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LEON ROSENTHAL Du Romantisme au Réalisme ESSAI SUR L ÉVOLUTION DE LA PEINTURE EN FRANCE DE 1830 A 1848 H. LAURENS, PARIS

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  • LEON ROSENTHAL

    Du Romantisme

    au Ralisme

    ESSAI SUR L VOLUTION DE LAPEINTURE EN FRANCE DE 1830 A 1848

    H. LAURENS, PARIS

  • .NX)1

  • W-

  • DU ROMANTISMEAU RALISME

  • DU MEME AUTEUR

    Carpaccio. i vol. en collaboration avec Mmc G. Rosenthal.(Librairie H. Laurens).

    La Gravure, i vol. (Librairie H. Laurens).

    David, i vol. (Librairie Pion).

    Gricault, i vol. (Librairie Pion).

    Daumier, i vol. (Librairie Lvy).

    La Peinture Romantique, essai sur rvolution de la Peinture enFrance de i8i5 i83o, i vol. in-4. (Librairie Fontenioing).

    Notre art national, abrg de l'histoire de l'art franais

    l'usage des entants des coles, i vol. iu-8. (Librairie

    Delagrave).

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    University of Ottawa

    http://www.archive.org/details/smrsduromantismOOrose

  • BB O7

  • LON ROSENTHAL

    DU ROMANTISMEAU RALISME

    ESSAI SUR L'VOLUTION DE LA PEINTUREEN FRANCE

    DE

    1830 a 1848

    OUVRAGE ILLUSTRE DE 24 PLANCHES HORS TEXTE

    PARISLIBRAIRIE RENOUARD. H. LAURENS, DITEUR

    6 , RUE DE TOUESOK, 6

    1 9 T 4Tous droits de traduction et de reproduction rservs

    pour tous pays.

  • A Monsieur Gabriel SAILLES

    Hommage de dfrente sympathie.

    L. R.

  • rXTRODUCTIOX

    Pour Madame G. li.

    Les deux dates extrmes entre lesquelles se renferme cet

    ouvrage sont empruntes l'histoire politique. Je ne les ai

    pourtant pas choisies d'une faon arbitraire ou artificielle :

    elles se sont imposes moi. La Rsolution de 1830 a pro-

    voqu chez les peintres une motion violente et modifi pro-

    fondment les conditions de la vie artistique. La Rvolution

    de 4848 a dtermin un bouleversement plus marqu encore.Entre ces deux Rvolutions qui l'encadrent, la monarchie de

    Juillet avait cr une ambiance parmi laquelle la peinture avolu sans secousse.

    La Restauration avait vu natre le Romantisme, la seconde

    Rpublique sera marque par Vaffirmation du Ralisme.Partage entre les partisans et les adversaires du Roman-

    tisme, galement incapables de la satisfaire, guide par des

    aspirations confuses vers le ralisme dont elle ne vit pas

    l'avnement, la priode de dix-huit ans que j'examine a tune re de production intense, mais aussi de recherche,

    d'incertitude , de gestation ; elle emprunte cette fcondit et cette inquitude sa physionomie et son unit.

    Les Rvolutions qui Vont ouverte et qui Vont close, montrent

    avec quelle puissance et parfois avec quelle brutalit les v-

    nements publics peuvent agir sur Vvolution de la peinture.

    Celle-ci, d'ailleurs, n'est aucun moment, indpendante de

  • II INTRODUCTION

    la vie gnrale. A mesure que je poursuivais mon tude, lescorrespondances mystrieuses qui unissent les faits de l'ordre

    en apparence le plus loign me sont apparues davantage.

    Les passions politiques et sociales, les croyances philoso-

    phiques ou religieuses, ont eu un retentissement certain. Les

    diffrentes formes de Vactivit intellectuelle ont agi sur la

    peinture ou ont t influences par celle-ci ou encore elles ont

    paru entranes avec elle travers les mmes voies par lesmmes forces irrsistibles. Littrature, sculpture, musique ontainsi suivi des volutions parallles et il n'est pas jusqu'auxsciences qui n'aient paru, certains moments, leur faireescorte. Il n'tait pas indiffrent de rappeler que Z'Oreste

    fut sculpt par Simart, le pome de Psych compos parVictor de Laprade, dans le temps o Corot peignait Homreet les bergers et Ingres la Stratonice. Les recherches de Che-

    vreul sur les couleurs sont parallles aux recherches tech-

    niques de Delacroix; les Mousquetaires de la Reine d'Halvi/

    sont contemporains des toiles de Paul Delroche. Toutes les

    fois que j'ai pu les dcouvrir j'ai soulign des faits par les-quels s'affirme, si je ne me trompe, l'unit de plan de l'esprithumain.

    Cette mthode, je le sais, ne rencontrera pas une approba-tion unanime. Les vues de Taine qui paraissait subordonner

    le gnie a l influence du milieu et les doctrines contraires qui

    subordonnaient le milieu a l'action dominante du surhomme,ont provoqu une raction et celle-ci, selon une loi ordinaire, at excessive. On ne s'est jxis content de protester contre des

    exagrations systmatiques, ou en est venu a ngliger les rap-

    ports entre l'artiste et la vie gnrale et a tudier rvolution de

    l'art connue si elle tait indpendante de toute contingence

    extrieure. La formation et les modifications de la technique

    et des thmesparaissent quelques-uns les sujets uniques aux-

    quels doive s1appliquer l'investigation de l'historien de l'art Je

    ne prtends point combattre cette tendance par des atgunu nts

  • INTRODUCTION III

    thoriques, il me suffit que mes investigations m'en aient per-

    ptuellement marqu ltroitesse et l'insuffisance. L'admira-tion que nous inspirent les uvres d'art ne sera pas amoin-

    drie si. au lieu d'apporter leur examen des proccupations

    esthtiques exclusives, nous essayons de discerner la com-

    plexit des forces qui les ont dtermines. Bien au contraire,

    c'est contribuer la gloire des uvres que d'ajouter auxmotifs esthtiques, les raisons humaines de les admirer.Mon effort essentiel a t, dans cet ouvrage, de reconnatre

    et d'analyser ces grands courants qui dominent les artistes detalent et s'imposent mme au gnie. On ne trouvera pointici de biographies ni avoues ni dguises. Je me suis appuysur les monographies, chaque jour plus nombreuses, sanschercher les rsumer ou les doubler. Je n'ai point eul'intention de rendre leur lecture inutile,j'espre, au contraire,apporter des vues d'ensemble qui permettront de les lire avec

    plus de fruit.

    J'en ai us pour les uvres avec la mme libert. Je n'aipas dress de catalogue ; j'ai choisi, parmi des ouvragesanalogues, ceux qui me paraissaient les plus caractris-

    tiques. Des chefs-d'uvre ont pu tre l'objet de trs brvesmentions ou mme tre passs sous silence lorsque, pour unedmonstration, surabondaient les preuves illustres. Destoiles mdiocres ont, d'autres moments, bnfici, par contre,de leur intrt documentaire. Je pense, cependant, n'avoir

    jamais exagr la valeur d'un travail secondaire ni dissimulla valeur d'un tableau de premier ordre.

    Je me suis, d'ailleurs, gard de juger les peintres de lamonarchie de Juillet d'aprs mon propre sentiment ou d'aprsl'estime qu'ils inspirent aujourd'hui. J'ai essay de resti-tuer leurs uvres la signification qu elles eurent leurapparition et c'est pourquoi fai constamment invoqu lestmoignages contemporains.

    Faut-il. prsent, m excuser auprs des rudits de ne point

  • IV INTRODUCTION

    apporter ici un recueil de documents ? Sans doute, au lieu de

    matriaux solides, je n offre au public qu'une construction

    hasardeuse. Mais pourquoi mettrait-on tant de patience et de

    perspicacit dcouvrir des faits exacts s'il tait interdit de

    chercherjamais les mettre en uvre? Tout le monde, aujour-d'hui, si je ne me trompe, reconnat V utilit de synthses

    mme provisoires. Cest une de ces synthses, prcaires certesmais non pas vaines, que fai essay de ralisera

    i. Les divisions de mon ouvrage sont extrmement simples. Les deuxpremiers chapitres sont consacrs, le premier, examiner le milieu social

    dans lequel ont vcu les peintres, le second dterminer la complexit des

    thmes qui se sont proposs leur imagination. C'est aprs cette enquteprliminaire que j'tudie les grandes directions de la peinture dans une

    suite de sept chapitres dont on verra, la fin du second chapitre, annonce

    l'conomie.

  • DU

    ROMANTISME AU RALISME

    CHAPITRE PREMIER

    LES CONDITIONS SOCIALES

    I. Les artistes et la Restauration. II. La crise de i83o. Craintes etesprances . III. Les dbats sur la liste civile. IV. Le roi et la familleroyale. V. Ministres, dputs. Le muse du Luxembourg. VI. Lemcnat del Bourgeoisie. VII. La vie d'artiste. VIII. L'artiste et lebourgeois. IX. Les Salons. X La critique d'art. XI. Popularitdes questions d'art. XII. Questions commerciales. XIII. Diffusion enprovince. XIV. La Fiance et l'Etranger. Conclusion.

    J'essayerai, dans ce premier chapitre, avant d'examiner

    les doctrines et les uvres, de dterminer l'influence quela politique, la socit, les conditions gnrales de la vie,

    ont pu exercer sur les artistes. Au seuil d'une tude esth-tique, je me suis livr une enqute de sociologie et cesont les rsultats de cette enqute que je vais, d'abord,rsumer ici.

    I. Les peintres n'avaient pas eu se plaindre de la Res-

    tauration.

    Louis XVIII et Charles X s'taient piqus de tmoigneraux arts une faveur au moins gale celle dont ceux-ciavaient joui auprs de Napolon. Les commandes royales,du Ministre de l'Intrieur, de la Prfecture de la Seine,avaient t multiplies. A la suite de chaque Salon, desuvres nombreuses avaient t achetes par l'Etat et l'onse tromperait fort peu en affirmant que toutes les toiles

  • 2 DU ROMANTISME AU REALISME

    importantes qui ont t exposes alors avaient t comman-des par le gouvernement ou devinrent sa proprit. Degrands travaux de dcoration avaient t, d'autre part, entre-pris : les plafonds du Louvre, les salles du Conseil d'tat,la Bourse, la Bibliothque de Fontainebleau, taient livrs

    l'activit des peintres.

    Non contents de cet appui effectif, Louis XVIII et Charles Xaffectaient les plus grands gards envers les artistes. Ilsles dcoraient de l'ordre de Saint-Michel ou de la Lgiond'honneur ; Gros, Grard, Gurin taient anoblis. Le tableauclbre de Heim, que l'on voit au Louvre, rappelle l'affabilit

    avec laquelle Charles X, en personne, distribuait aux pein-

    tres des rcompenses.Cette protection n'avait pas t inintelligente. Sans doute

    les Bourbons commandaient plus volontiers des toiles reli-gieuses ou des tableaux consacrs la gloire de leur

    dynastie; mais, si des susceptibilits politiques leur inter-

    disaient de patronner ou mme de tolrer l'exaltationpublique del Rvolution et de l'Empire, ils s'abstenaient,du moins, d'intervenir clans les querelles artistiques.La Restauration professait le plus grand libralisme dans

    le domaine intellectuel. Le prince, qui s'tait refus pros-crire Hernani, manifestait la mme impartialit devanl lesformes nouvelles de l'art. Les novateurs avaient dveloppleurs thses en toute indpendance e1 les rcompensesmmes ne leur avaient pas manqu. Horace Vernet, PaulDelaroche avaienl t dcors, ils avaienl rein des com-

    nandes. Les plus audacieux avaienl vendu leurs uvres au

    Gouvernement. Delacroix s'tail vu acheter Dante et Virgile

    el les Massacres de Sci : Devria, la Naissa nre de Henri IV,

    et, si le Radeau de la Mduse de Gricault n'avail pas. toutd'abord, obtenu une faveur semblable, c'est que l'artiste

    tail accus d'avoir, dans le choix de son sujet, cherch

    braver le ( gouvernement.

