Rock Pop «Ce sont les doigts MUSIQUES qui parlent»...lax et qui ne vit pas le piano comme un...
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L’ECHO SAMEDI 12 OCTOBRE 2019 53
Vie & Culture
C’est une excitation quele public belge connaîtbien avec le Reine Éli-sabeth. Mais présenter
le Tchaïkovski, c’est encore autrechose. Ne fût-ce que parce que lagrande salle de concert est l’épi-centre du Conservatoire de Moscouqui vit passer Rachmaninov, Scria-bine, Richter, Rostropovitch,Schnittke et bien sûr Tchaïkovski,qui fut l’un de ses premiers pro-fesseurs. Comment évoquer cettesalle sans penser au retour flam-boyant de Vladimir Horowitzaprès 50 ans d’exil, le 20 avril 1986,et à ces grappes de jeunes venusporter jusqu’à l’incandescencel’énergie du vieux maître.
«Je n’apprécie pas particulièrementle principe des concours, nous ditd’emblée le Français AlexandreKantorow, 22 ans, qui a remportéle Tchaïkovski en juin dernier.J’avais déjà une petite carrière enFrance. Mais pour moi, ce concours,c’était toute cette histoire. Quand onpense à tous les fantômes du passéqui sont passés là-dedans, il y a dequoi avoir la tête qui tourne. J’avaisenvie de pouvoir me dire que j’avaisparticipé à cette histoire-là.»
Une phrase qu’il n’a pas fallu ré-péter à Rena Shereshevskaïa qui l’apréparé en deux ans, à l’École nor-male de musique Alfred Cortot,à Paris, elle qui avait déjà propulsésur le podium moscovite Lucas De-bargue (une sorte de Glenn Gouldà la française, classé quatrième en2015), envoyé Rémi Geniet à 20 ansau Reine Élisabeth (où il décrocheen 2013 le second prix), et forméd’autres graines de talent, dont l’ex-ceptionnelle pianiste MaroussiaGentet.
À la russe, à la dure«Avec sa phrase sur l’histoire du Tchaï-
kovski, il m’a touchée», lâche-t-elleavec l’accent russe où pointentl’amour pour l’élève et la convictiondu bien-fondé de son enseigne-ment d’élite (elle a enseigné 11 ansà l’École centrale de musique pourenfants surdoués auprès duConservatoire Tchaïkovski). Avecles Russes, c’est tout ou rien, dit-elle.«Rena a dit d’accord pour le concours,mais pas en y allant en touriste…»,se rappelle Alexandre.
«Une heure de travail avec moi,c’est trois heures ailleurs, affirme-t-elle… Alex était déjà très doté quandil est venu me voir, mais il fallait soig-ner chaque note et y aller à fond. Il y ades gens qui ne peuvent pas le sup-porter. Ils veulent tout de suite un ré-sultat et tombent sur quelqu’un quiles embête sur chaque note et passeune heure sur quatre mesures si l’élèveest moyen ou sur quatre lignes sil’élève est exceptionnel!»
Exceptionnel, Alexandre Kanto-row l’était déjà à 18 ans quand elleva l’écouter en 2015 à la FondationLouis Vuitton. Mais il fallait d’abordqu’il finisse le Conservatoire de Pa-ris où il étudie avec Frank Braley,bien connu du public belge (il rem-porte le Reine Élisabeth en 91) etqui dirige depuis six ans l’Orches-tre royal de chambre de Wallonie(ORCW). «C’est quelqu’un de très re-lax et qui ne vit pas le piano commeun obstacle violent, témoigneAlexandre. Il nous laissait nous dé-brouiller avec nos mains. Maintenantqu’il dirige, ce qui l’intéresse, c’est depenser la musique comme une sym-phonie. Il se pose toujours la questionde savoir comment un orchestre fe-rait.»
Une attitude qui parle naturel-lement au jeune homme qui n’estautre que le fils de Jean-JacquesKantorow (que l’on a vu dirigerl’ORCW en mai dernier, lors de la
«J’avaisenvie depouvoirme direque j’avais participé àcette his-toire duConcoursTchaï-kovski.»
