Russiou, F. Apprendre grace aux expériences négatives. 2009
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8/7/2019 Russiou, F. Apprendre grace aux expriences ngatives. 2009
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CeROArtNumro 3 (2009)
L'erreur, la faute, le faux
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Franoise Rossion
Apprendre grce aux expriencesngativesPerspectives dans la restauration
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................
Avertissement
Le contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.
Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.
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Rfrence lectroniqueFranoise Rossion, Apprendre grce aux expriences ngatives , CeROArt[En ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 21avril 2009. URL : http://ceroart.revues.org/index1095.htmlDOI : en cours d'attribution
diteur : CeROArt asblhttp://ceroart.revues.orghttp://www.revues.org
Document accessible en ligne sur :http://ceroart.revues.org/index1095.htmlDocument gnr automatiquement le 23 novembre 2010. Tous droits rservs
http://ceroart.revues.org/index1095.htmlhttp://www.revues.org/http://ceroart.revues.org/ -
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Apprendre grce aux expriences ngatives 2
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Franoise Rossion
Apprendre grce aux expriencesngativesPerspectives dans la restauration
Introduction1 Le travail du restaurateur se base, en grande partie, sur son exprience et sur celles de ses
prdcesseurs. Le choix dun produit ou dune mthode plutt quune autre, le dvernissage
dune peinture de telle faon plutt quune autre, la retouche dun tableau tel endroit et pas
ailleurs sont autant de dcisions qui reposent, certes, souvent sur un bagage acadmique mais
aussi et surtout sur un savoir-faire acquis au fil des annes au travers dexpriences tantt
positives, tantt ngatives. En effet, ce sont ces expriences qui permettent au restaurateur de
prendre les bonnes dcisions, de prvenir les problmes chaque fois que possible et de
corriger les erreurs si elles surviennent.
2 Dans cet article, nous proposons dtudier comment, par le biais de techniques issues de
la gestion des connaissances, il serait possible damliorer la mise en vidence de cesexpriences. La gestion des connaissances, discipline du management assez rcente puisque
le terme anglo-saxon Knowledge Management apparat au dbut des annes 1990, est
dcrite dans la premire partie de cet article. Nous expliquons, dans un second temps, ce que
nous entendons par exprience ngative et comment celles-ci sont principalement diffuses
dans le monde de la restauration aujourdhui. Nous terminons par lintroduction de quelques
mthodes qui, si elles taient appliques par les restaurateurs, permettraient chacun dviter
de reproduire certaines erreurs et, ce faisant, dapprendre et dinnover grce aux expriences
de leurs collgues.
3 Nous tenons remercier chaleureusement les personnes qui nous ont aides apprhender le
contexte de la restauration, et plus particulirement : Mme Livia Depuydt, M. Nico Broers
et M. Michel Romazzotti. Madame Depuydt est restauratrice en chef au sein de latelier peintures de lInstitut Royal du Patrimoine Artistique, Bruxelles. Cette institution
pionnire dans le domaine de la restauration a acquis une expertise internationale en matire de
traitement de peinture des XVe, XVIe et XVIIe sicles dans les Pays-Bas mridionaux, mais
restaure galement les uvres belges ou trangres dimportance patrimoniale, conserves
dans les collections belges. Monsieur Nico Broers, titulaire dun Master en restauration
(Northumbria University, Newcastle, UK), exerce au sein dun atelier de restauration
indpendant et dispense galement des cours dans le cadre dune formation suprieure (Master
I et II) en conservation-restauration (ESA Saint-Luc de Lige). Il y encadre les ateliers, mais
aussi la recherche au sein de ceux-ci. Monsieur Romazzotti enfin est restaurateur indpendant
et nous a fait bnficier de son exprience denseignement professionnel, propos dans le
cadre des formations de lIFAPME-CREPAC.
La gestion des connaissances
Connaissance tacite et connaissance explicite4 La psychologie cognitive1 tablit la distinction entre la connaissance explicite et la
connaissance tacite :
La connaissance explicite est une connaissance codifie, qui est transmise dans un
langage formel et structur : le rglement du code de la route est un exemple de
connaissance explicite ; la connaissance explicite correspond lacception du terme
savoir dans la langue franaise ;
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La connaissance tacite est une connaissance personnelle, qui rside dans la tte de
lindividu et qui ne peut pas toujours tre articule sous forme code; elle est implicite
et fait appel lexprience et au savoir-faire de la personne qui la possde; non tangible,
elle peut tre difficile, voire impossible, expliciter dans une forme exploitable par
dautres personnes.