  • LES CONDITIONS SOCIALES \

    La Restauration n'avait mme pas mconnu le talent deses adversaires politiques. Louis XVIII, oblig d'exiler lergicide David, ngociait avec lui Tacht des Sabines et de

    Lonidas. On n'avait pas tenu rigueur Gros, Grard, tant d'autres, d'avoir clbr le tyran corse. Les grandestoiles, o se dveloppait l'poque napolonienne, restaientroules dans les magasins ou les ateliers, mais elles n'-taient pas dtruites, et leurs auteurs recevaient des com-

    mandes nouvelles. On n'avait mme pas tenu rigueur Horace Vernet d'avoir, en 1822, organis une petite mani-festation politique, en ouvrant une exposition particulire de

    ses tableaux la suite du refus, au Salon, de la Bataille deJemmapes et de la Dfense de Clhchy. En janvier 1826, il taitpromu officier de la Lgion d'honneur.A l'exemple du roi et de la famille royale, tous ceux qui

    comptaient en France se piquaient de got. Les peintres

    taient soutenus par un gouvernement puissant et une aris-

    tocratie trs riche, capables et dsireux d'encourager la pro-duction artistique.

    II. La rvolution de Juillet ruina cet ordre de ch 1 M .

  • LES CONDITIONS SOCIALES I I

    qui circulaient dans les ateliers. On racontait qu'il entraitparfois sans bruit, par une porte secrte, dans la salle oHorace Vernet travaillait Versailles, et qu'un jour, Horace,non averti de sa prsence, tout au feu de l'improvisation

    l'avait, dans un malencontreux lan de recul, culbut sur son

    royal revers ' . Dans l'atelier d'Alaux, il s'tait trouv brus-

    quement en face de Pils qui, arm d'un mousquet, posaitpour un ligueur, et il s'tait enfui fort effray 2 .

    La bonhomie, qui autorisait ces anecdotes puriles, n'tait

    pas uniquement de surface. Elle s'associait une bienveil-lance trs relle et aussi un dsir d'action personnelle sur

    les arts. M. de Montalivet, qui fut, en ces questions, le col-

    laborateur le plus direct et le plus actif de Louis-Philippe, a

    fait, aprs 1848, l'apologie de l'uvre accomplie par son

    ancien matre et son livre 3 garde, dans le pangyrique, un

    ton si mesur, il apporte tant de faits prcis qu'il mriteconsidration. Nous apprenons que Louis-Philippe a dpens,

    Versailles, 6600000 francs pour achats ou restaurationsde peintures et sculptures, qu'il a consacr plus de dix

    millions aux achats pour les muses.Aux heures o le public n'y tait pas admis, le roi parcou-

    rait les salles du Salon, le crayon la main. Il dressait uneliste d'uvres, la communiquait au Directeur des musespour recevoir ses observations et ce travail servait de base

    aux achats comme aux rcompenses 4 . Pour Versailles, il nese contenta pas de dsigner les artistes, il examina leursesquisses ou leurs toiles et exigea, l'occasion, des modifi-

    cations ou des retouches. La Fdration de Couder faillit

    1

    .

    Jules Breton, Aos peintres du sicle, p. 81

    .

    2. Claretie (d'aprs Becq de Fouquires), Peintres et sculpteurs, t. I,p. 166.

    3. De Montalivet. Louis-Philippe, liste civile, 1 8 5 1

    .

    4. De Montalivet, op. cit., p. 123. Ces faits nous sont confirms pour i83i,par le Journal des Artistes, 21 aot i83i, pp. 3s et i35.

  • 12 DU ROMANTISME AU REALISME

    ainsi tre refuse et fut l'objet de longues et laborieusesngociations 1 .

    Dans quel sens s'est exerce une action si importante ? Legot de Louis-Philippe a t l'objet de maint sarcasme : ons'est moqu de sa sympathie pour Alaux, auquel furent,effectivement, confies plus de soixante commandes - eton lui a attribu cette confession : Alaux peint bienet dessine bien; il n'est pas cher et il est coloriste 3 .

    On lui a reproch les 840 000 francs allous HoraceVernet.

    Il est vrai qu'il apportait dans les beaux-arts des proccu-pations particulires : l'art... n'tait pas pour lui un but,

    il ddaignait un peu la forme, quand elle ne s'attachait pas la vrit , il cherchait, dans les toiles, une reprsentation

    fidle de l'histoire et voulait donner l'art une directionexclusivement historique et nationale . Cette conceptiondont j'emprunte la formule M. de Montalivet* a prsid la cration du Muse de Versailles et en est la condamna-tion.

    Il convient d'ajouter, en toute impartialit, ces traitsune contre-partie. Louis-Philippe n'avait pas le got 1respur, mais il avait les tendances les plus libres. Son avne-ment ne fut pas envisag sans apprhension par les clas-siques. On craignit qu'il ne vnt servir les vux et fortifierles esprances du parti romantique 1 . Lorsque le roi

    1. De Montalivet, op. cit., pp. 118-121. Alaux, charg 1 < peindre l'Assem-ble de 1)96, avail imagin Irs draperies rouges. Un jour, le roi apporta lapreuve que la Balle tait tendue de bleu >! l'artiste dul modifier ses fonde(Eugne Guillaume, Jean Alaux, dans Les Notices et Discours, p. 137.)

    1. E. Guillaume, loc. cit., p. i33. Journal des Artset de lu Littrature,1837, P- '

    S"2-

    ;. Thophile Silvestre, Les artistes franais, 1878, p. 290.4. De Montalivet, op, cit., p, 117: Vrou dans ses Mmoires d'un bour-

    geois de Paris IV. p fjS . a presque littrale m copi ce passage.. 1 (Parcy). Les Beaux Arts sous Louis-Philippe. [Journal des Artistes,

    iH aot i83i, p. 1 r>8).

  • LES CONDITIONS SOCIALES l3

    dsigna Champmartin pour excuter son portrait officiel, cefut, dans le camp acadmique, une vritable explosion defureur 1 . Devant ces rcriminations, devant l'attitude de

    l'Institut, Louis-Philippe ne crut pas devoir se poser en

    champion du Romantisme, mais il ne cessa de protester,avec discrtion, contre toute vellit de proscription, inter-vint parfois, nous le verrons, auprs du jury, pour l'engagerau libralisme 2 . Il confia Delacroix Versailles deuximportantes commandes, bien qu'il n'et pas de sympathiepersonnelle pour son art et, s'il le fit, ce n'est pas certaine-

    ment pour obir l'opinion publique presque universelle-

    ment hostile au matre 3 .

    La cration du Muse de Versailles fut, sans doute, uneinitiative dplorable et les millions de travaux qui y furent

    confis des peintres auraient pu tre plus intelligemment

    employs ; mais, en d'autres circonstances, l'action du roin'appelle que l'loge. Ce fut lui qui, ds le dbut de sonrgne, rendit les Salons annuels. Il ne tint pas lui que

    l'art du vitrail ne renaquit en France ; enfin la formation duiiuisre espagnol au Louvre, malgr sa destine brve,eut, nous le verrons, une relle efficacit sur l'volution

    raliste.

    Autour du roi rgnait pour les arts une atmosphre desympathie. Plusieurs membres de sa famille avaient des

    i. Journal des Artistes, n septembre i83i.i. Louis Viardot (Le Sicle, 19 mars 1837) ; Thophile Gautier (La

    Presse, 27 mars 1844) -

    3. Le roi Louis-Philippe , crit Lon Riesener (cit par Burty. Lettresde Delacroir. p. x\i , n'aimait pas sa peinture... Pour les Croiss, Delacroixavait propos une esquisse fort belle. M. de Cailleux lui lit entendre que leroi dsirait, autant que possible, un tableau qui n'et pas l'air d'tre unDelacroix. C'est au respect humain et non l'estime que nous devons ce quenous avons de lui dans les galeries de Versailles. Ces affirmations me sontsuspectes. Le choix de Delacroix tait une hardiesse et, pour la grandemajorit des contemporains, un scandale. Quant aux prtendus conseils deM. de Cailleux, il est vident qu'ils n'ont eu sur le matre aucune influenceregrettable.

  • I^ DU ROMANTISME AU REALISME

    relations amicales avec des artistes ' et pratiquaient, avec

    olus ou moins d'assiduit, quelque art 2 . La reine Marie-

    Amlie peignait des fleurs, le duc d'Orlans dessinait, laduchesse d'Orlans tait lve de Paul Huet, connu pour

    rpublicain, et sut lui inspirer une sympathie fidle 3 ; le

    duc de Nemours avait pris des leons avec Eugne Lamiet faisait de l'aquarelle. Le mrite de la princesse Marie

    d'Orlans dpassait celui d'un amateur. Elve d'Ary Scheffer,

    elle avait compos trois cartons pour les verrires de Saint-Saturnin de Fontainebleau'. On sait qu'elle tait sculpteur,et Versailles conserve sa Jeanne d'Arc laquelle les orla-

    nistes ont fait une popularit qui n'est pas tout fait efface.

    Le duc d'Aumale, tout jeune, acqurait des uvres d'artaid des conseils d'Eugne Lami 5 . Passant Rome en 1843,il ne manquait pas d'aller visiter la villa Mdicis 6 .

    Parmi ces bonnes volonts, la plus agissante fut celle du

    duc d'Orlans. Li avec des peintres, familier d'Ary Scheffer,

    de Decamps, de Dupr 7 , il ne se crut pas tenu la mmerserve que son pre et fut le champion avou des roman-tiques. Ds 1 8 3 1 , il tait dnonc, comme tel, a l'indignationpublique : L'hritier du trne , crivait-on dans le Journal

    i. Delacroix s'indignait du sans gne de Decamps qui allait chez !

  • LES CONDITIONS SOCIALES l5

    des Artistes l, trempe aussi, sans s'en douter, dans la cons-

    piration artistique. Livr, dit-on, l'influence d'un jeuneartiste dou d'un talent original, d'un talent part, maisqui ne saurait jamais faire cole 2

    ,il est dtourn de toute

    estime pour les uvres de haut style et ne fait cas que des

    uvres soudaines et dsordonnes o brillent l'imaginationet l'adresse dfaut de savoir. Le duc d'Orlans devaitjustifier ces apprhensions. En i833, il donnait des com-mandes Ingres, Delaroche, Tony Johannot, Roque-plan, Paul Huet. Il entrait en lutte ouverte avec le jury,protgeait Barve exclu des Salons et lui commandait unsurtout de table monumental. Ses sentiments taient si bienconnus que lorsqu'en 1 836, YHamlet de Delacroix fut refus,

    on annona qu'il s'lail rendu acqureur de l'uvre pros-crite. L'information se trouva fausse mais elle tait vraisem-

    blable 3. A la mort du duc de Blacas, quelques officieux

    mirent en avant le nom du duc d'Orlans pour sa succession

    l'Acadmie des Beaux-Arts. Cette suggestion ne fut pasentendue et YArtiste en exprima le regret dans un articlepangyrique o il exaltait le prince, protecteur de Decamps,

    de Cabat, d'Eugne Delacroix, de Seheier, de Barye;

    a M. le duc d'Orlans , ajoutait-on, est l'ami de M. Ingres,et s'il tait plus riche, M. Ingres n'et pas travaill pour le

    dur de Luynes ; . Le duc d'Orlans allait devenir posses-seur de la Stratonice et obtenir du peintre l'immortalitd'un portrait 5 .

    i . 28 aot 1 83 1 , p. 1 jS.

    2. Il s'agit videmment d'Ary Scheffer.; /.'Artiste, i836, t. XI, pp. 119 et i32.

    i. /.'Artiste. 2 fvrier 1840.

    5. Briffault, Le duc d'Orlans, 1842. Delaborde, Ingres, pp. 258-219 et3 46. L^. Stratonice avait t commande pour le prix de 5 000 francs. Leduc d'Orlans, quand il vit l'uvre, doubla la somme. Il usa du mme procdgnreux pour l'Assassinat du duc de Guise de Paul Delaroche. (Gruyer,Chantilly, p. 4o5 note 1 et 425).

  • l6 DU ROMANTISME AU REALISME

    Lorsqu'en 1842 l'accident de la route de Neuilly inter-

    rompit brusquement de magnifiques esprances, Briffault,

    dans l'loge du prince, ne manqua pas de rappeler que

    toutes les belles tmrits de l'art moderne trouvaient enlui une providence vivante qui les consolait des dgots et

    des injustices 1 . Dans son testament, le duc d'Orlans

    n'avait pas oubli son ami Ary Scheffer 2 .

