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Résumé

Hassan vit dans un quartier populaire, une cité, une banlieue, une zone franche où des entreprises fragiles viennent asseoir leur comptabilité. Il est joyeux, séduisant, il est même beau mais il ne le sait que parce qu’il est apprécié de tous. C’est un jeune homme qui partage les marches d’escaliers, fuit les dealers, cultive l’humour et la joie des belles rencontres. Il regarde et comprend le monde en observant ses voisins, leurs amours, leurs habitudes et valide ses convictions par des lectures curieuses. Tout le monde en en est certain, sa réussite scolaire, son assurance et sa présence influente l’accompagneront sur un chemin glorieux.

Pourtant, quelques années après son bac, force est de constater que sa vie s’enlise, que le chemin fleuri de la réussite qu’il espérait s’est écharpé du parfum funeste de Verdun. Sans rien y comprendre et alors qu’il s’est accroché à ses valeurs pour ne pas tomber dans la délinquance le voilà percuté par un destin sombre et sans scrupule. Il va se fier à sa clairvoyance et tenter d’accepter un scénario catastrophe imprévisible, une descente aux enfers personnelle

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sans jamais rien laisser paraître. Il va encaisser une succession d’échecs qui vont l’habiller d’une dépression qu’il refuse de reconnaître. La vie est complexe, pleine d’incertitude, de porte qu’il ne faut jamais ouvrir et d’autres auxquelles il faut frapper sans relâche. Il va renier sa beauté, son intelligence, sa fausse expérience qu’il croyait importante de par les tumultes quotidiens du quartier : il va pleurer son existence, toucher les bas-fonds de son âme, côtoyer puis fuir une communauté musulmane plus égaré que lui et tendre sa main vers un Dieu qu’il ne ressent pas.

Il est seul, malheureux et angoissé mais sa vie va changer grâce à une rencontre rare.

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Chapitre 1

Le quartier est là, posé solidement sur un terrain sans histoire. Les immeubles sont droits, nombreux, se tournent le dos, signalent leur présence par leur largeur et découragent l’horizon par leurs vertigineuses hauteurs. Des barres de ciment, des tours, des habitations, toutes trop grandes pour une population devenue fourmi. A leur pied un petit parking, des arbres témoins, des arbustes sauvages et des raccourcis dessinés sur des pelouses piétinées. Il n’y a pas de rue, pas de chemin, pas de voix sans issu ; on se gare devant sa tour, on se salue, on serre des mains et sans réfléchir, sans se soucier du décor on rentre chez soi. Ces anciens bidonvilles ou terres en jachères dans le meilleur des cas porteront à jamais l’étiquette d’un alcool fort, le cri d’un homme déchiré, l’épistémologie de la misère social ; Hiver 54.

On a construit dans la précipitation, caché la poussière sous le tapis. On ne pouvait plus faire semblant de ne pas voir alors on a demandé aux architectes de poser leur crayon sur le prolongement des grues et de dessiner sur le rayon de leurs bras métalliques des logements sans âmes. On rappellera aux

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incrédules l’immonde réalité des cabanes en taules pour justifier l’hypnotique confort d’appartement neuf.

Tout malheur est relatif. Gamins et nouveaux gavroches marchent d’allée en

allée, s’assoient sur les marches d’escalier, se cherchent physiquement et comblent le silence de leur ennui par le rire nerveux des situations burlesques du quartier. Une voiture avec quatre roues de secours, un chat mordant un chien, un vélo avec un volant de moto, le tout rythmé par les cris d’une mère dépressive, d’un père apprenti mécano, d’un enfant battu ou d’un fan de Johnny. Ce quotidien imprévisible est toujours le même. L’oxymore est l’apanage des régions pauvres. Les jours passent sans se ressembler et l’imagination des démunis est sans limite. Pourtant ce studio coupé du monde répètent sans le savoir un scénario sans fin : bagarres, parties de foot, disputes ou réconciliations seules les distances temporelles de ces anecdotes donnent l’illusion de la nouveauté. Hier et demain condamné par un mariage arrangé qui ne se conjugue qu’au présent de l’indicatif. Tumultes, trahisons, rires, complots, fêtes religieuses… la vie semble venir aiguiser chaque jour des expériences nouvelles dans ces bouts de terres oubliés de la civilisation, sorte de brouillon d’écrivain que l’on jette dès que l’inspiration définitive s’est révélé.