En fait, les connaissances implicites, contextuelles, dictent une bonne partie de notre
comportement. Les connaissances tacites ont galement ceci de particulier qu partir
dun certain niveau dexpertise, lindividu lui-mme nest plus conscient de ltendue de
ses savoirs : il les met en pratique de faon automatique et intuitive, presque instinctive.
Autrement, dit, comme lexplique Michael Polanyi, nous connaissons plus que ce que
nous pouvons exprimer [POL 66, p.4] et la connaissance explicite en mots et en
chiffres ne reflte quune petite partie de nos savoirs.
5 Selon Max Boisot [BOI 98], il existe trois types de connaissances tacites dans une
organisation:
Les connaissances tacites qui ne sont pas exprimes parce que tout le monde les connat
et les considre comme acquises;
Les connaissances tacites qui ne sont pas formules parce que personne ne les comprend
entirement ;
Les connaissances tacites qui restent non explicites alors que certaines personnes
les comprennent parce que le processus dexplicitation serait trop coteux pourlorganisation.
6 A ces trois catgories, nous ajouterons un quatrime type de connaissances tacites :
Les connaissances tacites que lindividu refuse dexpliciter parce quil considre que
ces connaissances lui permettent de dtenir une certaine forme de pouvoir par rapport
ses collgues.
7 Lindividu tant le premier agent dans la cration de savoirs et le principal dtenteur de
connaissances tacites, il dveloppe son capital de connaissances tacites grce son exprience :
plus grande est son exprience, plus importantes sont ses connaissances tacites. Articuler les
connaissances tacites est souvent une tche difficile, celles-ci tant nuances, subtiles et lies
au contexte. Par consquent, certaines connaissances tacites ne peuvent pas tre transmises
autrement que dindividu individu.
La dmarche en gestion des connaissances
8 Lobjectif de la dmarche en gestion des connaissances est de mettre en place un
environnement propice la capitalisation, au partage et la libre circulation des connaissances
de faon permettre aux personnes intresses de retrouver et dappliquer ces connaissances.
9 Il existe de trs nombreuses dfinitions relatives la gestion des connaissances. La dfinition
que nous proposons ci-dessous reflte, partiellement, toute la richesse de ce domaine car la
gestion des connaissances se pratique plus quelle ne se dfinit.
10 La gestion des connaissances est lensemble des processus mis en place par une organisation
afin de crer, capturer, grer, partager et appliquer ses connaissances en vue datteindre ses
objectifs stratgiques.11 La pense de Confucius2 : Ce que lon sait, savoir quon le sait. Ce que lon ne sait pas, savoir
quon ne le sait pas : voil le vritable savoir pourrait donner la ligne directrice de la gestion
des connaissances. Au niveau dune organisation, la dmarche consisterait, en effet, mettre
en place les comportements, les processus et les technologies permettant :
de connatre individuellement ce que lorganisation connat collectivement et de pouvoir
lappliquer ;
de connatre collectivement ce que chaque employ connat individuellement et de le
rendre applicable ;
de savoir reconnatre ce que lorganisation ne sait pas et de pouvoir lapprendre.
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12 La dmarche en gestion des connaissances vise identifier, capitaliser et valoriser les
connaissances dune organisation ou dune communaut dutilisateurs. Elle est gnralement
articule autour de quatre phases principales (voir fig. 1) :
La phase de reprage et de capture des connaissances, durant laquelle les connaissances
intressantes pour la communaut sont identifies et captures;
La phase de gestion durant laquelle les connaissances sont organises de faon faciliter
leur recherche dans une phase ultrieure ; pour garantir leur fiabilit, les connaissances
doivent tre mises jour rgulirement; La phase de distribution, qui veille ce que les connaissances soient mises la
disposition des utilisateurs tout en respectant les rgles en matire de scurit et de
confidentialit ;
La phase dapplication, qui consiste rutiliser les connaissances dans un nouveau
contexte et, ce faisant, dapprendre et dinnover.