    V. L'action personnelle du roi et des princes ne

    s'tendait videmment pas toutes les sommes dpensesen leur nom. L'administration de la liste civile tait parfois

    responsable. Lorsque l'on proposait Sigalon de peindre le

    duc d'Orlans couronn une distribution de prix 3 , le choix

    d'un tel sujet devait appartenir au zle de quelque employ.

    Une remarque analogue s'impose pour la dispense des

    crdits du budget. Quand Thiers tait ministre, il agissait,sans doute, par lui-mme. Ce fut lui qui confia Delacroix

    les plafonds de la Chambre des dputs. A d'autres momentsles bureaux gardaient les initiatives. Il s'y rencontrait des

    hommes distingus. Gav, qui fut nomm directeur desBeaux-Arts en 1839, et une action trs tendue et trs dis-

    crte'. Il tait li avec Delacroix, surtout avec Jean Gigoux

    qui eut souvent se louer de cette amiti puissante 5 .

    Les bureaux taient assaillis par les dputs. Ceux-ci

    votaient malaisment des crdits pour les arts, mais ils

    taient toujours disposs solliciter une commande pour

    1. Briffault, op. cil., p. 5o. Quelques mois auparavant, Alphonse Karr,dans les (hn'pes de janvier 1842 (pp. 28-29). rapportait une conversation dulue d'Orlans avec Paul Delaroche au sujet de VHmicycle : le prince repro-chait L'artiste d'avoir oubli Le Brun el Palladio.

    Bulletin de l'Ami des Arts, 18 ji. Tome I, p.3. Laviron el Galbaccio, Salon de t8 > >. p. 3 I7.

    j. VArtiate, ' dcembre i83q. Sou portrait par Ingres (ExpositionIngres n I7) rvle un bomme loi, courtois et trs habile.

    >. Isidore '-osse, Diogne an Salon de [8461 pp. -' > el 1 I

  • les conditions sociales 17

    leurs protgs '. Ils rchauffaient leur popularit en obtenantdes tableaux pour les glises 2 ou les muses de leur cir-conscription J

    . Parfois se liaient des intrigues compliques :en 1839, l'Urbain Grandier de Jouy promis Lyon fut con-quis, pour Bordeaux, de haute lutte par Dalos, dput de laGironde '

    ; la Justice de Trajan de Delacroix faillit prendrele mme chemin et ne fut pas sans peine rserve Rouen 5 .La Thtis d'Ingres, achete en 1834, fllt donne la villed'Aix par l'influence de Thiers malgr le dsir de l'artiste quidsirait la voir Toulouse 6 .

    Des artistes se trouvrent lss par ces marchandages.Hippolyte Flandrin rclamait pour Lyon, sa ville natale, le

    Clirist et les enfants, son tableau de 1839, que le gouverne-

    ment lui avait achet. Ce dsir dict par la reconnaissance,

    par un souci naturel de notorit locale, tait lgitime. MaisGuizot dsirait tre agrable ses lecteurs de Lisieux, etc'est dans leur minuscule muse que l'uvre de Flandrin futenterre '.

    La presse se plaignit souvent de la dictature bureaucra-

    tique des commis d'une administration tracassire 8 , elledplora l'incohrence administrative et la rpartition dtes-

    1 A. Desbarolles, Notes sur la vie d artiste dans le Bulletin de l'Ami desArts. t. I, p. 294, sqq. Une requte de Couder M. d'Argout pour tre

    de peintures la Chambre des dputs, fvrier i8j2, porte en margela mention : particulirement recommand par M. Guizot (Archives Natio-nales F 21 584 Cm trouvera de nombreux exemples analogues au dossierF" 585.

    2. Nos glises, tant de ville que de campagne, se recommandent plusque jamais au bon vouloir de nos dputs. (Th. Burette, Salon de 1840dans la Revue de Paris, avril 1840}.

    >. Voir aux Archives Nationales (F- 1 5) un dossier fort amusant au sujetd> l'envoi de la Mde de Delacroix Lille.

    \. /.Artiste, i5 dcembre i83q.'). Bulletin de VAmi des Arts, t. I, p. 82. Archives Nationales F 21 5.6. Archives Nationales F- 1 7.

    7. Louis Flandrin, Hippolyte Flandrin, pp. 71 et 70.

    8. Laviron, Salon de i834, pp. 5 et 6.

  • l8 DU ROMANTISME AU REALISME

    table des commandes 1 . Ces dolances taient, en partie,fondes. Il est vident qui a parcouru les glises et les

    muses de France que des travaux importants furent donns

    des peintres mdiocres ou dtestables. Mais les commandestaient extrmement nombreuses: en 1 84 1 , selon le calcul

    de Louis Peisse 2 , sur 108 tableaux plus ou moins dignes

    de l'pithte d'historique qui figuraient au Salon 54 taient

    dj achets par la liste civile, les ministres ou la ville de

    Paris . Au Salon de 1844 on voyait 4* tableaux commandspar l'tat 3 . Il ne faut pas oublier les travaux excuts sur

    place, dans les monuments publics, dans les glises : au

    Luxembourg, au Palais-Bourbon, l'Ecole des Beaux-Arts,

    la Cour des comptes, Notre-Dame-de-Lorette, Saint-

    Germain-l'Auxerrois, etc. Comment s'tonner, dans cetensemble, de la prsence d'uvres faibles?

    Nous serions en droit de nous indigner si les matres

    vritables ou les esprits originaux avaient t vincs. Or,

    si l'on en excepte les paysagistes, envers lesquels le gouver-

    nement eut le tort de ne pas montrer plus de clairvoyance

    que la presque totalit des contemporains, il n'est pas

    d'artistes audacieux qui la monarchie de Juillet ait refus

    l'occasion de signer une grande page. Les novateurs, les

    Orsel, les Flandrin, les Ghassriau, les Motte/, onl tent sui-

    de vastes surfaces leurs expriences'. Ils ont pu se produire

    aprs Delacroix, Devria, Johannot ou Ingres et le gouver-

    1. Jules Janin, [L'Artiste., i833, t. Y, p. 170, sqq) : A Dcampe [leNational, iy mars 1 83 4) ; Gustave Planche Revue des Dru, \fondes,1 8 7 , ]>. 767) ; Thophile Gautier [Revue de Paris, avril 1841, p. 1 >4etc.

    Revue des Deux Mondes, r' avril 1841., hes Beaux-Arts, dite par Curmer, t. III, p, [g.

    4. Uni' partie de leurs travaux onl t commands par La Prfecture de laSeine, mais il esl vident que ni M. de Bondy, ui Rambuteau Bon successeur,ai la commission municipale n'agissaient contre tes dsira du gouverne-ment.

  • LES CONDITIONS SOCIALES IO,

    nement a eu d'autant plus de mrite les soutenir quel'Institut et une partie de la presse l'encourageaient uneattitude toute contraire.

    L'examen des livrets du muse du Luxembourg vient con-firmer ces observations 1 . Delacroix, Delaroche, Etig. Devria,Robert Fleury, Ingres, Schnetz, Ary Scheffer, Sigalon yfigurent en i83o. En i834, parmi les nouveaux, ct deBiard, Jolivard ou Steuben, je vois Brune, Dauzats, Lari-vire, Odier, Poterlet, Rioult, Henri Scheffer, Zigler

    ;

    Delacroix, cette date, a trois tableaux [Dante et Virgile, lesMassacres de Scio, les Femmes (FAlger), Ary Scheffer en adeux (les Femmes souliotcs, le Larmoyeur). En i836, lesnouveaux sont moins intressants, je relve les noms deDecaisne et Gallait ; Beaume, Redout etRmond qui avaientdisparu depuis i83:> rentrent en scne avec des uvres nou-velles

    ;par contre, Ingres qui n'avait qu'un petit tableau

    (Roger dlivrant Anglique) ne figure plus dans la galerie.Les annes suivantes virent entrer des uvres de ClmentBoulanger, de Champmartin, de Couture, de Glaize, deGleyre, des deux Messe, de Jalabert, d'Alfred Johannot, des

    ges d'Achard, d'Aligny, de Cabat, de Paul Muet.Ingres reprit place avec la Remise des clefs saint Pierre etCherubini.

    Sans doute ce relev accuse des lacunes dplorables, les

    paysagistes novateurs sont presque tous limins. On s'ex-plique mal l'absence de Decamps. Pourtant il faut recon-

    natre que les tendances les plus diverses ont t admises.

    L'art traditionnel, loin de rgner en matre au Luxembourg,

    y est, peine, mieux reprsent que ses rivaux".

    i. On en trouvera la bibliographie dans le Catalogue de i863.i. Philippe de Chennevires, dans la prface du catalogue du muse du

    Luxembourg et M. Lonce Bndite, ont esquiss l'histoire de ce muse.Une monographie complte reste crire. Elle offrirait le plus haut intrtet clairerait aussi l'histoire de nos collections provinciales.

  • 20 DU ROMANTISME AU REALISME

    VI. La bourgeoisie est devenue la classe dominante.

    Ses membres les plus distingus se piquent de got et les

    deux hommes qui la reprsentent peut-tre le mieux, Thiers

    et Guizot, n'ont pas seulement t des amateurs : ils ont t,

    leur heure, des critiques d'art. Guizot a crit, en 1810, un

    Salon remarquable et, en 18 16, un curieux Essai sur les

    limites qui sparent et les liens qui unissent les Beaux-Arts1

    .

    Quant Thiers, on sait qu'averti par Gros il salua, en 1822,la gloire naissante de Delacroix 2 , et l'on n'ignore pas qu'il

    fut, toute sa vie, un protecteur actif, sinon toujours trs

    clair, des arts 3 .

    La bourgeoisie, en gnral, est moins passionne pour le

    beau que ses deux chefs ; les plaintes sont gnrales que

    provoque son avarice; pourtant la majorit des artistes, nepouvant escompter les commandes royales, sollicite son

    appui et elle exerce sur la production artistique une influence

    prpondrante.

    Elle fait, tout d'abord, prdominer le tableau de chevalet.

    Rares sont les amateurs ayant une galerie et, surtout, une

    galerie o les uvres de grandes dimensions puissent

    prendre place. Les bourgeois achtent des cadres pour les

    accrocher dans leurs salons. Les peintres se trouvent donc

    amens dlaisser les grandes toiles ou ne les aborderque sur commande. Quand ils ne travaillent pas pour l'Etat,ils excutent des toiles de chevalet. Dans nos dmocraties

    modernes , crit Alexandre Barbier'*, o les richesses sont

    parpilles, o la toute-puissance rside de fail dans les

    classes moyennes, il faut, bon gr mal gr, que l'art

    1. Les deus opuscules oui t rimprims dans les /.'suis sm les Beaux-Arts en gnral.

    a. Lon Rosenthal, La Peinture romantique, p;. Jean Gigoux, Causeries sur les artistes de mon temps, p

    Amaury Durai, l Atelier d'Ingres, p 15.

    4. Salon de r.836, p 18. Mme Ide dans ['Artiste, i844i I' '''

  • LES COXDITIOXS SOCIALES 2 1

    s'accommode au got des nouveaux matres, qu'il se rape-tisse au niveau de leur fortune, qu'il se proportionne l'exigut de leurs demandes sous peine de mourir l'h-pital.

    Les artistes ne se rsignent pas sans regret cette nces-sit. Depuis David, ils sont habitus ne pouvoir exprimerla moindre pense, ni traduire la plus simple forme sansuser de proportions colossales; le prjug public mesurel'envergure des uvres a leurs dimensions et on ne cherchepas de la grande peinture sur des petites toiles. Aussi nemanque-t-il pas de critiques pour dplorer ce fait social etpour en annoncer les pnibles consquences. Ce qui taitjadis le partage de quelques-uns est devenu , crit-on en1839, (< l a prtention de tous ;... dornavant n'attendez rien degrand de vos artistes.., ce sera la moyenne proprit quipaiera, et on lui en donnera pour son argent.., vous aurezdu petit, du joli, du soign et du bien conditionn ; mais dugrand, jamais '. Le got des grands ouvrages, le got dugrand style , dit-on encore, s'affaiblit dplus en plus 2 .

    Il est clair que l'on confond ici deux phnomnes conco-mitants mais distincts. Un salon exigu n'entrane pas nces-sairement des gots mesquins ; mais il est vrai, que dans letemps que nous tudions, les gots mesquins se sont sou-vent rencontrs chez les possesseurs de salons exigus.

