui du gén.5ral devenu le même et l'autre, à partir de quoi tout le monde est unique. .

Le banal nous interroge ensuite sur ce qui ne peut se réduire à l'identique et que définit la pensée inconsciente. Pensée de l'impossible adéquation de soi-même à soi­même,' du dédoublement du contenu en manifeste et, latent, de la présence invisible des déplacements et condensations. Or, si rien ne coïncide avec ce qu'il est, la dualité de l'être et du paraître est ultime. Le banal lui-même est un leurre dans la mesure où invariable­ment il vient remplacer autre chose. La théorie freu-

l,. cr. Sami-Ali : De la projection. Une étude psychanalytique. Payot, Pans, 1970.

, )

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dienne de l'inconscient constitue de la sorte comme la preuve ontologique de la non-existence du banal, au sens où unp chose serait simplement ce qu'elle est.

Il est cependant une autre possibilité que n'exploite pas la théorie freudienne: à supposer que le banal existe véritablement et non comme simple illusion due au déplacement d'objet et d'accent, qu'en est-il alors des liens du banal avec l'inconscient? Question qui ne peut avoir de sens que si l'on montre d'abord que le banal en tant que tel existe quelque part.

L'expérience esthétiq1l-€ nous en apporte l'indispen­sable évidence. Cette expérience, surtout depuis le dadaïsme, fait appel d'une manière décisive à l'auto­matisme et au hasard, transformant la Ir création )) en un acte banal aussi peu subjectif que possible. Ir Le communisme du génie» proclamé par le surréalisme témoigne de cette volonté de décentrer l'œuvre par rap­port au sujet. L'œuvre n'exprime rien, l'expression étant supplantée par des opérations de hasard codifié se déroulant indépendamment du sujet, voire en dehors du sujet. Toutefois, par son adhésion à l'inconscient Ir psychologique JI, fût-il ramené à la dimension de l'oc­culte, le surréalisme paraît encore comme la dernière tentative de restaurer l'esthétique de l'expression. Il s'arrête à mi-chemin dans l'exploration du répétitif et du fortuit. Solution de compromis, il nous fournit une référence initiale permettant de suivre les étapes d'une nouvelle esthétique qu'oriente la fascination de l'im­personnel. On passe ainsi du banal psychologique rele­vant de l'opposition du latent et du manifeste au banal métaphysique que détermine la saisie de l'identité des êtres. (Intuition implicite à la position du surréel en tant que fond commun du subjectif et de l'objectiJ.)

La nouvelle esthétique, déplaçant le centre de gravité du dedans au dehors, trouve son inspiration dans l'in­fini du dehors. Le hasard y donne accès, hasard qui paradoxalement se combine avec une nécessité posée

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a priori comme procédé technique, verbal ou gestuel r~pétabl~ .à l'infini. On se meut aux confins du symbo­lzque reJOlgnant l'être même à travers l'indicible. Il ne faut chercher ni sens ni non-sens, ni sens qui se .dérobe là où la chose est simplement 1. La chose ou sa rédu­plication photographique, ou encore la réduplication de la réduplication photngraphique. L'œuvre ne dit rien, son silence ne signifie rien, il n:r a rien à signifier. Elle se réduit à son existence matérielle immédiate, tel l'arbre .ou le nuage. Y a-t-il vraiment un Ir au-delà » qui appartzenne au langage? Ir Cela fait de jolies couleurs »,

dit Warhol de ses sérigraphies de Marylin Monroe. Et pour John Cage, les sons sont. Pareillement, le Ir pro­cédé très spécial » que Roussel applique au niveau des assonances verbales engendre automatiquement des Ir équations de faits» aussi énigmatiques que l'être identique. à lui-m1me. C'est cette identité que l'on s'ef-force mazntenant de recréer, au moyen de la répétition du même, du même son ou de la même couleur, à la faver:r ~'une rythmique faisant dissoudre le subjectif et l'objectif dans une temporalité spatiale et une spatialité temporelle. L'extase n'est pas loin où se reconnaît, par-delà la distinction du sujet et de l'objet, la présence d'un processus qu'ilfaut bien qualifier de cosmique. La monotonie de l'œuvre, celle que suscitent également les grandes étendues élémentaires, n'est pas un sentiment nég.atif mais ce qui nous met en 1 ésonance avec les pul­satzons de notre corps et de l'univers.

La position de l'identique est donc indissociable de l'élément mystique. C'est ce qu'ont compris, à leur corps défend~nt, un ~~rhol o~ un Rigaut, en allant jusqu'au bout dune experzence ou une autre forme de sen.sibilité se fait jour. L'indifférence ou l'ennui en tant que révéla­teurs du néant la médiatisent et ce sont pourtant, . en

}. On peut le contester au nom de la psychanalyse, mais dans ce eas on n mterpretep:'ls, on crée un objet interprétable psychanalytiquement. La serrure est faIte sur mesure.

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l'occurrence, les signes d'une grave pathologie person­nelle. Apparition accidentelle, marginale de ce qui ailleurs est constitutif de l'essence même d'une vision du monde. En découvrant que l'impensable existe comme pure potentialité, on s'ouvre simultanément à d'autres cultures. Ici se situe le retour du refoulé dans un refoulement culturel. En ce sens, Warhol et Rigaut sont aux prises avec une intuition qui n'est pas si diffé­rente de celle, centrale, du Bou4dhisme et du Taoïsme. Ce qui justifie certains rapppochements opérés ici qui pourraient paraître arbitraires.

L'identité assimiléeâl'être immédiat est, selon Hegel, la pire des banalités. Le langage voulant en dire la sin­gularité le dit avec des mots que rien ne singularise. Le singulier n'étant pas le singulier, la dialectique peut se mettre en route. Elle progresse à l'intérieur du langage ne faisant qu'un avec le rationnel, après avoir laissé à son sort l'ineffable de l'eXpérience mystique. Le banal semble ainsi avoir partie liée avec la question des limites du langage, point sur lequel la dialectique hégélienne a trop vite glissé et qui, à partir de Wittgenstein notam­ment, n'a cessé d'alimenter l'analyse logique du lan­gage. Analyse qui s'enlise à mesure qu'elle avance: la dialectique s'immobilise par la division à l'infini du dis­cours qui l'objective. Dans cette division se tracent continuellement des lignes de démarcation entre sens et non-sens, entre dicible et indicible. L'élément mystique ne se situe ni au-delà de l'expérience du monde, ni a fortiori en dehors du discours qui la représente, il est ce qui se révèle du monde lorsqu'on aura fait le tour du langage. C'est la fin de tout discours, comme le note Wittgenstein.

Le banal, on le voit, met en jeu une certaine concep­tion du langage. Il nous invite à méditer le fait que les deux pôles du discours ne sont pas la métaphore et la métonymie mais, plus généralement, le littéral et le figuré. C'est pourquoi, dans la division jakobsonienne

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du langage, l'existence même du littéral fait problème dès lors que saute aux yeux l'arbitraire de vouloir le subsumer sous la catégorie de la métonymie 1. Est pro­blématique du même coup le statut métapsychologique du littéral si, suivant Lacan, on établit un lien essentiel entre déplacement et condensation d'une part, méta­phore et métoaymie de l'autre. Car, dans ce cas, le lit­tér.al ne pourrait être que le sens pris à la lettre lors de la conversion au plan de la représentation incons­ciente, de l'identité de mots en identité de choses (un chapeau melon, dans un rêve, se mange). L'interpréta­tion lacanienne suppose déjà un dis co ursfiglI:ré 2, cepen­dant que le littéral n'est nullement réductible au' dis­cours figuré (un chapeau est un chapeau, un melon est un melon; le melon est comestible, le chapeau ne l'est pas). En tout état de cause, il ne saurait y avoir de rela­tion directe entre le littéral et les processus primaires.

Cette relation, en revanche, peut être indirecte pre­nant le détour d'un imaginaire qui coïncide avec l'acti­vité projective primordiale. Cette activité dont le proto­type reste le rêve a des formes qui se multiplient à mesure qu'elles s'en éloignent, mais qui n'en constituent pas moins des variantes ayant toutes la même racine : délire, fantasme, iliusioTl, création, rêverie. L'opposi­tion du littéral et dufiguré renvoie, dès lors, à l'absence "" et à la présence de la projection dans l'élaboration de l'eXpérience du monde. Entendons-nous bien : une métaphore en soi n'est pas une projection, elle peut même, dans la rhétorique publicitaire par exemple, en être l'absolue négation (<< Alexandrie est la perle de la Méditerranée »). A l'inverse, une projection est toujours génératrice des transpositions métaphoriques et méto-

. 1. J~kobson (R.) : « Deux aspects du langage et deux types d'apha­SIes.", In Essais de linguistique générale, Tome l, p. 43 et suiv. Minuit,

".: ParIS, 1963. Cf. Rosolato (G.) : « Symbol formation. " Intern. J. Psycha­.'nal., 59, 1978.

2. Lacan (J.) : « L'instance de la lettre dans l'inconscient ou la raison depuis Freud ", in Écrits, p. 493 et suiv. Seuil, Paris, 1966.

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nymiques se confondant avec le «réel» dans l'e:lpé­rience projective. Ces transpositions ne sont des Jeux .­de mots que parce que le jeu concerne d'abord la rela­tion aux choses, relation imaginaire dans laquelle le corps propre fonctionne comme schéma de représent~­tion. On est au cœur de la subjectivité. A la limite (d'azl­leurs atteinte chez Wittgenstein et Tchouang-tseu), le langage paraît comme la proje~tion a. priori d~ ce que doit être un univers pour qu li devlenne unwers de discours. Et le savoir, médiatisé par le langage, trahit par là même sa natu,:e anthropo~entrique. "

Le banal soulève donc la questwn la plus generale de la possibilité de la projection dans une organisation sociale favorisant un réel qui est le littéral. L'esthétique contemporaine, pàrticulièrement chez Marcel Duchamp, en a pris clairement conscience, tout en se lançant dans une activité créatrice qui, grâce à l'utilisation systématique du banal, n'a plus rien à voir avec les critères hf!bituels de la « créativité ». Celle-ci peut se borner au choix d'une image préexistante qu'on repro­duirait mécaniquement. La subjectivité ici est d'autan.t plus significative que le contenu de l'œuvre est IUl­même insignifiant. En se confondant avec l'anonymat de l'objet, la subjectivité crée l'illusion de son absence :. subjectivité par négation d'elle-même. C':st pOU~qUOl' l'esthétique du banal réclame une autre methode d ana­lyse que celle qui part du postulat que l'œuvre est l'expression directe d'une subjectivité.

Reconnaissant que le banal existe, cette autre méthode s'emploie à en déterminer la place à l'intérieur d'un processus de projection qui porte autant sur l'ob­jet que sur le temps et l'espace de l'objet. Ici intervient d'une façon radicale la projection d'une forme reflétant aussi bien l'espace corporel que la temporalité du corps propre, forme où prévaut l'implication réciproque du dedans et du dehors. L'analyse de l'œuvre de Roussel, entreprise à partir de son poème La vue, en donne un

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premier exemple centré sur l'espace de la rêverie. La même structure spatiale sous-tend également l'expé­rience du miroir, laquelle, chez Rigaut et Warhol, s'ouvre sur la problématique du double et du visage. Et c'est encore elle qui, chez Wolf son, éclaire le dévelop­pement circulaire de la dialectique de l'objet partiel et de l'objet total.

Cette démarche comporte néanmoins le risque d'in­troduire implicitement une projection pour prouver l'existence de la projection. C'est pourquoi la démons­tration doit, autant que possible, prendre appui sur les textes eux-mêmes, textes où se trouve posé un pro­blème qui autrement serait escamoté. L'objectivité en matière de projection emprunte cette voie détournée qui, du reste, permet d'orienter différemment toute l'herméneutique. Seul inconvénient pourtant: un cer­tain ralentissement du tempo de l'analyse, lequel exige autre chose qu'une attention flottante. .

Mais il y a pareillement une pathologie du banal dans laquelle la subjectivité, sans pouvoir se nier dans son objet, se trouve niée par son objet. Pathologie du conformisme social s'accompagnant d'une remarquable perte d'intérêt pour tout ce qui, n'est pas réel et trahis­sant une sensibilité marquée par les efforts d'adapta­tion. Or, immanquablement, il s'agit d'une adaptation qui s'opère par le refoulement réussi de toute activité de rêve et qui modifie durablement l'organisation carac­térielle. Aux moments de crise, cette organisation se maintient en même temps qu'elle favorise l'apparition de maladies véritablement organiques. La somatisation ici fait un avec le maintien du refoulement caractériel, lequel renvoie, d'une part, au caractère et non à la névrose de caractère et, d'autre part, à la dijJiculté particulière de recourir à l'imaginaire auquel donne accès la projection. L'analyse s'attaquant une fois de p'l~s à la structuration de l'espace et du temps met en evzdence un décalage compensé entre des possibilités

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imaginatives réduites et les tâches adaptatives aux­quelles on doit faire face. La pathologie du neutre s'op­pose ainsi radicalement au débordement de l'imaginaire lequel signifie, dans la névrose et la psychose, l'échec du refoulement et le retour du refoulé.

Un mot enfin pour éclairer le projet de ce livre qui s'est développé parallèlement à mes CIjltres travaux. Durant mon expérience analytique en/Egypte, je n'ai pas ren­contré de patients déclarant « ne pas rêver JJ. Dans un pays où le rêve se double d'une pratique sociale de l'interprétation, où il est même fréquent de rêver en lieu et place d'un autre, il paraît impensable qu'on puisse être coupé de la vie onirique. C'est cependant ce qui frappe en Occident, surtout chez les malades « psy­chosomatiques)J qu'on qualifie d'« opératoires)J. Que deviennent dans ce cas le rêve et ses équivalents diurnes? Il est évident que la réponse ne se trouve pas au niveau de la description d'une pathologie qu'on voudrait aussi spécifique que possible mais qu'on n'isole pas moins du type de société dans laquelle elle s'inscrit. Il fallait donc élargir la perspective théorique aux dimensions de l'anthropologie psychanalytique afin de poser le vrai problème: quel est le statut de l'activité du rêve dans une société de type technologique? Le concept de banal désigne le champ à explorer.

Cette exploration vise principalement à découvrir ce que signifie, à l'ère post-freudienne, le malaise dans la culture : non pas, comme le pensait Freud en 1929, prévalence de la pulsion de mort au sein de la société occidentale, mais domination interne par un pouvoir anonymereproduisant à l'échelle de l'individu les forces adaptatives qui conduisent au conformisme. Celui-ci est sujétion consentie à un modèle culturel englobant la pensée et la sensibilité devenu une autorité d'autant plus efficace qu'elle reste impersonnelle. Ce n'est pourtant

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pas ce que Freud appelle II' Surmoi collectif» (( Kultur­überich )) 1), mais quelque chose de plus fondamental qui tient d'un surmoi corporel permettant au corps propre de définir son fonctionnement II' normal )) et ses références spatio-temporelles. Et il paraît malaisé de suivre Freud qui, à la même époque, misait sur la II' guérison» de l'humanité de cette II' névrose obsession­nelle » qu'est la religion : au train dont vont les choses, si cette II' guérison» s'obtient un jour, ce sera sûrement pc:r disparition, comme lors d'une chimiothérapie réus­sze, du symptôme en même temps que de l'imaginaire. Dan;s. c:tt~ optiq~e rJ,ui est c~l~e du banal, le triomphe antzc'fe d Éros s avere aussz zmprobab!13 que celui de la ra~son dont Freud. célébrait la ténacité en dépit de la fazblesse de la VOlX par laquelle elle était portée. Car Éros et la raison tendent insensiblement à se confond~e avec des comportements adaptatifs dans les­q~els fazt. défaut .le négatif qui n'est pas une figure de la vzolence zdeologzque. La voix de la raison a beau être t~n;ace, elle ~st ~e plus en plus mécaniquement répé­tztzve. Et qu advzendra-t-il du merveilleux si comme ja1is c;t enfant de Freud méprisant les fables ;arce que tres tot pourvu d'li' un sens du réel particulièrement

'2 'd' marque », on s en etourne en bloc au nom de la réalité?

Une autre possibilité est proposée ici : reprendre l'analyse où Freud l'avait abandonnée au profit des concepts synthétiques d'une Weltanschauung (la pulsion de mO!'t en est un) et, en poussant jusqu 'au bout l'inter­rogatzon du réel, percer derrière le banal la présence de l'imaginaire.

Puisse ce livre zssu d'une autre temporalité être lu sans hâte!