Figure 1. Le flux des connaissances
13
La dynamique des connaissances14 Dans la ralit quotidienne, la connaissance nest pas statique mais dynamique. Elle passe en
permanence dun tat de connaissance tacite celui de connaissance explicite et vice-versa.15 Ikujiro Nonaka et Hirotaka Takeuchi ont dcrit le processus de cration des connaissances
comme un phnomne en spirale (voir fig.2) se droulant en quatre phases [NON 95]:
La socialisation permet un individu dacqurir des connaissances tacites en tant en
contact direct avec dautres personnes ;
Lexternalisation est larticulation des connaissances tacites en connaissances
explicites : les personnes formalisent les connaissances en exploitant des mtaphores, en
dveloppant des histoires, en concevant des modles, en ayant recours des analogies ;
ds que la connaissance est explicite, elle peut tre modlise et partage sous une
forme tangible;
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La combinaison implique lordonnancement des connaissances explicites ; les moyens
utiliss sont les langages de reprsentation des connaissances, la structuration des bases
de donnes, etc. ;
Linternalisation est le processus qui permet de transformer la connaissance explicite en
connaissance tacite, par exemple en menant sa propre exprience.
Figure 2. Le processus de conversion des connaissances
16
(modle adapt de [NON 95])
Le partage des expriences en restauration
Quappelle-t-on une exprience ngative ?
17 Les expriences qualifies de ngatives en restauration pourraient tre ranges en trois
catgories :
Les mauvais traitements : ceux-ci, sils sont raliss par des professionnels, sont plutt
rares pour des uvres anciennes, ralises avec des matriaux traditionnels car il existe
une connaissance collective, transmise via la littrature et les enseignements ; par contre,
les erreurs de traitement sont plus frquentes sur les uvres contemporaines car les
matires utilises sont compliques et inattendues et il nexiste gure de recul par rapport
celles-ci ;
Les fautes qui peuvent tre dues une inattention ou un malheureux concours de
circonstances;
Les choix thiques relatifs aux mthodes appliques ; ce propos, une question reste
en suspens : quand peut-on dire que lexprience est ngative puisquil existe
diffrentes coles pour aboutir au mme rsultat, certaines coles et mthodes tant plusinterventionnistes que dautres.
18 Il est de rgle que chaque uvre restaure soit documente : pour les uvres plus anciennes,
le dossier ainsi constitu est parfois trs volumineux ; il peut inclure des pices documentaires
fort diffrentes, telles que des photos, des illustrations, des plans, etc. Depuis lavnement
de linformatique, une partie de ce dossier existe sous forme lectronique mais, lorsque le
dossier concerne une pice restaure avant que linformatique ne soit applique, celui-ci reste
sous sa forme papier parce que le transfert des documents sur support informatique reprsente
un travail fastidieux et coteux. Cest dans ce dossier que se trouvent consignes toutes
les informations concernant la ou les restaurations de luvre dart. Cest principalement
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lors de la reprise de restaurations antrieures que des connaissances ngatives y sont
nonces comme, par exemple, les problmes survenus suite lincompatibilit des matriaux,
ou le vieillissement problmatique de certains de ceux-ci. Par contre, les erreurs qui pourraient
survenir dans le traitement actuel dune uvre sont rarement avres. Le statut trs particulier
de luvre dart, son ct unique et irremplaable fait peser sur le praticien une lourde
responsabilit3. Le spectre de la faute professionnelle nest jamais trs loin, avec, pour le
restaurateur indpendant, ses consquences dramatiques en termes de perte de rputation, donc
de clientle.19 Par contre, lenseignement et la recherche exprimentale, notamment sur des chantillons, se
prteraient davantage la communication dexpriences ngatives.
La transmission des expriences ngatives reste sporadique20 Les mthodes actuellement mises en uvre par la communaut des restaurateurs afin de faire
connatre leurs expriences se basent sur des modes de communication traditionnels :
Publication dans des revues spcialises ;
Participation des congrs ou des confrences ;
Tradition orale au sein des ateliers de restauration : les expriences se racontent
Echanges avec dautres instituts
Stagiaires provenant dinstitutions acadmiques.