    Pour un amateur intelligent comme Paul Prier, protecteur

    de Thodore Rousseau, il se trouva trop d'acheteurs peuraffins auxquels suffisaient des uvres d'une technique

    mdiocre et d'une conception vulgaire. De telles uvres se

    1. Alexandre Barbier, Le Salon de i83g. pp. i5-i6.

    2. Gustave Planche Re^ue des Deux Mondes, 1 5 avril 1847). ^ar contre,l'auteur anonyme du Salon de i8jj dans Le National (25 mars 1 833) expliquefort bien pourquoi les artistes peuvent et doivent se rsigner n'avoir pasplus d'envergure que Nicolas Poussin, lequel faisait tenir tout le dlugedans une toile de quatre pieds .

  • 2 2 DU ROMANTISME AU REALISME

    sont multiplies sous la monarchie de Juillet. Le fait divers

    sentimental, la charge peinte, ont couvert les parois des

    Expositions. Pour toucher une clientle indiffrente aux

    ides, quelques peintres se sont laisss aller la fantaisie

    superficielle ; d'autres, moins scrupuleux, ont gliss dans

    l'quivoque et la grivoiserie.

    Les uvres d'art d'une originalit trop indpendante ,

    crit Alexandre Decamps 1 , d'une excution trop hardie,

    effarouchent les yeux de notre socit bourgeoise, dont

    l'esprit troit ne peut plus embrasser ni les vastes concep-

    tions du gnie, ni les gnreux lans de l'amour de l'huma-

    nit. L'opinion marche terre terre ; tout ce qui est trop

    vaste, tout ce qui s'lve au-dessus d'elle lui chappe.

    La suite de ces tudes montrera le bien-fond de ces

    dolances.

    Plus d'un crivain a protest contre l'esprit de la bour-

    geoisie, Thophile Gautier a profr de magnifiques dcla-

    mations :

    Tout est grle et mesquin dans cette poque ('truite ..Le riche, gorg d'or, marchande son salaire...

    Par d 'ignobles pensers la foule poursuivie.

    Sans avoir compris rien, retourne son comptoir J .

    Plaintes superbes et vaines. Plus aviss ceux qui, consta-

    tant le fait inluctable ', essayent d'en tirer le meilleur parti.

    Le public , crit avec clairvoyance Tnint ', quelques-

    uns s'en montrent trop ddaigneux. Qu'on I' sache bien,l'art est fait pour lui el doit tre compris par lui ! Ce qu'il

    i.

    /.< t vivre.

    , Album

  • LES CONDITIONS SOCIALES 23

    ignore, daignez le lui apprendre 1 ... et ce n'est pas l un

    acte de pure bienveillance qu'on vous demande. Vous tesbien autrement intresss dans la question : il y va pour

    vous de la vie ou de la mort... Les fortunes sont amoindries.

    Les communauts religieuses ont disparu... aujourd'hui lamunicipalit rgne seule et la municipalit est faite avec lepublic.., elle ne comprend pas encore l'utilit de l'art. Sivous vous tenez dans l'isolement et dans l'ombre, vous lais-

    serez l'art se perdre, vous faillirez votre cause.

    Aujourd'hui que l'art se modifie et tend descendredans la famille , lit-on par ailleurs", aujourd'hui qu'il veutse plier nos murs et notre vie nouvelle, c'est le public

    qui doit lui servir, en quelque sorte, de Lon X, de Mdi- is et de Napolon.

    La multiplication des portraits est une des consquencesLes plus saillantes du mcnat bourgeois. Il n'est pointncessaire d'aimer l'art pour dsirer une image peinte. Lavanit, l'gosme, l'amiti ou l'amour y conduisent suffisam-

    ment. Le bourgeois qui a son portrait l'huile, mpriseson voisin qui a son portrait l'aquarelle ; il ne rend pas le

    salut celui qui a son image en lithographie 3 . Au salonde i834 il y a 65o portraits ', il y en a 5oo, sur 2 000 ouvrages

    exposs, en 1841% 673 en 1 844 6 - C e dbordement provoqued'amusantes colres contre les bourgeois, leurs gots, leurs

    ligures et leurs costumes : Notre frac moderne , prtend

    1 Le bourgeois] ne demanderait pas mieux que d'aimer la bonne pein-ture, si ces messieurs [les critiques] savaient la lui faire comprendre et siles artistes la lui montraient plus souvent . (Baudelaire, ibidem.) Voirsurtout la remarquable apostrophe au bourgeois qui sert d'introduction son Salon de 1846.

    1. Annet et Trianon, Examen critique du Salon de i83i, p. iv.j. Maurice Alhoy, Les sances de l'atelier [Muse pour rire, i83g).4. L'Artiste, 1834, p. ia3.

    5. L. Peisse, Salon de 184 1 (Bvue des Deux Mondes, i er avril 1841,

    6. Les Beaux-Arts, t. III, p. 49-

  • 24 DU ROMANTISME AU REALISME

    Henri Heine, a rellement quelque chose de si prosaque au

    fond qu'on semble ne pouvoir le placer dans un tableau quepar manire de parodie 1 . Alphonse Karr abonde sur lemme thme et Thophile Gautier lui doit une de ses plustruculentes improvisations : Toutes les ttes, s'crie-t-il,

    sont de la plus consciencieuse hideur. Ce sont des mufles,

    des hures et plus souvent des groins, presque jamais uneface humaine... Il faut convenir que les peintres de por-

    traits modernes sont les plus malheureux de tous les hommes.Jamais, aucune poque, le costume n'a t aussi contraireau dveloppement des arts du dessin. On ne saurait rienimaginer de plus laid, de plus pauvre, de plus mesquin queles vtements que nous sommes obligs de porter et queles peintres qui se livrent cette dsagrable occupation

    de nous prsenter en duplicata sont forcs de copier avec-

    une scrupuleuse exactitude : nous ne sommes pas d'une

    beaut exorbitante, mais nous pourrions tre un peu moinshorribles assurment... Imaginez un peu l'Apollon du Bel-vdre en personne, avec des sous-pieds, un gilet chle,un col de chemise et un rouleau de carton pelucheux sur lechef : quel pantin grotesque cela ferait 2 !

    Est-il ncessaire de souligner ce qu'il y a de spcieux dans

    ces dclamations? Le seul portrait de Berlin Vaine sulliriit

    en affirmer l'inanit. D'ailleurs, en dehors des arguments

    esthtiques qu'il serait trop facile d'accumuler, il convient

    de noter que le portrait fait vivre l'artiste : par consquent,il l'mancip. Celui qui a vendu quelques portraits peuttrouver le loisir et la libert de couvrir des toiles sans souci

    de l'acheteur, par amour pur de l'art : Je dsire . crivait

    Chassriau le 23 novembre 1840, faire beaucoup 1. Henri Heine, Salon de i83i [De lu France, i833, p. 3i8 .a. Salon dr iHi; [La Presse, 1 I el 18 mari 1837).

  • LES CONDITIONS SOCIALES 2D

    afin d'acqurir l'indpendance ncessaire qui me permettra

    d'accomplir les devoirs d'un peintre d'histoire 1 . L'auteur

    de Lacordaire et des Deux surs ne faisait pas, au reste,

    uniquement des portraits par contrainte.En rsum la bourgeoisie achte : elle achte surtout des

    uvres de chevalet ou des portraits ; les tendances qu'elle

    favorise sont loin d'tre toutes recommandables ; elle encou-

    rage la production artistique sans contribuer, au contraire,

    lever le niveau de l'art.

    Aussi les crivains d'opposition dmocratique escomp-

    tent-ils le jour o les artistes pourront largir leur clientleet s'adresser au peuple. Si les tats despotiques , crit

    Charles Blanc en 1845-, ont t favorables au dveloppe-

    ment de l'art, c'est uniquement cause de l'norme concentra-

    tion de capitaux dont peut disposer un seul homme dans cessortes de gouvernements. Or rien n'empche que la mmeconcentration n'existe dans les dmocraties, avec cette diff-

    rence que le protecteur, alors, c'est tout le inonde. Associer

    les hommes, grouper les richesses, runir en faisceau tant

    de ressources disperses, voil quelles sont les futures

    conditions de la prosprit de l'art et de son rayonnement.

    Beau rve, mais de ralisation lointaine. En attendant, le

    peuple est incapable de payer; il l'est, peut-tre aussi, de

    comprendre.

    VII. On rassemblerait, sans peine, des anecdotes

    curieuses ou piquantes sur les artistes qui vcurent sous la

    monarchie de Juillet. Il est malais, au contraire, de dga-

    ger, de tant de traits pars, quelques faits synthtiques. Cet

    effort, nous le poursuivons ici. Il s'entend qu'une grande

    prudence y est ncessaire et qu'on ne songe pas ramener

    1 . Valbert, Chassrau, p. 48.

    i. Salon de 18/p (f.a Rforme, 16 mars 1843).

  • l> DU ROMANTISME AU REALISME

    une physionomie unique des tempraments et des exis-tences diffrents. Des portraits tranchs surgissent, au

    premier appel, dans nos mmoires. C'est Delacroix, issud'un milieu officiel, fils d'un prfet, frre d'un gnral,

    d'instinct et d'ducation raffins, de manires aristocrati-

    ques, de relations distingues ; Corot, simple et bonhomme,vivant, modestement mais sans souci, de la pension que lui

    fait son pre ; Ingres menant la vie d'un bourgeois, range

    et serre ; Horace Vernet entour de bruit et de tapage,

    Paul Delaroche, gourm dans sa redingote.Par quels point se rapprochent des individualits si dis-

    tinctes? Est-ce pour dbuter dans la vie d'une faon bruyante,

    insouciante, dsordonne ? Tant de charges crites oupeintes pourraient donner le penser. Je les connais et je

    m'y amuse mais j'ai peine croire que les jeunes peintresaient rpondu en gnral au modle que nous proposentDaumier, Gavarni, Louis Huart, Flix Pyatou Henri Mrger 1 .Le type du rapin 2 a russi : il est devenu populaire et, ds

    lors, on l'a repris satit, mais je n'en ai point retrouv les

    caractres dans les biographies des matres. Ceux-ci nl eu,

    comme tous les jeunes gens, leurs heures de tapage et defolie, ils ont revtu parfois des tenues extravagantes : mais,

    loin d'tre des paresseux, ils ont t, tous, des travailleurs

    acharns. Par cette ardeur au travail, ils se ressemblent

    ds le seuil de la vie \

    i. Louis Huart. Le rapin [le Muse pour rire, 1842) Flix Pyat. Lesartistes [le Nouveau tableau de Paris, iSij. t. iv). Henri Mrger. Scnesilt- la vie de Bohme [publies dans Le Corsaire Satan partir de iS,'i .

    2. Remarquons ;iss;mi que l

  • LES CONDITIONS SOCIALES 1")

    Les rapins, au reste, n'taient pas tous turbulents ou

    dbraills. La plupart des ateliers d'lves taient tumul-

    tueux. Paul Delaroehe encourageait les plaisanteries tradi-

    tionnelles, parfois un peu grosses ou brutales 1 . Ingres ne

    les tolrait pas. Ses disciples prenaient l'allure solennelle

    du grand homme qui daignait les instruire ; ils taient per-suads de la gravit de leur mission et cette morgue impa-tientait Delacroix 2

    .

    Les caricaturistes ont oppos l'allure des peintres clas-siques celle des romantiques. Le classique a les cheveux

    coups court, le menton ras, il est vtu avec simplicit :tout en lui vite d'attirer l'attention. Son atelier est austre,

    orn de quelques estampes anciennes et de pltres antiques.Du romantique qu'ils n'aiment pas, car ils sont presque tou-jours intolrants ou rtrogrades, les humoristes donnentdeux types diffrents : tantt le romantique est dbraill

    ;

    sous un large feutre mou aux vastes bords il abrite une

    chevelure hirsute, une barbe nglige, ses vtements sont

    extravagants et peu soigns; tantt, il affecte l'lgance d'un

    fashionable ; ses cheveux friss se relvent sur son front, sa

    barbe pointue lui donne un air sduisant et fatal ; les grandsrevers de sa redingote, sa taille mince font honneur sontailleur. Bohme ou dandy, il s'applique arrter le regard.Son atelier, encombr d'objets disparates, emprunts sur-tout au Moyen Age et l'Orient, est un bric--brac.Tout cela est amusant, mais superficiel ou simpliste. Il y

    a certainement eu des modes dans les ateliers, mais ces tra-vers n'ont affect que les trs jeunes artistes. Ni le portraitde Decamps, ni mme celui de Delacroix ne rpondent au

    artistes, pour exalter ensuite leur endurance la misre, leur esprit dedvouement et d'abngation. (Ed. Bir, t. I. pp. 483-484.)

    i. Voir deux lettres de Clment Faller dates de 1842 (Girodie. Fatler,p. 12). Paul Baudry a racont dans ses lettres la rception qui lui fut faite l'atelier Drolling en i844- (Ephrussi. Paul Baudry, pp. ia-i'i.)