1. Freud (8.) : Malaise dans la civilisation p 103 P U F Parl's 1978. ,. . ... , ,

2. Id. : L'avenir d'une illusion, p. 40. P.U.F., Paris, 1976.

A l'origine du banal, la relation qui, dans l'inquié­tante étrangeté 1, rattache intimement en dépit de leur différence le familier à l'étrange, se rompt soudain au profit du familier. Imperceptiblement en effet, par un mouvement de dégradation continu, le familier se mue en banal dans la mesure où il s'affirme à la fois comme identique à lui-même et comme distinct de l'étrange. Le banal, c'est donc le familier qui, à force de familiarité, n'a plus rien à voir avec l'étrange. Dans le banal enfin se marque un arrêt, se parachève une dichotomie que traduit la juxtaposition de deux tautologies : le banal est banal et l'étrange étrange. Cependant pour se main­tenir dans son altérité, le banal doit se poser comme n'étant pas l'étrange. Il est tout entier dans cet acte constitutif qui exclut de lui l'étrangeté mais qui derechef, à travers cette même négation, introduit un potentiel dialectique susceptible de s'actualiser en trois direc­tions : l'esthétique, la pathologie et la mystique.

1. Freud (8.) : « L'inquiétante étrangeté », in Essais de psychanalyse appliquée. Gallimard, Paris, 1933.

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Le banal n'est pourtant pas en soi le trop familier: qu'une œuvre de sensibilité ou de pensée devienne par­faitement connue ne la transforme pas forcément en œuvre de banalité. Mais cela peut, néanmoins, se pro­duire. De même que le quotidien, en imprimant à la vie un rythme cyclique qui fonde une stylisation sinon un style l, s'approche du banal sans pour autant s'y réduire. Ainsi, tant sur le plan de l'imaginaire que sur celui du réel, la familiarité de l'objet et son caractère répétitifne suffisent pas à définir le banal en son essence propre.

Ce qui, dans l'œuvre ou le quotidien, continue à résis­ter au glissement du banal, tient à une relation que l'ob­jet conserve avec un arrière-plan de sens inépuisable. Inépuisable parce que se renouvelant continuellement. ' La répétition ne vide pas l'objet, elle lui donne au contraire un surcroît d'existence. Coutumier, il ne cesse d'émouvoir. Comme d'ailleurs le rêve qui chaque nuit projette les mêmes terreurs indicibles. C'est que l'objet, tout familier qu'il soit, soutient une activité fantasma­

. tique dont il est à la fois le commencement et la fin. Par là il échappe à la banalisation qui, elle, consacre la rupture avec l'imaginaire.

Le banal a ainsi partie liée avec l'épuisement du

1. cr. Grenier (J.) : La vie quotidienne. Gallimard, Paris, 1968.

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conte?u, ~~otion~el et cognitif de l'objet, moyennant une repetItIOn qUI ne manque pas d'engendrer un équi­voque sentiment de monotonie. A ce degré de saturation (il ~st impossib~e de .se passer d'une évaluation quanti­tatIVe des modIficatIOns survenues dans la perception

. de l'objet), le banal se confond avec l'indifférent l'in­différent qui est le neutre sous le rapport des affects négatifs ou positifs. Neutralité qui ne dérive pas d'une ~eutralisa~io~ implici~e, a~quel cas le banal serait néga­tIOn de lUI-meme maIS qUI atteste d'emblée une vérité fondamentale, à savoir que, du banal on peut seulement dire qu'il est ce qu'il est. La formule qui l'exprime (A = A) est l'évidence même de ce qui reste identique à soi. Rien dans cette transparence définitive ne saurait opposer à la pensée la moindre résistance. L'être du banal est un paraître absolu : il est imméd!atement atteint mais jamais dépassé. Simplement il est ou il n'est pas.

En tant que véhicule de sens, le banal se présente comme un contenu manifeste que ne double aucun contenu latent: il réclame d'être pris tel quel, au pied ?e ,la lettre, en dehors de toute exégèse. En lui fait Irre~ocabler.nent défaut une fluidité de sens qui rend possIble le Jeu des mots et qui sous-tend la rêverie. Et parce qu'il ne peut être en même temps autre chose (A =F A), le déplacement et la condensation n'inter­viennent nullement dans sa genèse. Il est la littéralité même. Une littéralité qui crée des îlots réfractaires, émergeant çà et là au milieu d'un langage prêt à toutes les métamorphoses.

Soustrait au devenir, le banal jouit d'une éternité qui est négation de la vie et éternité du factice. Dire d.u banal qu'il est « cliché» ou « poncif Il souligne pré­cIsément cet aspect artificiel qui fait dépendre son être d'une technique de réalisation: l'objet banal est celui qu'on peut, sans faire appel à la subjectivité, produire et repro,?uire ind~fi~ir.n.ent. La r~pétition, ici, n'est pas automatIsme de repetItIon, ce qUI placerait tout le pro-

Esthétique 25

cessus sous le signe du démoniaque, elle est prosaïque­ment répétition d'automatisme.

Dans le banal, le sens s'objective, devient chose, en se fermant sur lui-même. Aussi des significations contra­dictoires peuvent-elles y coexister sans s'entrechoquer, ni se détruire mutuellement. La raison n'étant pas aler­tée, elles ne sont pas perçues dans leur radicale incom­patibilité. On assiste alors à la reproduction au niveau de la pensée vigile d'un mode rde fonctionnement qui rappelle paradoxalement le prbcessus primaire, lequel s'accommode du contradictoire. Il s'en accommode parce que dans l 'incon~ci'ent, soit par déplacement, soit par condensation, toute chose est d'emblée autre chose. La suspension du principe d'identité laisse ici se consti­tuer un imaginaire primordial qui se dérobe au principe de non-contradiction comme si le contradictoire n'était lui-même qu'une modalité du non-identique. Il n'en reste pas moins qu'entre conscient et inconscient s'éta­blit un parallélisme d'autant plus troublant qu'au littéral du banal (A = A) correspond le figuré de la représentation (A =F A). Qu'on ne se méprenne pas cependant sur le sens de cette constatation: il s'agit moins d'une passagère intrusion, sur le modèle du retour du refoulé, du processus primaire dans le champ du processus secondaire que de l'engourdissement, plus ou moins durable, de la raison livrée aux pouvoirs occultes du sommeil. « Transe hypnotique 1 Il que pro­voquent notamment les mass media et dans laquelle est désormais en jeu tout le fonctionnement de l'appareil psychique 2.

Ainsi le banal se caractérise par une baisse considé-

1. McLuhan (M.) : Pour comprendre les média, p. 251. Marne-Seuil, Paris, 1968.

2. « Tandis qu'autrefois la presse avait pu se borner à jouer le rôle de médiateur et de stimulant dans l'usage que les personnes privées cons­tituant le public faisaient de leur raison, ce sont désormais les media qui, à l'inverse, conditionnent ce raisonnement. » Habermas (J.), L'Es­pace public, p. 196. Payot, Paris, 1978.

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rable du niveau énergétique, le fonctionnement supé­rieur, face à l'extrême facilité de la tâche (appréhender

. une chose comme égale à elle-même), s'avérant superflu. A cette baisse de l'énergie disponible s'allie un manque de tension entre les différents systèmes de l'appareil psychique (conscient, préconscient et inconscient), les­quels se trOtlvent eI1 état d'équilibre proche du repos absolu. Les besoins de décharge nécessitant une élabo­ration complexe y sont réduits à leur plus simple expres­sion. Fonctionnement minimal en tous points compa­rable à la perception d'un mot d'esprit trop connu pour surprendre encore : devenue entièrement intellectuelle, l'action y suit des voies toutes tracées. Mais c'est assu­rément la disparition de tout affect qui constitue ici l'élément le plus significatif car qu'est-ce que la surprise inhérente au double sens des mots sinon la brèche opérée par l'inc"nscient dans la rationalité du discours? Brèche instantanée faisant communiquer conscient et inconscient sans le détour du préconscient 1. L'usure aidant, la rationalité l'emporte de nouveau puisq'ue l'autre sens cesse désormais d'être autre. Dans le banal pareillement, l'inconscient qui fait parfois irruption est vite récupéré par la perception consciente. Chemin faisant, il se convertit en un « symbole Il dont le déchif­frage codifié relève moins d'une exploration subjective que d'un consensus général.

Car le banal est inséparable r!u contexte social qui lui donne naissance et dans lequel il continue de circuler : signification dépersonnalisée appartenant à tous et à personne. Dans cette mesure justement, il est loisible d'envisager le banal sous l'angle de la production sym­bolique institutionnalisée. Il semble ainsi s'inscl;Îre dans l'univers du discours clos où « la définition, c'est-à-dire la sépa,ration du Bien et du Mal, occupe désormais tout

1. Freud (S.) : Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient, p. 254. Gallimard, Paris, 1930.

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le langage 1 Il, langage dont la rationalité est absorbée par la rationalisation de l'idéologie 2. Univers symbo­lique que fonde un opérationnalisme dans lequel « la signification des concepts se restreint à une représenta­tion des opérations et des comportements particuliers 3 Il

et qui demeure l'apanage de la civilisation technolo­gique.

« Dans cet univers du comportement, dit Marcuse, les mots et les concepts tendent à se/couvrir exactement ou plutôt le concept a tendance à être absorbé par le mot. Le contenu du concept.fl:est pas autre chose que le contenu désigné par lé' mot, généralisé et standardisé; le mot ne renvoie pas à autre chose qu'à un compor­tement (à la réaction) façonné par la publicité et stan­dardisé. Le mot devient cliché; en tant que cliché il règne sur le langage parlé ou écrit; la communication 'empêche dès lors un authentique développement du sens Il (p. 112). Comme on est loin, alors que partout la réflexion le ~ède au réflexe, du banal littéraire que Flau­bert limite au « médiocre Il mis « à la portée de tous Il

et qu'il définit comme « tout ce qu'il faut dire en société pour être un homme convenable et aimable 4 Il!

Relativement à la polarité dedans-dehors, le banal appartient donc exclusivement au dehors. Au dehors que le langage et les habitudes perceptives convertissent en un lieu de rencontre ouvert à tous et à personne, c'est-à-dire en un lieu commun. Ici, dans l'évidence partagée, se dissolvent les contrastes et 'se fond la dif­férence entre le général et le particulier. Ceci peut s'en­tendre de deux manières : que le banal est précisément le général qui s'oppose au particulier mais que le par-

1. Barthes (R.) : Le degré zéro de l'écriture, p. 21. Seuil, Paris, 1972. 2. Voir Habermas (J.) : Connaissance et intérêt, p. 312 et suiv. Gal­

limard, Paris, 1976. 3. Marcuse (H.) : L'homme unidimensionnel, p. 37. Minuit, Paris,

1968. 4. Flaubert (G.) : Dictionnaire des idées reçues, p. 9. Aubier, Paris,

1961.

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28 Le banal

ticulier, en devenant la propriété de tous, se transforme lui aussi en banal. On y reconnaît un moment essentiel de la dialectique hégélienne : « Si je d.is : une chose sin­gulière, je l'exprime plutôt comme entièrement univer­selle, car toute chose est une chose singulière; et parti­culièrement cette chose-ci est tout ce qu'on veut 1 ». « De même lorsque je dis moi, ce moi singulier-ci, je dis en général tous les moi; chacun d'eux est juste ce que je dis: moi, ce moi singulier-ci » (p. 86). C'est en ce sens que pour Hegel « la singularité immédiate, qui serait intuition ineffable, le "' ce qu'on ne verra jamais deux fois" est la pire des banalités 2 ».

Quoi qu'il en soit, si le singulier n'est pas à l'abri du banal, c'est que, au-delà d'une dialectique régie par le . langage 3, le banal repose originellement sur une forme de sensibilité, individuelle autant que collective, qui schématise à l'excès le contenu de l'expérience. Non pas, toutefois, en vue d'une abstract;on objectivante mais pour aboutir à des généralités concrètes dans lesquelles sont retenus les aspects extérieurs les plus « intéres­sants» de l'objet. Intéressants pour un groupe, une classe, une culture dont ils reflètent le système de valeurs prévalent. De sorte qùe les schèmes présidant à l'organisation perceptive deviennent des stéréotypes qui font apparaître comme interchangeables les objets les plus divers. Objets interchangeables ou sujets inter­changeables, aucune singularité ne persiste dorénavant. Le banal n'est rien d'autre que le singulier en général, identification qui ne résulte pas d'un renversement dia­lectique mais de l'impossibilité de maintenir dans leur différence les deux termes opposés. Nivellement éminem­ment perceptif qui, loin de se limiter à la perception,

1. Hegel (G.W.F.) : La phénoménologie de l'esprit, tome I, p. 91. Aubier-Montaigne, Paris.

2. Hyppolite (J.) : Logique et existence, p. 18. P.U.F., Paris, 1961. . 3. « Le langage précède la pensée dont il est pourtant l'expression, ou,

SI l'on veut, la pensée se précède elle-même dans cette immédiateté. » Ibid., p. 38.

Esthétique 29

s'étend en fait à toutes les manifestations de la vie affec­tive, tendant de plus en plus vers l'anonymat du typique. Les mass media se chargent ici de créer des modèles identificatoires mettant en œuvre de véritables catégo­ries de la sensibilité: « l'Exotique », « le Spectaculaire », « le Paradisiaque», « le Joli», « l'Idole», « le Primi­tif», etc. Les pulsions, érotiques aussi bien qu'agres­sives, subissent à leur tour un ravalement s'apparentant aux formes dégradées de la v~e., amoureuse 1 et per­mettent de définir le vulgaire~ cette autre variété du banal, comme le pulsio,n~el en général. «( L'amour est un acte sans importance, puisqu'on peut le faire indé)' finiment 2. »)

Or quelle que soit la modalité de sa manifestation, le seul fait que le banal se situe entièrement au dehors suffit à l'assimiler au positif, à l'actuel, à 1'« unidimen­sionnel ». C'est un « réel » à la fois immédiat et ultime, tronqué du processus historique dont il est l'aboutisse­ment et qui ne porte plus en lui la trace du « travail du négatif3 ». Son être est fonctio,n des opérations qui permettent d'en prendre objectivement la mesure. Des jugements de valeurs doivent-ils intervenir, ils ne peuvent que s'inscrire dans un système de conventions sociales avec lequel le sujet fait corps à son insu. Système qui joue le rôle d'une autorité abstraite et impersonnelle mais qui ne s'intègre pas moins dans la réalité quoti­dienne. D'où un conformisme sans transcendance ren­dant inapplicable le concept même d'aliénation. Celui-ci en effet « devient problématique quand les individus s'identifient à l'existence qui leur est imposée et qu'ils y trouvent réalisation et satisfaction. Cette identifica­tion n'est pas une illusion mais une réalité. Pourtant, cette réalité n'est elle-même qu'un stade plus avancé de

1. Cf. Freud (S.) : Sur le plus général des rabaiss~ments de la vie amou­reuse, in La vie sexuelle, p. 55 et suiv. P.U.F., Pans, 1973 .

2. Jarry (A.) : Le surmâle, p. 7. Fasquelle, Paris, 1945. 3. Hegel (G.W.F.) : La phénoménologie de l'esprit, tome I, p. 18.

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raliénation; elle est devenue tout à fait objective; le sujet aliéné est absorbé par son existence aliénée. Il n 'y a plus qu'une dimension, elle est partout et sous toutes les formes. Les réalisations du progrès défient leur mise en cause iàêologique aussi bien que leur justi­fication; devant son tribunal, la .. fausse conscience" de leur rationalité est devenue la vraie conscience 1. »

Dans cette réalité qui ne s'ouvre pas sur l'horizon de son dépassement, alors qu'elle aménage l'adaptation comme seule issue « raisonnable», l'espace du banal n'introduit aucune solution de continuité. Il est l'image dans laquelle triomphe le visuel, lui-même entièrement f~çonné par l'alphabétisation 2 d'une part, par l'inven­tIon de l~ perspective « rationnelle 3 » d'autre part, et que certam~ procédés, dont en premier lieu la technique photographIque, se chargent de réaliser et de mettre en circulation. '

Mais peu importe en définitive que l'image soit concrète ou abstraite, pourvu qu'elle soit conforme aux normes qui en déterminent le fonctionnement. Une fois de plus, la neutralité de la réaction affective l'emporte d~va?tage su.r les particularités intrinsèques de l'orga­msatlOn spatIale propre à la représentation.

