[Romain Felli] Les Deux Ames de l'Ecologie Une c(BookSee.org)

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Biologie, Ecologie, AgronomieCollection dirige par Richard Moreau,professeur honoraire lUniversit de Paris XII,Cette collection rassemble des monographies, dessynthses et des tudes sur des questions nouvelles oucruciales pour lavenir des milieux naturels et de lhomme.Dj parusJean-Louis Lespagnol, Lamesure. Aux origines de lascience, 2007.Emmanuel Torquebiau, Lagroforesterie, 2007.Jean-Jacques Herv, Lagriculture russe, 2007.Jean-Marc Boussard, Hlne Delorme (dir.), La rgulationdes marchs agricoles internationaux, 2007.Jacques Caneill(sous la direction de), Agronomes etinnovation. Deuxime dition des Entretiens du Pradel,2006.Gabriel Rougerie, Emergence et cheminement de labiogographie, 2006.Ibrahim Nahal, Surlapenseet laction. Regardsetrflexions, 2006.Maurice Bonneau, La fort franaise laube du XXIesicle, 2005.Alain De Lharpe, LespaceMont Blancenquestion,2005.Ren Le Gal, Comprendre lvolution, 2005.Dr Georges Tchobroutsky, Comment nous fonctionnons,2005.Jean Toth,Le cdre de France.Etude approfondie delespce. Prface de Richard Moreau, 2005.(Suite des titres en dernire page)Ledveloppement durablen'est ni uneutopie nimme une contestation,mais lacondition de survie de l'conomie demarch.Louis Schweitzer, PDG de Renault1Malgr deprobables divergences de vues, jevoudraisremercier mes camarades dtudes et mes enseignantes delicence en gographie lUniversit de Lausanne et de Masteren pense politique lIEP de Paris,quisontassurmentresponsables (mais pas coupables) de mon intrtpour lerapport nature/politique.Antoine Chollet ma cout formuler pendant de longuesheures les propos tenus ici.Ses innombrables questions etcommentaires ont probablement sauv ce travail de labme.Guillaume Valette-Valla ma aussi entendu parler plus que deraison dcologie politique. Si Mathieu Gasparini ne mavaitfait lire Ivan Illich, rien de tout cela ne serait arriv. Merci mes parents pour leur soutien. Quant Cynthia, elle sait ce queje lui dois.1Interview Enjeux Les Echos, mensuel, dcembre 2004.1De lcologie politique audveloppement durableA lheure o la prise de conscience cologiste semble plusimportante que jamais, et o le dveloppement durable estdevenu un objectif unanimementpartag,une interrogationsubsiste : comment la vision profondment subversive delcologie politique des annes 1970, a-t-elle laiss place au trsconsensuel dveloppement durable?Car si lcologie politique, ses dbuts, procdait duneremise en cause totale de la socit industrielle de croissance, ledveloppement durable nest plus aujourdhui que lidologiede ladaptation de cette mme socit aux limites delaplante . Rappelons-nous quau tournant des annes 1970, lescontradictions du dveloppement capitaliste, lindustrialisationdmiurgique, la destruction de la plante et de ses habitants,avaient conduit au dveloppement de rsistances multiples, dumouvement de mai 68 au combat anti-nuclaire, en passant parles luttes urbaines, etc. Paralllement, staient dveloppes unepense etune thorisation de lopposition la socit decroissance infinie, commune au capitalisme et aubureaucratisme sovitique. Pour les penseurs auxquels nousfaisons rfrence, il sagissait de conqurir lautonomie par lalutte, contre ce que Cornelius Castoriadis nommait linstillationduschmedebesoin 2.Quoique issus dhorizons divers nanmoins gnralement marxistes toutes et tous voyaient2Cornelius CASTORIADIS et Daniel COHN-BENDIT, De lcologie lautonomie, Paris,Seuil, 1981, p. 36-37.8dans lcologie politique une subversion ; la manirecontemporaine de reformuler le projet dmancipation. A cetitre, il tait impossible de confondre lcologie politique ausens o elle demandait une complte transformation des modesde production et des modes de vie avec la simple volont deprotger lenvironnement. Bien sr, des sentiments empathiquesenvers la nature pouvaient exister, mais cest la critique globaledun systme conomique et social qui tait luvre.Trente ans plus tard, aprs lavnement des thses no-librales, lexplosion de la globalisation financire, etlaffaiblissement des capacits dorganisation et de rsistancedes travailleurs, les propositions radicales de lcologiepolitique semblent tre les relents dun autre ge. Ledveloppement durable tient dsormais lieu de discourshgmonique sur lenvironnement.Le dveloppement durable est ainsi devenu lhorizonindpassable de notre temps. Il serait fastidieux dnumrer lesinnombrables occurrences du terme. Il est adopt par tous quand bien mme chacun met ce que bon lui semble derrireune tiquette aussi gnreuse et cens tre mis en uvre parchacun. Pas une politique publique qui ny fasse rfrence, pasun parti ou un groupuscule qui ne sen rclame. Les plus fortstenants de lordre tabli des socits multinationales auxEtats , affichent tous leurs professions de foi durabiliste , linstar de la quasi-totalit des candidates llectionprsidentielle franaise de 2007 qui ont sign sans sourciller le pacte cologique de lanimateur dune grande chane detlvision commerciale, prvoyant notamment la cration dunposte de vice-premier ministre en charge du dveloppementdurable 3.Plus que les discours, une prise de conscience cologiquesest diffuse dans la population, de mme que des actionsindividuelles en faveur de lenvironnement. En tmoignent uneattention accrue aux conditions de production des biens deconsommation, par le biais des produits bios ou du commercequitable ; dinnombrables initiatives individuelles ou3Le texte de ce pacte, ainsi que la liste de ses signataires sont disponibles surhttp://www.pacte-ecologique-2007.org/ [rfrence du 19 fvrier 2007].9collectives visant se rendre cologiquement responsables ; lamonte des partis verts et la diffusion des associationscologistes.Cela estindniable,de mme que le faitquelindustrie de la consommation sest empare de ce mmeengouement cologiste pour vendre encore plus de voitures qui consomment moins , sous couvert d cologie .Bref, le dveloppement durable recouvre tout cela la fois :des comportements individuels, des politiques publiques, desstratgies dentreprise, un marketing efficace, etc. Le mot lui-mme semble pris dune croissance infinie. Quelques annes peine aprs son institutionnalisation (rapport Brundtland, 1987)on dnombre dj de multiples acceptions du terme4, un pointtel que Sylvie Brunel en parle comme dun concept glouton5.Faut-il se rjouir que la problmatique environnementale soitenfin lordre du jour ? Le dveloppement durable est-il leconcept qui permettra de sortir de lge industriel, delexploitation de lhomme par lhomme et de la destruction dela nature pour le profit ? Au moment o il semble que jamais laquestion cologique na t aussi prsente dans les discours, lespratiques et les consciences, jamais lenvironnement na tplus mal en point : rchauffement climatique, rfugisenvironnementaux, catastrophes naturelles, pollutions,dsertifications, urbanisme incontrl, destruction des rservesnaturelles, puisement des ressources, rgne absolu delautomobile, maladies respiratoires, etc. L encore, la liste desmanifestations de la crise environnementale est quasimentinfinie6.4Fabrice HATEM, Le concept de dveloppement soutenable , in CEPII, Economieprospectiveinternationale, La Documentation Franaise, n44, 4etrimestre, 1990,p.101-117.5Sylvie BRUNEL, Le dveloppement durable, Paris, PUF, 2004, p.75.6Ce nest pas lobjet du prsent ouvrage que de dtailler cette crise. La littrature surlenvironnement va elle aussi croissante. Parmi les rfrences rcentes intressantesrelevons : Dominique BOURG, Gilles-Laurent RAYSSAC, Le dveloppement durable :Maintenant ou jamais, Paris, Gallimard, 2006 ; Herv KEMPF, Comment les richesdtruisent la plante, Paris, Seuil, 2007 ; Carolyn MERCHANT, Radical Ecology : TheSearch for a Livable World, New York, 2005 ; les publications de Lester BROWN et duEarth Policy Institute contiennent toujours de nombreuses informations intressantes ;sur la question urbaine : Mike DAVIS, Planet of Slums, Londres et New York: Verso,2006.10Si lon admet donc que la crise environnementale sestaggrave entre les annes 1970 et aujourdhui, commentexpliquer que le discours politique sur lenvironnement soitpass de la subversive cologie politique au consensueldveloppement durable ?Le mythe de la continuit entre cologie etdveloppement durableUne premire rponse cette question ncessite dexaminerune ide reue:celle de la continuit directe entre luttescologistes des annes 1970 et dveloppement durable. Lorsquelon sintresse lhistoire du mouvement et de la pensecologique, cest gnralement un rcit sans heurts qui estdroul devant soi, fait de dveloppements et de dnouementsncessaires, concourant tous au mme but : sauver la Terre7.Cette histoire largement onirique, on en connat les grandeslignes : des catastrophes emblmatiques, un militantismeclair, des dveloppements scientifiques, puis uneinstitutionnalisation, lie une prise de conscience plusgnrale des problmes de lenvironnement par les lites et lapopulation. Immanquablement, lon scande une srie de catastrophes cologiques qui auraient men cettevolution : Bhopal, lAmocco Cadiz, Tchernobyl,ainsiquune srie de rponses, commencer en 1972 par le rapportau Club de Rome The Limits to Growth [Les limites de lacroissance]8. Les critiques utopiques des premiers temps delcologie auraient ainsi t traduites en un discours pluscohrent et plus srieux, conduisant la convocationdeconfrences internationales, lacrationdeministres etfinalement une transformation gnrale de laction publique.7Parmi les exemples innombrables de ce type de littrature, Caroline TOUTAIN, Ledveloppement durable,Toulouse,Milan ( Les Essentiels ),2007,pp.4-5 etlachronologie, pp. 56-57.8Traduit en franais sous le titre : MEADOWS Donella H., MEADOWS Dennis L.,RANDERS Jorgen et BEHRENS III William W., Halte la croissance ?, (rapport au Clubde Rome), Paris, Fayard, 1972.11Le dveloppement durable serait laboutissement de cettehistoire de linstitutionnalisation de lcologie. L o, il y atrente ans, seuls quelques militants colos tiraient les premierssignaux dalarmes, se trouverait aujourdhui lensemble de lapopulation enfin consciente du problme ( dfautde sessolutions). Lenvironnement serait alors devenu un problmeessentiellementtechnique :la lutte contre lpuisementdesressources naturelles, le rchauffement climatique, lespollutionsde tousordres,les menaces surla biodiversitauraient dsormais transcend les clivages partisans etrequerraientde tous le mme effort.Le nom sous lequelseffectue cette prise de conscience et ce mouvement dactiongnralis, consensuel et institutionnel est le dveloppementdurable. Il serait ainsi lhritier des mouvements cologistes desannes 1970, qui auraient finalement conquis lensemble duchamp politique.Mme chez les auteurs critiques de lcologie ou dudveloppement durable,le lien entre les deux mouvementssemble aller de soi. On peut ainsi lire chez lhistorien des idesOlivier Meuwly: Le dveloppement durable nest pas apparudu jour au lendemain. [Il] na pas t invent par laCommission Brundtland. [] le dveloppement durable adabord caractris la vision politique et sociale delcologisme fondamentaliste, plus connu sous le nomanglophone de deep ecology. [Celle-ci] sest propage surtoutaux Etats-Unis au sein de la mouvance soixante-huitarde, sidsireuse de rompre avec les habitudes sociales hrites deleurs parents []. Il est ds lors impossible de se colleter avecle dveloppementdurable en dehors du terreau dans lequel il agerm, terreau marqu par une pense profondment cologisteet peu soucieuse denvisager la durabilit autrement quecomme une soumission un enseignement vou au triomphe delidologie verte9. La gographe Sylvie Brunel, spcialiste dudveloppement, tablit la mme filiation entre le mouvement9Olivier MEUWLY, Le dveloppement durable, Critique dune thorie politique,Lausanne, LAge dHomme, 1999 p. 16-17.12hippie et le Club de Rome10dans son ouvrage par ailleurs peuapologtique du dveloppement durable.Dautres auteurs, plus critiques, ont bien vu que lvolutionentre cologie radicale et dveloppement durable nallait pas desoi. Pierre Lascoumes, spcialiste franais des politiques delenvironnement, a dcrit dans son ouvrage sur lco-pouvoir ceparadoxe: lcologie, qui tait son origine trs critique vis--vis des techno-structures, voit ses formes actuelles dedveloppement dboucher sur la possibilit dun co-pouvoir.