    1. Journal, 9 fvrier 1847.

  • 28 DU ROMANTISME AU REALISME

    signalement conventionnel du romantique. Trop d'exemples,au reste, autour de nous, nous avertissent du peu de rap-port qu'il y a, souvent, entre l'allure des artistes et leur art

    pour que nous attachions grande importance aux pigrammessur les costumes. Je serais tent de ne retenir de ces badi-

    nages, plus intressants pour l'histoire des murs que pour

    l'histoire de l'art, que l'observation qui s'applique aux ate-

    liers. Le choix des objets dont les peintres s'aident dansleur travail, l'atmosphre dont ils s'entourent traduisent des

    prdilections intimes et amnent des conlrastes pittoresquesaiss rsumer dans un dessin.A dfaut de ressemblance extrieure, c'est par leur valeur

    morale que se rapprochent les artistes. Ils ont subordonnleur vie un idal. J'ai tout rv , disait Gleyre en 1 835, mme un nom glorieux 1 . Tous pourraient faire une sem-blable confession. Plus encore que la gloire, cho extrieuret qui peut se refuser, ils veulent raliser l'uvre qu'ils por-

    tent en eux. Mdiocres ceux qui recherchent les succsfaciles, la considration, les honneurs. Les meilleurs mar-

    chent obstinment dans la voie qu'ils ont choisie, srs deleur force intime. Cet immense orgueil est celui de Dela-croix, d'Ingres, de Rousseau, de Corot, d'autres moinsgrands'2 .

    Ils ne font pas uniquement des sacrifices de vanit. Leurintransigeance les frappe d'une faon plus effective, les

    maintient dans la misre ou la mdiocrit. Ils n'en sont pasbranls : Nous n'avions jamais le sou , disait Rousseau %

    i. Charles Clment, Gleyre, p. 109.2. Une Lettre crite de Rome par Claude Lavergne, Le 27 juin r836, peul

    tre invoque mmm i'moi.

  • LES COMDITIONS SOCIALES 29

    mais nous ne causions jamais d'argent, car l'argent n'en-trait pour rien dans notre ambition, s

    La confession est vridique. En ce temps-l, la grande

    industrie se dveloppe, une fivre de lucre s'empare des

    classes moyennes, le mot d'ordre est de s'enrichir, mais les

    peintres ne sont pas encore atteints par le mal. Les consid-

    rations matrielles ne les touchent pas. S'ils ont de l'ar-

    gent, ils le dpenseront avec insouciance. Ils achtent destoffes rares et des bibelots coteux. Ils ont des plaisirs de

    princes. En i833, chez Alexandre Dumas, dans des dcors

    auxquels ont travaill Delacroix 1 et Barye, prs de Barye

    dguis en Tigre du Bengale, de Rossini en Figaro, deMusset en Paillasse, on se montre Delacroix en Dante, IVan-

    teuil en soudard, Camille Roqueplan en officier mexicain,

    Champmarlin en plerin de la Mecque-. Quel contraste, si l'onpntrait dans l'intrieur de ces artistes!

    Ils sont capables, par contre, de supporter la misre avechrosme. Diaz 3

    ,Yvon, Baudry, etc. ont eu les dbuts les

    plus difficiles. Constant Dulilleux inscrit ses dpenses : Djeuner, 3 sous de pain, i sou de fromage. Dner :17 sous. Logis 17 francs par mois, bottes comprises 4 . Ha-

    mon a vcu dans le dnment le plus triste : Les men-diants ont des amis , disait-il ; mais les malheureux qui neveulent pas tre mendiants, n'ont pas d'amis. C'est une secte

    part. Etre plus pauvre qu'un mendiant, c'est assez rude.

    Eh bien ! j'ai t dans la catgorie de ces gens-l \ Dansl'atelier de Delaroche, o il montrait, avec un sourire dephilosophe, ses pieds nus dans ses chaussures troues,

    1. Le roi Rodrigue de l'ancienne collection Chramy fut peint par Delcroix pour cette fte.

    2. VArtiste, i833, t. V, p. 119.J. A. Wolf, Cent chefs-d uvre, p. 42.

    4. Chesneau. Peintres et statuaires romantiques, p. 172.5. Hoffman, Jean-Louis LLamon (1904).

  • 3o DU ROMANTISME AU REALISME

    la fin des sances, il recueillait les crotes de pain laisses

    par les dessinateurs pour faire le soir une bonne petite

    soupe 1 .

    Heureux ceux qui pouvaient s'asseoir ct de Grme,de Gustave Boulanger et de Picou la table du Pre Lafftte

    o le plat cotait 25 centimes et le lgume 3 sous"1 .Ces preuves pouvaient se prolonger; des peintres vg-

    taient plusieurs annes sans que leur obstination ft vain-

    cue 3 . L'adversit dveloppait des vertus rares : Gleyre refu-

    sait d'accepter la moindre rtribution de ses lves '* ; Duprlouait un atelier pour Thodore Rousseau 5 ; Trimolet,Steinheil, Meissonier, Daubigny et Geoffroy Dechaumes for-

    maient une association singulire : chacun d'entre eux devait,

    son tour, travailler pendant un an librement pour son art

    aux frais de ses associs qui accepteraient, pour vivre, des

    besognes 6 .

    A ce moment, sous l'influence de Fourier et de ses dis-

    ciples, une ide plus large de la solidarit se rpandit parmi

    les artistes. Ds i83o, la Ptition nationale de Jeanrondemandait qu'une retenue de 2 p. 100, faite sur la totalit

    des sommes dpenses annuellement pour l'encouragement

    des Beaux-Arts, servit fonder des secours pour les artistes

    gs, reconnus incapables de pourvoir leurs besoins ainsi

    que pour leurs veuves, et que le produit de la vente tics

    livrets des Salons appartint aux artistes.

    1. Moreau-Vauthier, Grme, p. 29; voir encore Claretie. Peintres etsculpteurs. Ha mon.

    1. Eug. Vron, Les coulisses artistiques, \>\>. 246-247-;. Champfleury, dans Bea Souvenirs et portraits de jeunesse, wi, aprs

    avoir dpeinl avec bumour des physionomies de rapins, parle de leur miet de Leur travail hroques el conclu! eeui qui > 1 1 1 rsiste* cette n*furent 'ls corps I preuve, car il en esl mort plus d un qui o'a pu raliserli a rves de gloire auxquels tout tait sacrifi

    4. Moreau-Vauthier, Grme, p. 72.1 iules Breton, Nos peintres du sicle, p >;.

    6 Il inriet, Daubigny, p. 16 sqq Grard, \teissonier, p 19

  • LES CONDITIONS SOCIALES 3l

    En 18} i, un certain Fradelle exposait, la Socit libredes Beaux-Arts, un projet d'association de secours mutuelsentre artistes. Ce projet remarquable en plusieurs points,ne put avoir de suites parce que son auteur, inexprimentdans les questions d'assurances, proposait des cotisationsannuelles normes.Dans les annes qui suivirent, on parut moins proccup

    de venir en aide aux artistes malheureux que de resserrerles liens entre les artistes en pleine activit. En i834, ondiscutait la formation d'un club; on esprait mme que leroi fournirait un local et l'on escomptait la jouissance duPalais-Royal. Louis-Philippe ne rpondit pas cet espoir 1 .L'ide fut abandonne, puis reprise en 1 835, la nouvellede la fondation Nantes d'un cercle d'artistes". Nous savons

    que ce fut souvent un sujet de conversation pour Ary Schef-fer, Decamps, Delacroix, Barye, Chenavard et Rousseau ru-nis autour de la table frugale de Dupr :; . Ainsi prpar, lecercle des Arts se constitua en i836 '. Son existence fut bril-

    lante mais phmre.Enfin, le 7 dcembre 1844, se fondait sous l'initiative du

    baron Taylor, selon un plan modeste et durable, l'associationdes artistes peintres, sculpteurs, architectes, graveurs et

    dessinateurs. Elle eut un succs vif et immdiat 5.

    Tous les altistes, sous la monarchie de Juillet, furent-ils.comme ceux dont j'ai voqu la physionomie, les militantslaborieux, hroques, et gnreux d'un idal? Non assur-meut. 11 y eut des gostes, des intrigants, des gens mes-

    quins et jaloux. Leurs vilenies nous sont dnonces, nous

    1. L Artiste i834, l-

    VIII, pp. 96, 227, 274.

    2. L Artiste i835, t. IX, p. 1 .

    j. S

  • 32 DU ROMANTISME AU REALISME

    sommes initis l'art d'escamoter une commande *. LePierre Grassou de Balzac 2 est, par plus d'un ct, le proto-

    type du Garnotelle des Goncourl". Ce ne sont que desombres un beau tableau et, avec Jules Breton qui vcutune partie de ces heures, nous serions tents de nous crier :

    O belle poque, toute frmissante d'enthousiasme et degnrosit ! ;

    VIII. Les artistes travaillent pour les bourgeois, c'est-

    -dire pour leurs pairs. Un tel fait est nouveau et il semblequ'il devrait tre favorable l'art : les peintres, dlivrs de

    la domesticit de l'ancien rgime ou de la protection hau-taine des grands seigneurs, pouvant devenir les amis de

    leurs clients et les associer leurs propres sentiments par

    un commerce de chaque jour. Bien au contraire, jamais ledivorce ne fut plus grand entre les artistes et leurs ache-

    teurs.

    La similitude des conditions est tout extrieure. Il se peut

    que tel peintre soit plus riche que le client dont il fait le por-

    trait, mais il est certain qu'il n'a pas pour l'or une semblable

    estime. Le bourgeois n'est ni prodigue, ni gnreux, ni

    hroque. Tout le choque chez l'artiste : les vertus comme

    les dfauts. Il n'admet le dsordre ni dans la tenue, ni dans

    la vie ; il ne comprend pas qu'on puisse sacrifier des ralitstangibles un idal. Il est d'autant moins indulgent pour lamisre de l'artiste qu'il ne songe pas encore l'exploiter.Il ignore que l'on peut acheter de jeunes peintres rvolu-tionnaires, un trs faible prix, des toiles qui. vingt ans

    i. A. Desbarolles, Notes sur la vie d'artiste [Bulletin de Vami drs arts,t. I. |i|). ;.'.')- I3i).

    . Balzac Pierre Grassou (dans Babel, publication de la Socit des gensde lettres, i. Il, p. 16^

    ;. Manette Salomon, passim.

    i Nos peintres du sit le, p. 58.

  • -i c

    a

    -a

    5

  • LES CONDITIONS SOCIALES 33

    plus tard, se revendront trs cher, et ne fait pas de la consti-tution d'une galerie un placement de pre de famille.

    D'autres raisons isolent l'artiste du bourgeois. Stendhalannonait que les deux chambres amneraient dans lessalons une foule de gens fort estimables, fort honorables,fort riches, mais privs par leur ducation de ce tact finncessaire pour les Beaux-Arts 1 . Il semble, en effet, queles bourgeois de ce temps aient eu une culture artistiquerudimentaire. On ne leur fait pas seulement les reprochesque l'on n'a cess de leur adresser depuis lors : d'avoir desgots mesquins, d'encourager l'art mdiocre, d'ignorer legnie ; 1' picier de Balzac ne se contente pas d'admirerDubufe, Vigneron, le muse de Versailles et Jane Grey 2 ; ilne sufft pas Monsieur Prud'homme de sacrifier Eugne De-lacroix Duval le Camus pre ou Pingret 3

    , on leur prte

    encore des quiproquos, des admirations stupides, des ton-nements nafs. La bourgeoise qu'Henri Monnier met enscne avec le peintre qui fait son portrait 4 ressemble plus,par son ignorance, sa sottise, son manque d'usage, sonanctre M rae Jourdain qu' son arrire petite-fille notre con-temporaine. Toute part faite aux dformations comiques etaux exagrations voulues, on devine travers ces tmoi-gnages, un type social qui a, depuis lors, singulirementvolu.