Cette organisation peut néanmoins se définir à partir de deux considérations : d'un côté, elle reproduit des mécanismes socio-économiques sans chercher à les dominer et de l'autre, elle ne met pas en œuvre, lors

1. Marcuse (H.) : Ibid., p. 36. ~ .. ". Il es~ remarquable que les Occidentaux s'émeuvent du fait que les

~rJr:mtlfs dOivent apprendre à·lire les images, tout comme nous apprenons a lIre les lettres. Il semble que l'orientation sensible et la distorsion extrêmes que notre technologie impose à notre vie sensorielle soient un fait dont nous préférons ne pas tenir compte dans notre vie quotidienne » UcLuhan : Ibid., p. 213. .

Le même a~teur note d'autr~ part ~u~ les analp~abètes « vivent l'objet de ~açon extremement empathlque. L œil ne travrulle pas en perspective, mais de façon presque tactile ... » La galaxie Gutenberg, l, p. 83. Galli­mard. Paris, 1977.

3. VoirTen Doesschate (G.) : Perspective. De Graff Nieuwkoop 1964. ' ,

Esthétique 31

de sa constitution, un quelconque processus projectif. L'espace du banal, autant que l'objet banal lui-même, marque en fait la fin de la projection. Les quelques traces que celle-ci avait laissées dans la matière ver­bale de la représentation (bouche de métro, pied de table, tête de cortège, etc.), au lieu de se trouver réacti­vées restent ici de bout en bout lettre morte.

Ceci nous amène à poser la question fondamentale : une esthétique du banal est-e!t~ possible? Comment l'œuvre d'art qui est pure 'projection s'accommode:­t-elle du banal qui est a~sence de projection?

Un des traits distiri~tifs de l'esthétique occidentale réside dans la systématisation de l'intuition, de sorte que toute démarche créatrice qui se veut consciente d'elle-même en vient à s'enfermer dans un procédé dont la finalité est double : produire indéfiniment le même type d'objet et rendre cette production aussi peu dépen­dante de la subjectivité. Ainsi s'effectue la conversion du concept en une technique de réalisation par quoi s'amorce la banalisation tant de l'objet que des opéra­tions dont il relève. Le banal est ici la force d'inertie d'un système dans lequel triomphe la rationalité qui se mécanise.

Cette mécanisation peut être le fait d'un processus historique qui, de proche en proche, accentue les aspects formels d'un système au détriment de son contenu affec­tif. Le système persiste bel et bien, mais infiniment appauvri, sous forme d'un ensemble de règles appli­cables a priori, c'est-à-dire à vide. C'est le cas notam­ment du « nombre d'or 1 » qui, dans la mystique pytha-

1. « ••• Cette équation traduite en mots donne l'énoncé suivant: Le rap­port entre la somme des deux grandeurs considérées et l'une d'entre elles (la plus grande) est égal au rapport entre celle-ci et l'autre (la plus petite).

Appliquée à des longueurs en divisant un segment AC en deux segments

AB et BC par le choix d'un point B tel que 1~ = ~~, elle correspond à ce

que Euclide appelle déjà: Partage d'une longueur en moyenne et extrême raison. C'est aussi bien géométriquement qu'algébriquement le partage asymétrique le plus .. logique" et le plus important à cause de ses pro-

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32 Le banal

go~icien~e, fonde tout un jeu d'analogies géométriques rehant 1 homme au cosmos et convergeant vers un point où le réel et l'idéal s'unissent dans la notion d'harmonie. Or ce « sommet d'abstraction cristalline où se joignent tant l,a T?étaph'ysique d.e l'Ha~monie du grand Tout que la theone de 1 harmome musIcale et de l'eurythmie en général » (p. 14), subit entre les mains d'un Sérusier une radicale schématisation : désacralisé, le nombre d'or se réduit à une technique purement intellectuelle destinée à permettre, en ce siècle de rationalité scien­tifique, « de faire un dessin intelligent 1 »! Intelligent au sens de parfaitement maîtrisé, clair, conforme, ne faisant intervenir que « des éléments que nous pouvons penser », lesquels se définissent à partir d'un modèle emprunté, non inventé. La banalité de l'objet dérive en l'occurrence d'une pensée sans mystère qui se veut technicienne.

Mais la mécanisation peut aussi provenir d'une démarche délibérée q;"'i consiste à conjurer le sort en le p~ovoquant. L'humour aidant, par un acte de suprême ~ahce, l'art. se nie, nie le destin historique qui est le SIen et se fait passer pour une mécanique sans âme. C'est là assurément une des vertigineuses tentations de la ~?,de~nité occidentale dont les signes précurseurs sont deJa decelables dès l'époque maniériste 2.

~hez Kircher (1601-1680) par exemple, sur qui les artifices exerce.nt une captivation que seule explique l~ transformatlO~, tant imaginée que pressentie, de 1 homme en machme et de la machine en homme. Dans

priétés mathématiqt:es, esthétiques etc. » Gyka (M.) : Le nombre d'or tome I. Les rythmes, p. 27. Gallimard, Paris, 1931. ' !. Lhote (A.) : De.za palette à l'écritoire, p. 362. Corrêa, Paris, 1946.

_. Panofsky note a propos du maniérisme (Idea. A conception in Art T~eory, ,~. ~ 1: Harper & Row, New York, 1968) que, pour la première fO.1S, ." 1 eqUlhbre heureux entre sujet et objet fut irrémédiablement det.rUlt » ~u profit d'une .rad!?ale interrogation: " Comment la représen­~atlO~ artls~lque et r,artlcuherement la représentation du beau est-elle

Jamais posslb~e? » (Ibid., p. 84). Çf. du même auteur La perspective comme forme symbolzque, p. 180-181. Ed. de Minuit, Paris, 197 5.

Esthétique 33

sa Physiologia (1624) notamment, entre autres mer­veilleuses inventions, il fait état d'une machine à méta­phores dont il donne trois versions : « une machine à miroir », une machine « pour créer des images fantas­tiques dans une pièce obscure» et une véritable machine « magique» créatrice de métaphores et de métamor­phoses en même temps. L'explication en est aussi déconcertante que simple. « Un visiteur quelconque entre dans cette fabrique d'irnâges. Sous un miroir, caché dans un meuble sou,s forme de bahut (ouvert du côté du lecteur pour .,·fâîre voir tout l'appareil), se trouve un tambour avec différentes images. Quand le visiteur se regarde dans le miroir qui pend par-dessus le meuble, il s'y voit sous toutes espèces de formes : soleil, animal, squelette, plante, pierre. Tout est compa­rable à tout. Le métaphorisme apparaît comme technisé dans la machine à images de Kircher 1 ••• »

Image elle-même appartenant au même type d'images qu'elle met en correspondance, la machine de Kircher reste homologue du discours qu'elle entend reproduire. C'est une métaphore qui crée des métaphores sans introduire dans la matière du langage la moindre solu­tion de continuité.

La rupture, elle, ne vient qu'un siècle plus tard (1726) lorsque Swift, prophétique, transposant l'événement dans un pays qui préfigure les temps modernes, conçoit une machine capable de produire le sens à coups de non-sens. . Gulliver : « Il me fit donc approcher de cet appareil, près des côtés duquel ses disciples étaient alignés. C'était un grand carré de vingt pieds sur vingt, installé au centre de la pièce. La surface était faite de petits cubes de bois, de dimensions variables mais gros en moyenne comme un dé à coudre. Ils étaient assemblés

1. Hocke (G.R.) : Labyrinthe de l'art fantastique, p. 129-130. Gon­thier, Paris, 1967.

Cf. Baltrusaïtis (J.) : Le miroir, p. 34 et suiv. Elmayan. Seuil, Paris, 1978.

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34 Le banal

au moyen de fil de fer. Sur chaque face de ce cube était collé un papier où était écrit un mot en laputien. Tous les mots de la langue s'y trouvaient, à leurs différents modes, temps ou cas, mais sans aucun ordre. Le pro-

. fesseur me pria de bien faire attention, car il allait mettre la machine en marche. Chaque élève saisit au commandement une des quarante manivelles de fer disposées sur les côtés du châssis, et lui donna un brusque tour, de sorte que la disposition des mots se trouve complètement changée; puis trente-six d'entre eux eurent mission de lire à voix basse les différentes lignes telles qu'elles apparaissaient sur le tableau, et quand ils trouvaient trois ou quatre mots, qui mis bout à bout constituaient un élément de phrase, ils les dictaient aux quatre autres jeunes gens qui servaient de secré­ta~r~s. Ce travail fut rép,é,té trois ou quatre fois, l'appa­reIl etant conçu pour qu a chaque tour de manivelle, les mots for~asse~t d'autre.s combinaisons, à mesure que les cubes de bOlS tournaIent sur eux-mêmes 1. »

Tous les discours possibles et impossibles, mis sur le ~ê~~ pied d'égalité, relèvent d'un infini qui brise la repetitlOn, tout en restant fonction du hasard absolu. Désormais, face à l'agencement inattendu des mots .:out est pareil, tout est différent, tout est unique, tou~ est banal. Des bribes de phrases se font et se défont sous le regard détaché de l'observateur: on dirait, chez ce « véritable initiateur 2» de l'humour noir, la déri­soire .objectivation du conscient aux prises avec l'in­conSCient.

Le . ~l!~.~~i~E!~_« par la mise en application de certams p~oc.édés d'investigation psychanalytique 3 »,

semble aVOIr mstallé au-dedans de l'homme la machine de Swift. Mieux, en se définissant comme « automatisme

1. Swift (J.): Voyages de Gulliver, p. 233. Gallimard, Paris, 1976. 19266~reton (A.) : Anthologie de l'humour noir, p. 25. Pauvert, Paris,

3, Id. : Point du jour, p. 190. Gallimard, Paris, 1970.

Esthétique 35

psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée 1 », il ramène à son origine subjective l'image projetée. Aussi préconise-t-il à l'égard de l'inconscient une attitude de neutralité qui, « en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale », demeure attentive à la « dictée» (p. 37). Ceux qui y parviennent, en se faisant « les sourds réceptacles de tant d'échos », deviennent de m9dè'stes « appareils enre­gistreurs » (p. 40) que traverse le message automatique. Destiné à ruiner tous le .. s aùtres mécanismes psychiques, celui-ci donne accès à une surréalité où se résolvent « ces deux états, en apparence contradictoires, que sont le rêve et la réalité » (p. 23-24). On proclame par là « l'égalité totale de tous les êtres humains normaux devant le message subliminal », « patrimoine commun dont il ne tient qu'à chacun de revendiquer sa part et qui doit à tout prix cesser très prochainement d'être tenu pour l'apanage de quelques-uns » 2. L'inspiration est une possibilité également partagée, par quoi les différences individuelles se réduisent à des différences quantitatives. Des procédés techniques (écriture auto­matique, collage, frottage, calcomanie) la mettent en œuvre en provoquant, par « la rencontre fortuite de deux réalités distantes sur un plan non convenant 3 », un dépaysement complet de la perception 4. C'est ainsi que le banal, dans toute la diversité de ses formes éphé­mères (titres de journaux, affiches, cartes postales, etc.), trouve naturellement sa place dans un fonctionnement mental que commande « la toute-puissance du rêve 5». Celle-ci établit entre lesobJëis ~;~pius'1ieter~o'ëIites·a-;~·;;;·

1. Breton (A.) : Manifestes du surréalisme, p. 37. Gallimard Paris 1963. ' ,

2. Id. : Point dujour, p. 191. 3, Id. :Positionpolitiquedusurréalisme, p, 159, Sagittaire, Paris, 1935, 4. Id. : Point du jour, p. 65. aid. : Manifestes du surréalisme, p. 37.

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36 Le banal

part, entre sujet et objet d'autre part, des équivalences énigmatiques que résume, en tant que forme particulière de sensibilité, le concept d'indifférent. Ce conc~pt consti­tue la catégorie fondamentale de l'esthétique surréelle (<< L'indifférent seul est admirable 1», dit Breton), comme l'analyse de Nadja nous permet de le montrer.

L'expérience dont Breton rend ici compte, et qui culmine dans la rencontre prédestinée de ce personnage de rêve qu'est Nadja, est amorcée par une interrogation où se révèle l'impossible coïncidence avec soi-même. « Qui suis-je? », par quoi débute le récit, donne déjà la mesure de ce que je ne suis pas et qui, quoi qu'il advienne, me reste incommensurable. Cependant, l'in­conscient ne me sépt:'.re de moi que pour me faire commu­niquer avec d'autres qui deviennent d'autres moi­même. La non-coïncidence de moi-même avec moi-même désigne ainsi un ailleurs où je suis dès l'origine. Être extérieur à soi, c'est être l'extérieur de soi: je suis ce que j'habite, ce qui m'habite, ce que je « hante 2 ». On est d'emblée de plain-pied avec cette dimension de l'in­conscient, reconnue mais peu exploitée par la psycha­nalyse, apanage presque exclusif des peuples dits « pri­mitifs », qui s'ouvre immensément sur l'occulte et le merveilleux 3 •

Ce que je perçois me renseigne sur ce que je suis et le message automatique me vient de dehors. Je n'en suis pas pour autant plus lucide mais certes plus proche de mon être véritable, de cette rure d'ombre qui s'étend sans limite entre le dedans et le dehors. Et c'est comme si, en cet état de réceptivité fait à la fois de distraction et de concentration extrêmes, ce qui doit se passer au-dedans se déroulait au-dehors. Au-dehors, c'est-

1. Bre~on (A.) : Point du jour, p. 16. 2. Id. : Nadja, p. 7. Gallimard, Paris, 1928. 3. Cf. Alexandrian : Le surréalisme et le rêve. Gallimard, Paris, 1975.

Pontalis (J .-B.) : " Le rêve, entre Freud et Breton» in Entre le rêve et la douleur, p. 52 et suiv. Gallimard, Paris, 1977. .

Esthétique 37

à-dire dans cette « région où s'érige le désir sans contrainte, qui est aussi celle où les mythes prennent leur essor 1 ». Le sujet devient objet et l'objet sujet, cependant que s'accroît la dépossession de soi comme de toute chose. « La représentation du " fantôme" avec ce qu'elle offre de conventionnel aussi bien dans son aspect que dans son aveugle soumission à certaines contingences d'heure et de lieu vaut avant tout pour moi comme image d'un tourment qui peut être éternel. Il se peut que ma vie ne soit j ~roâi's qu'une image de ce genre, et que je sois condamné à revenir sur mes pas tout en croyant que j'.explore, à essayer de connaître ce que je devrais fort bien reconnaître, à apprendre une faible partie de ce que j'ai oublié 2. » Ainsi, au travers (1 des rapprochements soudains, de pétrifiantes coïnci­dences, des réflexes propres à chaque individu, des accords plaqués comme au piano, des éclairs qui feraient voir, mais voir, s'ils n'étaient encore plus rapides que les autres » (p. 22), s'annonce une formidable force de répétition qui change le « vu » en « déjà vu )), le « déjà vu » en «jamais vu ». Tout se dédouble, se charge d'une signification « incompréhensible » (p. 63) où réel et ima­ginaire coïncident pour un temps. Sous l'emprise du « hasard objectif », de « cette sorte de hasard à travers quoi se manifeste encore très mystérieusement pour l 'homme une nécessité qui lui échappe bien qu 'ill 'éprouve vitalement comme nécessité 3 », percevoir est une manière de voyance qui se confond avec le processus même de réalisation du désir. C'est dire que la projection, se substituant à l'activité perceptive, s'est insensiblement insinuée dans un monde transfiguré où, entre les êtres les plus distants, elle instaure des voies subliminaires de communication. Celles-ci fondent un savoir irration­nel par contact.

l. Breton (A.) : Manifestes du surréalisme, p. 18I. 2. Id. : Nadja, p. 8. 3. Id. : La position politique du surréalisme, p. 146.

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38 Le banal

On comprend dès lors que le banal, s'identifiant dans Nadja au décor d'une ville avec ses places, ses monu­ments, ~es affiches, ses spectacles, exerce tout au long

(du récit une profonde fascination 1. Car 1~.~~~~!Ea.~"~ne P!l:!,~,~,~_,.~t:.9:r,~~eétl"angeté qui J~it ae l:ui l' é,qlli~~l~nt

\ d'un conte~u n!I:l~~!1t 2. De là, chez Breto~~.~~! pour rij~_.~J>_~Q!~çl~,!> __ qlJi_,lai!3.~~!i(}iï:9JJféXe'I!t,: "P9.ur ceLfilms « l~,~n-.Elu~ ,~.?Illpl~tement idiots 3 » ~h~isis auh~,~~dn.et vag_~~_Ill,eIlt suivis; pour ce (~je~ ~~l"lsOl:re~e~_a.~!~~.§l!!e tenant .qu'un compte très relatIf de leurrole » (p. 44) et s'è"perdant dans la topographie fantastique des lieux; pour des intrigues, au sens suspendu, mises en scène dans des pièces réalistes (p. 57), etc. Du coup, de cer­taines errances dans les rues de Paris se dégage l'irré­sistible sentiment d'un paysage onirique parcouru par les pas résolus du somnambule.