[] la pense cologiste tait son point de dpartradicalement critique de la domination du monde par la raisontechnique et liait dans une mme dnonciation le risque decatastrophecologiqueet lantidmocratismefoncier delasocit technicienne. O en sommes-nous aujourdhui sur cepoint, et nassiste-t-on pas en quelque sorte, dans le champ despolitiques denvironnement, une revanche des ingnieurs etdes savants ? [] Au projet de gouvernement des individus etdes peuples se substitue le projet de gouvernement de la vieallant jusqu la matrise de la production du vivant11. PourLascoumes, le retournement serait si complet que le mouvementcologiste serait dsormais le fer de lance du bio-pouvoir : dunprojet mancipateur, aurait surgi une entreprise gnrale dedomination des corps.On ne saurait donc se satisfaire de lhistoire whig quinous est propose pour expliquer lorigine du dveloppementdurable. Lorsque lon jette un regard rtrospectif sur la questionde lenvironnement, au cours des trente dernires annes, enFrance en particulier, le paradoxe est vident. Les premierspenseurs de lcologie demandaient une remise encausefondamentale de nos modes de vies, en appelaient aux valeursdautonomie, dautogestion, de dcentralisation. Ils voulaientchanger le monde. Les tenants du dveloppement durable, quant eux, se contentent de demander une rorientation delconomie, afin de prserver long terme le systme existant,afin de le rendre durable. Do le paradoxe : comment un10Sylvie BRUNEL, op. cit., p.14-15.11Pierre LASCOUMES, Lco-pouvoir, environnements et politiques, Paris, LaDcouverte, 1994, p.32-33.13mouvement autogestionnaire, utopique, critique de la technique,a-t-il pu conduire un ensemble de politiques centralises,technocratiques et conservatrices?La distinction : les deux mes de lcologieCe paradoxe, si aigu soit-il, nest pourtant pas satisfaisant.Car la pense cologiste (de mme que sa pratique) nest pasune. En ralit, deux tendances se sont opposes ds lorigine etcontinuent le faire. Rduire la pense cologique audveloppement durable, cest nier cette opposition et naturaliserla pratique actuelle. A linverse, en introduisant, la base, unedistinction simple, mais cruciale, on peut donner une meilleureintelligence de lcologie politique et du dveloppementdurable.Contrairementla lecture linaire,quivoudrait quunmouvement alternatif, autogestionnaire, anti-capitaliste aitdonn lieu une politique technocratique et centralise, il fautconcevoir que ces deux tendances ontt luvre danslcologie ds son origine. Contrairement aux reprsentationscourantes, il faut considrer que le dveloppement durable nesest pas construit sur ou la suite de, mais contre lcologiepolitique, structurant une alternative. Ces deux tendancespersistent aujourdhui, dlimitant les deux ples dune pensepolitique des rapports de ltre humain la nature. Ces deuxples, nous les nommons les deux mes de lcologie .On reconnatra dans cette formulation la clbre distinctionapporte par le penseur marxiste amricain Hal Draper entre lesdeuxmesdusocialisme12. Par analogie avec Draper nousnommerons ces deux ples, lcologie par en bas, et lcologieparenhaut13.Nous opposons ainsi les ides dautonomie,dautogestion, de dcentralisation, de critique de la technique,de dpassement du capitalisme pour lcologie par en bas, et de12Hal DRAPER, The Two Souls of Socialism , New Politics, 5(1), hiver 1966, pp. 57-84, a t traduit en franais dans un numro spcial de la revue SolidaritS, n12, aot2002, disponible sur http://www.solidarites.ch .13Hal Draper, reprenant une expression courante dans le mouvement ouvrier franais duXIXe sicle parle de socialism from below et socialism from above .14centralisation, de planification, de technique, dexpertise pourlcologie par en haut. Ces deux ples structurent la pense (etla pratique) cologique depuis son origine. Cest cetteopposition que nous allons explorer. Ainsi, lavnementcontemporain du dveloppementdurable est comprendrecomme la victoire (partielle et temporaire) de lcologie par enhaut sur lcologie par en bas, et non de la transformation de laseconde en premire.Cette distinction, entre les deux mes de lcologie, nous ladevons dabord Andr Gorz (quoique nous ne lexprimionspas dans les mmes termes que lui), qui dans un texte de 1974, Leur cologie et la ntre 14, a magistralement expos cetteopposition, et le danger qui guettait, daprs lui, le mouvementcologiste. Alphandry, Bitoun et Dupont dans Lquivoquecologique15ont lanc des pistes de rflexion ce sujet. EdwinZacca dans le seul ouvrage important consacr la gense dudveloppement durable, en franais16, est galement conscientde cette dualit. Notre ouvrage ne vise pas refaire lhistoire dela pense cologiste (bien que nous soyons obligs tout demme den donner quelques lments), mais montrercomment se structure dans les dtails, lopposition entrecologie par en haut et cologie par en bas.Pour explorer cette opposition, dans la suite de louvrage,nous utilisons la mthode des types-idaux, qui vise construireconceptuellement, des objets nexistant pas ltat brut dans lasocit, en accentuant les diffrences et en creusant les carts17.Il est dlicat de dfinir un critre unique qui permettrait dedterminer les positions respectives de ces deux courants delcologie ; il sagit donc dviter dessentialiser ces conceptsen leur donnant une univocit quils nont pas. Les oppositionsque nous avons dtermin doivent se comprendre comme des14Andr GORZ/Michel BOSQUET, Ecologie et politique, Paris, Seuil, 1978, p.9-16. Nousne reprendrons plus par la suite le pseudonyme de Gorz, Bosquet .15Pierre ALPHANDERY, Pierre BITOUN et Yves DUPONT, Lquivoque cologique, Paris,La Dcouverte, 1991.16Edwin ZACCA, Le dveloppement durable, Dynamique et constitution dun projet,Bruxelles, PIE Peter Lang, 2002.17Sur la notion de concept idal-typique, voir Jean-Claude PASSERON, Le raisonnementsociologique, Paris, Albin Michel, nouvelle dition, 2006.15types idaux, situs lextrmit dun continuum sur lequeldiffrentes positions sont possibles.Le cadre est ainsi pos dans lequel se droule la suite decette tude. Il sagira dopposer les types idaux de lcologiepar en bas et de lcologie par en haut. Cette opposition entredeux types dcologie prend tout son intrt lorsque lon prciseque le type idal de lcologie par en bas sincarne en ralitdans latraditiondelcologie politique, et que celui delcologie par en haut, se traduit par le dveloppement durable.On nous reprochera peut-tre une trop grande simplification desdbats, en distinguant ainsi deux ples aussi strictementopposs. Nous assumons cette simplification, en la justifiantavec lespoir que lanalyse des oppositions les plus saillantesentre ces deux ples permettra de comprendre mieux les enjeuxde lcologie, et les choix politiques qui la sous-tendent ; ce quela comparaison des ressemblances ne nous permettraitassurment pas de faire.Le faux dbat : cologie profonde contre cologiehumanisteIl est regrettable quen France le dbat sur ces oppositionsait t dtourn par un faux problme : le pamphlet de LucFerry stigmatisant l cologie profonde (deep ecology)18. TelDon Quichotte pourfendant les moulins vent, Ferry crase, lartillerie lourde (dnonciation dun suppos lien entrelcologie et le nazisme) un courant marginal de la pensecologique19. Cet crasement est dautant plus ais que Ferrycaricature outrance les positions de lcologie profonde afinde mieux vanter une cologie humaniste dont il se fait le18Luc FERRY,Le NouvelOrdre cologique.Larbre,lanimaletlhomme, Paris,Grasset, 1992. Il est vrai que le courant de la deep ecology est beaucoup plus importantdans le monde anglo-saxon.19Pour une discussion srieuse des thses de lcologie profonde et une critique delouvrage de FERRY voir : Catherine LARRERE, Les philosophies de lenvironnement,Paris, PUF, 1997 ; Catherine LARRERE et Raphal LARRERE, Du bon usage de lanature, Pour une philosophie de lenvironnement, Paris, Aubier, 1997 ; et Franois OST,La nature hors la loi, Lcologie lpreuve du droit, Paris, La Dcouverte, 2003[1995].16hraut. Linquitant dans tout cela est que louvrage de Ferry aconnu un retentissement tel, que souvent la discussion sur lapense cologique est rduite une dnonciation de lcologieprofonde et une profession de foi en les valeurs humanistes.Du coup, on peine saisir quil puisse exister des tensionsfortes au sein des doctrines politiques de lcologie. Le vritabledbat, celui portant sur les deux mes de lcologie, sen esttrouv occult, en particulier les rflexions portant sur le typede systme politique et dorganisation du pouvoir propre mettre en uvre la transformation cologique de la socit.SourcesNe pouvant tre exhaustif, nous avons slectionn un certainnombre de textes reprsentatifs dune part de lcologie par enbas, dautrepart delcologiepar enhaut. Ductdudveloppement durable, la quasi-totalit des acteurs serclament du rapport Brundtland (1987)20, quils se montrentensuite fidles ses prceptes, ou quils sen servent commedun simple paravent. Ce texte fournit donc la base de nosrflexions. Nous y ajoutons les textes des Nations Unies, qui endcoulent (confrences de Rio21et de Johannesbourg) ratifispar la quasi-totalit des Etats de la plante, ainsi que les textesde lOCDE22.Pour lcologie politique, le choix de textes reprsentatifs estplus difficile. Nous suivons Dominique Bourg qui, dans sonouvrage de 1996, Lesscnariosdelcologie23, dfinit lesdiffrentes traditions de lcologie politique en trois catgories.Sa typologie distingue le courant de lcologie profonde (deepecology), celui de lcologie autoritaire (Hans Jonas) et celui delcologie dmocratique.Cestce dernier groupe quinous20THE WORLD COMMISSION ON ENVIRONMENT AND DEVELOPMENT (WCED), OurCommon Future, Oxford, Oxford University Press, 1987 (dit Rapport BRUNDTLAND).21ONU, Earth Summit Agenda 21, The United Nations Programme of Action From Rio,Genve, United Nations Publications, 1999 [1993].22OCDE, La gouvernance pour le dveloppement durable, Etude de cinq pays delOCDE, Paris, OCDE, 2002 ; OCDE, Dveloppement durable, Quelles politiques ?,Paris, OCDE, 2001.23Dominique BOURG, Les scnarios de lcologie, Paris, Hachette, 1996.17intresse et fournira la base de notre matriel empirique,notamment Andr Gorz24et Ivan Illich25, auxquels nousrajouterons par exemple Cornelius