21 La raret des tmoignages relatifs aux expriences ngatives peut sexpliquer facilement:
en effet, qui souhaiterait parler de ses erreurs sous peine de perdre certains de ses clients?
Qui, sans mauvaises intentions, se permettrait de dnigrer le travail dun collgue sous peine
de lui briser sa carrire4? Voil o le bt blesse : si les expriences ngatives reprsentent
une extraordinaire source dapprentissage pour les restaurateurs, leur communication reste
dlicate, aussi dlicate que, par exemple, dans le domaine mdical. Le restaurateur nest-il
pas, par ailleurs, le mdecin des uvres ?
22 Cest dans ce contexte que des mthodes de partage des connaissances, testes avec succs
dans dautres disciplines que la restauration, pourraient tre mises en oeuvre et faciliter ainsi
le transfert des expriences acquises dans les ateliers de restauration.
Les mthodes de partage issues de la gestion desconnaissances
23 Il existe de multiples faons de transmettre ses connaissances. Si lon se base sur le modle
de Nonaka et Takeuchi prsent en figure 2, nous pouvons classer ces mthodes en fonction
de lobjectif quelles poursuivent :
Les mthodes dexternalisation permettent une personne exprimente dexpliciter ses
connaissances, alors mme quelle ignore quelle dtient ces connaissances ;
Les mthodes dinternalisation donnent loccasion lapprenti de comprendre et
dassimiler de nouvelles connaissances.
Les mthodes de combinaison organisent et structurent les connaissances explicites
dans les documents ;
Les mthodes de socialisation consistent mettre ensemble des personnes qui, enchangeant leurs ides et leurs rflexions, apprennent les unes des autres.
24 Nous expliquons ci-dessous quelques-unes des mthodes qui nous paraissent les plus
adquates en vue de la capitalisation et du partage des expriences ngatives en restauration.
Mthodes dexternalisation : mettre en vidence les expriencesacquises grce au processus dvaluation aprs action
25 Le processus dEvaluation Aprs Action, que nous avons traduit de langlais After Action
Review ou AAR, se prsente sous la forme dune discussion entre des personnes qui ont
collabor un projet ou une activit commune par exemple dans le cadre de lenseignement,
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ou au sein dun atelier o travaillent plusieurs intervenants. LEvaluation Aprs Action vise
retirer les leons du pass en demandant aux participants de sinterroger sur les activits
ralises. Typiquement les questions poses durant la discussion sont :
Pourquoi les activits se sont-elles passes de cette faon?
Quelles sont les activits qui ont t particulirement bien russies?
Quelles sont celles qui se sont moins bien droules?
Quels sont les apprentissages qui peuvent tre retirs de ces activits communes?
26 LEvaluation Aprs Action donne loccasion aux participants dexpliquer et dchanger
les expriences quils ont retires durant une activit passe. Elle permet dvoquer les
performances de lquipe dans son ensemble et de faire des observations sur la faon dont les
vnements se sont drouls.
27 Les discussions de type Evaluation Aprs Action ne doivent pas ncessairement avoir lieu
en fin dactivit mais il peut tre utile de les organiser aprs chaque tape ou chaque vnement
important du projet. Les participants peuvent ainsi retirer directement les leons et appliquer
ce quils ont appris dans leur travail quotidien.
28 LEvaluation Aprs Action est avant tout une runion dapprentissage. Il ne sagit pas de
blmer ou critiquer les collgues, ni de porter une quelconque valuation sur les performances
des uns et des autres. Les participants doivent pouvoir sexprimer ouvertement, sans contrainte
et sans crainte de rpression. Le succs dune runion de ce type dpend donc du climatfavorable tabli par le facilitateur de la runion.