« On peut, en attendant, être sûr de me rencontrer dans Paris, de ne pas passer trois jours sans me voir aller et venir vers la fin de l'après-midi boulevard de Strasbourg. Je ne sais pas pourquoi c'est là, en effet, que mes pas me portent, que je me rends presque tou­jours sans but déterminé, sans rien de décidant que , cette donnée obscure que c'est là que se passera cela (?). Je ne vois guère, sur ce rapide parcours, ce qui pourrait, même à mon insu, constituer pour moi un pôle d'attrac­tion, ni dans l'espace, ni dans le temps. Non: pas même la très belle et très inutile Porte Saint-Denis. Pas même le souvenir du huitième et dernier épisode d'un film que j'ai vu passer là, tout près, durant lequel un Chinois,

l, L'existence d'un processus projectif se signale, entre autres, par un sentiment de fascination. Voir 5arni-Ali : De laprojection, p. 107. Payot, Paris, 1970.

DADA est ici précurseur: « •• .la réclame et les affaires sont aussi des élé­ments poétiques. » Manifeste DADA, 1918, in Tzaza (T.) : Sept mani­festes DADA, p. 26. Pauvert, Paris, 1963.

2. Du point de vue de la psychologie du rêve, le banal résulte, pour les besoins de la censure, d'un double processus de déplacement: du contenu (du plus au moins important), et d'affect (du plus 'au moins vif). Voir Freud (5.),: L'interprétation des rêves, p. 497. P.U.F., Paris, 1971.

3. Breton (A.) : Nadja, p. 43.

Esthétique 39

qui avait trouvé je ne sais quel moyen de se multiplier, envahissait New York à lui seul, à quelques milliers d'exemplaires à lui seul. Il entrait, suivi de lui-même, et de lui-même, et de lui-même, et de lui-même, dans le bureau du président Wilson, qui ôtait son monocle. Ce film, de beaucoup celui qui m'a le plus frappé, s'appe­lait: L'Étreinte de la Pieuvre» (p. 38-43).

L'activité onirique, opérant en plein jour, a le pouvoir de dépasser la distinction que4r"pensée de veille établit entre banal et étrange. D,épassement que médiatise le concept d'indifférent dàris'lequel se concilient les deux termes qui s'opposent en tant que contenu manifeste et contenu latent. Ici, au regard du désir omniprésent, tout est potentiellement banal et potentiellement étrange. L'indifférent est illimité, qui dévoile l'indifférence de l'être: « Allons, quoi qu'on en ait écrit, deux feuilles du même arbre sont rigoureusement semblables: c'est la même feuille. Je n'ai qu'une parole. Si deux gouttes d'eau se ressemblent à ce point, c'est qu'il n'y a qu'une goutte d'eau. Un fil qui se répète et se croise fait la soie. L'escalier que je monte n'ajamais qu'une marche. Il n'y a qu'une couleur : le blanc. La Grande Roue disparue n'a qu'un rayon. De là au seul, au premier rayon de soleil, il n'y a qu'un pas 1. »

Point extrême où le désir souverain fait jaillir à l'in­tersection de deux subjectivités des phénomènes extraor­dinaires, télépathiques aussi bien que prémonitoires, révélant l'autre comme double mythique. Ainsi Nadja: « Sur le point de m'en aller, je veux lui poser une ques­tion qui résume toutes les autres, une question qu'il n'y a que moi pour poser, sans doute, mais qui, au moins une fois, a trouvé une réponse à sa hauteur : "Qui êtes-vous?;' Et elle, sans hésiter : "Je suis l'âme errante 2. " On croirait entendre en écho la question et la réponse initiales; " Qui suis-je? " Sipar exception

1. Breton (A.) : Point dujour, p. 19. 2. Id. " Nadja, p. 92.

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je m'en rapportais à mon adage: en effet pourquoi tout ne reviendrait à savoir qui je" hante "? » (p. 7). Nadja, à n'en plus douter, est un personnage hanté et qui hante.

Pris dans ce jeu de (orces antagonistes et complémen­taires, If désir ne s'exerce pas à vide : il s'accomplit à travers une autre subjectivité, par rapport à un objet qui existe réellement. Il aboutit à une réalité et non seulement à une réalisation. Non pas que l'hallucination érige une autre réalité sur les ruines de celle-ci, mais que celle-ci reste en soi inaltérée cependant que, grâce au hasard objectif, c'est toute l'activité perceptive, dialectiquement conciliée avec la représentation 1, qui change de fond en comble. '

« Le regard de Nadja fait maintenant le tour des mai­sons ... Vois-tu, là-bas, cette fenêtre? Elle est noire comme toutes les autres. Regarde bien. Dans une minute elle va s'éclairer. Elle sera rouge. " La minute passe. La fenêtre s'éclaire. Il y a, en effet, des rideaux rouges 2. »

Ce qui permet à la perception de s'amplifier outre mesure est le fait qu'elle soit portée par un courant invisible circulant sans entrave entre deux pôles et qui, .. ingulièrement, semble leur préexister. L'inconscient, c'est d'abord cet infini de possibilités de sentir et rêver à l'unisson. Le désir, ici, est indifféremment désir du sujet ou désir de l'autre, de même que son accom­plissement, avant de pouvoir être halluciné, est média­tisé par la présence de l'autre. Ce n'est que progres­sivement, à mesure que se réduit la fonction occulte de l'inconscient, que se forme un psychisme individuel capable de remplacer par l'hallucination le merveilleux o-riginel 3.

1. Breton (A.) : La position politique du surréalisme, p. 164. 2. Id. : Nadja, p. 107. 3. Les phénomènes occultes, fréquents dans la relation précoce mère­

enfant, perdent peu à peu leur importance au profit d'autres systèmes de perception, dominés par la vision binoculaire. De sorte que l'occulte, au même titre que cet autre sens primaire qu'est l'odorat, ne se conserve

Esthétique 41

Mais le merveilleux continue d'exister et il a nom beauté: « le merveilleux est toujours beau, n'importe quel merveilleux est beau, il n'y a même que le merveil­leux qui soit beau 1 ». L'automatisme subjectif et objec­tif y mène par surprise, à la faveur des fulgurations où s'abolit la différence entre banal et étrange. En tant que manifestation du merveilleux, en effet, tout s'équivaut lorsque, sans l'ombre de préméditation, deux réalités se rejoignent miraculeusement. Up système de « corres­pondances » se laisse ainsi e~révoir, qui fait paraître le monde comme « un cr;xptogramme qui ne demeure indéchiffrable que pour'âûtant que l'on n'est pas rompu à la gymnastique acrobatique permettant à volonté de passer d'un agrès à l'autre 2 » (p. 186).

* L' œuvre de Raymond Roussel apporte à la question qui

nous occupe (une esthétique du banal est-elle possible?) . une réponse aufrement phi;' raâicaIë: . , ... - ". -,- ,.,.

Dans cette œuvre deux tendances s'affrontent: l'une, directement issue de l'application d'un « procédé très spécial 3» fait de la création une opération a priori que fondent, soit « l'accouplement de deux mots pris dans deux sens différents », soit l'extraction d'images,

qu'exceptionnellement, dans des conditions particulières où le fonction­nement même de l'appareil psychique semble régi par des points de fixa­tion qu'on pourrait qualifier de topiques: c'est le cas de l'odorat chez les allergiques et les psychotiques, de la télépathie chez les jumeaux iden­tiques.

Voir, pour ce dernier point, Burlingham (D.) : Twins, p. 42. Imago, London, 1952.

1. Breton (A.) : Manifeste du surréalisme, p. 24. 2. En reconnaissant avec Freud l'existence du rêve prémonitoire,

comment le concilier avec un modèle de l'appareil psychique qui ne tient l'

compte que d'une seule fonction de l'activité onirique, à savoir la satisfac- ' tion hallucinatoire du désir? Sans doute faut-il commencer par postuler, avec l'absolu primat de la relation, que l'appareil psychique n'est jamais un espace clos. Il

3. Roussel (R.) : Comment j'ai écrit certains de mes livres, p. Il. Pau-I vert, Paris, 1963.

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en disloquant phonétiquement une phrase quelconque, « comme s'il se fût agi d'en extraire les dessins de rébus» (p. 20). De là des œuvres de pure imagina­tion, telles Impressions d'Afrique et Locus Solus qui ne contienn~nt absolument rien de réel. L'autre, au contraire, se déploie en dehors du procédé, en emprun­tant les voies battues de la versification, pour aboutir

(

1 à des œuvres descriptives où ne figure rien que le réel : un réel littéral qu'on va chercher au fond d'une boule de verre enchâssée dans un porte-plume où s'étale la

'fine photographie d'« une plage de sable» par temps clair (La vue); dans le haut d'une feuille de papier à lettre où un dessin « bleu de ciel)) représente un hôtel et ses alentours (Le concert); sur l'étiquette rose d'une bouteille d'eau minérale où, autour d'une source, « du monde s'écrase » (La source). Ce sont des images qui, en dépit de leur banalité, incitent à la rêverie laquelle, tournée vers le passé ou s'épuisant dans le présent, ne tr~nsforme pas le banal mais transforme l'espace dans lequel le banal se manifeste. L'espace du banal échappe lui-même au banal. La vue, par ses dimensions descrip­tives exceptionnelles, où l'on compte plus de quatre­vingt-dix personnages identifiables, paraît à cet égard fort démonstrative.

L'image que l'œil perçoit en pénétrant dans la boule de verre s'anime lentement à mesure que le regard la parcourt. Des ensembles s'isolent, se répondent et s'enchaînent, reflétant le va-et-vient du regard qui effleure, insiste, se veut exhaustif. Cependant pour objective qu'elle soit, la description laisse apparaître des anomalies p.n flagrante contradiction avec la pers­pective à laquelle l'ordonnance du tout est visiblement soumise : les objets les plus lointains, au lieu de s'es­tomper, s'imposent parfois au regard avec une décon­certante précision, de même que des détails stupéfiants de minutie, surgissent soudain au premier plan en changeant d' échelle. L'invisible devient visible: « L'éclat

Esthétique 43

d'une bague 1 )); des « superbes dents» qui « brillent très blanches » dans une « grande barbe noire » (p. 38); un bracelet orné de perles étincelantes qu'un brusque mouvement de bras expose au soleil (p. 31-32); un mince triangle dans la voile rapiécée d'une barque « au loin perdue parmi les vagues » (p. 10). Et surtout:

II' ... un dé Brille à son doigt; avec l'ext!imité du pouce Elle l'écarte par une pressù!/n douce Et le soulève un pell;;J~eulement pour laisser De l'air nouveau, plùs vif et plus frais, sy glisser; L'aiguille qu'elle tient en même temps dessine Sur l'ouvrage, son ombre appréciable etfine Dont les côtés sont flous et débordants; le fil Très court, ne pouvant plus durer, est en péril De séparation soudaine; pour qu'il sorte De l'aiguille, la moindre impulsion trop forte Suffirait bien; l'ouvrage est en beau linge fin; Le fil part d'un ourlet mou qui tire à sa fin; Le linge se chiffonne, obéissant et souple, Manié fréquemment. » (p. 30).

Le tout dans la minuscule boule de verre 2! Ce ne sont pourtant pas des erreurs de perspective

mais les indices d'une démarche systématique qui ruine la distance en provoquant un remarquable effet d'éta­lement 3. Le regard, libéré des contraintes de l'optique rationnelle, s'approche indéfiniment de l'être des choses qui est aussi leur paraître. Dans un espace rendu à ses

1. Roussel (R.) ; La vue, p. 12. Pauvert, Paris, 1963. 2. Le même dispositif se retrouve dans les Nouvelles Impressions

d'Afrique qui, dit Roussel, « devaient contenir une partie descriptive. Il s'agissait d'une minuscule lorgnette-pendeloque, dont chaque tube, large de deux millimètres et fait pour se coller contre l'œil, renfermait une photographie sur verre, l'un celle des bazars du Caire, l'autre celle d'un quai de Louqsor ». Roussel (R.) ; Comment j'ai écrit certains de mes livres, p. 33-34.

3. Cf. Foucault (M.) ; Raymond Roussel, p. 138. Gallimard. Paris. 1963.

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coordonnées topologiques, près et loin deviennent inter­changeables, cependant qu'entre grand et petit s'ins­taure une relation de parfaite équivalence.

Ce principe est déjà à l'œuvre lorsque se répète, à deux échelles différentes; un seul et même motif qui, du coup, acquiert un égal poids visuel (fumée qui s'échappe d'un yacht et celle que jette un fumeur de cigare). Il sous-tend pareillement d'insolites rapproche­ments, relevant de l'illusion d'optique, dans lesquels la réduction à l'identique s'opère, au détriment de la distance, entre deux objets dont on ne retient que les dimensions apparentes. Ainsi, grâce au jeu des appa­rences, une moustache se trouvant fortuitement placée sur le sommet d'une vague, se confond avec une barque qu'on percevrait dans le lointain 1.

Mais c'est surtout dans le traitement uniforme d'un élément et de l'ensemble auquel il appartient 2 que s'accomplit plus efficacement la mise en équation du grand et du petit: rien, ici, n'est accessoire et tout est essentiel. Visuellement, une ombrelle a autant d'impor­tance que la dame qui la tient 3; un morceau de bois servant de projectile, que l'enfant qui le lance (p. 23); une partie du corps, que le corps entier (p. 25). Il peut même arriver qu'un détail, trop intense, éclipse le tout dans lequel il est inclus.

(/' Dans le bas de la natte un ruban neuf et moire Est serré, formant un irréprochable nœud Endommagé déjà par le vent qui le meut Et le harcèle dans tous les coins,. une coque s'aplatit en cédant à ce vent qui la choque A la fois sur la robe et contre les cheveux; L'autre coque se gonfle au contraire, et son creux

L Roussel (R.) : La vue, p. 12. 2. Le Nouveau Roman (La jalousie de Robbe-Grillet par exemple)

explore systématiquement cette dimension du récit. Cf. Ricardou (J.) : cc Le Nouveau Roman est-il rousselien? » L'Arc, 68, 1977.

3. l,a vue, p. 14.

Esthétique

Forme une courbe large, étendue et très ample Qui ne suit pas dans son apparence l'exemple De sa voisine plate et comprimée; un pan Auquel le vent transmet aussi certain élan N'a presque pas changé de place; il se termine Par deux pointes, chacune imperceptible et fine Formant un angle par l'échancrure, au milieu, Angle dont le sommet mal fait s'écarte un peu Du centre du ruban; le second:,.pttn se cache Sous la natte, introduit par le' vent; une tache Au pourtour tortueux,/,d€bordant, inégal, S'étale sur le bout de moire vertical Qui sépare les deux coques; l'endroit se plisse

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Car on a bien serré le nœud de peur qu 'il glisse. )) (p. 28-29).

Or, de l'identification, tout au long de La vue, du grand et du petit comme du près et du loin, découle un deuxième principe de structuration qui concerne plus particulièrement l'espace de la rêverie, à savoir l'iden­tité du dedans et du dehors. Cette identité signifie que l'acte de regarder implique et est impliqué par ce qui est regardé et que, d'autre part, il médiatise un proces­sus projectif qui lui permet de se dédoubler sur le plan de la perception. La démarche descriptive, pour objec­tivante qu'elle se veuille, n'en demeure pas moins une ruse de la subjectivité. Comme en témoigne le titre même du poème, désignant à la fois la vision et son objet, l'œil qui voit se voit au fond.de la boule de verre.

La présence de la projection se laisse d'abord repérer dans la manière dont cette immense foule anonyme « presque totalement oisive Il (p. 10) est perçue au bord de l'eau, sous un ciel éclatant. Partout en effet, gestes et attitudes reproduisent en miroir la longue rêverie du poète devant l'image familière : un fumeur suit d'un œil « calme et languissant Il la fumée « qui s'éloigne de son visage et lui suggère/Mille rêves des plus doux et

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délicieux»; à sa droite, une femme « laisse flotter son esprit» (p. 13); au loin, seul dans une barque cc cachée aux trois quarts par la mouvante cime », cc un rameur! Rêveur, insouciant ... » (p. 21); à l'écart d'un groupe d'enfants, un cc jeune paresseux » a l'esprit tout pris par cc les ébauches de ses rêves » (p. 27); un homme cc donne le bras/ A la femme qui suit sa rêverie heureuse » (p. 42); un autre, au regard cc rêveur, se livre à des méditations mélancoliques» (p. 56), etc.