Castoriadis26ou RenDumont27. Alphandry, Bitoun et Dupont appellent ce courantles fondateurs de lcologie politique et radicale, en y incluantIvan Illich, Ernst Schumacher, Murray Bookchin, Andr Gorz,Serge Moscovici, Cornlius [sic] Castoriadis ou RenDumont28.Il faut noter que si, dans cet ouvrage, Bourg rattache demanire subsidiaire le dveloppement durable la traditiondmocratique29(quoiquil montre galement la filiation avec lapense autoritaire30), il en fait, dans un article postrieur, le seullment du scnario dmocratique31. Il sagit l dun glissementauquel nous ne souscrivons pas. Comme nous le montrerons, onne saurait rattacher le dveloppement durable la traditiondmocratique (en tout cas pas dans la ligne Gorz/Illich).Il sagit maintenant dexplorer lopposition entre cologiepar en hautetcologie par en bas, commencer par sadimension historique.24Notamment Andr GORZ, op. cit., 1978.25Notamment Ivan ILLICH, La convivialit, Paris, Seuil, 1973.26Notamment Cornelius CASTORIADIS, Daniel COHN-BENDIT, op. cit., 1981.27Ren DUMONT et les membres de son comit de soutien, La campagne de RenDumont et du mouvement Ecologique, Naissance de lcologie politique, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1974 ; Seule une cologie socialiste, Paris : Robert Laffont, 1977.Bien sr dautres auteurs encore pourraient leur tre adjoints, par exemple : PierreSAMUEL, Ecologie : dtente oucycle infernal,Paris,UGE,1973,ainsique lesmagazines La gueule ouverte, ou Le Sauvage.28Pierre ALPHANDERY et al., op. cit., p.162.29Dominique BOURG, op. cit., 1996, p.113-114.30Ibid., p.61.31Dominique BOURG, Quelle politique pour lenvironnement ? in Le nouvel ge delcologie, Paris, Descartes et cie, 2003, p.101-112.2Lmergence dune distinctionAvant danalyser en dtail les nombreuses distinctionsstructurant lopposition cologie par en bas/cologie par enhaut, il est ncessaire de montrer son inscription dans lhistoirede la pense cologiste, en soulignant lorigine conceptuellediffrente de ces deux mes. Il ne sera pas question prcismentdhistoire des ides, de leur mergence, ou de leur utilisationpar diffrents acteurs des poques particulires.Certainsouvrages ont dj fait lhistoire de lcologie ou plusspcifiquement lhistoire des ides de lcologie politique, quece soit en France ou ailleurs. Lambition de cette recherchenest pas l. Pour celles et ceux intresss par lhistoire desides de lcologie nous ne pouvons que renvoyer desouvrages spcifiques32.Il sagit plutt de montrer la pertinence de la distinctioncologie par en bas/cologie par en haut pour comprendre lesthories politiques de lcologie, quelles datent des annes1970 ou quelles soient contemporaines. Mais cette distinctionnous intresse moins dans une opposition historique entredivers courants (bien quelle existe) que dans une oppositionconceptuelle entre les deux types idaux de lcologieNous montrerons dans ce chapitre que sopposentunelogique dcentralise, dmocratique radicale, autogre, par en32Par exemple, Jean JACOB, op. cit.; Catherine LARRERE, op. cit.; Franois OST, op.cit. ; Jean-Paul DELEAGE, Une histoire de lcologie, Paris , La Dcouverte, 1991 ;Pascal ACOT, Histoire de lcologie, Paris, PUF, 1988 ; Dominique BOURG, op. cit. ,1996 ; Edwin ZACCA, op. cit. ; Franck-Dominique VIVIEN, Economie et cologie, Paris,La Dcouverte, 1994.20bas et une logique centralisatrice, litiste ou planificatrice, paren haut. Il est intressant de remarquer que ds les annes 1970lcologie par en bas est consciente tant delle-mme que delexistence dune autre thorie qui elle sopposespcifiquement. Il en va de mme pour lcologie par en haut.Lcologie par en hautAu sortir de la deuxime guerre mondiale, une certaineconscience cologique merge accompagne dune productionditoriale qui ira sans cesse croissante. La plupart desthmatiques qui commencent tre dveloppes cette poquepourraient ressortir de notre cologie par en haut . Elles setrouvent parfois classes sous le terme dapproches environnementalistes 33. Dans le monde francophone enparticulier, une importante littrature naturaliste sedveloppe alors (notamment avec la figure de Robert Hainard)qui participe pour une part de ce quon appellera par la suite la deep ecology (et sur laquelle nous ne reviendrons pas) etdautre part de lcologie par en haut. Un ouvrage pionnier decette seconde approche pourrait tre celui de Fairfield Osborne,La plante au pillage, publi aux Etats-Unis en 1948 et traduitlanne suivante en franais. Un des tous premiers ouvrages faire systmatiquement le lien entre les activits humaines et ladgradation de lenvironnement, il finit sur un appel transcender les clivages pour se saisir de cette question : Il nyfaut rien de moins quune complte coopration duGouvernement et de toute lindustrie, appuye par la presseunanime de lopinion publique34. Par les approches politiquesainsi dveloppes, il pourrait tre class parmi lcologie par enhaut. Nanmoins, il nous semble que cette distinction ne faitvritablement sens qu partir du moment o se cristallise sonpendant, lcologie par en bas, au tournant des annes 1970.33cf. Jean JACOB, op. cit., p.86-161.34Fairfield OSBORNE, La plante au pillage, Paris, Payot, 1949, (trad. Maurice Planiol)p.200.21Lcologie par en haut se confond donc jusque dans lesannes 1970 avec les approches environnementalistes , lesouvrages du naturaliste Jean Dorst tant un exempleemblmatique de cette tendance35. Une exception ce courantest le fait dun prcurseur de lcologie politique, Bertrand deJouvenel, dont la volont de concilier conomie politique etcologie, en fait un anctre mconnu du dveloppementdurable36. Nanmoins, au tournant des annes 1970 (alors quese dveloppe lcologie par en bas) une autre tendance apparat, technocratique , avec le fameux rapport Meadows,command par le Club de Rome et intitul en franais Halte la croissance ?37, quil convient de replacer dans le contextedes chocs ptroliers, premiers coups de semonce lchellemondiale quant lpuisement des ressources naturelles. Dansson sillage, une srie de rapports du mme type paratront,notamment avec la participation du pre del codveloppement Ignacy Sachs38. Sannonce ainsi uneprise en compte accrue de lenvironnement, notamment dans lecadre des organisations internationales, couple une nouvelleintgration de lcologie lconomie. La confluence de cettetendance avec le courant, important, du dveloppement et du dveloppementalisme ouvre la voie en 1987 au RapportBrundtland39et sa suite : le dveloppement durable40.35En particulier Jean DORST, Avant que nature meure, Neuchtel, Delachaux et Niestl,1965 (rdit de multiples reprises avec le sous-titre pour une cologie politique );La nature d-nature, Paris, Seuil, 1965 ; La force du vivant, Paris, Flammarion, 1979.36Bertrand DE JOUVENEL, De lconomie politique lcologie politique [1957],repris dans La Civilisation de puissance, Paris, Fayard, 1976 ; ainsi que Acadie, Essaissur le mieux-vivre, Paris, Gallimard, 2002. Voir galement la prface de DominiqueBOURG (reprise dans BOURG, op. cit., 2003, p.127-163).37MEADOWS Donella H., MEADOWS Dennis L., RANDERS Jorgen et BEHRENS IIIWilliam W., Halte la croissance ?, (rapport au Club de Rome), Paris, Fayard,1972(trad. de Limits to Growth).38Jean JACOB, op. cit., p.216-225. Sur la mise lcart de lcodveloppement au profitdu dveloppement durable, voir Franck-Dominique VIVIEN, Jalons pour une histoirede la notion de dveloppement durable , in Mondes en dveloppement, vol. 31, n121,2003, p.14.39THE WORLD COMMISSION ON ENVIRONMENT AND DEVELOPMENT, Our CommonFuture, Oxford, New York : Oxford University Press, 1987.40Pour cette histoire et enparticulier les origines dveloppementalistes dudveloppement durable, voir Edwin ZACCA, op. cit., p. 73-115.22Une troisime tendance de lcologie par en haut pourraittre identifie ce que Dominique Bourg nomme lcologieautoritaire41. Cest principalement la figure de Hans Jonas quiincarne cette pense. Nanmoins, il apparat que la philosophiejonassienne est en trs forte congruence avec la formetechnocratique de lcologie par en haut. En quelque sorte, elleserait la mise en forme philosophique dune certaine pratique delcologie, qui conduirait au dveloppement durable.Des trois tendances de lcologie par en haut, naturaliste,technocratique et autoritaire, lessentiel des analyses portera surloptiontechnocratique, car cest elle qui est aujourdhuidominante, au travers de la problmatique du dveloppementdurable.Lcologie par en basAu tournant des annes 1970 explose la thmatiquecologiste. Cest alors qumerge pleinement lcologie par enbas. L encore, nous ne faisons quvoquer lhistoire complexede cettemergence. Aprs mai 1968,les thmatiques du mieux-vivre , de lautonomie, de lautogestion, de la libertindividuelle font flors. Cest lpoque de la deuximegauche (incarne en France par le PSU, qui fournira une partimportante des militants de lcologie politique42). A gauche,une rvaluation du socialisme rellement existant sinstalle, participant sa critique radicale. Ces points sontcruciaux dans la pense de lcologie politique. En 1974, RenDumont est le premier candidat cologiste llectionprsidentielle en France ; ses thses sont fortement empreintesde ce socialisme autogestionnaire. Quoi quil en soit, lcologiepolitique sinscrit rsolument dans le mouvementdmancipation des individus,etprolonge cetgard lescombats socialistes. Le philosophe Cornelius Castoriadisaffirme que lon peut observer, dans lhistoire de la socitmoderne, une sorte dvolution du champ sur lequel ont port41Dominique BOURG, op. cit., 1996, p.57-77.42Jean JACOB, op. cit., p.65-85.23les mises en cause, les contestations, les rvoltes, lesrvolutions. Il me semble aussi que cette volution peut trequelque peu claire si on se rfre ces deux dimensions delinstitution de la socit [] : linstillation aux individus dunschme dautorit et linstillation aux individus dun schme debesoins. [] Ce que le mouvement ouvrier attaquait surtoutctait la dimension de lautorit. [] Ce que le mouvementcologique a mis en question de son ct, cest lautredimension : le schme et la structure des besoins, le mode devie. [] Ce qui est en jeu dans le mouvement cologique, esttoute la conception, toute la position des rapports entrelhumanit et le monde, et finalement la question centrale etternelle : quest-ce que la vie humaine ? Nous vivons pourquoi faire ?43Hors dumondefrancophone, cettethmatiqueest trsprsente. Aux Etats-Unis, la figure de Barry Commoner ou cellede lanarchiste Murray Bookchin apparaissent incontournables.Encore plus en amont, il faudrait montrer le lien entre la pensedmocratique et la pense cologique de Henri David Thoreauet de Ralph Waldo Emerson. Remarquons en passant, que ladistinction entre cologie par en haut et cologie par en baspourrait sappliquer au dbat qui a oppos, dans les annes1970,les deux figures de proue de lcologie amricaine,respectivement Paul Ehrlich et Barry Commoner44.Nous nous intressons cependant aux manifestationsfranaises de ce courant, situes autour de la figure de RenDumont dans un premier temps ; Andr Gorz tant galementinsparable de ce dveloppement.Quoiquilnintervntpasdirectement dans le dbat franais, les thses dIvan Illich ytaient trs diffuses et influentes. Par ailleurs les ouvrages dunJacques Ellul ou dun Bernard Charbonneau sur la critique de latechnique ont galement nourri en amont ce courant