29 LEvaluation Aprs Action prend la forme dune runion qui peut durer, selon lampleur du
projet, de quelques heures quelques jours. Voici, dans lordre chronologique, les points
auxquels il faut prter attention:
Inviter les participants le plus rapidement possible: la runion doit tre mene le plus tt
possible aprs la clture des activits car la mmoire des vnements est encore frache
et les enseignements pourront tre mis en application plus rapidement ;
Instaurer un climat agrable: la dsignation dun facilitateur pour conduire la runion est
vivement conseille ; son rle sera de rguler les discussions tout en vitant dintervenir
dans le dbat lui-mme; il est essentiel que les participants se sentent laise et quils
soient tous sur un pied dgalit: par exemple, la position hirarchique ne doit pas entreren considration ; les personnes moins exprimentes doivent avoir loccasion de poser
des questions aux experts et de faire des commentaires sur leurs actions;
Passer en revue les objectifs et les rsultats du projet de faon retirer les bonnes
pratiques (ce qui sest bien pass et pourquoi) qui pourront ensuite tre appliques
dans dautres situations ; il est important de commencer par les lments positifs du
projet afin que les participants se sentent en confiance ;
Sinterroger sur les erreurs (ce qui sest moins bien pass, pourquoi et comment les
choses auraient d se passer); lobjectif est dviter de reproduire les mmes erreurs et,
pour les participants moins expriments, dentendre les conseils prodigus ;
Clturer la runion en remerciant les participants et en veillant ce quaucun dentre
eux ne se sente personnellement blm ;
Lister et commenter les apprentissages (leons apprises) pour quil soit possible de les
exploiter ultrieurement.
30 Les runions de ce type sont mises en uvre par larme amricaine depuis plusieurs annes
dj5. De telles runions appliques dans le cadre de la restauration aprs, par exemple, un
travail de longue haleine sur une uvre, prsentent plusieurs bnfices :
Elles permettent de capturer les avis comments du ou des intervenants;
Elles contribuent la prservation et la rtention de la mmoire collective par rapport
au travail ralis sur une oeuvre ;
Elles favorisent la recherche de solutions communes aux problmes qui se sont produits
durant lintervention de faon viter de reproduire les erreurs passes.
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31 Le rsultat de ces runions peut ensuite tre consign dans le dossier destin luvre dart
et les principaux apprentissages ( expriences ngatives ) mises disposition des autres
restaurateurs en utilisant lune ou lautre mthode dcrite ci-dessous.
Mthodes de combinaison : mettre disposition les dossiers relatifsaux uvres restaures
32 Les dossiers relatifs aux uvres restaures constituent une source dinformation
importante pour les restaurateurs. Ces dossiers se prsentent sous diffrents formats et, en
dehors des institutions denseignement ou de recherche, restent souvent non structurs et non
informatiss. Les grer correctement en exploitant les nouvelles technologies permettrait de
mettre disposition des restaurateurs une source inestimable dexpriences. Un problme
essentiel reste nanmoins rgler, dans le cadre duvres appartenant des propritaires
privs. Ceux-ci en effet ne souhaitent pas toujours voir divulguer des informations relatives
leur bien, et le dossier de restauration ne peut tre publi sans leur assentiment.
33 Au sein des Institutions, des bases de donnes se constituent, mais leur dveloppement est
souvent frein par le manque de moyens. La Base Narcisse, des laboratoires des Muses de
France fit en la matire, ds 1998, figure de pionnire. Elle ne mit malheureusement pas en
ligne lensemble du dossier de restauration, mais des informations essentiellement descriptives
quant aux uvres et aux clichs photographiques. La plupart du temps, il faut toujours se
rendre sur place pour compulser linformation. Au niveau de lenseignement, les Ecoles
suprieures se bornent dans le meilleur des cas publier le titre des travaux de recherche, mais
accder linformation ncessite un processus complexe dautorisations et de prts, parfois
refuss. Il y a pourtant l une littrature grise du plus haut intrt. Au niveau des ateliers
dindpendants, on se heurte au problme cit plus haut, de la confidentialit rclame par le
propritaire. On le voit, le problme nest pas simple. Il est peut-tre possible, nanmoins, de
penser des solutions alternatives.
34 Pour contourner ce problme de confidentialit rclame par le propritaire, il serait peut-tre
intressant de constituer une base de donnes dexpriences ngatives, indpendamment des
dossiers de restauration. Lidentification de luvre ou de son propritaire nont en effet pas
dimportance pour exprimer les connaissances ngatives, car celles-ci sont souvent le rsultatdune combinaison de facteurs tels que : la matire et ltat de la matire, les mthodes
appliques, les produits utiliss, etc.
35 Une autre piste qui mrite rflexion est celle des logiciels sociaux6. Cette gamme de logiciels,
tels les wikis et les blogs, rencontrent un succs grandissant tant dans la sphre prive que dans
le secteur professionnel : ils ne ncessitent pas dinvestissements onreux, sont trs rapidement
dploys et sont daccs facile pour tous.