Vivre et constater l’instant T, c’est la seule ambition du quartier. Il occupe tellement les habitants que personne ne s’intéresse au future, d’ailleurs on ne l’évoque que dans des prières pleine d’espoir : angoissé dès le matin à trouver son bol, sa paire de chaussette, à recopier devant l’école des devoirs oubliés, à garder son grade dans une bande moqueuse, à attendre un ascenseur capricieux, chaque jeune

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esquive les incohérences du quartier avec une normalité déconcertante. Ils avancent en fuyant les obstacles et croyant bien faire ils ne font en réalité que tourner en rond. L’imprévisibilité de leur vie ne leur laisse pas le temps de penser. C’est parce que tout est possible, parce qu’on peut facilement comparer le concierge à Buster Keaton, le facteur à Hannibal Lecter et les pauvres arbustes à un décor de western que chaque jeune aura le sentiment, plus tard, d’avoir grandi dans un film. Rien ne choque, rien ne surprend si ce n’est une surenchère de la stupéfaction, une compétition de l’aléatoire qui galvanise le quotidien de chaque habitant. On se construit avec pour seul outil cognitif l’humour pittoresques des Monty python, et quand chacun rencontrera le vrai monde, une normalité pleine de code et de non-dits, beaucoup de jeunes tomberont dans des chausses trappes narcotiques, criminelles ou religieuses. Pour l’heure, tout le monde s’amuse de cette comédie humaine sans épilogue. Les jeunes sont bercés par l’ivresse du groupe, les mamans occupées à éduquer et des pères fatigués investissent leur dernier espoir dans des maisons lointaines. Allocations et primes sont réquisitionnées au nom de l’immobilier méditerranéen : chaque pièce économisée est réinvesti dans des sacs de ciment que des ouvriers sans contremaître détournent frauduleusement. Les enfants reconnaitront plus tard sur chaque brique les vélos et les jouets qu’ils n’ont pas eu dans leur enfance.

Ailleurs n’existe pas ! Le seul voyage possible c’est l’Afrique, ce fameux Maghreb où une concurrence qui n’a pas dit son nom pousse chaque famille à s’y préparer chaque année. On réserve dès la fin de l’hiver et on se protège du mauvais œil par un

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« in cha’Allah » chaque fois qu’un voisin vous interroge sur un achat inhabituel.

Parfois on économise un billet sur un ainé devenu indépendant et heureux de laisser sa place à une télévision ou un matelas. On charge la voiture jusqu’à en dégouter les gendarmes, on emporte babioles estampillées produit français qu’on revendra avec ce seul argument. Les enfants embarquent avec la précipitation du condamné à mort. Ils quittent un bout de territoire Français pour une contrée lointaine dont l’exotisme ne sera mesuré que par la longueur du trajet.

Le regard dédaigneux des douaniers marseillais et la lenteur volontaire des agents de la SNCM feront naître chez tous les enfants d’immigrés une rancune amère et indélébile. Le regard prétentieux qu’on posera sur eux ne s’effacera jamais et toutes les politiques du monde ne pourraient rayer ce que l’enfance a gravé dans la pierre. Ils grandiront avec le conditionnement tacite d’un pays dont ils ne sont et ne seront que des invités. Ce sentiment, ils ne le reconnaitront pas tout de suite et ne pourront, par conséquent, analyser que difficilement ce mal être à se sentir français. L’accueil ne sera pas meilleur de l’autre coté de la méditerrané alors il ne sera pas plus facile de se sentir algérien, marocain ou tunisien.

Le quartier est sans doute le seul endroit où ils se sentent chez eux et s’ils y posent leurs propres règles c’est d’abord pour défier l’hypocrisie humaine. Sans vraiment chercher à comprendre ils ont le pragmatisme de la survie et laissent aux institutions officielles le soin d’expliquer leur défection civique.

Ils vivent naturellement leur présent avec entre chaque situation, d’interminables silences, d’instants

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vides de toute action, une attente inutile que l’on justifie par la présence de l’autre, une compagnie rassurante et presque existentiel. Ados ou jeunes adultes occupent les sentinelles du quartier par apostolat. Un héritage culturel qui considère que la fille s’éduque à la maison et le garçon dans la rue : on ne l’a jamais expliqué au pays d’accueil alors ces jeunes qui squattent les trottoirs seront toujours vus par le prisme de la déscolarisation et d’une délinquance latente. On n’a pas expliqué aux familles non plus que l’occident jette ses échecs dans ces mêmes rues et considère comme tel tout ce qu’elle y trouve. Deux cultures se sont rencontrées avec le malentendu d’un courrier mal adressé.