ALEXANDREKANTOROW,PIANISTE
1. «À la russe», récital.
2. Concertoset «Malédic-
tion»de Liszt.
3. Concertos3, 4, & 5 deSaint-Saëns2 & 3 avec la
Tapiola sinfo-nietta, dir.
Jean-Jacqueskantorow.
3 CD Bis� � � � �
Trente ans après avoir révolutionnéle rock alternatif et annoncé lavague grunge, les Pixies, reformésvoici quinze ans, peinent à retrou-ver leur allant de l’époque. Et pourcause, ils ont vieilli, comme leurschansons… actuelles qui paraissentêtre une tentative un peu pathé-tique de retrouver l’inspirationd’antan, que ce soit dans la mélo-die («Graveyard hill», «This is myfate») ou les titres – «Los surfersmuertos» évoquant «surfer rosa»,leur décapant premier album quiinspire aussi la pochette du pré-sent album. Et c’est parfois réussiavec l’excellent «Long rider»… s’ilne déroule plus ses phases en hur-lements géniaux, Frank Black, tou-jours aux commandes, s’appuie surla bassiste Paz Lechantin pour desmélodies lorgnant la country(«ready for love») ou le folk dé-pouillé («Death horizon»). Bienmoins catastrophique au final que«head Carrier» en 2016, ce presqueretour gagnant souffre à l’évidencede l’absence de kim Deal, partievoici six ans… B. R.
En concert à Forest National,ce mercredi 16/10.
Rock
«Beneath the Eyrie» – PixiesBMG� � � � �
Rock
Nick Cave & The Bad Seeds —«Ghosteen»Ghosteen Ltd� � � � �
après quelques années de ba-garre avec son ancien label et unlong silence radio, stephan Ei-cher, notre suisse préféré, est deretour avec ce très joli album. inti-tulé «homeless songs» car, il l’ex-plique, ces quatorze nouvelleschansons ne trouvent pas de mai-son dans une industrie dominéeaujourd’hui par le streaming. Parcontre, ces chansons, dont beau-coup sont signées pour les textespar le fidèle Philippe Djian et dontcertaines sont chantées en alle-mand ou en bernois, ont complè-tement leur place dans une am-biance feutrée et cosy.admirablement mises en mu-sique par Eicher lui-même et sesmusiciens, dont beaucoup declassiques, ces chansons consti-tuent le parfait album d’automne.Parmi les plus belles, «MonsieurJe ne sais pas trop», «haïku — Pa-pillon» et «La Fête est finie» su-perbement interprétée par Ei-cher, Miossec et axelle red. unebrillante réussite qui compteaussi quelques passages amu-sants comme «né un ver» en duoavec l’américain Dan reeder.
J. L.
En concert le 9/12au Cirque Royal.
Pop
«Homeless Songs» –Stephan Eicheruniversal Music� � � � �
La mort est inéluctable et laconscience de notre mortalité faitde l’homme une exception. aprèsdes siècles d’évolution, nousavons appris que toute chose aun début, et toute chose à unefin. Malgré cela, pleurer les mortsreste une épreuve insondable.alors que cela fait bientôt quatreans que son fils arthur est dé-cédé, nick Cave nous livre avec«Ghosteen» un recueil à la foisempirique et philosophique surl’impossible errance du deuil. unalbum en deux parties, présen-tées comme «les enfants» et «lesparents» dans lequel l’australiens’expose à cœur ouvert. Et ce quel’on y trouve est sublime. sur descompositions lentes et sépul-crales, composées de piano, denappes de claviers de cordes etde chœurs, Cave et Warren Ellisempoignent l’amour, témoignentdu deuil et envisagent l’au-delàdans une douceur extrême,presque relaxante. À l’image dela cover de ce disque, où l’on sou-haiterait vivre pour l’éternité.un album certainement cathar-tique pour son auteur, mais quisaura parler à l’âme de toutescelles et ceux qui ont traversé outraverseront la difficile épreuvede la perte d’un être aimé. C.BQ
30 et 31/1/20 à Bozar (sold-out)
Classique
«Anamorfosi» –Allegri & Monteverdivincent Dumestre/Le Poèmeharmonique. alpha� � � � �
Lorsqu’elle s’inspire de l’anamor-phose picturale, qui déforme laperspective, la musique ouvre lechamp de tous les possibles. Etde tous les affects! Telle sera laforce du baroque en pleineContre-réforme. Telle est au-jourd’hui celle de vincent Dumes-tre. Cet esthète ès-Xviie siècle sa-lue les vingt ans de son Poèmeharmonique avec l’une des plusémouvantes versions jamais gra-vées du «Miserere» d’allegri. Cejoyau du premier baroque (1639)exige en effet de ses interprètesornementations virtuoses et mé-lismes extatiques, exécutés pardes voix superbes (Deborah Ca-chet, Eva Zaïcik…) et musiciens fu-sionnels (mention pour le cornet-tiste adrien Mabire), on chavire.Le dolorisme larmoyant qui a pé-nalisé plus d’une interprétationfait place ici à un état de grâcequasiment sensuel. La suite duprogramme, qui reste à rome encompagnie de Mazzochi, rossi etautres Marazzoli, joue avec lamême aisance de distorsions desens et de tensions harmoniquespour saluer la vitalité d’une mu-sique de quatre siècles. ST. R.