de pense43Cornelius CASTORIADIS et Daniel COHN-BENDIT, op. cit., p. 36-37.44cf. Andrew FEENBERG, Le mouvement cologiste et la politique technologique , inMichael LWY (d.), Ecologie et socialisme, Paris, Syllepse, 2005, p. 45-80.24(et prcdemment les crits de Lewis Mumford45et de sonmatre Patrick Geddes).Ce courant thorique explosant dans les annes 1970, estnettement moins productif dans les annes 1980-2000. Il fautaller chercher ses avatars essentiellement dans le mouvementcologiste, qui se structurera bientt en parti politique,LesVerts autour de son aile gauche en particulier. Certains ouvragesdAlain Lipietz46, par exemple, rappellent ces thmes. Il fautdire que la plupart des partis verts europens sont issus de lafusion de deux tendances, une tendance environnementaliste( protection de la nature ) et une tendance plus radicale, cequi peut expliquer le dbat au sein de ces partis entre cologie par en haut et par en bas .O observer aujourdhui la survie de cette cologie par enbas dont nous venons desquisser rapidement quelquesdveloppements ? Dabord chez certains verts et socialistes degauche, quoique pas toujours de manire consciente etthorise. Ensuite, les tenants de la dcroissance , qui ontlavantage dune certaine visibilit, entre autres grce leurjournal,sinscriventdans cette tendance47.Plusclairementencore, la mouvance dinspiration trotskyste de lcosocialisme se range dans ce groupe48. Les anarchistes,45A qui on doit lexpression mga-machine , qui reviendra souvent. Sur cettequestion voir Serge Latouche, La mga-machine. Raison technoscientifique, raisonconomique et mythe du progrs, Paris, La dcouverte/Mauss, 2004.46Alain LIPIETZ, Quest-ce que lcologie politique ? La grande transformation du XXIesicle, Paris, La Dcouverte, 2003, [1999] ; bien que cet auteur parle abondamment de dveloppement soutenable , il nous semble ressortir de lcologie par en bas. Dunemanire gnrale les tenants de lcologie par en bas, en particulier chez les Vertsfranais, qui se rfrent au dveloppement durable, prfrent la traduction soutenable pluttque durable de langlais sustainable .Ilsagitdunemanire de se dmarquer des conceptions communes qui voient dans le dveloppementdurable avant tout la croissance durable.47Voir : http://www.decroissance.org/ . Voir aussi le magazine La dcroissance, lejournal de la joie de vivre ; les crits de Serge LATOUCHE, par exemple : La doubleimposture du dveloppement durable , in Geographica Helvetica, vol.2, 1999, p.90-96 et aussi Petit trait de la dcroissance sereine, Paris, Mille et une nuits, 2007. Ouencore la collection LAprs-dveloppement chez Parangon/Vs (ainsi que la revueEntropia chez le mme diteur).48Michael LWY (d.), Ecologie et socialisme, Paris, Syllepse, 2005 qui contient un Manifeste cosocialiste international (p.147-151). Dans cet ouvrage voir notammentlarticle de Philippe CORCUFF, Question cologiste et nouvelle politiquedmancipation , p.19-32.25abreuvs aux crits de Murray Bookchin, poursuiventgalementla tradition de l cologiesociale 49.Enfin,lemouvement altermondialiste ractive, par nombre de sesthmatiques, les problmatiques de lcologie par en bas.On a pu voir, par exemple, au moment o le dveloppementdurable officiel organise son sommet, le Grenelle delenvironnement , une tentative de repolitiser (cest dire,en fait,de r-ancrer gauche) lcologie,au travers dun contre-Grenelle qui rassemblait ces diffrentes mouvancesde lcologie par en bas50.Dnonciation du haut par le basLcologie par en bas est, ds son origine, consciente delexistence dune autre tendance de lcologie laquelle ellesoppose spcifiquement. Elle craint que les thmes quelle metenavant ne soient repris et rinterprts dans unespritcontradictoire au sien. En particulier, elle souligne le fait que laquestion cologique puisse donner lieu deux dveloppementsqui seraient proprement ses antipodes : 1. la cration dunedictature cologiste - technocratique 2. la rappropriation delcologie par le capitalisme. Andr Gorz exprime trsclairement la distinction entre les deux tendances de lcologieen soulignant les risques de drives de l cologie par enhaut (quil nomme cologie ), en dfendant au contrairel cologisme (ce que nous nommerions cologie par enbas ) : Lcologie, la diffrence de lcologisme, nimplique[] pas le rejet des solutions autoritaires, technofascistes. Ilimporte dentre conscient.Le rejetdutechnofascismeneprocde donc pas dune science des quilibres naturels maisdune option politique et de civilisation. Lcologisme utiliselcologie comme lelevier dunecritique radicale de cettecivilisation et de cette socit. Mais lcologie peut aussi tre49Voir, par exemple, la revue thorique anarchiste Rfractions, n18, printemps 2007 etson dossier Ecologie, graines danarchie .50Elles se retrouvent dans le petit ouvrage dit cette occasion : Pour repolitiserlcologie. Le Contre-Grenelle de lenvironnement, Lyon, Parangon/VS.26utilise pour lexaltation de lingnierie applique aux systmesvivants51.Ainsi, ds lorigine est prsente la peur que lcologie nedevienne un thme consensuel,transversal,dontpourraientsemparer les institutions de domination afin de masquer laralit des rapports sociaux, voire les exacerber. Trsclairement, il est dit que la protection de lenvironnement nestpas un but en soi, ni un but indpendant dautres luttes sociales.Sil doit y avoir lutte pour lenvironnement, cest--dire luttepour une certaine qualit de vie, pour un mieux-vivre, on nesauraitconsidrer la nature ou lenvironnementen soi.Laproblmatique cologiste sourd des rapports de lhomme lanature et des rapports des hommes entre eux. A cette aune, ilserait illusoire de soccuper denvironnement sans comprendrece qui produit la crise de lenvironnement. Or cette crise, pourlcologie politique, est la rsultante directe de la crise ducapitalisme (plus prcisment, elle est la rsultante delidologie de la croissance, quelle soit capitaliste oubureaucratique, comme nous le verrons plus tard). La luttecologisteest dabordune luttede subversiondelordreconomique. Mais cette lutte se mne au nom didaux. Lavolont dinstaurer un nouveau mode de production se fait enrfrence lide dinstaurer de nouveaux rapports entre lestres humains, des rapports plus galitaires entre des individusautonomes et vivant mieux.Ainsi la dfense de lenvironnement ne peut tre dcoupledun changement dans lorganisation de la production, soit lepassage un systme productif qui ne soit pas bas sur lavolont de croissance. Mais surtout, pour lcologie politique,ce nouveau mode de production ne peut tre lui-mmequautonome et convivial , sinon, il ny aurait strictementaucun intrt en changer. Autrement dit, lobjectif principalest le changement des modes de vie et de production, pas ladfense de la nature en soi.On comprend ds lors la crainte qui sempare de ces auteurs lide que la dfense de lenvironnement puisse tre investiepar les structures sociales, conomiques et politiques existantes,51Andr GORZ, op. cit., 1978, p.24.27car elles sont fondamentalement htronomes . Pour eux, ilserait stupide, voire dangereuxde serjouir de voir lesinstitutions politiques existantes ou le systme capitalistesemparer du problme cologiste. Car le capitalisme peut fortbien ne sintresser lenvironnement que pour prolonger sonexistence (la rendre durable) ou dcouvrir de nouvelles sourcesde profit (eg : la dpollution) donc dexploitation. Comme leremarque Daniel Cohn-Bendit : Si on lit les penseurscapitalistes, on voit quils lont compris eux aussi, ils ne sontquand mme pas fous, ils savent trs bien quil y a un problmede limites physiques. Mais cela, en soi, ne rgle rien. [] Celamontre que comprendre quil y a une limitation des ressourcesne dfinit en rien une politique, on peut en tirer des conclusionsdiamtralement opposes52.Et rien ne garantit que le systme politique existant puisseeffectivement rendre conviviale ou autonome la socit dansson rapport la nature. Bien au contraire, il se pourrait quelenvironnement soit utilis pour justifier de nouvellesextensions ducapitalisme, de la sphre de lEtat, de ladomination technoscientifique, etc. Le risque est trs prsentque sous les oripeaux de lenvironnement (et mme de manireparfaitement sincre) de nouvelles formes de dominationconomico-politiquese mettent enplace. IvanIllichseninquite dans La convivialit : A la vrit la formation dunelite organise, chantant lorthodoxie de lanticroissance, estconcevable.Cette lite estprobablementdj en formation.Mais un tel chur, avec pour tout programme lanticroissance,est lantidote industriel limaginaire rvolutionnaire. Enincitant la population accepter une limitation de laproduction industrielle sans mettre en question la structure debase de la socit industrielle, on donnerait obligatoirementplus de pouvoir aux bureaucrates qui optimisent la croissance,et on en deviendrait soi-mme lotage53.Cette charge est bien sr adresse contre le succs remport la mme poque par les thses du Club de Rome. Retenonscette opposition entre limaginairervolutionnaire etla52Daniel COHN-BENDIT et Cornelius CASTORIADIS, op. cit., 1981, p.110-111.53Ivan ILLICH, op. cit., 1973, p. 154.28 bureaucratie industrielle . Elle traverse toutes les penses delcologie politique, sous quelque forme que ce soit. La peur estprsente de voirlepotentiel rvolutionnaire de lcologiepolitique rcupr par les structures de domination politiques etconomiques existantes, en particulier par le capitalisme. Or cerisque est non seulement rel mais avanc. Andr Gorz enparticulier sen inquite. Il faudrait citer in extenso son textefondamental de 1974 intitul Leur cologie et la ntre 54:Cest pourquoi il faut demble poser la question franchement :que voulons-nous ? Un capitalisme qui saccommode descontraintes cologiques ou une rvolution conomique, socialeet culturelle qui abolit les contraintes du capitalisme, et par lmme, instaure un nouveau rapport des hommes lacollectivit, leur environnement et la nature ? Rforme ourvolution ?Andr Gorz pose ainsi la question de lcologie sur un planpolitique. On ne peut se contenter de vouloir protger la natureen soi, en dehors de toute rflexion sur les ralits sociales,conomiques et politiques qui la sous-tendent. Lcologie paren bas, en mme temps quelle situe son combat explicitementsur le terrain politique, se rend compte que la dfense delenvironnement peut conduire des politiques radicalementopposes aux siennes. Elle dnonce donc ds lorigine le projetde lcologie par en haut.Dnonciation du bas par le hautQuant lcologie par en haut, elle est galement conscientede lexistence dun mouvement contraire dans la pensecologiste, quoiquelle cherche en diminuer limportance.Elle oscille ce propos entre la dnonciation du gauchisme cologiste et sa dlgitimation sur le mode de la sympathiqueutopie . Elle voit dans l cologisme la fois de gravesdrives (communistes pour les uns, fascistes pour les autres) etdes ides justes mais peu ralistes, voire utopistes . Typiquede cette position est louvrage de Jean Dorst qui sen prend 54repris dans Andr GORZ, op. cit., 1978, p.9-16. Cf. supra.29lcologie par en bas dans un chapitre au titre vocateur : latentation de lcologisme 55. Dorst fustige ce quil pense tredes tendances anti-modernes, voire ractionnaires : undconcertant mlange de philosophie absconse, dun passismeexacerb et de bonnes notions dcologie. Rsurgence durousseauismeoudes