    L'ducation artistique de la bourgeoisie commence, vraidire, pendant la priode que nous tudions. Sensiblesd'abord aux lithographies colories reprsentant des bai-gneuses, des batailles de M. Horace Vernet, aux nudits enpltre copies sur les drlesses de la rue Brda et faites

    i. Promenades dans Rome, t. I, p. i/p (dition Calmann Lvy).2. Balzac, L'picier [Les Franais peints par eux-mmes, t. I).3. Champfleury, Monsieur Prudkomme au Salon de 1846 (Corsaire Satan,

    26 mars 1846].

    4. Scnes populaires (1839). Le peintre et le bourgeois.

    3

  • 34 DU ROMANTISME AU REALISME

    pour elles ' , les bourgeois achteront bientt les tailles-

    douces de Goupil. Les Salons annuels, les journaux concour-ront les initier. Pour le prsent, le nombre des bourgeoisqui se plaisent au commerce des artistes est fort restreint.

    Delacroix inscrivait un soir sur son Journal : Dn chezM. Thiers. Je ne sais que dire aux gens que je rencontrechez lui et ils ne savent que me dire'. Aujourd'hui, dansdes milieux plus modestes, il trouverait des gens instruits

    et curieux d'art et des jeunes filles qui lui donneraient desleons d'esthtique.

    Le bourgeois et l'artiste ne se frquentent donc pas. Lebourgeois redoute l'artiste pour son esprit, pour ses murs.Quelques crivains semblent justifier ses dfiances : ni lesHulot% ni les Guillaume 4 ne se flicitent d'avoir accueillidans leurs familles le comte Steinbock ou Thodore deSommervieux. Jrme Paturot est la victime du peintreOscar 5

    .

    Les artistes mprisent le bourgeois ; ils vivent entre euxpar groupes ferms et reconstituent, sous mille formes, descnacles.

    L'art et le public perdent galement ce divorce. Lepublic est priv d'un ferment qui aurait lev ses ides et

    dvelopp son got. Les artistes ne trouvent pas dans lesbourses bien garnies le concours qui leur serait ncessaire.Ils en arrivent considrer la faveur publique comme un signede mdiocrit, la mpriser et s'exalter dans leurs con-ceptions personnelles sans tenir compte des sentiments de

    leurs contemporains. Joseph Bridau a tait cher au cnacle

    i. Hippolyte Castille. Les hommes et !

  • LES CONDITIONS SOCIALES 35

    prcisment cause de ce que le monde bourgeois etappel ses dfauts > . Ce qui nous plat dans YEcce Homode M. Comayras, crit avec superbe Thophile Gautier 2

    ,

    c'est un oubli sauvage et froce de tout ce qui peut plaire

    aux bourgeois lecteurs ou ligibles. De l un isolementredoutable dont Thor, dans une lettre Thodore Rous-seau, signalait tous les dangers 3 .

    Quoiqu'il en soit, et bien qu'ils dussent souffrir de ne pasrencontrer chez leurs clients un appui moral, les artistes en

    comparant leur situation sociale avec celle qu'ils occupaient

    autrefois avaient lieu de se rjouir. Une ascension progres-sive et ininterrompue grandissait, chaque jour, l'estime danslaquelle ils taient tenus v . Quelques amis impatients auraientdsir davantage. M. Poirier n'aspirait pas seul la pairie. En1 84 ! et 1842, VArtiste mena une campagne pour faire entrerquelques peintres dans la haute assemble b ; il mettait enavant les noms de Paul Delaroche, de Hersent, d'Horace

    Wniet et, en tte, celui d'Ingres. Cette campagne choua,mais ceux qui l'avaient mene reurent plus tard satisfac-tion lorsqu'Ingres fut nomm snateur par Napolon III.

    IX. Jusqu' i83o les Salons n'avaient fourni aux artistes

    que des occasions assez rares de contact avec le public.

    Sous la Restauration, cinq expositions avaient t ouvertes

    en quinze ans ; la dernire datait de 1827. En i83o, au lende-

    main de la Rvolution, eut lieu, au Luxembourg, une exposi-tion remarquable, d'un caractre la fois actuel et rtros-

    1. Balzac, Un grand homme de province.2. Thophile Gautier, Salon de i838 [La Presse, i3 avril i838).3. L Artiste, 16 juin i844> P- 102.

    4. Jal, Les soires d artistes (Le livre des cent et un [i83i], t. I, pp. 109-ri"

    5. Une rclamation analogue avait t formule la Socit libre desBeaux-Arts, le 6 novembre i832, mais l'assemble avait pass l'ordre dujour (Journal des Artistes, 11 novembre t832).

  • 36 DU ROMANTISME AU REALISME

    pectif 1 . On y voyait, ct des portraits de M. et M me Pcoulpar David, des uvres de Grard, Girodet, Gurin, Gros,

    Abel de Pujol en face de toiles de Clment Boulanger, deDelacroix ou de Schnetz. Trs intressante et susceptible dedonner sur l'tat de Fart en France des renseignements

    prcieux, cette exposition ne s'tait ouverte, en somme,

    qu' quelques artistes. Elle ne rpondait pas aux dsirs et

    aux besoins de la masse des peintres.

    Aussi, ds i83i, une ptition couverte des noms des

    matres les plus renomms 2 rclamait-elle du roi la crationde Salons annuels. Le succs du Salon de i83i, vrai mi-

    racle pour le temps o il fut ouvert 3 , vint soutenir cette

    supplique. En i832, le cholra empcha l'ouverture d'uneexposition officielle \ Enfin, le i3 octobre i833, le roi

    rpondait aux instances de la Presse, et, contre le sentiment

    de l'Institut 5,

    il signait l'ordonnance qui tablissait l'annuit

    des Salons \ Tous les ans, dsormais, le Salon se renouvela

    avec une parfaite rgularit. Il s'ouvrit d'abord, le i 01' mars,

    puis, partir de 184 1 , le i5; il durait trois mois avec une

    priode de clture pour le remaniement des salles. On

    y entrait librement les Dimanche, Mardi, Mercredi, Jeudi etVendredi de 10 4 heures ; le Samedi, rserv aux porteurs

    de billets, les salles n'ouvraient qu' 11 heures ; l'exposi-

    tion tait ferme le lundi.

    1. L'Explication des ouvrages . .. exposs dans les galeries de la chambredes pairs au profit des hlesss des 27, 28 et 29 juillet i83o comporte 348numros, dont ',(>- pour les peintures.

    2. Parmi les signataires figurent Decamps, Schcflcr, Gros, Abel de Pujol,Ingres, Heim, Isabey, Delarocbe, Johannot, Devria, Schnetz, prs deRoman, David d'Angers, les Ramey < l Uarve.

    ; L'Artiste, premier article du premier numro.

    4. Une exposition prive se fit au Muse Colberl au profil des indigentscholriques. Malgr la participation

  • LES CONDITIONS SOCIALES 3j

    Comme sous la Restauration, le Salon se tenait au Louvredans les salles mmes du Muse ' qui se trouvaient ainsidrobes au public pendant le temps de l'exposition et aussipendant la priode ncessaire pour la prparer et la dm-nager, c'est--dire, pendant prs de la moiti de Tanne. Untat de choses si prjudiciable l'art souleva de frquentesprotestations 2

    . David d'Angers rclamait la constructiond'un difice spcial affect aux expositions 3 .

    Ces dolances ne furent pas entendues. Le gouvernementjugeait, peut-tre, qu'il importait la dignit de l'art queles expositions se tinssent au Louvre. Hors du Louvre ,proclamait Louis Peisse, un des rares dfenseurs du statuquo, il n'y aurait plus de Salon, il n'y aurait que des bou-

    tiques de tableaux*.

    Il s'en faut d'ailleurs que le Louvre offrt pour l'Exposition

    un local vraiment appropri. Sans parler de la sculpture

    expose dans des conditions dplorables, il n'y avait gureque le Salon Carr o les toiles fussent bien en lumire 8

    ;

    la galerie de bois tait un purgatoire jusqu'au bout duquelle public ne se risquait gure 8 . Aussi les comptitions etles intrigues pour la place des uvres taient-elles trs

    i. Jusqu'en i83i on dcrochait les tableaux du muse pendant l'exposition.En i83 1 on les masqua par des planches et tentures qui cotrent 4o-OOo francs{Le National, i mai i83i).

    i. Voir, par exemple : V Artiste i83a, p. 3 ; i834, p. 237 ; i835, pp. 9 et62. Gustave Planche, Salon de i833 [Revue des Deux Mondes). LouisViardot, Salon de 1837 [Le sicle, 2 mars 1837). Bulletin de l'alliance desarts, 25 mars 1843 ; Arthur Guillot, Salon de i845 [Revue indpendante,23 mars i845, p. 234) ; Eugne Delacroix, Journal, 1844, P- 2 2 > etc..

    3. Lettre dans le Journal des Artistes, 25 mars i838.

    4. Louis Peisse, Salon de 1843 [Revue des Deux Mondes, p. 104).

    5. En 1845 la Smalah recouvrait les Noces de Cana ; en 1847 l'Orgie ro-maine et le mme et dangereux honneur. (Jules Breton, Nos peintres dusicle, p. 101).

    6. Amans de Ch. et A. dans une brochure sur le Salon de 1839 nousdonnent des renseignements fort intressants sur la place assigne cetteanne-l aux principales uvres.

  • 38 DU ROMANTISME AU REALISME

    vives 1 et certains artistes influents faisaient plusieurs fois

    dplacer leurs toiles, peu satisfaits qu'ils taient de l'effet

    produit dans leurs prgrinations successives".

    Privilgis, au reste, les artistes qui foraient les portes

    du Salon. Sous la Restauration les oprations du Juryn'avaient jamais eu un caractre tout fait rgulier. Cejury permanent tait constitu par le Directeur des musesassist de quelques membres de l'Acadmie, de quelquesadministrateurs et amateurs 3 . Le comte de Forbiny exeraitune influence prpondrante et les artistes se louaient delui. Des peintres en renom faisaient porter leurs uvres

    aprs l'ouverture du Salon et cherchaient mme par desretards calculs produire une motion plus vive. C'estdans ces conditions que Girodet avait expos Pygmalion en

    1819, et Grard Sainte Thrse en 1827. A partir de i83i,aucune drogation ne fut admise aux rgles fixes pourl'envoi des tableaux : c'est ainsi que les Pcheurs de l'Adria-

    tique, de Lopold Robert, ne purent, en 1 835, tre exposs.Le nombre des envois n'tait pas limit. La rception des

    uvres fut confie d'abord par Louis-Philippe l'Acadmiedes Beaux-Arts tout entire. Les artistes, qui avaient esprla libert, s'indignrent de voir des musiciens parmi leurs

    juges 1. Ils obtinrent satisfaction sur ce point : la section de

    musique fut carte du jury par l'ordonnance d'octobre i83 '>.Le temps matriel laiss au jury tait, par lui-mme, insuf-

    fisant '" : on calculait qu'il ne pouvait consacrer une minute

    1. Pierre Durand, Revue de Paris /

  • LES CONDITIONS SOCIALES 3p,

    chaque tableau. Il lui arriva de commettre des mprises etde refuser des toiles de ses propres membres L. De plusl'Institut prtendit se constituer en champion des sainesdoctrines : il ferma le Louvre, non seulement aux peintres

    insuffisants, mais ceux dont les conceptions lui paraissaient

    dangereuses 2 .