Seul, par deux ou par trois, on attend, on pose son corps à cet arrêt de bus sans transport en commun. Le rien faire est comblé par l’impassible présence du compagnon, du pote qui ne fait rien lui aussi mais avec qui on rigole, on discute, on rit. Partager, ne serait-ce qu’une poignée de main, c’est vivre. Il n’y a pas d’individualité, juste des hommes et des femmes aux caractères différents partageant un destin commun, une fatalité sociale qui les uni avec la cohésion naturelle d’une famille.

Les balcons cloutés de paraboles, de linges toujours humides sont les seules indices de vie pour les voyageurs pendulaires du périphérique. La pluie a poli les murs, transformé les couleurs d’origines en une aquarelle de mauvaise main.

Les enfants jouent au tennis, au foot, au pingpong avec pour fédération une volonté cartésienne de s’occuper, de ne pas rester à la maison, de s’amuser jusqu’à l’épuisement. Charriots, lignes de parking, morceaux de banc ou buissons déracinés, tout est

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réquisitionné pour habiller ces parties de sport. On dérange parfois mais ce n’est pas volontaire alors aucun ne se fatigue plus à s’excuser ou à se justifier.

Les allées sont étroites, mal éclairées et la nuit tombé chaque jeune s’y habille d’ombre chinoise. On aime ces bistrots sans chaises, ces clubs philosophiques sans livres, ces refuges où chacun peut poser ses problèmes déguisés en blagues et autres moqueries thérapeutiques.

Un gardien sort ses poubelles avec la dextérité d’un Chaplin mal réveillé. Il a trois centimètres de cheveux en trop, les mains et les vêtements abimés, le regard en linceul des alcooliques et le dégoût avec lequel les locataires jettent leurs poubelles lui a enlevé toute sympathie pour l’humanité.

Les mercredis et dimanches matins les mères s’attendent devant la plus grande tour pour aller au marché, et avec une pudeur culturelle baissent la tête devant le passage viril des hommes. On se croise, on se voit de loin mais on s’ignore de près ; une gêne protocolaire embellit les relations humaines.

Hassan est là aussi. Il observe la vie comme un étudiant, défile entre les tours de son quartier, marche avec l’humilité d’un matador et salue ses voisins avec la poigne d’un diplomate. Il est heureux. Il donne à ses discussions la sincérité d’une confession, vous sourit comme on fait une aumône et vous quitte comme un joli rêve écourté. Il a la présence rassurante d’une brise, la discrétion du soldat inconnu, l’élégance du printemps et l’humilité des hommes pieux. C’est un dandy qui s’ignore : il aime les bons usages, les règles de civilité, la politesse des nobles, ce respect que l’on s’impose quel que soit l’interlocuteur. Il respecte et est

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respecté. Il est naturellement bon et porte sa courtoisie comme une montre de prestige. Il a dans le regard la douceur des mélodies de l’enfance. Il effleure vos défauts et surligne vos qualités. Toute situation lui semble familière. Il mange la vie avec la boulimie d’un enfant gâté, gourmand et jamais rassasié.

Il a une générosité d’âme et cela le rend encore plus séduisant.

De cette beauté qui ouvre le rideau d’un monde merveilleux où l’espoir vous tend les bras comme un fan émerveillé. On le montre du doigt et c’est le bonheur qu’on aperçoit. Il a le teint clair des pèlerins, le regard puissant des explorateurs et le cheveu fin des nouveaux nés. Des sourcils noirs et légèrement épais garantissent ses paroles. Il a des lèvres charnues et bien dessinées, les mains puissantes du maçon et l’articulation légère du pianiste.

Ailleurs il serait un gentleman, un lord ou un sir, mais ici c’est Hassan, fils d’immigré algérien, simple statistique dans la sociologie des banlieues.

Il remplit ses poumons mais c’est son âme qui se gonfle. Elle s’affine comme un pain bien levuré. Il savoure ces instants que le futur lui jalouse, s’enlace de cet air pur que la vie expire égoïstement.