ides de Maistre, de Maurras et deBarrs ? Etplus loin : Les plus extrmistes des soi-disantcologistes nen sont toutefois plus chanter lge bucoliqueet mmeclamer leur grandepeur devant lavenir et lascience. [] En fait, certains mettent en question la civilisationoccidentale elle-mme dans son ensemble. [] On connat lesexcs et les violences provoqus par cette nouvelle forme denihilisme. En mme temps, cette critique se mtine dun certainpaternalisme: Messieurs les cologistes, soyons srieuxmaintenant ! Soyez la mauvaise conscience des tempsmodernes, mais vitez les excs qui vous ont fait perdre crditdans un domaine o votre action se doit dtre originale etbnfique.Lcologie par en haut dnonce donc lcologie par en bascar elle est cense apporter de mauvaises rponses de bonnesquestions. Cettednonciationmleunregardattendri surlirralisme des propositions et une virulence contre les attaquesportes surle fonctionnementconomique etpolitique dumonde industriel.Dune manire plus gnrale nanmoins,lcologie parenhaut aura tendance nierles divisionspolitiques ou appeler les transcender.Ilsera souventquestion de notre avenir tous 56, de mobilisationunanime , de tirer la mme corde ou de navire-terresur lequel nous sommes tous embarqus . A cette vision de lasocit comme Un (ralis ou potentiel), dune cologietranscendant les clivages partisans, lcologie par en basopposera lide de diversit des intrts et donc de politique.Cette brve prsentation des deux courants que nousdistinguons dans la pense cologiste ne se veut pas une histoireapprofondie des ides politiques. Elle sert montrer que dslorigine deux tendances opposes taient discernables, et que55Jean DORST, op. cit., p. 181-188, les citations suivantes sont tires du mme extrait.56Traduction franaise du titre du rapport BRUNDTLAND (1987).30ces deux tendances avaient conscience lune de lautre. Il estds lors difficile de soutenirlide dune continuit entrelcologie politique et le dveloppement durable. Il restemaintenant montrer comment cette opposition se cristallise surtoute une srie de points.3Les dclinaisons dune oppositionEn considrantlcologie politique etle dveloppementdurable, premirement commedes doctrines politiques et,deuximement, comme sopposant spcifiquement lune lautre, on peut montrer quelles valeurs politiquescontradictoires elles contiennent. Ce chapitre vise analyser demanire dtaille les principales oppositions que nous avons puidentifier, en commenant par la plus importante.Autonomie ou survieA la vise dautonomie de lcologie par en bas, rpondlimpratif de survie de lcologie par en haut. Ces principesmoteurs de lune et lautre tendance peuvent permettredexpliquer dautres oppositions qui en dcoulent.Lcologie politique comme autonomieLautonomie est le mot dordre majeur de lcologiepolitique, bien que ce terme soit quivoque. Pour lescologistes, il renvoie au moins deux niveaux. En premierlieu, lautonomie individuelle, cest--dire la capacit dfiniret accomplir par soi-mme, sans interfrence extrieure, lesactions souhaitables. Dans cette acception, lautonomieressemble lanotionde libert ngative chez Isaiah32Berlin57. Ensecond lieu, lautonomie sentend au niveau de lasocit, cest--dire comme une capacit daction collective quisoit fonde sur la communaut politique elle-mme et nonhtronome (par exemple, fonde sur une croyance extrieurecomme la religion, ou sur une domination telle que celle duneoligarchie). Ceci ne signifie pas une absence de rgles, mais lavolont que ce soit la socit elle-mme qui se donne sespropres rgles. Lautonomie, insisteront encore Gorz etCastoriadis, se traduit par lautolimitation (nous y reviendrons).Dans ce second sens, cest la libert positive de Berlin quelon peut se rfrer. Mais au niveau collectif, lautonomie de lasocit signifie galement la capacit de subvenir ses propresbesoins sans mettre en danger les cycles cologiques ou lesressources naturelles.Chez Andr Gorz, lide dautonomie renvoie dabord cequil nomme l autorgulation et qui se traduit dans lastructure productive par lautogestion. Cette autorgulation estprsente comme naturelle par rapport aux systmesprogramms par des experts .Ilsagitde faire le choixpolitique et thique de lautorgulation dcentralise plutt quede lhtrorgulation centrale58. Lhtrorgulation signifiealors le dveloppement de la technique et des outils que lesindividus ne matrisent pas ou plus et qui sont destructeurs dumilieu de vie. Par opposition, lautonomie est ce qui sopposeaux tendances de la socit contemporaine industrialise dcouper le travail, spcialiser les fonctions, instaurer unclivage entre les experts et la population, aliner lesproductions de leurs producteurs. Dans la mme veine quIvanIllich,Gorz stigmatise non seulementle systme productifcomme produisantde lhtrorgulation,mais galementlaplupart des institutions de la socit, destructrices dautonomie, commencer par lcole et la mdecine quiparticipentduprocessus gnral par lequel le savoir, la culture, lautonomie,ont t expulss du travail, des rapports des gens entre eux etavec la nature, de lespace habit et de la vie hors du travail,57Isaiah BERLIN, Two concepts of liberty in Four Essays on Liberty, Oxford,Oxford University Press, 1969.58Andr GORZ, op. cit., 1978, p.24.33pour treconcentrs dans des institutions spcialises o,ncessairement, ils deviennent une spcialit institutionnelle59.Le remplacement de l autorgulation conviviale parl htrorgulation gnralise sinscrit dans un mouvementplus large de destruction de la socit civile par lEtat60. Cepoint est crucial pour bien comprendre lcologie politique,nous y reviendrons plus largement.Cette autonomie, Ivan Illich la nomme convivialit , eninsistant sur la question des outils. Jappelle socit convivialeune socit o loutil moderne est au service de la personneintgre la collectivit,etnon au service duncorps despcialistes. Convivialeest lasocitolhommecontrleloutil61. Il est important de souligner que la critique de latechnique porte ici sur le fait quelle soit approprie par uneclasse dexperts. Cest donc sur un plan politique, celui du refusde la domination, que se place Illich. Cette position est assezloigne des critiques de la technique sans me insistant surle dracinement de lhomme62(cf. infra).Lcologie politique comme autonomie est donc dabord unecritique de la socit industrielle de croissance qui conduit leshommes ne plus matriser leur environnement, leurs outils etleurs productions. Les individus qui ont dsappris rclamerleurs propres droits, deviennent les proies de la mga-machinequi dfinit leur place leurs manques et leurs revendications63.La crise cologique est la rsultante de cette absence de matrisede lenvironnement direct. Lcologie politique se donne donccomme tche de reconqurir lautonomie, ce qui passegalement par labandon des faux besoins instills par la socitde croissance. Cette autonomie retrouve sera alorsincompatible avec le systme de croissance conomique etamnera une socit conviviale, matrise, autolimite, nouveau en phase avec les rythmes naturels, sans que cela nesignifie un culte de la Nature .59Ibid, p.45.60Ibid, p.46.61Ivan ILLICH, op. cit.., 1973, p.13.62mme si cette distinction est surtout valable pour Andr Gorz. Il est vrai que Illich parmoment donne galement dans le thme du dracinement et de la d-naturation .63Ivan ILLICH op. cit., p.126.34On comprend ds lors lintrt que Cornelius Castoriadispouvait porter au mouvement cologiste, tant la pense delautonomie est une figure centrale de sa rflexion politique64.Nanmoins plus que la question conomique ou politique quiagite Gorz et Illich, cest la question politique que sadresse larflexion de Castoriadis sur lautonomie. Cette conception delautonomie provient directement des principes de la dmocratieathnienne et Castoriadis insiste sur son autolimitation , quirenvoie la phronsis antique, par opposition l hubris capitaliste (cf. infra).Comme lindique le titre de louvrage issu dun dbat avecDaniel Cohn-Bendit De lcologie lautonomie ,pourCastoriadis la question cologique est dabord une questionpolitique, celle de lautonomie65. Lcologie est laboutissementdecombats sculaires pour conqurir lautonomie sociale,conomique, politique et dsormais environnementale. DaprsCastoriadis,lemouvementcologiste prendlecontre-pieddune certaine gauche productiviste et autoritaire.Lautonomie pour lcologie politique, signifie encorelabsence de domination politique, le refus de toute alination,la condamnation de structures normalisatrices ou rpressives.Une socit autoritaire ou hirarchique nest pas autonome. Lasocit cologiste autonome est ncessairement dmocratiqueau sens o elle engage la capacit et la volont des treshumains de sautogouverner66.Le dveloppement durable comme survieDu ct du dveloppement durable, le principe moteur nestpas lautonomie, mais lide de survie. Le problme majeur delhumanit que pointent les tenants de lcologie par en haut,nest pas lexistence dinstitutions et de pratiques htronomes,de dominations ou dalinations, mais bien une question dordrebiologique, celle de la survie de lespce humaine. Cette vision,(quelle que soit dailleurs la tradition dans laquelle elle64Voir entre autres Cornelius CASTORIADIS, Linstitution imaginaire de la socit,Paris, Seuil, 1975, en particulier pp.150-170 le chapitre Autonomie et alination .65in Daniel COHN-BENDIT et Cornelius CASTORIADIS, op. cit., 1981, p.39.66Ibid., p.44.35sinscrit) contient toujours lide que la poursuite de nos modesde vie est incompatible avec la survie de lespce moyen oulong terme. Les modes de vie contemporains napparaissent pasdurables, cette aune,car ils ne pourronttre reproduitsindfiniment.Leur perptuation conduit des catastrophes.Cette crainte qui sexprimait dans un premier temps en termesessentiellement biologiques (ou cologiques au sensscientifique), avec lide de rupture des grands cyclesnaturels ou de destruction des quilibres cologiques, sestpeu peu transforme en un discours essentiellementconomique avec la monte en puissance du dveloppementdurable. Les questions de substituabilit (ou non) du capitalnaturel et dpuisement des ressources sont alors mises enavant67.Bertrand de Jouvenel, en 1957 dj, avait appel uneimbrication de lcologie et de lconomie et uneinternalisation des externalits ngatives, traitant de la nature entermes conomiques68.Dans les annes 1970,lconomisteNicholas Georgescu-Roegen dveloppe lide que les systmesconomiques contemporains seraient entropiques 69, cest--dire consommant du capital non-renouvelable (eg : le ptrole,dont les stocks sont finis, lchelle temporelle de lhomme).Notre mode de production et de consommation serait donc vou se heurteraux limites physiques delaplante 70.Lepremier Rapport au Club de Rome71se rfre explicitement ces limites, prolongeant les craintes nes la suite des chocsptroliers des annes 1970. Ces approches traitent toutes de lanature en termes techniques et quantitatifs (par exemple sous laforme de stocksderessourcesnon-renouvelables ou de67Comme exemple de ce type de discours voir Jean-Marie HARRIBEY, Ledveloppement soutenable, Paris, Economica, 1998.68voir Bertrand de JOUVENEL, op. cit. ; Jean JACOB, op. cit., p.212-216 et Franck-Dominique VIVIEN, op. cit., 1994, p. 51.69reprenant ainsi un concept hrit de la deuxime loi de la thermodynamique. NicholasGEORGESCU-ROEGEN, La dcroissance. Entropie, cologie, conomie. 