    Xi Gricault, ni Devria, ni Delacroix, n'avaient t en

    1 8 19, 1822, 1824 ou 182- arrts aux portes du Louvre. Lesproscriptions taient alors inconnues 3 et un Salon desrefuss, ouvert en 1827, avait confirm par son extrmemdiocrit le libralisme du jury v .Le jury de la monarchie de juillet fut absurde et froce. Il

    proscrivit les artistes suspects sans souci de leur valeur, de

    Leur notorit. Comme aucun tableau n'tait soustrait sonjugement, qu'il n'y avait ni hors-concours ni exempts ,nul n'chappait cet aropage tomb en enfance 6 .Les protestations clatrent de toutes parts. Presque tous

    les articles consacrs aux Salons de 1 833 1847 dbutent parune attaque violente et justifie contre l'Institut 6 . Je n'ai

    rencontr, au contraire, qu'une seule apologie du Jury; elle

    est de Balzac : l'entendre, sans le choix de l'Acadmie,

    1. En 1843 les paysages de Bidauld avaient t d'abord ainsi liminsA. Karr. Les Gupes, mai 184^. j).

    ... 11 arriva, mais d'une faon exceptionnelle, que des uvres furent refusespour raisons politiques. En i835, un dessin de Chenavard, Le jugement deLouis XVI. fut exclu parce que l'artiste avait figur parmi les conventionnelsPhilippe Egalit. Quelqu'un , disait-on dans le Charivari (a5 mars i835), y a vu un coquin de sa famille. Le dessin vinc fut d ailleurs expospubliquement au muse Colbert.

    ;. .M. Schneider, l'aide des Archives du Louvre, a relev des exclusionsprononces par le jury de 1824. Quatremre de Quincy, p. 3ag). Ces exclu-sions sont trs bnignes et n'atteignent parmi les novateurs que Devria quiavait alors dix-neuf ans et dont on laisse passer 9 toiles sur 12. (Le Daubignydont on refusa une vue du Pre-Lachaise ne peut tre qu'Edme-Franois,pre de l'illustre paysagiste.)

    4- Lon Rosenthal, La peinture romantique, pp. 108-109.barles Blanc, Salon de 1839 (Revue du Progrs, i5 mars 183g, p. 269).

    6. Il est inutile de les citer; ils sont lgion. Signalons pourtant les dia-tribes de Laurent Jan dans son Salon de 1839, PP- 2 3-a4.

  • 4o DU ROMANTISME AU REALISME

    il n'y aurait plus de Salon, et sans Salon l'art peut prir 1 .

    Mais Balzac aimait se singulariser. La rprobation publiquene parvint, au reste, ni adoucir, ni dcourager le Jury.

    Est-il ncessaire d'insister sur des perscutions dont lesouvenir ne s'est pas effac et que l'on a dj frquemmentvoques 2 ? Oui, sans doute, si l'exemple des erreurs passespeut empcher le retour de violences semblables en enmarquant la fois la stupidit et l'impuissance. Puissent

    ceux qui rveraient d'enrayer par la force les tentatives

    rvolutionnaires nouvelles se souvenir de l'opprobre qui

    pse aujourd'hui sur ceux qui voulurent barrer la route Delacroix ou Thodore Rousseau !En 1 834, le Jury arrte YErmite de Copmanhurst de Dela-

    croix, des tableaux de Rousseau 3 . En i835, Tony Johannot,Decamps sont ses victimes v . En i836, la liste s'allonge :Hamlet de Delacroix, le Roi Lear de Louis Boulanger, leCrpuscule de Marilhat, une Bataille de Dupr et Lami, leChrist en croix de Tassaert, un paysage de Rousseau, un

    tableau de Clment Boulanger, un portrait de Gigoux sontcarts par le jury, qui frappe en mme temps parmi lessculpteurs, Antonin Moine, Fratin, Prault et Etex 5 .Un portrait du peintre fashionnable, Champmartin, avait

    d'abord subi le mme sort ; reconnu temps, il fut repch 6 .La presse s'tant empare de cet incident, Champmartin,dans une lettre qu'il rendit publique, protesta qu'il n'avait

    jamais eu se plaindre du Jury 7 . Cette dmarche fut fort

    i. Pierre Grassou (dans Babel, t. II, p. 36g).i. M. de Fourcaud les a en partie, rappeles dans ses tudes sur Rude,

    {Gazette des Beaux-Arts, 1890, 3 priode, t. IV, p. 386-38o).

    3. A. Decamps, /.e Muse, i834, pp. 12 et i3. L'Artiste, i834, 11. pp. 65et 237.

    . L'Artiste, 1 835, pp. 64, 67, io5 ; liste des refuss, p. 169.

    5. L'Artiste, i836, pp. 7a et 83. Comme les annes prcdentes, l'Artistedonne la lithographie de plusieurs uvres refuses.

    6. /.Artiste, i836, p. 83.

    7. Le National, 8 mais 1 836.

  • LES CONDITIONS SOCIALES 4 1

    mal accueillie parla critique assez mal dispose, d'ailleurs,

    envers l'artiste 1 .

    Amaury Duval, en 1837, partage le sort de Riesener

    [Vnus), de Gigoux (Antoine et Cloptre) et de Calamatta 2 ,La bataille de Taillebourg n'est reue que grce l'inter-

    vention discrte de Louis-Philippe 3 . Le Jury, en i838, se

    montre plus traitable. La Mde de Delacroix est accroche une place d'honneur. Antoine et Cloptre de Gigoux, refus

    l'anne prcdente, est admis 4 . Ce n'est qu'une surprise, et

    1840 voit recommencer les proscriptions. Quatre portraitsde Gigoux, YApothose de la princesse Marie par Guichard,

    Diane surprise de Chassriau, une Vue de Venise de Cabat,

    tout l'envoi de Thodore Rousseau, des dessins de Grand-ville sont repousss. Trajan de Delacroix, d'abord refus,est, au repchage, reu une voix de majorit 5 . Nouveaurpit en 184 1 6 . En 1842, YAlle des Chtaigniers de Rous-

    seau est vince. En 1 843, une hcatombe : YOdalisque d'E.Devria, la Mort de Messaline de Louis Boulanger, un

    tableau de Couture, succombent avec les paysages de Corot,

    de Dauzats, de Franais, de Paul Huet 7 . Un portrait d'Hyp-polyte Flandrin, d'abord refus, n'est admis que sur l'inter-

    vention d'Ingres qui a menac, si l'on ne rendait pas justice

    son lve, de dmissionner de l'Institut 8 . En 1 844s I e

    Jury, selon Louis Peisse 9,

    a reu nombre de morceauxprcdemment refuss et s'est amus en recevoir de trs

    1. Alexandre Barbier, Salon de i836, pp. 73-77.i. L'Artiste, 1837, p. 49. Cette anne, tout l'envoi de Barye est refus.

    3. Louis Viardot, Salon de 1837, 19 mars 1837.

    4. VArtiste, i838, p. 54.5. Thophile Gautier. Salon de 1840 (La Presse, 11 mars 1840).6. Le jury... cette fois a soulev moins de plaintes. (Eug. de Montlaur,

    Salon de 1841. Revue du Progrs, I er mai 1841, p. '^63).

    7. Duseigneur, Prault, Barye, Antonin Moine subissaient les mmesrigueurs. (Eug. Pelletan, Salon de i843 dans La sylphide, p. 25a).

    8. L'Artiste, i843, p. 176.

    9. Le Salon de 1844 [Revue des Deux Mondes, i5 avril, p. 338-33g)

  • 42 DU ROMANTISME AU RALISME

    mauvais, sans doute pour montrer ce que serait un Salon

    soustrait son inspection. Cette prtendue leon porte faux car on ne s'est pas plaint de la svrit mais de l'in-

    cohrence du Jury.Allons jusqu'au bout. 1^ducation de la Vierge de Dela-

    croix et sa Madeleine, la Cloptre de Chassriau, la Nativit

    deRiesener, deux paysages de Paul Huet sont refuss en i845\Mettez, Diaz, Riesener, Corot, Gudin, Fiers et Decamps

    sont partiellement ou totalement exclus en 1846". Enfin,

    en 1847, Ie J ulT cIue ^a rvolution de Fvrier doit balayer,l'anne suivante, exerce encore une dernire fois ses rigueurs

    sur R. Lehmann, Chassriau, Champmartin, Galimard

    ,

    Alexandre Hesse, Gigoux, Corot, Daubigny, Odier, Guignet,

    Boissard, Penguilly l'Haridon, DesgofTe, HafFner, 0. Gu.Beaume, Pingret, etc.

    Qu'on nous pardonne cette numration longue bienqu'incomplte : elle nous dispense de qualifier des actes

    que la postrit n'a pu rparer qu'en partie. Pour quelques

    artistes sans doute, un refus au Salon devint, ce qu'avait t

    au xviiic sicle, pour les crivains, un emprisonnement laBastille, une conscration de notorit. Antoine et Cloptre

    de Gigoux 3,fut couvert de fleurs, en 1837, pour faire pice

    au Jury; l'anne suivante, quand le tableau fut expos, lacritique lui fut trs svre.

    A ct de ces hasards favorables et exceptionnels, combiend'artistes ont t dcourags, meurtris. Les uns ont perdula confiance en eux-mmes, les autres se sont exaspres.Ils ont t moins connus, moins achets par le grand publicmis en dfiance. Ils ont moins produit. Surtout, ils o'onlpas recrut d'lves ; ils n'ont pas eu sur le gol public

    l'influence qu ils auraient d prendre. Nous leur avons res-

    1 . /. Artiste, [845, p. i63..>. VArtiste, iH ;f>, p, ;,. Au muse de Bordeaux.

  • LES CONDITIONS SOCIALES 4^

    titu le rang auquel ils avaient droit ; nous rvrons leurs

    noms et leurs uvres, mais nous ne pouvons rparer le

    dommage caus leurs contemporains, la marche del'art franais, par la suspicion dont ils furent l'objet.

    La proscription, au reste, n'a pas atteint une forme seule

    d'art : elle n'a pas vis les seuls Romantiques : elle a frapples paysagistes de toutes les tendances et nous avons vu

    aussi que les lves d'Ingres n'ont pas t pargns. Elle

    s'est attaque tout ce qui tait vivace ou nouveau.

    quels sentiments l'Institut a-t-il obi? En certains cas,certainement, il n'a pas compris la valeur des uvres qu'il

    condamnait. Pour des yeux habitus aux paysages de

    J.-V. Bertin ou de Rmond, les toiles de Dupr ou de Rous-seau devaient tre d'incomprhensibles barbouillages. Leplus souvent, l'Institut a vinc des uvres dont il savait le

    mrite mais dont il jugeait les tendances funestes. Il a pro-cd selon une conception qui nous parat fausse mais qu'ilestimait lgitime et qu'il a applique avec persvrance.

    Enfin, en plusieurs occasions, il a voulu protester contre le

    libralisme de Louis-Philippe et de la direction des Beaux-

    A l- Alphonse Karr l'en accuse formellement et il le

    dmontre pour l'anne 1847: M. Chassriau auquel on aconfi la peinture d'une chapelle a t repouss... M. Odier

    qui a reu l'anne dernire la croix d'honneur a t refus.

    On a refus le buste du duc d'Aumale par Vilain 1 . L'Institut fut-il tout entier coupable et est-il possible de

    prciser les responsabilits ? Bien qu'architectes et sculp-

    teurs fussent appels juger les peintres, il parat bien quec'est la section de peinture dont l'avis devait prvaloir 2 . Or

    1. Les Gupes illustres, mars 1847, PP J 8 et 19. Cf. Clment de Ris.Salon de 1847. [L'Artiste 14 mars 1847, P- I &)

    1. La section de peinture tait forme en i83o par Bidauld, Garnier,Grard, Granet, Gros, Gurin, Heim, Hersent, Ingres, Le Thiers, Meynier,Thvenin, C. Vernet, Horace Vernet. Aprs la mort de Le Thiers (i832),Meynier (1832), Gurin (i833), Gros (i835), Carie Vernet (i836), Thvenin

  • 44 DU ROMANTISME AU RALISME

    quelques membres de cette section mme blmaient l'atti-tude de leurs collgues et finirent par dgager leur respon-sabilit en s'abstenant de prendre part aux oprations du Jury.Paul Delaroche et Horace Vernet se retirrent les premiers

    et leur exemple fut suivi par Drolling, Hersent, Ingres et lesculpteur David d'Angers 1

    . Ils n'osrent, d'ailleurs pas,

    malgr les objurgations qui leur taient adresses, aller audel de cette protestation passive. Ni Paul Delaroche, ni

    Horace Vernet, malgr les bruits qui coururent en i836 2,

    ni Ingres, malgr l'clat de i843, ne donnrent leur dmis-sion. Ils n'agirent pas, mais ils laissrent faire et l'on peutestimer que leur courage fut insuffisant.