Tout proche de la rêverie est l'acte même de regarder, dès lors qu'il s'affranchit de l'emprise du réel. Qu'il glisse ou qu'il se laisse entraîner, le regard ne cesse de projeter tout autour un rêve à l'état naissant: indistinct, informulé, informulable et prêt à s'interrompre pour reprendre aussitôt. Tel est le regard du poète dont se recrée à tout instant l'équivalent dans le monde du visible. '

Ainsi une femme cc lance un regard/Inutile, sans but, dans le vague, à l'écart » (p. 14); le capitaine du yacht cc enfonce/Son regard qu'il rend plus pénétrant, plus perçant/Et qu'il dirige vers le lointain» (p. 15); cc deux amoureux heureux» contemplent cc le spectacle sans égal et grandiose/De cette immensité» (p. 31); cc un couple attend debout/N e pouvant se lasser de voir le point de vue » (p. 41), etc. Puis, à une fenêtre, un enfant

Ir regarde dans une grosse lorgnette Qu'il braque au loin et vers le bas; il s'inquiète D'un certain point de la rive, du côté droit; Il veut savoir pour tout de bon si ce qu'il croit Est exact; il se sent une puissante envie D'approfondir et, par scrupule, il vérifie Si l'endroit de la côte avec son contenu Est bien tel qu'il se le figurait à l'œil nu. En s'!',Ïvant à travers les airs, par la pensée, La lzgne toute droite et fictive, censée Être décrite avec son rayon visuel,

Esthétique

On arrive par un trajet continuel Jusqu'au bout opposé; la vue est arrêtée

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Très loin à droite, par une longue jetée ... )) (p. 54-55).

Ici entre le regard qui traverse l'espace de l'extérieur et celui qui de l'intérieur le parcourt, le parallélisme est parfait. La lorgnette est projection de l'œil et l'œil projection de la lorgnette. Ce qui, dans les deux cas, est mis en évidence reste d'ailleurs invariable : que loin et près sont identiques, id(fJltiques grand et petit, identiques dedans et dehors.' La vue est le thème unifi­cateur de l'espace ima$inaire.

Cependant l'identité' du dedans et du dehors ne se limite pas à la seule vision. La pensée qui est à l'œuvre dans la construction de La vue et dont on entrevoit déjà la rigoureuse logique est celle-là même que le poème objective. Muets, les personnages n'en exercent pas moins une logique sans faille: cc Il faut que l'évidence apparaisse et lui crève / Les yeux » (p. 14); le capitaine du yacht cc affecte de se taire / Mais il prépare tout bas des collections / D'arguments décisifs, puissants, d'ob­jections / Qu'il tient, sans en avoir l'apparence, en réserve » (p. 15); cc Et, pour être plus claire et convain­cante, joint / Une explication décisive à son geste» (p. 40); cc ••• il veut affirmer ce qu'il narre / De crainte qu'on ne doute ou qu'on ne contrecarre / Les arguments de sa puissante assertion» (p. 43); cc N'approuvant pas ce qu'on lui dit, ce qu'on lui montre, / Il médite beau­coup de bons arguments contre » (p. 57); cc Il se démène et se fait l'avocat / D'un point ... / Dont l'importance ... échappe / Aux autres; sûr de sa bonne cause, il se tape / Avec les bouts de doigts dressés le bas du front / En homme que la pure évidence confond » (p. 66).

cc Le secret travail de [la] pensée » (p. 16) au niveau du poème reste donc identique à celui qui préside à son agencement : dédoublement du même au dedans et au dehors comme dans deux miroirs parallèles. La pré-

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sence de cette pensée qui se pense est en outre reconnais­sable dans la structure logique de certains objets qui sont des images dans l'image : paysage peint sur un seau métallique (p. 32); portrait d'homme en costume de chasse accroché au mur (p. 53); dessin sur la couver­ture d'un morceau de musique (p. 34). Images qui par­fois se réfléchissent mutuellement. Or il peut arriver que la même image, par suite d'une réduplication dont le modèle reste le miroir, se multiplie en se répétant au-dedans d'elle-même.

Ir En l'air un cerf-volant marche à souhait ... Il a sur lui, pour mieux l'enJoliver, . des raies Sombres sur le fond blanc, clair; elles sont plus gaies Qu'un ensemble partout pareil, complet, uni, Et où l'original se trouverait banni; Chaque raie, en suivant la grande silhouette, La reproduit de plus en plus courte et fluette, A mesure qu'on va près du centre ... )) (p. 67).

Ainsi, malgré ses apparentes incohérences qui rompent la continuité de l'espace tridimensionnel, l'or­ganisation spatiale caractéristique de La vue s'avère être une structure imaginaire que définit la double assimilation du grand et du petit, du dedans et du dehors. Structure circulaire intemporelle, s'ouvrant et se refermant sur la même scène (ébats d'un enfant avec son chien - p. 23 et 72), et à laquelle obéit l'ar­ticulation des détails autant que le fonctionnement de l'ensemble. Ceci vaut pour le « procédé» rousselien en général puisque, une fois trouvées deux phrases différentes, quoique phonétiquement identiques, il s'agit « d'écrire un conte pouvant commencer par la première et finir par la seconde 1 ». En dehors' du « pro­cédé» dans sa forme initiale, l'organisation circu­laire rendue à son essence spatiale sous-tend encore

1. Roussel'(R.): Comment j'ai écrit certains de mes livres, p. 12.

Esthétique 49

la structure d'emboîtement qui, dans Nouvelles Impres­sions d'Afrique, est reconnaissable à l'emploi métho­dique des parenthèses dans les parenthèses dans les parenthèses ... Cas particulier de l'espace d'inclusions réciproques 1, l'agencement imaginaire de La Vue se trouve constamment occulté par la pensée vigile qui, dans la rêverie, tient encore un rôle considérable. Le plaisir y provient d'une incessante oscillation entre deux formes spatiales, à tous égards incompatibles, proches à la fois du rêve et q,e/ll:t perception exacte, qui introduisent la distance tout en la supprimant. Tant que dure la rêverie, t:O'ojet n'est jamais absolument possédé : il est, contrairement à l'objet onirique, tour à tour retrouvé et perdu, suivant un rythme de pré­sence et d'absence qui rappelle le bercement.

Comme « tous les produits d'imagination de Roussel qui sont, en quelque sorte, des lieux communs quintes­senciés 2 », La vue permet d'établir les principales caté-gories du banal. ii

1. Le banal est d'abord le littéral sur lequel ne s'exerce \\ aucune activité projective. Les images s'épuisent à \\ mesure qu'elles restituent un réel neutre et trop fami- q lier. Si, d'aventure, l'imaginaire parvient à s'y glisser,) 1 il le fait par le biais des poncifs qui sont des métaphores f dues à une projection qu'elles-mêmes n'effectuent pas. Imaginaire secondaire dont les exemples abondent.

Un homme qui allume sa pipe 3, qui salue (p. 37) ou qui bâille pendant qu'il lit le journal (p. 38), est juste un homme qui allume sa pipe, qui salue ou qui bâille pendant qu'il lit le journal; les mouettes « dessinent sur le ciel ou l'eau leurs silhouettes » (p. 22), tandis que le paysage qui accumule les détails exacts a la sécheresse d'un relevé topographique, où, çà et là, un rocher

1. Sami-Ali : L'espace imaginaire. Gallimard, Paris, 1974. 2. Leiris (M.) : « Conception et réalité chez Raymond Roussel", in

Roussel (R.) : Épaves, p. 23. Pauvert, Paris, 1972. 3. La vue, p. 50-51.

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« s'avance» dans l'eau et la mer en rage « saute» par­,·des'Sus (p. 41).

.' II. Le banal se confond ensuite avec le typique : à défaut de littéralité en effet, versant dans l'emphase, la description appuie les traits particuliers qu'en même temps ell~ généralise: Le typique paraît, dès lors, comme l'équivalent symbolique des objets visuellement magnifiés.

Un vieux matelot est « un loup de mer / ... à la santé de fer» (p. Il); un capitaine est « confiant dans la marche certaine / De son bateau Il (p. 15); les gâteaux vendus par le marchand' ambulant sont pleins « Des fruits les mieux choisis du monde Il (p. 37); une « femme osseuse Il est « le type de la prude / En présence de qui tout mot fort et risqué / Est radicalement proscrit Il (p. 48); les jeunes d'une bande sont « gais ne veulent ni sagesse / Ni grands mots affectés, ni gêne, ni sermons Il; derrière eux des « gens plus âgés, pénétrés / De leur grande importance et tous froids, pondérés Il (p. 42); un professeur est un homme simple qui se repose « de ses innombrables travaux / Avant d'en commencer encore de nouveaux Il (p. 19); un musicien est un « ori­ginal volontaire, un bohème / Qui cherche partout le bizarre et qui l'aime Il (p. 68); un peintre « en com­plet excentrique », planté devant le paysage qu'il s'em­ploie à copier, exécute des gestes qui sont des tics caractéristiques (p. 45).

Le typique est une manière de signifier que le person­nage est identique à lui-même parce qu'il n'a pas d'iden­tité propre. Stylisation par réduction au général.

III. Le même procédé de stylisation peut encore don­ner lieu à un banal qui imite le typique sans être le typique. Image de l'image, il reflète un modèle auquel il s' ~vertue à se conformer, engendrànt un semblable qui, à la limite, ne fait qu'un avec le faux. . Ainsi, tenant le fil d'un cerf-volant, une petite fille « lève ingénument, en sainte, ses grands yeux / Comme

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pour faire sa prière, vers les cieux Il (p. 35); une femme « étalant un piteux luxe mal imité », « veut contrefaire, en étendant le bras, / Un beau geste usité dans les grands opéras Il (p. 22); un homme jouant au militaire, a la mine « fidèlement tirée / Du personnage armé de quelque vieux tableau Il (p. 62); et un enfant partici­pant au même jeu « s'applique à singer le confiant bra-vache ... Il (p. 60). .

IV. Le banal, enfin, c'est le 9éàm~trique ~~~~ __ ~~quel c~!m!~_~ ~_~~-str!~~~~~()~n~9~~ s~.E~_nér~lise o~tr~ mes~re. Le banal en ce._~_~~s s'aF~nte au decoratlf, a un deco-' r;:tifim~édf~t se contentant de diviser symét~guement ) l~-SP~-;;;~tcl~ le-;~~pil;-d-ë-figur~~mpTes et régulières. ria~~La vUe~'si-ëëtreroimeëlêbanal n'existe que poten­tiellement, elle est pourtant reconnaissable à trois indices : aux repères conventionnels qui déterminent l'orientation du regard dans l'espace de la photographie (( Plus loin et plus à droite Il; « A gauche du groupe Il; « A l'arrière »; « ••• plus à droite »; « Devant eux, plus à gauche »; « Plus haut»; « En face», etc.); à l'égale importance accordée aux personnages et au décor où, d'ailleurs, « on ne peut découvrir un espace / Long­temps vide et désert» (p. 20-21); à une schématisation qui, poussée, tend à ne retenir de l'objet que les proprié­tés spatiales les plus évidentes : « Une veine très sail­lante» sur le dos d'une main n'est qu'une figure géomé­trique figée dont on détaille les composantes (p. 49).

L'objet est une surface reliant d'autres surfaces, qui sont indifféremment des objets ou ce qui sépare les objets. Figure et fond sont interchangeables, de même que vide et plein s'équivalent rigoureusement.

Mais comment le banal qui n'est pas projection s'ar­ticule-t-il dans La vue à l'espace imaginaire qui est projection?

Cette articulation, le corps propre la fournit au niveau de la représentation. Il la fournit parce qu'il médiatise,

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en tant que schéma de représentation l, la projection d'une dynamique de l'imaginaire dans laquelle s'objec­tivent les mouvements possibles et impossibles qui s'agitent dar::.s l'image, prisonniers de l'image. Perce­voir, ce n'est plus saisir un objet de l'extérieur, mais posséder un objet qui en même temps nous possède. Le savoir est désormais une rêverie dans laquelle le pré­sent est transfiguration du passé. Rêve et réalité naissent tout ensemble dans le même geste suspendu. Et comme c'est le corps propre qui accomplit ce miracle, la mémoire n'a d'autre lieu que la réalité corporelle.

(( L'enfant a ramassé toute une pelletée Qu'en ce moment il n'a pas encore jetée; Mais il est sur le point de prendre son élan Pour la lancer avec force dans l'océan; Il tient sa pelle dans ses deux mains, la recule Par une impulsion discr;ète, presque nulle; SOh attention est tendue; il est prêt Au moment du plus grand recul et de l'arrêt A faire repartir, sans qu'un seul grain ne verse Le sable, hardiment et fort, en sens inverse, Tout en le maintenant en un paquet serré, Afin qu'il tombe au loin, sans fragment séparé, Et fasse son plongeon d'un seul bloc et sans perte 2. ))

La dynamique corporelle, cependant, chaque fois qu'elle fait revivre le « souvenir vivace et latent d'un été/Déjà mort, déjà loin)) (p. 73), ne parvient qu'à atténuer, sans supprimer, l'opposition qui ponctue les moments successifs de La vue entre le réel et l'imagi­naire. Qu'en est-il en définitive de cette opposition rela­tivement au problème du banal? Nul doute que le banal existe réellement et qu'il se présente sous la forme d'une photographie. Mais c'est dans cette illusion d'une irré­ductible réalité qu'éclate le suprême raffinement d'un

1. Sami-Ali : Corps réel, corps imaginaire. Dunod, Paris, 1977. 2. Roussel (R.) : Ibid., p. 33-34.

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art pour lequel, dit Roussel, « l'imagination est tout I )). Elle est tout en vérité parce qu'elle s'affirme directement dans l'imaginaire et, par sa propre négation, indirecte-ment dans le banal.~~.lt~~if d~J'i~~gin~iI~.1J~~~n~I, __ _ est un imag.inai~e ~~.l!ég~tif d~n.~.lequellaproj~çtion)~JL

. borne à pourvoir l'espace de ses coordonnées géomé­triques 2.

* Qu'il soit, comme chez Breton, transpoSItIOn d'une

réalité sociale bifurquant en contenu manifeste et en contenu latent ou, comme chez Roussel, création pure de l'esprit soutenue par un système réversible d'emboî­tements, le banal ne trouve son chemin dans l'œuvre qu'à travers un processus projectif d'autant plus effi­cace qu'il disparaît derrière le réel qu'il crée de toutes

.. pièces. Moins étant signe de plus, l'extrême objectivité du banal rejoint la subjectivité la plus entière. S'en

1. Roussel (R.) : Comment j'ai écrit certains de mes livres, p. 27. 2. Dans toute l'œuvre de Roussel, la vision prévaut remarquablement

soit comme sujet qui explore le visible, soit comme objet qui est le visible identifié à l'illusoire (théâtre, carnaval, fête foraine, jeu de rôles, etc.), Partout l'œil glisse sur un réel sans épaisseur qui se donne comme spec­tacle et qui tend à se confondre avec le spectacle. (Dans La source, par exemple, lorsque le regard, ayant longtemps scruté les personnages gravés sur la vignette d'eau minérale, se met à parcourir la salle de restaurant, les gens qu'il rencontre n'ont pas plus de réalité qu'un dessin linéaire.) Et partout s'étalent et chevauchent les choses et les mots qui prennent pareillement racine dans le même « procédé» dont le paradigme par excellence est le rébus. Aussi est-il possible de passer des choses aux mots et des mots aux choses sans sortir de l'unique plan auquel l'être se réduit. Cette réduction s'effectue par l'identification du minuscule et de l'énorme d'une part, du dedans et du dehors d'autre part. L'espace d'inclusions réciproques qui en résulte restitue son unité à l'œuvre rousselien : visible dans l'organisation circulaire des histoires débutant et se terminant par une phrase à double sens, il commande l'incessante reduplication du même à l'intérieur de lui-même (image dans l'image, histoire dans l'histoire). Impressions d'Afrique, Locus Solus, L'Étoile au front et Poussière de Soleil, en sont l'illustration.

Et qu'est-ce que le «procédé» en définitive sinon la perception, dès que l'activité onirique se met à investir le champ de la conscience vigile, que le même se dédouble et qu'à ce titre il peut exister à l'intérieur de lui­même?