3e dition revueet augmente. Traduit et prsent par Jacques Grinevald et Ivo Rens. Paris, Sang de laTerre, 2006 [1979].70cf. Franck-Dominique VIVIEN, op. cit, pour lhistoire de cette prise en compte delcologie par lconomie, en particulier les prcurseurs oublis.71Donella MEADOWS et alii, op. cit.. Le titre original de ce rapport est Limits togrowth : les limites de la croissance.36 capacit de charge des cosystmes ), ce qui est unecaractristique importante du dveloppement durable.La question de la survie est explicitement mise au cur desproccupations de la commission Brundtland : Il y a des seuilsqui ne peuvent tre franchis sans mettre en danger lintgrit denotre systme. Aujourdhui, nous approchons de beaucoup deces seuils ; nous devons toujours garder en tte le risque demettre en danger la perptuation de la vie [the survival of life]sur Terre72. Le dveloppement durable projette de faire face ces deux dangers interdpendants que sont la criseenvironnementale et la crise conomique. Il faut commencer grer les ressources environnementales afin dassurer la foisun progrs humain durable et la survie de lhumanit73.Lide de survie joue ainsi sur deux plans, dont lesinterrelations ne sont pas toujours videntes. Le rapportBrundtland insiste dabord sur la survie de lhumanit en tantquespce, et lasurviedela Terre elle-mme. Puis, parglissements, il dfend lide de la survie des modes de vie et deproduction. Aunpremier principe qui fait ( peuprs)lunanimit, celui de la survie de lhumanit, il adjoint unsecond principe, beaucoup moins unanime, celui de la poursuitede la croissance conomique74.Lide de survie nest pas totalement absente non plus de lapense delcologie politique, maiselleest formule endautres termes et surtout, elle est subordonne lidedautonomie. Pour le dire rapidement, lavnement dunesocit autonome rsoudra par elle-mme les problmesdpuisement des ressources et de pollutions, car elle sera unesocit autolimite. Surtout, pour lcologie politique, la surviequi doit tre encourage est celle de lhumanit et de sonsupport, la Terre, pas celle de la croissance conomique.Une premire tradition met donc laccent sur les conditionspolitiques de lexistence humaine, insistant sur lautonomie etlabsence de domination, et une seconde place au centre de ses72BRUNDTLAND, op. cit., p.33 (notre traduction).73Ibid, p.1 (notre traduction), cest nous qui soulignons.74voir comme exemple de ce glissement constant, BRUNDTLAND, op. cit., p.8. Il y estcrit que le dveloppement durable doit permettre de faire place une nouvelle re decroissance conomique (notre traduction).37proccupations les conditions physiques de cette mmeexistence humaine, en pointant les dsquilibres cologiques etles impasses conomiques (en termes dpuisements desressources naturelles) de nos modes de vie actuels. Bien que cesdeux traditions se rclament galement de lcologie, on voit ladistance les sparant.Prsent ou futurAlors que lcologie politique place lindividu au cur deson action (bien que la notion dautonomie doive tre comprisegalement au sens collectif), cest lespce humaine et sa survieau sens biologique qui intresse le dveloppement durable.Cette tension se fait particulirement sentir autour de la notionde gnrations futures . Cest l le leitmotiv des tenants dudveloppement durable : les gnrations futures auraient desdroits inalinables, qui seraient pourtant remis en cause parnotre dveloppement insoutenable . La dfinition principaledudveloppement durable, telleque ladonnele rapportBrundtland, est justement centre autour de cette question :rpondre aux besoins du prsent sans compromettre la capacitdes gnrations futures rpondre leurs propres besoins75. Ilen dcoule donc des droits : chaque tre humain ceux prsentset ceux venir droit la vie et une vie dcente 76. Cetteprsentation sous-entend un antagonisme entre les gnrationsactuelles et les gnrations futures, au sens o ce que lespremires consommeraient serait perdu pour les suivantes.Lide de gnrations futures dfendue par le dveloppementdurable est en forte congruence avec la thorie de Hans Jonas :Lthique du futur ne dsigne pas lthique dans lavenir [],mais une thique daujourdhui qui se soucie de lavenir etentend le protger pour nos descendants des consquences denotre action prsente77. Cette thique, exigeant la survie delespce humaine, a daprs Jonas un fondement ontologique,75BRUNDTLAND, op. cit., p.8 (notre traduction).76Ibid., p.41 (notre traduction).77Hans JONAS, Pour une thique du futur, Paris, Rivages, 2002 (1redition allemande,1993, trad. S. Cornille et Ph. Ivernel), p.69, cest lauteur qui souligne.38qui tient la capacit de responsabilit de ltre humain : Ensoi, la capacit de responsabilit oblige donc chaque fois sesdtenteursrendrepossible lexistencedautresdtenteursfuturs. Pour que la responsabilit ne disparaisse pas du monde tel est son commandement immanent , il faut quil y ait aussides humains lavenir78. Les individus nexistent pas pour eux-mmes,mais pour permettre lexistence dindividus futurs.Laction politique de lcologie par en haut dcoule de cetimpratif de survie, qui peut tre formul en termes biologiques,conomiques (pour le dveloppement durable) ou ontologiques(chez Hans Jonas).Les tendances autocratiques et profondment litistes de lapense de Hans Jonas sont connues. Dans Le Principeresponsabilit, Jonas nonait dj que les dmocraties libraleset leurs foules hdonistes seraient incapables de prendre encharge lavenir de lhumanit et que seule une tyranniebienveillante compose dune lite avec des loyauts secrtes etdes finalits secrtes serait capable dassumer thiquement etintellectuellement la responsabilit pour lavenir79. Or, enadoptant lide de gnrations futures, le dveloppementdurable ractive ce discours et sa critique de la dmocratie dontla temporalit lui parat inadapte. Dans les systmesdmocratiques la prise de dcision obit gnralement au cyclelectoral (4 5 ans) ce qui empche dadopter une perspectivede long terme80entend-t-on. La temporalit du dveloppementdurable est celle du futur, mais dun futur assez particulier. Lanotion de futurutilise parle dveloppementdurable estparticulirement pauvre. Elle consiste en ralit en une simpleprojection/continuation des structures actuellement existantesdans un temps linaire donn. Autrement dit, pour ledveloppement durable, penser le futur ne signifie pas ouvrir unespace de transformations radicales possibles, mais naturaliserle systme actuel,voire proposerune espce de fin delhistoire .78Ibid, p.93-94.79Hans JONAS, Le Principe responsabilit. Une thique pour la civilisationtechnologique, Paris, Cerf, 1990 [1979]. Cit par Dominique BOURG, op. cit., 1996,p.72-73.80OCDE, op. cit., 2002, p.33.39La question ne se pose pas en ces termes pour lcologie paren bas. Elle sintresse aux individus rellement existants etinsiste sur le fait que les droits de ceux-ci ne sont actuellementpas respects, notamment leurs droits sociaux etenvironnementaux. La lutte pour lautonomie, pour le respectdes droits des individus, est suffisantepour atteindre lesobjectifs que se fixent les tenants des droits des gnrationsfutures. Pour le dire autrement, on naurait pas besoin de lafiction des gnrations futures pour obtenir une prservation dela nature si les droits des individus existants unenvironnement sain taient dj respects. Lcologie politiquene lutte pas pour prserver la nature en vue du futur, mais ellelutte dans le prsent pour les individus existants. Laprservation de la nature long terme en dcoulerancessairement. Ce qui ne signifie pas quil faille attendre legrand soir pour tout changer, mais que, par des luttesconstantes, le systme pourra tre rorient pour les individusexistants, et par consquent pour les gnrations futures. Il ny aalors aucun antagonisme entre gnrations prsentes et futures.Mais lantagonisme existe bien entre dominants et domins,ceux du prsent, comme ceux du futur.La fiction des gnrations futures a le dsavantage de rendretout le monde, sans distinction, responsable de la dgradation dela plante. Elle fait disparatre les responsabilits actuellementtrs diffrencies entre les individus. Au contraire, en montrantlantagonisme existant actuellement entre dominants etdomins, la responsabilit est clairement assigne, et on sedonne le moyen de changer vraiment la situation.La question de la soumission de lindividu au collectif ou, acontrario, du collectif lindividu est pose ici. Nous ne larsoudrons pas, si ce nest pour faire remarquer que lidedautonomie individuelle suppose par elle-mme que le collectif(la socit) soit au service des aspirations de lindividu. Lidede survie de lespce semble plutt impliquer que les individusne sont jamais que les composantes dun grand tout qui lesdpasse. Hans Jonas parle de : lEtre en gnral, envers lequel,[] nous sommes finalement contraints de par notre40responsabilit81.Lide de gnrations futuresestalors larification de cette entit transcendant les individus concrets. Ledveloppement durable, en utilisant cette notion, et en en faisantun pilier de ses principes, se place implicitement du ct delespce humaine en tant quespce, plutt que de celui desindividus. Se pose alors la question de savoir qui dfinit lesdroits et les aspirations des gnrations futures ?Vouloir ou savoirLe dveloppement durable, en tant quil prtend organiser lavie collective en vue dun bien la survie de lhumanit sedonne comme savoir . Son discours empreint de scientificitconfirme cette impression. Ilmarque alors une diffrence entreceux qui savent et ceux qui ne savent pas quel est le Bien etcomment y parvenir.Cette thmatique du savoir a toujours t prsente du ct delcologie par en haut. Ses pionniers tant des scientifiques,cologues, biologistes, etc., ils se rclamaient naturellement dusavoir acquis dans leurs disciplines pour mettre en garde contreles drglements de la nature issus des interventions humaines.Par la suite, le dveloppement durable sest construit de manireconsciente comme un savoir. Il se prsente dsormais commeunsystme de prceptes,dcoulantde quelques principesgnraux et relativement complet. Lenjeu du dveloppementdurable nest plus didentifier les problmes et leurs solutions(cette tape a dj t franchie) mais de faire en sorte que sesprceptes soient adopts et mis en uvre.Comme le notelOCDE, dans un monde parfait des institutions quifonctionnent correctement seraient dj en place et laralisation dun dveloppement durable ncessiteraituniquementlengagementpolitique dappliquer des objectifsbien dfinis82. Cette orientation se marque notamment par latendance du dveloppement durable prsenter ses solutions81Hans JONAS, op. cit., 2002, p.93.82OCDE, op. cit., 2002, p.9.41comme les seules possibles et nier la possibilit dun choixpolitique sauf vouloir courir la catastrophe.Lamarque de cet accent missurle savoirse trouvenotamment dans lutilisation incessante dinjonctions. Lerapport Brundtland, comme les rapports issus des deux grandesconfrences internationales de lONU sur la Terre (Rio 1992 etJohannesburg 2002), de mme que les textes dorganisationsinternationales comme lOCDE, sont essentiellement descatalogues de mesures prendre de toute urgence pour sauverla Terre . Il ne sagit pas seulement de principes gnraux oude grandes orientations,mais dune collection extrmementdtaille dactions mener,de politiques