    Leur rsignation laissa plus libres les dfenseurs enragsde la tradition. Parmi les membres sigeants, l'opinion, dontil est bien difficile de contrler les affirmations, attribuait

    Abel de Pujol un libralisme qui lui valait une sorte depopularit : on lui en savait d'autant plus gr que ses pro-

    pres tendances taientplustroitementacadmiques. En 1843,si l'on en croit Alphonse Karr, il se serait retir aprs la

    deuxime sance cause du refus du Michelet par Coutureen disant ses collgues ni vous ni moi ne sommes capa-bles d'en faire autant 3 . Blondel inclinait galement l'in-dulgence. Couder au contraire, Bidauld et Granet passaientpour trs durs *.

    C'tait donc Bidauld qui empcha, pendant plus de quinzeans, Th. Rousseau de se produire; c'est Couder, Blondel

    (i838), Bidauld (1846), la section reut successivement Blondel, Delaroche,Drolling, Abel de Pujol, Picot, Schnelz, Langlois qui mourut presque imm-diatement (1839) el f11 * remplac par Couder et Brascassat. Quatremrede Quincy fut secrtaire perptuel jusqu'en 1839. Haoul Rochette lui suc-cda.

    1. L'Artiste, i843, p. 19 > . Revue indpendante, .

  • LES CONDITIONS SOCIALES 4^

    et Bidauld qui jugeaient Delacroix et Decamps. On conoitles colres de la critique et l'on comprend qu'elle ait timpito)rable toutes les fois que ces juges communiquaientau public leurs propres uvres dont il n'tait que trop facile

    de souligner la mdiocrit *.

    Cependant, de toutes parts, on demandait une rformeradicale ou partielle et l'on proposait des remdes. Davidd'Angers, dans une premire lettre en i838 -, complte parun second manifeste en 1847% dniait un jury, quel qu'ilft, le droit d'empcher l'exposition d'une uvre d'art; ildemandait donc l'accs libre des Salons, avec limitation desenvois deux ouvrages pour viter l'encombrement et sous

    le seul contrle d'un jury de moralit qui carterait les u-vres licencieuses ou sditieuses. Cette solution tait rcla-

    me galement par Gabriel Laviron 4 et par Louis Peisse 5 .Elle tait un peu radicale. La socit centrale des amis des

    arts dans un mmoire de i835 6 et dans une lettre adresseau roi en i838 T

    ,Etex, dans une ptition au roi en 1837 8 , met-

    taient des vux plus timides.

    Une adresse au roi, en 1844, rclamait simplement l'exten-

    sion et la spcialisation du Jury : Peut-tre , y tait-il dit,

    1. Delaborde a tent dans son livre sur VAcadmie des Beaux-Arts depuisla fondation de VInstitut de France (1891), pp. 258-262, la rhabilitation duJury de la monarchie de Juillet; entreprise malaise o il ne semble pasqu'il ait russi. Il reconnat que l'Institut a entendu souvent protester, pardes exclusions, contre l'action royale.

    2. Journal des Artistes, 25 mars i838.

    3. L'Artiste, mai 1847, p. g3.

    4. Salon de i833, p. 141.

    5. Bvue des Deux Mondes, I er avril 1841, pp. 1 4- 1 6 ; I er avril 1843,pp. 85-io5. Peisse proposait un jury de classement pour mettre en bonneplace les meilleures uvres. Dans le cas o l'on se refuserait supprimer lejury de rception, Peisse dsirait du moins, des modifications. Il rejetaitcomme impossible un jury lu et rclamait l'adjonction au jury en exercicede quelques artistes tirs au sort dans certaines catgories dtermines.

    6. L'Artiste, i835, p. 4.

    7. Journal des Beaux-Arts et de la Littrature, i er fvrier i838.

    8. L'Artiste, 1837, p. 83.

  • 46 DU ROMANTISME AU REALISME

    dans les inspirations de votre haute bienveillance pour lesarts,penserez-vous, Sire, que vos royales intentions seraient

    mieux remplies si le jury recevait une plus grande exten-sion, si Votre Majest y appelait les artistes minents qu'ellea elle-mme signals l'admiration publique, si dans la com-position de ce jury plus large, les principales catgoriesdes Beaux-Arts taient examines par des juges spciaux l .

    Dj Prosper Mrime analysant, sous un pseudonyme,le Salon de 1839 dans la Revue des Deux Mondes, avait

    esquiss un plan de rforme qui, depuis lors, a en partietriomph 2 .Clment de Ris, enfin, en 1847, publiait sur le Jury un

    opuscule remarquable 3 . Aprs avoir fait l'historique de laquestion, il engageait les artistes faire de l'association

    Taylor rcemment fonde une organisation de combat et soutenir un projet qu'il rsumait en ces termes : Le jurysera compos de vingt membres lus chaque anne par lesartistes exposants, savoir dix parmi les quatre premires

    sections de l'Acadmie des Beaux-Arts, et dix parmi lesartistes exposants. Le jury sera appel galement dans lecours de l'Exposition dsigner les ouvrages qu'il jugeradignes d'tre rcompenss. Les conseils, on le voit, ne manqurent pas au gouverne-

    ment qui, jusqu'au bout, n'en tint aucun compte.Les rcriminations que suscitait le choix des rcompenses

    ont, nos yeux, peu d'importance 4 . La rpartition des ai-

    1. Cite'- par U. Laverdant [Salon de 1844. La Dmocratie pacifique,'3o mars i844)-

    2. L'auteur anonyme du Salon de 1843 (Revue Indpendante, a5 mars 18 1 t),rclamai! L'lection des juges par Les artistes el (a spcialisation du Jurjen catgories.

    ; De V'Oppre&Bon dans les arts ci de lu composition d'un nouveau Juryd'examen pour les ouvrages prsents au Salon de 1

  • LES COXDITIOXS SOCIALES 47

    dailles et des croix agit fort peu sur la marche de l'art.

    Nous n'insisterons donc pas sur ce point. Les rformateurs

    proposaient l'institution de prix dcerns par les artistes

    eux-mmes 1 . En 1 83 1 Louis-Philippe, reprenant la traditionde Charles X, avait distribu solennellement les rcompenses

    du Salon : mais la lecture du palmars provoqua des mur-

    mures et des manifestations gnants pour le prestige royal.

    La crmonie fut supprime et, malgr de nombreusesrequtes, elle ne fut pas rtablie 2 .

    Tandis que certains artistes minents taient carts du

    Salon par l'Institut, d'autres cessaient volontairement d'y

    envover leurs uvres. C'est Ingres qui leur donna l'exemple.

    Il avait toujours eu horreur de la foule et, dans une lettrede 1807, il annonait dj son intention de l'viter. Son lveAmaui-y Du val, dans le livre qu'il a consacr sa mmoire, advelopp les thories qu'il profrait ce sujet 3 . Les attaquesvives que le Saint Symphorien subit, en 1 8 3 4 , blessrent

    dfinitivement sa susceptibilit. En dpit des loges qui,

    d'autre part, lui avaient t prodigus, il annona l'intention

    de ne plus exposer et il tint parole.

    La presse jugea, avec une svrit mrite, cette absten-tion v ; elle y vit non seulement l'eflet d'une mauvaise

    humeur enfantine, mais l'oubli d'un vritable devoir. A lasuite d'Ingres, Decamps, Isabey, Ary SehefTer, Delaroche,

    Louis Boulanger boudrent frquemment le Salon, sanss'obstiner, d'ailleurs, dans cette attitude. Ce fut, par instants,

    un entranement, entranement blm par les journaux,blm aussi par quelques artistes : Moi, Horace Vernet ,

    1. L. Peisse. Salon de i8/i (Revue des Deux Mondes, i cr avril 1 841)

    -

    2 . Ptition de la Socit centrale des Amis des Arts (Journal des Beaux-Arts et de la Littrature, I er fvrier i838j. Uuvantenet, Opinion exprimeau nom de la Socit libre des Beaux-Arts au Salon de 1840, p. 18.

    3. L'atelier d'Ingres, pp. 10 et 96.

    j. V. Schoelcher. Salon de i835 (Bvue de Paris, pp. 127-128). BvueIndpendante, 20 mars i843, p. 235.

  • 48 DU ROMANTISME AU REALISME

    crivait en i843, le peintre qui fut, peut-tre, le plus attaqu

    comme le plus admir de ses contemporains, je suis heu-reux d'avoir os prsenter ma poitrine en remplissant un

    devoir et en payant ma dette de reconnaissance au public...

    Tant que ce mme public voudra de moi, je serai sur labrche l .

    Si Ton ajoute que, plus d'une fois, des artistes minentsne furent pas prts en temps utile, ou qu'ils furent dtour-

    ns du Salon par des travaux de dcoration monumentale, onreconnatra que les Expositions ne pouvaient donner qu'uneimpression incomplte de l'activit des peintres. En i84a,

    Delacroix, Horace Vernet, Delaroche, occups la Chambredes Dputs, Versailles et l'cole des Beaux-Arts n'a-

    vaient rien envoy, Ingres tait absent, d'autres exclus.

    Que les Salons, malgr des dfections si notables, aientconserv de l'intrt, cela est la preuve la plus frappante dela fcondit de ce temps. Or, la faveur publique ne leur man-

    qua jamais.Du jour o ils furent rendus annuels, quelques esprits

    chagrins, oublieux des plaintes provoques autrefois par lararet des expositions, se mirent protester contre leur

    excessive frquence 2 . Ds i834, un groupe d'artistes rcla-mait, dans une ptition, un intervalle de deux ans entre lesSalons 3

    . Emile Souvestre 4,Eugne Pelletan \ Daniel Stern 6

    ,

    d'autres encore 7,

    rptaient, contre l'annuit, des argu-

    ments qui n'ont pas t, depuis lors, abandonns. Lespeintres, obligs d'tre constamment sur la brche taient,

    i. Cit par Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, I. Y, p. ii8.. Ingres, plus radical, rclamait leur suppression Delaborde. Ingres,

    p. 372, note 1).

    ;. Cite par A Dcampa. L.e Muse, 1 834.p. 'O.

    4. Revue de Paris, avril 1839, p. ti.

    5, Lu Presse, \ avril 1841.

    i'i. La Presse, k mare 1842.

    7. 1. Gosse, Diogne "u Salon de 1846, p. 1 ;.

  • LES CONDITIONS SOCIALES 4g

    disaient-ils, pousss l'improvisation; ils foraient leurseffets pour attirer l'attention dans le milieu factice o ilstaient jugs tout d'abord. Il y avait une part de vrit mani-feste dans ces deux allgations. La frquence des expositionsencourageait une production htive. Les artistes les plusprobes se proccupaient de briller dans les Salons : Ne pasoublier , crivait Chassriau dans ses notes en mars 1 84 1 l

    ,

    qu'il faut qu'un tableau qu'on expose se dtache des autrespar l'originalit de son aspect. Fromentin expliquait samre 2 que c'tait sa faute et bien sa faute si sa peinturene se soutenait pas mieux au grand jour du Salon etprenait la rsolution de modifier sa manire.Mais d'autres critiques soutenaient, comme W. Tenint*

    ou Baudelaire \ la ncessit de contacts frquents entre lesartistes et le public. Au reste, les critiques taient peuprs seuls se plaindre, seuls ils taient fatigus de ceretour rapide des Salons qui mettait leur verve en dfaut etles obligeait parfois se rpter 5 . Le public, en tout cas, nese lassait pas. Les tmoignages sont unanimes : le public asuivi avec empressement tous les Salons de la monarchie deJuillet ; seules des catastrophes publiques ont pu momenta-nment l'en carter 6

    . Le jour de l'ouverture il n'tait pasalors question de vernissage on nous dpeint une foule

    i. Valbert Chevillard, Thodore Chassriau, p. 236.2. Lettres de jeunesse, lettre du 24 mars 1847, PP- 3 *>3 et 204.3. Album du Salon de 1842, p. 1. Salon de 1843, pp. 58 et 5g.4. Baudelaire, Salon de 1845 (Curiosits esthtiques, p. 3).5. La critique est lasse , crit, en 1842, Louis Peisse (qui d'ailleurs avait

    lui-mme, en i8