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apercevoir, c'est déjà accéder à un champ de possible ~ù se ~oncrétise l'infini de la négation. C'est cette néga­tIOn, a laquelle seul l'humour peut donner un contenu positif, que l'œuvre, se confondant avec le banal, est ~estinée à révéler. Et peu importe que l'œuvre appar­tIenne encore à 1'« esthétique» puisque le concept d'art est lui-même mis en question. Une double neutralisation du sujet et de l'objet fait ici entrevoir que l'acte créateur peut se convertir en une activité banale qui se passe de toute projection. Le problème du banal dans l'esthé­tique change dès lors de fond en comble; il devient sous la plume de Marcel Duchamp qui en exprime la pro­fonde contradiction : « Peut-on faire des œuvres qui ne soient pas" d'art" I? ))

Dans cette aire ambiguë de transmutation des mots en choses et des choses en mots, sur laquelle s'ouvre le procédé rousselien identifié au rébus généralisé, le pro­blème de l'objet d'art peut bien se ramener à un « objet dart )) qui fait problème.

C'est en transformant l'art en une branche de la mécanique que Duchamp échappe apparemment à la contradiction. Il suffirait alors de renoncer à toute forme de « goût )), « bon )) ou « mauvais )), et de revenir « à un dessin absolument sec )), à la composition d'un art « sec )) (p. 179) qui réunit paradoxalement la néces­sité et le hasard. « Un dessin mécanique ne sous-entend aucun goût)) (p. 181), fait remarquer Duchamp : sa beaut~ est un~ « b.eauté ? 'in?ifférence )) (p. 46), répon­dant a une « Irome de 1 mdIfférence )). (p. 17), qui est ~ne sorte de « méta-ironie )) transcendant par l'affirma­tion sa propre négativité. La chose s'impose sans être posée, face au sujet qui s'efface. La chose en soi comme l~s bas .de soie (J?' 15~). A, l'encontre de l'ironie de néga­tIOn qUI par le rire mme 1 apparence, l'ironie d'affirma­tion est coextensive à l'être même ou à ce qu'il en sub-

I. Duchamp (M.) : Duchamp de signe, p. 105. Flammarion, Paris, 1975 ..

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siste. Sans avoir à nier, elle se maintient à égale distance de tout. Elle fait un avec l'indifférence qui est le fait que l'être est égal à lui-même (nécessité), ou que n'importe quoi est n'importe quoi (hasard). A la limite, « le concept d'être est une invention humaine 1 )).

C'est d'abord au niveau du langage, domaine par excellence du « hasard en conserve », que peut s'établir cette impossible équivalence du nécessaire et du fortuit. Car tout jeu de mots est une façon de nier la différence au profit du plaisir et de se lais§~rinomentanément sur­prendre par la secrète identité des choses. Règle appli­cable, comme chez Rpussel, aux signes à l'intérieur d'un système donné, mais que Duchamp étend ironique­ment à l'ensemble du système.

Il envisage alors de créer un nouvel alphabet dans lequel les mots abstraits seront remplacés par des signes qu'on pourrait grouper pour former des mots inconnus. Mots à l'intérieur des mots que de nouvelles règles de grammaire permettront de combiner en phrases inédites qui sont des phrases dans les phrases. Combinatoire verbale susceptible de se répéter à l'infini en se mordant la queue et en opérant sur des mots qui sont les mots des mots. Il suffirait alors d'imaginer qu'au départ les lettres de l'alphabet se différencient par une couleur particulière pour que s'instaure une relation d'équivalence entre le verbal et le visuel, l'abstrait et le concret. Les mots deviennent des choses qui s'arti­culent au-dedans d'un système de signes converti en une chose aux articulations logiques. Ensemble impen­sable préfigurant une machine qui tourne à vide et qui se consomme en même temps que le langage.

L'humour par. ce bi~~ __ !,~.~!_~ag!:!LU~.J:.éJ;tlité....~.es choses.-pevëïiuobJ~ct~12, il peut dévoiler l'équivalence

1. Cabanne (P.) : Entretiens avec Marcel Duchamp, p. 169. Belfond, Paris, 1967.

2. Sur le concept d'humour objectal, voir Sarni-Ali : Le haschisch en Égypte, p. 283. Payot, Paris, 1971.

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des êtres, par la mise en œuvre d'un;:) « causalité iro­nique Il qui consiste à « donner toujours ou presque le pourquoi du choix entre deux ou plusieurs solutions 1 »

possibles. Possibles parce que dissolvant le rationnel sur le terrain duquel elles naissent et évoluent. « En distendant un peu les lois physiques et chimiques Il

(p. 101), des possibilités insoupçonnées se font jour dans lesquelles s'oblitèrent les frontières du subjectif et Je l'objectif. On n'est pas si loin de la « plitaphysique Il

qui, on le sait, est « la science des solutions imagi­naires 2 » : « •.. un fil horizontal d'un mètre de longueur tombe d'un mètre de hauteur sur un plan horizontal en se déformant à son gré et donne une figure nouvelle de l'unité de longuel}r 3 1); « Par condescendance, ce poids est plus dense à la descente qu'à la montée )1

(p. 86); « Une boîte de suédoises pleine est plus légère qu'une boîte entamée parce qu'elle ne fait pas de bruit »

(p. 156); « Parmi ilOS articles de quincaillerie pares­seuse, nous recommandons un robinet qui s'arrête de couler quand on ne l'écoute pas )1 (p. 154); « Les lames de rasoir qui coupent bien et les lames de rasoir qui ne coupent plus. Les premières ont du "" coupage" en réserve 1) (p. 47), etc. Équations de pure virtualité dans lesquelles se manipule un possible qui n'est pas « le contraire de l'impossible » mais seulement un « mordant physique genre vitriol brûlant toute esthétique ou callistique 1) (p. 104). Toutes, d'ailleurs, supposent une double identification du corps à la machine et de la machine au corps. Non seulement que la machine est originairement l'image projetée du corps lequel, par ricochet, participe de la machine, mais que pareille­ment machine et corps sont d'essence imaginaire., Une seule et même énergie y circule, qui est avant tout une

l, Dueham'p (M,) : Ibid., p. 46. 2. Jarry (A.) : Gestes et opinions du docteur Faustroll, p. 32. Fas­

quelle. Paris. 1955. 3. Duchamp (M.) : Ibid., p. 50.

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énergie sexuelle sans objet précis. Transformable, rien n'empêche qu'elle se convertisse en une force motrice. Et Marcel Duchamp d'imaginer « un transformateur destiné à utiliser les petites énergies gaspillées comme: l'excès de pression sur un bouton électrique, l'exhalai­son de la fumée de tabac; la poussée des cheveux, des poils et des ongles. La chute de l'urine et des excré­ments. Les mouvements de peur, d'étonnement, d'ennui, de colère. Le rire. La chute .,cles larmes. Les gestes démonstratifs des mains, des pieds, les tics. Les regards durs. Les bras qui en torribent du corps. L'étirement, le bâillement, l'éternuement. Le crachat ordinaire et de sang. Les vomissements. L'éjaculation. Les cheveux rébarbatifs, l'épi. Le bruit de mouchage, le ronfle­ment. L'évanouissement. Le sifflage, le chant. Les sou­pirs, etc. » (p. 272). La force pulsionnelle est une force machinale, laquelle à son tour peut être une force pul­sionnelle. C'est cette dernière équation que réalise La mariée mise à nu par ses célibataires même, « inter­prétation mécaniste cynique du phénomène amou­reux 1 », œuvre aux confins du verbal et du visuel, tout droit sortie du « procédé » rousselien 2.

« 2 éléments principaux : 1 - Mariée 2 - Céliba­taires ... Mariée en haut, célibataires en bas.

« Les célibataires devant servir de base architecto­nique à la Mariée, celle-ci devient une sorte d'apothéose de la virginité.

1. Breton (A.) : Le phare de la Mariée, in Le surréalisme et la peinture, p. 118, Brentano.

Cf. Carrouges (M.) : Les machines célibataires, p. 43 et suiv. Arcanes, Paris, 1954.

2. Duchamp (M.) : Ibid., p. 173. Cf. Clair (J.) : Marcel Duchamp ou le grandfictif, p. 25. Galilée, Paris,

1975. A force de gloses, on risque de perdre de vue que La mariée est avant

tout une peinture sur verre rigoureusement belle dont la transparence calculée fait intervenir, par un jeu de superposition où se rejoignent le fortuit et le nécessaire, l'espace réel dans l'espace de la représentation. Elle est à tout moment pourvue de plus de trois dimensions, répondant ainsi aux spéculations de Duchamp sur l'espace multidimensionnel.

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« Machine à vapeur avec soubassements en maçon­nerie sur cette base en briques.

« Assise solide, la machine-célibataire, grasse, lubrique ...

« A droite (en montant toujours) où se traduit cet éro­tisme qui doit être un des grands rouages de la machine­célib ataire.

« Ce rouage tourmenté donne naissance à la partie désir de la machine. Cette partie-désir change alors l'état de la mécanique qui de vapeur passe à l'état de moteur à explosions ...

« Ce moteur-désir est la dernière partie de la machine célibataire. Loin d'être en contact direct avec la Mariée , le moteur-désir est séparé par un refroidissement à ailettes (ou à eau).

« Ce refroidissement (graphiquement) pour exprimer que la Mariée, au lieu d'être seulement un glaçon as en­suel refuse chaudement (pas chastement) l'offre brus­quée des célibataires. Ce refroidissement sera en verre transparent. Plusieurs plaques de verre, les unes au­dessus des autres.

« Malgré ce refroidissement, il n'y a pas de solution d< continuité entre la machine-célibataire et la Mariée. Mais les liens seront électriques et exprimeront ainsi la mise à nu : opération alternative. Court-circuit au besoin 1 ... »

Dans cette réduction du corps à la machine et de la machine au corps, les deux formes, loin de désigner une réalité concrète, donnée une fois pour toutes, n'existent que comme une possibilité qui ne s'actualise jamais. Car le corps, chez Duchamp, reste à inventer, au même titre que la machine. Sous-jacent à cette invention est un érotisme diffus, sans éclat, qui se ramène plutôt à une « sorte de climat érotique 2 » assez

1. Duchamp (M.) : Duchamp du signe, p. 58-59. 2. Cabanne (P.) : Ibid., p. 166.

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homogène. L'œuvre de Duchamp nous fait ainsi assister, en dehors de tout dessein symbolique, à la genèse iro­nique du corporel et du machinal. Le corporel et le machinal naissent du même geste sur un fond que l'humour rend aussi neutre que possible. On comprend dès lors que l'équivalence du corps et de la machine entraîne d'autres équivalences et que tous les moyens d'expression, « un point, une ligne, le symbole le plus ou le moins banal » (p. 171), tout autant que le silence, le jeu et le renoncement, sont,interchangeables. Son­geons que « chaque respiration est une œuvre qui ne s'inscrit nulle part, quip,n~êst ni visuelle ni cérébrale » (p. 135), et que l'œuvre elle-même n'a pas besoin d'être créée. Il suffirait de signer n'importe quel objet, en ajoutant une phrase « destinée à emporter l'esprit du spectateur vers d'autres régions plus verbales 1» : urinoir, baptisé « Fontaine »; reproduction bon marché d'un paysage de soir d'hiver, légèrement retouchée et intitulée « Pharmacie »; une pelle à neige avec l'ins­cription : « En prévision du bras cassé » (p. 191), etc. Le ready-made, ici, est « un objet usuel promu à la dignité d'objet d'art par le simple choix de l'artiste » (p. 49). Choix qui, délibérément, repose sur une « réac­tion d'indifférence visuelle, assortie au même moment à une absence totale de bon ou de mauvais goût ... en fait une anesthésie complète » (p. 191). Le réciproque est concevable : « Se servir d'un Rembrandt comme planche à repasser» (p. 49). Le banal est donc vir­tuellement objet d'art et l'objet d'art virtuellement banal. Et « comme les tubes de peinture utilisés par l'artiste sont des produits manufacturés et tout-faits, nous devons conclure que toutes les toiles du monde sont des ready-mades aidés et des travaux d'assem­blage» (p. 192). Au banal, désormais, aucune limite.

Aussi une ascèse s'impose-t-elle à la production du

l. Duchamp (M.) : Ibid., p. 191.

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banal qui sera rare et ritualisée : « En projetant pour un moment à venir (tel jour, telle date, telle minute) "d'inscrire un ready-made ". Le ready-made pourra ensuite être cherché (avec tous les relais). L'important alors est donc cet horlogisme, cet instantané, comme un discours prononcé à l'occasion de n'importe quoi, mais à telle heure. C'est une sorte de rendez-vous» (p. 49).

* Ce qui, chez Duchamp, ne cesse d'être une potentia­

lité.,~pe tardera pas à devenir dans le Pop Art, vers les années 1960, une réalité doublement marquée par les mass media et la société technologique. Le rendez-vous avec .le banal est maintenant répétitif, quotidien, envahIssant, de même que « l'ironie d'affirmation)), perdant cette extraordinaire tension d'où elle est issue «( ,il n'y a pas de solu.tion parce qu'il n'y a pas de pro­bl,e~e » ~ p. ,1 7) devle~t une formule passe-partout 1 generatrlce d un art qUI se veut, face aux rêves indis­tincts de l'expressionnisme abstrait, résolument et agressivement banal. Banal, c'est-à-dire « optimiste, généreux et naïf)), à l'image même du « Rêve Améri­cain » 2. Ainsi finit par s'intégrer à la réalité sociale une forme de sensibilité qui n'en constitue pas moins l'exacte. négation. L'œuvre d'Andy Warhol, dans lequel s'mcarne ce paradoxe, paraît ici hautement représentatif.

Peintre et cinéaste d'une rare productivité, person­nage sans énigme mais combien pour cela énigmatique, Warhol déclare : « Les interviews, c'est la même chose que s'asseoir à la Foire Mondiale dans ces voitures

1. Voi~ par exemple Finch (C.) : Pop Art. Studio Vista, London, 1973. 2. IndIana (R.) : « What is Pop Art? Answers from 8 painters ». Art

News, vol. 62, nO 7, 1963.

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Ford qui vous promènent pendant que quelqu'un récite un commentaire; j'ai l'impression que les mots viennent de derrière moi et pas de moi. L'interviewer devrait simplement me dire les mots qu'il veut que je dise et je les répéterai après lui. Je pense que cela serait très bien parce que je suis tellement vide que je ne trouve rien à dire ... C'est vrai que je ne trouve rien à dire et je ne suis pas assez malin pour reconstruire les mêmes choses chaque jour, aussi je ne dis rien ... Je suis très passif. J'accepte les choses. Je Ille'éontente de regarder,

• d'observer le monde ... Tous mes films sont artificiels, mais à vrai dire tout est 'en quelque sorte artificiel. Je ne sais où s'arrête l'artificiel et où commence le réel... Je ne dis vraiment pas grand-chose en ce moment. Si vous voulez tout savoir d'Andy Warhol, ne regardez que la surface : celle de mes peintures, de mes films et la mienne et me voilà. Il n'y a rien derrière 1. »

N'être qu'une surface qui est indifféremment soi­même ou l'objet, c'est d'emblée se poser comme inter­changeable. Tout est rendu à une existence immédiate: « Je lis seulement la texture des mots. Je vois tout comme ça, la surface des choses, une sorte de Braille mental, je passe seulement mes mains sur la surface des choses 1. » Avec la suppression de la dimension de profondeur, les caractéristiques individuelles s'es­tompent au profit des traits communs. N'importe qui est virtuellement n'importe quoi. « Je pense, dit encore Warhol, que tout le monde devrait être comme tout le monde 1.» Souhait reflétant la tendance générale à l'uniformité, spontanée aux U.S.A., imposée en U.R.S.S. «( tout le monde paraît pareil et agit pareil et nous allons de plus en plus en ce sens 2 »), et que la démarche propre de l'artiste se charge de réaliser.