36 Les applications des logiciels sociaux sont multiples dans le cadre des dossiers de restauration :
Le blog, sorte de journal de bord crit sur internet, pourrait tre exploit par le
restaurateur, ou lquipe implique dans la restauration dune uvre, afin de tracer
lhistorique de la restauration et de ses principales interventions ; la documentation
ainsi rassemble pourrait tre jointe au dossier et le blog resterait un tmoignagedu travail ralis. Le monde acadmique et scientifique commence dcouvrir les
possibilits quoffre ce type de communication. Ainsi en France, le Centre pour l'dition
lectronique ouverte (CLEO), une unit associant le CNRS, l'EHESS, l'Universit
d'Avignon et l'Universit de Provence, a lanc en fvrier 2008 sa plateforme de carnets
de recherche Hypothses. Ouverte toute la communaut acadmique dans toutes les
disciplines des sciences humaines et sociales, elle permet aux chercheurs et quipes
de recherche de diffuser facilement et rapidement de linformation en relation directe
avec leur pratique scientifique. La publication dun carnet de recherche conservation-
restauration des uvres dart est actuellement ltude lESA Saint-Luc.
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Le wiki, dont le plus connu et le plus visit reste lencyclopdie en ligne Wikipedia7
cre en 2001, est un outil intressant pour documenter une discipline, une uvre et
son historique, y inclus des travaux de restauration ; un wiki ddi la restauration
pourrait tre conu : il comporterait, entre autres, une section ddie aux techniques
de restauration et aux expriences positives et ngatives par rapport aux mthodes et
techniques mises en uvre ; une section consacre aux uvres restaures donnerait
loccasion aux restaurateurs tant intervenus sur ces uvres de documenter leur
interventions en faisant part, sils le souhaitent, des principaux points dattention par
rapport ces uvres ; comme le wiki est outil ddition collaborative, il permet de
respecter lanonymat de ceux qui le souhaitent.
Reste videmment la question de la fiabilit de ces informations : il est clair que les
wikis et les blogs, tout comme de nombreux sites internet, ne garantissent pas que
les informations qui y sont consignes soient correctes, jour et applicables. Il existe
cependant une dontologie professionnelle que le restaurateur se doit de respecter : nous
pouvons donc supposer que les informations seront changes dans un tat desprit
constructif et que la corporation, si elle se montre ouverte lexprience, restera attentive
aux drives.
Mthodes de socialisation : favoriser les communauts en ligne37 Quil sagisse de rseaux informels groupant quelques personnes autour dun mme centre
dintrt ou de rseaux formaliss et structurs, les organisations comportent un nombre plus
ou moins important de rseaux sociaux. Lune des faons de tirer parti de ces rseaux sous
langle du transfert des connaissances est de mettre en place des communauts en ligne en
exploitant, par exemple, internet.
38 La communaut rassemble un groupe de personnes - les membres de la communaut - qui
ont pour objectifs de partager des informations, dchanger des bonnes pratiques et ainsi
dapprendre les uns des autres. Elle sarticule autour dune pratique commune qui peut tre:
un travail commun, un intrt professionnel commun ou encore une mthode ou une technique
communes. Les personnes membres de la communaut peuvent se runir physiquement mais
le principal mode dinteraction entre les membres reste virtuel ; un outil de collaboration
permettant lchange dinformations et la discussion entre les membres de la communaut va
faciliter ce processus.39 La communaut se dveloppe gnralement autour dune srie dactivits proposes par les
membres et soutenues par lanimateur8 de la communaut. Les activits les plus couramment
mises en uvre dans le cadre de la communaut sont : la recherche de solutions des
problmes spcifiques via le jeu des questions/rponses et les changes dexpriences,
lidentification dinformations et de nouvelles pistes de recherche dans le cadre du sujet trait
par la communaut, le dveloppement des connaissances individuelles grce la possibilit
dexploiter et dexprimenter des concepts et mthodes dj tests par les autres membres de
la communaut.
40 Comme illustr dans le tableau ci-dessous, le concept de communaut se diffrencie des autres
formes de groupes de travail tant par ses objectifs que par son mode de fonctionnement.