«Ce sont les doigtsqui parlent»
demi-finale du Reine Élisabeth) etqui accompagne son fils dans sespremiers disques pour le label Bis,consacrés aux concertos de Liszt etde Saint-Saëns (ci-contre). «Quandje l’ai amené devant l’orchestre, cer-tains se sont dits: ‘Ca y est, il l’a casé’!Mais dès qu’Alexandre a commencé àjouer, il a mis tout le monde d’ac-cord…», expliquait le père au microde France Musique, citant les filia-tions réussies de musiciens – lesTortelier, les Järvi, les Kleiber.On situe l’ambition…
Orchestral et lyriqueL’approche orchestrale du clavier,avec des basses explosives, se dou-ble chez Alexandre Kantorow d’unart du chant peu commun, habitéà tout instant. Une autre caracté-ristique familiale, puisque sonpère, avant que d’être chef était vio-loniste, tout comme sa mère.
«C’est sûr que j’ai été nourri de çainconsciemment. Chez nous, les pia-nistes, toutes les notes sont égales,quel que soit le registre. Chez eux, lesintervalles entre les notes sont beau-coup plus difficiles. Il faut créer unmonde qui se rapproche du chant.Maintenant, pour le transposer au pi-ano, qui n’est pas l’instrument le plusnaturel pour le chant, le phrasé et lelegato, il a fallu que je me concentredessus…»
Rena Shereshevskaïa ne lui a évi-demment pas laissé le choix.«Même le pouce de la main gauchedoit savoir parler, enseigne-t-elle.Je dis souvent qu’il y a dix musicienschez nous: les doigts de la main. Surla tombe de Cristofori, l’inventeur dupianoforte, n’est-il pas inscrit: ‘Ce sontles doigts qui parlent’. Encore faut-illes entendre…»
«Il faut entraîner ses doigts à trou-ver le son, puis faire en sorte que celane passe plus par le cerveau, qui pour-rait tout détruire si l’on se sent malou qu’on a peur en entrant sur scène,conclut Alexander Kantorow. Et sil’on arrive à écouter ce son de manièreassez forte et puissante, alors tout oupresque disparaît autour de nous.»
À découvrir ce mardi 15/10 (20h),à la salle Élisabeth d’anvers,sous la direction de valeryGergiev à la tête du Mariinsky(suite issue du «Tsar saltan»,«2e Concerto pour piano»de Tchaïkovski, «Tableaux d’uneexposition» de Moussorgski):koninginelisabethzaal.be
Entendre chaque note en son for intérieur et laisser jouer la musique. Alexandre Kantorow lors de la finale du Tchaïkovski.© ConCours TChaïkovski
16 millions de vues sur medici.tv pour sa prestation en finale du concoursTchaïkovski qu’il est le premier pianistefrançais à remporter. AlexandreKantorow jouera mardi, à Anvers, sous la baguette de Valery Gergiev.Par Xavier Flament
MUSIQUES