La vie est son amie. Elle lui garantit ses rêves sur son insouciante jeunesse. Il ne pense ni ne réfléchit : il sait, il sent, il devine. Il s’aime puisqu’il aime la vie. Et mieux encore il aime les autres. Il aime tout ce qu’il voit. Il a cette délicieuse prétention que tout lui parle, que chaque fois qu’il fait du bien quelqu’un l’applaudit. Ce sentiment narcissique que vous êtes dans le rare, dans l’exceptionnel. Il est heureux et il a 20 ans.

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Il a l’éloquence d’un Socrate sans l’insidieuse maïeutique. Il s’exprime simplement mais ses métaphores sont plus parlantes que des vitraux d’églises. Dès qu’il le peut, il se lance dans des joutes verbales qui ressemblent, les premières secondes, au monologue d’un fou.

Ses mots vous parcourent comme des abeilles affamées, cherchant inlassablement le bout de peau, le regard, le geste encourageant. Alors la sève sucrée de ses incantations vous imprègne et le vertige du bonheur vous habille de ses plus beaux vêtements. Il a ce don des séducteurs qui vous disent ce que vous voulez entendre, cette lucidité du physionomiste qui vous devine d’un regard, vous donne cette sensuelle impression que vous avez été choisi. Il aime plaire mais ce n’est pas un séducteur : il ne consomme pas, il admire et archive ses trésors d’amour comme un paysan traumatisé par des pénuries de guerre.

Ce qu’il aime chez la femme ce sont ses propres espérances. Il aime l’idée qu’elle lui aurait volé un organe vital, une clef magique et unique : une côte indispensable pour vivre. C’est égoïste mais disciple de Casanova, il ne promet rien d’autre que la sincérité du moment. Il veut danser la séduction, voir sa partenaire de l’intérieur.

Certains jours, il se laisse aller à des rencontres improbables, courtisant la première qu’il croise avec la seule ambition de partager un doux moment, un flirt innocent et chaleureux. Ce n’est jamais prémédité, c’est toujours elle qui l’autorise par une phrase ou un mot qu’il détourne à son profit. Hier encore il était assis au fond du bus, les bras croisés et le regard brillant des directeurs de casting.

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Un siège devant lui était libre. Une jeune étudiante monta dans le bus et comme pour l’invité fit semblant de ne pas la voir. Par chance sa stratégie fonctionna.

Elle était de la bourgeoisie Lyonnaise. On les reconnait plus facilement depuis qu’une classe moins riche s’était distinguée par un style plus sport.

Au premier regard on admet facilement qu’on ne devient pas si belle par hasard et on imagine comment chaque génération s’est appliquée à transmettre le goût du beau. Sa pudeur, son regard discret, son assise droite et révérencieuse, toute son attitude rappelle sans cesse son origine sociale : elle est la fierté de toutes ces femmes du monde qui en secret ou en public, ont pris leur vie en main pour ne plus être un objet de plaisir. Ces femmes, conscientes du précieux message qu’elles portent sur le visage et qui en cachette entretiennent de crèmes et de caresses amoureuses. Elles savent faire d’un foulard un véritable bijou et d’un simple geste, émerveiller celui qui sait regarder.

Le bus n’était pas complet : deux jeunes tentaient d’exister en parlant fort, et leurs expressions mal digérées amusaient tous les passagers. « Ne pars pas avant de partir, j’ai besoin de toi » cri l’un et l’autre de répondre « lâche l’affaire, qui tente rien n’a jamais rien tenté ».

Une habituée tenait compagnie au chauffeur et pour le séduire prenait sa défense chaque fois qu’un automobiliste roulait trop près. Hassan est au centre du bus :

– Merci d’être si belle ! dit-il pour accueillir l’élégante étudiante. Il ne lui apprenait rien et elle le priva d’un sourire d’encouragement.

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Elle avait déjà commencé à lire, un essai philosophique sur la science et la religion. La femme et la lecture, deux chemins différents pour une même destination. Elle était concentrée mais la conduite nerveuse des chauffeurs lyonnais l’obligeait à tenir solidement son livre.

Hassan avait eu le temps de lire le titre et sans hésiter il osa :

– Avant de m’ignorer, rappelez-vous Galilée et dites-vous qu’en m’écoutant vous le ressuscitez.