conduire.Parexemple, le programme dAgenda 21, adopt au Sommet de laTerre Rio83, comprend quarante chapitres (qui traitent de ladmographie, de la science, de lducation, dugouvernement)etchacun de ces chapitres regroupe unecinquantaine de mesures prendre afin de mettre en uvre ledveloppement durable (par exemple : 147 pour la protectiondes ocans, 104 pour le dveloppement rural, une dizaine pourle traitement des dchets radioactifs, etc.).Le rapport Brundtland dj oprait selon la mme structure.Il visait dune part faire le point sur les dangers menaantlhomme et lenvironnement (e.g. : la dforestation, lasurpopulation, la pauvret, lpuisement des ressourcesnaturelles, les armes nuclaires) et dautre part tablir lespistes suivre pour les viter. Les rapports suivants ne visentqu prciser ces options, les raffiner et les appliquer tousles niveaux de gouvernement. Dune manire plus gnrale, ledveloppementdurable se prsente comme un impratif etcomme une science.Les politiques publiques doivent alorsdcoulernonde valeurs politiques oude choix,maisdedcisions fondes scientifiquement. Nanmoins, le lien entre lesystme de connaissance et le systme de dcision nest passatisfaisant84en ltat actuel des socits dmocratiques. Uneconclusionsimpose alors pour le dveloppement durablecomme savoir : il faut renforcer les liens entre la science et la83ONU, op. cit., 1999 [1993].84OCDE, op. cit., 2002, p.33.42prise de dcision85, autrement dit renforcer le poids delexpertise technocratique dans la politique.Le savoirinhrentau dveloppementdurable nestpasrparti entre tous. Certaines personnes ou certains groupes ledtiennent et sont doncchargs demettreenuvre sesprincipes. Lidentit des dtenteurs de ce savoir varie. Tour tour, il sagit de scientifiques, dexperts, de sages (commechez Hans Jonas) ouplus classiquement de gouvernants.Nanmoins ces derniers doivent sappuyer sur un savoirdorigine experte. Ainsi pour lOCDE : La capacit despouvoirs publics de traiter ces questions long terme de faonefficace dpend troitement de leur aptitude prvoirlvolution de la situation et les problmes naissants. [] Despartenariats associant les autorits publiques, le secteur privet luniversit bass sur une stratgie de recherche cohrente tofferaient les moyens dinformation scientifique dont lespouvoirs publics doivent disposer pour fonder leurs dcisions86.Le dveloppement actuel de pans entiers de lUniversit et de larecherche scientifique ddis cette thmatique confirme lancessit pour le dveloppement durable de former sesspcialistes et de dvelopper son expertise propre. Alors quelcologie politique sest construite justement contre la technostructure du monde contemporain (comprenant lafois la science, la technique, et lindustrie), le dveloppementdurable participe pleinement celle-ci. Un corps de spcialistes se dveloppe, dtenteurs du monopoleradical du savoir, que dnonce avec force lcologie par enbas. Pour Ivan Illich,si lebesoindunedfense contrelemonopole radical du savoir nest pas reconnu, celui-cirenforcera et affinera son outillage jusqu entraner undpassement du seuil humain de rsistance linaction et lapassivit87.La lecture des textes fondateurs confirme ainsi cettestructure de pense : le dveloppement durable sait ce qui estbon et comment y parvenir. Le savoir se dploie alors sur deux85Ibid, p.33.86OCDE, op. cit., 2001, p.56.87Ivan ILLICH op. cit., p.84.43plans. Un premier plan est dordre mtaphysique, cest celui delimpratif : on sait ce qui est bon pour les individus et pour laTerre. Un deuxime plan est dordre technique ou expert, cestcelui de la science : on sait quel est le meilleur (ou le seul)moyen darriver au bon rsultat.Or, en se posant comme impratif et comme science (commesavoir), le dveloppement durable rcuse ipso facto la politique,comprise comme choix (ou comme vouloir). Le dveloppementdurable dvalorise ainsi la politique qui napparat gure quecomme un obstacle la mise en uvre des principes rationnelsdu dveloppement durable. Par exemple, lOCDE, analysantladministration publique, note que la faible politisation deshauts fonctionnaires parat contribuer une meilleure prise deconscience [du dveloppement durable]88. La politique sersume alors la mise en uvre de politiques publiques.Comme le relve avec justesse Edwin Zacca, un mot mergedans le RapportBrundtland, unmot qui varevenir denombreuses reprises dans tous le processus de dveloppementdurable, qui est ici initi. Cest le mot gestion (managing).Nouvelle gestion, meilleure gestion, gestion intgrelesformulesvarieront, maislarecherchesepoursuivraencesens89. Le dveloppement durable fait de la gestionenvironnementale,alors que lcologie politique faitde lapolitique.Un aspect secondaire de cette partition entre une doctrine dusavoir et du vouloir est la propension de la premire tenir undiscours catastrophiste. Les ouvrages du dveloppement durablecommencent gnralement par une litanie de catastrophesravageant ou menaant la Terre et ses habitants, par exemple :Parmi les dangers qui guettent lenvironnement, la possibilitdune guerre nuclaire, ou dun conflit militaire dune moindrechelle impliquant des armes de destruction massive, est sansaucundouteleplusgrave90.A cette aune les propositionsnonces par la suite paraissent non seulement raisonnablesmais urgemmentncessaires etpeu discutables.Lcologie88OCDE, op. cit., 2002, p.12.89Edwin ZACCA, op. cit., p.65-66.90BRUNDTLAND, op. cit., p.290 (notre traduction). Il est vrai que ce rapport est paru en1987, soit avant la fin de la guerre froide.44politique, si elle a galement recours aux rfrencescatastrophistes, prfre gnralement se prsenter comme unchoix politique. Elle ne dit pas quil ny a quune issue possible,elle prtend seulement que sa solution est meilleure. Commelexprime Ivan Illich : La socit peut cantonner sa survie dansles limites fixes et renforces par une dictaturebureaucratique, ou bien ragir politiquement la menace enrecourant aux procdures juridiques et politiques. Lafalsification idologique [] nous voile lexistence et lapossibilit de ce choix91.De cette pense du savoir dcoule un impratiftechnologique : il est possible de mettre en uvre des solutionstechniques ou technologiques au dfi cologique. Lcologieparen bas dnonce de son ct ces vises scientistes ettechnocratiques : En matire de sciences humaines, il ny a pasdeconclusioncertaine,indiscutable.Il nyadoncpasdeVrit politique92.Critique de la technique ou solution techniqueSe posant comme un savoir, le dveloppement durable vamobiliser des ressources techniques afin de rsoudre lesproblmes techniques de survie de lespce. Pour lcologiepolitique, qui au contraire se donne comme choix politique, ledveloppement mme de la technique est ce qui pose problme.Lcologie politique, critique de la science et de la techniqueLa critique de la technique estune source majeure delcologie politique (au travers de Lewis Mumford, MurrayBoockchin, Bernard Charbonneau, Jacques Ellul ou Ivan Illichnotamment). Couple la critique plus gnrale de nos modesde production, elle reste une valeur fondamentale de lcologiepar enbas93. Celle-ci, refusant lide deneutralit dela91Ivan ILLICH, op. cit., p.144, cest lauteur qui souligne.92Ren DUMONT, Seule une cologie socialiste, Paris, Robert Laffont, 1977, p.256.93Cette critique de la technique ne se joue nanmoins pas sur le mme plan quecelle de Martin Heidegger (et de son pigone Hans Jonas). Lcologie politique porte45technique ou le dcouplage des fins et des moyens, nonce quele dveloppement de la technique est li celui du mondeindustriel et la destruction de la nature par le mode deproduction capitaliste94.Mais la critique quelle en donne est politique, au sens ouelle dnonce dabord le fait que ce sont leur tour la science etlatechniquequi aujourdhui assument[] lafonctiondedonner la domination sa lgitimation95. Car, comme le ditCastoriadis, la prsentation de la science et de la techniquecommedes moyens neutres oucommedepurs et simplesinstruments, nest pas simple illusion : elle fait prcismentpartie de linstitution contemporaine de la socit cest dire,elle fait partie de limaginaire social dominant de notrepoque96. Le recours la science et la technique nest pas unefonction collatrale de nos socits, mais un de ses principesrgulateurs ;elles sontdevenues des valeurs en soietsetrouvent au fondement de la lgitimation du mode deproduction industriel.La prise de lhomme sur loutilsesttransforme en prise de loutil sur lhomme97. La conqute delautonomie et lmancipation des dominations doit donc passerpar une critique de ces moyens qui sont devenus des fins ; soitla cration dune socit conviviale. Pour Ivan Illich, il sagitdune socit quidonne lhomme la possibilit dexercerlaction la plus autonome et la plus crative, laide doutilsmoins contrlables par autrui98.Aujourdhui, dans le prolongement de cette tradition, onobserve que le courant critique de la sociologie des sciences( science studies ) se rclame de lcologie politique. Il sagit nouveau de dmystifier ce quise prsente un peu tropune critique de la technique comme domination, elle se place sur un plan politique. Acontrario la critique heideggro-jonassienne est dabord une critique de la Modernit etune exaltation de valeurs traditionnelles . Voir notamment Dominique BOURG, Quest-ce que la technique ? , in op. cit., 2003, p.21.94cf. Cornelius CASTORIADIS Technique , in Encyclopaedia Universalis, corpus 17,Paris, 1988, p.755-761.95Jrgen HABERMAS, La technique et la science comme idologie , Paris, Gallimard,1973 [1968], p.37 (trad. J.-R. Ladmiral).96Cornelius CASTORIADIS et Daniel COHN-BENDIT, op. cit., p.22.97Ivan ILLICH, op. cit., p.26.98Ibid., p.4346rapidement comme objectif et indiscutable (la Science) et peutdonc servir des entreprises de domination. Cest le programmede louvrage de Bruno Latour,Politiques de la nature99oudIsabelleStengers et de son Sciences et pouvoirs100. Enrecomposant lpistmologie des sciences, on peut rintroduirede la politique, cest--dire de la dmocratie.La domination dans nos socits avance donc sous le couvertde la technique neutre , simple objet au service de lhomme.Lcologie politique condamne cette reprsentation et montre,au contraire, que cest dans la technique que se cristallise lalogique de domination du systme conomique de croissance.La vise dautonomie passe alors par lmancipation vis--visdu systme technico-productif, ce quaffirme Castoriadis :Ames yeux, le mouvement cologique est apparu comme un desmouvements qui tendent vers lautonomie de la socit; [].Dans le mouvement cologique, il sagit, en premier lieu, delautonomie par rapport un systme technico-productif,prtendument invitable ou prtendument optimal: le systmetechnico-productif qui est l dans la socit actuelle. [] ilengage potentiellement tout le problme politique et leproblme social101. Or, lasservissement la socit industrielleau travers de ses outils profite certains : Jamais loutil na taussi puissant. Et jamais il na t ce point accapar par unelite102.La critique de la technique contemporaine ne signifienanmoins pas un retour lge de pierre. Cest un changementquantitatif et qualitatif que lcologie politique appelle de sesvux. Ivan Illich pose cette problmatique en affirmant quelhomme a besoin dun outil avec lequel travailler, non dunoutillage qui travaille sa place. Il a besoin dune technologiequi tire