Tableau 1. Typologie des groupes
Type de groupe Objectif Comment on devient
membreDure
Communaut en ligne
Dvelopper lexpertise
des membres de la
communaut
Base volontaire
Aussi longtemps que
lexpertise autour de
laquelle sarticule la
communaut a du sens pour
ses membres
Equipe/serviceAccomplir le travail
courant assign lquipe
Assignation dans
lquipe par la structure
organisationnelle
Aussi longtemps que
lorganisation du travail
reste identique
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Equipe de projetAccomplir une tche
spcifique ou un projet
Assignation dans lquipe
de projet par les suprieurs
hirarchiques
Jusqu ce que la tche ou
le projet soit termin
Rseau informel
Recueillir et partager des
informations prsentant un
intrt commun
Reconnaissance
rciproque(s) des membres
(interactions informelles,
souvent dues au hasard)
Aussi longtemps que les
personnes ont des raisons
de se voir et de partager des
informations
(adapt de : [WEN 00])
41 Lutilisation des communauts en ligne sur internet est un important mcanisme que les
restaurateurs pourraient exploiter afin de favoriser lapprentissage, la capitalisation des
expriences et leur transmission. Voici quelques principes que cette communaut des
restaurateurs devrait appliquer afin de garantir un certain succs :
Les membres doivent sinscrire volontairement mais tous sont accepts de faon
garantir la transparence et viter le rejet de certains : lobjectif est davoir le plus grand
nombre de membres possibles pour assurer une dynamique la communaut ;
Si lanonymat peut tre autoris, le membre devrait donner les caractristiques de son
travail et son profil professionnel afin que chaque membre puisse changer avec dautres
membres dont ils connaissent le profil professionnel ; lanonymat peut tre respect si
certains souhaitent tmoigner en vitant le jugement professionnel des autres membres ;
Un facilitateur, galement appel animateur de la communaut, doit tre dsign ; il peutsagir dun rle temporaire par exemple, lun des membres peut se proposer comme
facilitateur temporaire pendant trois mois ; sa tche consistera principalement ,veiller
lthique des membres et au dynamisme de la communaut ;
Dans la mesure du possible, certaines activits runissant physiquement les membres
de la communaut peuvent tre organises pour quils puissent se rencontrer, btir
un rseau relationnel et tablir un climat de confiance ; sil sagit dune communaut
internationale, il peut sagir dun congrs annuel ; au niveau national, des dners
thmatiques et autres moments de partage peuvent tre proposs ; les rencontres dans
la vie relle sont intressantes car elles permettent dinstaurer un climat de confiance
entre les membres.
42 La communaut devrait se prsenter comme un espace de travail collaboratif prsentant
plusieurs fonctions telles que : une gestion des membres, un espace pour stocker et mettre
disposition des documents, un forum de discussions permettant les rponses aux problmes
poss (questions/rponses), un espace dchange dexpriences positives et ngatives, une
place o annoncer les activits sociales et prsenter le calendrier des principaux vnements.
43 Dans le domaine de la restauration, plusieurs initiatives en faveur de ces communauts ont vu
le jour. La plus ancienne est sans doute Consdistlist , la liste de diffusion hberge sur le
portail amricain CooL , (conservation on line). Il sagit dune mailing-list, archive depuis
1988, et qui est diffuse deux fois par mois environ. Le public de Consdistlist est constitu
de professionnels de la conservation du monde entier. Les informations sont pertinentes, et
lappel collaboration rencontre souvent des rponses positives. Dans la mme optique, une
liste de diffusion bilingue (en franais et en anglais) devrait voir le jour sur le sol europen,
ds le premier semestre de 2009.44 Quant aux forums, il faut souligner lintrt de ceux mis en uvre par les diffrents groupes
de recherche dICOM-CC. Les lettres dinformation, diffuses au sein de ces mmes groupes,
favorisent tout autant la communication. Le partage des expriences ngatives pourrait, dans
cet espace professionnel de haute tenue et particulirement ouvert la recherche, trouver
sexprimer. Le principal problme reste dactiver ces lieux dchanges, dont la pratique
rgulire nest pas encore entre dans les murs de nombre de professionnels. Cest au niveau
de lenseignement, semble-t-il, quil faut accoutumer les futurs restaurateurs ces outils
performants.