Elle se retourna et comprit que son charme était aussi prometteur que la subtilité de son approche. Elle sourit enfin. En quelques secondes elle l’avait regardé dans les yeux et d’un frétillement de sourcil, l’avait invité tacitement à partager son trajet. Il avait dans le regard ce que les femmes respectent et redoutent : de l’assurance. Alors sans réfléchir et comme à son habitude il lui dit tout ce qui lui passe par la tête avec pour seul principe, la surprendre, la faire rire et lui donner envie de revivre cet instant.

Il se pencha et chuchota poliment, comme un conteur :

– Vous ai-je parlé de cette femme que la vie a refusé de me présenter ? Je pense à vous et déjà je vois mon âme pleurer comme un enfant. J’aimerais me vanter de vous connaître, convaincre les enfants que grandir c’est vouloir vous rencontrer…

Elle essaya de l’ignorer en regardant par la fenêtre, d’être indisponible : elle voulait qu’il continue mais sans son accord. Feignant de ne pas être touchée, elle demanda :

– Quel rapport entre moi et Galilée ? – La beauté des étoiles !

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– Je suis une femme ! rétorqua-t-elle. – Les femmes sont sincères en amour ; Jésus meurt

abandonné de tous, seules les femmes l’accompagnent fidèlement sur sa croix. Dit Hassan en fixant le crucifix qu’elle portait autour du cou.

Etre abordé par un inconnu qui commentait à la fois sa lecture et son intimité l’intriguait fortement. Elle avait arrêté de lire et son doigt marquait le chapitre astronomique.

– Vous savez que 80 % des étoiles vivent en couple ? On a tous besoin d’une planète, ou étymologiquement d’un vagabond, chuchota Hassan.

Elle fouilla son sac sans rien y sortir si ce n’est la gêne qu’elle n’avait pas réussi à cacher en faisant semblant de s’occuper. Hassan la regardait, la contemplait avec une présence puissante qu’elle devinait nerveusement dans son dos. Il lui suffisait d’attendre, et en fonction de sa réponse, de sa façon de respirer, de l’ignorer, il déciderait de continuer ou au contraire de se retirer délicatement, sans amertume.

Elle ne put s’empêcher de le tester avec l’espoir de le décourager :

– Je préfère les comètes, elles sont rares et imprévisibles. Son front légèrement plissé trahissait une réflexion trop rapide et lui ôtait le charme naturel qui la protégeait jusqu’alors. Elle avait ouvert sa porte et Hassan après quelques métaphores décida de conclure avec la gestuelle des comédiens classiques :

– Et voilà, Descartes m’a trahi, je donnerai dorénavant ma confiance à mon ignorance. Votre souvenir sera mon présent. Je vais aller prêcher tous les instruments de musique, leur dire que les sons ne

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font qu’imiter votre voix et que celui qui parle de vous est le plus grand des chefs d’orchestres.

Ces derniers mots raisonnaient comme un sermon, ils sentaient la poussière boisée des vieilles chapelles et tout le monde avait regardé ce tango en pariant soit sur un échec soit sur une prise du numéro de téléphone. Elle avait le regard humble du chevalier désarmé et le geste tremblant du fiévreux : elle avait bu ses paroles, aimé sa courtoisie, son regard apaisant et même son parfum qui annonçait déjà la présence d’un homme généreux. Elle était sous le charme et comme un taureau blessé, elle attendait le coup de grâce, le coup d’épée qui la libérerait de sa fébrilité. Mais Hassan, heureux d’avoir partagé cette intimité poétique se contenta de lui souhaiter une bonne journée et descendit du bus sans la regarder. Tout ce qu’il voulait c’était vivre un bon moment et en être responsable. Il a l’hospitalité des bédouins et même s’il n’est pas chez lui, il donne sans retour, ne serait-ce que quelques instants confus au fond d’un bus.

Il aime la femme. Il aime ce doux message que chacune d’elle lui adresse, cet espoir réconfortant qu’inspire chacun de leurs gestes. Il n’a pas trouvé meilleur messager du beau et il est trop jeune pour vraiment les comprendre.

Depuis tout petit il porte sur la vie un regard artistique. Il aurait pu se contenter de vivre, mais une voix secrète lui racontait l’histoire d’un pays inconnu, une petite contrée sans population où on ne vit pas mais où on est vu et où, contrairement à la terre, l’idée de Dieu ne confesse aucun pouvoir ni aucune autorité. Il n’y a de saisons que des sentiments sincères. Il n’y a ni remords ni regrets. Le plus fort est celui qui l’ignore. La joie est un fruit. L’amour se