Dans cette démarche, tout souci d'II esthétique » dis­paraît, en même temps que perdent leur valeur peindre

1. Warhol (A.) : « Rien à perdre ». Cahiers du cinéma, 10, 1969. 2. Id. : « What is Pop Art? ». Art News, 62, 7, 1963.

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et savoir peindre, soit que « le style n'a vraiment pas d'importance 1», soit que la catégorie d'esthétique éclate dès que se fait jour un art « pour tout le monde 2 ». L'œuvre n'a même plus besoin d'être créée puisqu'elle existe déjà toute faite dans les images que véhiculent sans arrêt la presse, la télévision, la publicité, les bandes déssinées, etc. Les reproduire aussi fidèlement que possible 3, à l'aide d'un procédé technique comme la sérigraphie, c'est en cela uniquement que consiste à présent l'acte de peindre. Acte dont la mécanisation atteste que le peintre lui-même, à l'instar de tout le monde, est devenu une machine. L'intervention de l'artiste se limite, en tout état de cause, au choix du matériau et à sa répartition dans un espace qui imite le grouillement publicitaire. Sa présence, au-delà de l'image, est simplement trahie par les aléas de l'exé­cution : pression inégale de la main, encre débordant, surface accidentée, etc. Encore que le recours à la séri­graphie dispense de produire sa propre peinture : non seulement la facilité du procédé la met à la portée de tous, mais encore les tableaux sont copiés par des assis­tants sur des originaux « comme cela se passerait dans une usine 4». L'œuvre dans laquelle moyens et fins se confondent n'a pas la prétention de transcender les gestes mécaniques qui président à sa genèse et qui font d'elle le message d'un médium qui est lui-même le message 5. Affirmation circulair~ et tautologique où l'ac­tivité artistique, devenue fonct~onnelle, semble mettre en pratique la définition opérationnelle du concept qui, selon Bridgman, « ne vaut rien de plus qu'un ensemble

1. Ibid. 2. Id. : « Rien à perdre. »

3. « Dans l'art, la beauté d'une œuvre est déterminée non seulement par la maîtrise formelle de l'auteur, mais en premier lieu par la fidélité de la reproduction du réel... » Ziss (A.) : Éléments d'esthétique marxiste, p. 169-170. Éd. du Progrès, Moscou, 1977.

4. Warhol (A.) : « Rien à perdre. »

S. Cf. McLuhan (M.) : Pour comprendre les média, p. 23 et suiv. Mame­Seuil, Paris, 1968.

Esthétique 63

d'opérations 1 ». L'œuvre est ce qu'elle est et il n'y a rien à comprendre 2.

Dans cette situation de parfait dénuement, paradoxa­lement née de trop de richesses, l'artiste ne peut que réfléchir les images d'un réel dont il est complice. (<< Je n'ai pas d'idées arrêtées sur rien, dit Warho~. Je me sers seulement de ce qui se passe autour de mOl comme matériau 3. ») Images en l' occurren,ce typiques q~i, fa~te de pouvoir maintenir la distinetion entre le smguher et le général, versent dans rinfrasymbolique. Ce ne sont, par conséquent, ni des"'« Icônes comportant dans leu~ identité physique les propriétés et sens de tout ce qUI leur ressemble 4 » ni, à plus forte raison, les copies d'une réalité idéalisée, mais ce qui reste de la représenta­tion lorsque tout se banalise. Pour Warhol en effet, tout le monde est une « beauté 5 » ou, pour peu qu'on songe à l'habitude de la société américaine de « faire des héros de n'importe quoi et de n'importe qui 6 », « tout le monde est une star 7». Non seulement Jacqueline Kennedy (<< Jackie »), Élizabeth Taylor (<< Liz »), Marilyn Mon­roe, Elvis Presley (( Elvis») et Mona Lisa, mais aussi tous les personnages marginaux que célèbrent pour ~n jour les faits divers : criminels recherchés, travestIS, prostitués, victimes d'émeutes raciales ou d'accidents de la circulation. Stars enfin sont les objets dans leur existence fonctionnelle : bouteilles de « Coca-Cola »,

1. Cité par Marcuse (H.) : L'homme unidimensionn,*/, p. 38. Éd. de Minuit, Paris, 1968.

2 et 3. Warhol (A.) : « Rien à perdre. »

Cf. Baudrillard (J.) : La société de consommation, p. 177. Gallimard, Paris, 1970.

4. Cipnic (D.) : « A. Warhol: Iconographer. » Sight and Sound, nO 3, 1972.

S. Warhol (A.) : From A to Band Back Again. The Philosophy of Andy Warhol, p. 61. Cassell, London, 197 S.

6. Id. : « Rien à perdre. » . . 7. Cité par Gidal (P.) : Andy Warhol, p. 12. StudIO VIsta .. London,

1971. - « Dans le futur, remarque-t-il un jour dans un aphOrIsme, tout le monde sera mondialement célèbre pendant au moins un quart d'heure. »

Cité par Koch (S.) : Hyperstar-Andy Warhol, son monde et ses films, p. 37-38. Chêne, Paris, 1974.

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coupures de deux dollars, boîtes de soupe « Campbell »,

tampons à récurer « Brillo », la chaise électrique 1, etc. Thèmes textuellement traités dont seule la couleur subit de notables changements et où les probables allusions symboliques sont d'une totale évidence (vignette décom­posée d'une boîte de soupe rongée par la rouille 2, etc.) Il n'en reste pas moins que Warhol se défend de vouloir créer des imagos symboliques, même quand il s'agit de vedettes qui passent pour être un symbole sexuel : « Je vois, dit-il, Monroe comme n'importe quelle autre personne. Quant à savoir~Jt&.L§.y.!!l,..hQJia'!!tQe peindre Monroe avec des couleurs si violentes: c'est la beauté, elle est belle, et si quelque chose est beau, cela fait de jolies couleurs, c'est tout 3. Le tableau de Monroe faisait partie d'une série de morts que je faisais, des gens morts de différentes manières. Il n'y avait pas de raison pro­fonde à faire une série de morts, pas du tout le côté" vic­times de leur époque "; il n'y avait vraiment aucune raison de le faire. Seulement .!!!!~~~~~l! Sl:!E.~Çj~~!L~.!,;..»

Un sentiment de détachement proche de l'indif­férence s'en dégage, auquel Warhol donne une expres­sion directe : « Je m'intéresse encore aux gens, mais ce serait tellement plus simple de ne plus m'en soucier ... C'est trop difficile de s'en soucier ... Je ne peux pas être trop mêlé à la vie des autres ... Je ne veux pas m'en approcher de trop près ... Je n'aime pas toucher les choses ... C'est pourquoi mon travail est si loin de moi 5. »

Et récemment encore : « Nous sommes mariés, mon magnétophone et moi depuis dix ans maintenant. Quand je dis" nous ", j'entends mon magnétophone et moi.

1. Voir Morphet (R.): Andy Warhol. The Tate Gallery, London, 1971. 2. C'est en ce sens qu'on a pu écrire: « Ou les films et l'art de Warhol

ne veulent rien dire ou au contraire ils veulent tout dire. » Lippard (L.) : Le Pop Art, p. 99. Hazan, Paris, 1969.

3. Quoique aux antipodes de Warhol, Cézanne ne dit rien d'autre quand il recommande de « traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective ». Lhote (A.) : De la palette à l'écritoire, p. 255. Corréa, Paris, 1946.

4 et 5. « Rien à perdre. »

Esthétique 65

L'acquisition de mon ma~nétopho.ne a rée~lemen~ ~is fin au peu de vie affectIve que Je pouvaIs aVOir . »

Cependant l'image typique: qui e~t im~~e de l'image, restitue la chose dans sa presence ImmedIate : elle est ce qu'elle est et rien de plus. Sens et non-sens y sont si transparents (( Je crois que tout le monde comprend tout le monde 2 ») que les seules difficultés que rencontre le déchiffrage, dans cette sorte de présence qui est l'absence même, sont purement!llatérielles : détails estompés, signature illisible, eü:: LacUJ:es d'.informa~ tion par quoi s'insinue J1};c~e~cient d'm?ertIt~~e q~I laisse planer le doute sur les evenements reels. L ImagI­nation est sollicitée par une représentation littérale à laquelle elle reste entièrement soumise et dont l'ina­chèvement définit un imaginaire par manque d'imagi­naire, c'est-à-dire une irréalité négative 3. Typique et littérale, l'image ne tend pas moins à proliférer o.utr~ mesure. Le vide qui est l'être des choses et de celUi qUi en recrée l'apparence reste lié à la répétition du mêm.e : mêmes scènes, mêmes objets, mêmes visages, en séries ôuccessives qui harcèlent le regard. Alors pren~ forme une temporalité linéaire qui s 'interrompt e~ se. dIslo~u.e au fur et à mesure. Le chaos, qu'une orgamsatlOn mIm­male entend dominer fait à tout instant irruption. Et il peut advenir, à force de répétition, que le temps s'im­mobilise. Sous-jace~~ à l'œuvre picturale ,de .Warh~l, cet aspect de l'experIence temporelle est 1 umque leIt­motiv de ses films muets en noir et blanc qui, par leur absolue fixité, durent le temps que dure l'événement: six heures pour un homme qui dort ~ix heures (Sl~ep! 4; huit heures pour observer l'EmpIre State BUIldmg

1. Warhol (A.) : From A ta Band Back Again, p. 26. 2. Id. " « Rien à perdre. » .. . . 3. Voir Sami-Ali : Corps réel, corps Imaglnatre, p. 45. Dunod, Paris,

1977. 4. « Et pourtant, tandis que les minutes s'écoulent, l'œuvre semble sou­

ligner J'aspect halluciné de sa temporalité comme peu de films le font. » Koch: Hyperstar-Andy Warhol, son monde et ses films, p. 69. Chêne, Paris, 1974.

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(Empire 1) etc. Ce n'est désormais qu'un seul instant qui s'étire indéfiniment. Warhol, dans sa peinture, crée le temps avec l'espace et dans ses films, l'espace avec le temps. Temps littéral de l'oubli et du perpétuel recom­mencement.

Un nivellement similaire caractérise l'organisation spatiale où des procédés techniques exagérant les valeurs extrêmes aboutissent à supprimer les nuances dont seule dépend la perception de profondeur. L'image en se schématisant s'aplatit, de sorte que l'espace dans lequel elle est contenue ne fait qu'un avec la surface même du tableau (un carré autant que possible parce que longueur et largeur y sont neutralisées 2). Seule­ment, la bidimensionnalité n'est pas ici signe que l'es­pace s'agence selon le principe d'inclusions réciproques 3

(encore que ce principe soit imparfaitement présent dans une sérigraphie de 1965, « Jackie », composée de huit images, elles-mêmes composées de deux blocs de quatre images, chacun des deux blocs étant composé de deux têtes presque identiques). Tout se passe, en revanche, comme si la représentation ne délaissait la profondeur que pour reproduire faiblement l'espace de la perception. L'emploi des couleurs artificielles fort c0ntrastées «( J'aime les idoles en plastique 4 »), cou­leurs qui souvent se chevauchent et débordent, vient encore renforcer l'impression d'étalement de l'ensemble. Copie d'une copie du réel, l'image peu à peu s'achemine vers l'abstrait, son être véritable.

Mais la répétition,. dépouillée de toute connotation symbolique inconsciente (la vulgarisation de la symbo­lique freudienne contribuant à ce résultat paradoxal), ne se borne pas à produire un sentiment de monotonie

1. « Empire est un acte d'attention aussi absurde que pesante, une attention que personne n'accepterait d'accorder ou d'endurer. » Ibid., p.85.

2. Warhol (A.) : From A to Band Back Again, p. 149. 3. Voir supra, p. 49. 4. Warhol (A.) : From A to Band Back Again, p. 53.

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qui naît de l'évanouissement de l'objet. Elle a, de sur­croît, deux fonctions complémentaires : créer méca­niquement un état d'hypnose s'apparentant aux vertiges de l'eXpérience psychédélique, encore que celle-ci soit étrangère à la genèse de l'œuvre; atténuer la force de certaines images dont l'impact se dégrade à la longue : « Lorsque vous voyez plusieurs fois de suite un tableau macabre, il n'a plus vraiment aucun effet 1. » Principe qui, dans l'esprit de Warhol, (applique également à toute perception, de quelque coloration affective qu'elle soit : « Quand on regarsle"quelque chose longtemps, je m'en suis aperçu, la signification s'en va 2. » C'est donc la première fonction de la répétition, l'effacement par la récurrence du même, qui l'emporte en définitive.

Que dans cette attitude devant l'art et la vie entre une part de pathologie personnelle, Warhol l'accorde avec candeur. Enfant, il était sujet à des crises nerveuses que « le médecin appelait la danse de Saint-Vitus. Je man­geais trop de bonbons. J'étais faible et je mangeais tous ces bonbons 3. » Et plus tard, victime d'un attentat pas­sionnel 4 qui faillit lui être fatal : « Depuis que j'ai été blessé, tout semble faire partie d'un rêve. Je ne comprends pas ce qui se passe. Et je ne sais pas si je suis vivant ou mort 5. » Mais cette soudaine familiarité de la mort ne fait que souligner quelque chose qui était déjà là. « Avant d'être blessé, j'ai toujours pensé que j'existais à moitié et non tout à fait, j'ai toujours soup­çonné que je regardais la télévision au lieu de vivre la vie. Les gens disent parfois que la manière dont les choses arrivent dans les films est irréelle, mais en fait c'est la manière dont les choses arrivent dans la vie qui est irréelle. Les films s'arrangent pour que les émotions

1. Warhol (A.) : « What is Pop Art? ». Art News, 62, 7, 1963. 2. Id. : « Rien à perdre. »

3. Cité par Gidal (P.) : Andy Warhol, p. 9. 4. Perpétré par Valerie Solanas, fondatrice de la S.C.U.M. (Society for

Cutting Up Men). 5. Cité par Koch : Hyperstar ... , p. 30.

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paraissent si fortes et réelles tandis que, lorsque les choses vous arrivent réellement, c'est comme si vous regardiez la télévision, vous ne sentez rien. Au moment où j'ai été blessé, et ça continue depuis, je savais que j'étais en train de regarder la télévision. On change de chaîne, mais c'est toujours la télévision 1. JI Face à cette situation sans issue, on comprend que pour Warhol la gloire- constitue « la solution de l'énigme de l'exis­tence et de la non-existence : son retrait est si patholo­giquement profond que seule la célébrité peut rendre la vie digne d'être vécue, ou peut même être conçue comme forme de vie 2. JI

C'est pourtant une attitude plus fondamentale qui se révèle dans cette passive mise en doute de la valeur de l'existence: « Ça ne change rien pour moi d'être reconnu par les snobs, si ça arrive c'est merveilleux et si ça n'arrive pas tant pis. Je pourrais aussi bien être oublié tout d'un coup. Ça n'a. pas plus d'importance que ça. J'ai toujours eu cette philosophie de '" cela n'a pas vraiment d'importance ". C'est une philoscphie orien­tale plus qu'occidentale 3. JJ Indifférence au monde autant qu'à soi-même dans laquelle Warhol va jusqu'à reproduire sa propre dissolution (se teindre les cheveux en blanc argenté, se faire remplacer par un faux Andy Warhol, inventer ur. jeu où le nom « Andy Warhol JJ

disparaît dès qu'on plonge dans l'eau, suivant le mode d'emploi, une feuille de papier sur lequel il est imprimé.)

A cette extrémité, sujet et objet, temps et espace tendent vers l'homogénéité absolue, celle qu'engendre le retour incantatoire du même.

Le banal chez Warhol signifie l'indifférence en tant que forme de sensibilité où s'affirme la présence de l'objet et l'absence du sujet ou l'absence de l'objet et la présence du sujet. Renversement que médiatise une

1. Warhol (A.) : From A to B. .. , p. 9l. 2. Koch (S.) : Hyperstar ... , p. 42. 3. Warhol (A.) : « Rien à perdre. »

Esthétique 69

incessante atténuation qui finalement ne laisse subsis­ter, à travers l'image évanescente, que la pulsion à l'état pur. Celle-ci ne définit pas moins la représenta­tion, lorsque s'évanouit toute représentation, mais elle la définit négativement en restituant, en fonction d'une mouvance qui se nie perpétuellement, un temps qui est espace et un espace qui est temps. La mémoire ne garde que la trace de l'oubli parce que, à tout instant, on est à l'aube de l'être. Cependant, l~"pulsion dans l'esthé­tique warholienne n'est pas s~ulement pure, elle est toujours minimale et tOlfteproche du point zéro d'exci­tation. Ce vide d'investissement se projette dans une infinité d'images qui sont au fond la même image. La dépense énergétique, s'engageant dans la voie de moindre résistance, ne vise pas à produire le moins avec le plus mais le plus avec le moins. C'est la facilité qui provient de la mise en œuvre d'une technique de reproduction. « Voyez-vous, dit Warhol apprenant que l'œuvre complète de Picasso comportait quatre mille toiles, voyez-vous, comme je les fais avec ma technique, j'ai vraiment pensé que je pourrais faire quatre mille tableaux en un jour. Et qu'ils seraient tous des chefs­d'œuvre parce qu'ils seraient tous la même peinture 1. »

La même peinture qui serait l'image d'une vie conçue comme étant le travail le plus dur dont on ne veut pas toujours s'acquitter (p. 96), et d'une sexualité neutre se confondant avec la perte d'énergie que représente « trop de travail JJ (p. 97). « Je me demande, ajoute Warhol, s'il est plus dur (1) pour un homme d'être un homme, (2) pour un homme d'être une femme, (3) pour une femme d'être une femme, ou (4) pour une femme d'être un homme JI (p. 98). L'étalement de l'univers warholien relève de cette distance qui se maintient sans relâche avec tous les objets sexuels, ainsi que d'une pul­sion abstraite qui se généralise. Les tendances perverses,

1. Warhol (A.) : From A to B ... , p. 148.

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manifestes dans des films où parfois la sexualité touche à l'anonymat de la pornographie, doivent être comprises comme des tentatives de remplissage qui tournent court. Car le vide est toujours là, relativement à quoi la perversité paraît comme l'élégance ostentatoire du néant. C'est de ce néant que part l'esthétique de Warhol et à ce néant qu'elle aboutit. Toute la difficulté réside alors dans l'interprétation de cette intuition fondamen­tale qui se résume lapidairement : « Moins une chose a à dire, plus elle est parfaite 1. »

L'expérience directe de la mort, aussi incroyable qu'elle puisse être 2, vient simplement corroborer ce qui déjà s'annonçait dans l'intensité paradoxale de la passivité.