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Conclusions
45 Les mthodes proposes dans le cadre de cet article ont pour objectif daider documenter,
contextualiser et partager les expriences acquises lors du travail sur le terrain ; la mise
disposition de ces expriences offre aux restaurateurs la possibilit de tester des hypothses
et aux novices de les guider vers des solutions appropries. Ces mthodes bases tantt sur la
rsolution de problmes, tantt sur les changes dides et de perspectives, donnent loccasion
chacun dapprhender les difficults dans un contexte spcifique et de se construire uneopinion.
46 Le partage des expriences constitue une richesse fondamentale dans le cadre de la
restauration : il permet de construire sur la connaissance passe afin de btir lavenir en
vitant de rinventer le pass. Lavance des connaissances en restauration et la possibilit
dviter de reproduire certaines erreurs dpendent cependant grandement de la motivation des
restaurateurs partager leurs expriences. A ce propos, il nexiste pas de recette unique et
le chemin peut tre long et difficile avant daboutir ce que le partage dexpriences, mme
ngatives, devienne, dans le monde de la restauration, un processus normal naboutissant pas
au blme mais bien la gratitude des pairs car il permet de faire progresser les connaissances
de tous.
Bibliographie
[BOI 98] Boisot M. H, Knowledge Assets. Securing competitive advantage in the information economy,
Oxford Universtiy Press, Oxford, 1998.
[GAR 00] Garvin D.A., Learning in Action. A Guide to putting the Learning Organization to work,
Harvard Business School Press, 2000.
[NON 95] Nonaka, I., Takeuchi H., The Knowledge-Creating Company, Oxford University Press, 1995.
[POL 66] Polanyi M., The Tacit Dimension, London, 1966.
[ROS 08] Rossion F., Transfert des savoirs. Stratgies, moyens daction et solutions adapts votre
organisation , Paris, Lavoisier-Herms, 2008.
[WEN 00] Wenger E., Snyder W., Communities of Practice: the Organizational Frontier, dans HarvardBusiness Review, janvier-fvrier 2000, vol. 78 (1), p.139-145.
Notes
1 La psychologie cognitive tudie les processus psychologiques gnraux tels que la perception, la
mmoire, les jugements, les motions.
2 Confucius est un sage chinois qui vcut entre 551 et 479 av. J.-C.
3 Voir ce sujet le code dontologique propos par ECCO, European confdration of conservators-
restorers association
4 Ce point est dailleurs soulign dans le code ECCO, prcdemment cit : Le Conservateur-
Restaurateur doit maintenir un esprit de respect pour l'intgrit et la dignit de ses confrres et de
l'ensemble de la profession. Les obligations entre confrres ont parfois t lues, par des restaurateurs
eux-mmes, comme la manifestation dun corporatisme.
5 The U.S. Armys After Action Reviews: seizing the chance to learn. Source: [GAR 00, p. 106-116].
6 Le terme logiciel social est ltiquette donne aux logiciels qui supportent l'interaction de groupe.
7 Voir: http://fr.wikipedia.org/wiki/Accueil.
8 Le rle de lanimateur est de veiller la dynamique de la communaut en proposant des activits
susceptibles dintresser les membres de la communaut et den assurer le suivi..
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Pour citer cet article
Rfrence lectronique
Franoise Rossion, Apprendre grce aux expriences ngatives , CeROArt[En ligne], 3 | 2009, mis
en ligne le 21 avril 2009. URL : http://ceroart.revues.org/index1095.html
Franoise Rossion
Spcialise dans la gestion et le transfert des connaissances, Franoise Rossion a acquis une
exprience pratique par la gestion de projets denvergure internationale au sein de plusieurs
multinationales. Elle enseigne dans diverses universits et instituts et participe des colloques
internationaux. Elle est galement lauteur dun chapitre de louvrage collectif: Knowledge
Management in Practice: Connexions et contexte, par Michael Koenig et Taverekere Srikantaiah,
Mars 2008 et ainsi que du livre intitul Transfert des savoirs. Stratgies, moyens daction, des
solutions adaptes votre organisation , publi par Herms-Lavoisier, Paris, 2008.
Droits d'auteur
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