le meilleur parti de lnergie et limagination99Bruno LATOUR,Politiques de la nature,Commentfaire entrer les sciences endmocratie, Paris, La Dcouverte, 2004 [1999].100Isabelle STENGERS, Sciences et pouvoirs. La dmocratie face la technoscience,Paris, La Dcouverte, 2002 [1997]. Bien quIsabelle Stengers, soit par ailleurs unepartisane du dveloppement durable, ce quelle entend par l nous semble relevereffectivement de lcologie par en bas. Voir son interview dans La Revue Durable, n6,juillet-septembre 2003, p.6-10.101Cornelius CASTORIADIS et Daniel COHN-BENDIT, op. cit., p.39.102Ivan ILLICH op. cit., p.105.47personnelles, pas dun outillage qui lasservisse et leprogramme103. Il sefforce de montrer, comme Andr Gorz, quedautres outils, dautres techniques existent qui permettent dereconqurir lautonomie. Le simple fait dutiliser des objetsconstruits pour durer est dj un pas vers plus dcologie, moinsde productionet plusdematrisesur sonenvironnementimmdiat. Ainsi, une socit cologique ne connatrait plus leschangements saisonniers des modes qui induisent unesurconsommation de textile. Les objets seraient construits pourdurer et pour tre rparables facilement par tout un chacun. Parexemple, lautomobile il faudrait prfrer la bicyclette, enginautonome par excellence104.Enfin, les solutions techniques aux problmesenvironnementaux apparaissent lcologie politique commeun leurre, en tendant non rduire la croissance, mais luidonner de nouvelles ressources. Lide, par exemple, que desamliorations techniques permettraient de consommer toujoursmoins dnergie en augmentantlefficacit nergtique desobjets ne tient pas, car les gains en efficacit sont affects non la diminution de la consommation nergtique, mais laugmentation de lutilisation de lobjet en question. Cest leffet rebond en conomie. Un exemple classique en est la conjoncture de Zahavi ,bienconnue des ingnieurs ensystmes de transport, qui stipule que, quel que soit ltattechnologique des infrastructures de transport, les individusaffectent une heure de leur temps quotidien aux dplacements.Ainsi, devant une amlioration de loffre de transport (parexemple une nouvelle ligne de mtro), les individus, enmoyenne, ne choisiront pas de diminuer de moiti leur temps detransportvers le centre,mais irontsinstaller plus loin enpriphrie.Cette conjoncture est vrifie depuis les annes1960, o les amliorations des infrastructures routires, loin derduire le temps global de dplacement, ont conduit lextension suburbaine des villes. Les solutions techniques aux103Ivan ILLICH, op. cit., p.27.104Andr GORZ, op. cit., 1978, p.77-87.48problmes environnementaux ne permettraient donc pas de lesrsoudre, et tendraient mme les aggraver105.Silcologie politique metune violente critique de latechnique, comme domination et comme alination, cestquelle yvoitlinstrumentde la perte dematrise et delhtronomie gnralise de nos socits. La technique esttoujours congruente des valeurs du systme qui la produite. Ence sens, vouloir apporter des solutions techniques la criseenvironnementale,ce nestque renforcerla logique quiaprcd sa mise en uvre. En changeant de systme, en allantvers la socit conviviale,les outils idoines au service delindividu seront crs. De mme, cest en adoptant des outilsconviviaux que cette socit pourra merger.Le dveloppement durable comme science et commetechnique.Le dveloppement durable, qui se prsente comme science,ne se soucie pas de la question de la domination et parie que dessolutions techniques sont possibles et souhaitables poursurmonterles crises environnementales.Ilestexplicitementmentionn dans le rapport Brundtland que le dveloppementdurable est limit par ltat de la technologie106, impliquant quedes dcouvertes technologiques permettront une croissance plusgrande et moins destructrice de la nature. Cette confiance en lascience et la technique, comme nous lavons montr, est sigrande que la plupart des problmes environnementaux ont djleur solution durable quil suffit de mettre en uvre. On enappelle explicitement plus de dveloppements de la techniquel o celle-ci est peu prsente (pays du Sud) et une rorientationde la technique vers plus de prise en compte de lenvironnementl o elle est dominante (pays du Nord)107. Cest ce que prvoitle neuvime principe de la dclaration de Rio sur105Sur cette question, en lien avec le changement climatique, voir le trs bon article deCLARK Brett et YORK Richard, Carbon Metabolism: Global Capitalism, ClimateChange, and the Biospheric Rift in Theory and Society, vol. 34, n4, 2005, pp. 391-428.106BRUNDTLAND, op. cit., p.43 (notre traduction).107Ibid, p.60-62.49lenvironnement et le dveloppement : Les Etats devraientcooprerafinderenforcerla miseenuvreendognedudveloppement durable en amliorant la comprhensionscientifique aux moyens dchanges de savoirs scientifiques ettechnologique et en mettant en valeur le dveloppement,ladaptation, ladiffusionet letransfert detechnologies, ycompris les technologies nouvelles et innovatrices108. Ledveloppement durable nest pas une rflexion sur la techniqueet ses consquences, il est une marche suivre pourlapplication de solutions techniques aux maux causs par latechnique.Bien quil en appelle au principe de prcaution et fassemontre de beaucoup de circonspection etde prudence,ledveloppement durable repose sur lide quune connaissancerationnelle quasi-complte de la nature est possible, et que, parconsquent, des solutions technologiques aux problmesenvironnementaux sont possibles. En un sens, il ractive lavieille ide de matrise rationnelle de la nature, ideminemment dangereuse pour lcologie par en bas : lnoncprogrammatique de Descartes : atteindre au savoir et lavrit pour nous rendre matre et possesseurs de la nature.Cest dans cet nonc du grand philosophe rationaliste que lonvoit le plus clairement lillusion, la folie, labsurdit ducapitalisme109.Le dveloppement durable peroit la technique comme unsimple instrument au service de lhomme. Il se refuse tablirun lien entre destruction de la nature et dveloppement de latechnique en soi. Il pense que certaines techniques sont bonnespour lenvironnement et quil convient de les dvelopper, quecertaines sont mauvaises et quil faut les abandonner. Cest lun des ressorts majeurs du principe de prcaution promupar le dveloppement durable110. La critique politique de latechnique comme domination ne se pose pas pour lui.Lcologie politique a contrario nonce une double critique dela technique. Premirement une critique politique, de la108ONU, op. cit., 1999 [1993], p.10 (notre traduction).109Cornelius CASTORIADIS et Daniel COHN-BENDIT, op. cit., p.37-38.110cf. le principe 15 de la dclaration de Rio : ONU, op. cit., 1999 [1993], p.10.50technique comme domination plus dailleurs que comme dnaturation . Deuximement, une critique cologique desdvastations de la nature induite par une technique toujours plusprsente. Elle lie intrinsquement dveloppement de latechnique et perte de lautonomie.Un exemple : le nuclaire, politique ou technique?Il peut sembler secondaire de distinguer entre cologie paren haut et par en bas sur la question du nuclaire civil. Pourtant,il sagit l dun point qui est la fois fortement discriminant etrvlateur de logiques plus profondes. Lopposition delcologie politique lnergie nuclaire nest pas seulement unchoix nergtique. Elle nest pas non plus, comme on peutlentendre, le reflet dune peur irrationnelle, pr-moderne, de latechnique. A linverse, lacceptation (ambigu, cf. infra) delnergie nuclaire par les tenants du dveloppement durable nepeut se comprendre en dehors de choix politiques plusgnraux.Dupoint de vue dudveloppement durable, lnergienuclaire nest jamais prsente que comme un choixtechnologique parmi dautres, quil sagit dvaluer pour sescots et bnfices environnementaux111. Au terme dun chapitrebalanc entre arguments pour et contre, le rapport Brundtland sedclare fortement rserv sur le dveloppement de cette nergie,sans toutefois la rejeter totalement112. En particulier, le fait quelnergie nuclaire soit cense ne pas mettre de gaz effet deserre pour sa production, est mis en avant comme mesure delutte contre le rchauffement climatique plantaire. En mmetemps, des rserves sont mises quant aux cots rels et ladangerosit de cette nergie. Des rserves, mais pas de rejettotal ; en tout cas le dbat est situ sur un plan purementtechnique. Il en va de mme dans le rapport du sommet de Rio :la question du nuclaire est aborde sous langle de la meilleure111BRUNDTLAND, op. cit., p. 168.112Ibid., p.181-189.51gestion possible des dchets radioactifs, sans remettre en causela production de ces dchets113.Lnergie nuclaire est ainsi plutt apprcie des partisansde lcologie par en haut. Le naturaliste Jean Dorst, que nousavons identifi ce courant, crivait la fin des annes 1970 :lnergie nuclaire, grand espoir de lhumanit et seule capablede prendre la relve des nergies classiques. [] Une nergiepropre en fabuleuse abondance. Voil de quoi rver !114Unedizaine dannes avant laccident de Tchernobyl, il pouvaitajouter : Les risques cancrognes ou mutagnes sont enpratique infimes. Par ailleurs aucun accident nuclaire isol nepourrait entraner des catastrophes cologiques aussi gravesque celles auxquelles nous faisons face actuellement du fait delusage du ptrole ou dautres produits industriels115. Ilsoulignait par ailleurs la ncessit de rduire le dveloppementconomique ainsi que la consommation dnergie, insistant surdautres sources potentielles dnergie. Sa foi dans lnergienuclaire est indissociable de sa croyance en la capacit de lascience et des scientifiques trouver des solutions techniquesaux maux de lhumanit.Dominique Bourg, dfenseur du dveloppement durable, yassocie invitablement lnergie nuclaire. Il sagit nouveau,dans cette logique, dun choix technique, ncessaire, le seulpossible si lon veut rduire les missions de gaz effet deserre. Le risque du changement climatique surpassant le risquedu nuclaire : Il semble donc quon ne pourra pas se passeraisment du nuclaire, une nergie certes dangereuse, dont lepass, socialement lourd, a t entach par un manque violentde transparence116.Dune manire gnrale, pour lcologie par en haut, lechoix du nuclaire nest peru que comme un choix technique,souvent prsent, dailleurs, comme le seul possible. Ce choixest nanmoins opr (avec quelques fois des rservesimportantes) car une grande confiance est accorde audveloppement de la science et de la technique, censes garantir113ONU, op. cit., 1999 [1993], p.215-216.114Jean DORST, op. cit., p.157.115Ibid, p.158.116Dominique BOURG, op. cit., 2002, p.43.52le contrle long terme de cette nergie, rduire ses cots et sesrisques et permettre une solution la question des dchets.Lcologie politique au contraire, si elle ne nglige pas lesarguments techniques117, prsente son refus de lnergienuclaire sur un plan essentiellement politique. Des critiquesfondamentales sont adresses au nuclaire sur sa dangerosit(critiques renforces aprs Tchernobyl) et sur son cot rel (quiserait systmatiquement sous-estim par ses partisans).Nanmoins lessentiel nest pas l, mais relve du mode defonctionnement conomique de la socit (1) et delorganisation politique de celle-ci (2).1. Pour lcologie politique, il est impossible de sparer laquestion de la production de lnergie de celle de sonutilisation. Ainsi, il est vain