Or av~ir ~té une f~is si près de la fin n'implique pas que la VIe s oppose a la mort mais que, au contraire, dès q~e se perd la distance primordiale, on s'aperçoit que . vlv~e et. mourir s'équivalent et que, « parce que la vIe n est,rIen » (p. 12), s'approcher de la mort c'est s'approcher de la vie. Le sentiment d'indifférence chez "Y"ar~o! n'es,t

A

donc que l'expression de cette impossible IdentIte de 1 etre et du non-être qui le fait s'exclamer: « ~e rien est excitant, ~e rien est sexy, le rien n'est pas genant Il (p. 9). « Le rIen est parfait parce que, après tout, il ne s'oppose à rien» (p. 8). , Mai.s l'humour ?e s'exerce pas à vide et la vérité qui

s.y !russe en~revOlr est celle d~ la problématique nar­cIssIque du vIsage et du corps sexué.

Certes pour Warhol, le néant c'est d'abord néant de soi : être sans être dans un corps qui partout conserve le m~me éca:t infranchi~sable. « Un critique m'a appelé le Neant Meme, ce qUI ne m'a nullement aidé à me sentir exister. Puis je me suis aperçu que l'existence elle-même n'est rien et je me suis mieux senti. Mais m'obsède encore la pensée de regarder dans le miroir

1. « Rien à perdre. »

2. Warhol (A.) : From A to B ... , p. 123.

Esthétique 71

et de n'y voir personne, rien. » Un pas de plus et, par­delà l'illusion formelle de l'altérité qu'est l'image spé­culaire, se découvre l'identité matérielle de soi et de l'autre qu'est l'être du miroir: « Je suis sûr que je vais regarder dans le miroir et ne rien voir. Les gens ne cessent de m'appeler un miroir et si un miroir regarde dans un miroir, qu'y trouvera-t-il â voir? » (p. 7).

Autant le visage propre est perçu comme absence, ce qui rejoint l'eXpérience subjec~jve du visage, lequel est d'abord un non-visage eûstant uniquement pour l'autre, avant d'être lui-m~e le visage de l'autre, c'est­à-dire de la mère l, aufânt les visages sont fascinants à l'excès. Fascinants comme seule peut l'être, lorsque percevoir cède à la projection, une image qui rappelle sa secrète appartenance à soi. C'est d'ores et déjà le dédoublement de soi dans un autre qui est le double.

« Les gens, dit Warhol, sont tellement fantastiques, on ne peut pas rater une photo 2. » Et, à propos de ses réalisations cinématographiques centrées sur un seul acteur parce que souvent « les gens ne vont au cinéma que pour voir la vedette, pour la dévorer 3 Il : « Le tra­vail de caméra est mauvais, l'éclairage est affreux, le travail technique est horrible mais les gens sont fan­tastiques 4. » Aussi n'est-il pas un hasard qu'un cau­chemar répétitif restitue au visage son caractère ambigu d'être sans être (car en fin de compte, le visage n'existe au plan de la vision que pour un autre que le miroir remplace) et que le masque y apparaisse comme un objet fétichiste destiné à cacher un manque.

« On m'a amené dans une clinique. Je faisais en quelque sorte partie d'un gala de charité pour remon­ter le moral à des monstres : des gens horriblement

1. Sarni-Ali : Corps réel, corps imaginaire, p. 117 et suiv. Dunod, Paris, 1977.

2. Cité par Koch (S.) : Ibid., p. 133. 3. Warhol (A.) : Les cahiers du cinéma. 4. Cité par Cipnic : Ibid.

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défigurés, des gens nés sans nez, des gens qui devaient couvrir leurs visages de bandes de plastique parce que, en dessous, il n'y avait rien. Il y avait quelqu'un qui était responsable de la clinique et qui s'efforçait d'expliquer les problèmes de ces gens-là ainsi que leurs habitudes et je me tenais debout là et je devais écouter et je voulais que ça cesse. Puis je me suis réveillé et j'ai pensé : " Pourvu, pourvu que je pense à quelque chose d'autre. Je vais me retourner et penser, si je ~eux, à quelque chose d'autre ". Je me suis retourné et je me suis rendormi et voilà que le cauchemar revient. C'était affreux 1. »

L'art de Warhol ne peut se comprendre qu'une fois atteinte cette nuit qui double et soutient la surface réfléchissante. Alors se dévoile la vérité de ces décla­rations surprenantes qu'il faut, on s'en aperçoit, prendre à la lettre. Car le monde warholien est un monde de visages absents et prés~nts à la fois, interchangeables et pourvus du même signe parce qu'ils n'existent que comme simples substituts. La création a beau se méca­niser, elle ne cesse d'être un effort démesuré pour don­ner forme à l'informe et retrouver, au-delà de la perte, un visage qui est soi-même et le premier objet 2.

Par l'identité du regard et de la chose regardée,

1. Warhol (A.) : From A ta B ... , p. 9. 2. Quelque chose de parallèle, malgré J'immense différence. se ren­

contre dans Michaux. D'une part: « Je connais si peu mon visage que si l'on m'en montrait

un du même genre je n'en saurais dire la différence (sauf peut-être depuis que je fais mon étude des visages ... ) C'est pourquoi je regarde facilement un visage comme si c'était le mien. Je l'adopte. Je m'y repose ... » Pas­sages, p. 148-149. Gal!imard, Paris, 1963.

D'autre part : « Dessinez sans intention particulière, griffonnez machinalement. il apparaît presque toujours sur le papier des visages. Menant une excessive vie faciale, on est aussi dans une perpét:uelle fièvre de visages. Dès que je prends un crayon, un pinceau, il m'en vient sur le papier J'un après l'autre dix, quinze, vingt. Et sauvages la plupart.

« Est-ce moi, tous ces visages? Sont-ce d'autres? De quels fonds venus? Ne seraien~-ils simplement la conscience de ma propre tête réfléchis­sante?.. Ce' n'est pas dans la glace qu'il faut se considérer. Hommes regardez-vous dans le papier », Ibid., p. 87 et 89.

Esthétique 73

Warhol parvient à un style dans lequel s'élabore sa problématique la plus fondamentale. Le fait qu'il dis­paraisse par mimétisme dans des images d'emprunt qu'il prolonge, ne l'empêche pas pour autant, « fantôme des media », d'interroger avec insistance. « Installé dans son absence aux êtres et aux choses, Warhol explore le mystère de la distance avec l'obsession de ce qui constitue pour lui l'énigme impénétrable de la présence humaine, le corps et le visage h,ymains 1. »

Et devant le miroir, les traits' se précisent et cernent un vide qui est l'être en" soh identité avec le non-être: « Rien ne manque, tout y est. Le regard dénué d'affect. La grâce diffuse. La langueur de l'ennui, la pâleur en pure perte, l'élégante outrance, l'étonnement essentiel­lement passif, le savoir secret et ensorcelant. .. La naï­veté de l'enfant mangeant un chewing-gum, l'éclat enraciné dans le désespoir, la négligence admirative d'elle-même, l'altérité portée à son point de perfection, la légèreté, l'aura ténébreuse, voyeuriste et vaguement sinistre, la présence magique, pâle et feutrée, la peau et les os ... 2 »

Rarement un artiste a été aussi près d'une réalité qui est la sienne et celle de son époque.

*

A la question de savoir si une esthétique du banal est possible, deux positions théoriques, plus ou moins issues des « bruits et fureurs» dadaïstes, et considé­rant l'indifférence comme révélation de l'être, per­mettent de répondre: la première, celle de Breton, définit le banal, dans une quête illimitée du surréel, comme la transformation en contenu manifeste d'un contenu latënt-:-"Lec}üimp"a:rïaIytique'est' âI~'~I"éi;;'gr'~~i~ ~ui-lement dépassé. La seconde, inaugurée par Roussel

1. Koch (S.) : Ibid., p. 44. 2. Warhol (A.) : From A ta 8. .. , p. 10.

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1.

II \

74 Le banal

et se continuant avec Duchamp et Warhol, voit dans le littéral l'essence même du banal. La création s'ache-ffii~Jën~!Ile!!.!"y~.!Ü!ne·toJ~kÈ!~~a~I~~ron,cependant que l'humour et la répétition font sentir la présence du sujet. La projection rie' se contente pas dêTilire-çà 'et là irruption dans un réel qui reste inchangé. Avec les moyens les plu's humbJes, elle crée un autre réel qui est

\ un autre objet, un autre espace et un autre temps 1.

L ~~~~i.9..~~_~'~"~~~'~~"" ~:~:stJ':,e§t1!~ti.g.!l.~. g~ t~~h§_olue ~ ll~j ecti vi t~, C!~ un e s ll~ j,e~ti vi t~_s~~ ~,~~j~tq,~L~.s~ ~lL~-.êi u?e objectivité ~.a?s O?j~,~,

l, Temps de la musique répétitive à propos duquel John Cage, quj a lui-même influencé le Pop Art, fait remarquer: « ... L'ennui ne surgit que si nous le suscitons en nous-mêmes. Voilà pourquoi j'ai dit tout à l'heure que nous n'étions plus là : il n'y a plus d'ennui, dès lors qu'il n'y a plus d'ego. Nous avons ceci en commun justement, que nous brisons avec notre ego: alors tout renaît sans cesse. Et il n'y a plus le moindre ennui. » Cage (J.) : Pour les oiseaux, p. 40-41. Belfond, Paris, 1976.

II

Pa th 0 IO!Jie

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192 Le banal

rouie et la vue, s'abîme ainsi dans l'harmonie univer­seÎle » (p. 59).

Ici disparaissent toutes les distinctions, dont celle du banal et du non-banal, ce qui suppose que le langage disparaisse et que l'ê~re identique au non-être se révèle comme éi.ant l'indicible. Le langage lui-même est une projection qui transforme tout enprojection, c'est-à-dire en langage. Le filet jeté ramène le même filet et l'unité omniprésente est perdue. Conclusion

azar
Texte surligné
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Reste à dire succinctement l'essentiel de la théma­tique du banal.

Si l'on admet que le banal, image ou énoncé, existe sur le plan individuel et social et qu'il ne soit pas l'expression par déplacement de son contraire, le non.,. banal, force est de se demander quel en est le statut théorique.

Le banal se définit d'abord négativement comme n'étant pas l'étrange. Positivement, quatre dimensions interviennent dès qu'on veut en donner une définition 1 compréhensive: du point de vue du contenu, le banal est le littéral; du point de vue de la forme, le banal est le singulier en général; du point de vue de l'affect, le banal est le neutre; du point de vue de lafonction, le banal est une règle adaptative qu'on applique à la lettre pour . aboutir au typique. Ce dernier aspect, inexistant dans la mystique, prime surtout dans la pathologie, tandis qu'il n'a qu'une existence ironique dans l'esthétique qui se réclame de lui.

Même divergence par rapport au littéral qui est égale­ment le réel. La pathologie est adaptation au réel, l'esthétique création du réel, la mystique dépassement du réel. Dépassement qui n'est pas étranger non plus à l'expérience esthétique que des liens d'affinité unissent ainsi à la mystique. Du coup la mystique paraît, de par

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196 Le banal

la destruction et la construction du langage qui lui sont inhérentes, comme une poétique du savoir quand se manifestent les équivalences de l'être.

Nul dépassement, en revanche, dans la pathologie de l'adaptation où l'imaginaire disparaît derrière le réel. Réel envahissant, investi d'autorité et porteur d'exi­gences qu'il faut mettre en application. Le conformisme, en l'occurrence, n'est pas un trait de caractère mais tout le caractère : il est le fait du refoulement réussi de la fonction de l'imaginaire, lequel, en périodes de crise, prédispose à une somatisation qui, elle, n'a rien de « symbolique». Somatisation du littéral, par consé­quent, dans laquelle se reconnaît le positivisme esthé­tique et logique. Ici prennent fin la pathologie de l'échec du refoulement, échec générateur d'une symptomato­logie au figuré, en même temps que l'esthétique de l'expression de soi, héritière du romantisme. Une nou­velle sensibilité du neutre, dans laquelle le concept de processus marque la disparition de celui du « moi » et de 1'« objet », prend progressivement forme.

Le littéral est désormais le même qui se répète, mais c'est une répétition sans contt;lnu symbolique. La patho­logie, autant que l'esthétique, font écho à la simple pré­&cnce de l'être. Le « moi» et 1'« objet », parfois volon­tairement détruits, disparaissent dans la rythmique de l'uniforme. L'espace et le temps ne sont plus les conditions de la représentation, ils sont la représenta­tion elle-même. Le corps vibre au rythme des choses ou inversement. Or s'il est vrai que, pour ce qui est de l'objet, le répétitif exclut la projection, l'activité projec­tive est par contre repérable dans la genèse des formes de l'espace et du temps. Le corps propre, puissance oc:::ulte du champ qui se déploie· sous le regard, se révèle en son identité avec la possibilité même de la projection. Possibilité qui, éventuellement, coexiste avec sOQ exact contraire. Dans ce paradoxe tient toute la pathologie du banal où voisinent, sans pou-

Conclusion 197

voir communiquer., le littéral du conscient et le non­littéral de l'inconscient.

L'analyse du banal montre que le banal est la limite de la projection et que la projection est d'abord projec­tion de l'espace et du temps à travers le corps propre conçu comme le schéma le plus élémentaire de toute représentation.

Page 40: Sami-Ali, Le Banal, Paris, Gallimard, 1980 (Extrait)

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Texte surligné
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Page 43: Sami-Ali, Le Banal, Paris, Gallimard, 1980 (Extrait)

Préface

1. Esthétique Introduction, p. 2.3. - Le maniérisme: Kircher et la machine à métaphores,Jp. 32. - Swift et le hasard généralisé, p. 33. - Le surréalisme et l'indifférent, p. 34. _ Nadja de A. Breton: le banal comme contenu manifeste, p. ~c.-=_b_(LVUe de R. Roussel : le banal ~.!l:.~.~.E~5.~ut~_l~~y.~!:.!§.,.p. 41. - M. Duchamp : le b._l:I:!"l.~_~tl'humollr, p. 53. - Le Pop Art; A. Warhol: le banal et la problématique du visage, p. 60.

1 Il. Pathologie Introduction, p. 77. - L'adaptation aux dépens de l'imaginaire, p. 79. - Le schizo et les langues de Wolfson et le problème de somatisation, p. 81. - Le concept de « truc)) adaptatif, p. 114. - Le concept de « cadre)) adaptatif, p. 117. - Jeanne ou le corps

littéral, p. 1 18.

Ill. Mystique Introduction, p. 141. - Le posItIvIsme logique comme philosophie du banal, p. 142. - Le littéral et

9

21

75

139

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Texte surligné
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Texte surligné
Page 44: Sami-Ali, Le Banal, Paris, Gallimard, 1980 (Extrait)

222 Le banal

le figuré chez A. J. Ayer, p. 142. - Le tautologique et le mystique chez L. Wittgenstein, p. 155. - Le banal et la mort chez J. Rigaut, p. 160. - Tchouang­tseu et le dépassement du banal et du non-banal, p. 179.

Conclusion

Appendice 1

Appendice II

Bibliographie

193

199

207

215

DU MÊME AUTEUR

L'ESPACE IMAGINAffiE

Chez d'autres éditeurs :

DE LA PROJECTION (Payot). LE HASCHISCH EN ÉGYPTE (Payot). CORPS RÉEL, CORPS IMAGINAffiE (Dunod).

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Texte surligné
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